COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 3

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 12 octobre 2004
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

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- Audition du général Henri Bentégeat, chef d'état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2005 (n° 1800)


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Audition du général Henri Bentégeat, chef d'état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2005.

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu le général Henri Bentégeat, chef d'état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2005 (n° 1800).

Le général Henri Bentégeat a indiqué que, si l'on peut considérer à juste titre que la principale menace pesant actuellement sur la sécurité internationale est constituée par le terrorisme, il serait réducteur et dangereux de définir les choix stratégiques et d'équipements en fonction de cette seule menace, alors même que l'on assiste à la prolifération des armes de destruction massive, avec notamment les programmes nucléaires iranien et nord-coréen, à la poursuite de conflits ethniques et religieux ainsi qu'à la persistance de différends frontaliers.

La lutte contre le terrorisme international englobe et dépasse le territoire national. Elle comprend, au niveau national, les activités de renseignement, la surveillance des approches aériennes et maritimes et le renforcement des forces de sécurité, ainsi que, au niveau international, la destruction des foyers de terrorisme, à travers, par exemple, la participation aux opérations conduites en Afghanistan, le contrôle des espaces, la mise en place d'instruments de coopération nouveaux pour lutter contre la prolifération, tels que la Proliferation security initiative (PSI), et la stabilisation d'Etats défaillants.

Dans ce contexte, la construction d'une défense européenne enregistre de grandes avancées, comme l'illustrent la relève en Bosnie de la SFOR par l'Union européenne en décembre 2004, la création d'une capacité de réaction rapide, la constitution de groupements tactiques de 1 500 hommes, la mise en place d'un centre de planification et de conduite des opérations et la création de l'agence européenne de défense.

C'est dans ce contexte européen et cet environnement international incertain et troublé que s'inscrit le projet de loi de finances pour 2005. Ce dernier est globalement conforme aux dispositions de la loi de programmation militaire pour 2003-2008, même si peuvent surgir certaines difficultés en gestion, et il représente à ce titre un effort historique en faveur de la défense. A périmètre constant, le projet de loi de finances pour 2005 prévoit ainsi une augmentation du budget de la défense de 2,3 % en euros courants, soit 1 % en euros constants ; les crédits du titre V connaissent une hausse de 0,5 % et ceux du titre III de 1 %. La part relative des titres III et V au sein du budget de la défense reste inchangée, s'établissant respectivement à 54 % et 46 %.

Les crédits du titre III permettent de poursuivre l'amélioration de la condition des personnels militaires et civils, avec 85 millions d'euros inscrits à ce titre, dont 20 millions d'euros pour la transposition du plan police au sein de la gendarmerie. Avec 89 millions d'euros supplémentaires, les crédits de fonctionnement permettent de consolider l'activité des forces, sous réserve de l'évolution des prix du carburant, la dotation de carburant augmentant de 20 millions d'euros. L'inscription de 100 millions d'euros au titre du financement des opérations extérieures constitue une avancée essentielle et représente la première étape d'une budgétisation intégrale des opérations extérieures. Une telle évolution apparaît logique, le coût annuel des opérations extérieures étant relativement prévisible, avec une moyenne de 600 millions d'euros par an cours des cinq dernières années.

Les effectifs budgétaires sont en augmentation, avec la création de 700 postes de gendarmes, de 58 postes de médecins et infirmiers pour le service de santé des armées et de 20 postes civils pour la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Les crédits destinés aux réserves connaissent une hausse de 12,4 millions d'euros. Parallèlement, un peu plus de mille postes seront supprimés afin de tirer les conséquences de la politique d'externalisation menée par le ministère. Les recrutements ont été momentanément interrompus en juillet 2004, puis ont repris. L'objectif assigné est de maintenir en 2005 les effectifs au niveau actuel, soit des effectifs réalisés représentant 97 % des effectifs théoriques.

Les crédits de titre V sont en augmentation, conformément aux dispositions de la loi de programmation militaire, tout en prenant part à l'effort de maîtrise des dépenses publiques : la contribution du ministère de la défense au budget civil de recherche et développement (BCRD) s'établit à 200 millions d'euros, tandis que 200 millions d'euros sont consacrés au financement d'une partie du coût des restructurations de DCN et de Giat Industries.

Le volume des autorisations de programme est en diminution, afin de préparer l'entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), mais il devrait être suffisant, sous réserve d'un redéploiement dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2004. L'évolution d'ensemble répond aux demandes du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, ce dernier étant très attaché au respect de l'égalité entre autorisations de programme et crédits de paiement sur la période couverte par la loi de programmation militaire pour 2003-2008, mais ce point de vue n'est pas partagé par tous. Un effort particulier est réalisé en faveur des programmes spatiaux, en hausse de 15 %, des études amont, en augmentation de 26 %, et de la DGSE. Après une augmentation continue depuis 2002, les crédits d'entretien programmé des matériels (EPM) se stabilisent à un niveau supérieur à celui prévu par la loi de programmation militaire. Compte tenu des modifications des règles de gestion et de l'effort réalisé en 2004, le montant des crédits d'EPM pour 2005 devrait être suffisant. L'amélioration de la disponibilité technique opérationnelle (DTO) des matériels est particulièrement perceptible pour la flotte de surface, grâce notamment à l'action du service de soutien de la flotte, qui a réalisé d'importants progrès. Le niveau moyen de DTO des équipements militaires s'établit à 65 %, pour un objectif de 70 %, mais à 90 % en opérations extérieures.

L'année 2005 est caractérisée par l'arrivée dans les armées de nombreux équipements neufs, ce qui devrait avoir un impact très positif sur le moral des personnels. Dans le domaine du commandement, du contrôle, de la communication et de l'information (C3I), doivent être mentionnés le lancement du satellite Syracuse III, l'entrée en service du système RITA rénové et du MINREM (Moyen interarmées naval de recherche électromagnétique), ainsi que l'arrivée de sept hélicoptères Cougar dans les forces spéciales. En matière de projection et de mobilité, entreront en service un bâtiment de projection et de commandement ainsi que deux avions de transport à très long rayon d'action (TLRA). S'agissant de la frappe dans la profondeur, dix avions Rafale, soixante-dix missiles Scalp EG et quarante missiles AS 30 Laser seront livrés à l'armée de l'air. L'armée de terre recevra huit hélicoptères Tigre, tandis que la marine recevra un système PAAMS (Principal anti air missile system), avec cinquante missiles Aster.

La LOLF entrera pleinement en application dès le projet de loi de finances pour 2006. Le choix de la nomenclature a été arrêté à l'issue de longs débats au sein du ministère de la défense et dans le cadre d'une concertation étroite avec les services du Premier ministre et le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. L'approche retenue permet d'accroître la coordination interarmées, de rationaliser les fonctions de soutien et de renforcer les responsabilités des acteurs. La mission « défense » comprend quatre programmes : l'environnement et la prospective de la politique de défense, sous la responsabilité du directeur des affaires stratégiques, l'équipement des forces, sous la responsabilité conjointe du chef d'état-major des armées et du délégué général pour l'armement, la préparation et l'emploi des forces, sous la responsabilité du chef d'état-major des armées, et le soutien de la politique de défense, sous la responsabilité du secrétaire général pour l'administration.

Il apparaît nécessaire et souhaitable de confier la responsabilité du programme « Préparation et emploi des forces » au chef d'état-major des armées. Les crédits qui y sont inscrits correspondant, d'une part, à l'emploi et à l'entraînement des forces et au maintien en condition opérationnelle des équipements et, d'autre part, à la réalisation des effectifs des forces armées, il est logique que ce programme soit conduit par le responsable qui est en mesure de donner des orientations générales et de coordonner l'ensemble des forces armées. Le co-pilotage du programme « Équipement des forces », contesté par certains responsables du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ainsi que par des parlementaires, est tout aussi impératif. En effet, on ne peut envisager que l'équipement des forces, qui conditionne la satisfaction des besoins opérationnels, ne soit pas placé sous la responsabilité du chef d'état-major des armées. Dans le même temps, il serait anormal et périlleux que le délégué général pour l'armement ne soit pas associé à la conduite de ce programme, alors même que ce dernier concerne directement l'acquisition d'équipements. L'état-major des armées et la délégation générale pour l'armement (DGA) travaillent depuis plus d'un mois à la définition des modalités techniques de ce co-pilotage, qui ne devraient pas poser de problème particulier, les solutions étant en cours d'identification. La création du conseil des systèmes de force, placé sous la présidence du chef d'état-major des armées, devrait par ailleurs faciliter le fonctionnement de l'organisation retenue.

En ce qui concerne les opérations en cours, 4 500 hommes sont actuellement présents en Côte d'Ivoire ; leur mission a évolué depuis le déploiement de l'opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI) à la fin du mois d'août dernier. Les forces françaises apportent leur soutien aux 6 240 hommes de cette opération, alors que la situation actuelle apparaît troublée, dans l'attente du vote de certaines lois prioritaires et du début du désarmement, qui devrait intervenir le 15 octobre prochain, dans le cadre de l'accord dit Accra III.

En Afghanistan, où le commandement de la force d'assistance et de sécurité (FIAS) est assuré par le général français Py, nous comptons 1 200 soldats. Les élections se sont déroulées dans le calme, ce qui tend à montrer que l'action de la communauté internationale est plus efficace que ce que l'on a pu parfois penser.

Les forces françaises au Kosovo représentent 2 600 personnes, auxquelles il convient d'ajouter 400 hommes en renfort pour la période électorale, qui pourraient d'ailleurs rester sur place si le besoin s'en faisait sentir.

La Task Force 150 au large de Djibouti comprend deux frégates, un bâtiment ravitailleur et un Atlantique 2 français. Cette force a permis depuis 2001 d'empêcher l'évasion de terroristes de l'Afghanistan vers l'Afrique. Elle doit actuellement faire face à un accroissement de la menace terroriste.

Enfin, au niveau national, quatre patrouilles de l'armée de l'air sont en alerte permanente ; un dispositif d'alerte radar et d'hélicoptères complète cette capacité d'intervention sur l'ensemble du territoire métropolitain. Le plan Vigipirate mobilise moins de mille militaires, compte tenu du niveau d'alerte orange. On ne peut exclure que la participation des armées soit portée à un niveau supérieur lors des fêtes de fin d'année. Les forces armées ont également réalisé un effort particulier lors des célébrations du soixantième anniversaire des débarquements de Normandie et de Provence, en mobilisant plus de vingt mille hommes sur le terrain.

Pour conclure, le chef d'état-major des armées a estimé que le projet de loi de finances pour 2005 répondait aux besoins opérationnels des forces armées, sous réserve d'une fin de gestion 2004 conforme aux attentes et aux décisions votées par le Parlement.

Le président Guy Teissier a rappelé que des inquiétudes sur les insuffisances capacitaires dans le domaine de l'aéromobilité étaient apparues lors de l'examen de la loi de programmation militaire. Or, la disponibilité du Puma diminue et l'arrivée des premiers NH 90 dans l'armée de terre n'est prévue qu'en 2011. La France se verra paradoxalement doter de cet appareil en dernier, alors qu'elle en est le pays producteur. Le recours à des financements innovants avait été un temps évoqué pour accélérer l'arrivée de cet hélicoptère en 2008. La rénovation des Puma, pourtant coûteuse, est-elle la solution la plus opportune pour combler ce déficit capacitaire ? Quel est l'état des réflexions menées au sein de l'état-major des armées pour pallier ces difficultés ?

Le général Henri Bentégeat a répondu que l'hypothèse d'une livraison anticipée des NH90 avait été étudiée, mais qu'elle se heurtait à plusieurs impératifs. L'armée de terre craignait une attrition rapide du taux de disponibilité des Puma et un creux capacitaire d'ici 2008, le parc actuel étant par ailleurs juste suffisant. En outre, le NH 90 coûte très cher et une arrivée plus tardive de cet appareil permet d'étaler l'achat d'équipements neufs dans les premières années de la prochaine loi de programmation militaire. Techniquement, il n'était pas non plus certain que l'industriel puisse livrer dès 2008, compte tenu de son plan de charge. En conséquence, la solution retenue a été une rénovation a minima des Puma et Super Puma, afin de ne pas prendre le risque d'une rupture capacitaire et d'éviter une accumulation de nouveaux programmes en début de loi de programmation militaire.

S'agissant des financements innovants, trois programmes sont déjà avancés. Il s'agit tout d'abord des frégates multimissions. Ce projet a été présenté à tort comme un simple crédit-bail conclu avec des banques, alors qu'il recouvre une réalité bien plus complexe. Il vise à obtenir à la fois la garantie d'une mise à disposition des frégates dans des délais plus rapides et celle de leur maintien en condition sur une longue période, sans faire peser de dette excessive sur l'avenir. Il ne s'agit en aucun cas d'acquérir des moyens qui ne seraient pas prévus par la loi de programmation militaire ni de les obtenir dans des conditions différentes de celles fixées initialement. Ce dossier est en cours de discussion à Bercy. Le deuxième projet concerne l'acquisition de ravitailleurs en vol de type Multirole tanker transport (MRTT). La France pourrait se joindre à un programme britannique, actuellement en préparation, qui fait appel aux méthodes du PFI (private finance initiative). Une autre solution envisagée est un leasing avec EADS. La première solution semble la plus avantageuse : une société privée mettrait les appareils à disposition des armées selon leurs besoins, ces avions pouvant être employés le reste du temps disponible pour des prestations au profit de clients civils. Enfin, le dernier projet avancé est relatif à l'externalisation de la formation des pilotes d'hélicoptères, l'armée louant des heures de vol de pilotage à une société.

Rappelant le caractère exceptionnel de l'effort financier consenti en faveur des armées depuis deux ans, tout particulièrement en matière d'équipements, M. Yves Fromion s'est néanmoins inquiété des tensions susceptibles d'affecter le titre III, s'agissant notamment des effectifs de l'armée de terre. Il a souhaité avoir des précisions sur le sous-effectif de 10 000 hommes dans cette dernière, évoqué par certains pour la fin de l'année 2005.

Le général Henri Bentégeat a indiqué qu'il existait traditionnellement un sous-effectif, les effectifs réalisés atteignant 97% en moyenne. En revanche, la capacité de recrutement a augmenté de façon inédite. En 2005, la masse salariale augmentera, mais dans des proportions inférieures aux attentes. En effet, ces crédits seront partiellement grevés par les mesures d'amélioration de la condition militaire ; cet effort financier de 85 millions d'euros pèsera sur les recrutements. La ministre a cependant pris l'engagement que les effectifs de l'armée de terre ne diminueront pas en 2005. Il s'agit d'une nécessité, compte tenu de la charge opérationnelle actuelle : 12 000 hommes sont en opérations à l'étranger et, dans certaines unités de l'armée de terre, les militaires passent neuf mois à l'extérieur tous les ans.

M. Jérôme Rivière a souhaité connaître les raisons du retard pris dans la notification de la commande des 59 Rafale. Par ailleurs, s'agissant de la mise en œuvre de la LOLF, il a demandé si le copilotage du programme III est réellement justifié, dès lors que le chef d'état-major des armées assure la présidence du conseil des systèmes de forces. Enfin, il a souhaité avoir des précisions sur les crédits consacrés à la recherche et sur l'ampleur du programme de rénovation des Puma, les coûts envisagés pour ce dernier allant de 90 à 300 millions d'euros.

Le général Henri Bentégeat a convenu que la commande des 59 Rafale était un dossier complexe. Conformément aux travaux élaborés sous l'égide de l'état-major des armées, la délégation générale pour l'armement avait tenu à inclure dans le contrat le traitement des obsolescences et les conséquences potentielles des exportations du Rafale. Ces deux paramètres sont désormais inclus dans le coût global du contrat. Le ministère de la défense est aujourd'hui dans l'attente de la libération de crédits de paiement qui avaient été mis en réserve de précaution par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Une demande de déblocage de ces crédits, ainsi que de crédits de paiement correspondant au programme A 400 M, a été faite et elle pourrait être satisfaite très rapidement.

S'agissant de la mise en œuvre de la LOLF, la mise en place du conseil des systèmes de forces permettra de préparer les arbitrages et de mener des analyses à court et moyen terme, en étudiant notamment la variation du référentiel à retenir pour la déclinaison des programmes année par année et leur réajustement. Ce conseil ne sera cependant pas adapté aux arbitrages budgétaires en cours d'année, seules des structures légères pouvant avoir une réaction suffisamment rapide. En tout état de cause, la présence de l'état-major des armées se justifie si l'on ne veut pas se limiter aux seuls critères industriels ou de trésorerie.

Les crédits consacrés à la recherche connaîtront en 2005 une hausse de 26 %, mais le niveau de crédits atteint reste inférieur aux prévisions de la loi de programmation militaire 2003-2008. Un effort supplémentaire devra être consenti dans ce domaine trop négligé par le passé, par l'intermédiaire de fonds de concours ou d'une loi de finances rectificative.

Le périmètre et le coût de la rénovation des Puma ne sont pas encore arrêtés, même si l'objectif est évidemment de les minimiser. Toutefois, les contraintes liées au respect des règles de la circulation aérienne internationale risquent d'être coûteuses.

Le président Guy Teissier a demandé si la proximité de la commande ferme et définitive des 59 Rafale et des avions de transport A 400 M signifiait que la réserve de précaution de 900 millions d'euros imposée par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie serait bientôt débloquée. Cela signifie-t-il également que les dépenses relatives aux opérations extérieures ne seront pas imputées sur le budget du ministère de la défense, mais sur celui de l'Etat ?

Le général Henri Bentégeat a répondu que le décret d'avance que le ministère de la défense vient de proposer au Premier ministre prévoyait de gager sur le titre V le coût des opérations extérieures, ainsi que la loi l'impose. Toutefois, le gage ne portera pas sur les programmes du Rafale ou de l'A 400 M, le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ayant accepté de faire porter la réserve de précaution sur d'autres crédits. Il reviendra ensuite au Parlement, lors de l'examen de la loi de finances rectificative, de rétablir les crédits nécessaires aux armées.

M. Jean-Michel Boucheron a demandé quels étaient les enseignements techniques tirés de la présence de nos forces spéciales en Afghanistan, depuis bientôt deux ans, et il s'est inquiété du retard pris par l'Europe en matière de drones.

Le général Henri Bentégeat a indiqué que les enseignements tirés de l'engagement des forces spéciales françaises stationnées en Afghanistan avaient confirmé les analyses antérieures en matière d'équipement : les Américains disposent de systèmes de communications cryptées à longue portée qui faisaient défaut aux forces spéciales françaises. Certains de ces équipements ont été acquis pour renforcer l'interopérabilité entre alliés. Les forces américaines disposent également d'hélicoptères fiables et ravitaillables en vol, pour l'instant sans équivalent au sein de nos forces spéciales. Les sept hélicoptères Cougar qui seront livrés en 2005 marqueront un saut qualitatif important. Les forces spéciales françaises présentes en Afghanistan sont engagées selon un rythme soutenu et dans des missions impliquant des accrochages fréquents avec les miliciens talibans qui franchissent la frontière pakistanaise. Il s'agit d'une mission extrêmement formatrice.

En matière de drones, l'armée de terre a commencé à recevoir, en 2004, le système de drones tactique intérimaire (SDTI), des livraisons étant prévues également en 2005. L'armée de l'air, de son côté, commencera à recevoir le système intérimaire de drones MALE (SIDM) l'année prochaine. Le projet EuroMALE, plus ambitieux et pour lequel la France entend jouer un rôle fédérateur, devrait aboutir en 2010, même s'il est prévu qu'un démonstrateur soit rapidement lancé. Ce projet intéresse plusieurs Etats européens et il est envisagé comme contribution française au programme de surveillance aérienne du sol prévu par l'OTAN. Il est possible d'imaginer que le couple formé par des drones et un renforcement des capacités radar offrira une solution plus économique que les systèmes actuellement envisagés par l'OTAN. L'EuroMALE est un projet considérable et il importe de tenir la date de mise en service en 2010, sous peine de prendre un retard important par rapport aux Allemands et aux Britanniques. Il n'est pas exclu totalement que ces derniers puissent rejoindre ce programme.

M. Gilbert Meyer a rappelé qu'un rapport d'information parlementaire paru en 2002 avait relevé la faiblesse des taux de disponibilité des équipements des armées. Il a demandé si cette disponibilité, qui variait pour certains matériels de 30 à 60 %, s'était améliorée. Il a ensuite souligné l'importance de l'environnement familial des militaires de carrière, indiquant que le logement n'avait pas fait l'objet d'efforts suffisants lors de la professionnalisation des armées, ainsi qu'en témoignait un rapport publié en septembre 2003. Il a souhaité savoir si la situation avait évolué.

Le général Henri Bentégeat a rappelé que le taux de disponibilité des matériels continuait à s'améliorer. Pour un objectif de 71 % en 2004, le matériel de l'armée de terre était disponible à 70 %. La marine nationale, en dehors des sous-marins nucléaires, connaît une disponibilité de 67 % pour un objectif de 68 %. L'état-major des armées veille scrupuleusement à ce que la permanence à la mer des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) ne soit pas interrompue, ce qui n'a jamais été le cas malgré les difficultés liées aux opérations de maintenance et au calendrier de renouvellement de la flotte.

Les appareils de l'aéronavale connaissent une disponibilité de 50 %, en raison de certains problèmes de jeunesse des Rafale et du grand âge des Super Etendard. Le taux de disponibilité des appareils de l'armée de l'air atteint 65 %. Il est meilleur pour les appareils de chasse, un peu moins bon pour les avions de transport.

Le président Guy Teissier a demandé si ces chiffres concernaient uniquement les matériels présents en France métropolitaine ou s'il s'agissait d'une moyenne englobant également les matériels utilisés dans les opérations extérieures.

Le général Henri Bentégeat a répondu qu'il ne s'agissait que du matériel présent en France métropolitaine, les équipements utilisés en opérations extérieures étant disponibles à 90 %. Toutefois, le nombre d'engins utilisés hors du territoire métropolitain est limité. Pour l'armée de l'air, seuls sont présents à l'extérieur les avions positionnés au Tchad, chargés de surveiller la frontière avec le Soudan. Pour la marine, le taux de disponibilité est globalement identique en opération ou en France. Les avions de transport aériens, tous basés en France, sont utilisés en permanence lorsqu'ils sont disponibles. La distinction entre opérations extérieures et présence en France métropolitaine n'est réellement pertinente que pour l'armée de terre.

Des crédits importants, en hausse de 20 % depuis deux ans, ont été consacrés à l'amélioration de la disponibilité opérationnelle, mais cela ne suffit pas. Les équipements les plus anciens, comme les véhicules blindés à roues de la gendarmerie, à bout de souffle, devront être remplacés. L'organisation joue également un rôle important. Une amélioration des circuits de soutien et de la gestion des stocks est recherchée en permanence par les armées et la DGA, en liaison avec les industriels.

Pour ce qui concerne l'environnement familial, les revendications portent souvent sur le niveau des soldes. Les mesures de revalorisation prévues en application du plan d'amélioration de la condition militaire constituent une réponse concrète à ce type d'attentes. La situation est plus complexe s'agissant du logement des militaires. Aucun changement significatif n'est intervenu depuis la publication du rapport au Premier ministre sur la question, en 2003. Le problème tient au fait que le parc de logements en cause dépend pour partie de l'Etat, pour partie de la société nationale immobilière (SNI) et, enfin, de sociétés privées. Le nombre de logements à disposition des armées est insuffisant pour répondre aux besoins des personnels ayants droit. La solution réside sans doute dans un recours accru aux partenaires et élus locaux. Il convient à ce titre de mobiliser les « conseillers municipaux défense », dont la fonction s'est généralisée et qui se montrent très ouverts et attentifs aux problèmes d'environnement familial des personnels des armées. Il reste qu'aucune mesure n'a été prise en matière d'accession à la propriété et que le problème du logement à Paris des personnels célibataires est plus que jamais prégnant, faute de capacités suffisantes, y compris en banlieue. En tout état de cause, les efforts en matière de logement des personnels militaires constituent une priorité.

Le président Guy Teissier a observé qu'aucune unité, y compris professionnalisée de longue date, à l'instar des régiments de la légion étrangère, ne dispose d'un parc de logements répondant en totalité aux normes du plan Vivien.

Le général Henri Bentégeat a convenu que ce problème est surtout perceptible pour les jeunes engagés, qui ne restent en général pas plus d'un an dans les casernements.

M. Alain Moyne-Bressand a demandé si les moyens engagés par les armées françaises en Afghanistan dans le cadre d'opérations anti-terroristes étaient suffisamment interopérables avec les forces américaines déployées sur place. Il a également souhaité connaître le degré de préoccupation des forces armées par rapport à la menace terroriste.

Le général Henri Bentégeat a souligné que la lutte contre le terrorisme est inévitablement une priorité. Néanmoins, elle dépasse de loin le seul engagement des forces armées, car son efficacité dépend aussi notamment de l'implication des services de police et de la justice.

En Afghanistan, les armées françaises sont engagées sous trois formes différentes. En premier lieu, la direction du renseignement militaire (DRM) effectue des tâches de renseignement au profit de la FIAS, à Kaboul. Son travail est complété par celui de la DGSE, également présente sur place, qui collabore étroitement avec les services de renseignement américains.

Ensuite, les armées françaises agissent dans le cadre de la FIAS, au nord et au nord-est de l'Afghanistan. D'ailleurs, grâce à la présence des forces alliées , peu d'incidents ont été déplorés au moment de la récente élection présidentielle.

Enfin, les forces spéciales sont engagées au sud du pays, à la limite de la frontière pakistanaise, où elles participent à la lutte contre les milices des talibans. Placées sous contrôle opérationnel américain pour la conduite de leurs opérations, elles relèvent du commandement opérationnel du chef d'état-major des armées, qui donne son accord, au cas par cas, sur leurs missions en fonction des directives fixées par le Président de la République. Elles bénéficient d'une confiance absolue des forces américaines et ont accès à la totalité des informations dont disposent ces dernières. En outre, les avions et hélicoptères américains leur apportent un appui permanent. Leur action dans la lutte contre le terrorisme en Afghanistan est très appréciée et revêt une importance significative.

Après avoir rappelé que, dans l'application de la loi organique relative aux lois de finances, le chef d'état-major des armées sera responsable d'un programme budgétaire relatif à la préparation et à l'emploi des forces, dont l'enveloppe globale atteindra la somme de 21 milliards d'euros, le président Guy Teissier a demandé s'il n'aurait pas été plus simple et lisible de conserver une budgétisation par armée.

Le général Henri Bentégeat a estimé qu'une nomenclature qui aurait repris la distinction entre armées aurait présenté l'inconvénient de rendre impossible la fongibilité des crédits des forces, alors que le schéma retenu permettra au contraire au chef d'état-major des armées de veiller à la satisfaction du besoin opérationnel, tout en lui offrant la capacité de réaliser des arbitrages en cas de difficulté budgétaire. Il a ajouté que l'objectif de la réforme, dans son esprit, ne consistait pas à minimiser les responsabilités des différents chefs d'état-major ni à leur imposer ses choix, car l'état-major des armées n'a pas vocation à gérer la vie quotidienne des armées, mais plutôt à en réorganiser le fonctionnement sur la base d'un principe de subsidiarité conférant au chef d'état-major un rôle de coordination et d'arbitrage. Les différents chefs des états-majors assureront la gestion quotidienne, via des budgets opérationnels de programmes. Chaque chef d'état-major ayant autorité sur les budgets opérationnels de programmes concernant son armée et demeurant gouverneur de crédits, la lisibilité budgétaire sera assurée, à l'intérieur des armées comme pour le Parlement.

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