COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 54

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 14 mai 2003
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président,
puis de M. Philippe Auberger, Doyen d'âge

SOMMAIRE

 

pages

- Examen d'un rapport d'information sur l'épargne retraite (M. Éric Woerth, rapporteur)

2

La commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a examiné, sur le rapport de M.  Éric Woerth, un rapport d'information sur l'épargne retraite.

M.  Éric Woerth, Rapporteur, a indiqué que le présent rapport venait conclure une série d'auditions de ministres, représentants syndicaux, professionnels et observateurs, et permettait ainsi de contribuer au débat sur la réforme des retraites, en cours, même si tout le dispositif proposé par le Gouvernement n'est pas connu avec certitude.

Il existe à l'heure actuelle de multiples dispositifs d'épargne en vue de la retraite, qui forment un paysage complexe et inéquitable. La création, sur ces bases, à l'heure où l'on maintient et réforme les régimes par répartition, d'un véritable « troisième étage » de la retraite, par capitalisation, fait l'objet d'un certain consensus parmi les personnes auditionnées. La capitalisation n'est plus un sujet tabou, elle n'est plus caricaturée. Les divergences portent plutôt sur les modalités de mise en œuvre de ce troisième étage. Son but ultime consiste à compenser la dégradation du taux de remplacement lors du départ à la retraite, cette compensation dépendant de l'ampleur de la réforme des régimes de base. Pour faire face à ce besoin, beaucoup d'outils existent, qui entretiennent une grande confusion : à côté de l'assurance vie ou de l'épargne salariale, on recense de nombreux dispositifs, juxtaposés, d'épargne en vue de la retraite. Il en résulte beaucoup d'iniquité et de complexité : certains en sont réduits à s'en remettre au livret A comme produit d'épargne retraite. Au total, on estime que seuls 2 à 3 % des salariés sont couverts via une institution de retraite supplémentaire, et que les fonds collectés en vue de rentes viagères de retraite ne représentent que 5 % de l'ensemble des versements aux régimes obligatoires et facultatifs. Quant aux exemples étrangers, ils illustrent le retard pris par notre pays sur ce sujet, et militent en faveur de la création d'un régime par capitalisation, dans le respect des spécificités françaises.

Plusieurs options peuvent être envisagées pour la création d'un tel supplément de retraite, qui sont autant de questions techniques à trancher. Tout d'abord, qu'entend-on par « épargne retraite » ? La pension de retraite est un revenu différé ; il s'agit donc d'épargner durant sa vie active et de garantir cette épargne dans le temps pour en obtenir la jouissance pendant sa retraite. Cette philosophie diffère de la conception classique de l'épargne, et il importe de dissiper toute ambiguïté à ce sujet. Quels publics viser ? Alors que les dispositifs existants sont catégoriels et inéquitables, un produit ouvert à tous, aidé fiscalement, doit permettre de répondre aux besoins du plus grand nombre. Faut-il rendre le dispositif de retraite supplémentaire obligatoire ou facultatif ? L'affiliation automatique présente une meilleure garantie de rendement, mais augmente le taux de prélèvements obligatoires, tandis que la souplesse d'un produit facultatif est contrebalancée par la question de l'incitation à y souscrire. La sortie doit-elle se faire en rente ou en capital ? Les avis sont partagés sur ce point. À « l'aversion des Français pour la rente » s'oppose la logique évidente de la rente viagère comme supplément de retraite. Quel degré d'incitation doit être recherché, au regard des prélèvements fiscaux et sociaux ? Si l'incitation fiscale apparaît indispensable, intervient le choix de l'appliquer à l'entrée dans le dispositif ou à la sortie. Quant à l'application de la CSG, de la CRDS, et surtout des cotisations sociales patronales dans le cadre d'un éventuel abondement de l'employeur, il s'agit de questions éminemment politiques, très sensibles pour les partenaires sociaux. Enfin, quel mode de gestion des fonds collectés faut-il retenir ? Il faut opter, en premier lieu, pour un système à cotisations définies ou à prestations définies, ce dernier mécanisme paraissant difficile à généraliser. La transparence de la gestion est une nécessité absolue, de même qu'une gestion extérieure à l'entreprise, afin de rassurer les épargnants et d'éviter toute dérive similaire à celles parfois survenues aux États-Unis.

Pour répondre à ces questions, il importe d'afficher, en matière de retraite supplémentaire, la même ambition que pour la réforme des régimes de base. Deux solutions sont envisageables : soit utiliser un ou plusieurs produits existants que l'on transformerait, soit créer un produit nouveau. C'est cette dernière option qui est proposée par le rapport, afin de ne pas entretenir la confusion entre épargne salariale, assurance-vie et épargne retraite, et de permettre que nos concitoyens y voient plus clair en ce domaine. Telle est la philosophie du « compte épargne retraite » qu'il est proposé de créer. Ce dispositif recoupe, pour l'essentiel, les propositions contenues dans l'avant-projet de loi portant réforme des retraites, en allant un peu plus loin.

Le compte épargne retraite, produit unique, produit équitable, n'en est pas pour autant rigide ; il permettrait une adhésion via l'entreprise ou une adhésion individuelle. Ayant pour but d'améliorer un niveau de retraite, il comporterait une sortie en rente, avec réversion éventuelle. Deux possibilités de déblocage anticipé du capital sont toutefois prévues : d'une part, l'achat de la résidence principale, car il s'agit alors de constituer un revenu de substitution, cette option étant par ailleurs incitative pour les jeunes actifs, et d'autre part, en cas d'accident de la vie lourdement invalidant, source d'une rupture grave dans la vie personnelle. L'incitation fiscale à entrer dans le dispositif serait constituée par une déduction de l'impôt sur le revenu, plafonnée annuellement à 3.000 euros, niveau voisin des possibilités offertes par la Préfon ou la loi « Madelin ». Un crédit d'impôt de 150 euros annuels permettrait d'offrir aux non-imposables une réelle possibilité d'épargner en vue de leur retraite. Quant à un éventuel abondement de l'employeur, il serait plafonné à 100 % des versements du salarié, et exonéré de cotisations sociales patronales. Afin de ne pas tarir, par ce biais, les ressources des régimes par répartition, une fraction des bénéfices réalisés par les gestionnaires de comptes épargne retraite serait affectée au Fonds de réserve pour les retraites.

La gestion des fonds collectés serait effectuée à l'extérieur de l'entreprise, de façon transparente et sûre, par des professionnels adhérant à un fonds de garantie, qui pourraient être « labellisés », à l'instar des gestionnaires de l'épargne salariale, au sein d'un comité intersyndical ad hoc. Les règles prudentielles sont d'une importance cruciale. Le compte épargne retraite, souple dans son fonctionnement, serait ouvert à tous, à tout moment, et permettrait des versements libres ainsi que le rachat de cotisations sur les trois dernières années. Enfin, l'intégration de cette réforme au projet de loi, qui doit être déposé le 28 mai prochain, apparaît doublement opportune : pour la cohérence technique de ce projet, qui comporterait ainsi un dispositif complet, troisième étage inclus, et pour sa cohérence politique, en permettant d'afficher en matière de capitalisation la même ambition qu'en matière de répartition. Le législateur se doit de proposer aux Français un dispositif clair et équitable.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a félicité le Rapporteur pour sa présentation équilibrée et pragmatique. L'épargne en vue de la retraite est de facto déjà pratiquée par les Français, sous différentes formes, comme le livret A. Le débat sur les retraites fait réapparaître le souci des Français d'épargner à long terme, souci légitime au vu de l'allongement de l'espérance de vie. Le climat est donc particulièrement favorable à une réflexion sur l'épargne retraite. Le Rapporteur propose une double incitation fiscale qui passe par un crédit d'impôt, à l'entrée dans le dispositif, et par la possibilité d'une sortie en capital pour acquérir une résidence principale. Les Français devraient être particulièrement sensibles à ces formes d'incitation à l'épargne.

La question de l'abondement des entreprises mérite réflexion. Le Rapporteur propose une exonération totale des charges sociales patronales. Cette exonération ne risque-t-elle pas d'entraîner des difficultés pour le financement du système de retraite par répartition, lequel doit rester la priorité ? En outre, les entreprises n'ont pas toutes les moyens d'abonder l'épargne de leurs salariés. De ce fait, des inégalités risquent d'apparaître selon la taille des entreprises, même si des programmes inter-entreprises peuvent être envisagés. L'épargne salariale représente des masses financières importantes dans les grandes entreprises. Comment s'articulera-t-elle avec l'épargne retraite ?

Les modalités de gestion reposant sur les principes de sécurité, de transparence et d'indépendance vis-à-vis de l'employeur sont adaptées. En revanche, il convient de s'interroger sur la nécessité de créer un produit nouveau pour parvenir aux buts recherchés, alors qu'il existe déjà de nombreux systèmes. Peut-on disposer d'un bilan des systèmes de retraite par capitalisation déjà en place ? L'épargne retraite que le Rapporteur appelle de ses vœux ne pourrait-elle pas plus utilement s'intégrer dans le dispositif des plans partenariaux d'épargne salariale volontaire ?

M. Hervé Novelli a souligné l'intérêt du travail de comparaison mené par le Rapporteur. Il a rappelé que l'effort financier en matière de retraites demandé aux Français par le ministre des Affaires sociales laisse subsister une incertitude à l'horizon 2020. Cet effort sera suffisant si certaines hypothèses relatives à la baisse du taux de chômage et à l'augmentation du taux de croissance sont remplies. Pour le cas où ces hypothèses ne se réaliseraient pas, il faut sécuriser le financement des retraites par la mise en place d'un dispositif d'épargne retraite. La création d'un produit nouveau lui assurera une plus grande lisibilité. Quelles sont les passerelles qui pourraient être mises en place entre les différents mécanismes existants et le nouveau produit ? La possibilité d'une sortie en capital destinée au financement de l'habitation principale, qui est justifiable, est contradictoire avec la préférence pour la rente affichée par le Rapporteur. Il serait préférable de proposer le choix entre rente et capital, quelle que soit l'utilisation qui en sera faite.

M. Jean-Pierre Balligand a indiqué que certaines ambiguïtés devaient être levées. Il convient effectivement de se prononcer pour la création d'un nouveau produit. En effet, l'épargne salariale et l'épargne retraite répondent à deux logiques différentes. Il ne faudrait pas renouveler l'erreur commise par la loi « Thomas » en confondant leurs objectifs. Les plans d'épargne salariale volontaire à dix ans ont été créés afin de fidéliser les salariés et de favoriser le financement des entreprises. La durée de cinq ans est apparue trop courte pour remplir le deuxième objectif, aussi a-t-elle été portée à dix ans. Mais une gestion à dix ans destinée à des placements à risques et à des placements pour l'innovation n'a rien à voir avec une gestion à trente ans pour financer des retraites. La généralisation de l'épargne retraite risque de tarir l'épargne salariale, au détriment de la fidélisation des salariés et du développement des entreprises.

La proposition visant à exonérer de cotisations patronales l'abondement des entreprises est en revanche très inquiétante. Le dispositif d'épargne salariale a pris la précaution de mettre en place un système de taquet, afin de ne pas appauvrir le système de retraite par répartition. Si l'épargne retraite entraîne une exonération des cotisations patronales, le système de retraite par répartition perdra une part importante de ses ressources. Le développement d'un troisième niveau de retraite ne doit pas se faire au détriment du premier niveau.

M. Xavier Bertrand a d'abord remercié le Rapporteur pour la qualité de son travail. Il a rappelé qu'il ne s'agissait pas de ressusciter un débat dépassé entre répartition et capitalisation. Il convient, ici, de choisir entre simplification et pragmatisme. Dans un souci, louable, de simplification, le Rapporteur propose la mise en place d'un nouveau produit. À l'inverse, le pragmatisme inviterait plutôt à optimiser l'utilisation des produits existants. Le besoin d'un produit nouveau n'est pas avéré, puisqu'il y a aujourd'hui une réalité de l'épargne retraite : elle passe par la Préfon, le système de la loi « Madelin » ou bien l'épargne retraite au sein des entreprises. L'équité voudrait que ces possibilités soient étendues à tous les Français. Il existe en outre une épargne de précaution, qui ne porte pas le nom d'épargne retraite mais qui en possède toutes les caractéristiques, comme l'assurance vie par exemple. Il conviendrait donc de favoriser le transfert de cette épargne de précaution vers des produits d'épargne retraite, permettant ainsi l'entrée à titre individuel dans des systèmes d'épargne retraite.

Pour favoriser la mise en place d'un système collectif, la création de plans partenariaux d'épargne salariale volontaire pour la retraite semble souhaitable, sans que de tels dispositifs n'empiètent ou n'entrent en contradiction avec les plans existants. Conformément à sa vocation, la sortie d'un plan d'épargne salariale volontaire pour la retraite se ferait essentiellement en rente, mais une sortie en capital serait également possible afin, par exemple, d'acquérir un logement principal. Le système du plan partenarial a, en outre, l'avantage déterminant d'impliquer les partenaires sociaux et de laisser une grande place à la négociation collective.

Même si le choix du socle de solidarité qu'est la répartition doit être réaffirmé avec force, l'existence d'une épargne retraite ne saurait être ignorée. Il convient dès lors de laisser aux Français la plus grande liberté possible, quant à la gestion de cette épargne. Il convient donc d'optimiser l'utilisation des outils existants.

M. Jean-Yves Chamard a souligné que ce sujet était souvent abordé d'une manière trop polémique. Or, lors de la dernière élection présidentielle, tant M. Lionel Jospin que M. Jacques Chirac ont proposé l'extension de la Préfon à tous les français, et le mécanisme proposé par le Rapporteur semble très proche de celui de la Préfon. Il devrait donc susciter un certain consensus.

Le problème concerne la participation éventuelle de l'employeur, et le point de savoir si celle-ci doit bénéficier d'une exonération de cotisation. Si l'on n'exonère pas cette participation des cotisations retraites mais seulement des autres cotisations, un tel dispositif serait tout à fait susceptible d'être accepté.

M. Marc Laffineur s'est déclaré sensible à l'idée de la mise en place d'un taquet, de manière à éviter une trop forte répercussion sur le système par répartition. Une sortie en rente s'avère indispensable. Il convient également de favoriser les mécanismes de retraite par capitalisation, faute de quoi le départ en retraite se traduira par un changement brutal de situation des intéressés.

Le Président Pierre Méhaignerie s'est demandé si l'avantage sous forme de crédit d'impôt pour les foyers fiscaux non redevables de l'impôt sur le revenu, proposé par le Rapporteur dans le cadre du compte épargne retraite, ne pourrait pas également inspirer une politique d'aide à l'accession très sociale à la propriété, en permettant ainsi de compenser partiellement un coût du foncier qui constitue actuellement le principal obstacle à l'accession des ménages les plus modestes à la propriété. Il convient donc de minorer le coût réel, pour ces ménages, de l'achat du foncier en permettant une utilisation de la rente à cette fin.

En réponse aux différents intervenants, le Rapporteur s'est félicité que le débat sur l'épargne retraite puisse enfin s'engager de manière sereine, sans les hésitations ou les procès d'intention qui ont empêché qu'il progresse au cours des dernières années. Qu'importent les produits, ce qui compte c'est l'objectif à atteindre, c'est-à-dire la mise en place d'un supplément de retraite par capitalisation, permettant d'accroître le revenu des retraités, surtout les plus modestes, et ainsi de mieux garantir leur autonomie. Le contexte est plus favorable que celui qui prévalait lors de l'adoption de la loi « Thomas », car il est clair désormais que les propositions d'instillation d'une dose de capitalisation s'inscrivent dans la politique de sauvegarde des régimes par répartition, poursuivie par le Gouvernement.

La mise en place d'un produit entièrement nouveau dans ce contexte, doit être privilégiée. Même si elle peut paraître plus difficile à court terme, cette solution présentera un avantage important en termes de simplification et de clarification. Certes, l'on pourrait transformer le plan partenarial en instrument d'épargne retraite, mais cette solution resterait ambiguë et contribuerait à obscurcir les différences entre épargne salariale - qui dans sa philosophie repose sur un partage des résultats de l'entreprise - et épargne retraite. Ce nouveau produit devra permettre de respecter les principes d'équité - il y a aujourd'hui beaucoup d'inégalités entre les différents produits existants - et de simplicité.

En ce qui concerne l'exonération des charges sociales de l'abondement de l'employeur, il est clair qu'il faut établir un plafond. On pourrait envisager d'exclure de l'exonération les cotisations vieillesse, mais il faut remarquer que ce n'est pas actuellement le cas pour les plans d'épargne salariale et les contrats conclus en application des articles 82 ou 83 du code général des impôts. Dans le rapport, pour répondre à l'argument selon lequel l'exonération saperait le financement de la retraite par répartition, il est d'ailleurs proposé un mécanisme d'abondement du fonds de réserve pour les retraites.

Il est inévitable que ce nouveau produit d'épargne ait des répercussions sur les autres dispositifs d'épargne existants. Il ne s'agit pas d'augmenter encore un taux d'épargne qui est déjà, en France, très élevé. Des arbitrages entre différents types d'épargne devront être faits et il n'est pas illégitime que l'État, au travers de mécanismes d'incitation fiscale par exemple, détermine l'épargne qu'il entend privilégier.

Le compte épargne retraite, tel qu'il est proposé, présente des points communs avec le mécanisme de la Préfon. Cependant, il s'en distingue, car la Préfon ne fonctionne pas très bien. Ainsi, il n'y a pas pluralité de gestionnaires et donc pas de concurrence entre gestions différentes et certaines des règles propres de la Préfon, telles que de larges possibilités de rachat ou l'absence de sortie pour l'acquisition de l'habitation principale, ne sont pas transposables à un système ouvert à tous.

La Commission a ensuite autorisé, en application de l'article 145 du Règlement, la publication du rapport.

--____--


© Assemblée nationale