COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 6

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 19 octobre 2004
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Luc Vigneron, président-directeur général de Giat Industries, président du conseil des industries de défense françaises (CIDEF), sur le livre blanc du CIDEF


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- Information relative à la commission

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Audition de M. Luc Vigneron, président-directeur général de Giat Industries, président du conseil des industries de défense françaises (CIDEF), sur le livre blanc du CIDEF.

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu M. Luc Vigneron, président-directeur général de Giat Industries, président du conseil des industries de défense françaises (CIDEF), sur le livre blanc du CIDEF.

M. Luc Vigneron a rappelé que le CIDEF a pour tradition de publier un livre blanc tous les deux ans. Cette démarche vise à sensibiliser tous ceux qui s'intéressent aux questions de défense aux difficultés éventuelles rencontrées par ces industries. Même si le CIDEF est satisfait du vote des deux précédentes lois de finances et des orientations du projet de loi de finances pour 2005, certains points restent source d'inquiétudes. Le livre blanc développe six idées.

En premier lieu, il convient de réaffirmer l'importance des retombées de l'investissement de défense en France. Ces dernières touchent le tissu industriel en profondeur, bien au-delà des grands groupes, 5 000 PME environ étant concernées par les crédits d'équipement proprement dit. L'investissement de défense contribue fortement au développement technologique de la France. Si, aujourd'hui, la notion de dualité est très largement mise en avant dans le sens de l'utilisation des composants civils par l'industrie de défense, il convient de ne pas oublier pour autant le fort enrichissement technologique du secteur civil par la recherche militaire. Ainsi, le nombre moyen de brevets déposés est supérieur dans l'industrie de défense et l'ampleur de l'effort de recherche militaire aux Etats-Unis montre que, dans ce pays, l'intérêt d'une recherche de défense puissante pour l'ensemble de l'économie est bien perçu. Enfin, l'investissement de défense a des implications importantes en matière d'aménagement du territoire.

Promouvoir l'industrie française dans la construction de la défense européenne est également nécessaire. Cette industrie occupe la deuxième position du secteur en Europe, juste après celle du Royaume-Uni. Les deux pays disposent ainsi d'un atout important pour la construction de l'Europe de la défense. L'industrie européenne doit se consolider face à l'accroissement des déséquilibres transatlantiques, lesquels s'expliquent avant tout par des différences d'effort budgétaire. L'effort de défense américain s'élève à 450 milliards de dollars en 2005, contre 160 milliards de dollars pour l'ensemble des Etats de l'Union européenne ; pour ce qui concerne les équipements nouveaux, les acquisitions devraient atteindre 75 milliards de dollars aux Etats-Unis, à comparer avec les 15 milliards d'euros du titre V du budget français de la défense. La recherche et développement de défense aux Etats-Unis s'élève à 68 milliards de dollars, contre environ 3,3 milliards d'euros en France. S'il n'est pas question d'engager une course aux armements avec les Etats-Unis, il est cependant à craindre que, dans dix ans, ces déséquilibres budgétaires entraînent une érosion très significative des positions commerciales de l'industrie européenne. On ne peut rester indifférent face à ce phénomène et, compte tenu de la raréfaction des programmes de défense nationaux en Europe, la France doit poursuivre avec détermination les coopérations européennes dans le cadre de nouveaux programmes et jouer un rôle actif dans l'agence européenne de défense, afin de soutenir les intérêts de l'industrie nationale, comme le font d'ailleurs nos partenaires européens.

Les exportations constituent un élément fondamental de la compétitivité de l'industrie de défense française, elles représentent environ la moitié de son chiffre d'affaires ; sans elles, l'industrie devrait davantage recourir à des crédits publics ou abandonner certains créneaux technologiques. Or, ces exportations sont des activités marquées par des cycles très longs et les résultats engrangés aujourd'hui sont issus du travail réalisé en commun dans le passé par l'Etat et l'industrie. Pour préserver l'avenir, il convient d'engager dès aujourd'hui une action stratégique, afin de faire face aux évolutions d'un environnement international caractérisé par une réduction de la taille du marché, une agressivité grandissante des Etats-Unis à l'exportation et la multiplication des nouveaux concurrents. Le ministère de la défense a retenu cette question comme prochain thème du conseil défense-industrie.

Il convient par ailleurs d'améliorer l'exécution budgétaire de la programmation. Un très léger décrochage est apparu dans la gestion en 2003 entre la réalité du budget exécuté et la loi de finances initiale. Il est dû aux mises en réserve de crédits, levées seulement en fin d'année, qui empêchent le ministère de la défense de consommer l'intégralité de ses crédits. A la fin de 2003, les factures impayées atteignaient deux milliards d'euros, soit le montant le plus élevé depuis environ dix ans ; ces phénomènes de stop and go ne facilitent pas l'activité des industries et des bureaux d'études. Ils sont particulièrement dommageables dans le domaine des études-amont : en 2004, le rythme de passation des contrats d'étude par la délégation générale pour l'armement (DGA) s'est fortement ralenti, au point que M. François Lureau a reconnu la nécessité d'un effort complémentaire en loi de finances rectificative.

Le soutien de la recherche et technologie est un thème abordé de façon récurrente par le CIDEF qui, dans son précédent livre blanc, demandait un investissement de l'ordre d'un milliard d'euros par an de contrats de recherche confiés aux industriels. Alors que la loi de programmation militaire a retenu une moyenne de 640 millions d'euros par an, l'effort réalisé en 2003 et 2004 est inférieur de 20 % à cet objectif, ce qui exige un effort soutenu en fin de programmation. L'évolution à la baisse des autorisations de programme pour les études amont contractualisables est préoccupante, avec 502 millions d'euros en 2003, 420 millions d'euros en 2004 et 307 millions d'euros inscrits dans le projet de loi de finances pour 2005. Le ministère de la défense peut certes jouer sur des volumes d'autorisations de programme supplémentaires demandées en loi de finances rectificative et utiliser les autorisations de programme en cours non consommées. Toutefois, l'effort de recherche est un élément clé pour l'industrie, qui conditionne sa compétitivité à terme, aussi convient-il de conserver des ordres de grandeur budgétaire conformes au discours tenu.

Le dernier thème retenu par le livre blanc du CIDEF est la modernisation des méthodes d'acquisition du ministère de la défense en matière d'équipements. D'importants efforts ont été réalisés au cours de l'année 2004, avec notamment la publication, le 7 janvier, du décret adaptant le code des marchés publics aux marchés de la défense, puis l'adoption, le 17 juin, de l'ordonnance sur les contrats de partenariat de l'Etat et la diffusion, en septembre, du document de référence de la politique d'acquisition de la DGA. Néanmoins, quatre progrès sont à envisager. Il convient en premier lieu de poursuivre dans la voie des méthodes d'acquisition innovantes, qui procurent une souplesse d'exécution budgétaire, tout en incitant l'industrie à prendre de nouvelles responsabilités vis-à-vis de son client étatique. Ensuite, il est indispensable d'optimiser les méthodes d'acquisition traditionnelles, en diminuant les délais de passation des commandes, trop longs, en particulier pour les PME, et en mettant en place une véritable pluriannualité des commandes, à l'instar du programme A 400 M. Ce mécanisme est en effet le seul à même d'offrir des économies d'échelle et il permet la négociation de conditions plus favorables que celles des contrats-cadre qui comportent une seule tranche ferme suivie des tranches conditionnelles qui sont affermies ou non en fonction des budgets annuels. En troisième lieu, il importe de recourir plus fréquemment à une évolution continue des systèmes d'armes à côté de la méthode traditionnelle consistant à lancer un renouvellement total tous les trente ou quarante ans, ce qui crée une bosse de financement considérable. C'est ainsi que les Américains et les Allemands ont procédé pour améliorer leurs parcs de blindés. Cette méthode permet en outre de traiter un problème majeur aujourd'hui mal résolu, celui des obsolescences technologiques. Enfin, il apparaît nécessaire d'explorer les possibilités de fourniture de services par les industriels. Elles sont susceptibles de créer les conditions d'une relation « gagnant-gagnant » entre l'Etat, qui peut ainsi accéder à des effets d'échelle que son marché intérieur ne lui permettrait pas d'obtenir et les industriels, qui se voient ouvrir de nouveaux débouchés.

Le président Guy Teissier a exprimé des réserves sur l'idée selon laquelle il est préférable de rénover certains systèmes que d'en acquérir de nouveaux, ce qui revient en fait à faire du neuf avec du vieux. L'expérience prouve hélas que la rénovation des chars anciens, notamment les AMX 10 RC, se révèle être moins rapide qu'espéré. S'il est indéniable qu'il vaut mieux, parfois, maintenir des matériels à niveau, il n'est pas pour autant imaginable d'entretenir éternellement les véhicules de l'avant blindés (VAB) actuels ou les hélicoptères Puma de l'armée de terre, par exemple. En outre, les problèmes de gestion rencontrés par les industriels sont également ressentis dans les unités. Le moral des personnels s'en trouve affecté et ils ne mesurent pas les effets sur le terrain des efforts budgétaires consentis.

L'application de la loi de programmation militaire et l'augmentation des dotations budgétaires pour 2005 démontrent la volonté du Gouvernement et de sa majorité parlementaire de conserver un haut niveau d'efficacité à l'outil de défense. Les difficultés viennent aussi des industriels, comme l'ont montré le problème de l'optronique du Rafale et certaines ruptures de capacités de production. Il n'est d'ailleurs pas rare de constater que les objectifs de livraison exprimés par la DGA ne sont pas tenus par les industriels.

M. Luc Vigneron a précisé que le livre blanc du CIDEF se focalisait sur certains sujets susceptibles de retenir l'attention, mais qu'il ne traitait pas de tous les problèmes qui concernent le secteur de la défense, secteur qui se caractérise par des évolutions lentes.

Il est évident que les armées auront toujours besoin de matériels neufs. Il n'en demeure pas moins vrai que, lorsqu'un nouveau système d'armes est conçu, les industriels et leurs clients doivent, d'entrée de jeu, se poser la question de son maintien à niveau technologique, voire de son amélioration, tout au long de sa vie opérationnelle. En ce qui concerne les AMX 10 RC, les évolutions apportées actuellement vont au-delà du simple remplacement d'organes. Par ailleurs, dans certains cas, les sous-traitants ont disparu et les obsolescences sont telles qu'il faut procéder à de nouveaux développements. Il s'agit là d'un cas qu'il faut éviter de reproduire à l'avenir en créant un diagnostic conjoint et permanent, qui permette de maintenir à niveau les systèmes d'armes au cours de leur utilisation et de traiter en continu les obsolescences technologiques.

Certes, les industriels de la défense doivent aussi travailler à s'améliorer. Au demeurant, ils évoluent dans un secteur complexe et de haute technologie, qui les place à la pointe de la maîtrise des techniques d'avant-garde en Europe. Il faut rappeler qu'il n'existe pas de fossé technologique entre les industries française et américaine aujourd'hui, même s'il n'est pas possible de prévoir ce qu'il en sera dans dix ans. Il est donc inévitable que certains matériels complexes rencontrent des problèmes de jeunesse. A bien des égards, les grands systèmes d'armes que sont le Rafale, les hélicoptères Tigre et NH 90 et le char Leclerc sont toujours en phase de déploiement. Dans le cas du char Leclerc, les exemplaires livrés cette année offrent des performances différentes de ceux des versions précédentes, car ils bénéficient notamment d'améliorations sur leurs systèmes de vision. Dans ces conditions, il est inévitable de rencontrer des aléas.

Après avoir souligné le haut degré de performance technologique du char Leclerc et du porte-avions Charles de Gaulle, le président Guy Teissier a observé que l'attitude de certains industriels jouait un rôle non négligeable dans les difficultés rencontrées en matière de livraisons. Ainsi, seulement vingt chars Leclerc seront livrés en 2004 au lieu des 68 exemplaires prévus, tandis que DCN vient de mettre à l'eau le premier bâtiment de projection et de commandement (BPC) Mistral avec un mois d'avance et en affichant une baisse de 30 % des coûts.

M. Luc Vigneron a répondu que, dans cette situation, l'industriel était encore plus pénalisé que le client en raison de l'existence de clauses de pénalité, souvent très lourdes. Les retards de livraison des chars Leclerc sont imputables à trois causes : le changement de références techniques du char, les chutes de productivité liées à la mise en œuvre d'un plan social drastique et des problèmes de qualité rencontrés sur quelques composants fabriqués par des fournisseurs. Le conflit social affectant Giat Industries s'est notamment traduit par des grèves larvées dans certains ateliers. Il est cependant permis d'espérer que la situation s'améliore l'an prochain, la productivité ayant déjà remonté après le franchissement d'un cap psychologique le 1er octobre, avec le départ annoncé de 1 700 personnes. Le secteur des munitions, qui n'est pourtant pas préservé par la restructuration, a maintenu un niveau de production satisfaisant. Si le client se doit d'être vigilant en raison du montant considérable de ses investissements, il faut être conscient que les entreprises du CIDEF fournissent des produits fabriqués en petites séries et correspondant à de grands systèmes complexes. Les franchissements de caps technologiques peuvent induire certains retards lors des premières années de livraison d'un matériel neuf. Il convient donc de privilégier une amélioration continue des systèmes qui permet de mieux appréhender les évolutions techniques majeures.

M. Jacques Brunhes a fait observer qu'en dépit d'une progression de l'Europe de l'armement ces dernières années, il n'existait pas de relation préférentielle au sein de l'Union européenne au profit de l'industrie européenne. Le choix fait par certains Etats membres, dont les Pays-Bas, de financer le programme JSF en est une parfaite illustration. De plus, avec le dernier élargissement de l'Union européenne, la balance penche en faveur du lien transatlantique et les nouveaux membres préfèrent majoritairement se tourner vers l'OTAN, le projet de Constitution européenne ne faisant que renforcer la subordination de l'Union européenne à l'organisation atlantique. Par ailleurs, les prises de contrôle de firmes européennes par des capitaux américains s'accélèrent. Dans l'industrie d'armement terrestre, la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne représentent à eux seuls 60 % du potentiel européen. L'entreprise américaine General Dynamics a récemment fait une offre publique d'achat sur le Britannique Alvis. En cas de réussite d'une telle opération, combien de temps Giat Industries pourrait-elle faire face à cette présence américaine sur le marché européen, y compris dans le cadre d'une alliance avec l'allemand Rheinmetall ?

M. Jacques Brunhes s'est également inquiété des moyens d'assurer une véritable base industrielle et technologique de défense française dans le cadre des consolidations européennes en cours, avec notamment la possibilité pour les dirigeants nationaux de conserver un droit de regard sur l'implantation des sites. Se félicitant du dialogue stratégique engagé avec le Gouvernement au sein du conseil défense-industrie récemment créé, il a demandé s'il ne serait pas judicieux d'associer aux travaux de cette instance les fédérations de syndicats représentatifs, qui ont l'habitude de travailler dans les instances syndicales européennes. Il a également évoqué les dernières péripéties liées à la perspective de création d'un EADS naval en Europe et a regretté le maintien d'une participation américaine du fonds One Equity Partner à hauteur de 25 %, en dépit des consolidations envisagées. Il a enfin souligné que la désorganisation actuelle de Giat Industries est liée au plan stratégique et commercial suivi par l'entreprise et que le recours à la sous-traitance est à l'origine des problèmes de qualité et de délai.

M. Luc Vigneron a regretté l'absence de relation préférentielle entre l'Union européenne et son industrie de défense, même si le gouvernement français tente de faire évoluer les choses. La création de l'agence européenne de défense constitue une étape majeure. La future Constitution européenne permettra ensuite des coopérations renforcées entre les pays les plus volontaristes. Toutefois, pour que des programmes plus nombreux fassent l'objet d'une coopération européenne, les états-majors devront déployer davantage d'efforts pour s'accorder sur les spécifications des différents matériels. En l'absence pour l'heure de toute politique préférentielle, c'est l'unique moyen de progresser. La participation financière de certains pays européens au programme de chasseur américain JSF a fait prendre conscience à bien des responsables politiques européens de la nécessité de renforcer la coopération à l'intérieur de l'Union européenne.

Le rachat de la société britannique Alvis par l'Américain General Dynamics n'a finalement pas eu lieu puisque c'est un autre groupe d'outre-Manche, BAe Systems qui a acheté Alvis. Il n'en est pas moins vrai que des entreprises de défense européennes ont été acquises par des sociétés américaines dans le cadre de ce qui pourrait presque apparaître comme une stratégie d'encerclement des trois pays européens disposant des plus grandes industries de défense : le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne. Ce phénomène doit faire réfléchir et amener ces trois Etats à coopérer davantage.

Si l'on ne tient pas compte des programmes relatifs à la souveraineté nationale comme le nucléaire, la probabilité pour une base technologique française de survivre sans coopérer avec des partenaires européens apparaît faible. Le sens de l'histoire conduit notre industrie de défense à développer sa coopération européenne en matière de défense, tout en recherchant un équilibre entre les centres de compétence. C'est d'ailleurs déjà largement le cas dans le domaine aéronautique ou spatial. Cette préoccupation est partagée par des industriels qui ne sont pas directement liés à la défense, comme Airbus.

Le conseil défense-industrie a été créé par la ministre de la défense, qui en assure la présidence. Modifier sa composition ne peut être décidé que par l'autorité créatrice.

M. Jean-Marie Carnet, délégué général du groupement industriel des constructions et armements navals (GICAN), a ensuite indiqué que le marché naval mondial peut être divisé en trois secteurs géographiques : les Etats-Unis en représentent 35 %, l'Europe 30 % et le reste du monde 35 %. L'industrie navale américaine, déjà restructurée, ne compte plus que quatre chantiers navals majeurs, tandis que l'industrie européenne, consciente de la nécessité de se restructurer, en compte encore 21 ou 22. Les autorités allemandes ont rapproché HDW et Thyssen pour créer un pôle germanique compétitif. Le fonds d'investissement américain OEP, qui détenait 75 % d'HDW, a ainsi vu sa part ramenée à 25 % de l'ensemble. Le fait qu'un fonds d'investissement se soit intéressé à des chantiers navals prouve que ce secteur peut être rémunérateur, même si le projet américain n'était pas exempt d'arrière-pensées commerciales. OEP entendait faire fabriquer en Allemagne des sous-marins qui auraient pu être vendus à Taiwan, contournant ainsi une loi américaine qui interdit ce genre d'exportation à destination de l'île. La manœuvre ayant échoué en l'absence de commande, le fonds d'investissement a tenté vainement de vendre sa participation. C'est le moment qu'a choisi le gouvernement allemand pour restructurer son industrie navale. Dans la mesure où la coopération européenne en matière de chantier naval concernera principalement la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, l'actionnariat américain sera amené soit à se retirer, soit à se diluer davantage.

M. Hervé Morin a rappelé qu'en 1989, alors que se posait déjà le problème du financement du Rafale, certains industriels soulignaient la nécessité d'acquérir un appareil de nouvelle génération. La France n'en avait visiblement pourtant pas les moyens et l'état-major se serait volontiers contenté d'une nouvelle version du Mirage 2000. Les industriels souffrent souvent du « syndrome de la page blanche » : il faut le lancement de programmes de matériels neufs pour pouvoir alimenter les bureaux d'études. S'agissant de la recherche et développement, leur discours n'a pas non plus changé en quinze ans : ils font état d'une faille technologique majeure avec les Etats-Unis, dont l'existence n'est pas avérée.

M. Hervé Morin a également souhaité connaître la part réelle des programmes menés en coopération à l'échelle européenne et sa proportion dans les dix ou quinze prochaines années. Enfin, rappelant certaines recommandations ministérielles sur les réductions de coût, il a demandé quelle était l'ampleur des gains de productivité aujourd'hui et quelles en étaient les répercussions sur les prix.

M. Luc Vigneron a admis que les commandes de matériels neufs ne seraient plus aussi fréquentes dans le proche avenir que ce qu'elles ont pu être récemment, notamment parce que nombre d'équipements sont actuellement en cours de livraison. Par conséquent, si les bureaux d'études ne disposent plus de programmes nouveaux à développer pour entretenir leur savoir-faire, il importera de favoriser les programmes de modernisation des matériels existants pour maintenir leurs compétences techniques au niveau le plus élevé possible.

Les matériels européens majeurs proposés à l'exportation ne présentent pas d'écarts technologiques significatifs avec les produits américains, en dehors de quelques engins spécifiques, mais la panoplie militaire américaine est bien plus vaste que la panoplie française. En outre, les Etats-Unis lancent parfois plusieurs programmes de recherche en parallèle, de manière à mettre en concurrence plusieurs bureaux d'études. En raison des délais liés aux activités de recherche, les industriels exploitent actuellement les efforts de recherche consentis il y a dix ou vingt ans.

M. Guillaume Muesser, secrétaire du CIDEF, a indiqué qu'il n'existait pas d'indicateur permettant de connaître la part exacte des programmes d'armement exclusivement nationaux par rapport aux programmes lancés en coopération avec d'autres pays européens. La part du budget équipement consacrée à des programmes en coopération est actuellement à un point bas compte tenu de la fin de plusieurs programmes importants, mais elle devrait remonter avec le développement de grands programmes comme le Tigre, le NH 90, l'A 400 M ou les frégates Horizon.

M. Luc Vigneron a ensuite indiqué que la valeur ajoutée des grands groupes de défense provenait essentiellement de l'ingénierie, ce qui ne permet pas autant de gains de productivité qu'une industrie plus traditionnelle, pour laquelle le poids des bureaux d'études est, en proportion, plus faible. Par ailleurs, pour des raisons de souveraineté nationale, le choix des sous-traitants ne répond pas à la même logique que dans les autres secteurs économiques. Les industriels de l'armement n'ont ainsi pas la possibilité de s'approvisionner librement sur le marché mondial des composants et de faire jouer la concurrence, à la différence des industries civiles. Bien qu'elle soit difficile à établir avec précision, la hausse de la productivité dans les industries de défense peut être évaluée à 2 ou 3 % par an, chiffre corroboré par des estimations britanniques.

M. Guy Rupied, délégué général du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS), a précisé que les industries aéronautiques bénéficiaient du caractère dual de leur activité, la hausse de la productivité du secteur civil étant bénéfique au secteur militaire. L'absence de rentabilité et de notion de retour sur investissement dans le domaine militaire rend néanmoins très difficile le calcul de l'évolution de la productivité dans ce secteur.

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Information relative à la commission

La commission a nommé M. Guy Teissier rapporteur pour le projet de loi relatif au statut général des militaires (n° 1741).

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