COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 31

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 18 décembre 2002
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

puis de M. François Goulard, Vice-président

SOMMAIRE

 

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- Rapport d'information sur le fichier national d'analyse des empreintes génétiques
(M. Marc Le Fur, rapporteur spécial)

- Information relative à la Commission

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La commission des Finances a procédé, sur le rapport de M. Marc Le Fur, à l'examen du rapport d'information sur le fichier national d'analyse des empreintes génétiques.

M. Marc Le Fur a indiqué qu'il avait souhaité aborder le dossier du fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) dans le cadre de ses fonctions de rapporteur spécial des crédits de la sécurité et dans la perspective de la discussion du projet de loi pour la sécurité intérieure en janvier prochain.

Il a rappelé que la France était confrontée à une montée inquiétante de la criminalité et de la délinquance - la barre des 4 millions de faits constatés a été franchie en 2001 - et, surtout, à un recul continu du taux d'élucidation des infractions, qui n'est plus aujourd'hui que de 25 %. Ce contexte, joint à la remise en cause de la « religion de l'aveu », souligne la nécessité de renforcer le rôle et les moyens de la police technique et scientifique, à la suite des efforts déjà entrepris dans le passé par MM. Pierre Joxe et Charles Pasqua.

Le FNAEG constitue l'un des outils d'investigation scientifique de l'avenir. Or, à l'heure actuelle, il ne comporte que les empreintes génétiques de 2 100 personnes. Ce chiffre témoigne du retard pris par notre pays, notamment à l'égard de la Grande-Bretagne, dont le fichier, créé en 1995, comporte les empreintes génétiques de plus de 1,7 million de personnes. L'objectif est d'atteindre le chiffre de 3 millions en 2004.

Le Rapporteur a souligné que les progrès intervenus en matière d'analyse génétique permettent aujourd'hui d'analyser des quantités infimes d'ADN retrouvées sur des supports très différents, dans des délais courts - qui peuvent être ceux de la garde à vue - et avec une fiabilité des résultats quasi-absolue.

Plusieurs affaires judiciaires célèbres ont mis en évidence l'intérêt du recours à ces méthodes. L'affaire Dickinson a démontré que l'analyse génétique pouvait aussi bien être utilisée à charge qu'à décharge et permettait aussi bien de disculper les innocents que de confondre les coupables. De même, l'affaire Guy George a démontré l'intérêt de l'existence d'un fichier centralisé, puisque l'on peut dire qu'un tel fichier opérationnel aurait permis d'éviter les deux derniers meurtres.

Si la France a pris du retard, c'est que le débat éthique y a été particulièrement vif, tant l'accolement de deux mots aussi sulfureux que « fichier » et « génétique » était de nature à susciter des réactions irrationnelles quoique infondées. En fait, le FNAEG ne doit pas être considéré différemment du fichier des empreintes digitales. Il s'agit, comme celui-ci, d'un fichier d'identification et non d'un fichier conservant les antécédents judiciaires, ou seulement policiers, des personnes qui y figurent.

L'évolution législative en matière d'identification génétique s'est faite en plusieurs étapes. La loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain a institué une procédure d'agrément des experts et des laboratoires habilités à procéder à des identifications par empreintes génétiques. Le FNAEG a été créé par la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles. Son champ d'extension initial était malheureusement trop réduit, puisqu'il était limité aux crimes et délits à caractère sexuel et aux seules personnes définitivement condamnées. Ce champ a été élargi par la loi du 15 novembre 2001. C'est cependant l'actuel projet de loi pour la sécurité intérieure qui apporte les extensions majeures, d'une part en élargissant le champ des infractions à une très large gamme de crimes et de délits, d'autre part, en permettant l'inclusion des empreintes génétiques des personnes mises en cause. De même, ce n'est que la loi du 15 novembre 2001 qui avait apporté une première réponse à l'éventuel refus de prélèvement, en en faisant un délit dans le cas des personnes condamnées. L'actuel projet de loi achève le processus, en incriminant également le refus de prélèvement opposé par une personne mise en cause.

Actuellement, l'ensemble du processus de l'analyse génétique est minutieusement organisé et totalement sécurisé. Un kit a été mis au point pour faciliter les prélèvements sur les personnes. L'analyse génétique proprement dite ne peut être réalisée que par des experts et des laboratoires agréés, l'alimentation du fichier est assurée par un site unique dépendant de la sous-direction de la police technique et scientifique. La conservation des scellés contenant les prélèvements est assurée par un service central dépendant de la Gendarmerie nationale.

Le Rapporteur a fait observer qu'après l'adoption définitive du projet de loi pour la sécurité intérieure, il n'y aura plus d'obstacle juridique à une généralisation du recours aux analyses génétiques et à une utilisation pleine et entière du FNAEG. Ceci est d'autant plus nécessaire que, comme le montre l'exemple britannique, le nombre de rapprochements permis par un tel fichier croît considérablement plus vite que le nombre d'informations qu'il contient.

Le défi est désormais administratif et financier. Les implications financières de l'utilisation du fichier vont être bouleversées par son extension. Dans sa configuration initiale, le FNAEG concernait environ 10 000 condamnés. La première extension opérée en 2001 portait le nombre d'empreintes génétiques potentielles à environ 100 000. Avec le projet de loi tel qu'il a été adopté par le Sénat, le nombre d'analyses génétiques possibles pourrait atteindre plus de 800 000 chaque année. Or, le coût marginal d'une analyse génétique s'élève à, au minimum, 45 euros si elle est réalisée dans les laboratoires de la police, qui se décomposent entre le coût du kit de prélèvement (10 euros) et les produits et réactifs utilisés au cours de l'analyse (35 euros). Le coût de 100 000 analyses peut donc être estimé à 4,5 millions d'euros. Par ailleurs, en cas de recours à des laboratoires extérieurs, l'analyse est facturée entre 350 et 400 euros, le prix intégrant naturellement les dépenses de personnel et d'équipement. Ce coût d'utilisation s'ajoute naturellement à l'investissement, initial ou d'ores et déjà programmé (près de 8 millions d'euros) et la créations d'emplois dans les laboratoires de police scientifique (87, dont 65 en 2003) ou au site central abritant le FNAEG (24).

Outre cet aspect financier, la montée en puissance du FNAEG posera également un problème d'organisation des services d'enquête. À l'heure actuelle, les services de l'identité judiciaire n'effectuent que 250 000 déplacements sur les lieux d'infractions, soit seulement une infraction sur 16. L'objectif des responsables est de parvenir à doubler ce chiffre. Un tel objectif est à la fois un gage d'efficacité des enquêtes, grâce au recueil des indices, et de respect des victimes. Par ailleurs, le soin apporté aux petites affaires peut parfois contribuer à en résoudre d'autres d'une beaucoup plus grande gravité. L'exemple de Khaled Kelkal, identifié par l'identité de l'empreinte digitale prélevée sur la bonbonne de gaz de l'attentat manqué contre le TGV avec la sienne, relevée lors d'un banal vol de voiture pour lequel il n'avait même pas été poursuivi, est particulièrement éloquent.

Ainsi donc, les préalables techniques et juridiques étant désormais levés, ce sont donc des considérations financières largement insoupçonnées, au moins du grand public, qu'il importe de résoudre pour faire pleinement de la science un auxiliaire de la justice.

Après l'intervention du Rapporteur, plusieurs commissaires sont intervenus.

M. François Goulard, Président, a félicité le Rapporteur pour la qualité d'un rapport qui permet une information complète d'un public de non spécialistes sur un sujet passionnant et essentiel pour l'efficacité de la lutte contre la criminalité.

Après avoir également félicité le Rapporteur, M. Pierre Hériaud a souligné l'importance du retard accumulé par la France en ce domaine. Par ailleurs, il a critiqué l'utilisation par le Rapporteur du concept de « coût marginal », estimant qu'en cette matière il s'agit plus, en réalité, d'un coût moyen ou d'un coût opérationnel.

M. Christian Cabal a estimé que ce rapport complète parfaitement le rapport qu'il avait remis au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques en 2001, rapport qui s'était borné à analyser l'aspect scientifique de ce dossier. Si l'utilisation du fichier est encore aujourd'hui très défaillante, la responsabilité en incombe totalement au Gouvernement précédent, lequel se retranchait derrière des considérations éthiques totalement infondées.

Les analyses génétiques sont aujourd'hui pratiquées sur la partie non codante de l'ADN nucléaire, qui ne permet donc pas de connaître les caractéristiques physiques ou pathologiques des personnes. Le caractère discriminant des analyses est très grand - les risques d'erreur étant de l'ordre de 1 pour 4 ou 5 milliards. En revanche, il est vrai que lorsque l'analyse porte sur l'ADN mitochondrial, présent dans l'épiderme ou les poils, ce caractère discriminant est plus faible, les caractéristiques de cet ADN n'étant transmis que par la mère. Comme le montrent certaines affaires, notamment en Corse, les avocats n'hésitent pas à s'introduire dans cette brèche.

La fiabilité des analyses est totale au niveau des laboratoires. Cependant, cette fiabilité peut être réduite en amont et en aval. En amont, si aucune précaution n'est prise pour éviter que la scène d'infraction soit polluée ou bouleversée par les premiers arrivants insuffisamment informés de l'importance des mesures de préservation de celle-ci. En aval, malgré les précautions prises, les résultats, qui se présentent sous la forme d'une suite de données chiffrées, peuvent faire l'objet d'une erreur de saisie, puisque celle-ci est faite manuellement. C'est pourquoi il importe d'améliorer la formation des personnels intervenant sur les lieux des infractions et de mettre en place une transmission automatique des résultats des analyses entre les laboratoires et le FNAEG.

M. Christian Cabal a tempéré l'idée selon laquelle l'analyse génétique permettait de désigner le coupable à coup sûr. La preuve génétique peut faire l'objet de manipulations, comme l'atteste l'existence d'un véritable marché noir des cagoules. Ainsi, la preuve génétique ne doit être considérée que comme un élément parmi d'autres et ne saurait suffire pour acquérir la certitude de la culpabilité. En revanche, la mise hors de cause d'une personne suspecte ne laisse plus la place au doute.

En réponse aux différents intervenants, le Rapporteur a fait observer qu'il avait utilisé le terme de « coût marginal » pour désigner un coût ne tenant compte ni des charges de personnel ni de celles des équipements. Il a fait observer que la saisie centralisée a été présentée comme une sécurité et un moyen de limiter les risques d'erreurs.

La commission a, ensuite, en application de l'article 146 du Règlement, autorisé la publication du rapport d'information présenté par M. Marc Le Fur.

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Information relative à la Commission

La Commission des Finances a désigné MM. Marc Le Fur et Jean-Louis Idiart comme candidats titulaires pour siéger à la Commission centrale de classement des débits de tabac.

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