COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 44

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 26 mars 2003
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président,

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. François Logerot, Premier président de la Cour des comptes,
sur l'amélioration des performances de l'Etat

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La Commission des finances, de l'économie générale et du Plan a procédé à l'audition de M. François Logerot, Premier président de la Cour des comptes, accompagné de Mme Claire Bazy-Malaurie et M. Jean-François Carrez, conseillers maîtres, et de Mme Catherine Démier, Secrétaire générale adjointe de la Cour des comptes, sur l'amélioration des performances de l'Etat.

Le Président Pierre Méhaignerie a souligné l'importance de cette audition dans la perspective de la rédaction du rapport d'information que lui-même et le Rapporteur général présenteront en introduction au débat du 8 avril 2003 consacré à l'amélioration des performances de l'Etat.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a rappelé que la présentation, la veille, des premiers résultats de l'exécution du budget pour 2002, a été l'occasion de déplorer un nouveau dérapage des dépenses publiques, qui ont progressé de 4,6% entre 2001 et 2002. La difficulté de maîtriser la progression des charges publiques justifie la priorité absolue que la Commission accorde à la mise en place de la loi organique relative aux lois de finances. En effet, maîtriser signifie mesurer les performances, et, à cette fin, disposer d'instruments d'évaluation aujourd'hui insuffisants, voire inexistants. A cet égard, la nouvelle nomenclature par objectifs (par la définition des missions et des programmes) et par moyens clairement identifiés (par la globalisation des crédits) permettra une meilleure responsabilisation des gestionnaires, une claire identification des politiques publiques et une réelle appréciation de leurs résultats. Cependant, le travail préparatoire sera difficile et devra être conduit avec détermination, à la fois par l'exécutif, au moyen d'une collaboration interministérielle renforcée, et par le Parlement auquel la Cour des comptes pourra très utilement apporter sa précieuse expérience nourrie du travail accumulé depuis de nombreuses années dans ce domaine.

Le Rapporteur général a rappelé que la Commission des finances s'est déjà attelée à cette tâche avec la mission de suivi de la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances, composée de MM. Michel Bouvard, Charles de Courson et Didier Migaud. De même, les rapporteurs spéciaux, ainsi que les rapporteurs pour avis, réfléchissent actuellement à la meilleure organisation possible, en termes de missions et de programmes, des politiques ministérielles qu'ils contrôlent.

Il a indiqué que la réussite de cette transition décisive pour le rétablissement des finances publiques nécessite une collaboration étroite du Parlement et de la Cour des comptes. Dans cet esprit, il a souhaité connaître l'avis de la Cour, qui depuis trois ans a engagé un travail approfondi sur la fonction publique, quant à la compatibilité entre le statut de la fonction publique et l'esprit de la loi organique. Les contraintes du statut, en particulier à l'égard des fonctionnaires de catégorie supérieure, pourront-elles être conciliées avec une gestion managériale, liant la situation des fonctionnaires à la qualité de leurs performances et à la satisfaction des objectifs qui leur seront assignés ?

M. Daniel Garrigue a souhaité aborder deux questions, à ses yeux fondamentales pour l'amélioration des performances publiques. En premier lieu, la gestion du patrimoine immobilier de l'Etat et des services publics apparaît défaillante. A titre d'exemple, il semble que Réseau ferré de France dispose d'un patrimoine immobilier pour une large majorité non utilisée. Ne serait-il pas utile de réaliser un inventaire précis de ce patrimoine et d'évaluer la pertinence de son utilisation ? De même, les pratiques divergentes concernant la gestion immobilière selon les ministères, parfois instituées par la loi, comme dans le cas du système de gestion autonome du ministère de la Défense, ne devraient-elles pas être rationalisées et unifiées ?

En second lieu, M. Daniel Garrigue a évoqué le problème de la judiciarisation croissante de la responsabilité publique. Il semble, en effet, que la crainte de nombreux décideurs publics d'être inculpés en raison de leur action les incite fréquemment à l'inertie. Par exemple, après la catastrophe de l'usine AZF à Toulouse, les services de la DRIRE ont décidé, pour se couvrir pénalement, de recourir de manière systématique à des tierces expertises dans les procédures Seveso, ce qui représente évidemment un coût considérable pour les finances publiques et un allongement sensible des processus de décision.

M. Didier Migaud s'est interrogé sur la façon dont la Cour des comptes est, éventuellement, associée par le Gouvernement au processus de mise en œuvre de la loi organique. Celui-ci consulte-t-il la Cour officiellement ? A-t-elle connaissance des dispositifs d'évaluation qui doivent faire partie intégrante des mécanismes budgétaires ? Est-elle amenée à donner son avis sur ces dispositifs ? La Cour des comptes a accumulé une expertise importante grâce aux monographies ministérielles incluses dans les rapports sur l'exécution des lois de finances. En a-t-elle tiré des propositions ou des suggestions quant à la présentation des missions, programmes et actions et quant aux objectifs et indicateurs associés aux programmes ?

Le Président Pierre Méhaignerie a souhaité connaître l'appréciation portée par la Cour des comptes sur le temps de réaction des administrations à ses observations contenues dans les rapports publics ou particuliers et les pistes qui pourraient permettre de réduire ce temps de réaction. Le Premier président a évoqué les difficultés rencontrées par la Cour, pour assumer en toute efficacité des tâches en nombre sans cesse croissant. Peut-on envisager une meilleure mobilisation des corps d'inspection générale, dont certains sont peut-être « sous-utilisés » par rapport aux compétences qu'ils accueillent ? Par ailleurs, la mise en évidence d'une certaine inertie, voire résistance, à la mise en place rapide des différents éléments de la loi organique relative aux lois de finances incite à demander si la Cour des comptes serait prête à répondre à des demandes d'enquête sur ce sujet qui seraient présentées par la Commission des finances.

M. François Logerot, Premier président, a indiqué que le rapport sur l'exécution des lois de finances pour 2002, qui sera disponible à la fin du mois de juin, inclura un chapitre relatif à la mise en œuvre de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Ce chapitre traitera de la nomenclature budgétaire et de l'architecture des missions, programmes et actions, des objectifs et des indicateurs associés, mais aussi de la refonte de la comptabilité générale de l'État et des travaux engagés depuis 18 mois par la Cour des comptes pour se préparer à la certification des comptes de l'État.

Il est donc un peu tôt pour répondre dès aujourd'hui aux interrogations de la Commission des finances sur la déclinaison future des missions, programmes et actions. Cependant, la Cour suit avec une grande attention les travaux conduits par les différents ministères, notamment le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Un comité de liaison a d'ailleurs été installé au début de l'année 2003, sur la base d'une proposition faite en 2002, qui associe la Cour des comptes, la direction de la réforme budgétaire, la direction du budget et la direction générale de la comptabilité publique. Ce comité apparaît d'emblée comme un lieu d'échanges utile et indispensable, où la Cour des comptes s'attachera à délivrer ses « messages ». Deux sujets mobilisent particulièrement l'attention de la Cour :

- la construction de la nouvelle nomenclature budgétaire, avec l'articulation entre missions, programmes et actions, pour laquelle des contacts seront pris prochainement avec le président du Comité d'audit des programmes, M. André Barilari ;

- la réorganisation de la filière Dépenses et, notamment, les rôles respectifs de l'ordonnateur, du contrôle financier et du comptable.

La Cour des comptes s'est toujours attachée à analyser les suites données à ses observations, n'ayant pas de légitimité pour adresser des injonctions aux administrations ou organismes visés par ces recommandations. Depuis plusieurs années, le rapport d'activité des juridictions financières en fait une présentation centrée sur les cas les plus significatifs, en positif comme en négatif. Il arrive parfois qu'une inertie persistante amène la Cour des comptes à approfondir ses enquêtes et à publier leur résultat sous forme d'un rapport public particulier, ce qui donne évidemment un poids supplémentaire aux observations de la juridiction. Il en est ainsi du récent rapport public particulier sur le contrôle de la navigation aérienne, qui a dû relever l'absence de réaction aux observations précédentes de la Cour.

On notera cependant que la politique autoroutière a été profondément renouvelée, dans les toutes dernières années, processus auquel n'a peut-être pas été étranger le rapport public particulier publié en 1999. De même, les deux rapports relatifs à la fonction publique ont conduit à des améliorations notables, notamment en termes de clarté et de publicité des modes de rémunération ; il reste, en revanche, des progrès importants à accomplir en matière de gestion des emplois budgétaires.

La réactivité des administrations est cependant encore trop faible : la « machine administrative » est lourde, les structures et les procédures ne s'ajustent pas facilement, le dialogue avec les personnels et les autres autorités est parfois délicat. Il faut en général deux à trois ans pour que les observations de la Cour des comptes donnent lieu à la mise en œuvre de réformes concrètes.

Une façon d'accroître la réactivité des administrations pourrait consister, pour les autorités politiques, à montrer qu'elles ont pris note des observations de la Cour des comptes et attachent du prix à leur prise en compte rapide. Les rapporteurs spéciaux des Commissions des finances des deux assemblées pourraient jouer ici un rôle éminent. Il faut souligner que les informations transmises par la Cour des comptes au Parlement sont de plus en plus nombreuses : anciennement pour les rapports sur les entreprises publiques, plus récemment pour l'ensemble des référés de la Cour. Le Parlement a donc tout loisir d'interpeller les administrations sur la base des documents produits par la Cour.

La question de la compatibilité entre le statut de la fonction publique et la loi organique relative aux lois de finances doit, en premier lieu, être comprise comme une question sur les modalités de responsabilisation des gestionnaires. La logique de la loi organique relative aux lois de finances consiste à bien identifier, un responsable pour chaque programme, et à lui imposer de prendre des engagements sur le respect desquels sa gestion sera jugée. Il s'agit d'une question fort difficile, les travaux préparatoires et les débats sur la loi organique n'apportant guère d'éclairage à cet égard. Le débat a été ouvert à la Cour des comptes, qui s'interroge sur la nature de la responsabilité des gestionnaires de programme et sur l'opportunité de définir de nouveaux modes de responsabilité susceptibles de renouveler la gestion publique.

Une réponse juridique - voire pénale - paraît toutefois inadaptée. La Cour des comptes ne juge que les comptes et la Cour de discipline budgétaire et financière ne peut que sanctionner des écarts à la réglementation, sauf si démonstration est faite que l'action ou l'inaction du responsable a conduit à des pertes ou à une situation financière dégradée de l'organisme dont il avait la charge. Cette démonstration est, en général, très difficile à apporter. Il faut donc faire un effort d'imagination et se demander comment créer, au sein de la fonction publique, une véritable responsabilité managériale, qui aurait - pourquoi pas ? - des incidences en termes de carrière et de rémunération. Une telle responsabilité managériale peut d'ailleurs être mise en œuvre sans toucher au statut de la fonction publique. Celui-ci est, certes, très protecteur pour les emplois liés aux tâches d'exécution - notamment en termes de licenciements - mais il est beaucoup plus ouvert et souple pour les emplois de haute administration, ceux-là même qui sont susceptibles de relever d'un niveau de responsabilité managériale. La réflexion de la Cour des comptes se développe dans ces directions. Il serait souhaitable qu'elle ne soit pas la seule institution à se pencher sur cette question.

En réponse à M. Daniel Garrigue, M. François Logerot, Premier président, a confirmé la nécessité d'améliorer la gestion du patrimoine immobilier public qui serait un gisement important d'économies budgétaires. La Cour des comptes a inscrit à son programme annuel une étude de faisabilité relative à une enquête générale sur la gestion immobilière de l'État. Ce thème n'avait pas fait l'objet de travaux de la Cour depuis de nombreuses années, à l'exception d'études ponctuelles, concernant notamment le patrimoine immobilier du ministère de la Défense, que ce dernier s'est attaché à valoriser par la pratique des échanges compensés, bien connue des élus locaux. La première condition pour mener un tel travail sera d'établir un inventaire exhaustif et actualisé des immobilisations de l'Etat, le tableau général des propriétés de l'Etat, tenu par les services fonciers du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, étant très perfectible.

Abordant la judiciarisation de la responsabilité publique, problème qui n'entre pas directement dans le champ des compétences de la Cour, M. François Logerot a estimé qu'elle témoigne moins d'une dérive sociale, que de l'absence de mécanismes de responsabilisation des décideurs publics. Ainsi, mieux évaluer, en particulier les actions de prévention des risques, et mieux responsabiliser les décideurs publics, pourraient permettre d'éviter une mise en cause pénale abusive en proportionnant les sanctions aux défaillances constatées et, par là même, atténuer les comportements d'inertie des responsables.

En réponse aux questions de M. Didier Migaud, M. François Logerot, Premier président, a précisé que la loi organique prévoit que la Cour des comptes apprécie l'exécution des programmes dans le rapport sur l'exécution des lois de finances. Il est vrai que les délais de rédaction du rapport, qui devra à l'avenir être présenté fin mai au Parlement, excluent un travail exhaustif. Cependant, la Cour s'attachera à examiner avec attention les résultats de certains programmes, caractérisés, d'une part, par des indicateurs de performance flous ou discutables, ou, d'autre part, par des résultats décevants. Il serait utile de compléter ces critères de sélection pour répondre aux préoccupations de la Commission des finances, laquelle pourrait indiquer au moment où la Cour adopte son programme de travail, en octobre, les domaines prioritaires retenant son attention. Dans l'esprit de la loi organique, il est essentiel que la Cour connaisse les domaines jugés prioritaires par le Parlement, afin de lui apporter son expertise.

Remerciant le Président Pierre Méhaignerie de l'attention qu'il accorde aux moyens affectés à la Cour des comptes, M. François Logerot a, tout d'abord, concédé que tout organisme de contrôle peut toujours utilement multiplier ses moyens, afin de perfectionner son travail et qu'en la matière, il n'est guère aisé de définir un optimum. Cependant, il semble bien que la Cour soit confrontée à des tensions excessives en raison principalement de la tâche nouvelle de certification des comptes qui lui est confiée par la loi organique relative aux lois de finances. Ce travail ne pourra être réalisé efficacement avec les moyens actuellement alloués à la Cour, à la fois d'un point de vue quantitatif, sauf à obérer les missions d'enquête particulières sur la gestion des administrations, et d'un point de vue qualitatif, dans la mesure où la certification des comptes requiert l'expertise de comptables, tandis que le recrutement de la Cour des comptes est fait de généralistes, certes d'un haut niveau. En outre, la certification des comptes rendra nécessaire le recours à des missions ponctuelles d'expertise confiées par voie d'appel d'offres à des cabinets comptables. Une revalorisation des moyens de la Cour apparaît, dès lors, indispensable.

Il a douté de pouvoir vraiment mobiliser au profit de la Cour, des corps d'inspection générale déjà lourdement mis à contribution par leurs ministres respectifs. Reste qu'une collaboration renforcée entre la Cour et les corps d'inspection pourrait emprunter deux voies prometteuses : d'une part, les inspecteurs pourraient relayer de manière plus systématique les enquêtes particulières menées par la Cour des comptes, et, d'autre part, un des moyens pour renforcer la Cour serait d'assurer un débouché accru à certains fonctionnaires (dont les membres des inspections générales), au sein de la Cour des comptes, en multipliant le recours aux conseillers maîtres en service extraordinaire, recours qui offre par ailleurs l'avantage d'être neutre en terme d'emplois publics.

M. Michel Bouvard a souhaité connaître les appréciations de la Cour des comptes sur la construction des objectifs et des indicateurs associés aux futurs programmes, qui figureront dans son prochain rapport sur l'exécution des lois de finances, compte tenu des observations qu'elle a pu recueillir dans ses analyses budgétaires.

Il faut, certainement, développer une approche « préventive » de l'évaluation, afin de couper court à un développement excessif du recours à la justice. Dans cette perspective, la Cour pourrait utilement préciser, parmi les observations adressées aux administrations, la proportion qui a donné lieu à des poursuites pénales, à des condamnations et les délais dans lesquels ces condamnations sont intervenues.

Les remarques du Premier président conduisent à se demander si la notation de la fonction publique n'est pas devenue obsolète.

Enfin, le recensement et l'évaluation du patrimoine de l'État sont des sujets récurrents, depuis quelques années, qui justifieraient que la Cour des comptes y soit associée. Celle-ci peut-elle indiquer dans quel délai ces deux démarches pourraient être achevées ?

M. François Logerot, Premier président, a indiqué que le prochain rapport sur l'exécution des lois de finances inclura quatre études portant sur la préparation des administrations à la loi organique relative aux lois de finances et, notamment, les indicateurs associés aux projets de futurs programmes : Éducation nationale, Jeunesse et Sports, Culture et Intérieur.

Le Rapporteur général, ayant récemment assisté à un séminaire des cadres dirigeants du ministère des sports portant sur la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances, a souligné que le programme unique envisagé pour les dotations budgétaires relatives aux sports serait calqué sur les structures administratives actuelles. Il faut donc prendre le problème beaucoup plus en amont et porter sur lui un éclairage très politique, seul à même de dépasser ce type de blocage.

M. François Logerot, Premier président, a estimé que la construction budgétaire nouvelle doit permettre de remettre en cause, en tant que de besoin, les structures administratives existantes. En tout état de cause, les programmes ne doivent pas être calqués sur les structures.

Le Président Pierre Méhaignerie a relevé qu'il s'agit pourtant d'une tentation forte, qui aurait l'inconvénient d'empêcher toute évaluation.

Mme Claire Bazy-Malaurie, Conseiller maître, a estimé que les agrégats actuels et les indicateurs qui leur sont associés ne répondent pas à leur vocation naturelle et, encore moins, aux objectifs de la loi organique relative aux lois de finances. Les indicateurs sont mal renseignés et la plupart ne correspondent pas directement à la nomenclature budgétaire existante. Il faut donc un travail important de rencontre et de reconstruction, qui est suivi de près par les instances de la Cour.

M. François Logerot, Premier président, a rappelé que les juridictions financières ont l'obligation de transmettre au Parquet les éléments qui leur laissent présager l'existence de faits susceptibles d'avoir une qualification pénale. Le rapport d'activité de ces juridictions pour 2002 fait apparaître une augmentation de ces transmissions. Cependant, il n'est pas possible d'en faire état dans les rapports publics ou dans les référés, puisque le Parquet conduit sa propre analyse des faits signalés et décide seul des suites qu'il convient de leur donner. En fait, la Cour des comptes a donc pu transmettre un dossier au Parquet, sans en faire état dans le document public. Les délais de jugement sont généralement importants. Chacun sait, par exemple, que l'examen des comptes du Crédit Lyonnais par le tribunal a commencé tout récemment, alors que les premiers signalements de la Cour des comptes remontent à plus de huit ans.

La notation de la fonction publique est destinée à évoluer. Les travaux récents du Comité d'enquête sur le coût et le rendement des services publics suggèrent que cette rénovation aille dans le sens d'une meilleure évaluation des agents, notamment sur la base d'un entretien annuel personnel. Il s'agit de développer une réelle évaluation des capacités des personnes qui fait aujourd'hui défaut. Par ailleurs, l'évaluation bien conduite doit avoir des suites, dont on peut envisager qu'elles touchent à la rémunération. Il serait souhaitable de mettre en place - au moins pour les postes de responsabilité - des modulations personnalisées, à condition qu'elles soient « raisonnables » et décidées dans la clarté. La Cour des comptes et les chambres régionales des comptes se sont engagées dans cette pratique depuis quelque temps déjà.

Mme Claire Bazy-Malaurie, Conseiller maître, a précisé que l'inventaire du patrimoine de l'État se heurte à deux obstacles non négligeables : d'une part, la difficulté de mobiliser les administrations pour renseigner correctement le Tableau général des propriétés de l'État ; d'autre part, les incertitudes quant à la portée même de la notion de « patrimoine ». Cette dernière interrogation renvoie aux développements récents de la comptabilité générale de l'État, notamment en matière d'amortissements, de comptabilités par ministère (prévues par les textes mais quasiment abandonnées depuis longtemps), ainsi qu'à la problématique de la certification des comptes de l'État. Le patrimoine de l'État ne pourra être correctement évalué que si certaines ambiguïtés de définition sont levées et si certaines difficultés de mise en œuvre, plutôt du domaine comptable, sont résolues.

La notation de la fonction publique est trop liée à l'avancement. Or, dans les fonctions d'encadrement, il est fréquent d'atteindre la hors classe très tôt dans sa carrière. Dès lors, la notation perd toute signification. Il faut donc en faire un nouvel outil d'évaluation, permettant, en premier lieu, d'ajuster la rémunération aux performances effectives et, en second lieu, d'identifier les compétences. La gestion des compétences dans l'encadrement supérieur de la fonction publique est un sujet ouvert.

M. Jean François Carrez, Conseiller maître, a tiré deux enseignements des observations auxquelles il a pu être procédé s'agissant des effets, dans des pays comparables à la France, de réformes analogues à la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 :

- en premier lieu, la démarche de gestion publique par programmes vient au terme d'un processus de restructuration des administrations. Or, il semble qu'en France l'idée soit de mener de front ces deux chantiers, ce qui rend encore plus complexe leur mise en œuvre respective. Il reste qu'il existe un risque de voir les programmes définis selon les structures administratives existantes, la question étant rendue encore plus complexe par l'instabilité des structures gouvernementales en France ;

- en second lieu, la gestion publique par programmes auxquels sont associés des indicateurs de résultats devrait modifier substantiellement le travail parlementaire. L'exemple du Royaume-Uni tend à prouver que l'identification du responsable d'un programme déterminé permet un dialogue plus riche et fructueux entre les parlementaires et ce responsable et aboutit sans doute à ce que le dernier tienne compte plus rapidement des observations et des préconisations d'origine parlementaire.

M. Alain Rodet a demandé si les particularités propres à l'organisation des départements et des territoires d'outre-mer marquaient, le cas échéant, les relations entre la Cour des comptes et les chambres régionales et territoriales des comptes propres à ces collectivités.

M. François Logerot, Premier président, a constaté au cours d'une récente mission auprès des chambres territoriales de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française, que ces deux institutions, malgré des moyens limités, accomplissent un travail de qualité, marqué dans sa nature et son objet, par les particularités institutionnelles propres à ces deux territoires, mais ne les empêchant pas d'approfondir désormais des sujets relatifs aux principales politiques mises en œuvre par les pouvoirs publics locaux. S'agissant plus précisément des départements et des territoires d'outre-mer, il a évoqué la possibilité, qui lui appartient, de nommer un rapporteur d'une des chambres régionales des comptes correspondantes, rapporteur, à titre temporaire, de la Cour des comptes, dispositif qui peut constituer un élément utile de déconcentration de l'activité de la Cour des comptes, compte tenu de l'éloignement par rapport à la métropole et des particularités institutionnelles propres à ces départements et territoires.

M. Jean-Jacques Descamps a douté qu'une véritable réflexion sur la fonction publique puisse faire l'économie d'un réexamen, voire d'une remise en cause du statut. La gestion publique souffre, outre de l'annualité budgétaire qui ne permet pas la mise en œuvre de programmes de long terme, du statut protecteur de la fonction publique, qui ne permet pas de donner leur congé à ceux de ses éléments qui n'ont pas su prouver qu'ils étaient aptes à mettre en œuvre les missions qui leur ont été confiées. Il n'est pas concevable que la seule démarche praticable de « mise en responsabilité » des fonctionnaires demeure la procédure pénale. Par ailleurs, s'agissant de l'effectivité de la mise en œuvre des recommandations et des préconisations de la Cour des comptes et compte tenu de ce qu'il est constant qu'une organisation ne saurait se réformer de l'intérieur, il apparaît nécessaire de prévoir au plus près des administrations elles-mêmes, mais leur étant extérieur, un organisme spécifiquement chargé de veiller au suivi effectif de ces préconisations et recommandations.

M. Hervé Novelli a suggéré deux mesures pour resserrer les liens entre la Cour des comptes et le Parlement, processus qui permettrait d'améliorer la mise en œuvre effective des recommandations et des préconisations de la Cour des comptes par les administrations concernées :

- l'établissement de modalités d'organisation permettant un travail plus direct entre les rapporteurs spéciaux et les membres de la Cour des comptes ;

- la mise à la disposition des parlementaires concernés des notes et des éléments internes des travaux préparatoires de la Cour des comptes, afin de promouvoir la transparence et un travail plus rapide.

M. François Logerot, Premier président, s'est déclaré, sur le principe, favorable à un renforcement de la coopération entre les rapporteurs spéciaux et la Cour des comptes. S'agissant des modalités concrètes permettant la mise en œuvre de ce renforcement, il a souligné les points suivants :

- il est possible d'envisager des contacts directs entre un rapporteur spécial et une chambre de la Cour des comptes. Il est cependant nécessaire que le Secrétariat général et, ainsi, le Premier président de la Cour des comptes en soient avertis. Il importe par ailleurs que le contact s'établisse au moins au niveau du président de la chambre concernée s'agissant de la Cour des comptes, même s'il peut être envisagé que la conduite des entretiens soit confiée à un président de section ;

- il n'est pas envisageable d'accorder un accès aux documents internes de la Cour des comptes, ni aux documents provisoires, qui n'ont pas, par définition, fait l'objet d'une contradiction avec les administrations contrôlées. Seuls des documents comptant des constatations définitives sont communicables.

Il a par ailleurs précisé qu'il n'appartenait pas à un magistrat de la Cour des comptes de se prononcer, en tant que tel et à ce titre, sur la nécessité ou non de réformer le statut de la fonction publique. Il s'agit d'une question politique. On peut cependant estimer que le cadre actuel permettrait des possibilités d'amélioration non négligeables s'agissant, par exemple, de la gestion prévisionnelle des recrutements ou de la sélection des cadres.

Il est effectivement plus simple pour une organisation de considérer, voire de reconnaître, ses défauts, dès lors qu'un organisme extérieur a bien voulu les identifier. La Cour des comptes s'efforce précisément de remplir cette mission auprès des administrations. Elle rend ainsi publiques des recommandations et des préconisations, qui ont même pu gagner en détail sans qu'il soit pour autant souhaitable d'aller jusqu'à un niveau de précision tel que, par exemple, la redéfinition des organigrammes des administrations. Une administration dispose des moyens, si elle le souhaite, de recourir à des compétences extérieures de conseil. Mais, une institution privée, aussi prestigieuse soit-elle, ne pourra présenter de conclusions solides qu'autant qu'elles auront été proposées après un effort de connaissance approfondie de l'administration concernée. Les inspections générales des administrations disposent d'ailleurs, à ce titre et par définition, de bonnes dispositions initiales pour un tel conseil de qualité.

M. Marc Le Fur s'est félicité de l'enquête en cours sur la gestion immobilière de l'Etat face à la lenteur de réalisation des projets dont l'Etat est maître d'ouvrage. A cet égard, l'idée d'associer des partenaires privés à ces projets permettrait sans doute de résoudre ce problème. Il a ensuite souligné la distorsion qui marque la périodicité des contrôles portant sur les collectivités locales, dont les budgets sont contrôlés tous les quatre à six ans par les chambres régionales des comptes, et celle relative aux contrôles des décisions des ordonnateurs locaux de l'Etat, que la Cour des comptes ne contrôle que tous les vingt ans, environ. Cette distorsion est peu compréhensible et il y a lieu de se demander si l'on ne devrait pas associer, à la déconcentration des pouvoirs publics, une déconcentration des contrôles.

M. Hervé Mariton a considéré qu'il faudrait trouver de nouvelles modalités de collaboration, plus directe, entre les rapporteurs spéciaux et la Cour des comptes, les premiers souhaitant d'abord pouvoir inscrire leurs démarches de contrôle de la gestion publique dans la bonne direction et les magistrats de la Cour souhaitant, eux, répondre à un questionnement précis. Par ailleurs, il a souhaité savoir quel sera le programme de travail du Comité d'enquête sur le coût et le rendement des services publics.

En réponse à ces questions, M. François Logerot, Premier président, a apporté les précisions suivantes :

- les lois de décentralisation de 1982 ont fait le choix exprès d'une distinction nette des compétences entre la Cour des comptes et les chambres régionales, en garantissant le contrôle des décisions des élus locaux a posteriori par des juridictions indépendantes et autonomes vis-à-vis de la Cour des comptes. De fait, un grand nombre de politiques publiques sont mises en œuvre simultanément par l'Etat et les collectivités locales, ce qui nécessite un travail commun de la Cour des comptes et des chambres régionales. L'enquête sur la politique de la ville a ainsi été menée en collaboration avec certaines chambres régionales. Prochainement, un rapport sera publié sur la gestion du système éducatif grâce au concours actif des chambres compétentes de la Cour des comptes et de dix-sept chambres régionales ;

- il est vrai, cependant, que l'on peut nourrir le sentiment d'un contrôle moindre des gestionnaires locaux de l'Etat par rapport au contrôle des collectivités locales. La Cour des comptes mène une réflexion à ce sujet. Ainsi, un travail est-il actuellement mené sur la déconcentration des crédits et sur leur gestion dans une région. Pour autant, on ne peut pas dire que le contrôle ne soit pas assuré car, outre les contrôles sur place, il peut également prendre la forme de questionnaires et de vérification des documents écrits disponibles ;

- la qualité du dialogue entre les rapporteurs spéciaux et les magistrats de la Cour dépend bien sûr de la personnalité de chacun, mais les présidents de chambres ont tous reçu la consigne d'être attentifs aux demandes des parlementaires ;

- le Comité d'enquête sur le coût et le rendement des services publics a pour particularité de comprendre des membres du Parlement, mais également des représentants des organisations syndicales de la fonction publique, ce qui donne une occasion de dialogue utile sur des questions de fond. Son programme de travail est arrêté par le Premier ministre ou par le ministre de la Fonction publique et de la réforme de l'Etat. La Cour des comptes peut cependant faire des suggestions. Cette année, ont été retenus les thèmes de la mobilité et de la gestion géographique des emplois. Le prochain programme est en cours d'élaboration.

M. Marc Laffineur a souhaité que la coopération entre les parlementaires et la Cour des comptes puisse aller au-delà de simples réponses à des questions précises, les rapporteurs spéciaux ayant avant tout besoin d'information, mais ne sachant pas toujours ce dont la Cour dispose.

Le Président Pierre Méhaignerie a tiré trois conclusions de la présente audition :

- une coopération plus active entre la Commission des finances, et plus généralement le Parlement, et la Cour des comptes est nécessaire, dont les conditions pourraient être précisées par écrit ;

- le rôle d'impulsion et de suivi relève toujours des parlementaires, au premier rang desquels les rapporteurs spéciaux et les rapporteurs pour avis ;

- la Commission des finances peut compter sur le soutien de la Cour des comptes pour apprécier la pertinence des programmes qui devront être établis en application de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances.

M. François Logerot, Premier président, a assuré la Commission de l'entière bonne volonté de la Cour quant à sa collaboration avec le Parlement. Le souci d'information émanant des parlementaires est légitime, sans que la Cour puisse pour autant transmettre des informations qui n'auraient pas été vérifiées et adoptées collégialement. Par ailleurs, on peut douter de l'intérêt de transmettre au Parlement l'ensemble des rapports de la Cour, soit environ 700 rapports par an, dont un certain nombre ne seraient pas réellement utiles au contrôle exercé par les parlementaires.


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