COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 9

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 1er décembre 2004
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Pascal Clément, président
puis de M. Jean-Luc Warsmann, vice-président

SOMMAIRE

 

Pages

- Examen d'un rapport sur la mise en application de la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité (M. Thierry Mariani, rapporteur)



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- Examen, en deuxième lecture, du projet de loi, modifié par le Sénat, portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (n° 1952) (M. Pascal Clément, rapporteur)



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- Information relative à la Commission

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La Commission a procédé à l'examen d'un rapport de M. Thierry Mariani sur la mise en application de la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité.

M. Thierry Mariani, rapporteur, ayant rappelé que le Parlement avait voté la loi du 26 novembre 2003 au terme d'un débat approfondi, au cours duquel pas moins de 410 amendements avaient été adoptés, portant le nombre des articles de 45 à 95 dans le texte promulgué, a fait valoir qu'après son vote, les parlementaires ne pouvaient pas se désintéresser d'un texte qui préoccupe les Français et qui accroît le rôle des maires.

Il a indiqué que, maire d'une ville où l'immigration est très forte, il avait souhaité pouvoir, dès que possible, valider des attestations d'accueil ou contrôler les conditions de logement et de ressources permettant le regroupement familial, mais que ces mesures n'étaient pas applicables, faute de textes d'application. Puis il a rappelé les nombreuses questions écrites posées, à partir du mois de mai 2004, au ministre de l'Intérieur et à ses collègues sur les perspectives de publication des décrets.

Il a constaté les limites de la procédure de questions dans une situation de cette nature : en octobre dernier, tous les textes prévus étaient en attente, sauf un arrêté énumérant des péages autoroutiers. Il a alors indiqué que la réforme récente de l'article 86 du Règlement de l'Assemblée nationale, adoptée le 12 février 2004 sur la proposition de M. Jean-Luc Warsmann, avait rendu possible une initiative, en confiant un « droit de suite » au rapporteur de chaque loi dont la mise en œuvre exige des textes d'application.

Toutefois, cette procédure n'étant applicable qu'aux seules lois adoptées depuis la réforme du Règlement, il a rappelé que M. Jean-Louis Debré, soucieux de développer le contrôle parlementaire de la bonne application des lois, lui avait demandé, à l'issue de la conférence des présidents du 5 octobre 2004, de présenter, en tant que rapporteur de la loi du 26 novembre 2003, un rapport rendant compte de son application.

Avant de dresser l'état des textes d'application au 26 novembre 2004, date anniversaire de la promulgation de la loi, il a précisé que dix-neuf de ses articles renvoyaient au moins une fois pour leur application à un décret, dont quinze à un décret en Conseil d'État, quatre autres prévoyant un arrêté, dont trois renvoient en fait au même arrêté. Il a signalé que le découpage des textes à prendre tenait compte de la structure des règlements existants, un inventaire complet ayant été établi par la circulaire du ministre de l'Intérieur aux préfets en date du 20 janvier 2004. Il a enfin noté que deux articles habilitaient le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour codifier le droit des étrangers.

Il a rappelé que la plupart des mesures-phares de la loi étaient d'application directe, dont en particulier : l'essentiel des règles relatives au droit au séjour en France ; l'allongement de la durée maximale de la rétention administrative des étrangers en instance d'éloignement ; l'essentiel des règles d'acquisition de la nationalité française ; les nouvelles dispositions destinées à lutter contre les mariages blancs ; l'ensemble des dispositions pénales renforçant les sanctions contre les filières d'immigration irrégulière, ainsi que les dispositions limitant les effets de la « double peine ».

Le rapporteur a ensuite indiqué qu'au 26 novembre 2004, avaient été publiés les deux ordonnances, cinq décrets et un arrêté, en ne tenant pas compte des divers décrets relatifs à l'asile et à la procédure contentieuse, même s'ils concourent à la politique de l'immigration. Il a notamment signalé la publication du décret relatif à l'attestation d'accueil et à l'obligation d'assurance, qui posait des problèmes complexes de coordination interministérielle, et de celui lançant une expérimentation pour le fichier des demandeurs de visa. Il a souligné l'importance des ordonnances, qui codifient les règles législatives d'entrée, de séjour et d'asile des étrangers sur le territoire de la République, en faisant valoir qu'elles permettraient à la loi d'être plus accessible dans une matière complexe, l'ordonnance de 1945 ayant subi pas moins de 70 modifications en 58 ans. Il a souligné que la partie réglementaire du code devait encore être adoptée.

Parmi les décrets en attente, il en a distingué cinq qui ne conditionnent pas l'application de la loi et treize qui sont le préalable de l'application des dispositions législatives en cause. Il a précisé que la plupart de ces textes étaient en phase finale d'élaboration, les uns ayant déjà été examinés par le Conseil d'État, les autres étant sur le point de l'être, plusieurs d'entre eux étant d'importance comparativement mineure. Il a conclu que les ordonnances et les principaux décrets d'application auront été publiés en novembre et décembre 2004, soit de onze à treize mois après la promulgation de la loi, ces délais n'étant pas inhabituels au regard des précédents. Il a résumé ainsi le bilan des publications : une large partie des dispositions majeures de la loi étaient directement applicables, parmi les autres, ce sont les textes les plus importants qui ont été engagés par priorité, et parmi les textes encore inachevés, la plupart sont rédigés en quasi-totalité.

Le rapporteur a souhaité, pour terminer, tirer quelques leçons de l'exercice de suivi de l'application de la « loi immigration ». La première est que l'application de la loi n'est pas seulement la rédaction de textes, mais une volonté d'agir : pour répondre à la volonté politique du législateur, l'adaptation des moyens humains et matériels de l'État est au moins aussi importante que les actes réglementaires. Il a estimé que, si beaucoup a déjà été fait, la mise à niveau est encore loin d'être à la hauteur, qu'il s'agisse des centres de rétention, des services des étrangers dans les préfectures ou des services d'état-civil des consulats. Il a donc fait part de sa vigilance pour l'avenir.

Une deuxième leçon porte sur les facteurs de lenteur dans l'élaboration des textes d'application. Il en a identifié trois. L'innovation juridique, d'abord, qui suppose de définir des procédures de décision, des circuits administratifs et des autorités de gestion dotées des moyens nécessaires ; l'innovation technique, comme l'atteste l'exemple de l'ajout de données biométriques, c'est-à-dire des photos et des empreintes digitales, au fichier des demandeurs de visas ; le défaut de pilotage opérationnel de la coordination interministérielle, enfin, qui constitue la principale source de lenteur.

À cet égard, le rapporteur a d'abord regretté l'absence d'une instance de pilotage, le ministère de l'Intérieur étant chef de file sur une partie seulement des articles de la loi et se bornant à saisir les ministères « porteurs » des autres dispositions, sans être clairement chargé du suivi. Il a estimé qu'un organisme aurait vocation à assurer pleinement un rôle de coordination et de suivi : le Secrétariat général du Gouvernement, parce qu'il est interministériel et qu'il assure cette fonction avant le vote de la loi.

Il a également déploré le défaut de programmation opérationnelle, en estimant que, dès le vote de la loi, le Secrétariat général du Gouvernement devrait élaborer un tableau de programmation, rythmé par quelques étapes, en fonction des engagements pris par les ministères sur la préparation des décrets et des circulaires et sur leurs moyens.

Notant en troisième lieu que chaque ministre a ses priorités et, que, par fonction, les directeurs d'administration centrale étaient tenus de les privilégier, il a signalé que la loi organique relative aux lois de finances amènerait les responsables de programme à s'expliquer devant le Parlement sur leurs éventuels manquements aux obligations interministérielles.

Le rapporteur a conclu sur le rôle d'aiguillon irremplaçable que peut jouer le Parlement, et lui seul. Il a fait valoir que dans l'exercice de sa fonction législative, lors de l'adoption de la loi, le législateur devait, quand il avait le choix, préférer : les lois simples et d'application directe, les lois courtes, les lois qui seront financées sur des budgets prioritaires, enfin les lois qui clarifient les responsabilités des acteurs.

S'agissant de sa fonction de contrôle, il a estimé nécessaire un suivi de l'application des lois extérieur aux ministères, dans lequel l'implication des rapporteurs est une solution naturelle, trouvant un cadre bienvenu dans la nouvelle procédure du Règlement de l'Assemblée nationale. Il constaté que la publication de rapports était de nature à surmonter les réticences compréhensibles des ministères à s'expliquer sur leurs difficultés et à assurer une vision d'ensemble qui fait parfois défaut au Gouvernement lui-même.

Il a jugé que six mois, puis un an, étaient finalement de bonnes échéances pour évaluer la mise en application des lois, le rendez-vous réaliste pour un bilan complet devant être pris sur une année dans le cas de textes lourds et complexes. Il a terminé en soulignant que, par le suivi de l'application des lois que le Parlement a votées, il ne s'agit nullement d'interférer dans les choix du Gouvernement, mais de veiller à l'effectivité du droit.

Après avoir souligné l'utilité du rapport de M. Thierry Mariani, établi à la demande du président de l'Assemblée nationale, le président Pascal Clément a estimé que, pour vives qu'elles soient, ses conclusions n'en étaient que plus stimulantes.

Puis, s'appuyant sur les enseignements des deux premiers rapports d'application, il a jugé indispensable d'améliorer la coordination interministérielle. Rappelant que le Secrétariat général du Gouvernement est chargé de cette mission, il a souhaité qu'il se préoccupe plus efficacement de l'adoption des décrets, notamment en ayant recours à un tableau de bord.

Après avoir jugé intéressant le rapport de M. Thierry Mariani, comme l'avait été la semaine précédente celui de M. Jean-Luc Warsmann sur la mise en application de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, M. Jérôme Lambert a estimé significatif que les problèmes d'application se rencontrent essentiellement au niveau interministériel et considéré que le Gouvernement devrait mettre en œuvre des procédures lui permettant de mieux suivre les textes.

Évoquant la hausse du nombre de mesures d'éloignement d'étrangers en situation irrégulière faisant l'objet d'une application effective, il a souhaité en connaître les chiffres précis, en rappelant que si 10 % des mesures d'éloignement étaient mises en application auparavant, la hausse constatée dans le rapport - de l'ordre de 30 à 40 % - ne constituait finalement qu'une légère amélioration, plus de 85 % des décisions restant inappliquées.

M. Jean-Luc Warsmann a félicité M. Thierry Mariani pour la qualité de son travail. S'en rapportant à sa propre expérience de rapporteur, il a émis l'espoir que, dans le futur, le questionnement effectué par les rapporteurs auprès des ministères chargés de prendre les mesures d'application soit mieux compris. Estimant nécessaire que tous les rapporteurs de projets ou propositions de loi adoptés fassent un rapport sur la mise en application de la loi au bout de six mois, sans masquer aucun manque ou aucune difficulté, il a considéré que de tels rapports devraient permettre d'améliorer la préparation et l'adoption des textes d'application, en précisant que les ministères peuvent prendre les textes d'application en quelques jours dès lors qu'ils les ont préparés en amont. Soulignant enfin que les délais entre la publication de la loi et la publication des textes réglementaires peuvent être moins pénalisants si, par exemple, des appels d'offre ont été lancés dans ce laps de temps, il a en conséquence émis le souhait que cette pratique soit généralisée.

M. Jean-Pierre Soisson a précisé qu'un tableau de bord avait déjà été tenu dans le passé au Secrétariat général du Gouvernement, à la demande du Premier ministre, mais que l'inflation législative avait pris une telle ampleur qu'il était devenu impossible d'établir un tel tableau.

M. Robert Pandraud a souligné la hausse du nombre de clandestins, en s'appuyant sur le nombre sans cesse croissant de ceux venant à sa permanence afin d'obtenir une régularisation, qui est passé de trois à quatre demandes par mois à une dizaine de demandes par semaine. Tout en regrettant que les difficultés de régularisation et les mesures d'éloignement concernent parfois les étrangers les plus qualifiés, il s'est demandé si les arrivées massives d'étrangers en situation irrégulière ne devaient pas suggérer un traitement massif des reconduites à la frontière.

Relevant par ailleurs que toute fermeture hermétique des frontières était impossible, il a proposé que soit créé, comme cela avait déjà existé, un ministère de la population, susceptible de réunir pour plus d'efficacité l'ensemble de compétences aujourd'hui éclatées entre divers départements ministériels. Il a souligné ensuite la nécessité de prendre en compte la difficulté, pour les fonctionnaires chargés d'appliquer les textes, de s'adapter en permanence à des changements incessants de réglementation. Enfin, il a demandé des précisions sur les missions et l'utilité du Haut Conseil à l'intégration.

Après avoir félicité le rapporteur pour la tonicité de son rapport, M. Claude Goasguen a déploré l'existence d'un décalage entre la publication des textes législatifs et réglementaires et leur mise en œuvre, décalage que l'absence de statistiques fiables ne contribuait pas à expliquer.

C'est pourquoi il a vivement regretté que la disposition adoptée à son initiative dans la loi « Chevènement » et prévoyant la remise d'un rapport annuel chiffré n'ait donné lieu qu'à la remise d'un seul rapport et fait part de son souhait qu'une disposition semblable, introduite également sur sa proposition dans la loi de novembre 2003, donne prochainement lieu à la production de statistiques précises, permettant de cerner les contours de l'immigration clandestine et ceux de l'immigration légale, dont on mesure mal l'évolution tout en constatant la dérive sur le terrain.

À l'instar du directeur de l'Institut national d'études démographiques (ined), il s'est inquiété, de manière générale, de la multiplicité des définitions de l'immigration utilisées par les différents ministères et, en particulier, des doutes qui peuvent légitimement être émis sur celle retenue par l'insee dans son recensement général de la population. Il a précisé que le flou des définitions nationales s'ajoute à la diversité des définitions pratiquées par chaque pays de l'Union européenne, phénomène qui interdit toute comparaison solide. Il a souhaité que la commission des Lois se penche plus particulièrement sur cette question.

M. Christian Decocq a souligné qu'il convenait, comme l'avait fait le rapporteur, de distinguer la mise en œuvre de la loi de ses résultats proprement dits et que l'examen systématique de ces derniers pourrait conduire le législateur à s'interroger de plus en plus, non sans une certaine mélancolie, sur sa capacité à agir sur la réalité. Prenant l'exemple de l'exécution des mesures de reconduite à la frontière, il a demandé au rapporteur jusqu'où, dans le cadre de son rapport, il convenait d'aller dans les recommandations. Enfin, il s'est interrogé sur l'état d'avancement des contrats d'intégration.

Rappelant qu'il avait récemment eu l'occasion de visiter avec Mme Michèle Tabarot le centre de rétention de Nice, situé dans un département qui constitue, après l'aéroport de Roissy, la deuxième porte d'entrée des étrangers en France, M. Christian Estrosi a expliqué que la multiplication des réponses faites par les étrangers en situation irrégulière dans un but dilatoire, allant de l'usurpation d'identité à l'usurpation de nationalité, rend difficile l'exécution des mesures de reconduite dans les délais légaux, et ce malgré l'allongement de ces derniers. Il a précisé que de tels comportements sont encouragés par les associations présentes dans les centres de rétention et que l'attitude des consulats étrangers ne contribue pas toujours à améliorer la situation. Il a affirmé que seuls les moyens biométriques permettraient de pallier ces difficultés et regretté dans le même temps que les consulats français manquent de moyens pour les mettre en œuvre.

Puis, s'inquiétant des menaces que font peser sur la sécurité publique de nouveaux courants d'immigration, en particulier ceux en provenance de Tchétchénie, qui entraînent l'arrivée sur le sol français de mouvements mafieux «  barbares », pour lesquels une vie humaine ne compte pas, il a demandé si ces personnes bénéficient d'un statut de réfugié politique.

Enfin, il a déploré que la destruction des immeubles dégradés prévue par la loi « Borloo » sur la rénovation urbaine, pour laquelle les offices départementaux ont réalisé d'importants efforts, soit contrecarrée par l'installation illégale dans ces bâtiments d'étrangers en situation irrégulière.

M. Xavier de Roux a tout d'abord estimé que les rapports d'application des lois doivent s'attacher à mesurer l'efficacité de ces dernières et non se limiter à un simple inventaire de leurs mesures d'application et s'est déclaré en faveur de proposition faite par M. Robert Pandraud de création d'un ministère de la population.

Il s'est ensuite offusqué du manque de moyens attribués aux consulats français, qui sont incapables ipso facto d'opérer une sélection entre les demandeurs des visas, ce qui peut conduire, comme dans le cas de la Chine, à imposer des délais d'instruction exorbitants à des demandeurs de bonne foi, inscrits dans des programmes d'échanges universitaires ou scientifiques, au détriment de l'image de la France.

M. Didier Quentin, confirmant les analyses de M. Xavier de Roux, a souligné la nécessité de conduire une politique de visas plus efficace à l'égard de pays tels que la Chine, dont les ressortissants pourraient à l'avenir visiter de manière massive la France au plus grand bénéfice de notre économie et de notre rayonnement culturel. En conséquence, il a proposé qu'une part plus importante des droits de chancellerie perçus à l'occasion de l'émission des visas par les services consulaires puisse être rétrocédée à ces mêmes services plutôt que d'être versés au budget général, afin d'accroître leurs moyens.

Saluant à son tour le travail du rapporteur, M. Christophe Caresche a regretté que la proposition faite dans le cadre de l'examen de la loi de novembre 2003 d'organiser un débat annuel sur l'immigration n'ait pas été retenue par le Gouvernement et ce d'autant plus que le récent rapport particulier de la Cour des comptes ou les analyses du Haut Conseil à l'intégration montrent l'urgence d'une telle discussion. En outre, il s'est dit réservé sur la place prépondérante accordée dans le rapport à l'immigration clandestine et a estimé tout aussi utile d'analyser l'évolution de l'immigration légale, pour laquelle on manque également de données fiables.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

-  malgré l'amélioration évidente du taux des mesures d'éloignement faisant l'objet d'une application effective, de grands progrès restent à accomplir. Le goulet d'étranglement que constitue l'insuffisance des places en centre de rétention administrative se desserre, comme le montre le rapport, mais trop lentement, compte tenu de l'allongement de la durée maximale de rétention par la loi du 26 novembre 2003 ;

-  le rapport prévu par l'article premier de la loi sur le bilan de la politique d'immigration est à l'état de projet, muni de ses annexes. La loi implique sa publication avant la fin de l'année et cette date devrait être respectée ;

-  les travaux de la délégation pour l'Union européenne montrent que, dans le secteur de la Justice et des affaires intérieures, les États-membres établissent leurs statistiques d'asile ou d'immigration sur la base de définitions disparates qui font échec aux comparaisons ;

-  l'expérimentation conduite en matière de recueil d'informations biométriques pour les demandes de visa illustre le cas d'une disposition législative qui ne peut être mise en application en moins de dix-huit mois ;

-  si la France n'a plus de ministère de la population, des pays étrangers, comme les États-Unis, en sont dotés, avec apparemment des résultats satisfaisants ;

-  la France conduit, notamment avec l'Allemagne, des expériences de bureau commun des visas dans quelques postes consulaires, en particulier en Afrique. On pourrait envisager un corps de gardes-frontières commun, après l'adoption du traité établissant une Constitution pour l'Europe.

Puis la Commission a autorisé le dépôt du rapport d'application de la loi en vue de sa publication.

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La Commission a examiné en deuxième lecture, sur le rapport de M. Pascal Clément, le projet de loi, modifié par le Sénat, portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (n° 1952).

Après avoir précisé qu'à l'issue des travaux du Sénat, 22 des 26 articles du projet de loi restaient en discussion, M. Pascal Clément, rapporteur, a rappelé que la création de la Haute autorité visait à doter la France de l'instrument de promotion de l'égalité et d'aide aux victimes qui lui fait aujourd'hui défaut, afin notamment de répondre à une obligation communautaire et aux engagements pris, en octobre 2002, par le Président de la République. Le Sénat a apporté plusieurs modifications au texte de l'Assemblée. Il a, tout d'abord, modifié l'exigence de parité prévue dans la composition de la Haute autorité, en prévoyant l'obligation de respecter « une représentation équilibrée entre les hommes et les femmes », afin de répondre aux risques d'inconstitutionnalité déjà soulignés lors de la première lecture à l'Assemblée, l'obligation de parité ne jouant de manière stricte qu'en matière électorale. Le Sénat a, en outre, introduit une seconde exigence : les pouvoirs publics chargés de nommer les membres de la Haute autorité seront soumis à l'obligation de respecter « le pluralisme ». Cette disposition vise à assurer l'expression de sensibilités différentes. Par ailleurs, les fonctions de membre de la Haute autorité ne pourront être exercées qu'à certaines conditions. Le Sénat a en effet prévu un régime de déport des membres de la Haute autorité qui ne pourront prendre part aux délibérations et aux investigations concernant un organisme avec lequel ils sont ou ont été liés par un intérêt, un mandat ou une fonction.

Les sénateurs ont également modifié les conditions de saisine de la nouvelle instance. En premier lieu, les victimes pourront la saisir par l'intermédiaire d'un député, d'un sénateur ou d'un représentant français au Parlement européen. D'autre part, les associations pourront participer à la saisine, conjointement avec la victime. Des garanties de procédure pour les personnes entendues par la Haute autorité ont été introduites : ces personnes pourront se faire assister du conseil de leur choix, et un procès-verbal contradictoire de leur audition leur sera remis. En outre, les avocats seront exclus du champ d'application de la levée des sanctions pénales liées à la révélation du secret professionnel. Les pouvoirs de la Haute autorité ont été également modifiés : lorsqu'il lui sera refusé de procéder à des vérifications sur place, son président pourra saisir le juge des référés, et, en outre, lorsque ses recommandations ne seront pas suivies d'effet, la Haute autorité pourra le faire savoir par la publication au Journal officiel d'un rapport spécial.

Le Sénat a également renforcé le rôle consultatif de la Haute autorité : le Gouvernement sera obligé de soumettre à son avis tout projet de loi relatif à la lutte contre les discriminations et à la promotion de l'égalité. En outre, le Premier ministre pourra lui demander de contribuer à la préparation et à la définition de la position française dans les négociations internationales portant sur la lutte contre les discriminations. Par ailleurs, en dotant la Haute autorité de délégués territoriaux, les sénateurs ont fait figurer dans le projet de loi l'organisation territoriale que le Gouvernement prévoyait d'instituer par décret. Enfin, la gratuité du service d'accueil téléphonique des victimes a été supprimée, afin d'éviter que la nouvelle autorité ne soit assaillie d'appels fantaisistes.

Le rapporteur a ensuite rappelé que le texte adopté par l'Assemblée nationale transpose la directive du 29 juin, en prévoyant un droit à égalité de traitement sans distinction de race ou d'origine ethnique, et en instituant, à cet effet, un aménagement de la charge de la preuve. Le Sénat est allé au-delà de la transposition de cette directive : il a étendu le droit à un traitement égal et l'aménagement de la charge de la preuve à toutes les discriminations. Sont notamment visées les discriminations en raison des opinions politiques, des mœurs, de l'orientation sexuelle, de l'apparence physique, de l'état de santé ou du handicap.

En dernier lieu, le rapporteur a présenté les dispositions relatives à la lutte contre les propos sexistes et homophobes, insérées dans le projet de loi, à l'initiative du Gouvernement. Tout en tenant compte de certaines critiques, ce volet reprend les principales dispositions du projet de loi déposé à l'Assemblée nationale le 23 juin 2004, sur lequel, nommée rapporteure, Mme Brigitte Barèges a procédé à de nombreuses auditions.

Le texte adopté par le Sénat réprime d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ceux qui auront publiquement provoqué à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle ou qui auront provoqué, à l'égard de ces mêmes personnes, aux discriminations illicites et réprimées par le code pénal (articles 225-2 et 432-7). Cette dernière précision n'existe pas dans le cas de l'incitation à la discrimination à caractère racial religieux ou ethnique, et n'était pas prévue dans le projet de loi présenté en juin dernier : elle a été insérée suite notamment aux critiques du Conseil d'État, afin de s'assurer que la nouvelle incrimination ne permettra pas de poursuivre des propos qui relèvent du débat public, comme par exemple des prises de position contre le mariage entre personnes de même sexe.

En outre, il est proposé d'aggraver les peines encourues par les auteurs d'une diffamation ou d'une injure publique envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle. Les auteurs de tels propos diffamatoires encourront désormais une peine pouvant aller jusqu'à six mois d'emprisonnement et 22 500 euros d'amende, comme c'est le cas pour les diffamations ou injures publiques à caractère racial, religieux ou ethnique. Le texte proposé concerne à la fois les propos sexistes et homophobes, alors que le projet de loi présenté en juillet ne concernait que l'injure ou la diffamation fondées sur l'orientation sexuelle. Cette inégalité de traitement avait été fortement critiquée par les associations féministes.

Enfin, s'agissant de la procédure, le projet de loi aligne les règles de mise en mouvement de l'action publique pour les délits de presse de nature sexiste ou homophobe sur celles existantes en matière de racisme ou d'antisémitisme. En conséquence, le ministère public pourra déclencher d'office une poursuite dans le cas d'une diffamation ou d'une injure sexiste ou homophobe, même sans plainte préalable de la victime, ce qui peut soulever certaines difficultés pour la victime, qui peut ne pas souhaiter qu'un procès public ait lieu. En outre, les associations de lutte contre les discriminations pourront se constituer partie civile pour l'ensemble des nouvelles infractions de sexisme ou d'homophobie. En revanche, contrairement à la solution retenue dans le projet de loi, il n'est plus prévu de faire passer le délai de prescription de trois mois à un an en matière de propos sexistes ou homophobes. En effet, la courte durée de prescription pour les délits de presse est considérée comme une garantie de la liberté d'expression.

En conclusion, le rapporteur a considéré que les dispositions relatives à la lutte contre les propos sexistes et homophobes s'intègrent utilement dans un texte visant à améliorer la lutte contre les discriminations.

M. Claude Goasguen a tout d'abord regretté que le Parlement cautionne, encore une fois, la création d'une autorité administrative indépendante dont la multiplication remet en cause l'autorité de la loi, en soulignant que ce type d'organismes avait tendance à se substituer de plus en plus au législateur alors qu'ils ne disposent d'aucune légitimité issue du suffrage universel et en rappelant que l'actualité récente, s'agissant du csa, avait démontré leurs insuffisances.

Concernant l'ajout au Sénat, par des amendements gouvernementaux, des dispositions issues du projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe, il a jugé qu'il s'agissait d'un procédé très critiquable, nuisant à la qualité du travail parlementaire et qu'il était donc indispensable qu'un débat réel ait lieu sur cette question à l'Assemblée nationale car les dispositions envisagées remettent gravement en cause les fondements même de nos principes juridiques.

Considérant que si la rédaction de l'article 17 bis, qui fait référence explicitement aux seules discriminations interdites par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal, constituait un progrès par rapport au projet initial, il a en revanche estimé que l'incrimination spécifique de l'injure et de la diffamation à caractère sexiste ou homophobe, prévue par l'article 17 ter, n'était pas acceptable. Il a exposé qu'elle revient à priver le juge de toute marge de manœuvre dans la qualification de l'injure et de la diffamation alors que, selon une tradition qui remonte au droit romain, c'est à lui d'apprécier la réalité de l'infraction. Précisant qu'il est en effet probable que la jurisprudence en matière de racisme sera étendue aux nouveaux délits envisagés, il a rappelé que la cour d'appel de Paris, par un arrêt de la 11e chambre du 18 septembre 1995, comme la Cour de cassation, par un arrêt du 16 mars 2004, avaient jugé que la preuve des faits diffamatoires n'est pas admise en matière de diffamation raciale. Il a craint dès lors que l'assimilation du dispositif de l'article 17 ter à celui de l'article 32 de la loi de 1881 conduise à une forme dangereuse d'automaticité de la peine.

M. Claude Goasguen a ensuite estimé qu'il serait judicieux de prendre en compte les critiques exprimées par la Commission nationale consultative des droits de l'homme (cncdh) sur l'incrimination aggravée de la diffamation et de l'injure, notamment son rappel l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme stipulant que la liberté d'expression vaut aussi pour les informations ou idées « qui heurtent, choquent ou inquiètent ». Concluant son intervention, il a considéré qu'une telle atteinte à la liberté d'expression rendra bientôt nécessaire l'adoption d'un « code des injures » afin de savoir si tel ou tel propos est acceptable !

M. Patrick Bloche a considéré que le rapporteur avait eu raison de rappeler que la pénalisation de certains propos à caractère sexiste ou homophobe ne constituait en rien une révolution juridique mais permettait simplement, sans minimiser cet important progrès, de compléter la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, grande loi de la République qui tout à la fois garantit la liberté de la presse et permet d'en sanctionner les abus.

Rappelant que le groupe socialiste s'était abstenu en première lecture car il estimait que le texte ne permettait pas à la Haute autorité de lutter efficacement contre les discriminations, notamment du fait de l'absence de pouvoir réel de régulation, il a précisé que, compte tenu des améliorations apportées par le Sénat sur la Haute autorité et de l'intégration dans ce projet de loi des dispositions de lutte contre les propos homophobes et sexistes, il pourrait s'acheminer vers un vote positif en deuxième lecture, puisque le texte reprend désormais une partie importante des dispositions de la proposition de loi du groupe socialiste discutée le 27 novembre 2003, même s'il serait souhaitable d'étendre le dispositif à toutes les discriminations interdites par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal.

Puis, soulignant que la simple mise à niveau législative des sanctions contre les propos discriminatoires, telle que prévue par le projet de loi qui opère par renvoi à la liste des discriminations énumérées dans le code pénal, ne peut être considérée comme attentatoire à la liberté de la presse, il a rappelé que les propos négationnistes ou racistes étaient déjà passibles de peines d'emprisonnement et que ceux qui s'opposent à toute peine privative de liberté en matière de délit de presse devraient alors prendre l'initiative de réformer en ce sens la loi de 1881.

Répondant aux observations de M. Claude Goasguen, M. Patrick Bloche a par ailleurs considéré qu'il était paradoxal de critiquer l'existence d'organismes indépendants comme la Haute autorité et, dans le même temps, d'invoquer l'avis de la cncdh pour dissuader les élus du suffrage universel de sanctionner les abus à la liberté d'expression. Il a enfin estimé que l'expression de « propos discriminatoires » n'était pas vague car, encadrée par la jurisprudence, elle ne relève en aucune façon du délit d'opinion et dire ainsi son opposition au mariage homosexuel ne saurait être considéré par exemple comme une injure ou une diffamation.

M. Michel Piron s'est enquis de la portée de l'article 2 du projet dans sa rédaction issue des travaux du Sénat, en ce qui concerne l'exigence de pluralisme dans la composition de la Haute autorité et s'est étonné de l'ajout d'une telle exigence qui incite à une discrimination des opinions dans un texte qui entend les condamner toutes. Il a ensuite fait part de ses doutes sur la pertinence de la nouvelle rédaction de l'article 17 qui prétend énumérer l'ensemble des discriminations prohibées.

Après avoir regretté la méthode cavalière suivie au Sénat pour insérer par amendement le contenu d'un projet de loi et déploré qu'une sorte de terrorisme intellectuel tende à condamner, sans les entendre, tous ceux qui s'opposent aux nouvelles dispositions, M. Jean-Paul Garraud a tenu à préciser que sa propre opposition était exempte de tout jugement de valeur sur l'homosexualité.

Rappelant que la majorité actuelle avait développé un arsenal juridique important en faveur de la communauté homosexuelle, notamment en améliorant le pacs et en faisant de l'homophobie une circonstance aggravante de certains délits, il s'est tout d'abord interrogé sur la nécessité de légiférer alors qu'il n'existe pas de vide juridique - lequel ne manquerait pas d'être souligné par la Cour de cassation dans son rapport annuel - et il a précisé que les propos portant atteinte à l'honneur et à la considération d'une personne peuvent déjà être sanctionnés. Il a ajouté que, si l'article 17 bis faisait référence à des infractions bien définies, l'article 17 ter réprimait la diffamation et l'injure, qui sont des notions dont la portée a été délimitée par la jurisprudence. Par ailleurs, il s'est étonné que le Parlement rétablisse des peines d'emprisonnement en matière de délit de presse, après les avoir supprimées pour être en conformité avec le droit européen.

Il a ensuite souligné que ce texte inutile était également dangereux en portant atteinte à la liberté d'expression et à la liberté de la presse, et exprimé sa crainte d'une multiplication des procédures initiées par des associations, qui risque d'entraîner une sorte d'autocensure des journalistes. Il a rappelé que le projet avait ainsi suscité l'hostilité des fédérations de presse de même, d'ailleurs, que celle de personnalités connues pour leur combat en faveur du pacs. Enfin, il a regretté que des droits soient octroyés à des communautés, en contradiction avec l'universalité des droits de l'homme et la jurisprudence du Conseil constitutionnel, récemment rappelée par la décision sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe, et il a contesté qu'un parallèle puisse être établi avec la législation contre le racisme qui répond à une exigence constitutionnelle.

Soulignant les fortes réserves que le projet de loi sur l'homophobie avait suscitées, y compris dans la majorité, M. Jean-Pierre Soisson s'est félicité que le Gouvernement ait finalement renoncé à des dispositions potentiellement dangereuses pour les libertés publiques, afin de procéder à une réforme prudente tout en respectant les principes généraux du droit.

Après avoir regretté que la pénalisation plutôt que de l'éducation constitue la solution ultime pour modifier les comportements, Mme Valérie Pecresse a souligné que le vote de la loi sur le racisme et l'antisémitisme, en isolant les communautés, avait rendu plus difficile la défense de l'universalisme des valeurs et conduisait naturellement à accorder à toute catégorie qui le demande une protection spécifique. Elle a cependant exprimé sa satisfaction devant l'amélioration du texte, qui fait référence à des notions juridiquement bien définies, ne porte pas d'atteinte frontale à la liberté de la presse et met au même rang le sexisme et l'homophobie. Elle a précisé que, dans sa rédaction issue de l'amendement du Gouvernement, l'article 17 bis ne réprimait que les discriminations à l'embauche ou pour l'accès aux biens et services, et qu'il serait toujours possible de se déclarer opposé, comme cela est son cas, au mariage homosexuel ou à l'adoption par des couples homosexuels.

Mme Brigitte Barèges a exposé que le projet de loi ne créait pas de nouveaux délits, mais alignait les sanctions réprimant la diffamation ou l'injure contre les femmes et les homosexuels sur celles prévues pour les propos de même nature à caractère raciste et antisémite. Soulignant que le texte protégeait les personnes et non les communautés, elle a considéré que d'éventuelles poursuites ne déboucheraient pas nécessairement sur des condamnations. Elle a ensuite déclaré que, si les fédérations de presse avaient pu se montrer inquiètes, tel n'était pas le cas des syndicats de journalistes, globalement satisfaits par le texte, et précisé que le retour au délai de prescription de droit commun en matière de presse rassurait la profession. Rappelant que l'intégration par voie d'amendement des dispositions relatives à l'homophobie et au sexisme dans le projet sur la Haute autorité permettrait le vote d'un texte définitif avant la fin de l'année, conformément aux engagements du Gouvernement, elle a conclu que le texte issu des travaux du Sénat était équilibré, évitait les dérives et répondait à une forte attente de l'opinion.

Après avoir souhaité que soient évités les propos disproportionnés, qu'ils soient excessifs ou qu'ils résultent d'une analyse trop hâtive, M. Guy Geoffroy a estimé que si le projet de loi soumis à l'Assemblée nationale regroupait désormais, compte tenu des amendements adoptés par le Sénat, deux réponses distinctes au problème de la discrimination, ces dernières n'étaient cependant pas étrangères l'une à l'autre et répondaient toutes les deux à des engagements pris par le chef de l'État. S'agissant plus précisément des articles additionnels adoptés par le Sénat, il a considéré que l'article 17 bis, dans sa rédaction issue de l'amendement du Gouvernement, apparaissait maintenant incontestable dans son principe et que l'article 17 ter apportait une solution au problème posé par l'impunité inadmissible des propos homophobes ou sexistes dirigés contre un groupe de personnes. Il a, dès lors, indiqué que le nouveau titre II bis constituait une mise à niveau adéquate du dispositif pénal en matière de propos discriminatoires et qu'il voterait le texte sans réticence.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

-  contrairement à d'autres autorités administratives indépendantes, la Haute autorité ne disposera pas de pouvoirs de sanction, ni de pouvoir normatif. Conformément aux prescriptions communautaires, elle vise simplement à aider les plus faibles à valoir leurs droits ;

-  il est vrai que l'avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (cncdh) appelant au « retrait » du projet de loi réprimant les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe a provoqué une certaine émotion. Toutefois, consciente des engagements pris par le chef de l'État et le Premier ministre, la commission a proposé, par pragmatisme, certaines modifications dans l'hypothèse où le Gouvernement viendrait à inscrire ce texte à l'ordre du jour du Parlement. Fort des suggestions de la cncdh, et des nombreuses observations qui ont été faites par ailleurs sur ce projet de loi, le Gouvernement a opportunément décidé d'en préciser certaines des dispositions, notamment en matière de provocation à la discrimination à raison du sexe ou de l'orientation sexuelle, en prévoyant que les propos publics ne pourront être incriminés que s'ils provoquent à la commission d'un fait illégal pénalement réprimé et prévu par les articles 225-2 et 432-4 du code pénal. Ce faisant, la liberté d'expression et de débat est davantage assurée tout en permettant la répression des propos et écrits sexistes ou homophobes les plus excessifs car attentatoires à la dignité des personnes ;

-  l'introduction de telles dispositions par voie d'amendement au Sénat peut, certes, être critiqué, mais nul ne saurait prétendre que le projet de loi tendant à la création d'une haute autorité de lutte contre les discriminations est dépourvu de tout lien avec la lutte contre l'homophobie et le sexisme ;

-  l'article 17 ter, relatif à la diffamation et l'injure publiques à caractère homophobe ou sexiste, ne crée pas une nouvelle incrimination mais aggrave les sanctions d'ores et déjà encourues par les auteurs de telles déclarations. En effet, la diffamation et l'injure publiques, respectivement définies aux articles 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881, sont punies d'une peine d'amende de 12 000 euros lorsqu'elles ne sont accompagnées d'aucune circonstance aggravante. En revanche, lorsque la diffamation ou l'injure publiques sont commises à raison de la race ou de la religion de la personne, les peines encourues sont alors respectivement portées à un an d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende et à six mois d'emprisonnement et 22 500 euros d'amende. Il est donc inexact d'affirmer que la loi de 1881 sur la liberté de la presse ne prévoit aucune peine d'emprisonnement et ceux qui s'opposent, par principe, à de telles peines devraient être conduits à proposer, par cohérence, la suppression des dispositions en vigueur en matière d'antisémitisme et de racisme, ce qui n'est fort heureusement envisagé par personne ;

-  le souhait du Gouvernement d'aligner les quantums encourus en matière de sexisme ou d'homophobie sur ceux applicables aux diffamations ou injures à caractère raciste ou antisémite s'explique par sa volonté d'obtenir des changements dans le comportement des personnes grâce à la crainte de la répression et la menace de peines accrues. Cet effet pédagogique et dissuasif a déjà produit d'incontestables effets positifs par le passé, en matière de sécurité routière par exemple, et il pourrait en être de même en matière de propos homophobes ou sexistes. Toutefois, l'analyse de la jurisprudence et l'examen de la pratique judiciaire démontrent que les peines d'emprisonnement actuellement prévues par la loi de 1881 ne sont quasiment jamais prononcées en matière de propos racistes ou antisémites. Tel devrait donc être le cas à l'avenir en matière de propos sexistes ou homophobes ;

-  la notion de propos homophobes ou sexistes, que chacun d'entre nous utilise par commodité de langage, n'est pas celle à laquelle se réfère le projet de loi et ne souffre donc d'aucune imprécision. En effet, les articles 17 bis et 17 ter se réfèrent aux provocations, diffamations ou injures « publiques » au sens de l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881 qui énumère les différents supports de cette publicité à l'instar des « cris, discours, écrits, imprimés, images, affiches ou autres moyens de communication audiovisuelle » ;

-  l'objet des dispositions du projet renforçant la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe est de garantir le respect de celles et ceux qui, depuis des siècles, sont victimes de discriminations car considérés comme « inégaux » par la majorité de la population. A ce titre, il devrait recevoir l'assentiment d'une grande partie des représentants du peuple français nonobstant leur appartenance politique.

Après avoir rejeté l'exception d'irrecevabilité n° 1 et la question préalable n° 1 de Mme Christine Boutin, la commission est passée à l'examen des articles.

TITRE Ier

DE LA HAUTE AUTORITÉ DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS ET POUR L'ÉGALITÉ

Article additionnel avant l'article premier :

La Commission a rejeté un amendement de M. Patrick Bloche fixant les objectifs de la politique de lutte contre les discriminations et prévoyant la réalisation, tous les cinq ans, d'un bilan de cette politique.

Article 2 : Composition :

La Commission a rejeté un amendement de M. Patrick Bloche modifiant la composition de la Haute autorité, afin d'y faire siéger des représentants des associations de lutte contre les discriminations.

Elle a également rejeté un amendement de M. Philippe Vuilque prévoyant que le Président de la République, le Premier ministre et les présidents des deux assemblées nomment chacun à la Haute autorité un homme et une femme, le rapporteur ayant considéré qu'une telle obligation de parité n'est pas conforme à la Constitution.

En réponse à une question M. Michel Piron, le rapporteur s'est déclaré favorable à l'obligation de pluralisme introduite par le Sénat, en considérant que, compte tenu de son objet, la Haute autorité doit représenter des sensibilités différentes. Il a néanmoins jugé qu'il serait inopportun d'étendre cette obligation de pluralisme aux autres autorités administratives indépendantes.

La Commission a rejeté un amendement de M. Patrick Bloche soumettant les délibérations de la Haute autorité à une obligation de publicité, le rapporteur s'étant déclaré défavorable à toute disposition qui porterait atteinte à la confidentialité des dossiers soumis à la nouvelle instance.

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article 3 : Saisine :

La commission a adopté un amendement du rapporteur soumettant la saisine de la Haute autorité par une association à l'accord de la victime.

La Commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 3 bis : Délégués territoriaux :

La Commission a adopté un amendement du rapporteur supprimant cet article au motif que l'organisation territoriale de la Haute autorité ne relève pas de la loi.

Article 4 : Recueil d'informations auprès de personnes privées :

La commission a rejeté un amendement de M. Patrick Bloche permettant à la Haute autorité de demander des explications à des personnes publiques, le rapporteur ayant précisé que cet amendement est satisfait par l'article 5 du projet de loi.

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article 5 : Concours des autorités publiques :

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article 6 : Médiation :

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article 7 : Vérifications sur place :

Le rapporteur a présenté un amendement supprimant la procédure de référé, introduite par le Sénat, en cas de refus de déférer à une demande de vérification sur place. Il a considéré que, compte tenu du fait que le pouvoir de vérification sur place donné à la Haute autorité reste soumis à l'accord des personnes intéressées, il est paradoxal de prévoir une procédure de référé qui, en pratique, donnerait à la nouvelle instance un pouvoir de police judiciaire.

La Commission a adopté cet amendement et l'article 7 ainsi modifié.

Article 8 : Mise en demeure et saisine du juge des référés :

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article 9 (art. 226-13 du code pénal) : Secret professionnel :

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article 10 : Recommandations :

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article 11 : Relations avec l'autorité judiciaire :

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article 13 : Information des autorités publiques détentrices du pouvoir disciplinaire :

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article 14 : Actions de promotion de l'égalité et rôle consultatif :

La commission a rejeté un amendement de M. Patrick Bloche donnant au Gouvernement la possibilité de consulter la Haute autorité sur le recours à l'anonymat des curriculum vitae, le rapporteur ayant estimé cette précision inutile.

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article 15 : Rapport annuel :

Après avoir rejeté un amendement rédactionnel de M. Patrick Bloche, la Commission a adopté cet article sans modification.

Article 16 : Budget et comptes :

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article additionnel après l'article 16 :

La Commission a examiné un amendement de M. Patrick Bloche visant à prohiber les discriminations fondées sur l'identité de genre dont peuvent être victimes les personnes transsexuelles.

Le rapporteur a fait observer que la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes a étendu la notion de discriminations sexuelles à celles qui trouvent leur origine dans la conversion sexuelle. Il a donc estimé que les dispositions prohibant la discrimination sexuelle pourraient être appliquées au cas des personnes transsexuelles, et considéré par conséquent cet amendement inutile.

La Commission a rejeté cet amendement.

TITRE II

MISE EN œUVRE DU PRINCIPE DE L'ÉGALITÉ DE TRAITEMENT ENTRE LES PERSONNES
ET PORTANT TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE N° 2000/43/CE DU 29 JUIN 2000

Article 17 : Transposition de la directive n°2000/43/CE du 29 juin 2000 :

La Commission a adopté un amendement du rapporteur limitant le principe d'égalité de traitement et l'aménagement de la charge de la preuve aux discriminations fondées sur la race ou l'origine ethnique. Le rapporteur a, en effet, considéré que le Sénat, en élargissant l'article 17 à l'ensemble des critères de discrimination, était allé au-delà de la transposition de la directive, sans résoudre les difficultés juridiques que ne manquerait pas de soulever une application aussi large.

En conséquence, deux amendements de M. Patrick Bloche tendant à élargir l'aménagement de la charge de la preuve ont été déclarés sans objet.

La Commission a ensuite adopté cet article ainsi modifié.

TITRE II BIS

RENFORCEMENT DE LA LUTTE CONTRE LES PROPOS DISCRIMINATOIRES À CARACTÈRE SEXISTE OU HOMOPHOBE

Article 17 bis (article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) : Provocation à la discrimination, à la violence ou à la haine à raison du sexe ou de l'orientation sexuelle des personnes :

M. Patrick Bloche a présenté un amendement visant à étendre l'aggravation des peines prévues par l'article 17 bis aux provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes, non seulement à raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle, mais aussi à raison de leur état de santé ou de leur handicap.

Rappelant que l'article 17 bis ne jouera qu'en matière de presse, le rapporteur s'est interrogé sur l'existence et donc sur la nécessité de prévoir la répression des appels à la discrimination des handicapés, et a craint que, en énumérant différentes catégories, le texte en oublie certaines.

La Commission a rejeté cet amendement, puis elle a adopté cet article sans modification.

Article 17 ter (articles 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) : Aggravation des sanctions en matière de diffamation et d'injures publiques à raison du sexe ou de l'orientation sexuelle des personnes

M. Jean-Paul Garraud a présenté un amendement de suppression de cet article. Il a estimé que, malgré les discours bien-pensants, l'article 17 ter soulève de réelles difficultés juridiques en assimilant la lutte contre l'homophobie à une obligation de nature constitutionnelle. Citant l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 7 novembre 1989 qui considère que « les lois qui punissent la diffamation protègent tous les individus sans prévoir aucun cas d'exclusion fondé sur des éléments comme les conceptions personnelles et subjectives ou l'opinion », il a estimé qu'il n'existe aujourd'hui aucun vide juridique.

Rappelant son engagement dans la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, M. Claude Goasguen s'est défendu de vouloir mettre en cause l'arsenal législatif prévu en la matière, qui doit précisément conserver un caractère spécifique. Il a fait observer que le Président de la République n'avait jamais demandé que soit créé un délit nouveau en matière sexiste ou homophobe.

Mme Brigitte Barèges a objecté que le texte ne crée pas un délit nouveau, mais se contente d'aggraver une sanction dans un but pédagogique, comme d'autres textes l'ont fait dans le passé en matière d'orientation sexuelle.

M. Pascal Clément, rapporteur, a confirmé l'absence de toute création d'un délit nouveau, le texte se limitant à aggraver un délit déjà prévu. Il a ajouté que, si le juge n'a jusqu'à présent pas appliqué les peines de prison en matière de droit de presse, le projet de loi vise, en renforçant les pénalités, à dissuader les délinquants potentiels.

La Commission a rejeté cet amendement, ainsi qu'un amendement de M. Patrick Bloche étendant l'article 17 ter aux diffamations et injures liées à l'état de santé et au handicap.

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article 17 quater (articles 24, 32, 33, 48-4 et 48-5 [nouveaux] et 63 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) : Mise en en mouvement de l'action publique - droit pour les associations de défense de se constituer partie civile - affichage ou diffusion des décisions - aggravation des peines en cas de récidive :

La Commission a adopté un amendement du rapporteur limitant les poursuites d'office par le parquet en matière de diffamation et d'injure à caractère sexiste ou homophobe à celles qui sont commises envers un groupe de personnes. En conséquence, un amendement de coordination de M. Jean-Paul Garraud est devenu sans objet.

La Commission a rejeté un amendement de M. Patrick Bloche permettant aux associations combattant les violences ou les discriminations fondées sur l'état de santé et le handicap de se constituer partie civile.

La Commission a adopté, contre l'avis du rapporteur, un amendement de M. Jean-Paul Garraud limitant la constitution de partie civile aux seules associations reconnues d'utilité publique, son auteur ayant fait observer que, sur ce point, le texte va à l'encontre de la nécessité, mise en évidence par le rapport Magendie, de réduire les constitutions de partie civile, et risque par conséquent de paralyser l'action de la justice.

La Commission a également adopté un amendement de M. Patrick Bloche autorisant les associations luttant contre les violences fondées sur l'orientation sexuelle à se constituer partie civile.

La Commission a enfin adopté un amendement du rapporteur maintenant l'aggravation des peines en cas de récidive d'apologie des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, et étendant ce régime de récidive aux délits de provocation et d'apologie des actes de terrorisme.

La Commission a adopté cet article ainsi modifié.

TITRE III

DISPOSITIONS TRANSITOIRES ET FINALES

Article 18 : Entrée en vigueur et dispositions transitoires :

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article 19 (art. 9 de la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations) : Service d'accueil téléphonique des victimes de discriminations :

La Commission a rejeté deux amendement de M. Patrick Bloche, le premier supprimant cet article, le second rétablissant la gratuité du service d'accueil des victimes de discriminations.

La Commission a adopté cet article sans modification.

La Commission a ensuite adopté l'ensemble du projet ainsi modifié.

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Information relative à la Commission

La Commission a désigné M. Gérard Léonard, rapporteur de la proposition de loi qu'il a déposée avec M. Pascal Clément sur le traitement de la récidive des infractions pénales (n° 1961).

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