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COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES, de la LÉGISLATION et de l’ADMINISTRATION GÉNÉRALE

Mercredi 29 novembre 2006

Séance de 10h

Compte rendu n° 13

Présidence de M. Philippe Houillon, président

Audition de M. Pascal Clément, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur le projet de loi organique relatif à la formation et à la responsabilité des magistrats (n° 3391) (M. Philippe Houillon, rapporteur), le projet de loi modifiant la loi n° 73-6 du 3 janvier 1973 instituant un médiateur (n° 3392) (M. Xavier de Roux, rapporteur) et le projet de loi tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale (n° 3393) (M. Guy Geoffroy, rapporteur)

La Commission a procédé à l’audition de M. Pascal Clément, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur le projet de loi organique relatif à la formation et à la responsabilité des magistrats (n° 3391) (M. Philippe Houillon, rapporteur), le projet de loi modifiant la loi n° 73-6 du 3 janvier 1973 instituant un médiateur (n° 3392) (M. Xavier de Roux, rapporteur) et le projet de loi tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale (n° 3393) (M. Guy Geoffroy, rapporteur).

Le président Philippe Houillon a souligné que l’ordre du jour de la commission des Lois était particulièrement chargé, avec, outre la réforme de la justice, le projet de loi de prévention de la délinquance et prochainement la réforme des tutelles.

Les textes sur la formation et la responsabilité des magistrats, le rôle du médiateur et l’équilibre de la procédure pénale s’inscrivent tous trois dans la continuité des travaux de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’affaire d’Outreau. Ils en reprennent de nombreuses propositions, comme la saisine du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) par le médiateur, le développement des stages probatoires, la création de pôles de l’instruction, le renforcement du caractère exceptionnel de la détention provisoire ou l’accélération de la procédure.

M. Pascal Clément, garde des Sceaux, ministre de la justice, a témoigné de sa satisfaction de présenter les trois projets de réforme de la justice, un peu plus d’un an après l’onde de choc créée dans l’opinion publique par l’affaire dite d’Outreau. Les travaux de la commission d’enquête, suivis par des milliers de téléspectateurs, ont suscité un intérêt souvent passionné et une réelle attente de la part des Français. Il était inenvisageable de ne pas y répondre et de renvoyer après les échéances électorales l’adoption de solutions de nature à éviter un nouveau drame ; le Gouvernement avait le devoir de présenter une réforme synthétisant cette réflexion et constituant la première étape de la rénovation de la justice. Cette réforme s’appuie très largement sur le rapport de la commission d’enquête puisqu’elle reprend entièrement ou partiellement vingt et une des trente-deux propositions législatives. Comme toute synthèse, elle a suscité des critiques : insuffisamment ambitieuse pour certains, elle est irréaliste et dangereuse pour d’autres. C’est cependant une première étape nécessaire pour que les Français retrouvent la confiance dans leur justice.

Le projet de réforme de la procédure pénale apporte des réponses précises et concrètes aux principaux dysfonctionnements constatés dans l’affaire dite d’Outreau.

Il met fin à la solitude du juge d’instruction en créant des pôles de l’instruction, compétents pour les affaires criminelles et les affaires correctionnelles complexes donnant lieu à une co-saisine. Ces pôles assureront l’effectivité des co-saisines, qui pourront désormais être imposées par le président de la chambre de l’instruction, même sans l’accord du magistrat initialement saisi. Les affaires les plus complexes seront confiées à des magistrats expérimentés, du premier grade, et, à travers la co-saisine, les nouveaux juges d’instruction travailleront en binôme avec les plus anciens. De manière plus générale, il est souhaitable que ces pôles conduisent les juges d’instruction à acquérir la culture du travail en équipe.

En pratique, les pôles auront un ressort départemental. Cependant, compte tenu des particularités locales, certains d’entre eux pourront couvrir plusieurs départements et certains départements pourront posséder plusieurs pôles. Chaque tribunal de grande instance conservera un juge d’instruction, chargé des affaires correctionnelles simples.

Les frais de déplacements supplémentaires supportés par les avocats intervenant au titre de l’aide juridictionnelle pour se rendre dans les pôles de l’instruction devront être pris en compte. Par ailleurs, afin d’assurer un accès en temps réel aux dossiers, la numérisation des procédures pénales sera accélérée : d’ici à la fin de l’année, une centaine de tribunaux de grande instance devraient expérimenter cette mesure. Enfin, pour limiter les déplacements, la visioconférence sera utilisée autant que possible : tous les tribunaux de grande instance seront équipés à cet effet d’ici à la fin de l’année.

Ces pôles constituent la première étape vers la collégialité de l’instruction, proposée par la commission d’enquête. La pyramide des âges de la magistrature, avec des départs massifs à la retraite à l’horizon 2010, conjuguée à l’importance des moyens humains nécessaires pour une telle réforme – il faudrait environ 240 magistrats et 400 fonctionnaires supplémentaires –, oblige à la différer et à la limiter, dans un premier temps, aux pôles de l’instruction.

Le projet renforce le caractère exceptionnel de la détention provisoire. Le critère du trouble à l’ordre public ne pourra plus être employé, en matière correctionnelle, que pour le placement initial en détention provisoire. Par ailleurs, comme le proposait la commission d’enquête, le trouble à l’ordre public ne pourra plus résulter du seul retentissement médiatique de l’affaire.

Le projet de loi prévoit également l’assistance obligatoire du mis en examen par un avocat lors du débat sur la détention provisoire et permet au juge des libertés et de la détention (JLD) de reporter ce débat pour favoriser le recours au contrôle judiciaire.

Enfin, il renforce le contrôle de la chambre de l’instruction sur le déroulement des informations en instituant une audience semestrielle permettant d’examiner publiquement et contradictoirement tous les aspects de la procédure en cours, dès lors qu’une personne est détenue ; avec cette audience, la chambre de l’instruction aura une vue globale sur l’affaire, ce qui a clairement manqué dans l’affaire d’Outreau. Le contrôle des chambres de l’instruction sur les cabinets des juges d’instruction sera aussi renforcé par la mise en place d’assesseurs permanents, à partir de septembre 2007, lorsque l’activité de ces chambres le justifie.

Le projet de loi renforce par ailleurs la transparence de la justice, condition de sa crédibilité, par deux dispositions : la publicité des audiences relatives à la détention provisoire ; l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires de garde à vue et devant le juge d’instruction en matière criminelle. Ces enregistrements permettront de sécuriser les procédures, en prévenant notamment les mises en cause injustifiées dont font parfois l’objet les interrogatoires. En Angleterre et en Italie, ces mesures sont très appréciées, bien qu’elles aient fait l’objet de longs débats au moment de leur adoption.

Le caractère contradictoire de l’instruction, qui a fait défaut dans l’affaire dite d’Outreau, sera renforcé. La mise en examen pourra être contestée à intervalles réguliers, et non pas seulement dans les six premiers mois. Des confrontations individuelles pourront être demandées.

Le caractère contradictoire des expertises sera également renforcé : information des parties de la décision du juge ordonnant une expertise, sauf si cela nuirait à l’efficacité des investigations ; possibilité de désigner un co-expert de leur choix ; suppression du filtre du président de la chambre de l’instruction en cas d’appel du refus d’une contre-expertise.

Le règlement des informations sera plus contradictoire puisque le juge devra statuer au vu des réquisitions du parquet et des observations des parties, chacun pouvant répliquer. L’ordonnance de renvoi devra préciser les éléments à charge et à décharge concernant chacune des personnes mises en examen.

Enfin, disposition essentielle, le projet de loi rend obligatoire l’enregistrement des auditions des mineurs victimes d’infractions sexuelles, qui seront en outre obligatoirement assistés d’un avocat, le cas échéant commis d’office.

Toutefois, la crédibilité de la justice passe aussi par sa célérité et par la nécessité de limiter autant que faire se peut les informations injustifiées, afin que les juges d’instruction n’aient à traiter que les affaires réellement complexes. Reprenant les conclusions du rapport Magendie, le projet de loi supprime l’extension jurisprudentielle de la règle selon laquelle « le criminel tient le civil en l’état », qui n’est maintenue que pour l’action civile engagée en réparation du dommage causé par l’infraction. Ainsi, une plainte avec constitution de partie civile pour vol déposée par l’employeur dans le seul but de paralyser la contestation du licenciement devant les prud’hommes n’aura plus l’effet recherché, ce qui devrait limiter le nombre de plaintes avec constitution de partie civile, et donc d’informations. En matière délictuelle, la recevabilité des plaintes avec constitution de partie civile sera subordonnée au refus de poursuites ou à l’inaction du parquet pendant trois mois et, avec l’accord du juge d’instruction et de la victime, le parquet pourra poursuivre l’auteur des faits devant le tribunal correctionnel après une brève enquête.

Le coût de l’ensemble de la réforme a été estimé à 30 millions d’euros pour le ministère de la justice. Elle nécessitera en particulier la création de 70 postes de magistrats et 102 emplois de fonctionnaires de greffe. Les magistrats seront pourvus par redéploiement et un recrutement supplémentaire de fonctionnaires devra être organisé. Ce financement ne figure pas dans le projet de loi de finances pour 2007 car le chiffrage précis de la réforme dépend du périmètre définitif de la loi et du calendrier de sa mise en œuvre. Dès que la loi sera promulguée, le Gouvernement abondera en tant que de besoin les crédits du ministère.

Le moment est venu de procéder à une véritable modernisation de la formation et du régime disciplinaire des magistrats, comme l’a souhaité la commission d’enquête. La formation et la discipline des magistrats telle qu’elle avait été prévue il y a près de cinquante ans n’est plus appropriée à la société française de 2006. L’on peut être tenté de faire table rase du système actuel et d’en construire un nouveau. À quelques mois d’une échéance électorale majeure, cette révolution paraît néanmoins difficilement envisageable. Néanmoins, il est de la responsabilité du Gouvernement de proposer aux Français les mesures susceptibles d’être immédiatement appliquées et de modifier concrètement le fonctionnement des juridictions.

Un bon magistrat, avant de décider, doit douter, écouter et examiner tous les arguments qui lui sont soumis, en accordant la même importance à la parole de la victime et à celle du mis en examen. Le seul moyen de vérifier qu’un futur magistrat est capable de s’obliger à cette méthode consiste à le soumettre à un stage préalable obligatoire avant sa nomination dans ses premières fonctions. Or, tous les magistrats en poste n’ont pas été soumis à ce véritable test. C’est pourquoi il est proposé, pour toutes les voies d’accès à la magistrature, de donner à la formation préalable un caractère probatoire obligatoire.

Adapter le statut de la magistrature de 1958 à la France de 2006, suppose également d’adapter le régime disciplinaire des magistrats aux exigences de la société. Mais toucher à la discipline des magistrats revient à toucher à une question extrêmement sensible car liée à l’indépendance du pouvoir judiciaire, et l’efficacité impose de proposer des modifications pouvant entrer effectivement en vigueur sans encourir la censure du Conseil constitutionnel.

La commission d’enquête a proposé de faire sanctionner par le Conseil supérieur de la magistrature la méconnaissance des principes directeurs de la procédure civile et pénale, et cette mesure doit être mise en œuvre. Mais, pour cela, il faut se conformer aux observations émises par le Conseil d’État dans son avis du 19 octobre dernier ; ne pas le faire serait à coup sûr encourir la censure du Conseil constitutionnel. Le Gouvernement propose donc l’amendement suivant : « Constitue notamment un manquement aux devoirs de son état la violation grave et intentionnelle par un magistrat des règles de procédure constituant des garanties essentielles des droits des parties, commise dans le cadre d’une instance close par une décision de justice devenue définitive ».

Pourquoi une « violation intentionnelle » ? Parce qu’il faut signifier que c’est en toute conscience que le magistrat n’a pas respecté les règles de procédure.

Pourquoi une « violation grave » ? Parce que les conditions matérielles actuelles contraignent parfois les magistrats, en toute conscience, à ne pas respecter certaines règles procédurales. Par exemple, lorsqu’il statue dans son cabinet en matière civile, le juge des enfants n’est généralement pas assisté d’un greffier, et ce n’est pas un choix de sa part ; malgré tous les efforts, le nombre de greffiers, au sein des juridictions, reste insuffisant. La présence du greffier est une garantie essentielle, surtout lorsqu’est examinée une question aussi difficile que le placement d’un enfant en danger. Il s’agit donc d’une violation intentionnelle d’une garantie essentielle des droits des parties. Est-elle pour autant grave ? Ce n’est pas certain. Une violation grave fait grief à une partie, la prive d’un moyen de défense et nuit à 1’impartialité du juge.

Pourquoi les « garanties essentielles des parties » ? Parce qu’il faut éviter la paralysie de la justice. Parce que convoquer l’avocat d’une partie en lui envoyant une lettre recommandée est une garantie prévue par le code, qui pour autant n’est pas essentielle, il faut éviter d’engager une action disciplinaire contre un magistrat qui aurait convoqué un avocat avec une lettre simple.

Pourquoi cette violation doit-elle intervenir « dans le cadre d’une instance close par une décision de justice devenue définitive » ? Parce que le Conseil d’État a considéré que l’absence de cette mention introduisait un risque de confusion entre, d’une part, l’office des juges d’appel et de cassation, et, d’autre part, celui du juge disciplinaire. Il a clairement indiqué que le CSM ne pourrait statuer en matière disciplinaire qu’une fois la procédure judiciaire close. Il s’agit d’éviter que la voie disciplinaire puisse être utilisée dans le cadre d’une instance en cours pour déstabiliser un magistrat.

La rédaction proposée par le Gouvernement s’inscrit dans le respect des principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance de l’autorité judiciaire. Elle paraît de nature à éviter la censure du Conseil constitutionnel tout en précisant les termes de la faute disciplinaire.

Les événements récents ont démontré que tous les magistrats ne sont pas aptes à exercer toutes les fonctions. Lorsqu’une faute disciplinaire établit la nécessité d’encadrer un magistrat, il faut rendre possible, pour une durée déterminée, l’interdiction d’exercice de fonctions à juge unique, notamment les fonctions spécialisées (juge d’instruction, juge de l’application des peines, juge des enfants, juge d’instance), mais aussi juge aux affaires familiales ou juge présidant une audience correctionnelle à juge unique. Le Gouvernement propose donc d’élargir la gamme des sanctions disciplinaires en créant une nouvelle sanction : l’interdiction d’exercer des fonctions à juge unique pour une durée maximale de cinq ans.

Il convient enfin de mettre un terme à une situation scandaleuse : lorsque le comportement d’un magistrat révèle des problèmes pathologiques, il est indispensable de l’écarter de l’exercice de toutes fonctions juridictionnelles ; or, il est actuellement impossible d’apporter une réponse immédiate à ce dysfonctionnement majeur puisque, dans l’attente de la suspension décidée par une commission médicale, seule la voie disciplinaire est prévue. Cette procédure n’est pas adaptée, et n’aboutit que rarement au résultat recherché : écarter le magistrat de l’exercice des fonctions juridictionnelles. Le Gouvernement propose donc de donner au garde des Sceaux la faculté – sur avis conforme du CSM, car les garanties statutaires doivent être respectées – de suspendre de ses fonctions un magistrat dont l’état de santé justifie la saisine du comité médical, lequel sera tenu de statuer dans un délai de six mois.

La commission d’enquête a mis en lumière la nécessité de développer les contrôles externes à la justice. Il n’existe pas aujourd’hui d’autorité extérieure à l’institution judiciaire, habilitée à recueillir, examiner et donner suite aux réclamations des justiciables sur les dysfonctionnements de la justice liés au comportement des magistrats. Aussi est-il proposé de conférer au médiateur de la République la possibilité d’être saisi de réclamations émanant de toute personne mettant en cause le comportement d’un magistrat. Le médiateur pourra, s’il estime cette réclamation sérieuse, la transmettre au garde des Sceaux, et celui-ci lui fera connaître les suites qu’il lui réserve. L’intervention du médiateur de la République donnera un caractère public et officiel à une éventuelle saisine du garde des Sceaux. Le Gouvernement est d’ailleurs prêt à examiner avec bienveillance les amendements permettant de donner une plus grande publicité aux suites réservées par le garde des Sceaux aux transmissions du médiateur. Cette publicité garantira que chaque transmission du médiateur donnera lieu à un examen approfondi de la part de la chancellerie.

Certains s’interrogent sur la possibilité de permettre au médiateur de saisir directement le CSM lorsqu’il estime qu’une faute disciplinaire est caractérisée. Toutefois cette proposition soulève des difficultés.

Sur le plan des principes, elle présente un risque constitutionnel certain. Confier au médiateur de la République le pouvoir d’engager des poursuites disciplinaires à l’encontre d’un magistrat pourrait être considéré comme portant atteinte à l’indépendance de l’autorité judiciaire : cette extension de la saisine du CSM à une autorité administrative, fût-elle indépendante, risque en effet d’accroître le nombre de contestations des décisions de justice en dehors des voies de recours légalement prévues à cet effet. Il convient au contraire d’éviter de multiplier les autorités compétentes pour saisir l’organe disciplinaire, afin que la procédure disciplinaire ne soit pas utilisée pour déstabiliser les magistrats dans leur activité juridictionnelle. Cela signifie également qu’il serait donné au médiateur, autorité administrative indépendante, un pouvoir concurrent, voire supérieur à celui du garde des Sceaux, puisqu’il pourrait passer outre le refus du ministre de la justice de saisir le CSM. Cela modifierait donc en profondeur le système institutionnel. Cette analyse rejoint d’ailleurs celle qui avait conduit un ancien garde des Sceaux à ne pas confier la possibilité de saisir directement le CSM à la commission nationale d’examen des plaintes des justiciables qu’il proposait de créer.

Sur le plan pratique, cette saisine du CSM supposerait que le médiateur dispose de moyens d’investigations permettant d’instruire complètement le dossier qui lui est soumis. On ne peut envisager qu’un magistrat puisse être traduit devant le CSM sur la seule base du dossier du justiciable. Or seule l’inspection générale des services judiciaires dispose des moyens nécessaires pour mener à bien ces investigations, et elle doit rester rattachée directement au garde des Sceaux, responsable du bon fonctionnement des juridictions.

Il semble cependant nécessaire de renforcer l’information du médiateur pour lui permettre un examen plus approfondi des réclamations qui lui sont transmises et identifier les réclamations sérieuses. Le Conseil d’État a fait valoir que tout ce qui pourrait conduire le médiateur à intervenir dans la procédure disciplinaire, par exemple en demandant des éléments d’information aux chefs de cour, relevait de la loi organique et nécessitait la mise en place d’un certain nombre de garanties procédurales : information du magistrat, possibilité pour ce dernier de faire valoir devant le médiateur ses moyens de défense, communication du dossier. Toute disposition en ce sens devra donc figurer dans la loi organique.

La réforme proposée n’est pas une révolution mais un premier pas fondamental. Ces textes constituent une avancée majeure dans le rééquilibrage de la procédure pénale et dans l’approfondissement de la responsabilité des magistrats. Ils permettront à l’institution judiciaire d’intervenir de façon plus transparente et d’être mieux comprise des justiciables, dans un plus grand respect des droits des parties.

M. Guy Geoffroy, rapporteur du projet de loi tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale, a observé que la portée importante de la réforme était largement reconnue. Elle reprend les deux tiers des conclusions tracées unanimement par la commission d’enquête sur l’affaire dite d’Outreau. Ceux qui parlent de « réformette » sont au demeurant ceux qui repoussent avec vigueur certains volets de la réforme, ce qui peut sembler paradoxal.

Dans un récent rapport, le sénateur Jean-Patrick Courtois a estimé le coût de l’enregistrement audiovisuel des gardes à vue à plus de 70 millions d’euros en investissement et près de 6 millions d’euros en fonctionnement. Ce coût paraît très élevé compte tenu des matériels déjà en service. Peut-on estimer l’investissement initial complémentaire nécessaire ainsi que le budget annuel de fonctionnement, sachant que les équipements doivent être conséquents et en état de marche permanent ? Les difficultés techniques ne doivent pas conduire à ce que le texte soit vidé de sa substance.

Quelle place peut-on envisager de conférer à l’enregistrement audiovisuel par rapport au procès-verbal ?

Le visionnage de l’enregistrement devant les assises pourrait-il être exclu, ou bien faut-il laisser le texte en l’état ?

Le projet de loi tend à cantonner la détention provisoire ainsi qu’à privilégier le contrôle judiciaire. Lorsqu’une personne s’attend à être condamnée, elle considère la détention provisoire comme le début de l’accomplissement de sa peine. Elle risque donc de refuser le port d’un bracelet électronique, véritable emprisonnement à domicile, mais dont la durée ne peut être déduite de celle de la peine qui sera prononcée en définitive. L’objectif étant de limiter la détention provisoire, est-il envisageable que, sous certaines conditions, le placement sous bracelet électronique dans le cadre d’un contrôle judiciaire soit décompté de la peine totale ?

L’article 13 du titre IV confie au premier président de la cour d’appel le soin de trancher un différend entre le procureur général et le président de la cour d’assises pour l’établissement du rôle des sessions d’assises. Afin que le recours du premier président ne soit pas la traduction d’un conflit, ne pourrait-on prévoir que l’établissement du rôle relève du premier président de la cour d’appel, après consultation du procureur général et du président de la cour d’assises ? La réforme serait ainsi plus positive et, peut-être, plus lisible.

Le garde des Sceaux a apporté les réponses suivantes :

—  Concernant le coût de l’enregistrement, que certaines évaluations peuvent faire apparaître comme inquiétant, il convient d’abord d’observer que le sénateur Courtois n’a pas consulté la Chancellerie. Les 8 700 affaires criminelles instruites chaque année impliquent en moyenne 1,4 personne et entraînent 2,5 auditions dans le cabinet du juge d’instruction. L’enregistrement des interrogatoires représentera un coût de 1,2 million d’euros en équipement et 62 000 euros en fonctionnement annuel. Les services de police procèdent à 40 000 interrogatoires de garde à vue dans les procédures criminelles et bon nombre de commissariats sont déjà équipés, ce qui réduit d’autant l’investissement nécessaire. Le ministère de la Défense a indiqué être en mesure d’équiper à bref délai l’ensemble des unités de gendarmerie pour un coût d’investissement de 3,35 millions d’euros et un coût de fonctionnement annuel de 800 000 euros. Les gendarmes ayant la responsabilité d’une garde à vue sur quatre, on peut en déduire qu’il suffit de multiplier ces chiffres par quatre pour obtenir le total à prévoir.

—  L’enregistrement ne se substitue pas au procès-verbal du greffier, qui a prêté serment et authentifie ses actes. Pour autant, en cas de contestation, seul fait foi aujourd’hui le procès-verbal du greffier, qui est un résumé des propos du justiciable et qui peut, pour cette raison, donner matière à discussion. Il sera donc possible, le cas échéant, de consulter l’enregistrement de la garde à vue ou de l’interrogatoire par le juge d’instruction. Le bilan des mesures équivalentes instaurées en Angleterre et en Italie est très satisfaisant. On ne peut lutter contre les progrès des performances technologiques, surtout quand celles-ci peuvent sécuriser une procédure et aider à la décision, contribuer à la manifestation de la vérité.

—  La commission d’enquête sur l’affaire dite d’Outreau s’est étonnée de la charge de travail des chambres de l’instruction. Il est souhaitable de recentrer les magistrats instructeurs sur leur métier – établir la vérité dans des affaires graves ou complexes – au lieu de les « engluer » dans des tombereaux de dossiers qui pourraient pour la plupart faire l’objet d’une enquête préliminaire du parquet. La réflexion, depuis la remise du rapport Magendie, s’est d’ailleurs poursuivie et toutes ses propositions n’ont pas été reprises à la lettre. Ainsi, la règle selon laquelle « le criminel tient le civil en l’état » n’est pas abrogée, mais précisée et atténuée.

—  Le co-audiencement, déjà en vigueur en matière de justice des enfants, est une voie d’avenir pour l’ensemble des affaires. Le parquet étant informé d’éléments inconnus du siège, l’établissement d’une synthèse s’avère extrêmement utile.

—  Le bracelet électronique fixe, dont l’utilisation est permise dans le cadre du contrôle judiciaire depuis la loi Perben du 9 septembre 2002, n’est utilisé que pour 1 % des personnes placées sous contrôle judiciaire ; depuis 2002, 86 mesures ont été prononcées. Compte tenu de ses contraintes, il n’est pas vraiment adapté au contrôle judiciaire. Le bracelet électronique mobile, en revanche, expérimenté à la satisfaction générale dans quelques cours d’appel, convient parfaitement, et la mesure sera généralisée l’année prochaine.

M. Xavier de Roux, rapporteur du projet de loi modifiant la loi n° 73-6 du 3 janvier 1973 instituant un médiateur, a demandé en quoi le projet de loi améliorera le traitement des plaintes des justiciables et pourquoi le Gouvernement n’a pas pris le parti d’inscrire la procédure d’examen de celles-ci dans l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

Le garde des Sceaux a exposé que, lorsque des justiciables se plaignent par écrit au ministre de la Justice, leurs courriers, traités par la direction des services judiciaires, restent sans effet juridique. Ils pourront désormais exprimer leur mécontentement auprès d’une autorité indépendante que personne au demeurant ne saurait soupçonner de parti pris. Le médiateur examinera ces affaires sans se pencher sur la décision juridictionnelle, faute de quoi il mettrait en cause l’indépendance du juge. L’inscrire dans la loi organique lui conférerait des pouvoirs disciplinaires sur les magistrats, ce qui ne manquerait pas de soulever des difficultés de nature constitutionnelle. Le Gouvernement n’est pas opposé à ce que le médiateur puisse demander au chef de cour des éléments complémentaires nécessaires pour procéder à l’examen approfondi des plaintes qui lui sont transmises, mais cela nécessiterait d’amender le projet de loi organique. Quoi qu’il en soit le dispositif prévu par le projet de loi constitue un premier pas qui sera ressenti très positivement par l’opinion publique.

S’agissant de la formation et des carrières des magistrats, le président Philippe Houillon, rapporteur du projet de loi organique relatif à la formation et à la responsabilité des magistrats, a approuvé la généralisation de stages probatoires, mais a rappelé que la commission d’enquête avait formulé plusieurs propositions visant à ouvrir davantage la magistrature sur l’extérieur pour l’« oxygéner » et diversifier les profils. Le Gouvernement serait-il favorable à des dispositions allant dans ce sens, comme l’obligation, pour les auditeurs de justice, d’effectuer un stage d’une année en cabinet d’avocat, le renforcement de la proportion maximale de magistrats recrutés sur titre ou bénéficiant d’une intégration directe au corps judiciaire et l’institution d’une mobilité obligatoire en dehors de la magistrature ?

S’agissant de la responsabilité disciplinaire des magistrats, il n’existe pas de véritable code de déontologie de la magistrature mais seulement un recueil de la jurisprudence du CSM. Le Gouvernement serait-il favorable à une modification du serment, afin de faire apparaître clairement les obligations déontologiques des magistrats, et à la précision de leurs droits et devoirs dans un code de déontologie, dont la rédaction serait confiée au CSM ?

L’interdiction d’être nommé ou désigné dans des fonctions de juge unique pendant cinq ans, nouvelle sanction disciplinaire, signifie que le magistrat sanctionné siègera dans une formation collégiale. Peut-être conviendrait-il de prévoir que les formations collégiales ne doivent pas être composées exclusivement de magistrats sanctionnés…

Le garde des Sceaux a apporté les précisions suivantes :

—  Un décret d’octobre 1994 interdit aux auditeurs de justice, fonctionnaires stagiaires, d’exercer une autre activité professionnelle, ce qui pose une véritable difficulté pour exercer les fonctions d’avocat. Au demeurant, ce statut d’auditeur de justice rend très difficile de refuser à quelqu’un de devenir magistrat au terme de son cursus. Dans d’autres pays, les futurs magistrats subissent un examen psychologique. Mais si les jeunes hommes et jeunes femmes sortant de l’École nationale de la magistrature (ENM) sont des « champions » de la procédure et du code, très bons techniquement, personne ne se demande le jour du concours, s’ils sont faits pour devenir magistrats ni n’évalue leur maturité et leurs qualités humaines. Le concours devrait ainsi être davantage orienté vers leurs capacités concrètes à exercer les fonctions de juge. Cela étant, porter la durée de la formation de trente et un à quarante et un mois ramènerait à zéro le nombre des sorties de l’ENM pendant un an, ce qui désorganiserait durablement les services judiciaires. La durée totale des études pour devenir magistrat approcherait les dix ans, ce qui serait excessif. En revanche, cette année, l’ENM a proposé une formation à quarante avocats d’une année complète afin de procéder à un « échange de cultures » avec les magistrats, ce qui constitue déjà un progrès.

—  Pour les voies parallèles de recrutement, les candidats manquent. Tous les concours existants ont un point commun : le nombre de candidats est toujours inférieur au quota ouvert. Certains trouvent la rémunération trop faible ; d’autres candidats, avocats n’ayant pas réussi au barreau, ne sauraient voir leurs candidatures retenues. Ceux qui accèdent au premier grade de la magistrature sont mieux rémunérés, mais la commission d’avancement fait preuve de réticences et se montre très sévère s’agissant de leur niveau. De même, pour les juges de proximité, le CSM se montre particulièrement exigeant : il est arrivé qu’un magistrat à la retraite soit récusé.

L’idée d’instaurer une mobilité obligatoire au bout de six ans est également excellente, mais sa mise en pratique serait compliquée. Au bout de six ou sept ans, 250 magistrats sur 7 000 seraient concernés, soit 500 sur deux ans. Comment trouver 500 postes extérieurs ou connexes à la magistrature, alors qu’il n’y en a que 220 actuellement, notamment auprès du médiateur de la République, de la Défenseure des enfants, des juridictions internationales ou en qualité de magistrats de liaison ? Or, l’institution judiciaire ne saurait être privée de 500 magistrats, sachant que l’ENM ne peut actuellement accueillir que 240 élèves par promotion, davantage en raison de sa taille que pour des motifs budgétaires. En outre, compte tenu de l’évolution de la pyramide des âges de 2006 à 2010, les départs à la retraite seront nombreux. Il faudra par conséquent que le ministère chargé du budget consente à un recrutement massif de magistrats, afin de maintenir l’effectif, qui, depuis cette année, correspond exactement à l’effectif théorique des juridictions.

—  Un code de déontologie consiste à dresser une liste de comportements considérés comme fautifs, tout le reste étant autorisé. La police nationale s’est dotée d’un code de dix-neuf articles très généraux ; prévoir que le policier respecte la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la Constitution et les conventions internationales est louable, mais de portée limitée. La commission de réflexion sur l’éthique dans la magistrature dite « commission Cabanes » avait préconisé la publication d’un recueil de principes déontologiques recoupant les textes en vigueur et la jurisprudence commentée du CSM. Ce document a été validé et tous les magistrats de France ont ainsi reçu cette année un CD-rom contenant l’intégralité de la jurisprudence du CSM. Cela remplace avantageusement un code de déontologie.

—  « La commission Cabanes » avait proposé de modifier le serment, en retenant notamment un devoir d’impartialité et de diligence. Le mot « diligence » ayant suscité de vives réactions chez les magistrats, on pourrait alors s’inspirer de la rédaction qu’avait proposée Mme Elisabeth Guigou : « Je jure de remplir mes fonctions avec impartialité et intégrité, dans le respect de la loi et des droits de toutes les parties, de garder le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. ».

Le président Philippe Houillon a fait observer que, si l’opposition des magistrats suffit pour renoncer à une réforme, aucune évolution n’est possible, les services de la Chancellerie étant composés de magistrats.

Il a par ailleurs rappelé que les juges d’instruction et les magistrats en général réclament depuis longtemps la suppression de la plainte avec constitution de partie civile, qui est pourtant le pendant mécanique du principe de l’opportunité des poursuites. La victime doit cependant pouvoir déposer une plainte avec constitution de partie civile, dans la mesure où le parquet dispose de la possibilité de classer. Toutefois, comme il arrive qu’un certain nombre de ces plaintes soient destinées à bloquer l’issue de la procédure civile, il convient de réfléchir à l’application de la règle selon laquelle le pénal tient le civil en l’état. La jurisprudence actuelle, qui prévoit qu’une décision au pénal susceptible d’avoir une influence directe sur un procès civil doit conduire le juge civil à surseoir à statuer, semble équilibrée. La rédaction proposée ne risque-t-elle pas de remettre en cause cet équilibre et d’avoir comme conséquence une multiplication des jugements en révision ?

Se référant à l’esprit constructif de la commission d’enquête sur l’affaire dite d’Outreau, M. André Vallini a reconnu que les trois textes comportaient des avancées, mais a déploré que le Gouvernement soit resté « au milieu du gué ». La collégialité est seulement esquissée, avec la création des pôles de l’instruction. Le critère du trouble à l’ordre public n’est pas supprimé. Les mesures concernant la procédure pénale, la garde à vue et la détention provisoire sont insuffisantes. Le Gouvernement a cependant écouté les membres du groupe socialiste puisqu’il ne supprime pas le juge des libertés et de la détention (JLD), contrairement à l’avis de la majorité de la commission d’enquête.

Le garde des Sceaux ayant répondu que le maintien du JLD n’était pas un choix idéologique mais une nécessité, compte tenu de l’impossibilité de former les 300 magistrats supplémentaires nécessaires à la collégialité de l’instruction, M. André Vallini a fait observer qu’à long terme, rien n’était impossible.

Puis il a contesté que le médiateur de la République ne puisse saisir directement le CSM et a considéré que le véritable problème était celui de l’instruction des dossiers. Faut-il envisager la création d’une autorité de poursuite ? Quel rôle donner à la direction des services judiciaires et à l’inspection générale des services judiciaires ?

En tout état de cause, la grande réforme reste à venir, avec la création d’un vrai Conseil supérieur de la justice et la séparation des carrières du siège et du parquet après dix années d’exercice des fonctions de magistrat, comme l’avait souhaité la commission d’enquête.

Il a ensuite souhaité savoir, lorsque le coût des mesures aura été chiffré, comment et à quel moment de l’année le Gouvernement abondera le budget de la justice.

Il a enfin demandé s’il était certain que, pour éviter une nouvelle affaire d’Outreau, les projets de loi arriveraient au terme de la procédure législative d’ici à la suspension des travaux parlementaires, en février 2007, et s’ils entreraient effectivement en vigueur avant les prochaines élections législatives. Il n’y avait en effet pas urgence à légiférer partiellement et il aurait été préférable d’attendre les échéances de 2007 pour entreprendre une grande réforme de la justice.

M. Georges Fenech a salué la modération et l’honnêteté intellectuelle de M. André Vallini.

Les travaux de la commission d’enquête ont été suivis non par des milliers, mais par des millions de téléspectateurs et restent à l’esprit des membres de cette commission. Les Français attendent une grande réforme de la justice et la commission d’enquête a suscité un espoir légitime. En réalité, les citoyens veulent simplement que les magistrats les écoutent, les jugent dans un délai raisonnable, le mieux possible, et qu’ils rendent compte de leur activité.

Sans détention provisoire, il n’y aurait peut-être pas eu d’affaire d’Outreau. Les prisons de France comptent un tiers environ de détenus provisoires. Ne convient-il pas de fixer un objectif de réduction de ce taux, l’un des plus élevés d’Europe, en dressant une liste limitative des cas pouvant donner lieu à détention provisoire ? Le réexamen public au bout de six mois de détention provisoire est une avancée, mais le problème n’est pas réglé pour les six premiers mois, suffisants pour briser un individu.

La perte de confiance envers l’institution judiciaire est due au secret de l’instruction, qui est préjudiciable aux personnes incarcérées, lesquelles sont incapables de se défendre. À cet égard, le travail parlementaire devrait permettre d’enrichir le projet, notamment en ce qui concerne le rôle de la presse, qui fut l’un des grands acteurs du procès d’Outreau. Il importe de mieux faire respecter la présomption d’innocence.

Il existe trois contraintes : les moyens budgétaires, le calendrier électoral mais aussi le refus de toute réforme de la part des magistrats, difficilement acceptable par les élus du peuple, seuls chargés, en France, de « faire la loi ». Une réforme doit certes être comprise, acceptée, mise en œuvre, mais il est inacceptable que les juges, par l’intermédiaire de leurs syndicats, dictent la loi au peuple français, alors qu’ils doivent appliquer les textes que celui-ci a voulus.

Pourquoi le serment des magistrats ne pourrait-il pas être modifié, alors que cela ne coûterait rien ? Pourquoi ne pas y faire référence au souci d’humanité ? De même, il serait dans l’intérêt des juges de rendre compte de leur activité, et ils sont d’accord avec l’approfondissement de la notion de responsabilité. Néanmoins, sanctionner uniquement la violation grave et intentionnelle ne couvrira pas l’ensemble du champ de la responsabilité. Et comment sera-t-il possible de démontrer qu’un juge a violé des principes directeurs intentionnellement ? Par des témoignages ? Des preuves écrites ? Des écoutes téléphoniques ? Ce texte, en l’état, risque même de réduire la responsabilité des magistrats ; s’il avait été en vigueur, le juge Fabrice Burgaud aurait échappé à toute mise en cause.

La commission d’enquête sur l’affaire dite d’Outreau a rêvé d’une justice idéale et la grande réforme unanimement attendue est inévitable : séparer le parquet et le siège afin de clarifier les rôles de l’accusation et du jugement, quelle que soit la réticence qu’elle suscite chez de nombreux magistrats, accrochés à leurs « vieilles lunes ». L’indépendance des juges, à laquelle chacun est très attaché, ne doit pas être paravent de l’irresponsabilité.

Enfin, il faut créer un corps d’assistants de justice afin de soutenir d’aider dans leur travail les juges et les procureurs. Les magistrats doivent bénéficier d’une aide à la décision qui ne peut leur être apportée par les greffiers. Les assistants de justice actuels, qui complètent leurs études en conduisant quelques travaux dans les cours d’appel, ne répondent pas à cet objectif ; il s’agit plutôt de s’inspirer du système applicable dans les chambres régionales des comptes, où chaque magistrat dispose d’un assistant avec lequel il travaille en binôme.

Après s’être déclaré favorable aux enregistrements, que ce soit dans le cabinet du juge ou dans les services de police, mais s’être inquiété du coût de maintenance et de conservation des matériels, M. Jean-Christophe Lagarde a présenté les observations suivantes :

—  Lorsqu’un parlementaire saisit le médiateur de la République, il arrive que le temps de réponse soit très long et il faudra s’assurer que les délais, en l’espèce, soient les plus brefs possibles.

—  La bulle dans laquelle ont été confinés les magistrats doit être percée. M. Fabrice Burgaud est sans doute responsable de dysfonctionnements mais sans en être coupable : le drame de l’institution judiciaire est que cet homme, formé pour appliquer mécaniquement la loi, pense avoir bien fait son travail. Passer toute sa vie à juger les autres est un métier très difficile, qui requiert de grandes qualités humaines. Or, le volet humain est celui qui manque le plus dans ces textes pour éviter une nouvelle affaire d’Outreau. Il importera – en d’autres circonstances, car la fin de législature n’est pas un moment propice – de mettre progressivement en œuvre une réforme en refusant de se laisser paralyser par les magistrats du ministère de la justice. Avant d’entrer en fonctions et tout au long de leur carrière, les magistrats devraient notamment suivre des stages à l’extérieur du corps judiciaire, et pas seulement en cabinet d’avocat. En outre, il est indispensable que tous les juges alternent entre les fonctions du parquet et celles du siège, afin de percevoir les deux aspects du métier.

—  La création d’un corps d’assistants de justice est effectivement indispensable car les conditions de travail des magistrats les empêchent de s’intéresser aux individus, victimes ou présumés coupables, ce qui n’est pas sain.

—  Le groupe UDF veillera à ce que la victime, si le procureur de la République ne poursuit pas, puisse conserver la possibilité de se constituer partie civile dans tous les cas de figure.

Le président Philippe Houillon a indiqué que le projet de loi ne remettait pas ce droit en cause.

M. Léonce Deprez s’est ému du drame « sociétal » et judiciaire vécu par le Pas-de-Calais et ressenti à la base, dans toute la France, lors de l’affaire d’Outreau. Certains problèmes dépassent les clivages politiques partisans et imposent aux pouvoirs publics d’entreprendre des réformes consensuelles. Le président et le rapporteur de la commission d’enquête ont répondu à cette exigence populaire. Si le Gouvernement n’y donne pas suite, ce sera au détriment des formations politiques représentatives.

Des contraintes existent, mais la politique consiste précisément à les surmonter. Premièrement, les Français sont prêts à consentir un effort budgétaire en faveur de la justice et ne comprendraient pas que l’État renonce à la réformer pour ce motif. Deuxièmement, une mobilisation des énergies, des compétences et des capacités est nécessaire pour former les jeunes générations à la profession de magistrat, insuffisamment pourvue. L’autorité de toute l’Assemblée nationale est requise pour dépasser les réflexes corporatistes qui ont fait échouer le dispositif des juges de proximité. Le Gouvernement devrait s’appuyer sur les conseils du président et du rapporteur de la commission d’enquête pour répondre aux attentes des Français, en plusieurs étapes s’il le faut.

M. Jacques-Alain Bénisti a souligné que le JLD n’est pas intégré dans le processus institutionnel puisqu’il n’entretient aucun contact avec le juge d’instruction ni avec la chambre de l’instruction, ces deux entités étant pour leur part en liaison constante. Si ce mode de fonctionnement ne change pas, créer un pôle de l’instruction et instituer une saisine systématique, tous les six mois, de la chambre de l’instruction serait totalement contre-productif car cela isolerait davantage encore le JLD, qui continuerait de travailler dans l’urgence. Il serait préférable de supprimer totalement la fonction de JLD au profit d’un pôle de l’instruction collégial, à moins d’envisager, en attendant cette dernière réforme, la création de pôles de JLD qui pourraient décider de statuer collégialement s’ils l’estiment nécessaire.

Une autre difficulté doit être soulignée. Les JLD motivent leurs décisions en résumant les faits et la situation de la personne mise en examen. Un tel résumé pourrait être considéré comme une brèche dans le secret de l’instruction, car il dévoile le contenu du dossier et les investigations à entreprendre. Cette pratique va à l’encontre d’une lecture stricte des textes. Cependant, la commission d’enquête sur l’affaire dite d’Outreau a montré que ne pas aborder le fond des dossiers posait problème ; il est donc absolument indispensable que chaque décision soit motivée.

En réponse aux intervenants, le garde des Sceaux a apporté les précisions suivantes :

—  les projets de loi soumis à l’Assemblée nationale n’ont pas la portée que certains attendaient mais une grande réforme ne se conduit pas dans l’émotion, d’autant que les Français ne disposent pas des compétences juridiques pour juger de la pertinence de la procédure pénale. Il faut se souvenir que l’élaboration du nouveau code pénal a pris dix ans ! La réflexion doit mûrir, reposer et peut-être aboutir durant la prochaine législature. Par exemple, à l’opposé de la thèse de la séparation entre le siège et le parquet, certains plaident au contraire en faveur de la double expérience. Il serait en tout cas regrettable que les procureurs se transforment en fonctionnaires, alors que l’unicité du corps judiciaire est la grande richesse du système français, lequel n’est pas mauvais, loin de là, même s’il est imparfait. Le moment venu, il conviendra d’élaborer une grande réforme, mais elle ne reprendra sûrement pas toutes les conclusions adoptées à l’unanimité par la commission d’enquête.

M. André Vallini ayant suggéré qu’un texte soit adopté pour planifier l’instauration de la collégialité de l’instruction d’ici cinq à dix ans, le garde des Sceaux a jugé cette idée intéressante, et le président Philippe Houillon a regretté qu’un tel délai d’application n’ait pas été prévu en 1985.

—  Les projets de lois soumis au Parlement apportent en revanche des réponses techniques aux principaux problèmes qui préoccupent les Français. La création d’un pôle de l’instruction est un pas vers la collégialité, qui ne pourrait être instaurée qu’avec 240 magistrats supplémentaires. La difficulté n’est pas d’ordre budgétaire, mais procède de l’impossibilité de recruter et de former immédiatement de nouveaux magistrats. Le Gouvernement n’est donc pas resté au « milieu du gué » et serait prêt à accepter un amendement instaurant la collégialité de l’instruction si le Parlement trouvait une solution opérationnelle.

—  Grâce aux enregistrements, qui reposeront sur des moyens techniques très performants, les procédures seront rendues plus sûres.

—  Les Français éprouvaient aussi de fortes attentes au sujet de la réforme de la détention provisoire. Si le réexamen semestriel, malgré les voies de recours possibles durant ces six mois, parait trop tardif, le Parlement pourra retenir un délai différent. Mais il convient de souligner que la disposition présentée vient en complément d’autres modifications et que le nombre de personnes détenues préventivement a déjà diminué depuis l’affaire dite d’Outreau.

—  La loi s’appliquera intégralement dans les trois mois suivant sa promulgation, hormis les dispositions concernant les pôles de l’instruction et les enregistrements audiovisuels, qui entreront respectivement en vigueur dans des délais de neuf et quinze mois.

—  L’idée d’instaurer des assistants de justice est excellente et souhaitée par les magistrats. Il conviendra toutefois de veiller au déroulement de carrière de ces assistants, et aux conditions de leur éventuelle promotion dans la magistrature.

—  Les syndicats de magistrats refusent que le droit de la responsabilité évolue. Toutefois, sur bien d’autres points, ils sont favorables au changement. L’empilement de textes législatifs est certes excessif mais, d’un autre côté, ne rien faire reviendrait à négliger les interrogations des Français à l’égard de cette responsabilité.

—  Le refus d’une confrontation, par exemple, pourrait être considéré comme une violation intentionnelle des règles de procédure mais le débat reste ouvert.

—  Les audiences de placement en détention provisoire seront publiques.

—  Une évaluation précise des coûts de maintenance du matériel d’enregistrement devra être assurée.

—  Une grande école d’application pourrait être créée pour renforcer l’expérience et la formation des chefs de cour et de juridiction, sur le modèle de l’École de guerre. Par ailleurs, il est regrettable que certains magistrats répugnent à changer de juridiction ou même de poste. La commission des Lois pourrait utilement réfléchir à cette question.

—  Les contraintes de temps pesant sur les JLD seront assouplies, puisqu’ils disposeront quatre jours pour décider du placement sous contrôle judiciaire.

—  La fonction de JLD est maintenue, non par conservatisme mais parce qu’elle est nécessaire, en l’absence de collégialité de l’instruction, le projet de loi n’en proposant que la préfiguration.

—  Les attentes des Français doivent être satisfaites, mais la réflexion devra se prolonger sur plusieurs années – sans doute sur cinq ans – avant de mettre en œuvre une grande réforme.

Le président Philippe Houillon a remercié le garde des Sceaux pour ses réponses et lui a fait part de sa satisfaction, ainsi que de sa détermination à poursuivre le travail entrepris.

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