COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 64

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 24 juin 2003
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et de M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, sur le débat d'orientation budgétaire.

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- Informations relatives à la Commission

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La Commission des finances, de l'économie générale et du Plan a procédé à l'audition de M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et de M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, sur le débat d'orientation budgétaire.

M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a considéré que le débat d'orientation budgétaire permettait d'aborder en amont la procédure de préparation de la prochaine loi de finances dans un climat de transparence et de responsabilité. Le présent débat intervient dans une situation économique complexe, même si la principale hypothèque qui pesait sur le climat international a été levée, avec la fin de la guerre en Irak. Les conditions de la reprise économique sont à présent réunies au niveau international, pour la zone euro et pour la France. En particulier, la croissance américaine, soutenue par une politique budgétaire expansive, par la dépréciation du dollar et la forte réactivité de l'économie américaine, devrait être soutenue. En outre, les taux d'intérêt en Europe sont particulièrement bas et il n'est pas exclu que la Banque centrale européenne baisse à nouveau ses taux si la Réserve fédérale américaine poursuit sa politique de diminution des taux directeurs. Par ailleurs, la baisse du dollar contribue à faire refluer l'inflation en Europe, désormais inférieure à 2%, ce qui renforce le pouvoir d'achat des ménages. Ainsi, la conjonction de la baisse des taux d'intérêt et d'une inflation faible crée des conditions très favorables à une hausse de la consommation et de l'investissement en Europe.

Cette reprise de la consommation est d'autant plus vraisemblable que la situation financière des ménages en France est relativement bonne par rapport à celle des ménages américains : ainsi en témoigne un taux d'épargne plus élevé, même si des modes de calcul différents de part et d'autre de l'Atlantique conduisent à relativiser la comparaison. La reprise de l'investissement pourrait, en apparence, pâtir de la forte augmentation du taux d'endettement des entreprises constaté à la fin des années 90. Une analyse plus approfondie montre que ce phénomène ne touche, en réalité, que les grands groupes, alors que les entreprises de taille inférieure et les entreprises indépendantes conservent un taux d'endettement globalement stable sur une longue période. De ce fait, le cœur de l'économie industrielle reste sain et permet d'envisager un redémarrage prochain de l'investissement dans notre pays. On observera d'ailleurs que la charge d'intérêt de la dette des entreprises reste modérée et très inférieure à ce qu'elle était au début des années 90.

Cependant, la reprise économique n'est pas encore perceptible. Cela s'explique, en premier lieu, par le décalage classique entre la réalité de la reprise et les indicateurs économiques pertinents. Cela résulte surtout de la « panne » de croissance de l'Allemagne, premier partenaire de la France, qui se confirme depuis trois ans. La croissance allemande devrait être égale en 2003 à 0,2% ou 0,3% seulement, ce qui porterait son taux de croissance cumulé sur les trois dernières années à moins de 1%. Le rythme de croissance de notre pays, pour le premier semestre 2003, est assez décevant mais rien n'est joué en 2003 car beaucoup dépendra du comportement des ménages et des entreprises au cours du second semestre. Il est donc difficile d'établir avec certitude une prévision de croissance pour l'année puisque, pour une large part, la croissance dépend de l'optimisme des acteurs économiques. Si l'on pouvait obtenir 1,5% en fin d'année, ce serait un résultat heureux. Aux yeux du Gouvernement l'INSEE est peut-être trop pessimiste lorsqu'il prévoit un taux de croissance de 0,8%. Aujourd'hui on ne peut pas être beaucoup plus précis.

Cette moindre croissance aura pour conséquence une réduction des recettes fiscales et sociales, ce qui se traduirait, pour le budget de l'Etat, par une moins-value de 5,1 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2003, amenant le déficit public à 3,4% du PIB. Du fait des aléas qui continuent à peser sur la croissance, le Gouvernement n'exclut pas que le déficit public soit légèrement supérieur à 3,4% du PIB, si la conjoncture ne se redressait pas comme prévu.

La stratégie du Gouvernement dans ce contexte est claire : il s'agit de laisser jouer les stabilisateurs économiques, de refuser d'augmenter les prélèvements obligatoires et d'accepter que le déficit public dépasse le seuil de 3%. Ce dépassement, cependant, ne doit pas traduire un comportement structurel, ne serait-ce qu'au regard des engagements européens de la France. C'est la raison pour laquelle une réserve de précaution et d'innovation a été constituée sur les crédits ouverts en 2003, afin de faire face aux aléas de la dépense en gestion tout en respectant globalement le niveau des crédits votés en loi de finances initiale. L'action du Gouvernement s'inscrit dans un cadre cohérent : elle tend à contenir la dépense, à ne pas augmenter les prélèvements obligatoires, à poursuivre la baisse de certains d'entre eux lorsqu'il s'agit de relancer la croissance et l'emploi et à mener les réformes structurelles indispensables à notre pays : réforme des retraites, réforme de l'Etat, pour le rendre plus efficace et moins coûteux, réforme de la santé pour sauver le système de protection sociale et le rendre plus performant. Ces réformes et cette stratégie créeront les conditions de la reprise économique tout en assurant enfin, dans une optique pluriannuelle, la maîtrise des finances publiques.

M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, s'est attaché à décrire les perspectives budgétaires et la manière dont il est aujourd'hui envisagé d'engager la construction du budget pour 2004. La dégradation des comptes publics entre les années 2001 et 2002 est avérée : le besoin de financement des administrations publiques est ainsi passé de 1,5 % du PIB en 2001 à 3,1 % du PIB en 2002. Cette situation s'explique à la fois par un ralentissement conjoncturel de l'économie et par l'influence de facteurs structurels. Les efforts d'ajustement de la dépense consentis par le précédent Gouvernement ont été trop chichement mesurés, comme l'a noté à juste titre la Commission européenne. Celle-ci a déploré que les efforts d'assainissement engagés en 1995 aient été interrompus dès 1999, laissant place à une politique expansive en phase haute du cycle économique.

Les baisses d'impôts mises en œuvre par le précédent Gouvernement n'ayant pas été gagées par des diminutions de dépenses, les diminutions discrétionnaires de prélèvements obligatoires ont conduit à une dérive importante des comptes publics lorsque la conjoncture s'est retournée. Cette situation a été provisoirement masquée par l'ampleur de plus-values fiscales exceptionnelles liées, notamment pendant les années 1999-2000, au développement des activités des nouvelles technologies de la communication et de l'information et de l'internet. Alors que ces plus-values fiscales étaient par nature aléatoires, le précédent Gouvernement a durablement engagé les finances publiques en décidant des dépenses pérennes de grande ampleur : le financement public des trente-cinq heures, la création de 48 000 nouveaux emplois budgétaires, la mise en place de près de 220 000 emplois jeunes et l'instauration de nouvelles aides telles que la couverture maladie universelle (CMU) ou l'aide médicale de l'Etat (AME). Au total, ces dépenses ont représenté environ 19 milliards d'euros en 2002 et ont contribué à hauteur de 40 % au déficit public.

L'actuel Gouvernement s'engage pour sa part à mener une politique budgétaire à la fois responsable et transparente s'agissant des recettes : il a choisi de laisser jouer les stabilisateurs automatiques tout en menant une action volontariste pour maîtriser les dépenses publiques. Ainsi les dépenses de l'Etat ne dépasseront pas le niveau autorisé en loi de finances initiale pour 2003, soit 273,8 milliards d'euros. Afin de respecter ce niveau, des mises en réserve ont été décidées sur les crédits inscrits en loi de finances pour 2003 : une réserve de précaution et d'innovation de 3,97 milliards d'euros a ainsi été mise en place pour faire face aux aléas de gestion et répondre à des besoins d'opportunité. Sur ce total, 1,4 milliard d'euros a fait l'objet d'une mesure d'annulation en mars. Un dispositif spécifique de mise en réserve des crédits reportés de 2002 a par ailleurs été instauré afin de maîtriser la consommation des reports. Sur un total de 11,6 milliards d'euros de crédits disponibles à la fin de l'année 2002, 6,6 milliards d'euros ont été mis en réserve.

La révision à la baisse de la prévision de recettes fiscales présentée par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie pour 2003 est fondée sur divers éléments d'information. Les recouvrements d'impôt sur les sociétés sont susceptibles de diminuer fortement par rapport à 2002 (- 7,6 %), et devraient atteindre un montant inférieur de 3,1 milliards d'euros aux recouvrements de l'année 2002. Cette dégradation s'explique par une forte diminution du bénéfice fiscal en 2002. En outre, le montant de la TVA nette devrait enregistrer une progression de 2,6 % seulement par rapport à 2002 et être inférieur de 1,5 milliard d'euros par rapport à l'évaluation de la loi de finances initiale pour 2003, du fait d'une demande intérieure moins dynamique que prévu. Au total, les recettes fiscales pourraient afficher une moins-value de 5,1 milliards d'euros par rapport à la prévision de la loi de finances initiales.

S'agissant des orientations des finances publiques pour 2004-2006, un des objectifs majeurs poursuivis par le Gouvernement est de faire redescendre le déficit public en dessous du seuil de 3 % du PIB. La France doit en effet s'engager dans une véritable consolidation budgétaire, d'une part, pour briser la spirale de l'accumulation de la dette et, d'autre part, pour respecter ses engagements européens. Il faut souligner que l'Etat est aujourd'hui contraint d'emprunter pour simplement payer les intérêts de la dette, ce qui réduit de façon très préoccupante les marges de manœuvres budgétaires. Cette situation apparaît d'autant plus inquiétante que la part des dépenses de l'Etat maîtrisables à court terme a tendance à se réduire : le budget devient ainsi de plus en plus rigide, grevé par deux postes de dépenses essentiels : les rémunérations et pensions des agents de l'Etat, qui constituent une dépense incompressible et en augmentation sensible au cours des dernières années (44% du budget de l'Etat) ; les charges de la dette, qui atteignent chaque année des proportions plus importantes (14 % du budget de l'Etat en 2003).

La préparation du budget 2004 traduit un réel effort de maîtrise des dépenses et de redéploiement des moyens. Le Gouvernement souhaite que les dépenses de l'Etat soient globalement stabilisées en volume et que les dépenses hors dette et pensions de la fonction publique soient stabilisées en valeur. Cette stratégie a vocation à être poursuivie à l'horizon 2006 ; la stabilisation en volume des dépenses conduit à ce qu'en 2006, le budget général de l'Etat devrait s'établir à 286,3 milliards d'euros contre 273,8 milliards d'euros en loi de finances pour 2003, soit une progression de 12,5 milliards d'euros dont 12,2 sont déjà préemptés par l'augmentation de la charge de la dette et des pensions. En matière de recettes à l'horizon 2006, les simulations réalisées par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie montrent que l'impôt sur le revenu devrait rapporter au budget de l'Etat entre 57,3 milliards d'euros (prévision basse) et 61,5 milliards d'euros (prévision haute) ; la TVA, caractérisée par une forte élasticité au PIB, devrait rapporter entre 119,8 milliards d'euros et 124,6 milliards d'euros et l'impôt sur les sociétés, très volatil, devrait rapporter entre 37,2 milliards d'euros et 43,2 milliards d'euros. Ainsi, selon les prévisions hautes à l'horizon 2006, les recettes fiscales nettes pourraient s'élever à 282,5 milliards d'euros et à 263,3 milliards d'euros selon les prévisions basses, étant précisé que ces évaluations n'incluent par définition aucune mesure fiscale pouvant être décidée au cours de la période 2004-2006.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, après avoir salué les interventions du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et du ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, et la qualité du rapport présenté par le Gouvernement en vue du débat d'orientation budgétaire, a souhaité connaître l'appréciation portée par le Gouvernement sur la solidité de la reprise, modeste, de l'investissement des entreprises observée au cours du premier trimestre 2003, dans les comptes nationaux que l'INSEE voit perdurer au second semestre. La question est d'importance puisque les trois moteurs de la croissance sont la consommation, l'exportation et l'investissement des entreprises. Il a ensuite interrogé le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur le caractère pertinent, à moyen terme, de l'hypothèse conventionnelle d'un taux de change de 1 euro pour 1,1 dollar, retenue pour l'élaboration de la loi de finances pour 2003. À cet égard, quel bilan peut-on dresser de la monnaie commune, qui constitue sans doute une garantie et un atout pour amortir les conséquences néfastes de l'accumulation des déficits publics enregistrés par la France ?

Les deux dernières années ont montré combien il est dangereux et aléatoire de construire un budget sur une hypothèse de croissance « volontariste », dont découlent directement des prévisions hasardeuses en termes de recettes fiscales. Ces prévisions peuvent en effet s'avérer très éloignées de la réalité en cours d'exercice tandis que les dépenses prévues en loi de finances initiale sont, elles, bien réelles et pèsent concrètement sur l'évolution des finances publiques. Ainsi, à la fin des années 90, le précédent Gouvernement a bénéficié de recettes fiscales tout à fait exceptionnelles et a dans le même temps mis en œuvre des réformes induisant des dépenses pérennes qui s'avèrent particulièrement lourdes en période de ralentissement conjoncturel. Il conviendrait probablement d'introduire en France un principe de bon sens appliqué dans d'autres pays, comme le Canada, selon lequel l'élaboration du budget doit se fonder systématiquement sur les hypothèses de recettes les plus pessimistes et l'estimation la plus basse en matière de taux de croissance. Si des recettes supplémentaires viennent à être constatées en cours d'exercice, elles sont automatiquement dédiées à la réduction du déficit public.

Le scénario reposant sur l'hypothèse d'une croissance zéro en volume des dépenses pendant trois ans est, certes, indispensable pour parvenir à une maîtrise significative des dépenses publiques mais cette volonté se heurte à la logique du « guichet ouvert » qui prévaut en matière d'aides sociales comme la CMU ou l'allocation prestation autonomie (APA).

Par ailleurs, un certain nombre de mesures fiscales ont été adoptées ou sont en cours d'adoption par le Parlement, dispersées dans différents textes comme le projet de loi sur l'initiative économique, le projet de loi de programme pour l'outre-mer ou le projet de loi sur le renouvellement urbain. Une telle démarche a l'intérêt de regrouper dans un même texte l'ensemble des mesures participant de la politique du Gouvernement dans un domaine particulier. Elle présente cependant l'inconvénient de rendre moins immédiatement perceptible l'effort d'allégement déjà consenti pour 2004. Il serait d'ailleurs opportun de mener une étude financière préalable en amont de l'examen de tout projet de loi ayant un impact financier. Une telle démarche permettrait aux parlementaires comme au Gouvernement de contribuer encore plus efficacement à la maîtrise des finances publiques, pour l'Etat comme pour les collectivités territoriales.

Il conviendrait également que la Commission des finances, de l'économie générale et du Plan soit informée de façon très précise sur les « dégels » de crédits dont la presse s'est fait récemment l'écho.

Evoquant la perspective d'une reprise de l'investissement des entreprises, M. Francis Mer a rappelé le caractère satisfaisant de la situation de ces entreprises en termes de bilan et d'endettement. Si l'on exclut les quelque vingt grandes entreprises qui ont pu dans le passé avoir en la matière un comportement d'endettement excessif, il est indéniable que les bilans et les comptes d'exploitation des entreprises connaissent de manière structurelle une amélioration depuis plusieurs années. L'INSEE a donc tout à fait raison de souligner qu'en raison du fort repli de l'investissement en 2002, de la situation financière saine des entreprises et du faible coût de l'argent, l'investissement des entreprises devrait repartir à la hausse une fois l'environnement macroéconomique stabilisé.

La monnaie européenne constitue une véritable chance à la fois pour l'Europe et pour la France, notamment en raison de la suppression du risque de change qu'elle induit, alors que dans le passé la France n'a pas nécessairement eu vis-à-vis du consommateur et de l'épargnant un comportement responsable dans la gestion de sa monnaie. L'euro permet à l'économie française de bénéficier de taux d'intérêt particulièrement bas, ce qui, compte tenu d'une inflation de 1,7% ou 1,8%, ramène le coût de l'argent à un niveau extrêmement faible, jamais observé au cours des cinquante dernières années.

L'hypothèse d'un taux de change de l'euro vis-à-vis du dollar fixé à 1,10 est de nature conventionnelle. Il est clair qu'actuellement c'est le dollar qui baisse, et non l'euro qui s'apprécie. La dépréciation du dollar est imputable à un décrochement de la confiance du système international dans l'économie américaine, ce phénomène étant paradoxal puisqu'il est intervenu au moment même où les Etats-Unis faisaient la démonstration de leur puissance militaire. Cette détérioration de la confiance dans l'économie américaine conduit pour l'instant à une dépréciation du dollar, mais il serait hasardeux d'en tirer des conclusions sur le comportement de la parité euro-dollar dans les deux ou trois prochaines années.

Les règles d'évolution des dépenses et des recettes évoquées par le Rapporteur général méritent considération. D'ailleurs, le Gouvernement est déterminé à fixer des règles robustes pour une bonne gestion des finances publiques. Toutefois, la France est confrontée depuis plusieurs années à une augmentation de sa dette qui réduit les marges de manœuvre budgétaires, même si, en raison du faible niveau des taux d'intérêt, les frais financiers liés à cette dette ont évolué de façon plus modérée.

Réaliser des études d'impact financier préalablement à l'adoption de toute mesure législative serait un principe de bon sens. Une entreprise ne lance-t-elle pas des investissements après une étude de leur rentabilité ? Il convient de transposer cette démarche à la gestion des finances publiques.

La maîtrise de la dette impose une croissance nulle en volume pour les dépenses au cours des trois prochaines années. La discipline de l'euro oblige la France à gérer de manière rigoureuse la dépense publique, ce qui permettra d'affecter le surplus de croissance, lorsque celle-ci repartira à la hausse, à la réduction des déficits publics.

M. Alain Lambert a précisé que les baisses d'impôt en discussion ou promulguées depuis l'adoption de la loi de finances initiale étaient évaluées, pour 2003, à 476 millions d'euros et devraient avoir un impact, en 2004, de 406 millions d'euros. Sur ces deux années, les baisses d'impôt sont donc déjà de 882 millions d'euros. A l'occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 2004, il sera toutefois pertinent de présenter une consolidation des baisses d'impôt décidées au cours des deux années précitées.

La nécessité de présenter des notes d'impact préalablement à toute mesure législative était évoquée dans le rapport sur la dépense publique et le contrôle parlementaire élaboré par le groupe de travail présidé par M. Laurent Fabius, alors président de l'Assemblée nationale. De telles notes d'impact seraient très utiles, tant au Gouvernement qu'au Parlement. Une dépense nouvelle n'est pas nécessairement source de croissance et il serait intéressant de conjurer cette illusion.

Le ministre a indiqué que le Gouvernement se tenait à la disposition de la Commission des finances pour lui communiquer les mesures de dégel de crédits décidées. A l'exception du dégel de 47 millions d'euros consacrés aux entreprises d'insertion, ces mesures sont peu nombreuses : elles visent parfois à corriger des erreurs matérielles ; si ce n'est pas le cas, elles sont gagées sur des crédits qui n'avaient pas fait l'objet de gel auparavant.

Le risque de nouvelles moins-values fiscales au cours du second semestre de 2003 n'est pas négligeable, mais le Gouvernement n'entend pas imputer les moins-values de recettes sur les dépenses. Il faut au contraire gérer de manière indépendante les recettes et les dépenses :

- l'évolution des recettes doit refléter le jeu des stabilisateurs automatiques ;

- l'évolution des dépenses est guidée par le respect de la norme de dépense, ce qui signifie que lorsque l'exécution fait apparaître une menace sur cette norme d'évolution, celle-ci doit être conjurée par des annulations de dépenses.

M. Didier Migaud s'est inscrit en « rupture » avec les propos des ministres, déclarant ne pas partager leur satisfaction quant à l'évolution des finances publiques. En fait, les propos du ministre pourraient être résumés de la manière suivante : la croissance est inférieure aux prévisions, le déficit est supérieur aux prévisions, mais l'économie française devrait mieux se porter et la gestion des finances publiques ne sera pas infléchie.

Ne serait-il pas opportun que les responsables de la majorité fassent preuve de plus d'humilité s'agissant des prévisions de croissance ? Ils ont suffisamment reproché à la précédente majorité d'avoir retenu une prévision de croissance pour 2002 de 2,5%. S'agissant de l'année 2003, la majorité s'est « accrochée » à une prévision identique, alors que l'INSEE évoque désormais une perspective de 0,8%.

Le rapport sur l'évolution de l'économie nationale et sur les orientations des finances publiques présenté par le Gouvernement est très décevant. Ce rapport fournit peu d'indications sur l'exercice 2003 et les années à venir. Les données chiffrées font l'objet de fourchettes tellement larges qu'il est impossible d'en tirer des conclusions pour l'avenir. Ce rapport insiste, pour expliquer le ralentissement de la situation économique, sur l'héritage des politiques menées dans le passé : cette orientation semble quelque peu en décalage avec des rapports plus objectifs, tels que le rapport préliminaire de la Cour des comptes sur l'exécution du budget pour 2002 ou celui de la Commission européenne sur les finances publiques de la France, qui évoquent tous deux la responsabilité directe du Gouvernement actuel dans la dégradation de la situation économique et budgétaire. Le rapport élaboré par M. Philippe Marini, rapporteur général de la Commission des finances du Sénat, en vue du débat d'orientation budgétaire, indique bien, lui aussi, que l'« héritage » n'explique pas tout.

On doit d'ailleurs s'étonner du « silence assourdissant » de la Commission des finances de l'Assemblée nationale sur l'évolution de la situation budgétaire, alors que le Rapporteur général de la Commission des finances du Sénat ne se prive pas de commenter, parfois de manière très pessimiste, l'évolution des comptes publics.

Il serait justement intéressant de connaître l'appréciation que porte le Gouvernement sur les constatations rendues publiques par le Rapporteur général de la Commission des finances du Sénat dans son rapport, qui, à cette occasion, décrit fort lucidement une situation très dégradée de nos finances publiques, sans pour autant, il est vrai, proposer les mesures opportunes permettant son amélioration.

Lors des débats sur le projet de loi de finances pour 2003, le Gouvernement avait estimé que la croissance n'avait qu'un effet limité sur le niveau des recettes fiscales de l'Etat. Le Gouvernement avait, à cette occasion, indiqué qu'une variation d'un point de la croissance du produit intérieur brut signifierait en 2003 une variation de 1,7 milliard d'euros du montant des recettes fiscales. Le rapport du Gouvernement sur l'évolution de l'économie nationale et sur les orientations des finances publiques prévoit aujourd'hui que le montant des moins-values fiscales pour 2003 au regard des prévisions de la loi de finances initiale, pourrait s'élever à 5,1 milliards d'euros. Il est donc nécessaire que le Gouvernement fournisse les éléments permettant d'apprécier la cohérence entre, d'une part, ses premières déclarations relatives au montant des pertes de recettes fiscales par unité de point de croissance du produit intérieur brut constatée en deçà de la prévision initiale, et, d'autre part, l'évaluation des moins-values fiscales pour 2003 qu'il associe à la révision de son scénario économique. En tout état de cause, cette dernière évaluation laisse penser qu'un niveau de croissance très faible sera constaté en 2003.

Le Rapporteur général de la Commission des finances du Sénat évalue à 3 milliards d'euros la différence entre le montant des recettes non fiscales tel qu'il a été évalué par la loi de finances pour 2003 et celui qui pourrait être constaté au terme de cet exercice budgétaire. Or, le Gouvernement n'a donné aucune indication sur une éventuelle dégradation des recettes non fiscales dans son rapport sur l'évolution de l'économie nationale et sur les orientations des finances publiques. Ce silence signifie-t-il que l'hypothèse avancée par le Rapporteur général de la Commission des finances du Sénat est plausible ?

Un certain montant de crédits a été mis en réserve, qu'il s'agisse des crédits ouverts par la loi de finances pour 2003 ou des crédits reportés de la gestion 2002. Il serait intéressant de connaître avec exactitude la proportion d'entre eux qui, in fine, seront annulés. Le Gouvernement devrait également faire savoir si d'autres mesures de mises en réserve de crédits ou d'annulations sont envisagées pour 2003.

La position du ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, selon laquelle, en matière de solde des finances publiques, le plus important est la trajectoire et non pas l'arithmétique comptable, doit recueillir l'adhésion la plus large. Il apparaît cependant que la trajectoire actuelle du solde des finances publiques françaises est très inquiétante. Ainsi, alors que l'audit de la situation des finances publiques remis au Premier ministre à la fin du mois de juin 2002 avait évalué que le déficit s'établirait pour 2002 à 2,6% du produit intérieur brut, le taux effectivement constaté s'est élevé à 3,1%. Par ailleurs, le déficit public a été évalué dans la loi de finances initiale pour 2003 à 2,6%. Or, il est possible de déduire des analyses présentées dans son rapport par le Rapporteur général de la Commission des finances du Sénat, que ce déficit pourrait en fait s'élever à un niveau compris entre 3,5% et 4% du produit intérieur brut. Dans ces conditions, il apparaît difficile de tenir pour acquis le retour du déficit à 2,9% du PIB en 2004 et ce, sans même considérer les effets, d'une part, des engagements récemment réaffirmés par le Président de la République sur la poursuite de la baisse de l'impôt sur le revenu et, d'autre part, de l'entrée en vigueur des dispositions législatives évoquées par le Rapporteur général, qui ont une incidence sur les recettes fiscales en 2004. Il faut noter que la Commission européenne ne pourra pas accepter que les règles du pacte de stabilité et de croissance soient ainsi ignorées autant d'années de suite, quelles que soient les critiques que l'on peut par ailleurs adresser à la logique qui gouverne ces règles.

Il serait intéressant de savoir si le Gouvernement procédera au non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite en 2004, ainsi qu'il y est invité par le Rapporteur général de la Commission des finances du Sénat dans son rapport sur le débat d'orientation budgétaire pour 2004.

Enfin, au-delà de la mise en œuvre des dispositions législatives évoquées par le Rapporteur général qui ont une incidence sur les recettes fiscales en 2004, le Gouvernement pourrait indiquer s'il envisage de proposer dans le projet de loi de finances pour 2004 une nouvelle baisse des taux du barème de l'impôt sur le revenu, ou la mise en œuvre du taux réduit de 5,50% de la TVA dans le secteur de la restauration, sujet sur lequel il conviendrait de préciser dans quel délai pourrait intervenir l'accord unanime de nos partenaires européens, qui constitue le préalable nécessaire à cette mise en œuvre.

M. Philippe Auberger a estimé méritoire que le Gouvernement procède, dans le cadre du débat d'orientation budgétaire, à une information du Parlement sur les hypothèses et la stratégie qu'il retient en matière de finances publiques françaises en 2004, alors que les effets du conflit irakien sur l'économie mondiale ne sont pas encore complètement déterminés. Cet effort n'a pas eu d'équivalent au cours de la législature précédente. Il est par ailleurs vain de critiquer le caractère prétendument incomplet de cette information. Si le débat d'orientation budgétaire consistait pour le Gouvernement à livrer chacun des paramètres et des éléments qui constituent une loi de finances, il n'aurait plus de débat que le nom.

Les derniers travaux de l'INSEE, qui prévoient que la croissance du produit intérieur brut devrait s'élever à 0,8% en 2003, risquent de conduire le Gouvernement à modifier ses propres évaluations, aux termes desquelles ce taux devrait s'établir à 1,3%. Qu'en est-il exactement et quel impact cela aurait-il sur le niveau des recettes fiscales ? Par ailleurs, ces travaux précisent que « l'acquis de croissance » pour 2004, à la fin de l'année 2003, sera faible, ce qui rend improbable la réalisation de l'hypothèse d'une croissance du produit intérieur brut de 2,5% en 2004. Cette prévision concernant « l'acquis de croissance » pourrait-elle conduire le Gouvernement à réviser sa propre hypothèse ?

En matière de politique budgétaire, le principe du libre jeu des stabilisateurs automatique est sous-tendu par une analyse économique qui met l'accent sur l'insuffisance de la demande. Il faut noter en premier lieu que la stratégie du Gouvernement, telle qu'elle apparaît à l'occasion du débat d'orientation budgétaire pour 2004, ne s'inscrit pas dans ce cadre intellectuel. En second lieu, une telle doctrine ne serait pas opérante dans la situation actuelle de l'économie française, marquée par la faiblesse de l'investissement productif. Or, si cette faiblesse peut avoir pour origine la faiblesse de la demande ou encore le niveau élevé des taux d'intérêt réels, il faut bien constater que de nombreuses entreprises, parmi les plus importantes, n'ont pas pu investir ces derniers mois en raison de l'état des marchés financiers et des marchés d'actions, qui a rendu impossible la réalisation de certaines augmentations de capital nécessaires à la réalisation d'investissements productifs.

Par ailleurs, le Gouvernement pourrait faire le point des recettes susceptibles d'être inscrites sur le compte d'affectation spéciale n° 902-24 relatif à l'affectation des produits de cessions de titres, parts et droits de sociétés, compte tenu de l'évolution plus favorable des marchés d'actions depuis quelques semaines. Elles étaient évaluées à 8 milliards d'euros dans la loi de finance initiale. Parallèlement, le Gouvernement pourrait préciser les opérations financées sur le compte depuis le début de l'année.

Le Président Pierre Méhaignerie a déclaré qu'il appartient à chacun d'apprécier si l'amélioration de la situation de nos finances publiques relève ou non de « la quadrature du cercle », le principe pratique qui, en tout état de cause, permettra à terme de constater cette amélioration étant la maîtrise de la dépense publique. Il existe de grandes marges de productivité dans les administrations et la norme de 0% de croissance en volume doit être appliquée sans ambages. A cet égard, les récentes déclarations de M. Didier Migaud, tendant à dénoncer, par principe, les propositions qui permettraient de mettre en œuvre la maîtrise de la dépense publique, sont, à tout le moins, peu opportunes. A contrario, les réformes engagées ou qui seront prochainement mises en œuvre, concernant l'assurance-maladie, les retraites et le fonctionnement de l'Etat, constituent les jalons indispensables qui permettront de constater in fine la maîtrise de la dépense publique.

Trois observations peuvent être faites concernant la mise en réserve de certains crédits :

- il serait opportun que le Parlement soit informé de la disponibilité retrouvée de crédits préalablement mis en réserve, dans les conditions qui sont celles de son information s'agissant des mises en réserve de crédits elles-mêmes ;

- on constate, au niveau local, des situations parfois « conflictuelles » dues au fait que certaines lignes budgétaires, affectées à la fois par des mises en réserve ou des annulations sur les crédits ouverts pour 2003 et par des mises en réserve des crédits disponibles au terme de l'exercice 2002 et reportés sur 2003, sont dans les faits « bloquées » pour la dépense. Le Gouvernement devrait permettre, le cas échéant, au préfet et au trésorier-payeur général, de disposer à nouveau de ces crédits, afin de réduire les tensions les plus criantes ;

- la mise en œuvre du principe de sincérité budgétaire nécessite sans doute que les parlementaires disposent, dès le début de la discussion du projet de loi de finances, du montant des crédits que le Gouvernement envisage de mettre en réserve en début d'exercice.

S'agissant des mesures fiscales nouvelles qui pourraient être mises en œuvre à compter de 2004, il conviendra de procéder à la nécessaire conciliation des principes d'efficacité et de justice. C'est à cette aune qu'il faudra apprécier les propositions du Gouvernement s'il était, le cas échéant, envisagé à la fois une nouvelle baisse des taux du barème de l'impôt sur le revenu et une augmentation de la contribution sociale généralisée dans le cadre de la réforme à venir de l'assurance-maladie.

Il n'est pas interdit, enfin, de cultiver un certain optimisme pour l'évolution de nos finances publiques. Entre 1998 et 2002, le montant des recettes de l'Etat a augmenté de 76 milliards d'euros. Si une politique inopportune n'a finalement pas permis d'assainir les finances publiques en utilisant cette manne de façon judicieuse, il demeure que l'amélioration à venir de la conjoncture économique apportera à nouveau des recettes dynamiques. Il serait donc malvenu de dresser un tableau trop sombre de l'avenir.

M. Michel Bouvard, tout en reconnaissant le caractère inévitable et à vrai dire habituel des annulations de crédits dans un environnement économique dégradé, a fait part de son inquiétude s'agissant des dépenses d'investissement. Il convient en effet, de choisir avec un grand discernement les dépenses qui doivent être affectées par les gels de crédit. En particulier, il faut veiller à ce que ne soient pas annulés les programmes d'investissement pour lesquels l'Etat, pour n'être pas le bailleur de fonds principal, exerce cependant un effet de levier. Ainsi, des programmes liés aux fonds structurels européens peuvent se trouver interrompus parce que l'Etat gèle des crédits, certes minoritaires dans leur financement mais néanmoins indispensables à leur engagement.

Le Gouvernement fonde quelque espoir sur les baisses de taux d'intérêt déjà décidées ou susceptibles d'être décidées par la Banque centrale européenne (BCE). Est-il possible de mesurer précisément l'impact des variations de taux d'intérêt sur l'investissement et la croissance économique ? Ne serait-il pas opportun, au moment où l'Union européenne débat avec ardeur de son avenir et s'engage dans une révision des traités, d'inclure enfin dans les objectifs officiellement assignés à la BCE la croissance de l'activité de la zone euro ?

S'agissant du budget pour 2004, comment sera-t-il possible, dans un contexte d'augmentation mécanique de nombreuses dépenses (par exemple, les charges de pensions), de respecter la norme d'évolution de 0% en volume sur les trois prochaines années sans sacrifier, comme on l'a trop souvent vu dans le passé, la capacité d'investissement public ? La commission des finances a déploré, à l'occasion du récent débat sur le financement des grandes infrastructures, que les investissements publics dans les infrastructures soient passés de 1,5% du PIB il y a 15 ans à moins de 1% aujourd'hui. Quel dispositif le Gouvernement souhaite-t-il mettre en place pour simultanément maîtriser les dépenses de fonctionnement et soutenir l'investissement, en mobilisant à cet effet l'épargne des Français ?

M. Charles de Courson s'est tout d'abord réjoui de l'humilité et de la prudence dont font preuve les ministres, à la différence de leurs prédécesseurs. Il est regrettable que le Gouvernement n'ait pas retenu la proposition de l'UDF qui souhaitait que le budget pour 2003 soit construit à partir d'une hypothèse pessimiste de croissance et que soient « fléchées » dès le stade de la discussion du projet de loi de finances les destinations des éventuelles plus-values de recettes constatées en exécution. De même, force est de déplorer que, contrairement à ce qui avait été dit, aucune loi de financement rectificative de la sécurité sociale n'ait été déposée dans le courant de l'année, qui eût permis de constater la dérive des dépenses de santé, d'évaluer avec précision les moins-values de recettes et, le cas échéant, de prendre les mesures de correction adéquates.

Les prévisions de déficit pour 2003 se font de plus en plus alarmistes, atteignant selon les évaluations les plus pessimistes 3,7 à 3,9% du PIB. Ainsi, dans la pire hypothèse, comment sera-t-il possible de trouver jusqu'à 1 point de PIB d'économies publiques pour revenir au-dessous de 3% en 2004 ? A cet égard, est-il possible d'évaluer l'impact en 2004 des grandes réformes engagées par le Gouvernement, qu'il s'agisse des retraites ou de la nouvelle étape de la décentralisation ? Quelle forme prendront d'autres réformes indispensables, notamment celle de l'assurance maladie dont le déficit pourrait atteindre 10 milliards d'euros en 2003 et 14 milliards d'euros en 2004 ? De même, quels seront les principes de la politique de recrutement de l'Etat, et en particulier quel sera le taux de remplacement des départs à la retraite de fonctionnaires ? Les crédits d'investissement seront-ils protégés dans la programmation 2004-2006 ?

M. Augustin Bonrepaux s'est déclaré troublé par l'homogénéité des questions posées par les membres de la majorité et par ceux de l'opposition, qui, à ses yeux, se rejoignent pour mettre en évidence le flou de la présentation des ministres. Les propositions du Gouvernement ne traduisent pas une analyse lucide de la politique suivie depuis un an, pas plus qu'elles ne dégagent de perspectives claires pour l'avenir. Il est inquiétant de constater qu'au moment où le déficit de la France s'approche dangereusement des 4% du PIB en 2003 et où le chômage s'inscrit dans une spirale ascendante, le Gouvernement poursuit une politique qui n'opère aucun réel choix. S'agissant de la volonté affichée de réduire les déficits, il faut rappeler que parmi les 5 milliards d'euros de moins-values fiscales annoncées pour 2003, 3 milliards sont liés aux réductions d'impôts décidées par la majorité. En matière de grandes priorités stratégiques, les moyens sont souvent très en deçà des besoins. Par exemple, le rapport du Gouvernement préalable au débat d'orientation budgétaire mentionne la formation professionnelle comme élément décisif de sa politique de l'emploi. Dans le même temps, dans la région Midi-Pyrénées, un excellent contrat de formation signé dans l'industrie textile ne peut être mis en œuvre faute de crédits consentis par l'Etat. Autre exemple d'absence de stratégie politique : les crédits de la recherche semblent engagés dans une régression constante. De même, on ne peut que dénoncer l'écart entre la volonté affichée de préserver l'investissement public et les conséquences concrètes des gels de crédits. À titre d'exemple, le Parlement a décidé, à l'initiative du Rapporteur général, de réduire les crédits du Fonds national de développement des adductions d'eau (FNDAE). Dans l'Ariège, cela se traduit par une baisse de 74% des investissements dans ce domaine, avec des conséquences très lourdes sur la politique d'aménagement des territoires ruraux.

Afin de mieux rapprocher les déclarations d'intention des moyens réellement mis en œuvre, il faut avoir des réponses précises à des questions précises. Les crédits de l'APA seront-ils pérennisés en 2004 alors qu'un projet de décret soumis la veille au comité des finances locales prévoit que la part de l'Etat puisse être financée par emprunt ? Quelles formes emprunteront les transferts de fiscalité auxquels s'est engagé le Gouvernement en matière de décentralisation ? Seront-ils ajustés aux coûts réels des politiques transférées ? A titre d'exemple, le fonds social du logement a subi une dégradation de 25% des crédits qui lui étaient consacrés en 2003. Dès lors, un transfert de ses compétences aux régions avec une compensation, évaluée à partir des crédits disponibles en 2003, rendrait rigoureusement impossible la satisfaction des missions du fonds.

De même, une compensation statique d'un transfert des dépenses liées à l'éducation laisserait leurs évolutions à la charge des collectivités locales, alors même que les frais de personnel évoluent au rythme de 3,5 à 4% par an. Enfin, s'agissant des futures baisses d'impôts, il conviendrait de savoir si le Gouvernement compte souscrire aux jugements portés dans le passé par le Président de la Commission des finances de l'Assemblée nationale qui déclarait préférer à la réduction de l'impôt sur le revenu des baisses de charges utiles à l'emploi.

M. Alain Rodet s'est interrogé sur l'opportunité d'exclure les dépenses militaires, notamment les investissements, du calcul du déficit public au sens du traité de Maastricht et a souhaité connaître la position du Gouvernement sur la construction éventuelle d'un deuxième porte-avions.

M. Francis Mer a estimé qu'exclure telle ou telle nature de dépenses du calcul du déficit public n'était pas une démarche pertinente. Les traités européens définissent les règles de discipline budgétaire qui doivent être appliquées par les Etats de la Communauté européenne ; les valeurs numériques de 3% pour le déficit public et de 60% pour la dette publique sont « gravées dans le marbre » et s'appliquent à des concepts précisément définis. Pourtant, ce qui compte le plus est l'existence d'une règle de discipline budgétaire, qui doit être appliquée en respectant l'esprit qui a présidé à son élaboration. L'objectif est bien que les Etats membres fassent œuvre d'assainissement ensemble et sous le regard commun, de façon aussi rapide et aussi efficace que possible.

Il a déjà été dit que la croissance en 2003 restait soumise à de nombreux aléas. La notification effectuée aux autorités européennes, au début du printemps dernier, fait apparaître un déficit public évalué à 3,4% du PIB. Cette valeur pourrait être dépassée dans l'hypothèse où la conjoncture serait moins favorable que celle qui a été prise en compte pour la notification. Cependant, le Gouvernement s'est engagé à « tenir » les dépenses de l'Etat et à ne pas dépenser un euro de plus que le montant des crédits qui a été ouvert dans la loi de finances initiale, soit 273,8 milliards d'euros. Pour 2004, il est clair que si le déficit devait dépasser de façon significative 3,5% ou 3,6% du PIB en 2003, il serait très difficile de revenir en deçà de 3% du PIB en 2004. On doit remarquer que l'Allemagne, pourtant en panne de croissance depuis 3 ans, a engagé des efforts importants pour réduire le poids de ses dépenses publiques dans le PIB, sans s'abstenir de programmer l'augmentation de certains prélèvements obligatoires - le taux de prélèvements obligatoires étant, cependant, inférieur à celui de la France, ce qui explique que cette voie n'ait pas été retenue par le Gouvernement français. Pour l'Allemagne, l'objectif est de réduire le déficit public d'environ 0,8 point de PIB en 2004 de façon à revenir au-dessous du seuil de 3%.

Les débats récents entre gouvernements européens ont montré que leur collège apprécie la discipline budgétaire des Etats membres, pour une part non négligeable, sur la base de la détermination des autorités plutôt que sur leurs résultats effectifs, qui peuvent être contrariés par des facteurs extérieurs à leur volonté. C'est pourquoi M. Alain Lambert a fait référence à la notion de « trajectoire » dans l'entretien qu'il vient d'accorder au journal Les Échos.

La situation difficile dans laquelle se trouve le budget de l'Etat, du fait d'une croissance décevante et d'un assainissement très tôt interrompu par le précédent Gouvernement, oblige à s'inscrire dans une démarche de maîtrise des dépenses à moyen terme, afin que tout supplément imprévu de recettes soit affecté très prioritairement, voire exclusivement, à la réduction du déficit. Un tel engagement peut parfois être difficile à tenir : il n'est pas impossible que le degré d'engagement budgétaire de l'Etat soit jugé insuffisant, dans certains secteurs, pour garantir que les politiques publiques y soient conduites de façon efficace. Il faudra pourtant veiller à ne pas succomber aux tentations de relâchement qui pourraient en découler.

La publication par l'INSEE d'un taux de croissance pour 2003 évalué à 0,8% a suscité quelques commentaires. L'INSEE est un institut parmi d'autres, indépendant du Gouvernement dans ses analyses et ses travaux scientifiques, même s'il s'agit d'un service du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Vu du côté du Gouvernement, la note de conjoncture publiée ces derniers jours a une tonalité plutôt grise et semble retenir des approches assez conservatrices, dont certaines peuvent être discutées. L'opinion du Gouvernement est que la croissance en 2003 devrait s'établir autour de 1% et qu'il est difficile d'être raisonnablement plus précis aujourd'hui. Les conséquences « mécaniques » de cette révision en baisse du taux de croissance sur le déficit public peuvent être évaluées à 0,25 point de PIB car l'essentiel de la révision est le fait d'une moindre contribution des exportations à la croissance, ce qui a un effet modeste sur les rentrées de TVA. La révision des perspectives de croissance par l'INSEE ne remet donc pas en cause la cohérence du cadrage financier retenu pour la notification aux autorités européennes.

L'évaluation des conséquences d'une baisse des taux d'intérêt sur l'économie ne peut résulter que de la mise en œuvre de modèles économiques, dont chacun sait les limites. Une variation d'un point des taux d'intérêt pourrait provoquer une variation (inverse) du taux de croissance du PIB égale à 0,3 point la première année et 0,8 point la deuxième, ce qui est significatif. Pour ce qui concerne la période récente, il faut convenir que la diminution des taux d'intérêt a été quelque peu contrecarrée par la dépréciation du dollar. En revanche, cette dernière contribue à réduire l'inflation importée et ouvre donc des marges de manœuvre nouvelles pour la Banque centrale européenne.

De ce fait, l'évaluation de la croissance en 2004 est un exercice très délicat. On doit d'ailleurs observer que le « spectre » des prévisions présentées par les différents organismes spécialisés est très large : il s'étend de 0,6% à 3,2%. Que faut-il en conclure ? Quelle valeur retenir ? Sur quels critères ? L'incertitude s'accroît encore lorsqu'on cherche à évaluer les recettes fiscales. En période de décélération ou de retournement de conjoncture, le comportement de l'élasticité des recettes fiscales à la croissance devient très aléatoire et nuit à la qualité des prévisions. Par exemple, le produit de l'impôt sur les sociétés en 2004 sera-t-il similaire à celui enregistré en 2003 ? Ce n'est pas impossible compte tenu du fait que l'état de l'économie en 2003 ne devrait pas être très différent de celui observé en 2002. Mais à ce stade de l'année, toute hypothèse précise est grandement illusoire.

Dans ces conditions, le Gouvernement ne voit pas d'objection à poser le principe de la construction du budget sur une hypothèse basse de croissance du PIB et des recettes fiscales. Cela offrirait une capacité plus grande de gérer correctement les aléas inévitables qui apparaissent, tant en recettes qu'en dépenses.

En réponse aux intervenants, M. Alain Lambert, ministre délégué au Budget et à la réforme budgétaire, a apporté les éléments d'information suivants :

- l'actuel Gouvernement a eu à gérer une situation très grave de dérapage du déficit public à son arrivée au pouvoir et cette tendance à la dégradation des comptes publics ne saurait s'inverser du jour au lendemain. Le précédent Gouvernement a en effet mené une politique budgétaire peu responsable car il a procédé à des baisses d'impôts non gagées par des baisses de dépenses et a pris des décisions lourdes de conséquences en matière d'augmentation de la dépense publique sans en avoir maîtrisé les effets ;

- certains des crédits ayant fait l'objet de mesures de gel pourront être finalement annulés. Dans le cadre d'une politique de transparence budgétaire, le Parlement est d'ailleurs informé des annulations de crédits avant même la publication au Journal officiel du décret correspondant. Les gels ne doivent pas perturber la gestion des crédits. De ce fait, il convient de les annoncer en début d'exercice afin de faciliter, pour les différents acteurs concernés, la gestion des crédits restant réellement disponibles. Conformément à cette règle d'action, le Gouvernement n'a pas l'intention de procéder à de nouveaux gels d'ici à la fin de l'exercice ;

- les baisses d'impôt décidées par l'actuel Gouvernement se montent à 800 millions d'euros auxquels il convient d'ajouter environ 1 milliard d'euros d'allégement de charges patronales dans le cadre du processus de réunification des SMIC. Le débat sur les futures baisses d'impôts comme sur le barème des exonérations de charges sociales patronales reste ouvert ;

- la question des effectifs de la fonction publique doit être posée sans détour : il est possible et souhaitable de moderniser l'administration, qui doit être capable de fournir un meilleur service aux usagers à un moindre coût. Le non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux apparaît à cet égard comme un objectif réaliste, dans certains cas, dont le MINEFI ;

- la théorie des stabilisateurs automatiques a été quelque peu déformée au fil du temps : elle ne trouve sa réelle justification qu'en situation d'équilibre structurel des comptes publics, ce qui n'est guère le cas actuellement ;

- le Gouvernement ne voit pas d'obstacle à informer la Commission des finances des dégels. Il ne s'oppose pas non plus, sur le principe, à une meilleure prise en compte des difficultés de financement rencontrées sur le terrain. Il n'empêche que le principe même des gels limite singulièrement la marge de souplesse qui pourrait être laissée aux responsables locaux. Afficher les réserves de précaution et d'innovation dès la loi de finances initiale est une idée séduisante dans son principe. Elle est cependant délicate à mettre en œuvre dès lors que le budget est contraint par une norme déjà rigide à savoir une croissance de 0% en volume ;

- l'objectif poursuivi par le Gouvernement ne consiste pas à réduire le volume des dépenses au dessous des dépenses inscrites en loi de finances initiale pour 2003 mais de les stabiliser à ce niveau pendant trois ans. Des mises en réserve de crédits seront donc nécessaires au cas par cas, pour faire face aux dérapages qui seront observés en cours d'exercice. Le plus grand discernement s'imposera car les gels de crédits doivent être opérés de manière sélective, là où cela est le moins dommageable. La contribution active des ministères dépensiers concernés permet d'ailleurs d'identifier ceux des crédits pouvant faire l'objet de gels sans que la politique d'ensemble d'un département soit mise à mal ou entravée ;

- il est aujourd'hui impératif d'évaluer de manière sérieuse les évolutions réelles des dépenses liées à la prise en charge de la CMU ou de l'AME, ou au financement des trente-cinq heures par exemple. Il convient de contrecarrer les effets les plus nocifs de la logique du « guichet ouvert » qui génère des dispositifs de dépenses non maîtrisables. On peut s'interroger, par exemple, sur le fait que le coût de l'AME dépasse en France celui de l'investissement routier ;

- l'idée d'un budget à double autorisation est séduisante en elle-même mais difficile à mettre en œuvre, comme en témoigne le succès mitigé, par le passé, du fonds d'action conjoncturelle. Il est tout à fait envisageable de construire un budget en fonction de l'hypothèse de croissance la plus basse mais cela suppose une discipline extrêmement dure et un effort sans précédent en matière de réduction des dépenses ;

- le FNDAE (Fonds national de développement des adductions d'eau), qui est un compte spécial du Trésor, n'a pas fait l'objet de gels de crédits en cours d'exercice et bénéficie de crédits de reports considérables ; il est exact, en revanche, que les crédits issus du prélèvement sur le produit du Pari mutuel urbain (PMU), dont bénéficiait auparavant le FNDEA, ont fait l'objet d'une budgétisation lors du débat sur le projet de loi de finances pour 2003 ;

- il n'est pas exact de dire que l'Etat ne soutient pas suffisamment l'effort de recherche ; les crédits publics sont de volume suffisant et placent la France aux tout premiers rangs parmi les pays développés. Ce sont les investissements privés qui manquent cruellement à la recherche française aujourd'hui.

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Informations relatives à la Commission

La commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a désigné :

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis sur le projet de loi, déposé au Sénat, modifiant la loi n° 2001-44 du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive (n° 960) ;

M. François Grosdidier, rapporteur pour avis sur le projet de loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine (n° 950).

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