COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 53

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 7 mai 2003
(Séance de 10 h 45)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

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Examen des propositions de la Mission d'évaluation et de contrôle relatives aux organismes publics d'évaluation et de prospective économiques et sociales (M. Georges Tron, Rapporteur)..

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La Commission des finances a examiné les propositions de la MEC sur les organismes publics d'évaluation et de prospective économiques et sociales.

M. Georges Tron, Rapporteur, a tout d'abord rappelé les méthodes et les objectifs de la Mission d'évaluation et de contrôle (MEC). Après quatre mois de travail et l'audition de seize personnalités complétée par des rencontres, la Mission a examiné, le mercredi 30 avril, une série de propositions qu'il convient désormais de débattre et de voter.

C'est à une tâche délicate que s'est attelée la Mission puisque les organismes et les services d'évaluation et de prospective sont, en France, relativement nombreux. Leurs membres ou anciens membres sont naturellement tentés par l'autojustification et le choix du sujet par la Commission des finances a conduit à des réactions assez passionnelles. La Mission a donc souhaité éviter le piège de la mise en accusation publique de tel ou tel organisme. Elle a souhaité établir avant tout un constat partagé de la prolifération des organismes d'évaluation et de prospective et faire des propositions de réforme. Il ne s'est pas agi, par conséquent, d'examiner l'ensemble des moyens d'information du Parlement en matière économique et sociale, l'information économique en France, tous les problèmes soulevés par l'évaluation dans notre pays, la pertinence des travaux de prospective ou encore la « prévision » économique.

Trois fonctions doivent pouvoir être distinguées : la prospective, l'évaluation et l'aide à la décision. Le Rapporteur a donc fait part de la situation des organismes existant dans le champ économique et social au regard de ces trois fonctions. Il a ensuite articulé ses propositions autour de celles-ci.

L'organigramme des organismes d'évaluation et de prospective montre une vitalité démographique préoccupante, leurs missions n'étant pas suffisamment clarifiées.

Un trop grand nombre d'organismes permanents intervient dans le champ économique et social. Le « jaune » budgétaire répertoriait au total, tous domaines confondus, 311 organismes de conseil et d'aide à la décision du Gouvernement en 1997. En 2002, cinq ans après, il en comptait plus du double : 634. Parmi eux, beaucoup concernent le champ traité par la MEC. Sans doute, faut-il prendre les chiffres avec prudence, la conception du document ayant évolué depuis son institution. Néanmoins, la tendance est nette et le fascicule ne compte même pas tous les organismes susceptibles d'y figurer puisque le Commissariat général du plan et la DATAR ne sont pas indiqués parmi les instances consultatives du Premier ministre.

Le Président Pierre Méhaignerie a conclu que la machine à produire de la complexité continue à fonctionner.

M. Georges Tron, Rapporteur, a souligné que la prolifération d'organismes auprès du Premier ministre - une quarantaine d'après le « jaune » - est particulièrement inquiétante dans la mesure où elle est l'expression d'une certaine crise de la façon de traiter des questions interministérielles. Toute politique a des aspects interministériels. Or, il faut que les administrations relevant de ministères différents apprennent à travailler ensemble, sans qu'il soit nécessaire de créer pour autant des organismes particuliers auprès du Premier ministre. Le Secrétaire général du Gouvernement a d'ailleurs été chargé de faire des propositions au Premier ministre tendant à alléger ces structures. Il faut espérer que ses conclusions, qui devraient prolonger les observations récurrentes des derniers rapports spéciaux sur les crédits des services généraux du Premier ministre, seront suivies d'effets.

Les budgets des organismes d'évaluation et de prospective sont globalement de faible ampleur. Certains organismes ne coûtent quasiment rien. C'est le cas du Conseil d'analyse économique. D'autres ont un coût limité, comme le Conseil d'orientation des retraites qui bénéficie d'1,5 million d'euros. Mais le Commissariat général du plan dispose de 24,81 millions d'euros et la DATAR gère un budget total de 268,5 millions d'euros, l'essentiel de ces crédits étant toutefois consacré aux actions du Fonds national pour l'aménagement et le développement du territoire (160 millions d'euros) et à la prime d'aménagement du territoire (45 millions d'euros).

De la même façon, les effectifs des organismes entrant dans le champ d'investigation de la MEC sont assez inégaux. Le Conseil d'analyse économique comporte 39 membres, tandis que le Commissariat général du plan dispose de 133 emplois budgétaires, la DATAR, pour sa part, employant 123 personnes.

La Mission a été frappée par l'homogénéité des discours tenus devant elle. La multiplicité d'organismes ne se traduit pas par l'expression de points de vue différents. Il y a de nombreux mandats croisés qui conduisent, en outre, à une certaine opacité de la commande publique et gènent l'expression de réflexions originales. Par exemple, le Conseil d'analyse économique a récemment présenté un rapport sur la « Compétitivité », préparé par le chef du service économique financier et international du Commissariat général du plan et le directeur du Centre de prospective économique international. Trois organismes étaient ainsi, d'une certaine manière, sollicités.

Les missions des différents organismes ne sont, à l'évidence, pas suffisamment clarifiées. Les mêmes études, tout à fait comparables, sont effectuées dans des organismes différents, sans qu'il y ait une quelconque plus-value. Le Conseil d'analyse économique a, par exemple, publié un rapport sur « Kyoto et l'effet de serre », alors qu'il existe, auprès du Premier ministre, une Mission interministérielle de l'effet de serre et un Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, et que l'étude aurait fort bien pu être réalisée par le Commissariat général du plan, puisque celui-ci a publié, en mars 2002, un rapport sur « L'effet de serre, la modélisation économique et la décision publique ».

Certains rapports ne répondent pas aux préoccupations des décideurs publics. La Cour des comptes a fait ainsi état, lors des travaux de la Mission, d'études effectuées par la DATAR sur l'aménagement du territoire au Paraguay et au Maroc. On peut s'interroger sur les lignes directrices de tels travaux.

L'évaluation, pour sa part, a fait également l'objet de créations de services spécialisés dans les ministères, alors qu'elle est restée paradoxalement insuffisamment développée.

Le Conseil national de l'évaluation, créé en 1998 pour mener des évaluations interministérielles, a lancé une quinzaine d'évaluations, mais quatre rapports définitifs seulement ont été remis en 2001 et un seul l'a été en 2002.

Le Parlement a été anormalement écarté des processus d'évaluation ministériels ou interministériels. Non seulement le décret du 18 novembre 1998 relatif à l'évaluation des politiques publiques n'a permis aucune saisine du Conseil national de l'évaluation mais aucune transmission officielle au Parlement des rapports d'évaluation n'est prévue.

Par ailleurs, les différents services d'évaluation créés dans les ministères l'ont été sans coordination. Si certains sont devenus des pôles de référence respectés, certains ministères sont restés à la traîne alors que la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances place l'évaluation au centre des nouvelles stratégies budgétaires.

Les organismes administratifs d'évaluation et de prospective doivent donc évoluer. Leur ancienneté et leur prestige - le Commissariat général du plan, créé en 1946, a été, par exemple, un acteur essentiel de la reconstruction du pays - ne doivent pas empêcher toute évolution. Il ne s'agit pas d'intenter le procès du Commissariat général du plan ou de la DATAR, ou de ceux qui les ont animés pendant tant d'années, il s'agit d'adapter ces structures, compte tenu des contraintes budgétaires et de l'objectif d'efficacité de l'action administrative qui doit être, à l'évidence, partagé par tous.

Il est clair qu'une cellule de prospective auprès du Premier ministre, chargée du moyen et du long termes, dans une perspective interdisciplinaire, est indispensable. Ce pourrait être une « Délégation à la prospective nationale et territoriale ». À la suite des observations de MM. Augustin Bonrepaux et Louis Giscard d'Estaing devant la MEC, l'accent a été mis sur la nécessité de développer les approches territoriales dans l'analyse des problématiques. Les conséquences de la décentralisation et la diversité de nos territoires ne doivent pas être occultées dans le cadre de travaux de prospective. Les approches nationales et territoriales sont à l'évidence complémentaires.

La création envisagée implique le remplacement du Commissariat général du plan et de la DATAR. Les tâches de gestion de cette dernière relèveraient ainsi d'une direction du ministère en charge de l'aménagement du territoire, la Délégation reprenant ses fonctions de prospective. On ne peut, en effet, vouloir alléger les structures placées auprès du Premier ministre et maintenir en l'état une institution dont la gestion des crédits a été, à plusieurs reprises, critiquée par la Cour des comptes.

L'approche territoriale dans l'analyse des enjeux économiques et sociaux du pays serait mieux assurée si une personnalité reconnue pour ses compétences en matière d'aménagement du territoire faisait partie de la délégation. Un rapport périodique sur les problèmes d'aménagement du territoire susceptibles de se poser à l'avenir pourrait même être utilement présenté devant le Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire (CNADT).

La création envisagée implique aussi la disparition du Conseil d'orientation des retraites. Il paraît en effet difficilement envisageable de maintenir et même de créer pour chaque grande question économique ou sociale un organisme permanent. La Délégation pourrait fort bien créer, à intervalles réguliers, des organismes ad hoc « biodégradables », par exemple sur les retraites. Elle serait, en effet, une « tête de réseaux ». Collège réduit, elle mettrait à contribution les services ministériels concernés par le sujet et les inspections générales. Elle ferait appel aux universitaires, trop souvent coupés des préoccupations des élus et dont les compétences paraissent sous-employées. Enfin, elle négocierait des marchés avec des organismes privés, sorte de « think tanks » à la française. Dans cette dernière perspective, certains, comme l'Observatoire français des conjonctures économique (OFCE), devraient pouvoir s'adosser à des fondations, les crédits publics dont ils bénéficient étant progressivement réduits sur cinq ou six ans.

La Délégation ne serait saisie que par le Premier ministre, mais ses rapports seraient systématiquement transmis au Conseil économique et social et au Parlement. Le premier n'en serait pas systématiquement saisi pour avis dans la mesure où il convient d'éviter que chaque rapport de prospective donne lieu à un « contre-rapport » du Conseil économique et social. Cette institution constitutionnelle est, en effet, avant tout un lieu de dialogue sur les questions économiques et sociales. Ce n'est pas un organisme d'expertise. Et ses interventions ne doivent pas rallonger les processus d'aide à la décision. Néanmoins, il est clair que le Conseil devrait être plus largement saisi qu'aujourd'hui des questions économiques et sociales devant se poser au pays dans les années qui viennent, afin que les représentants de la société civile et les partenaires sociaux puissent faire part de leur point de vue.

S'agissant de l'évaluation, il convient de tenir compte du développement de la prise de conscience de sa nécessité mais aussi de certains échecs. Le Conseil national de l'évaluation n'a pas convaincu et l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques a échoué puisqu'il a été supprimé en 2000. Il convient probablement d'instituer une autorité administrative indépendante équidistante de l'exécutif et du législatif, qui pourrait s'appeler « Instance nationale de l'évaluation ». Organisme collégial, elle serait composée de membres désignés par le Président de la République et les Présidents des assemblées, pour des mandats fixes, exclusifs, relativement longs, non renouvelables et irrévocables. Le nouvel organisme se substituerait au Conseil national de l'évaluation et au Conseil des impôts. Il n'aurait pas pour mission de juger des politiques publiques mais de développer des évaluations récapitulatives à dominante quantitative centrées sur la mesure des résultats, de diffuser la culture de l'évaluation dans l'administration et de contribuer à la mise en place des indicateurs prévus par la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

Cette instance nationale de l'évaluation pourrait établir son programme en fonction de thèmes fournis par l'exécutif et les Présidents des assemblées. Il conviendrait de veiller à ce que l'instance dispose des moyens nécessaires pour mener ses évaluations et qu'elle ne soit pas surchargée de demandes d'évaluations trop complexes. Il serait utile dans la perspective de la décentralisation, que l'instance dispose de relais régionaux. En effet, il ne paraît pas pensable que les politiques décentralisées ne fassent l'objet d'aucune évaluation et que le Gouvernement, le Parlement, et même les collectivités territoriales, n'aient aucune vue d'ensemble, établie de façon indépendante, de l'efficacité des politiques économiques et sociales.

S'agissant des organismes qui n'effectuent pas à proprement parler des travaux d'évaluation et de prospective, des améliorations sont sans doute souhaitables.

Le Conseil d'analyse économique mérite d'être conservé. Mais comme l'a indiqué son nouveau président délégué lui-même, M. Christian de Boissieu, il convient de revenir à son mode de fonctionnement initial. La vocation du Conseil est de rassembler des économistes extérieurs à l'administration afin de présenter au Premier ministre en personne différentes analyses de politiques économiques qui ne doivent pas ressembler à des rapports du Commissariat général du plan.

Le Conseil économique et social devrait être largement destinataire de l'ensemble des travaux de prospective et d'évaluation, et fréquemment appelé à réagir par la formulation d'avis.

La Direction de la prévision, au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, dont les travaux ne sont pas publics, devrait pouvoir continuer à présenter au ministre des analyses confidentielles, parce qu'éventuellement dérangeantes. Seuls ses effectifs pourraient être éventuellement reconsidérés.

Au total, ces propositions se veulent à la fois audacieuses et réalistes. Elles visent à développer l'évaluation, améliorer les travaux de prospective, maîtriser la dépense publique, simplifier les structures administratives et maintenir les capacités d'aide à la décision. Il ne s'agit pas de mettre en cause la qualité des travaux menés par tel ou tel organisme mais de tenir compte de la forte volonté de simplification des structures administratives exprimée par les citoyens et leurs élus. La culture de l'évaluation, de la contractualisation et l'esprit de réseau doivent être développés au service de la réforme de l'État.

Le Président Pierre Méhaignerie a salué l'ampleur et la qualité du travail fourni par le Rapporteur, travail qui témoigne d'une grande cohérence et présente des propositions d'une grande lisibilité. Cependant, il a indiqué que M. Didier Migaud venait de lui faire savoir que son groupe n'était pas en situation d'approuver les propositions du rapporteur et qu'il demande que la commission se donne un délai supplémentaire pour les examiner et aboutir à des propositions qui pourraient recueillir un large accord. Ainsi, si la proposition relative à la DATAR est justifiée, tant le rôle de celle-ci a profondément changé, il convient d'éviter qu'elle soit interprétée, en termes d'affichage, comme marquant un abandon de la politique d'aménagement du territoire. Il a donc plaidé pour que soient recherchés les moyens de parvenir à une approbation globale du rapport, conformément à la tradition de la MEC.

M. Georges Tron, Rapporteur, a rappelé que le rapport présenté au nom de la MEC était le fruit d'un travail important entamé il y a quatre mois et a indiqué qu'il estimait que sa mission de rapporteur s'achevait aujourd'hui. Constatant que M. Didier Migaud n'avait pas participé activement aux travaux de la MEC, il s'est opposé à la demande d'un délai supplémentaire pour ajuster les propositions présentées. En effet, il y a eu de multiples pressions sur la MEC et son rapporteur, notamment sous la forme de commentaires parus dans la presse ou de tracts syndicaux dans certains des organismes concernés. Par ailleurs, un nouveau Commissaire au plan a été désigné par le Premier ministre, alors que les travaux de la MEC étaient en voie d'achèvement. Ce dernier a vanté dans la presse l'intérêt de l'institution qu'il dirige, à la veille même de la présente réunion de la commission.

Il a rappelé que les propositions du rapport sont celles qui ont été adoptées par la MEC la semaine dernière. Il a fait observer qu'il avait tenu compte des observations formulées par MM. Augustin Bonrepaux et Louis Giscard d'Estaing en ce qui concerne la dimension territoriale de l'évaluation. En conséquence, le travail du rapporteur est achevé, et tout délai conduira inéluctablement à la mobilisation de réseaux hostiles à toute évolution.

M. Jean-Pierre Balligand a indiqué que si l'ensemble de la commission pouvait se retrouver sur le diagnostic fait par le Rapporteur, certaines des propositions et leur rapprochement posaient problème. Ceux des commissaires qui ne sont pas membres de la MEC n'ont pas, jusqu'ici pu se prononcer. La proposition 1 de création d'une instance nationale de l'évaluation est tout à fait acceptable, encore que le mode proposé pour la désignation de ses membres n'est pas de nature à en garantir le pluralisme. En revanche, la juxtaposition des propositions 3 (intégration des fonctions de prospective de la DATAR au sein de la nouvelle délégation à la prospective nationale et territoriale) et 5 (transfert de ses missions de gestion au ministère de l'aménagement du territoire) marque un nouveau démantèlement de l'outil que constitue la DATAR, qui consacre la victoire des milieux parisiens, lesquels n'ont jamais vraiment accepté son existence. Enfin, le rapprochement avec le ministère de l'aménagement du territoire n'est pas une bonne idée, tant la politique en ce domaine est sacrifiée par les autres compétences confiées au ministre qui en a la charge, l'environnement hier, la fonction publique aujourd'hui. La DATAR devrait être rattachée au ministère de l'Intérieur et à sa direction générale des collectivités locales, tant la dimension territoriale est essentielle et que la situation de nos territoires est aujourd'hui inquiétante.

Il a indiqué que, s'il n'intervenait pas pour protéger telle ou telle officine et l'aider à préserver son pré carré, il souhaitait cependant pouvoir formuler quelques contre-propositions et donc disposer du temps nécessaire à une réflexion complémentaire, sans que cela manifeste une volonté de contradiction systématique.

M. Jean-Pierre Brard a estimé que le rapporteur devrait s'efforcer de rechercher un certain consensus, à la fois pour rester fidèle à la tradition de la MEC et pour assurer une plus grande efficacité à ses propositions. Il a indiqué que l'on peut partager l'essentiel du diagnostic, notamment en ce qui concerne l'unité d'acculturation et donc de pensée des personnes travaillant dans ces organismes, regrettant que l'on ne fasse guère appel à des personnes « qui ont les mains dans le cambouis ». Il est clair que des restructurations sont possibles et souhaitables : le Commissariat général du plan n'a plus de raison d'être et le Conseil d'analyse économique est devenu inutile. S'agissant de l'instance nationale d'évaluation dont la création est proposée, le mode de désignation de ses membres, calqué sur celui du Conseil constitutionnel est très perfectible. De plus, la disparition du Conseil d'orientation des retraites est une erreur, alors qu'il s'agit d'un sujet de société qui doit être appréhendé sur la durée.

Il a donc souhaité que le Rapporteur accepte de renoncer à certaines de ses propositions, ou à tout le moins d'en modifier certaines.

M. Pierre Albertini a rappelé que la philosophie même de ce type de travail empêchait sans doute de parvenir à un consensus total sur l'ensemble des propositions. La position du rapporteur de ne pas dénaturer les propositions de la MEC est compréhensible. Le consensus doit être recherché. La MEC a travaillé de manière tout à fait satisfaisante, les comptes rendus d'audition ont été diffusés, avant même corrections, ce qui a permis à chacun d'analyser les problèmes posés. On peut, naturellement, prévoir un laps de temps supplémentaire, mais il faut d'autant moins dénaturer les propositions que chacun s'accorde sur le diagnostic. La qualité individuelle des personnes en charge des organismes publics d'évaluation et de prospective économiques et sociales n'est pas en cause. Il convient par contre de souligner la médiocre efficacité du travail de ces organismes dans leur ensemble, notamment par rapport à un pays comme l'Allemagne où l'organisation plus efficace du système de prospective pourrait très utilement inspirer le modèle français.

L'expérience a montré que plus on rattache d'organismes au Premier ministre moins l'interministéralité fonctionne de manière satisfaisante. La césure entre l'effort d'évaluation et de prospective en matière économique et celui réalisé en matière sociale sont regrettables. La prospective en matière sociale paraît particulièrement pauvre et reflète la mauvaise connexion entre l'économique et le social. Il est nécessaire de mettre en place un système de collecte de l'information qui soit performant. Le système centralisé à l'INSEE en matière d'informations économiques ne fonctionne pas bien. Il faudrait plutôt mettre en place des contrats de prestation renouvelables, permettant éventuellement de changer de partenaires d'évaluation lorsque ces derniers ne donnent pas satisfaction.

M. Philippe Auberger a indiqué que son constat personnel était encore plus sévère. Le CEPREMAP est un organisme défaillant produisant des études illisibles qui ne sont sanctionnées par personne. Il devrait être rattaché au CNRS, avec un comité d'évaluation permettant d'encadrer les chercheurs. Le Conseil national de l'évaluation, qui comprend vingt membres permanents, a produit quatre études en cinq ans sur les quinze qui étaient prévues, ce qui est proprement scandaleux. Dans le débat actuel sur le financement des infrastructures de transport, l'audit commandé par le Premier ministre à l'Inspection générale des finances et au Conseil général des Ponts-et-chaussées n'a été que difficilement accessible, dans un premier temps. Il est particulièrement surprenant que la DATAR ait, par la suite, pris des positions contraires en formulant des conclusions favorables à quasiment tous les projets évalués dans l'audit, et ce, à quelques jours du débat devant l'Assemblée nationale. Cette dissymétrie des moyens est absurde. La MEC ne devrait aboutir qu'à quatre ou cinq propositions seulement.

M. Louis Giscard d'Estaing a insisté sur la nécessité de prendre en compte la dimension territoriale à partir des constats et des conclusions pratiques de la MEC. Le rapport de la DATAR sur les infrastructures de transport aurait tout aussi bien pu être rédigé par le Commissariat général au Plan, ce rapport n'ayant manifestement pas tiré les conséquences de la dimension d'aménagement du territoire, qui aurait dû en être le cœur. Ne faut-il pas conclure de l'ensemble de ces débats que, dans l'intitulé de la Commission des finances, le mot « prospective » devrait être substitué au mot « Plan ».

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a salué l'énorme travail du Rapporteur et la grande difficulté à démêler un sujet aussi complexe. Le diagnostic et les propositions présentées sont satisfaisants. Ils ouvrent néanmoins la porte à d'autres interrogations. En particulier, le travail d'évaluation ne doit-il pas devenir une véritable compétence du Parlement ? La loi organique relative aux lois de finances dote les députés de nouveaux instruments de mesure et d'évaluation de la performance. Ces instruments peuvent permettre au Parlement de jouer un vrai rôle d'évaluation, alors qu'aujourd'hui ces missions sont fortement contraintes. Il faut s'inspirer de l'exemple des parlements étrangers en la matière. Le développement de l'évaluation n'est-il pas l'un des axes fondamentaux de la loi organique ? La proposition du Rapporteur de créer un organisme d'évaluation à mi-chemin entre l'exécutif et le législatif est pertinente, mais ne faut-il pas aller plus loin ? Par ailleurs, une nouvelle dimension a émergé : celle de l'évaluation des politiques publiques locales. Il est désormais nécessaire d'évaluer, de manière permanente et spécifique, les politiques locales, alors que seule la dimension de l'« évaluation-sanction » est aujourd'hui présente au travers du contrôle de légalité  et de celui des chambres régionales des comptes. Le travail du Rapporteur suscite des questions nouvelles. Il faudrait effectivement pouvoir disposer de quelques jours complémentaires pour que chacun puisse apporter ses observations écrites sur les conclusions.

M. Marc Laffineur s'est également félicité du travail considérable du rapporteur et de l'oeuvre de clarté et de synthèse dont il a fait preuve sur un sujet particulièrement touffu. Les propositions du Rapporteur sont importantes, notamment en ce qui concerne le regroupement des organismes et l'appel au vivier des universitaires. Il ne faut pas sous-estimer la dimension territoriale de ce débat. Un délai supplémentaire serait opportun afin de respecter la tradition de la MEC de tenter de parvenir au consensus.

M. Yves Deniaud, co-président de la MEC, a insisté sur l'ampleur du travail accompli. Les observations qui sont émises aujourd'hui auraient même pu l'être plus tôt. La MEC n'a jamais été unanimiste, mais plutôt consensuelle, ce dont témoignent les débats qui se révèlent toujours particulièrement fructueux. La MEC a adopté ses conclusions la semaine dernière. Elle ne doit pas devenir un enjeu de l'affrontement politique. La pratique d'observations a parfois été utilisée lors de MEC : il a lui-même fourni une contribution sur la question du financement des autoroutes.

Le Président Pierre Méhaignerie a tout d'abord rappelé le sérieux et l'importance des débats de la MEC qui se sont étalés sur six séances et qui se sont achevés, à l'issue d'une longue délibération, par un travail remarquable ; chacun a eu tout loisir de réfléchir. Deux solutions sont aujourd'hui possibles : soit la Commission vote le rapport proprement dit, quitte à ce qu'elle formule de nouvelles propositions, soit elle vote le 14 mai prochain. Dans la mesure où un consensus paraît se dégager sur le constat et sur une grande majorité des propositions du Rapporteur, il serait regrettable et paradoxal d'aboutir à un rejet.

En réponse à l'ensemble des intervenants, M. Georges Tron, Rapporteur, a apporté les précisions suivantes :

- il est parfaitement exact de dire que ce rapport ouvre des perspectives nouvelles et pose des questions qui sont au cœur de la réforme de l'État. Un délai supplémentaire d'une semaine est inutile, dans la mesure où les deux ou trois propositions stratégiques du rapport sont par nature dérangeantes. Le consensus ne doit pas aboutir à gommer toute proposition originale : ce n'est pas de « l'eau tiède » ;

- l'intervention de M. Alain Etchegoyen dans la presse constitue une forme de pression sur la position de la MEC et apparaît particulièrement choquante. Depuis 25 ans, la réforme de l'État avorte en raison de l'inertie naturelle et des pressions qui s'exercent contre elle ;

- la proposition de M. Jean-Pierre Balligand de rattacher les crédits d'évaluation au ministère de l'Intérieur ne manque pas de pertinence ;

- s'agissant de la DATAR, il serait regrettable qu'aucune réforme ne soit entreprise, alors que même la Cour des comptes a explicitement dénoncé certaines dérives ;

- il est indéniable que le COR concourt au manque de lisibilité du dispositif mis en place à l'occasion de la réforme des retraites ;

- les critiques de M. Philippe Auberger sur le fonctionnement du CEPREMAP sont tout à fait justes et ce dernier figure d'ailleurs parmi les organismes dont le rapport propose le transfert ;

- les préoccupations du Rapporteur général en ce qui concerne la mission parlementaire d'évaluation ont été au cœur de la préparation de la MEC. Il est en effet essentiel d'introduire le Parlement dans le dispositif en lui donnant une place centrale ;

- on ne peut nier que les conclusions du rapport soient dérangeantes. Il a été tenu compte des observations formulées lors de la délibération de la MEC. Le débat ne doit pas conclure à l'absence de toute réforme de la DATAR. Le consensus est une bonne chose, mais pas le consensus mou. Il n'est donc pas choquant que les conclusions de la MEC ne recueillent pas l'unanimité. Une bonne solution pourrait être l'abstention de certains commissaires lors du vote du rapport et l'insertion ultérieure de leurs conclusions complémentaires écrites.

Le Président Pierre Méhaignerie a estimé qu'il était bien évidemment normal que chacun puisse proposer des alternatives dans quelques jours. Il y a un large accord sur le diagnostic et un désaccord partiel sur les conclusions. Si celui-ci persiste, le rapport pourrait devenir un rapport d'information de la commission.

M. Jean-Pierre Brard a rappelé partager totalement cette inclinaison au consensus, et a souligné que le Rapporteur général allait plus loin que les propositions du rapport. Il faut éviter « l'eau trouble » comme « l'eau tiède ».

Le Président Pierre Méhaignerie a précisé qu'il était évident qu'il n'y aurait pas de consensus sur les vingt recommandations. Un consensus est néanmoins possible sur la majeure partie d'entre elles. Il convient de tenter de l'établir.

M. Didier Migaud s'est rangé à la proposition du Président, et a rappelé que nombre de propositions pourront recueillir un large assentiment. Contrairement à ce que pourraient laisser penser les propos du Rapporteur, la MEC a, par le passé, adopté des propositions percutantes. Il faut bien évidemment faire évoluer l'organisation et le fonctionnement de la DATAR et du Plan. Mais un vote immédiat serait, de la part de son groupe, négatif.

M. Georges Tron, Rapporteur, a estimé que huit jours supplémentaires ne seraient pas de nature à faire évoluer sa position sur la DATAR.

M. Pierre Méhaignerie, Président, a souhaité que ce délai soit cependant ouvert pour qu'un accord soit trouvé. Il a invité les groupes politiques à transmettre à la Commission leurs alternatives aux propositions avant le 16 mai, 17 heures, et a fixé au 20 mai, 11 heures 30, le report du vote et les propositions de la MEC.

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