COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 30

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 16 mars 2005
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

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- Communication de MM. Georges Siffredi et Jean-Claude Viollet, rapporteurs d'information, sur Giat Industries : suivi des mesures sociales d'accompagnement


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Giat Industries : suivi des mesures sociales d'accompagnement (communication).

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu une communication de MM. Georges Siffredi et Jean-Claude Viollet, rapporteurs d'information, sur le suivi des mesures sociales d'accompagnement à Giat Industries.

M. Jean-Claude Viollet, rapporteur, a rappelé que la direction de Giat Industries avait annoncé, le 7 avril 2003, la mise en œuvre d'un nouveau plan social, le sixième depuis 1990, époque où Giat comptait 14 000 salariés. L'objectif est de s'adapter au nouvel environnement stratégique, la production d'engins lourds blindés ayant été mise à mal depuis la chute du mur de Berlin.

L'objectif reste de concentrer les activités du groupe sur quatre établissements principaux : Versailles-Satory, Bourges, La Chapelle-Saint-Ursin et Roanne, les activités de Saint-Chamond, Cusset, Tulle, Toulouse et Tarbes devant être très fortement réduites, voire supprimées dans certains cas.

La mise en œuvre du plan social a démarré en juillet 2004 avec la publication de la liste de la première moitié des postes supprimés. En octobre 2004, les notifications individuelles correspondant à ces postes ont été adressées aux intéressés. L'année 2005 se déroulera selon le même schéma : la deuxième liste des postes supprimés sera rendue publique en juillet ; les notifications individuelles seront reçues par les intéressés en octobre. Ceux d'entre eux qui n'auront pas trouvé un autre emploi ou qui ne seront pas entrés dans le processus de reconversion seront licenciés le 30 juin 2006.

Deux cabinets de reclassement ont été retenus avec l'obligation d'appliquer à tous les personnels les meilleures pratiques du secteur, quel que soit le statut. Les intéressés disposent de dix-huit mois pour se reclasser, les quinze premiers mois étant rémunérés à hauteur de 100 % du salaire d'activité, les trois derniers à hauteur de 75 %.

Pour les fonctionnaires détachés, plus de 800 postes ont été recensés sur l'ensemble du territoire national dont environ la moitié dans les départements où Giat est implanté ainsi que dans les départements limitrophes de ces implantations. Les ouvriers sous décret (OSD) sont autorisés à intégrer la fonction publique tout en conservant les conditions avantageuses de leur système de retraite. Le gouvernement s'est engagé à présenter à chaque ouvrier quatre propositions d'emploi dont une au sein du ministère de la défense, une dans une autre administration et deux dans le secteur privé. Les personnels sous convention collective sont censés se voir offrir au minimum deux postes dans le secteur privé. Une formation sera proposée en cas de besoin.

Une indemnité de départ représentant deux à trois ans de salaire sera versée aux personnels non-fonctionnaires acceptant leur transfert vers un des emplois publics ou privés proposés. Cette indemnité est destinée à compenser la différence de revenu entre ce qui leur est actuellement versé chez Giat et leur nouvelle rémunération. Enfin, les mesures d'âge permettront à environ 1 300 personnes de cesser toute activité. Le bénéfice d'une mesure d'âge est incompatible avec l'obtention de l'indemnité de départ.

Il restait, au début de l'année 2004, 3 344 employés en sureffectif. Si l'on déduit de ce chiffre les salariés bénéficiant de mesures d'âge, 2 041 personnes devaient être reclassées en deux ans.

Le rapporteur a indiqué que le plan social semblait, en apparence, se dérouler assez bien puisque un millier de salariés a trouvé une solution au cours de l'année 2004. Mais ces premiers reclassements sont probablement les plus faciles : les meilleurs postes ont été pourvus et ce sont les personnels les plus déterminés qui se sont portés volontaires. Certains ont bénéficié d'opérations « sur mesure » telles des implantations de structures militaires (commissariats armée de terre, imprimerie militaire...). Seuls 370 employés de Giat ont retrouvé un emploi dans le secteur privé.

Le constat de la direction de Giat, par certains aspects, rejoint celui de certains syndicats : si le ministère de la défense consent des efforts remarquables, il n'en est pas de même des autres administrations et des collectivités locales qui n'ont, jusqu'à présent, recruté que 25 salariés du groupe ! Seul le ministère de l'équipement semble jouer le jeu, ce qui lui permet d'échapper à la critique syndicale. Les ministères de la justice, de l'intérieur, de l'agriculture, de l'éducation nationale et des finances sont particulièrement critiqués : ces deux derniers n'ont recruté respectivement que huit et un salariés de Giat. La fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale n'échappent pas aux critiques, à l'exception de l'hôpital de Tarbes qui a recruté une quinzaine d'employés de Giat malgré un écart de salaire important, preuve que ces personnels sont prêts à s'engager dans des formations, même éloignées de leurs qualifications d'origine, pour se reconvertir lorsque des emplois leur sont proposés dans leur bassin d'emploi. Malheureusement, cet exemple n'a pas été suivi. A Cusset, aucun emploi public, hors défense, n'a été proposé.

Le rapporteur a relevé que les organisations syndicales réclamaient l'ouverture d'un plus grand nombre de postes dans les fonctions publiques autres que celle de la défense. Il est pour le moins paradoxal que les élus locaux, qui militent pour le reclassement des salariés de Giat, soient les derniers à en embaucher dans leurs administrations. La ville de Roanne et la communauté urbaine totalisent près de 900 fonctionnaires territoriaux : seuls six employés de Giat ont été recrutés par cette structure. Une deuxième revendication concerne la promotion interne : il apparaît que les cadres, plus mobiles, acceptent plus facilement de quitter l'entreprise au point que des départs ont dû être refusés et qu'un certain déficit en cadres est apparu. Combler ce déficit avec des agents de maîtrise ou des techniciens promus cadres permettrait de sauver quelques dizaines emplois. Cette revendication de bon sens pourrait facilement être satisfaite. Enfin, toutes les organisations syndicales présentent une demande d'extension des mesures d'âge, actuellement proposées aux personnels âgés de plus de cinquante-quatre ans. S'appuyant sur les pratiques qui ont permis, il y a quelques années, aux salariés de Creusot-Loire, de partir en retraite à partir de quarante-neuf ans dans certains cas, les partenaires sociaux réclament que les mesures d'âge soient étendues aux salariés âgés de plus de cinquante-trois ans, voire de cinquante-deux ans.

Pour pérenniser l'entreprise, les syndicats considèrent enfin qu'un message doit être adressé aux employés qui restent. Il est notoire que la direction considère l'accord d'entreprise comme trop favorable aux salariés. Une éventuelle renégociation de cet accord, si elle doit se traduire par une régression sur certains aspects, pourrait, en contrepartie, permettre l'introduction d'une récompense au mérite ou de l'intéressement aux résultats. Interrogée sur ce point, la direction a évoqué un travail de communication interne à accomplir à l'égard des salariés. Elle n'a fait référence ni aux mesures sociales exposées par les syndicats ni à une éventuelle renégociation de l'accord d'entreprise.

Le rapporteur a ensuite présenté la situation particulière de chacun des sites :

- L'usine de Saint-Chamond, qui comptait 734 salariés en 2003, devrait n'en conserver que 88 en 2006. Une société de mode, Idestyle, s'est implantée sur le site Giat et pourrait créer jusqu'à 80 emplois. Mais, pour l'instant, aucun n'est occupé par des salariés de Giat.

- La situation de Tarbes est également difficile : sur les 792 emplois d'origine, seuls 150 devraient être préservés. La société Sagem a annoncé depuis plusieurs années la création de 150 emplois liés à la construction du laser Mégajoule, mais la concrétisation de ce projet tarde. L'implantation de la société de démantèlement d'avions SITA, qui pourrait créer 80 emplois, a été récemment annoncée, mais sans échéance précise.

- A Cusset, dans un bassin d'emploi sinistré, l'usine Manurhin, filiale de Giat, doit fermer ses portes en 2006 alors qu'elle comptait encore 385 salariés en 2003. L'implantation de la société de mécanique automobile Eurodec semble, au mieux, reportée. Le faible nombre d'emplois proposés conduit certains salariés à accepter un reclassement sur le site Giat de la Chapelle-Saint-Ursin, dans le Cher.

- A Roanne, la réduction des effectifs est drastique, puisque le nombre de salariés diminue de 1 200 à 535. Mais l'implantation d'un commissariat de l'armée de terre (Escat) a déjà permis la création de plusieurs dizaines d'emplois sur les 136 prévus à terme. La ville bénéficie également de l'arrivée de la société de télémarketing Transcom qui a créé environ 80 postes sur les 400 prévus. Toutefois, il semble qu'aucun de ces emplois, pour l'instant, n'ait profité aux salariés de Giat.

- Le site de Tulle doit perdre 270 de ses 389 salariés. Dans cette ville, la direction centrale du matériel de l'armée de terre propose une centaine d'emplois aux anciens salariés de Giat, ce qui rend moins douloureux le plan social.

- Enfin, les sites de Toulouse, Saint-Étienne, Bourges et Versailles Satory, posent moins de difficulté dans la mesure où les emplois qui y sont supprimés sont moins nombreux et où les opportunités de reclassement semblent plus favorables.

- Avec la sauvegarde de ses 261 emplois et la modernisation de ses installations, le site de La Chapelle Saint-Ursin, spécialisé dans les munitions, est le seul véritablement épargné.

M. Georges Siffredi, rapporteur, a ensuite indiqué qu'au-delà des simples statistiques, la réussite du plan social de Giat restait conditionnée par les perspectives de production. En raison des difficultés de l'entreprise à obtenir des commandes de la part d'autres clients, l'État reste le principal débouché du groupe. Le ministère de la défense a globalement respecté les engagements pris dans le cadre du contrat d'entreprise signé le 26 mars 2004 :

- la commande, plusieurs fois reportée, de 72 canons Caesar a finalement été passée en fin d'année 2004, malgré six mois de retard ;

- conformément aux engagements, une commande pluriannuelle de munitions de moyen calibre a été signée, ce qui constitue une nouveauté bienvenue qui permettra à l'industriel de bénéficier d'une meilleure vision de son activité à moyen terme ;

- les commandes de munitions de gros calibre seront équivalentes en valeur à celles prévues dans le contrat d'entreprise.

Le seul engagement que l'Etat reconnaît ne pas avoir respecté en 2004 est celui des études amont. Le manque de crédits constaté lors de l'exercice précédent a conduit à réduire de 40 % les engagements au cours du second semestre.

La situation s'avère plus complexe en matière de blindés, principale activité du groupe. Le conflit social a fortement perturbé la production du char Leclerc, engin emblématique de la société. En 2004, seuls 12 engins ont été livrés. Pour 2005, l'objectif de productivité a été fixé à 68 % quand il atteint habituellement 80 à 90 % dans une usine « classique ». Le site de Tarbes, où sont fabriquées les tourelles, a totalement interrompu sa production. Après avoir envisagé l'externalisation de leur fabrication, la direction a finalement mis en place une seconde chaîne de montage, dans l'établissement de Roanne. En contrepartie, c'est l'assemblage des caisses du char qui est désormais sous-traité. Malgré ces soucis, la direction considère que les 90 derniers chars seront achevés et prêts à être livrés d'ici juin 2006 avec seulement six mois de retard sur le calendrier d'origine.

Mais, il n'est pas sûr que les engins produits soient acceptés par l'armée de terre. En effet, les 90 derniers blindés, qui constituent la tranche T 11 du programme, intègrent des évolutions technologiques. En contrepartie, ils souffrent d'ennuyeux problèmes de mise au point, concernant notamment le nouveau viseur fourni par la Sagem, le fonctionnement de la tourelle et les épiscopes ; des fuites d'huiles auraient également été décelées.

Les explications de la direction de Giat ne se sont guère avérées convaincantes : la direction générale pour l'armement (DGA) et l'armée de terre se montreraient trop tatillonnes et feraient subir au matériel des tests trop poussés. Les fuites d'huiles, à peine décelables, seraient imputables à des sous-traitants, de même que les imperfections constatées sur les viseurs et les épiscopes. La réception des chars ouvrant des délais en matière de garantie, les forces terrestres refusent d'accepter tout engin sur lequel ne sont pas levées les réserves.

Les problèmes concernant les épiscopes sont révélateurs du climat constaté et des méthodes de travail en vigueur dans l'entreprise. Ces engins, originellement fabriqués par Giat sont désormais sous-traités dans la mesure où les 45 salariés de l'établissement de Saint-Étienne, toujours payés par l'entreprise, ne produisent quasiment plus rien depuis deux ans. La direction semble rejeter la responsabilité de cet état de fait sur certaines organisations syndicales qui s'avéreraient incapables de motiver et de remettre leurs adhérents au travail. Les épiscopes ont donc été sous-traités pour partie à une société chinoise et pour partie à une entreprise tchèque. Si les épiscopes chinois qui équipent désormais les chars de l'armée française donnent entière satisfaction, ce n'est pas le cas des épiscopes tchèques, qui présentent des défauts. Un ingénieur doit être envoyé à Prague pour essayer de résoudre le problème.

Malgré ces éléments troublants, la direction continue à affirmer que les dernières livraisons de chars Leclerc auront lieu en juin 2006. Mais, tant que les dernières imperfections techniques ne sont pas résolues, il paraît audacieux de fixer une date précise de réception des engins par les forces terrestres. Un nouveau retard d'une année n'est pas à exclure. Plus de trente chars refusés par les forces terrestres attendent actuellement dans les hangars de Giat à Roanne. L'entreprise doit entretenir ces engins et les faire rouler régulièrement pour les maintenir en bon état de fonctionnement. A raison de 1 000 euros par char et par jour de retard, Giat paie actuellement 30 000 euros de pénalités par jour.

Les rapporteurs ont indiqué que cette situation les conduisait à s'interroger sur l'attitude de Giat industries qui, en tant qu'assembleur et maître d'œuvre, devrait assurer la maîtrise d'ensemble du programme au lieu de pointer du doigt les défaillances de ses sous-traitants et de rejeter sur eux, ou sur ses salariés, la responsabilité systématique des retards. L'attitude de la DGA, qui réclame sans cesse de nouvelles améliorations techniques est également discutable. Les 406 chars Leclerc sont ainsi divisés en 11 tranches différentes, ce qui ne facilitera certainement pas l'entretien de ces matériels. Le premier Leclerc a été livré en 1991 alors que le dernier le sera en 2006 ou 2007. Les 51 premiers chars des séries T 1 à T 3, livrés et facturés à l'armée de terre, sont considérés comme obsolètes et non opérationnels. Certains sont utilisés pour l'instruction, d'autres comme réservoirs de pièces de rechange...

Le malheureux contrat conclu en 1993 avec les Emirats arabes unis et à l'origine d'un abyssal déficit, n'est toujours pas entièrement honoré. Douze ans après la signature de ce contrat qui, comme les autres, n'a que trop traîné, les Emiriens constatent qu'ils ont commandé trop de dépanneurs et demandent à Giat d'annuler les 18 derniers engins non encore livrés, quitte à payer les frais engagés. Mais les pièces ont été achetées auprès des sous-traitants et il ne reste plus à Giat qu'à effectuer son travail d'assemblage. L'entreprise se retrouve dans une situation inextricable : compte tenu de l'inflation, de l'évolution défavorable du dollar et du fait que ces engins ont été vendus à perte, le coût engagé à ce stade du processus industriel dépasse déjà de 50 % le prix qu'auraient à régler les Emiriens pour des engins assemblés selon les termes du contrat originel. Mis à contribution pour tenter de trouver une solution, les bureaux d'études du groupe ont proposé de transformer les 18 engins en démineurs. Bien trop onéreuse, la transformation a été refusée par les Emiriens, la responsabilité en incombant, selon la direction, aux ingénieurs qui avaient dessiné un engin trop ambitieux.

M. Georges Siffredi, rapporteur, a ensuite évoqué la situation des programmes de rénovation des blindés sur lesquels l'Etat s'est engagé.

La rénovation de l'AMX 10 RC a été confiée conjointement à la direction centrale du matériel de l'armée de terre (DCMAT) et à Giat. Mais la DCMAT a démonté le châssis de soixante blindés avant de se rendre compte que certains joints, une fois démontés, n'étaient plus réutilisables ; Giat industries n'ayant pas conservé la documentation technique de ces engins qu'elle a pourtant vendus il y a trente ans. Deux années ont donc été perdues dans l'attente d'une solution technique. Pour rattraper le surcoût induit par le retard et les travaux supplémentaires, le parc des 256 AMX 10 RC ne sera pas rénové de manière homogène : 90 engins (dont les 60 déjà démontés) feront l'objet d'une modernisation lourde, les 166 autres étant plus légèrement rénovés, sans démontage du châssis.

Le programme de rénovation de l'AMX 10 P a souffert de tergiversations et a pris du retard. En tout état de cause, l'engin sera rénové dans les régiments et les faibles moyens consentis par le client ne fourniront pas beaucoup de travail aux salariés de Giat.

La problématique est assez proche pour la rénovation des EBG (engin blindé du génie) pour lesquels les discussions commerciales se poursuivent. Toutefois, ce projet ne fait pas partie des priorités de l'armée de terre et devrait être engagé à l'horizon 2008-2010 au lieu des années 2006-2008 comme prévu initialement.

Le retard subi par les programmes AMX 10 P et EBG va conduire à une importante baisse d'activité au cours du second semestre 2006 et au début de l'année 2007. En l'absence de tout contrat lié à l'exportation, la période 2006-2007 constituera donc une « traversée du désert » industrielle avant l'arrivée de plusieurs programmes importants : la fin de la décennie verra la mise en production du canon Caesar et, surtout, du véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) dont la mise au point, bien qu'un peu lente, semble se dérouler de manière satisfaisante. La mise en œuvre des programmes encore en cours de négociation est donc plus urgente que jamais sous peine de discréditer définitivement le plan de restructuration aux yeux des salariés et des populations des bassins d'emploi. Le transfert d'une partie de la charge de travail de la DCMAT vers Giat pourrait constituer une piste de réflexion pour réduire la baisse d'activité redoutée à partir de 2006.

Paradoxalement, l'année 2006 qui connaîtra une baisse du plan de charge pourrait être la première année d'équilibre financier de la société en raison des recettes financières liées au paiement du solde des derniers chars Leclerc. Ces engins sont certes déjà payés à 95 % par l'armée de terre, mais hors TVA, celle-ci n'étant récupérée qu'à la fin. Lors de la livraison, Giat perçoit en fait 21 % de la valeur du char et réalise sa marge à ce moment-là.

L'Etat a respecté ses engagements financiers : une recapitalisation d'un milliard d'euros a été réalisée fin 2004. Cette augmentation de capital doit couvrir le financement du plan social et les pertes des exercices 2002 et 2003. Un doute subsiste, en fonction des avis émis par les différents interlocuteurs, sur les pertes de l'exercice 2004. Quant à l'exercice 2005, il est probable qu'il sera également déficitaire ce qui pourrait rendre nécessaire une nouvelle recapitalisation en 2006.

En conclusion, les rapporteurs ont évoqué le rôle de la direction, qui ne s'est plus rendue, depuis l'annonce du plan social, dans certains de ses établissements et qui s'est montrée très réticente à l'idée que des parlementaires souhaitent visiter un établissement comme celui de Saint-Chamond, voué à disparaître.

Les explications partielles, les dissimulations, les faux-fuyants n'ont pas contribué à établir des relations de confiance avec une direction qui donne l'impression de louvoyer, externalisant tout ce qui peut l'être dès qu'une difficulté se présente. Plus de 80 % de la production du Leclerc est sous-traitée et cette proportion sera encore plus importante pour le VBCI. Qu'importe, apparemment, pour la direction, si la sous-traitance se traduit par un surcoût et si les déficits se creusent puisque de nouvelles dotations en capital doivent intervenir tous les deux ans. Et si Giat n'exporte plus, la responsabilité, toujours selon la direction, en incombe en partie aux ingénieurs qui dessinent des matériels trop onéreux. Les rapporteurs n'ont pu que regretter cette impression de fuite de responsabilité qui entame sérieusement la crédibilité du groupe.

Le président Guy Teissier a souligné que la présentation qui venait d'être faite levait tout doute sur la pertinence de ce rapport d'information, s'il y en avait jamais eu. Il a relevé le grand intérêt et l'objectivité de la communication, ainsi que son caractère particulièrement préoccupant. La ministre de la défense sera entendue par la commission dans quelques semaines, ce qui donnera l'occasion de lui poser des questions sur la situation de Giat Industries.

M. Jean-Michel Boucheron a souligné qu'à l'écoute de cette communication, on comprenait mieux l'effondrement de l'Union soviétique. Les dysfonctionnements de l'entreprise ont déjà été évoqués dans de précédents rapports et on ne peut que se désoler de constater qu'ils se poursuivent ainsi dans le temps, sans aucun infléchissement. Il est nécessaire que la représentation nationale marque fermement sa réprobation et sa lassitude de tels errements.

Marquant son accord avec cette position, le président Guy Teissier a indiqué avoir étroitement suivi les travaux des rapporteurs, notamment lorsque ces derniers se sont heurtés aux réticences de la direction de l'entreprise à ce qu'ils se rendent à l'usine de Saint-Chamond.

M. Yves Fromion a souligné qu'il était sans doute excessif d'indiquer que les dirigeants de l'entreprise ne s'étaient pas rendus sur certains sites depuis plusieurs années, car, lors de la mission d'information qu'il a réalisée avec M. Jean Diébold en 2002, il s'est déplacé dans chacun des établissements en compagnie du secrétaire général de l'entreprise.

M. Jean-Claude Viollet a précisé que les dirigeants de l'entreprise ne se sont pas rendus dans certains établissements depuis avril 2003, date de l'annonce du plan de restructuration Giat 2006, alors même que ce dernier avait des conséquences sociales et industrielles très importantes et qu'il importait de l'expliquer et de le faire vivre parmi les personnels.

M. Michel Voisin a souligné que l'histoire de Giat Industries se caractérisait par la reproduction des mêmes errements, ces derniers aboutissant toujours à des résultats identiques. Il a indiqué que si un nouveau plan de restructuration et de recapitalisation de l'entreprise était proposé, il se prononcerait en défaveur de celui-ci, car ce serait sans doute le seul moyen de faire réellement évoluer la situation de l'entreprise.

Il importe également de souligner que l'ouverture d'un commissariat de l'armée de terre à Roanne, qui a permis de créer plusieurs dizaines d'emplois dans le bassin concerné, aura pour contrepartie la fermeture d'un établissement similaire dans l'Ain, ce qui se traduira par des suppressions de postes dans ce département.

Il a observé qu'à l'occasion de son déplacement aux Emirats Arabes Unis, en compagnie de M. Joël Hart, des responsables émiriens avaient proposé la création d'une société franco-émirienne destinée à gérer les difficultés suscitées par le maintien en condition opérationnelle des chars livrés par Giat Industries ; cette solution n'a toutefois pas été retenue par les dirigeants de la société, lesquels sont restés dans une logique de fuite en avant.

Il est erroné de prendre en compte les recettes de TVA sur les chars Leclerc pour établir les résultats de la société, alors même que la TVA doit in fine être reversée à l'Etat. Cette présentation s'avère particulièrement trompeuse. Dans ces conditions, M. Michel Voisin s'est étonné que le président de Giat Industries reçoive régulièrement d'importantes primes.

S'interrogeant sur les responsables d'une situation aussi affligeante et ubuesque, M. Michel Dasseux a estimé qu'il ne s'agissait pas des employés mais plutôt des cadres et de la direction de l'entreprise qui, à la différence des personnels ouvriers et techniques, ne sont pas menacés par les licenciements. Se référant à sa propre expérience de responsable syndical, il a jugé que les représentants du personnel n'ont pas pour habitude de détruire l'outil de travail. Les erreurs constatées dans le cas de Giat Industries apparaissent bien imputables à la gestion de la direction.

M. Georges Siffredi a estimé qu'il n'est pas possible d'affirmer que la responsabilité des difficultés que rencontre Giat Industries est imputable à la seule direction de l'entreprise. Depuis des années, l'ensemble du personnel, direction et syndicats, s'est complu dans le soutien financier sans faille et régulièrement assuré de l'Etat. En outre, certains syndicats n'adoptent pas une attitude très constructive s'agissant du reclassement des effectifs concernés par le plan social, même si ce n'est pas le cas de toutes les organisations représentatives du personnel.

S'exprimant en sa qualité de rapporteur pour avis sur les crédits de l'armée de terre pour 2003, 2004 et 2005, M. Joël Hart a insisté pour que la commission se comporte de manière unanime et responsable sur les suites à donner au constat dressé par les rapporteurs. Il a ensuite observé que, si certaines critiques ont été émises à l'encontre de l'armée de terre et de la délégation générale pour l'armement (DGA) dans le déroulement du programme Leclerc, il faut reconnaître les réelles difficultés de programmation technique et financière d'un tel projet d'armement. Il est plus que probable que les nouvelles dates butoir de livraison des derniers chars ne seront pas tenues, ne serait-ce qu'en raison des adaptations, notamment informatiques, qui émaillent fatalement le déroulement de tout programme d'armement moderne s'étalant sur une quinzaine d'années.

Faut-il craindre pour l'avenir de Giat Industries ? La représentation nationale se doit de penser au personnel et aussi à la situation des bassins d'emploi locaux concernés.

S'agissant des perspectives de création d'une société commune avec les Emirats arabes unis, il est vrai que des discussions approfondies ont eu lieu sur ce sujet lors d'un déplacement de parlementaires de la commission dans ce pays, cette démarche traduisant une réelle volonté de ce partenaire de la France de s'émanciper un peu plus de l'influence des Etats-Unis. L'image de Giat Industries à l'étranger est un paramètre essentiel et le fait qu'elle soit gravement ternie désormais suscite de sérieuses inquiétudes.

Pour toutes ces raisons, et parce que la situation actuelle appelle des décisions courageuses sans pour autant créer de discriminations avec les salariés d'autres entreprises, notamment celles du secteur privé, M. Joël Hart a lui aussi fait part de son opposition à toute nouvelle recapitalisation de Giat Industries.

M. Jean-Claude Viollet a rappelé que la représentation nationale avait su examiner avec sérieux la situation de nombreuses autres grandes entreprises. Il n'y a donc pas de raison qu'il en aille autrement avec Giat Industries. L'Etat poursuit trois objectifs fondamentaux : tenir les engagements du plan social à l'égard des personnels ; préserver l'existence d'une entreprise d'armement terrestre en France ; prendre en considération la situation des différents bassins d'emploi concernés, en liaison avec les élus locaux. La représentation nationale, aujourd'hui comme demain, ne peut que rester unie face à de tels engagements.

M. Jean Michel a estimé que si les rapporteurs n'avaient pas pu se rendre à leur demande sur le site de Saint-Chamond, la commission aurait été en droit de décider de s'y rendre avec eux. Il a ensuite observé que la démagogie et le fait de retarder les décisions courageuses se paient toujours à un moment ou l'autre. En l'occurrence, la responsabilité de la situation de Giat Industries incombe à l'Etat, indépendamment des majorités au pouvoir. Le constat dressé par les rapporteurs jette, a posteriori, un certain discrédit sur les autorisations de recapitalisations successives, votées par le Parlement, qui se sont élevées à près de 4,3 milliards d'euros au total. Il appartient désormais à la représentation nationale d'éviter tout double langage, c'est-à-dire d'assumer, y compris sur le terrain, des décisions qui peuvent être impopulaires.

Se déclarant effaré par la communication des rapporteurs, M. Hugues Martin a évoqué la possibilité, pour la commission, de convoquer les dirigeants de Giat Industries.

M. Georges Siffredi a précisé que la visite de deux sites avait été demandée : Roanne et Saint-Chamond. L'accès à Saint-Chamond n'a pas été formellement refusé, mais la direction de Giat s'est efforcée de dissuader les rapporteurs d'y accéder.

M. Gérard Charasse a invité les rapporteurs à se rendre à Cusset. Ce site abrite la société Manurhin, filiale de Giat Industries, qui a longtemps servi de variable d'ajustement au groupe et dont les salariés se trouvent aujourd'hui dans une situation délicate dans un bassin d'emploi difficile.

Il a par ailleurs rappelé que le recrutement, par les collectivités territoriales, d'anciens employés de Giat est contraint par la situation de chaque bassin d'emploi, d'une part, et par les règles de recrutement dans la fonction publique territoriale, d'autre part. A Cusset, un seul ancien employé de Giat a été embauché par la collectivité locale. En outre, il convient de ne pas retourner vers les élus locaux ou les salariés des responsabilités qui incombent à l'Etat ainsi qu'à la DGA.

La situation présentée par les rapporteurs fait état d'un gâchis financier, technologique et humain. En raison de cette situation, il sera difficile de faire accepter un nouveau plan de restructuration le cas échéant. Discuter avec une direction qui a montré son incompétence ne paraît pas utile.

M. Jérôme Rivière a indiqué qu'une communication de cette nature ne resterait pas confidentielle. Elle constitue une bombe publique qui pose la question du devenir de l'entreprise. Elle ne peut pas ne pas être suivie d'effet et portera un coup sévère à Giat Industries.

M. Yves Fromion a ajouté que Giat n'est pas seule concernée, les propos tenus peuvent s'avérer lourd de conséquences pour l'avenir de l'ensemble de l'armement terrestre français.

Regrettant que soit stigmatisé le rôle des élus locaux, il a observé que d'anciens salariés de Giat ont déjà été embauchés par les collectivités locales à l'occasion des différents plans de restructuration qui se sont succédés. Il a regretté que la responsabilité de l'Etat, si elle est soulignée, ne soit pas plus affirmée. Il a par ailleurs rappelé qu'il avait déjà préconisé, à l'occasion d'un rapport publié en 2002, de ne pas attendre 2006 pour réfléchir à l'adossement industriel de Giat afin d'éviter la situation actuelle que connaît le groupe. Il a enfin souhaité connaître l'origine des fonds qui ont servi à recapitaliser Giat à hauteur d'un milliard d'euros fin 2004, étant entendu qu'ils ne devaient pas être prélevés sur le budget du ministère de la défense.

M. Jean-Claude Sandrier a souligné que si la situation de Giat Industries était comparée avec dérision à l'écroulement de l'URSS, des entreprises privées telles que Vivendi ou Enron, gérées différemment, avaient également connu de graves difficultés. C'est le Gouvernement qui, en 1989, a modifié le statut de Giat Industries dans le but de rendre l'entreprise plus concurrentielle : on voit aujourd'hui le résultat. Que penser, avec quinze ans de recul, du discutable choix de réduire de 1 400 à 406 le nombre de chars Leclerc commandés à l'entreprise ? Par ailleurs, la comparaison entre Giat Industries et DCN n'est pas valide. DCN bénéficie en effet de la priorité accordée au groupe aéronaval dont l'entretien fournit un grand nombre d'heures de travail. L'armement terrestre, en revanche, a été délaissé par un choix politique qu'il convient aujourd'hui d'assumer. La diversification des activités de l'entreprise, qui aurait pu constituer une réponse au problème de la baisse d'activité, a toujours été refusée. Le passage de 15 000 à 3 000 postes a mis l'entreprise à genoux alors qu'elle demeure détentrice d'un très haut savoir-faire. Dans ces conditions, il serait utile que la commission de la défense organise une rencontre mettant en présence les responsables du ministère, la DGA, les syndicats, la direction de Giat et des parlementaires.

M. François Huwart a considéré que le travail de la mission pourrait être utilement complété par une audition des responsables chargés du suivi de l'évolution de Giat Industries au sein de l'administration. Les enjeux sociaux sont évidents. Existe-t-il encore des enjeux industriels ?

M. Axel Poniatowski a jugé que la communication était certes accablante, mais qu'elle n'apportait rien de très nouveau. Est-ce qu'une nouvelle direction serait capable de mieux gérer la société ? Au regard des avantages dont il bénéficie, le personnel de l'entreprise n'a aucune raison d'aller travailler ailleurs. Le rapport pourrait s'enrichir d'une comparaison du coût d'un salarié de Giat Industries avec celui de salariés d'autres pays travaillant dans la même branche d'industrie. En tout état de cause, les perspectives de diversification dans le civil de Giat Industries sont nulles. Souhaitons-nous que l'industrie de l'armement terrestre soit protégée et ne serve que les intérêts de l'armée française ? Souhaitons-nous, au contraire, qu'elle renforce sa compétitivité et exporte ?

La valeur ajoutée de Giat Industries repose essentiellement sur ses bureaux d'étude. L'avenir de l'entreprise passe par le développement d'une activité de systémier, pas par la sauvegarde à tout prix d'emplois ou de sites.

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