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COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Mercredi 21 février 2007

Séance de 16 h 15

Compte rendu n° 31
SESSION 2006 - 2007

Présidence de M. Edouard Balladur,Président






 

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– Audition de M. Benjamin Netanyahu, ancien Premier ministre de l’Etat d’Israël




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Audition de M. Benjamin Netanyahu, ancien Premier ministre de l’Etat d’Israël
Le Président Edouard Balladur
s’est réjoui d’accueillir M. Benjamin Netanyahu et l’a remercié d’avoir bien voulu, lors de son si court passage à Paris, répondre à l’invitation de la Commission des affaires étrangères. Il a souligné l’intérêt que portent les membres de la Commission à la situation au Moyen-Orient, ainsi que leur attachement à la défense de l’intégrité et de la sécurité d’Israël.

M. Benjamin Netanyahu s’est dit très honoré d’être invité par une Commission aussi prestigieuse que celle des affaires étrangères. Cette invitation témoigne en elle-même de l’amélioration des relations entre la France et Israël, laquelle est due à plusieurs raisons. Tout d’abord, les Israéliens, comme l’ensemble du monde juif, ont observé avec admiration la façon dont le Président Chirac et son Gouvernement ont agi, sans équivoque, contre l’antisémitisme. D’autre part, le Moyen-Orient a changé en ceci qu’il est devenu un terrain d’affrontement entre modérés et extrémistes. Dans ce contexte, des alliances, ouvertes ou tacites, se nouent avec des gouvernements arabes, de sorte que la France peut être en bons termes avec le monde arabe comme avec Israël. Un ennemi commun doit être combattu.

La France a joué un rôle important dans l’adoption de sanctions contre l’islam militant, en particulier contre les tentatives de l’Iran en vue d’acquérir l’arme nucléaire. La communauté internationale peut ainsi présenter un front commun contre cette menace. Mais il faut aller plus loin. L’Iran, s’il obtenait l’arme nucléaire, ne se comporterait pas nécessairement de la même manière que d’autres puissances nucléaires. Il n’est pas évident qu’il se livrerait à un juste calcul coûts-avantages. Il n’est pas évident que l’Iran de Mahmoud Ahmadinejad serait une puissance nucléaire sensible à la dissuasion. L’hypothèse qui, depuis Hiroshima, et en particulier depuis les années 1950, sous-tend l’idée d’une paix nucléaire est celle de la dissuasion mutuelle. S’agissant de l’Iran, il n’est pas possible de faire cette hypothèse. Car ce pays est maintenant sous la coupe d’une secte messianique et apocalyptique, qui croit à la guerre de religion. De ce que ses dirigeants disent ouvertement vouloir détruire Israël, il serait erroné de conclure que le danger ne concerne que les Juifs. Hitler était un danger pour les Juifs, certes, mais aussi pour le monde entier. C’est également le cas du régime iranien, dont le but est de hâter le retour d’un imam disparu il y a mille ans, et ce par un Armageddon nucléaire lors duquel périraient des millions d’hommes, des deux côtés, les morts musulmans rejoignant le Paradis tel que le conçoivent les tenants de l’islam radical. Cette folie est telle que beaucoup, dans le monde occidental et ailleurs, ne pensent pas qu’il soit possible que des gens puissent prêter foi à de telles croyances, et agir en fonction de celles-ci. Mais la vérité est que des hommes se sont écrasés sur les tours de Manhattan parce qu’ils croyaient à cela. D’autres se sont donné la mort dans le métro londonien parce qu’ils croyaient à cela. D’autres encore ont fait exploser des navires au large du Yemen ou des bus en Israël parce qu’ils croyaient à cela.

Le régime iranien n’est certes pas uniforme. Il laisse place à beaucoup de nuances. Il est également touché par la corruption. Mais Mahmoud Ahmadinejad et ses partisans sont des croyants aveugles. Selon toute probabilité, s’ils mettent la main sur l’arme nucléaire, ils en feront usage, soit contre Israël, soit dans le but d’intimider ou de renverser d’autres régimes, soit pour prendre le contrôle de l’approvisionnement du monde en pétrole. Les missiles qu’ils mettent au point pourront atteindre non seulement Israël – ce qui est déjà fait – mais aussi Paris et Londres, et, en 2015, les États-Unis. Leur objectif est de pouvoir fabriquer environ 20 têtes nucléaires par an, ce qui aboutirait, après une décennie, à la constitution d’un arsenal de 200 têtes nucléaires. Leur but est de devenir une puissance islamique mondiale, ce qui est grave en soi, et qui le serait encore plus dans le cadre d’une doctrine visant à la réinstauration d’un empire musulman autrefois triomphant.

Aux États-Unis, certains ont avancé l’idée qu’après tout, l’Union soviétique était une puissance nucléaire, comme le sont aujourd’hui aussi bien la Russie que la Chine. Dans ces conditions, entend-on parfois, pourquoi s’inquiéter d’un Iran nucléaire ? En vérité, pour mesurer les conséquences de l’accès de l’Iran à l’arme nucléaire, il faut tenter d’imaginer quel danger menacerait le monde si David Koresh, chef de la secte des Davidiens, avait survécu à l'assaut par le FBI de la ferme de Waco, en 1993, avait pris le contrôle d’un pays et s’était emparé de l’arme nucléaire. Il est possible de se représenter les choses autrement : nous sommes en 1938, l’Iran est l’Allemagne et se trouve engagé dans une course à l’arme nucléaire. Mme Condoleezza Rice a récemment contesté la pertinence d’une telle comparaison, au motif que l’Iran ne bénéficie pas de la passivité qui a accompagné la montée en puissance du régime hitlérien. S’il en est bien ainsi, il s’agit de le prouver. La question se pose donc de savoir ce qui peut être fait contre la menace actuelle.

La communauté internationale peut mettre un coup d’arrêt au programme nucléaire iranien en ayant recours à la voie judiciaire. Mahmoud Ahmadinejad peut être jugé. La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide adoptée en 1948 par l’Assemblée générale des Nations unies le permet, puisqu’elle interdit non seulement le crime de génocide, mais aussi l’incitation à commettre un tel crime. Tout gouvernement, toute association peut traduire Mahmoud Ahmadinejad en justice, soit devant le Conseil de sécurité, soit devant la Cour pénale internationale. À tout le moins pourrait-il être inscrit sur une watch list internationale, ce qui l’empêcherait de voyager.

Il est possible, d’autre part, de recourir à des sanctions économiques efficaces, indépendamment de celles imposées par le Conseil de sécurité. Il y a par exemple cinquante fonds de pension d’État aux États-Unis, le plus important étant le fonds de pension des salariés du secteur public de Californie, dont les encours s’élèvent à plus de 200 milliards de dollars, pourrait retirer ses capitaux des entreprises qui ont des relations avec l’Iran. L’économie iranienne est très faible. Mahmoud Ahmadinejad vient de perdre des élections locales en raison de ces difficultés économiques. Le taux de chômage est de 20 %. La production pétrolière recule de 10 % chaque année. Les Iraniens ont un besoin criant d’investissements nouveaux. Si au contraire les capitaux déjà investis se retiraient, le régime pourrait soit être renversé soit suspendre son programme nucléaire. Ceux qui s’inquiètent de possibles actions militaires destinées à mettre un terme au programme nucléaire iranien disposent donc d’une solution alternative : empêcher les entreprises privées – Total ou d’autres – d’avoir des relations économiques avec l’Iran. Cela pourrait rendre inutiles des mesures militaires.

La perspective d’un Iran nucléaire n’est pas seulement un problème du point de vue des relations internationales. La détention par l’Iran de l’arme nucléaire renforcerait considérablement les militants islamistes dans le monde entier, y compris en Europe. Le message qui leur serait adressé est que la « correction du cours de l’histoire », qui est le but de l’islam fondamentaliste, est possible. Cela accroîtrait de manière significative la capacité de l’Iran, notamment, de mobiliser des recrues en Occident.

Empêcher l’aboutissement du programme nucléaire iranien aiderait considérablement la recherche d’une paix entre Palestiniens et Israéliens. Les Palestiniens, comme les Libanais, sont influencés par l’islam militant. Sans l’Iran, l’influence de Hassan Nasrallah serait rapidement réduite à néant, ce qui ouvrirait la voie à un autre Liban, et certainement à la paix entre le Liban et Israël.

Ismaël Haniyeh, le chef du Hamas, a déclaré, au lendemain d’un voyage à Téhéran, que l’Iran constituait la « profondeur stratégique » des Palestiniens. Il fait sien le refus par l’Iran de reconnaître à Israël le droit d’exister. Or, la paix nécessite que des partenaires palestiniens lui reconnaissent ce droit. Agir sur l’Iran peut donc ouvrir la voie à des progrès en direction de la paix entre Israéliens et Palestiniens.

Pour la paix entre Palestiniens et Israël, pour la sécurité d’Israël et des autres États de la région, pour la sécurité de l’Europe et du monde, il n’y a pas de tâche plus urgente que d’empêcher l’aboutissement du programme nucléaire iranien. Les actions sur les plans judiciaire et économique peuvent être très efficaces, plus efficaces qu’on a tendance à le penser, si elles sont entreprises non seulement par le biais du Conseil de sécurité, mais aussi indépendamment de celui-ci. Le retrait des capitaux a été très efficace contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud. Contre le régime génocidaire au pouvoir en Iran, il pourrait l’être plus encore, et plus rapidement.

M. Jean-Michel Boucheron s’est demandé si le fait de menacer l’Iran d’attaques militaires ou d’exercer sur lui des pressions économiques n’aurait pas pour effet, d’une part, de rassembler le peuple iranien derrière ses gouvernants actuels, et d’autre part, de le convaincre encore plus que la possession de l’arme nucléaire est nécessaire pour son indépendance et sa sécurité.

Après avoir souligné que le langage de M. Benjamin Netanyahu avait le mérite de la clarté, M. Jacques Myard a rappelé que les membres de la Commission étaient unanimes à juger inacceptables tant les propos de M. Mahmoud Ahmadinejad sur Israël que la conférence négationniste organisée à Téhéran, qu’il a qualifiée de mascarade.

M. Mahmoud Ahmadinejad ne représente certainement pas l’opinion publique iranienne. Beaucoup de signes nous viennent d’Iran, qui montrent que son gouvernement est de plus en plus isolé, notamment par rapport au Guide suprême. Une attaque militaire prenant la forme de frappes chirurgicales risquerait de créer en Iran une union sacrée. Surtout, l’Iran détient les clés de la situation en Irak, où les États-Unis se sont mis, par une politique aventureuse, dans une situation de faiblesse. Les pressions économiques et diplomatiques commencent à produire des effets.

Mais se pose également un problème beaucoup plus grave, celui de l’équilibre du Proche et du Moyen-Orient. Un Iran nucléaire est certes une menace. Mais on n’échappera pas à une mise à plat de l’ensemble de la question nucléaire. Car Israël est une puissance nucléaire. Les dirigeants du pays l’ont d’ailleurs déclaré. Or, cette question revient de manière récurrente dans le dialogue avec les Iraniens comme avec les États arabes. Dès lors, la solution pourrait consister à reconnaître à Israël comme à l’Iran l’accès au seuil nucléaire, tandis que des contrôles seraient effectués pour éviter la prolifération.

M. Claude Goasguen a souhaité connaître l’avis de M. Benjamin Netanyahu sur la marge d’indépendance dont dispose le Hezbollah par rapport à l’Iran. Un conflit avec l’Iran aurait-il des conséquences sur l’attitude du Hezbollah à l’égard de la FINUL et de la paix provisoire entre Israël et le Liban ?

Il a souhaité savoir, d’autre part, ce que M. Benjamin Netanyahu attendait de la France dans cette région du monde.

M. Benjamin Netanyahu a indiqué que si toute prolifération nucléaire était mauvaise, elle était plus grave dans certains cas que dans d’autres. L’acquisition de l’arme nucléaire par les Pays-Bas n’aurait pas les mêmes conséquences que son acquisition par le régime des ayatollahs. À l’intérieur de ce régime, l’arme nucléaire entre les mains de Mahmoud Ahmadinejad aurait des conséquences qui confineraient à la catastrophe. Il est très difficile pour les Occidentaux de comprendre les extrémistes, car leurs conceptions fondamentales de la politique et du gouvernement des sociétés humaines diffèrent en tout point des nôtres. Les Occidentaux ne se font pas exploser sur des tours de Manhattan, ils ne célèbrent pas la pratique des attentats-suicides. C’est la différence fondamentale entre l’idéologie de l’actuel pouvoir iranien et d’autres idéologies visant à la domination mondiale. Les Soviétiques, tout en aspirant à la domination mondiale, ont toujours fait passer leur survie avant leur zèle idéologique. C’est pourquoi, quand ils avaient à choisir, ils ont toujours reculé, que ce soit lors de la crise de Cuba ou à Berlin. Aucun Soviétique n’a perpétré d’attentat suicide, alors que l’islam militant produit des bataillons entiers de candidats à ce type d’actions. Cela témoigne de la nature pathologique de ce mouvement. Il n’est donc pas possible d’appliquer le même type de raisonnement s’agissant du régime iranien. Si l’islam militant disposait de l’arme nucléaire, New York n’existerait plus à ce jour, pas plus que Londres, voire d’autres capitales européennes. L’Iran ne peut pas être amené à faire preuve de la même retenue que d’autres régimes. Il est très important de comprendre que le cas iranien sort du cadre habituel des relations internationales. La priorité est d’empêcher l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire, afin de ne pas en être réduit à deviner s’il s’en servira ou pas.

Si l’on peut s’inquiéter de ce que serait le prix à payer pour des actions visant à dissuader l’Iran de poursuivre son programme nucléaire, il faut savoir que ce prix n’est rien par rapport à ce qu’il serait demain si l’Iran s’emparait de tout le pétrole du Moyen-Orient. Si l’on s’inquiète aujourd’hui du terrorisme international, il faut savoir qu’il n’est rien par rapport à ce qu’il serait demain avec un Iran nucléaire. Si l’on s’inquiète de la survie de régimes arabes voisins d’Israël, il faut savoir qu’il y aurait beaucoup plus de souci à se faire si l’Iran accédait à l’arme nucléaire. Car les régimes arabes qui survivraient s’engageraient immédiatement dans un programme nucléaire. L’équilibre entre deux puissances nucléaires est déjà difficile à gérer. Un équilibre entre plusieurs puissances nucléaires au Moyen-Orient serait, lui, impossible à gérer. L’explosion serait certaine. Le danger pour l’avenir du monde, et pas seulement pour celui d’Israël, est tel que le programme nucléaire iranien doit être arrêté.

La question de savoir si une attaque militaire galvaniserait le peuple iranien n’est pas celle qui doit être posée, car des moyens non militaires peuvent suffire. Les sanctions économiques seraient-elles de nature à galvaniser les Iraniens et les amèneraient-elles à se souder autour du régime ? L’expérience montre qu’elles auraient l’effet inverse. Les difficultés économiques que vivent les Iraniens sont imputées, dans tous les discours critiques que l’on peut entendre en Iran, à l’extrémisme de Mahmoud Ahmadinejad. Le peuple lui reproche d’être responsable des épreuves qu’il traverse. Il ne fait aucun doute que la stratégie du président iranien est politiquement coûteuse pour lui. Elle ne lui vaut d’ailleurs pas seulement des critiques au sein de l’opinion publique, qu’il s’agisse des étudiants ou des femmes. Elle est également source de tensions à l’intérieur du régime lui-même. Il est donc important de lier les sanctions et les pressions économiques à la politique du président Ahmadinejad. Un tel lien montre au peuple iranien que ces sanctions ne sont pas dirigées contre lui mais contre le gouvernement dément actuellement au pouvoir.

Le Hezbollah n’a pas les moyens d’ignorer les directives de Téhéran. Hassan Nasrallah ne prend aucune décision importante de façon indépendante. À supposer même qu’il ait la volonté de rompre avec le régime iranien, il ne le pourrait pas. Car il dépend de lui : pour son approvisionnement en armes, pour les outils d’expertise, pour l’emploi des missiles à longue portée, pour l’entraînement de ses hommes, pour son financement. L’Iran tente d’introduire le chiisme militant comme un corps étranger dans un pays qui était autrefois la Suisse du monde arabe, un pays de grande tradition, où la France avait une grande influence. Mais les Libanais veulent restaurer ce passé et tentent de résister à la culture que l’Iran essaie de lui imposer. Tant que l’Iran sera fort, le Hezbollah le sera aussi. C’est pourquoi la chute du président Ahmadinejad ou l’arrêt du programme nucléaire iranien aura des effets bénéfiques pour le Liban, comme pour les Palestiniens.

La France a un rôle unique à jouer, et ce à un double point de vue. Elle a un rôle central au sein du Conseil de sécurité, où elle a agi dans un sens positif, ce dont les Israéliens lui savent gré. Elle est également l’un des deux piliers permettant d’associer l’action du Conseil de sécurité à des pressions économiques privées qui pourraient produire leurs effets en moins de six mois.

Le temps presse, même si les évaluations varient quant au temps nécessaire à l’Iran pour fabriquer sa première tête nucléaire. Le fait est que dès qu’il y sera parvenu, ce régime se croira immortel. Peut-être ne le sera-t-il pas, mais il survivra beaucoup plus longtemps qu’il ne le ferait sans l’arme nucléaire. Il ne fait pas de doute que dans son combat contre la liberté et la mondialisation, l’islam militant perdra. Mais la question est de savoir combien de temps il faudra pour en arriver là, et combien d’hommes mourront d’ici là. L’arme nucléaire a peut-être prolongé la vie du régime soviétique de deux décennies, en lui conférant une aura d’invincibilité. Il en irait de même pour le régime iranien. Si son programme nucléaire était arrêté, sa durée de vie s’en trouverait écourtée, et un autre Liban serait alors possible, de même que la paix entre Israéliens et Palestiniens. À l’inverse, il sera très difficile de progresser vers la paix tant que l’Iran aura les moyens de s’y opposer.

Le Président Edouard Balladur a invité M. Benjamin Netanyahu à décrire la situation en Israël après les événements de ces six derniers mois, et à faire part à la Commission de son jugement quant à la possibilité pour le pouvoir israélien de parvenir à une négociation avec les Palestiniens.

La presse a rendu compte du récent voyage de Mme Condoleezza Rice au Proche-Orient en soulignant qu’il n’avait pas eu de résultat très positif. Qu’en est-il ?

Plus fondamentalement, la question essentielle est de savoir comment, à moyen et long terme, parvenir à mettre un terme à un conflit qui pèse sur la vie internationale depuis maintenant plus d’un demi-siècle.

En réponse au Président Édouard Balladur, M. Benjamin Netanyahu a souligné le fait que Palestiniens et Israéliens sont aujourd’hui disposés à mettre un terme au conflit. Entre 50 et 70 % de la population palestinienne voudrait le voir cesser, alors que c’est plus de 90 %, si ce n’est 100 % des Israéliens qui aspirent à la paix. La lassitude joue un rôle important dans cette heureuse évolution, de même que le sentiment d’être confrontés à une menace commune.

Mettre un terme au conflit suppose tout d’abord de retirer aux extrémistes le contrôle du processus, et ce en affaiblissant l’Iran et le Hamas.

D’autre part, il convient d’envisager une approche différente de celles qui ont prévalu jusqu’ici. Le processus d’Oslo, conçu comme une progression étape par étape, a échoué. Israël était censé faire des concessions, après quoi les Palestiniens devaient faire la paix, ce qu’ils n’ont pas fait. Puis, sous le gouvernement de M. Sharon, Israël a fait le choix du retrait unilatéral, ce qui n’a eu d’autre effet que l’arrivée au pouvoir du Hamas, dont le succès s’explique, outre la corruption du Fatah, par le fait que le retrait israélien de la Bande de Gaza a été interprété comme la victoire de la stratégie de terreur conduite par le Hamas. Après les retraits du sud-Liban et de Gaza, le Hezbollah et le Hamas ont utilisé les territoires évacués comme rampe de lancement pour des fusées lancées en direction d’Israël, qu’ils appellent « la Palestine occupée ». Ils ne désignent pas par cette expression la Cisjordanie, mais la Galilée, Tibériade ou Haïfa.

Un leadership palestinien modéré est possible. Il faut pour cela exercer des pressions sur les dirigeants actuels, et non pas leur donner de l’argent. La perspective de les voir changer d’attitude n’est pas si lointaine qu’on pourrait le croire. Si ce leadership palestinien est modéré, il conviendra d’adopter une logique qui tranche avec les deux approches qui ont échoué : la méthode progressive étape par étape et l’unilatéralisme. Les concessions qu’Israël est prêt à faire doivent être suivies de la paix, et de rien d’autre. Elles ne doivent pas constituer une étape au terme de laquelle d’autres exigences seraient mises en avant, comme la reconnaissance d’un droit au retour de 4 millions de Palestiniens. Une fois les concessions faites, les Palestiniens doivent reconnaître le droit d’Israël à exister, et ne faire valoir aucune exigence supplémentaire.

Cette guerre est une confrontation au sein de la société palestinienne autour de la question de la finalité de la paix. Face à des dirigeants qui voulaient réellement la paix, l’État d’Israël a montré combien il pouvait être ouvert, par exemple en cédant à la Jordanie une portion importante de territoire, 382 kilomètres carrés dans la vallée de l’Arava, soit une superficie équivalente à celle de la Bande de Gaza. La question centrale n’est pas celle du territoire, mais celle de la paix. Si l’État d’Israël ne s’est pas montré aussi ouvert avec les Palestiniens, c’est parce qu’ils n’ont pas jusqu’ici produit un dirigeant tel qu’Anouar el-Sadate ou le roi Hussein de Jordanie. Il est important d’exiger clairement la fin du conflit. Anouar el-Sadate a clairement dit qu’il voulait la paix. Le roi Hussein a su affronter les islamistes au sein du Parlement jordanien en disant qu’il voulait mettre un terme au conflit. Si des déclarations aussi nettes sont faites de la part des dirigeants palestiniens, un règlement final sera possible, sans passer par des étapes intermédiaires.

Israël connaît une démoralisation, une perte de confiance dans la paix. L’écrivain A. B. Yehoshua, en général associé à la gauche, a récemment déclaré dans une interview qu’il ne croyait pas à la paix parce que les Palestiniens ne la veulent pas.

Il faut s’installer dans la logique inverse de celle qui a prévalu depuis 1993 : que les Palestiniens prouvent qu’ils veulent la paix, et les Israéliens montreront combien ils sont ouverts.

La rencontre avec Mme Condoleezza Rice n’est pas parvenue à ce résultat, parce que Abu Mazen ne s’est pas imposé face au Hamas. Il n’a pas la force nécessaire pour exiger la reconnaissance du droit d’Israël à exister. Or, le refus de cette reconnaissance ne peut être admis ni par les États-Unis ni par aucun gouvernement israélien.

Le Président Edouard Balladur a invité M. Benjamin Netanyahu à préciser sa position. Si la démarche progressive, étape par étape, a échoué tout comme la démarche unilatérale, est-ce à dire que la méthode à suivre est une démarche bilatérale et globale ?

D’autre part, se posera la question de la frontière entre Israël et le futur État Palestinien, et donc celle de savoir ce qui se passera de part et d’autre de la barrière de sécurité qui est en voie d’achèvement.

Enfin, une incertitude pèse sur l’avenir des colonies de peuplement au-delà de la barrière de sécurité, en Cisjordanie, ou, pour reprendre les termes israéliens, en Judée et Samarie.

M. Benjamin Netanyahu a souligné que les questions du règlement final doivent être abordées très tôt, et ne pas être renvoyées à plus tard, à un moment où elles ne seront pas résolues. En outre, des solutions pratiques seraient grandement facilitées par le soutien de l’Égypte et de la Jordanie. Toutes sortes d’échanges entre trois parties sont possibles, qui demandent à être examinés de près.

L’insolubilité du conflit entre Palestiniens et Israéliens ne tient pas à des problèmes spécifiques liés au territoire, mais à l’incapacité persistante des Palestiniens à faire sortir de leurs rangs des dirigeants qui affirment leur volonté de paix. Yasser Arafat proclamait cette volonté, mais s’est renié. Aujourd’hui, le Hamas dit ouvertement qu’il ne veut pas de la paix. Quant à Abu Mazen, il est trop faible pour combattre la position du Hamas.

La barrière de sécurité n’est pas une frontière politique. Elle est destinée à tenir à l’écart les auteurs d’attentats suicides. Elle ne peut éviter les attaques de missiles, mais elle a entraîné une baisse considérable du nombre d’attentats suicides. Une frontière politique devra être tracée.

Les chances de paix pourraient être renforcées par une pratique stricte de réciprocité, celle qui a été suivie entre juin 1996 et juillet 1999, période pendant laquelle seuls trois attentats suicides ont été commis. Chaque geste positif des Palestiniens était suivi d’un geste israélien. Chaque mouvement en sens inverse était suivi d’une sanction. Parallèlement, le marché du travail s’est ouvert. Cette période fut la seule durant laquelle les Palestiniens ont vu leur PIB par habitant augmenter. L’économie de marché doit intégrer les Palestiniens dans l’économie régionale, avec le soutien de l’Égypte et de la Jordanie.

La démocratisation du monde arabe, que Nathan Sharansky appelle de ses vœux, est un processus complexe, qui ne se réduit pas à la règle majoritaire. Elle implique les droits individuels, ceux des minorités, l’équilibre des pouvoirs, la liberté de la presse, les droits des femmes. Tout cela prend du temps. La démocratisation des marchés est une approche plus efficace. Elle peut éloigner du Hamas, ou de Mahmoud Ahmadinejad, beaucoup de ceux qu’ils pourraient attirer. Elle offrirait aux jeunes musulmans un avenir meilleur. L’application des principes de l’économie de marché a redressé l’économie israélienne en l’espace de quelques années. Les mêmes principes pourraient être appliqués aux entreprises associant les Palestiniens et les Jordaniens. Cela contribuerait grandement à la paix.

À l’échelle mondiale, la production se déplace vers l’Asie. Mais les marchés qui absorbent l’essentiel de la production restent les marchés européens et américains. Un transport de marchandises est donc nécessaire. La Chine a opté pour le transport maritime contournant l’Afrique ou passant par le canal de Suez, d’où l’encombrement de celui-ci, qui a conduit l’Égypte à développer son transport ferroviaire pour soulager le trafic. Pourquoi ne pas construire un pont ferroviaire entre Eilat-Akaba et le port d’Ashdod ? Les marchandises parvenues à Eilat-Akaba pourraient ainsi être acheminées vers l’Europe, via des navires collecteurs partant d’Ashdod. La Jordanie pourrait être associée à ce projet, tout comme les Palestiniens. Sans relever d’une logique étatiste, ce projet se traduirait par une augmentation considérable du trafic maritime, et bénéficierait aussi bien aux Israéliens qu’aux Jordaniens et aux Palestiniens. L’accroissement des échanges serait de nature à introduire de la sérénité et de l’espoir. Les choses progresseront par cette combinaison de la sécurité et des conditions permettant un avenir plein d’espoir, fondé sur l’idée que le confort matériel est à la portée de tous.

M. Benjamin Netanyahu a souhaité adresser deux requêtes aux membres de la Commission. Sur le plan humanitaire, trois soldats israéliens sont entre les mains du Hezbollah et du Hamas. Si des membres de la Commission ont des contacts avec ceux qui les retiennent, ils feront sans doute tout ce qui est en leur pouvoir pour les convaincre qu’ils doivent les libérer. Cela transcende les clivages politiques.

D’autre part, le Hezbollah est dans son essence même une organisation terroriste. Elle devrait être inscrite sur la liste des organisations terroristes.

M. Jacques Myard a estimé qu’il n’était pas facile de faire naître un Sadate lorsque, des deux côtés de la barrière, les uns ne cessent de qualifier les autres de terroristes, et ce depuis 50 ans. La position de la France vise à tenter de trouver un équilibre. Car de part et d’autre, malheureusement, on s’accuse avec des mains ensanglantées. Des attentats suicides sont perpétrés, suivis de représailles israéliennes.

Pour susciter l’émergence d’un Sadate, ne conviendrait-il pas que l’État d’Israël accomplisse la démarche courageuse consistant à renforcer l’Autorité palestinienne, en lui donnant les moyens de bâtir un État et de rétablir la sécurité ? Autrement dit, Israël ne devrait-il pas faire un coup d’éclat en reconnaissant dans l’Autorité palestinienne un État palestinien, afin que celui-ci mette au pas la partie turbulente de la population palestinienne, ce qui suppose qu’il en ait les moyens ? Car, à terme, qu’on le veuille ou non, Israël doit être reconnu comme un État du Proche-Orient, et non pas comme une émanation de l’Occident.

M. François Rochebloine a souligné que si des prisonniers israéliens étaient détenus, des prisonniers libanais l’étaient également, depuis de nombreuses années, dans les prisons israéliennes. Il a souhaité en connaître le nombre.

Lors du conflit qui s’est déroulé au Liban au mois d’août 2006, des bombes à fragmentation ont été lancées. D’autre part, les plans des mines antipersonnel qui ont été posées ont été demandés à l’État israélien. Ces plans ont-ils été remis ?

M. Claude Goasguen a indiqué à M. Benjamin Netanyahu qu’il venait, avec une cinquantaine de députés français, d’adresser au Président de la République une lettre ouverte demandant que le Hezbollah soit inscrit sur la liste des organisations terroristes, comme le recommande d’ailleurs un vote du Parlement européen intervenu en 2006.

Après avoir remercié M. Goasguen, M. Benjamin Netanyahu a estimé que la question n’était pas de savoir si Israël devait reconnaître ou non la possibilité de l’existence de deux États. Le gouvernement d’Ehoud Barak l’a fait, en proposant même à Yasser Arafat des concessions importantes, se disant prêt à abandonner 96 % des territoires. Les négociations n’ont pas échoué parce qu’Israël aurait refusé de reconnaître un État palestinien, mais parce que Yasser Arafat n’était pas intéressé par la paix. Il a fallu du temps à certaines personnes pour s’en rendre compte, mais cela est devenu une évidence. La position du Hamas est pire encore, puisqu’il ne prend même pas la peine de cultiver l’ambiguïté.

Voir dans la reconnaissance d’un État palestinien la clé de la solution au conflit revient à aller chercher autour d’un lampadaire la pièce de monnaie que l’on a perdue, la nuit, dans une rue voisine, et ce au motif que cette source de lumière nous permettra de la trouver. Si le problème était la reconnaissance d’un État palestinien, le conflit aurait été résolu depuis longtemps. Le problème de fond est que les militants palestiniens contrôlent le pouvoir politique, et que la nature de leur combat a changé, puisqu’il s’agit désormais d’un combat islamiste. Les intégristes ont déclaré une guerre de religion non seulement à Israël, mais à tous ceux qui s’opposeraient à l’extension de leur pouvoir, y compris au-delà du Moyen-Orient. Il est important de savoir si l’on a un partenaire ou si l’on n’en a pas. Des partenaires potentiels existent. Un Palestinien a même reproché en privé aux Israéliens de ne pas avoir vaincu le Hamas. C’est dire que le soutien que demandent ceux qui, parmi les Palestiniens, peuvent être des partenaires de la paix n’est pas celui qu’on imagine. Ils veulent qu’on les aide concrètement à contrecarrer le Hamas. Si le Fatah et le Hamas ont décidé une trêve dans leurs affrontements, ce n’est pas pour aller vers la paix avec Israël, laquelle fait l’objet d’un débat qu’ils veulent éviter d’avoir entre eux.

La paix ne se joue pas en Israël, mais entre les Palestiniens. La question est de savoir quelle sera l’issue du combat entre les extrémistes et les modérés. L’existence d’Israël n’est pas l’essentiel aux yeux des islamistes. Remplacer Israël par la Belgique ne changerait rien. Les islamistes trouveraient d’autres arguments pour expliquer que la Belgique doit être rayée de la carte. Si Israël était éliminé, ils ne verraient dans ce résultat que l’accomplissement d’une première étape dans leur combat.

Le conflit est à présent plus difficile en raison de l’apparition de l’islam militant. Mais il y a des raisons d’espérer, parce que beaucoup de Palestiniens le comprennent.

Le problème n’est pas de reconnaître un État palestinien mais de trouver un leadership responsable pour prendre la tête de cet État, un leadership qui serait décidé à gouverner son propre territoire, à empêcher le terrorisme, à reconnaître le droit d’Israël à exister. Cette bataille n’est toujours pas menée au sein de la société palestinienne, alors qu’elle l’est au sein de la société libanaise.

Les prisonniers libanais et israéliens ne sont pas dans une situation comparable. L’un des prisonniers libanais détenus en Israël est un meurtrier d’enfants.

Les buts que poursuivait Israël lors du conflit au Liban étaient légitimes : démanteler le Hezbollah, qui lançait des bombes sur les villes israéliennes sans que ces attaques constituent des réponses à quelque agression que ce soit. Israël a été accusé de faire usage d’une force disproportionnée. La vérité est qu’environ 4 000 bombes ont été lancées sur Israël par le Hezbollah, soit autant que le nombre de bombes lancées par les Allemands sur les villes britanniques durant la Seconde Guerre mondiale. La riposte d’Israël a consisté à cibler exactement ceux qui lançaient ces bombes à partir des centres urbains libanais, et non pas à faire usage de toute la puissance de feu dont il était capable. Au total, 800 personnes sont mortes, ce qui est une tragédie. Pour sa part, le Royaume-Uni a répondu aux attaques allemandes par le bombardement de plusieurs villes allemandes, faisant des centaines de milliers de morts. Quand on compare Israël aux autres démocraties répondant à ce type d’attaque, il n’est pas possible de prétendre qu’il a fait usage d’une force disproportionnée, bien au contraire. On peut en outre se demander ce que serait la réaction de la France, ou d’un autre pays européen, si son territoire était atteint par 4 000 bombes.

Le Hezbollah a commis un double crime de guerre. C’en est un que de lancer des bombes sur des populations civiles. C’en est également un de se cacher parmi les civils durant un conflit armé.

Le Président Edouard Balladur a remercié M. Benjamin Netanyahu pour le temps qu’il a bien voulu consacrer aux membres de la Commission, ainsi que pour la précision avec laquelle il a répondu à leurs questions. Celles-ci sont la marque de leur intérêt pour Israël, pour sa sécurité et son avenir, ainsi que pour la paix au Proche-Orient. Des concessions doivent être faites de part et d’autre. La France, contrairement à ce qui est parfois dit, n’est nullement engagée d’un côté plutôt que de l’autre. Elle souhaite la paix. Elle est à la disposition aussi bien des Israéliens que des Palestiniens pour y concourir.



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