COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 8

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 24 novembre 2004
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Pascal Clément, président

SOMMAIRE

 

Pages

- Examen, en application de l'article 86, alinéa 8, du Règlement, d'un rapport sur la mise en application de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur)



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- Information relative à la Commission

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La Commission a procédé, sur le rapport de M. Jean-Luc Warsmann, à l'examen, en application de l'article 86, alinéa 8, du Règlement, de la mise en application de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

Rappelant que l'ordre du jour de la réunion appelait la présentation du premier rapport d'application d'une loi dans le cadre de la procédure de l'article 86, alinéa 8, du Règlement, introduite au mois de février dernier, le président Pascal Clément, a précisé que cette procédure confiait au rapporteur d'une loi, dans les six mois suivant son entrée en vigueur, le soin de présenter un rapport sur la mise en œuvre de ses dispositions, en faisant état des textes réglementaires publiés et des circulaires édictées et en signalant les dispositions qui n'auraient pas fait l'objet des textes d'application nécessaires. Il a précisé que cette procédure avait vocation à s'appliquer aux seules lois votées depuis la modification du Règlement et que le rapport d'application de la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité qui sera présenté la semaine prochaine, le sera selon une procédure comparable, mais non identique, à la suite d'une demande expresse du Président de l'Assemblée nationale formulée en Conférence des Présidents.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur, a tout d'abord tenu à saluer la forte mobilisation dont avaient fait preuve les services de la Chancellerie afin de parvenir à mettre en œuvre rapidement, et dans des conditions satisfaisantes, les dispositions de la loi du 9 mars 2004. Évoquant les dispositions de cette loi relatives au mandat d'arrêt européen, il s'est félicité de ce que la circulaire d'application y étant afférente ait été publiée dès le 11 mars, permettant ainsi aux juridictions compétentes de recourir immédiatement à ce nouvel instrument de simplification de l'entraide judiciaire internationale. Il a précisé que 164 personnes avaient d'ores et déjà été interpellées en France à la demande d'autorités judiciaires étrangères et que, à l'inverse, 110 personnes avaient été interpellées dans un État membre de l'Union européenne à la demande de l'autorité judiciaire française. Il a toutefois observé que le recours au mandat d'arrêt rencontrait des difficultés d'application avec le Royaume-Uni, qui demande la transmission de pièces de procédure complémentaires, et avec l'Irlande, qui exige la communication par fax de tous les mandats d'arrêt diffusés. Puis, après avoir rappelé que les territoires d'outre-mer ne faisaient pas partie du champ d'application de la convention Schengen, il a indiqué qu'il en résultait une lourdeur procédurale excessive puisque toutes les diffusions de mandats d'arrêt faites par l'intermédiaire du système informatique de Schengen devaient être complétées par une diffusion via Interpol. Au regard de ces différents obstacles, il a émis le souhait que le Gouvernement prenne rapidement des initiatives permettant de les surmonter.

Abordant ensuite les dispositions de la loi relatives à la criminalité organisée et à la création des juridictions interrégionales spécialisées en cette matière dont l'entrée en vigueur a eu lieu le 1er octobre dernier, il s'est félicité du fait, qu'à cette date, la publication de l'ensemble des textes règlementaires d'application nécessaires d'une part, ainsi que les nominations de magistrats ou de greffiers idoines d'autre part, avaient été réalisées. Il a ajouté que ces huit juridictions interrégionales étaient actuellement saisies de trente-deux affaires qui portaient, pour l'essentiel, sur des infractions de trafic de stupéfiants, de vol en bande organisée et de blanchiment du produit de l'une des infractions relevant du champ de la criminalité organisée au sens de l'article 706-73 du code de procédure pénale.

Puis, après avoir observé que la procédure dite du « plaider coupable » avait donné lieu à 255 jugements d'homologation à ce jour, il a cependant considéré qu'il était prématuré de tenter d'en tirer des enseignements qualitatifs et indiqué que ces aspects seraient développés dans le prochain rapport d'évaluation de la loi du 9 mars qu'il entendait présenter dans un délai de six mois.

S'agissant des dispositions de la loi nécessitant un arrêté ou un décret d'application, il a indiqué que 40 % d'entre elles bénéficiaient d'ores et déjà du texte règlementaire requis et que cette proportion devrait considérablement augmenter dans les prochains mois en raison de l'état d'avancement de nombreux projets de décrets. Il a ensuite déploré que, dès lors qu'un travail interministériel s'avérait nécessaire, de nombreuses difficultés se faisaient jour, conduisant à retarder d'autant la publication du texte réglementaire concerné, certaines administrations faisant même preuve d'une regrettable « désinvolture » dès lors qu'elles n'étaient pas le « maître d'œuvre » de la rédaction dudit texte.

Après avoir indiqué que l'arrêté conjoint permettant la rémunération des indicateurs de la police devrait être publié au Journal officiel au début de l'année prochaine et prévoirait la mise en œuvre d'une procédure contrôlée par les services de la direction centrale de la police judiciaire du ministère de l'Intérieur, le rapporteur a souhaité aborder les modalités de la préparation du décret d'application concernant le fichier judiciaire des auteurs d'infractions sexuelles (fijais). Observant que le travail préparatoire entrepris par les services de la Chancellerie était achevé puisque la cnil devrait être saisie du projet de décret au cours du mois prochain, il a toutefois déploré que les services compétents du ministère de l'Intérieur chargés de vérifier l'adresse des condamnés devant figurer dans le fichier aient envisagé de recourir exclusivement aux données inscrites dans le fichier « stic », et non à celles contenues dans les fichiers bancaires ou sociaux, auxquels la loi du 9 mars les a pourtant autorisés à accéder de façon exceptionnelle et temporaire par l'intermédiaire de leur interconnexion.

Puis, après avoir rappelé que la loi du 9 mars 2004 prévoyait une réduction de 20 % du montant de l'amende en cas de paiement anticipé, le rapporteur a observé, qu'en l'attente du décret d'application, le bilan des expérimentations menées dans sept juridictions et tendant à la mise en place d'un bureau de l'exécution immédiate des peines - qui a révélé une augmentation des paiements immédiats des amendes - laissait accroire que ces dispositions de la loi devraient connaître une application particulièrement satisfaisante.

Expliquant que le travail entrepris en matière d'application de la loi l'avait également conduit à identifier quelques complexités procédurales inutiles, il a ensuite évoqué les dysfonctionnements observés dans certaines juridictions et, en particulier, au tribunal de grande instance de Bobigny où, à l'expiration de leur garde à vue, plusieurs personnes avaient été présentées au magistrat compétent dans un délai supérieur aux 20 heures prévues par la loi, entraînant de ce fait leur libération, et plaidé, en conséquence, pour l'amélioration de l'organisation interne de cette juridiction. Enfin, après avoir observé qu'en l'absence de mesures transitoires spécifiques, les opérations d'infiltration des réseaux criminels en cours au moment de la promulgation de la loi avaient dû être interrompues en raison de leur absence de base légale, il a conclu son propos en soulignant que le recours à une identité d'emprunt par le repenti semblait soulever de très nombreuses difficultés relevant du domaine de la loi et que le législateur pourrait donc être amené, notamment, à clarifier les règles applicables aux conjoints et descendants des repentis ayant une identité d'emprunt et possédant des biens à transmettre.

Après avoir remercié le rapporteur pour le caractère concret et vivant de sa présentation, le président Pascal Clément a souligné que les rapports sur l'application des lois mettraient nécessairement en évidence les difficultés de rédaction des textes réglementaires nécessaires, qui découlent de leur caractère interministériel. Dans cette perspective, au-delà de la décision de publication du rapport sur laquelle la commission sera appelée à se prononcer, il paraît nécessaire que le rapport soit transmis au Premier ministre ainsi, naturellement, qu'à tous les ministres concernés. Puis, il a demandé pour quelles raisons l'outre-mer avait fait l'objet de l'exception rappelée par le rapporteur.

M. Gérard Léonard a rappelé le caractère essentiellement pratique des raisons qui avaient conduit, à l'origine, à exclure l'outre-mer de la Convention Schengen, et a indiqué qu'un réexamen de la question ne devait pas être aujourd'hui exclu.

M. Philippe Vuilque a souligné l'intérêt d'une procédure de suivi de l'application des lois, et, en particulier, l'utilité du premier rapport s'inscrivant dans ce cadre. Au-delà, il s'est prononcé en faveur de la présentation par le rapporteur d'un second rapport plus qualitatif. Dans tous les cas, il a estimé que cette démarche constituera une incitation puissante des ministères à accélérer la mise en œuvre de la loi et que pour ce faire, le rapport devra naturellement bénéficier de toute la publicité nécessaire. Il a considéré que si le principe d'une audition du ministre sur l'application de la loi votée n'avait pu être retenue, comme l'avait souhaité l'opposition lors de la réforme du Règlement en février dernier, il pourrait être utilement envisagé dans la perspective du développement de la mission de contrôle du Parlement, d'associer l'opposition aux travaux des rapporteurs sur l'application des lois, suivant une forme à déterminer. Il a enfin regretté que le projet de rapport n'ait pu être consulté par les commissaires avant sa présentation afin de leur permettre de disposer du temps nécessaire pour en analyser le contenu.

Après avoir rappelé que la responsabilité de l'interministérialité incombait au Premier ministre, M. Jérôme Lambert a demandé des précisions sur la nature des 255 procédures de « plaider coupable » mentionnées par le Rapporteur.

Soulignant l'opportunité de la publication du rapport, M. Alain Marsaud a souhaité savoir s'il était prévu d'étendre la démarche ainsi engagée à des textes plus anciens, notamment à la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, dont la mise en oeuvre effective, en particulier au niveau communal, pâtit des retards accumulés dans la parution des décrets d'application.

M. Jean-Paul Garraud, s'associant aux appréciations très favorables venant d'être formulées sur la procédure de contrôle de l'application des lois, a demandé si le rapporteur sur l'application d'une loi était ipso facto le rapporteur du projet ou de la proposition initial ou s'il appartenait à la commission de désigner un rapporteur d'information.

Rappelant que la loi de simplification du droit récemment adoptée par le Parlement a prévu que le Gouvernement déposerait également un rapport sur la mise en application de chaque loi, à l'issue d'un délai de six mois suivant son entrée en vigueur, M. Étienne Blanc a souhaité savoir quelle articulation rationnelle pourrait être utilement prévue entre les démarches parallèles de l'Assemblée nationale et du Gouvernement, de façon à en optimiser le résultat.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

-  les 255 procédures de « plaider coupable » mentionnées sont celles arrivées à leur terme et ayant débouché sur l'homologation de la condamnation par le juge. Le nombre total de comparutions réalisées en application de cette procédure s'élevait à 421 au 19 novembre 2004 ;

-  les difficultés de coordination interministérielle s'expliquent par la moindre motivation des ministères non directement concernées par l'application de la loi. En outre, il peut arriver que l'inertie d'un ministère résulte en fait de son désaccord avec la mesure législative qu'il lui faut appliquer, sans que des considérations financières entrent nécessairement en jeu. On doit également déplorer les délais, qui peuvent atteindre plusieurs mois, dans lesquels les administrations ont pris l'habitude de se répondre. Un recours systématique à l'arbitrage interministériel devrait s'imposer en cas de blocage.

Le président Pascal Clément a pour sa part tenu à souligner les éléments suivants :

-  La nouvelle procédure prévue par l'article 86, alinéa 8, constituera un aiguillon pour les administrations concernées, dès qu'elles auront pris connaissance du présent rapport. Il n'est pas inconcevable d'y associer à l'avenir l'opposition mais il convient d'éviter que la procédure ne soit alors systématiquement utilisée comme un instrument de contestation purement politique des lois adoptées et de l'action du Gouvernement. Dans l'immédiat, il est sans doute préférable de se borner à appliquer l'article 86-8 tel qu'il a été conçu en février dernier. Il appartient au rapporteur d'une loi d'exercer de lui-même son « droit de suite », sauf si, n'étant plus membre de la commission, il convient de désigner quelqu'un d'autre.

-  La nouvelle procédure ne s'appliquant qu'aux lois adoptées depuis la modification du Règlement, la loi sur la sécurité intérieure n'est pas concernée.

-  Il est difficilement envisageable de transmettre aux membres de la commission avant que celle-ci se soit prononcée, le rapport sur lequel elle est précisément appelée à statuer. Par ailleurs, ne peut être écarté le risque que la transmission d'un avant-projet donne lieu à des utilisations polémiques, avant même que la commission n'ait pris formellement la décision de publication.

Puis la Commission a autorisé le dépôt du rapport d'application de la loi en vue de sa publication.

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Information relative à la Commission

La Commission a désigné M. Jean-Paul Garraud, rapporteur des propositions de loi de M. Pascal Clément (n° 1900) et de M. Jean-Jacques Hyest (sous réserve de sa transmission par le Sénat) relatives aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance.

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