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COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Mercredi 6 décembre 2006

Séance de 16 h 15

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Edouard Balladur, Président,
puis de M. Michel Destot, Secrétaire

 

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– Audition de M. Pascal Lamy, directeur général de l’OMC

– Convention d’assistance administrative mutuelle avec l’Azerbaïdjan pour la prévention, la recherche, la constatation et la sanction des infractions douanières (n° 3087) – Mme Martine Aurillac, rapporteure

  

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Audition de M. Pascal Lamy, directeur général de l’OMC

Le Président Édouard Balladur a souhaité la bienvenue à M. Pascal Lamy qu’il a félicité pour son élection à la direction générale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), où il est confronté à une tâche extraordinairement difficile. Il a estimé que la période de transition en cours était propice à l’adoption d’approches nouvelles.

M. Pascal Lamy a rappelé que l’OMC avait quatre fonctions. Sous le contrôle des États, elle négocie et fixe les règles du commerce international. Outre cette activité législative, elle assure la surveillance permanente de la mise en œuvre par les 150 États membres de l’ensemble des règles accumulées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle gère également le contentieux relatif à ces règles, dans le cadre d’un « mécanisme de règlement des différends » qui est en fait de nature judiciaire, les États devant obtempérer aux décisions, sous peine de s’exposer à des sanctions commerciales. Enfin, même si cette activité d’aide au développement échappe généralement à l’attention du public, elle consacre des moyens importants à la formation au droit commercial international des négociateurs, des législateurs et des administrations des pays en voie de développement.

La négociation des règles s’effectue par cycles ; la communauté internationale en est au neuvième depuis la création du General Agreement on Tariffs and Trade (GATT), auquel a succédé l’OMC en 1994. Les cycles comportent une série de sujets sur lesquels les négociateurs s’efforcent d’améliorer les règles applicables aux échanges internationaux en réduisant les obstacles aux échanges – droits de douane, mesures techniques, sanitaires et phytosanitaires, subventions à l’agriculture et à la pêche.

Le cycle en cours aborde un continent encore vierge, la pêche, pour des raisons environnementales et économiques, et des sujets plus classiques comme les instruments de défense commerciale. Ce programme de négociations, qui comporte une vingtaine de sujets, a été mis au point il y a cinq ans. Il ressemble aux précédents dans sa logique mais revêt une dimension plus politique, imposée par les pays en développement : l’objectif est de rééquilibrer les règles du commerce international, qu’ils estiment leur être défavorables, notamment en matière agricole.

Depuis cinq ans, les vingt sujets ont avancé selon un processus d’accumulation progressive très complexe, dès lors qu’il s’agit de mettre d’accord 150 pays aux niveaux de développement et aux intérêts extrêmement hétérogènes. La négociation n’a pas suffisamment avancé pour être conclue mais, en termes d’impact potentiel sur les échanges commerciaux internationaux, les résultats déjà obtenus valent deux à trois fois le quantum du cycle précédent, qui s’était terminé en 1994. Plusieurs thèmes font encore l’objet de débats et l’un d’entre eux, l’agriculture, prééminent à certains égards sur les autres, a connu un accident de parcours en juillet 2006, ce qui a amené à suspendre la négociation. Des discussions techniques entre experts ont repris depuis quelques semaines mais l’OMC n’en est pas au stade où elle pourrait réunir les ministres pour boucler le volet agricole, qui conditionne le reste.

La prépondérance du volet agricole est moins due à des motifs économiques qu’à des motifs politiques. Ce secteur ne représente en effet que 7 à 8 % du commerce mondial mais bénéficie d’une attention politique particulière dans tous les pays, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, quel que soit leur degré de démocratie, en raison du rôle particulier qu’il joue dans la vie des sociétés. Ce phénomène se constate en particulier en France, mais également aux États-Unis, où l’agriculture n’occupe pas une place fondamentale dans l’économie nationale proprement dite.

Même si ces acteurs de l’OMC ne décident pas pour les autres, les positions respectives des États-Unis, de l’Europe, du Japon, de l’Inde et du Brésil permettent de comprendre pourquoi la négociation, en juillet 2006, a achoppé sur l’agriculture. Les Américains ayant peu de protections tarifaires mais versant beaucoup de subventions, ils demandent une diminution des tarifs agricoles des autres pays pour le prix de la réduction de leurs subventions. Les Européens qui versent d’importantes subventions et disposent de protections tarifaires élevées, espèrent une réduction des subventions américaines aussi significative que possible. Le Japon partage les mêmes caractéristiques que l’Europe. L’Inde qui pratique des tarifs élevés mais ne verse pas de subventions, est prête à réduire un peu les premiers mais attend en contrepartie une réduction des subventions américaines et européennes. Quant au Brésil, qui n’a ni tarifs élevés ni subventions, il est offensif sur tous les tableaux. L’OMC n’est donc pas parvenue à trouver un équilibre entre ces positions ; elles étaient même tellement éloignées les unes des autres qu’il n’y avait pas de terrain d’entente possible, contrairement à ce qui s’est passé sur les dix-neuf autres sujets.

Le choc provoqué par cette suspension a conduit les négociateurs à prendre un peu de recul avant d’entamer la dernière étape du parcours. Les résultats déjà obtenus dans les autres domaines ne doivent pas être négligés, sans compter qu’un échec éventuel aurait des conséquences économiques et politiques considérables, avec une menace d’érosion du système de discipline multilatérale, police d’assurance collective contre les excès du protectionnisme, qui vise à stabiliser l’organisation commerciale internationale et à rendre ses règles plus transparentes.

Même si des contacts bilatéraux ont de nouveau lieu, les négociations politiques n’ont pas repris et elles ne reprendront pas avant que les uns et les autres ne chiffrent plus clairement les intentions qu’ils affichent d’adopter une attitude plus souple. Les experts et les ministres des États membres accomplissent un travail d’inflexion politique et d’amélioration technique afin de débloquer la situation et de reprendre la négociation multilatérale.

Les délais dépendent au demeurant assez étroitement du cycle législatif des États-Unis, pour deux raisons. Premièrement, en vertu de l’article 1er de la Constitution américaine, la responsabilité de négocier les traités de commerce incombe au Congrès. Or il est de tradition que les exécutifs négocient et que les législatifs ratifient, surtout lorsque la législation englobe vingt sujets et implique 150 pays. Le Congrès américain doit donc déléguer son autorité de négociation à l’exécutif, ce qu’il ne consent à faire que dans le cadre d’un troc institutionnel complexe et toujours pour une durée limitée, l’échéance tombant précisément en juillet 2007. Deuxièmement, la loi d’orientation agricole américaine, valable pour cinq ans, sera réexaminée en 2007. La position des États-Unis dans les négociations s’en trouvera sans doute modifiée, notamment pour ce qui concerne la réduction des subventions perturbant les échanges, soit environ un quart des aides totales. Le printemps 2007 constituera par conséquent une phase critique.

En conclusion, M. Pascal Lamy a rejeté tout excès d’optimisme ou de pessimisme, préférant faire preuve d’activisme afin que les États membres respectent le mandat général qu’ils se sont fixé. Compte tenu de la vitesse à laquelle se développe la mondialisation, il est indispensable d’actualiser la réglementation commerciale internationale au moins une fois tous les dix ans. Où en serait l’économie mondiale si la Chine n’avait pas adhéré à l’OMC ? Dans le cas où les négociations échoueraient, les principales victimes seraient certainement les pays les plus petits, les plus faibles et les plus pauvres, qui gagnent en influence dans un dispositif multilatéral. Tous ceux qui ont le souci de la justice doivent contribuer à ce que les négociations aboutissent afin que le monde soit un peu moins dur, un peu moins déséquilibré, un peu moins instable.

M. Marc Laffineur a estimé que le fait que les pays les moins avancés (PMA), notamment africains, n’aient guère tiré de bénéfices, en termes de croissance, des règles de libéralisation posées par l’OMC explique aussi en partie l’échec des négociations du cycle de Doha.

Le fait que la demande excède la production agricole mondiale facilitera-t-il la reprise des négociations sur l’agriculture ? L’enchérissement du prix du pétrole, entraînant le développement des biocarburants et donc la nécessité de consacrer des emprises agricoles à ce type de production, peut-il constituer un autre facteur de déblocage ?

Les Américains donnent-ils l’impression de changer d’état d’esprit et de s’acheminer vers une baisse de leurs subventions, qui sont considérables ?

M. Jacques Myard s’est dit dubitatif quant aux objectifs du cycle de négociation en cours. L’OMC souhaite faciliter plus encore le commerce sur la planète, qui se porte déjà bien avec une croissance annuelle de 7 %. Quant aux investissements français à l’étranger dans le domaine des services, leur impact sur l’économie nationale est presque nul, hormis pour le CAC 40, car les exportations se limitent à des licences et à quelques expatriés. Et cela vaut aussi pour les entreprises européennes en général.

M. Michel Destot a demandé si l’Europe, dans ces négociations, apparaissait unie, divisée ou fragile, et comment cela se traduisait pour la France.

Par ailleurs, est-il envisageable d’intégrer progressivement des critères environnementaux dans les échanges commerciaux mondiaux, au même titre que les critères sociaux ?

M. François Guillaume a constaté que la question agricole, introduite dans le débat depuis vingt ans, n’avait jamais été réglée, et que les Américains ne semblaient pas prêts à bouger sur le dossier des loan prices, le dispositif d’aide le plus pénalisant pour les agriculteurs français.

La Banque centrale européenne s’apprêtant à relever son taux directeur, il est probable que l’écart entre le dollar et l’euro va se creuser, au détriment des exportations françaises.

Ni les Européens ni les Américains n’abandonneront leurs agricultures, qui, dans les conditions du marché mondial, ne peuvent vivre sans subventions. Les pays en voie de développement, qui ont besoin de nourrir leur population, sont d’ailleurs contents de s’approvisionner à un prix mondial relativement bas. Au lieu de vouloir abaisser les subventions à la production des États-Unis et de l’Europe, ne serait-il pas préférable d’accorder des dérogations en faveur de grandes régions géoéconomiques, comme il en existe déjà notamment en Afrique, afin de les autoriser à instituer une protection douanière, les droits ainsi perçus pouvant être investis dans le développement de l’agriculture ?

M. Hervé de Charette s’est enquis de l’opinion de l’OMC sur l’avenir de l’industrie en Europe.

Parmi les quatre sujets de Singapour ne figurent ni les critères environnementaux ni les critères sociaux. L’Union européenne a-t-elle renoncé à demander qu’ils soient pris en compte ou bien n’a-t-elle pas obtenu satisfaction ?

En réponse à ces questions et à ces remarques, M. Pascal Lamy a donné les précisions suivantes :

- Les pays les moins avancés (PMA) ont été les premiers à réclamer la reprise des négociations parce que l’amélioration des règles commerciales est cruciale pour eux davantage que pour les autres pays : compte tenu de leur pauvreté et de la taille de leur marché, ils ont tout à y gagner et rien à y perdre. L’idée consistant à permettre l’entrée des produits des PMA en franchise de droits de douane sur les marchés des pays riches est maintenant sur la table. Le Burkina Faso, le Tchad, le Mali ou le Niger n’ont une chance d’obtenir une réduction des subventions en faveur du coton américain que dans le cadre d’une négociation de l’OMC.

- Les cours mondiaux, en particulier ceux des produits agricoles, ne semblent pas avoir d’influence sur la négociation. Un cycle de l’OMC dure de l’ordre de dix ans – le dernier s’est écoulé de 1986 à 1994. Il s’agit donc d’un mouvement de régulation de moyen à long terme. Les prix des matières premières et des produits agricoles sont certes volatils mais les positions des négociateurs sont déterminées par des considérations de compétitivité.

- Les États-Unis ont intérêt à se montrer offensifs, car ils ont beaucoup plus à gagner à une réduction des droits de douane dans le reste de la planète, notamment chez les grands pays émergents, qu’ils n’ont à perdre à une réduction de leurs subventions. Un tiers des agriculteurs américains seulement bénéficie de subventions : les producteurs de blé, de riz, de maïs, de sucre, de coton, de soja et de produits laitiers. Le ministère de l’agriculture américain, depuis dix-huit mois, souhaite réformer ce système, qu’il considère injuste, en réorientant une partie des subventions vers des produits ne posant pas problème à l’OMC. Mais le Congrès l’acceptera-t-il ? L’administration américaine a mis sur la table une proposition ambitieuse de réduction de ses subventions mais les autres pays la jugent insuffisante et, par ailleurs, il lui reste à convaincre ses mandants, c’est-à-dire le Sénat et la Chambre des représentants.

- La science économique comme la pratique montrent que l’ouverture donne de meilleurs résultats que la fermeture. Le processus de division internationale du travail, qui consiste à répartir au mieux les facteurs de production, est source de croissance, cette dernière étant potentiellement génératrice de bien-être et de réduction des inégalités. Le principe général n’est donc pas en cause ; tout est question de proportion et d’équilibre entre les pays, étant entendu qu’ils partent de situations diverses. Les économies française et européenne ont intérêt à ce que les marchés des services s’ouvrent davantage parce qu’elles sont elles-mêmes plus ouvertes que la moyenne. Les marchés des télécommunications, de l’assurance, de la banque et de la distribution sont très dynamiques et connaissent une croissance extrêmement rapide. Même si la grande distribution française s’ajuste aux modes de production et de consommation des pays dans lesquels elle s’installe, le savoir-faire qu’elle y vend revient dans la poche de l’économie française. Tout le monde y gagne et les producteurs les plus efficaces – dans certains domaines, ce sont les Français – s’en tirent mieux que les autres. Plusieurs entreprises du CAC 40 réalisent effectivement une partie appréciable de leurs profits à l’étranger ; dans le capitalisme de marché, c’est justement l’un des critères utilisés pour juger de la performance d’une entreprise. Quant aux PME, si elles ne participent pas assez à l’effort d’exportation, certaines d’entre elles, dans des pays, des zones ou des secteurs particuliers, y parviennent mieux que d’autres.

- L’Europe s’est organisée depuis 1957, à travers les communautés européennes puis l’Union européenne. Les États membres mènent une politique commerciale commune et parlent d’une seule voix à l’OMC après avoir pris leurs décisions à la majorité qualifiée. Oui, l’Europe pèse, précisément parce qu’elle est organisée. L’OMC ne serait du reste pas ce qu’elle est si l’Europe n’avait pas pesé en faveur d’un approfondissement de la régulation du commerce international et insisté pour que soit mis en œuvre un mécanisme de règlement des différends. Après, il est normal que des sensibilités différentes s’expriment entre la Suède et le Portugal à propos du textile ou entre la France et la Pologne d’un côté, la Grande-Bretagne et la Suède de l’autre à propos de l’agriculture. C’est le principe de tout syndicat, de toute union : coaliser des intérêts différents pour être plus efficace et trouver des compromis avant de rejoindre la table de négociation. Les rapports entre la Californie, le Minnesota, le Wisconsin et la Floride ne sont du reste pas fondamentalement différents.

- La constitution de l’OMC, qui date de 1994, dispose que le progrès des échanges internationaux doit contribuer à la soutenabilité environnementale. La pratique de l’OMC ainsi que la jurisprudence du mécanismes de règlement des différends tiennent compte de ce principe : un État a le droit d’ériger des obstacles au commerce pour des raisons environnementales, à condition que cela ne soit pas une manipulation à des fins classiquement protectionnistes. Par exemple, l’Europe, après avoir fait obstacle à l’importation de produits contenant de l’amiante, a gagné le contentieux qui l’opposait au Canada. De même, au terme de plusieurs procédures en première instance et en appel, le mécanisme de règlement des différends a donné raison aux États-Unis, qui avaient interdit l’importation de crevettes thaïlandaises afin de garantir la protection des tortues marines. La cohabitation entre règles de protection de l’environnement et règles commerciales est organisée. L’absence d’organisation mondiale de l’environnement et d’organisme de règlement des litiges relatifs à l’environnement donne l’impression que la dimension commerciale prévaut, dans la mesure où tout se fait à l’OMC. La gouvernance internationale est certes encore un peu chaotique et prend un relief un peu plus prononcé à l’OMC qu’ailleurs, mais la solution ne passe sûrement pas par une réduction de la régulation dans le domaine commercial. Cette cohabitation est au demeurant l’un des vingt sujets de la négociation en cours, notamment à travers les subventions à la pêche et les biens environnementaux. Mais des débats théoriques subsistent sur les relations entre développement des échanges internationaux et protection de l’environnement.

- Alors que le GATT existait depuis 1948, il n’a commencé à s’occuper sérieusement de l’agriculture qu’en 1986. Étrangement, dans les secteurs posant des problèmes aux pays développés, les négociations ont débuté tardivement, alors que les problèmes de l’automobile, des chaussettes ou des pneus avaient été abordés très tôt… Des progrès ont été réalisés en matière agricole au cours de la dernière négociation mais les résultats ont été imparfaits et il faut aller plus loin. L’OMC est traversée par un débat théorique sur la spécificité de l’agriculture, qui la divise à peu près en deux moitiés, mais tous les pays reconnaissent que certaines subventions à l’agriculture sont néfastes aux échanges, à commencer par les aides aux exportations. L’objectif n’est cependant pas de faire disparaître les subventions et, à la fin du cycle, il est certain que des subventions à l’agriculture resteront autorisées alors qu’elles sont interdites dans l’industrie et les services. Il ne s’agit pas d’abandonner l’agriculture mais de faire en sorte que les subventions ne portent pas préjudice aux productions des autres pays et notamment des pays en développement. Les Américains ont déjà bougé et devront le faire davantage, de même que les Européens, les Japonais ou les Indiens.

- Les valeurs monétaires ont évidemment une influence sur les échanges commerciaux internationaux. L’horizon de l’OMC est le temps moyen et long, au cours duquel les fluctuations de change se compensent. Du point de vue de l’OMC, les rapports entre l’économie d’un pays et sa monnaie sont comparables à ceux qui lient un promeneur à son chien : ils partent ensemble, reviennent ensemble et, en chemin, c’est tantôt l’un tantôt l’autre qui a marché devant.

- Le schéma académique des grandes régions autosuffisantes n’est guère convaincant. Les spécificités de l’agriculture perdureront, sous réserve qu’elles ne nuisent pas à la collectivité. Nombre de pays africains ont la capacité de protéger leur marché car les plafonds de droits de douane qu’ils se sont engagés à respecter excèdent largement ceux qu’ils pratiquent. Ils ont fait cet arbitrage, parfois sous l’influence du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, par souci de ne pas renchérir le prix des denrées alimentaires. Pour que la négociation parvienne à son terme, les États-Unis devront réduire sérieusement la partie de leurs subventions qui perturbe les échanges et l’Europe comme le Japon ne devraient pas avoir de difficulté à suivre. Les Américains sont leaders en matière de réduction des subventions, tandis que les Européens et les Japonais le sont en matière de réduction des tarifs.

- L’industrie européenne occupe une part moins importante dans l’activité économique que par le passé, pour de nombreuses raisons. Elle enregistre davantage de gains de productivité que les services. Une partie importante de l’activité économique est passée du secteur industriel à celui des services : en 1950, la comptabilité nationale considérait Renault comme une énorme entreprise industrielle ; en 2006, c’est devenu une énorme entreprise de services. Si les Européens continuent d’innover, de créer et de se positionner sur les marchés émergents, leur industrie peut encore avoir de belles années devant elle en termes d’emplois et de croissance.

- Le secteur social, à la différence de l’environnement, n’a pas été intégré dans la négociation du cycle de Doha. Cette revendication de l’Europe s’est heurtée à l’opposition vigoureuse de certains pays en développement et n’a pas résisté au revirement des États-Unis, consécutif au changement d’administration. L’Organisation internationale du travail (OIT) et l’OMC entretiennent des relations de travail mais les règles sociales fondamentales ne sont pas coordonnées avec celles de l’OMC. L’OIT a sa propre capacité de production législative, son propre dispositif de mise en œuvre des règles internationales, son propre mécanisme de sanction. Il n’est d’ailleurs pas évident que confier à l’OMC l’arbitrage entre ces deux catégories de régulations serait la bonne solution.

Le Président Édouard Balladur a observé que l’agriculture était fréquemment présentée comme le trouble-fête des échanges internationaux. Sans le conflit agricole, les négociations seraient-elles arrivées à bon port ? Pour reprendre les discussions efficacement, est-il essentiel d’avoir une idée précise de l’objectif à atteindre en matière agricole ?

Le risque d’un retour au bilatéralisme est-il sérieux ? À partir de quel stade le recours au bilatéralisme remettrait-il en cause le principe même de l’OMC ?

M. Pascal Lamy a apporté les réponses suivantes :

- La négociation s’effectue par « paquets » : en 2001, lorsqu’elle a été lancée, les États membres de l’OMC ont décidé de n’ajouter et de ne retirer aucun sujet au périmètre fixé mais aussi de ne cesser les discussions qu’une fois tombés d’accord sur tous les points – c’est le « principe de l’engagement unique ». Au moment de la préparation du prochain cycle, la question sera reposée et il pourra être envisagé de négocier sujet par sujet. Toutefois, plus les sujets sont nombreux, plus il est facile pour les négociateurs de convaincre les élus de leurs pays de la qualité de l’accord trouvé. En tout cas, le cycle en cours ne pourra aboutir que si un accord est obtenu en matière agricole, c’est-à-dire si les États membres consentent à une réduction des subventions perturbant les échanges et des tarifs agricoles, dans de justes proportions qu’il reste à déterminer.

- Si la négociation multilatérale échoue, il serait tentant de revenir au bilatéralisme. Est-ce un risque ? Tout est question de mesure. Du point de vue de l’imagerie politique, les accords bilatéraux sont infiniment plus parlants. Par le passé, la coexistence de discussions multilatérales et bilatérales a entraîné des progrès synergiques. La subsistance de cette synergie est possible dès lors que le système reste fondamentalement multilatéral et que la consolidation de ce système multilatéral reste la priorité. Les accords bilatéraux ne peuvent pas remplacer les accords multilatéraux mais seulement les compléter. Ils supposent par exemple que soient identifiées les exportations provenant du pays partenaire, d’où des lourdeurs administratives. Ensuite, certains sujets prioritaires pour les pays en développement, notamment les subventions agricoles, la pêche ou les instruments de défense commerciale, ne sont pas susceptibles d’un traitement bilatéral. Enfin, pour signer un accord bilatéral avec les États-Unis, l’Europe ou la Chine, un pays de taille modeste doit faire des concessions supérieures à celles qui seraient nécessaires dans un cadre multilatéral, sans aucune garantie que les mêmes conditions ne seront pas accordées à ses voisins.

Le Président Édouard Balladur a remercié M. Pascal Lamy pour ses éclaircissements puis a émis le souhait que chacune des parties mette du sien, y compris l’Union européenne, afin que les négociations reprennent dans un esprit positif et aboutissent à un compromis convenable.

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Convention d’assistance administrative avec l’Azerbaïdjan relative aux infractions douanières

La Commission a examiné, sur le rapport de Mme Martine Aurillac, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de la convention d’assistance administrative mutuelle entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République azerbaïdjanaise pour la prévention, la recherche, la constatation et la sanction des infractions douanières (n° 3087).

Mme Martine Aurillac, Rapporteure, a d’abord rappelé que le projet de loi autorisant l’approbation de la convention d’assistance administrative mutuelle entre la France et l’Azerbaïdjan pour la prévention, la recherche, la constatation et la sanction des infractions douanières, signée le 22 janvier 2004, avait été adopté par le Sénat le 16 mai 2006.

Si le code des douanes permet à l’administration des douanes de collaborer avec les autorités de pays étrangers pour lutter contre les fraudes, même en l’absence de texte international, l’existence d’une convention bilatérale assure une plus grande sécurité juridique et accroît les possibilités de coopération.

Indépendante depuis le 30 août 1991, la République d’Azerbaïdjan s’est engagée dans un processus de démocratisation, qui demeure timide. Les élections législatives de novembre 2005 ont ainsi été entachées de fraudes importantes. L’opposition est très divisée et toujours menacée d’une vague d’arrestations.

La situation économique est en revanche très prometteuse : dans un contexte de maîtrise de l’inflation, du déficit et de la dette, la croissance s’est établie autour de 20 % en 2005, grâce à la mise en œuvre de réforme structurelles, au démarrage de l’exploitation des principaux gisements pétroliers et gaziers et à l’entrée en service de nouveaux oléoducs et gazoducs. Il reste au pays à diversifier son économie et à mieux partager les fruits de cette croissance accélérée.

A l’extérieur, la République d’Azerbaïdjan, qui est toujours en conflit avec l’Arménie à propos du Haut-Karabagh, renforce progressivement ses liens avec l’Occident. Membre du Partenariat pour la paix de l’OTAN, elle a conclu un plan individuel de partenariat avec l’OTAN en 2005. L’Azerbaïdjan est devenu le quarante-troisième membre du Conseil de l’Europe le 25 janvier 2001 et bénéficie d’un accord bilatéral de partenariat et de coopération avec l’Union européenne entré en vigueur en juillet 1999. Il participe à la politique de voisinage de l’Union.

L’Azerbaïdjan est le pays du Caucase avec lequel la France a les relations commerciales les plus développées, en particulier dans le secteur parapétrolier. Par exemple, Total détient 5 % des parts du consortium qui dirige le projet de construction de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (entre l’Azerbaïdjan et la Turquie), tandis que des banques françaises participent à son montage financier. Mais notre coopération est aussi culturelle, scientifique et technique. Nous avons ainsi un centre culturel à Bakou.

La situation géographique de l’Azerbaïdjan en fait un lieu de passage pour le trafic d’héroïne et de haschich, produits surtout en Afghanistan et au Pakistan. Les drogues traversent la Caspienne ou sont acheminées par voie terrestre, via l’Iran avec lequel l’Azerbaïdjan possède 700 kilomètres de frontières communes. La ville de Lenkoran située sur la Caspienne, est considérée comme un des grands centres du trafic par lequel passeraient, pour peu que l’on puisse le mesurer, 90 % de l’héroïne en transit dans le pays. En 2001, les douanes ont saisi, dans le port de Bakou, un cargo transportant 48 tonnes de graines de pavot. Depuis l’Azerbaïdjan, les stupéfiants peuvent être acheminés rapidement jusqu’aux marchés de consommation, Bakou disposant de liaisons aériennes directes avec de nombreux pays, dont la France.

C’est la raison pour laquelle a été signée la convention de coopération douanière entre notre pays et l’Azerbaïdjan. Elle ne présente pas de différences par rapport aux accords du même type conclu entre la France et plus d’une trentaine d’Etats.

La convention pose le principe de l’assistance mutuelle des administrations douanières dans le but de prévenir, rechercher, constater et sanctionner les infractions. Elle encadre la communication spontanée ou sur demande des renseignements dont les administrations douanières disposent concernant les fraudes, leurs auteurs possibles et les moyens de les combattre. Est aussi prévue la fourniture de copies de documents douaniers concernant les opérations frauduleuses.

Chaque administration douanière procède, dans les limites de ses compétences, aux enquêtes, interrogatoires de personnes suspectes, auditions de témoins, demandés par l’autre administration, et peut autoriser certains de ses agents à être présents lors des enquêtes menées par l’administration requérante.

Les frais résultant de la mise en œuvre de la convention ne donnent pas lieu à remboursement, sauf si les douaniers d’une partie ont été autorisés à comparaître en qualité de témoins ou d’experts devant un tribunal ou une autorité de l’autre partie. Dans ce cas, les indemnités versées et les frais de déplacement engagés à cette occasion sont supportés par la partie requérante.

La convention qui est l’objet du présent projet de loi, et dont les autorités d’Azerbaïdjan ont notifié l’accomplissement de leur procédure interne d’approbation en mai 2004, permettra de renforcer la coopération douanière entre la France et l’Azerbaïdjan, afin de combattre plus efficacement les trafics de stupéfiants, et dans une moindre mesure, de véhicules volés, organisés entre l’Europe occidentale et certains Etats de la Caspienne ou d’Asie centrale.

M. Michel Destot, Président, a souhaité savoir s’il existait un cadre multilatéral de coopération douanière pour fédérer les accords passés entre la France et une trentaine d’Etats.

Mme Martine Aurillac, Rapporteure, a indiqué que les accords étaient exclusivement bilatéraux.

Conformément aux conclusions de la Rapporteure, la Commission a adopté le projet de loi (n° 3087).

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