COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 42

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 27 septembre 2005
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

pages

- Examen du rapport d'information sur les nouveaux défis de la construction de l'Europe de la défense (MM. Jean Michel et Jérôme Rivière, rapporteurs)


2

- Information relative à la commission

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Nouveaux défis de la construction de l'Europe de la défense (rapport d'information).

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné le rapport d'information de MM. Jean Michel et Jérôme Rivière sur les nouveaux défis de la construction de l'Europe de la défense.

M. Jean Michel, rapporteur, a estimé que le contexte dans lequel se trouve la construction européenne aujourd'hui se prête à des initiatives pour relancer la dynamique. La défense figure au rang des sujets susceptibles de fixer un nouveau cap à l'Europe.

L'idée d'une Europe de la défense est devenue véritablement crédible lorsque le Royaume-Uni et la France se sont mis d'accord pour considérer, d'une part, que l'Union européenne avait vocation à intervenir de manière autonome pour des opérations de maintien de la paix et, d'autre part, pour crédibiliser cette ambition sur le plan des capacités. Cette convergence de vues s'est exprimée lors du sommet de Saint-Malo, le 4 décembre 1998. L'Union européenne s'est engagée depuis dans le sillage de cette impulsion franco-britannique avec, dans un premier temps, la fixation de l'objectif global d'Helsinki, en 1999, et la création d'une force de réaction rapide de 60 000 hommes, puis, dans un second temps, l'institutionnalisation d'organes de décision et d'expertise militaire (comité politique et de sécurité, comité militaire et état-major de l'Union, entre autres). Plus récemment, les Etats membres se sont ralliés à l'idée, promue par la France, de créer des groupements tactiques interarmées de 1 500 hommes ainsi qu'une force de gendarmerie européenne.

Les résultats opérationnels de cette évolution sont là. L'Union européenne a pu prendre la responsabilité de trois opérations ces dernières années : deux avec le soutien logistique de l'Alliance atlantique (Concordia, en Macédoine, et Althéa, en Bosnie Herzégovine) ; la troisième (Artémis, en Ituri) ayant été conduite de manière totalement autonome.

Parallèlement à ces progrès tangibles, le secteur de l'armement a lui aussi amorcé sa mue européenne. Dès la fin des années 1990, sous la pression de budgets à la baisse, les restructurations sont apparues inéluctables. L'aéronautique, les missiles, l'électronique et le spatial ont été les premiers domaines d'activités concernés, avec la création de BAe Systems, d'EADS, de MBDA, de Thales ou encore d'Astrium. L'avènement de groupes « transnationaux » a conduit les Etats européens dans lesquels ces entreprises étaient implantées à réfléchir sur une harmonisation des procédures afin de faciliter leur fonctionnement et la circulation des composants nécessaires à la fabrication des matériels. C'est ainsi qu'a été signée, le 6 juillet 1998, une lettre d'intention (LoI) entre la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Suède, l'Italie et l'Espagne. Ce document a débouché, deux ans plus tard, sur un accord juridiquement contraignant : l'accord de Farnborough, ratifié par toutes les parties. Plus récemment, une agence européenne de la défense (AED) a été mise sur pied. Elle regroupe 24 des 25 membres de l'Union européenne, seul le Danemark n'en faisant pas partie, et devrait faciliter l'éclosion de projets technologiques véritablement fédérateurs ainsi qu'une harmonisation des équipements.

Tout récemment, le traité établissant une constitution pour l'Europe a tenté d'apporter de nouveaux aménagements institutionnels dans le domaine de la défense, avec les coopérations structurées permanentes, notamment. Présenté comme un saut qualitatif supplémentaire, en dépit d'une forme de hiérarchisation entre l'OTAN et l'Union européenne, figurant à l'article I-41, il n'a pas été ratifié par le référendum du 29 mai 2005. Le gel du texte, qui résulte de ce vote et de celui du peuple hollandais, quelques jours plus tard, ne remet nullement en cause le fondement juridique de l'AED, créée sur la base d'une action commune le 12 juillet 2004, ni même la solidarité des Etats membres dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ou d'éventuelles catastrophes, ce qu'atteste la déclaration sur la solidarité contre le terrorisme adoptée lors du Conseil européen de Bruxelles, le 25 mars 2004, pour faire suite aux attentats de Madrid.

M. Jean Michel a ensuite fait valoir qu'en dépit des progrès observés au cours de ces dernières années, l'Europe de la défense rencontre aujourd'hui de sérieux obstacles.

Tout d'abord, les institutions mises en place à Bruxelles ne correspondent pas vraiment à une chaîne de commandement opérationnel, en dépit de la création prochaine d'une cellule de planification au sein de l'état-major. La véritable source du problème est bien entendu financière. La question des dépenses des pays européens en faveur de leur défense est récurrente depuis la chute du mur de Berlin. Après 1989, beaucoup d'Etats de l'Europe occidentale ont considéré, à tort, pouvoir bénéficier des « dividendes de la paix ». C'est ainsi que de 1993 à 1998, les budgets de défense du Royaume-Uni, de la France, de l'Allemagne et de l'Italie ont respectivement diminué de 13,8 %, 14,1 %, 16,4 % et 35,1 %.

Depuis 2002, seules la Grande-Bretagne, la France et la Grèce consacrent plus de 2 % de leur produit intérieur brut (PIB) à leur défense, avec respectivement 2,2 %, 2 % et 3 % en 2004. Avec des financements atteignant 1,8 % du PIB, la Suède n'en est pas très éloignée. Les autres pays se situent à des niveaux bien moindres : 1,1 % pour l'Allemagne, 1,2 % pour l'Italie, 0,9 % pour l'Espagne. Les écarts sont encore plus parlants s'agissant des dépenses d'équipement : alors que la France et la Grande-Bretagne consacrent respectivement 0,7 et 0,6 % de leur PIB à des acquisitions de matériels, l'effort de l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne oscille entre 0,2 et 0,3 % du PIB. Seule la Suède fait mieux, avec 0,9 %, en se rapprochant ainsi des Etats-Unis qui consacrent 1 % de leur PIB à leurs matériels militaires.

En outre, alors que les vingt-cinq Etats membres de l'Union européenne dépensent globalement 160 milliards d'euros pour leur défense, soit un peu moins de la moitié du budget du Pentagone qui avoisine 333 milliards d'euros en 2005, ils disposent de capacités militaires équivalant à seulement 20 % de celles de leur allié d'outre Atlantique. La guerre du Kosovo en a administré la preuve en 1999. Plus récemment, la guerre d'Irak a également mis en évidence la distorsion des moyens américains par rapport à leurs soutiens européens, le Royaume-Uni, l'Italie, la Pologne, les Pays-Bas et le Danemark ne pouvant déployer durablement, en 2003 et 2004, qu'un total de 16 000 hommes, alors que les Etats-Unis maintenaient sur place de 115 000 à 140 000 soldats.

Pour ce qui concerne l'Europe de l'armement, la LoI, qui procédait d'une bonne idée, n'a pas atteint ses objectifs. Progressivement, l'impulsion politique a cédé le pas au travail administratif limitant d'autant la portée des avancées envisageables. Si elle a favorisé quelques avancées timides dans le domaine des exportations d'armements avec l'adoption d'un mécanisme commun de licence globale, elle n'a pas pour autant débouché sur une procédure unique et harmonisée, chaque Etat continuant à appliquer des règles et des contrôles qui lui sont propres. A titre d'illustration, un ingénieur britannique ne peut accéder au territoire national français avec un ordinateur portable sans l'autorisation de son gouvernement, même s'il s'agit d'un déplacement dans une succursale de sa propre entreprise. De même, il n'est pas possible à une société comme MBDA de transporter une maquette de missile depuis la France vers l'Italie ou l'Allemagne, afin de l'exposer dans un salon de l'armement, sans avoir reçu au préalable une autorisation de la commission interministérielle pour l'étude d'exportation de matériels de guerre (CIEEMG).

Il faut voir, derrière ces obstacles, la marque d'une absence de vision commune entre les Etats membres. Tous les pays européens n'ont pas les mêmes ambitions pour l'Europe, ni les mêmes intérêts dans l'Union européenne. Peu d'entre eux partagent la volonté française de faire de l'Europe un acteur mondial capable d'agir de la même manière que les Etats-Unis, la Russie ou, demain, la Chine, l'Inde voire le Brésil. De cette divergence de fond, découlent bien des difficultés pour faire avancer les différents aspects de l'Europe de la défense.

Après avoir estimé que la mission d'information avait permis à deux parlementaires français d'expliquer à nos partenaires que les résultats du référendum du 29 mai ne signifient pas un rejet de l'Europe de la défense, M. Jérôme Rivière, rapporteur, a mis en exergue les trois grands types de défis auxquels l'Europe de la défense est aujourd'hui confrontée : le défi capacitaire ; la relation avec l'OTAN ; l'Europe de l'armement.

Les lacunes capacitaires de l'Union européenne sont réelles et importantes. Dans le cadre du plan européen d'action pour les capacités ECAP, dix-neuf groupes de travail ont formulé 115 propositions d'amélioration. A la suite d'une suggestion française, en mai 2003, le Conseil européen de Bruxelles des 17 et 18 juin 2004 a adopté l'objectif global 2010, complétant celui d'Helsinki. L'Union s'est ainsi assignée le but de parvenir progressivement à une interopérabilité complète des matériels, des forces et des structures de commandement. Sur le fond, cet objectif permettra à l'Europe d'être plus efficace grâce à la mise en place d'unités légères et facilement projetables. Cependant, sur le plan des capacités matérielles, l'expérience du plan ECAP montre que les avancées obtenues depuis 1999 ont été modestes faute de budgets à la hauteur des besoins. Certains pays, comme l'Italie, imputent même le financement de matériels aussi emblématiques que les frégates européennes multimissions au budget de ministères civils.

S'agissant du lien entre l'Europe de la défense et l'Alliance atlantique, l'Union européenne demeure aujourd'hui encore dépendante de l'OTAN pour mener des opérations d'envergure. C'est en effet grâce à l'accord dit de « Berlin plus » qu'elle a pu conduire les opérations Concordia et Althéa. Tout se passe donc comme si l'OTAN était seule compétente pour conduire des opérations de haute intensité (hard defense) tandis que l'Union européenne devrait se contenter d'assurer le suivi des crises (soft defense). Certaines prises de position récentes de hauts responsables du Département d'Etat américain tendent d'ailleurs à accréditer cette thèse à travers la revendication pour l'Alliance atlantique d'un droit de premier refus quant aux souhaits de l'Union européenne d'agir militairement dans une crise. L'exemple du Darfour a lui-même illustré ce contexte, l'Union ayant dû se résoudre à laisser l'OTAN intervenir à ses côtés malgré une présence sur place bien antérieure. Cette concurrence larvée entre l'Alliance atlantique et l'Europe de la défense n'est évidemment pas satisfaisante.

Sur le plan institutionnel, l'Union européenne s'est évertuée à mettre en place des structures de planification et de commandement autonomes, ce qui a pu être interprété par les plus atlantistes de ses membres comme un doublonnage des structures de l'Alliance atlantique. Le point de fixation le plus dur a porté sur la création d'un quartier général d'opérations (OHQ) européen, qui soit distinct du grand quartier général des forces alliées en Europe (SHAPE), à l'OTAN. Il a finalement été trouvé une solution à travers la mise en place d'une cellule de liaison de l'Union au sein du SHAPE. Enfin, l'Alliance et l'Union s'attachent, chacune à son niveau, à définir des normes techniques standard pour l'équipement de leurs forces. La compatibilité des critères retenus par le commandement allié pour la transformation (ACT) de Norfolk, responsable de la modernisation de l'OTAN, et le plan d'action européen sur les capacités est donc essentielle. Il faut prendre garde, cependant, à ce que les exigences fixées à Norfolk ne conduisent pas, à terme, à une éviction de facto des solutions techniques mises au point par les industriels européens. Le risque est en effet réel de voir, par ce biais, une certaine forme de mise à mort de l'indépendance européenne dans le domaine de l'armement.

Par voie de conséquence, il semble de l'intérêt réciproque de l'Union et de l'OTAN de procéder à un aggiornamento quant au partage de leurs tâches et à la convergence technique de leurs moyens.

Le défi de l'avènement d'un marché européen de la défense est lui aussi essentiel. Il suppose, au préalable, une poursuite de l'intégration industrielle, sujet sur lequel la commission a déjà débattu à plusieurs reprises. L'unification des marchés de défense nationaux en Europe en est le pendant. La Commission européenne a engagé une procédure de consultation à la suite de la publication, le 23 septembre 2004, d'un livre vert sur les marchés publics de défense en Europe. Elle propose soit l'adoption d'une communication interprétative, soit la rédaction d'une directive, toutes deux destinées à restreindre le champ d'application de l'article 296 du traité instituant la Communauté européenne, qui exonère les marchés de défense des règles de la concurrence. Il n'est pas pour autant exclu des dispositions garantissant la sécurité des approvisionnements, notamment à travers la reconnaissance de critères portant sur la propriété des entreprises fournisseurs. Ce dernier aspect est d'ailleurs essentiel.

Sur la base de ces constats, M. Jérôme Rivière a formulé plusieurs propositions.

Il semble nécessaire, en premier lieu, de réévaluer et de réorienter l'effort européen de défense à travers des objectifs de convergence en faveur de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Adoptés par les Etats désireux de jouer un rôle d'entraînement dans la défense européenne, ceux-ci pourraient porter sur le niveau des dépenses globales par rapport au PIB, un taux de 2 % semblant un seuil pertinent, ainsi que sur le ratio des dépenses en capital par rapport à la richesse nationale, un taux de 0,5 % apparaissant suffisant. L'accroissement qui en résulterait pour l'enveloppe budgétaire dévolue à la défense en Europe oscillerait ainsi entre 35 et 40 milliards d'euros. Ces objectifs pourraient aussi être assortis d'un assouplissement des normes du pacte de stabilité en ce qui concerne les déficits budgétaires autorisés : les acquisitions d'armements intégralement européens seraient exclues des catégories de dépenses devant respecter la limite des 3 % du PIB, ce qui constituerait une forme d'incitation à l'investissement dans le secteur de l'armement européen tout en renforçant l'autonomie capacitaire de l'Union. Les achats d'armements étrangers ne seraient nullement interdits mais ils entreraient en ligne de compte pour l'évaluation des déficits publics.

L'autre versant de cet axe politique consiste à faire de la recherche une priorité européenne. Pour ce faire, il conviendrait de doter l'AED d'un budget de recherche technologique (R&T) de 200 millions d'euros, qui serait abondé par des contributions nationales obligatoires, calculées en fonction du PIB.

En second lieu, la mise sur pied d'un marché unique de l'armement est devenue indispensable, mais pas à n'importe quelles conditions. D'abord, l'AED doit devenir rapidement le seul organisme européen de gestion des programmes d'armement menés en coopération, ce qui signifie qu'elle devrait absorber l'organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR) selon un échéancier rapide. Ensuite, il convient d'abolir une fois pour toutes les frontières internes pour les équipements militaires européens en négociant un « Schengen de l'armement ». C'est là une condition essentielle pour des sociétés de l'armement transnationales. Il s'avère aussi indispensable de mieux équilibrer les règles applicables de part et d'autre de l'Atlantique. Il faut donc mieux protéger les industries européennes de la défense vis-à-vis des prises de participation non européennes, en faisant établir par l'AED une liste, actualisée annuellement, des industries européennes maîtrisant les technologies sensibles indispensables à l'indépendance de l'Europe. D'autre part, il serait souhaitable de susciter une réciprocité européenne à ce qu'ont fait les Etats-Unis en matière d'acquisition d'armements avec le Buy American Act.

Enfin, en troisième et dernier lieu, la lisibilité de la PESD doit être accrue à travers une planification stratégique commune, sorte de livre blanc européen sur la défense, qui fait actuellement cruellement défaut.

Le Président Guy Teissier a souligné qu'il avait tenu à ce que le rapport soit l'expression d'un sentiment consensuel de la commission, ce qui l'avait conduit à proposer la désignation de deux rapporteurs de sensibilités politiques différentes. Le débat sur le traité établissant une constitution pour l'Europe est désormais tranché et il convient d'aller de l'avant. S'il faut saluer la modération générale des propos des rapporteurs, leur appréciation figurant dans leur rapport écrit sur l'absence de ratification dudit traité ne correspond pas nécessairement au sentiment de l'ensemble des commissaires.

Pour argumenter sa prise de position, M. Jean Michel a déclaré que, lors du dernier déplacement effectué par les rapporteurs à Londres, en réponse à une question sur le cadre dans lequel devait s'inscrire la construction de l'Europe de la défense, un représentant du Foreign office avait indiqué que le traité constitutionnel prévoyait explicitement que l'Europe de la défense se réaliserait sous l'égide de l'OTAN.

Le Président Guy Teissier a déclaré partager avec les rapporteurs le souci d'une complémentarité entre l'Europe de la défense et l'OTAN, de même que l'importance accordée à l'agence européenne de la défense et les inquiétudes relatives à la redondance entre l'OCCAR et celle-ci, ces deux institutions ne pouvant fonctionner parallèlement de façon pérenne. Il a ajouté que l'objectif de consacrer 2 % du PIB aux dépenses de défense est raisonnable et correspond sensiblement à l'effort réalisé par la France, important au regard du contexte économique mais suffisant au vu de nos besoins militaires.

Il a ensuite souhaité savoir quel avait été l'accueil réservé aux propositions des rapporteurs dans des pays comme l'Espagne, le Danemark et la Suède, qui en pratique adoptent souvent des positions très atlantistes. Comment faire prendre conscience aux Etats faisant des efforts limités en matière de défense de la nécessité de consentir collectivement un supplément d'environ 40 milliards d'euros ?

Les travaux de la commission de la défense et les universités d'été de la défense ont témoigné du fait que les parlementaires des pays concernés sont souvent plus volontaires que leurs gouvernements sur le sujet. Il serait sans doute utile de prendre davantage contact avec les députés européens, afin qu'ils relaient ces préoccupations au sein des institutions communautaires.

M. Jérôme Rivière a précisé que la suggestion de consacrer 2  % du PIB aux dépenses militaires constituait avant tout un objectif de convergence permettant aux Etats européens de s'engager dans un processus progressif de rétablissement de leur effort budgétaire. Il est nécessaire que les parlementaires nationaux travaillent en liaison plus étroite avec leurs collègues parlementaires européens, mais également qu'ils puissent faire valoir auprès des représentants de la Commission européenne qui traitent des dossiers relatifs à la défense, la volonté et les contraintes proprement politiques.

M. Jean Michel a indiqué que si les idées reçues tendaient à faire penser que la Commission européenne laissait l'ensemble des questions de défense traitées au niveau intergouvernemental et qu'il fallait se défier du « machin » européen, de fait les rencontres avec les responsables de la Commission ont témoigné du contraire. Il existe une véritable prise de conscience des nécessités de la protection des intérêts industriels européens et de la constitution d'une défense autonome européenne. Ces convictions sont parfois plus manifestes que chez certains responsables nationaux rencontrés au cours des déplacements. Ainsi, les parlementaires allemands de toutes tendances politiques ont semblé bien s'accommoder de la situation actuelle du relatif retrait de l'Allemagne en matière de défense. Cette position est partagée par d'autres Etats, comme le Portugal et l'Italie, qui ne sont d'ailleurs guère préoccupés par le rachat de leurs entreprises de défense par des capitaux américains.

La raison en tient au fait que les Etats-Unis maintiennent encore une forte présence militaire sur le continent européen. Pourtant, si l'arrivée de troupes étrangères il y a soixante ans a constitué une libération, le maintien actuel de celles-ci sur le territoire de certains Etats européens devrait amener à se demander s'il ne s'agit pas désormais d'une occupation.

M. René Galy-Dejean a estimé que la constitution d'une défense européenne depuis plusieurs décennies conduisait à un constat pessimiste. Les difficultés de l'entreprise ont été bien identifiées et relèvent largement de la volonté américaine d'empêcher l'aboutissement d'un tel projet. Les progrès qui ont pu être néanmoins réalisés ont trouvé leur origine dans l'action de la Commission européenne et des chefs d'Etats et de gouvernements, c'est-à-dire de la « technostructure européenne ». Ce mode de fonctionnement a atteint ses limites en raison du refus de la plupart des Etats membres de l'Union de procéder aux dépenses nécessaires en matière de défense. De ce point de vue, le traité établissant une constitution pour l'Europe aurait permis, avec l'appui du vote des peuples, de contraindre les gouvernements à mieux prendre en considération la défense européenne et d'en payer le prix. Ce bond en avant a été raté. Le vrai défi réside désormais dans le fait de convaincre les deux rapporteurs d'information d'avoir, à l'avenir, une attitude positive face à des avancées de l'Europe de la défense similaires à celles prévues par le projet de constitution européenne.

M. Jérôme Rivière a relevé que les progrès de l'Europe de la défense ne sont pas tous à mettre sur le compte de la technostructure européenne, citant à ce sujet le cas de la LoI, initiative politique portée par six ministres de la défense désireux de réduire les barrières européennes à la coopération et à l'exportation en matière d'armement. D'ailleurs, les industriels rencontrés par les rapporteurs ont souligné que, si la LoI n'a pas eu le succès escompté, c'est que sa mise en œuvre n'a pas été suffisamment suivie et soutenue par les acteurs politiques.

M. René Galy-Dejean a précisé qu'il accordait une acception large au terme « technostructure européenne », puisqu'il englobait à ses yeux les ministres et les gouvernements des Etats membres.

M. Jean Michel a indiqué qu'il serait effectivement souhaitable d'établir des contacts avec les membres des commissions de la défense des parlements des différents Etats européens, ceux-ci se montrant très intéressés par de telles rencontres, qui permettent d'aborder des idées nouvelles et d'en discuter librement, par exemple en ce qui concerne le principe de préférence communautaire ou la protection des industries militaires selon des modalités similaires à celles en vigueur aux Etats-Unis. Ce type d'échanges est également propice à l'examen de propositions plus audacieuses, comme celle de conditionner le versement des fonds structurels européens aux Etats membres à leur choix d'acheter des équipements militaires européens.

Le président Guy Teissier a souligné qu'il avait lui-même avancé cette proposition à l'occasion des dernières universités d'été de la défense et qu'il avait également proposé de désigner des parlementaires référents travaillant sur les exportations d'armement dans les différentes régions du monde.

Après avoir salué la qualité du rapport, M. Charles Cova a demandé si les rapporteurs avaient rencontré des responsables de l'OTAN.

M. Jérôme Rivière a répondu que M. Jaap de Hoop Scheffer, secrétaire général de l'OTAN, avait été auditionné. C'est lors de cet entretien, notamment, qu'a été évoquée la demande, avancée par les Etats-Unis et relayée par l'Alliance atlantique, de donner à cette dernière un droit de veto sur les interventions militaires envisagées par l'Union européenne.

M. Jean-Michel Boucheron a constaté l'échec à l'exportation essuyé par les industries européennes lorsqu'elles interviennent dans des marchés captifs ou semi-captifs des Etats-Unis, en se référant notamment au choix de Singapour en faveur du F15 . Dans le même temps, les entreprises européennes qui ont tenté de pénétrer le marché de défense américain, par exemple en recourant à des prises de participation croisées avec des entreprises américaines, ne parviennent pas à obtenir des contrats du Pentagone. On ne peut que constater la totale étanchéité et la protection absolue de l'économie de défense américaine, que ce soit sur le territoire des Etats-Unis ou dans les pays sous leur influence. Dès lors, on peut se demander si les industries de défense européennes atteignent le seuil nécessaire, compte tenu du volume du marché militaire européen, permettant d'entretenir des activités de recherche suffisantes pour rester à la pointe des développements technologiques. En conséquence, ne se dirige-t-on pas inéluctablement vers des restructurations industrielles en Europe ?

M. Jean Michel a relevé que, en ce qui concerne la vente d'avions de combat à Singapour, il ne s'agissait pas de l'échec d'une offre européenne, mais de celui d'une offre d'un seul pays européen face à l'influence des Etats-Unis. De fait, le choix réalisé par Singapour apparaît bien d'ordre politique et ne se fonde pas sur des critères techniques et industriels. S'agissant des prises de participation d'entreprises américaines dans des sociétés européennes, le discours de M. Nick Witney, directeur général de l'agence européenne de la défense, a évolué dans le temps. M. Witney s'est ainsi montré très volontariste dans un communiqué récent traitant des transferts de technologies lors de rachats d'entreprises européennes par des groupes américains, alors même que la législation américaine prohibe les transferts de technologies d'un groupe américain acquis par un acteur étranger. Dans la plupart des pays européens, il n'existe aucune protection contre des transferts de technologies et celles-ci peuvent ainsi être pillées sans obstacle. On peut donc déplorer une asymétrie certaine dans ce domaine. La plupart des responsables rencontrés par les rapporteurs se sont d'ailleurs montrés peu sensibles à l'adoption d'une législation protectrice, arguant du principe de la libre concurrence. Pour toutes ces raisons, il est impératif de créer un véritable marché européen de l'armement alors que tel n'est pas encore le cas, puis de le protéger en s'inspirant de la législation des Etats-Unis.

L'espoir reste néanmoins permis car l'Europe conserve des atouts. En effet, selon une étude américaine, lorsqu'un dollar est dépensé en matière de recherche et de développement en Europe, les Etats-Unis doivent consacrer quatre dollars pour atteindre un résultat technologique identique.

M. Christian Blanc a relevé tout l'intérêt du rapport, en soulignant qu'au regard du contexte économique actuel, la question du manque de moyens financiers, particulièrement en France, va se poser avec de plus en plus d'acuité au cours des prochaines années, ce qui risque d'affaiblir la force de proposition de notre pays sur la scène européenne. En France, la dette publique s'accroît de façon continue, pour dépasser désormais 65 % du PIB, tandis que la croissance moyenne observée depuis une douzaine d'années se limite à 1,7 %. Cette situation résulte de la configuration actuelle de l'économie française, qui doit changer de modèle, en intégrant pleinement les activités de recherche et d'enseignement supérieur. Tous les pays qui ont fait ce choix économique bénéficient d'une croissance de 3 %. Or, un effort de guerre doit être préparé et reposer sur un mode d'organisation adapté, comme l'avait évoqué M. Jean Monet. Il est indispensable de disposer d'une économie en croissance, qui redonne des marges de manœuvre et un véritable potentiel, notamment dans le domaine militaire. Pour ce faire, il faut adopter une vision de long terme, en définissant avec précision les moyens que l'on veut utiliser.

Si l'on ne dote pas des instruments de croissance dont la France et l'Europe ont besoin, quand bien même les entreprises européennes de l'armement se seront rapprochées, elles finiront par être absorbées par leurs concurrentes américaines.

En réponse, M. Jérôme Rivière a considéré que, dans dix ans, il sera déjà trop tard pour l'Europe. A cet égard, peut être cité l'exemple de BAe Systems. Cette société, actuellement cotée à Londres, s'est posé la question de sa cotation à New York. L'absence de réaction devant cette éventualité est caractéristique de la situation d'une entreprise qui ne sait plus si elle doit se considérer comme européenne ou américaine. De manière paradoxale, en apparence seulement, ses représentants semblent les plus réceptifs à l'idée d'un marché européen de l'armement : peut-être parce qu'ils y voient la seule solution pour rester implantés en Europe ? Il est donc possible de réagir à temps, en construisant à brève échéance le Schengen de la défense que les rapporteurs appellent de leurs vœux.

M. René Galy-Dejean a estimé que le marché européen de la défense ne saurait se décréter. Sans la force de la contrainte, aucun résultat sérieux n'est à espérer.

M. Jean Michel a rappelé, à cet égard, le contenu des propositions du rapport. Il a ajouté que l'agence européenne de la défense permet de fédérer, sur la base du volontariat, les financements européens sur des projets spécifiques, avec de véritables économies d'échelle en perspective.

Le président Guy Teissier a souligné qu'une des propositions du rapport consiste justement à inciter fortement les pays membres de l'Union à acheter européen.

La commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

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Information relative à la commission

La commission de la défense nationale et des forces armées a nommé M. Jean-Claude Mignon rapporteur d'information sur Giat Industries : suivi des mesures sociales d'accompagnement, en remplacement de M. Georges Siffredi.

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