Accueil > Archives de la XIIe législature > Comptes rendus de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale (2006-2007)

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COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION
GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE

Mercredi 24 janvier 2007

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 26

Présidence de M. Guy Geoffroy, vice-président,
puis de M. Philippe Houillon, président

 

Pages

Examen du projet de loi constitutionnelle relatif à l’interdiction de la peine de mort (n° 3596) (M. Philippe Houillon, rapporteur)


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Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et de leurs groupements (n° 2624) (M. Christian Decocq, rapporteur)



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Examen de la proposition de résolution de M. Christian Philip sur les droits fondamentaux dans l’espace européen (E2589, E3072, E3134) (n° 3331) (M. Gérard Menuel, rapporteur)



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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Philippe Houillon, le projet de loi constitutionnelle relatif à l’interdiction de la peine de mort (n° 3596).

M. Philippe Houillon a, tout d’abord, souligné qu’il est proposé, dans le présent projet de loi constitutionnelle, d’inscrire, dans un nouvel article 66-1 de la Constitution, que « nul ne peut être condamné à la peine de mort », un peu plus de vingt-cinq ans après l’abolition de la peine de mort par la loi du 9 octobre 1981.

Il a rappelé que, depuis cette date, une majorité d’États dans le monde avait banni la peine de mort de son système pénal et que, parmi les États membres des Nations unies, cent vingt-cinq ont aboli la peine de mort en droit ou en fait. Parmi ceux-ci, quatre-vingt-six États l’ont fait pour tous les crimes, dix États pour tous les crimes à l’exception des crimes exceptionnels, en particulier de ceux commis en temps de guerre, tandis que vingt-neuf États n’ont pratiqué aucune exécution depuis au moins dix ans. À l’inverse, soixante-sept États maintiennent et appliquent aujourd’hui ou ont pratiqué récemment la peine de mort.

L’ensemble du continent européen, à la seule exception de la Biélorussie, est abolitionniste. Il faut saluer à ce titre l’action constante du Conseil de l’Europe, initiateur du protocole n° 6 de 1983, ratifié par quarante-cinq des quarante-six membres du Conseil – la France l’a fait en 1986 – et qui abolit la peine de mort pour tous les crimes en temps de paix.

Par ce mouvement, la peine de mort est sortie du strict domaine des politiques criminelles pour entrer sur la scène des droits de l’homme. À ce titre, il faut rappeler que le statut de la Cour pénale internationale, à l’instar de celui du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et de celui du Tribunal pénal international pour le Rwanda, tous chargés de réprimer les crimes les plus graves qui soient, a exclu le recours à la peine capitale au profit de la réclusion à perpétuité.

S’il faut déplorer la situation qui demeure dans de nombreux États des États-Unis et s’il est difficile de ne pas s’indigner des très nombreuses exécutions qui ont lieu en Chine, il faut reconnaître les progrès accomplis.

Dans ces conditions, la question que chacun peut légitimement se poser est de savoir pourquoi il apparaît nécessaire d’inscrire aujourd’hui l’interdiction de la peine de mort dans la Constitution, alors qu’en droit elle est d’ores et déjà acquise.

La première réponse consiste à se demander pour quelles raisons cette interdiction ne serait pas inscrite dans la Constitution. En effet, la nature même de celle-ci, constitutive du corps politique et du corps social, appelle cette inscription. Or, aujourd’hui, la société, sans conteste, partage la valeur de l’abolition de la peine de mort, versant pénal du droit à la vie. Les études d’opinion, qu’il convient toujours d’évoquer avec prudence, montrent que les Français sont désormais majoritairement opposés à son rétablissement. Passée de la sphère limitée de la politique pénale à la sphère universelle des droits de l’homme, l’interdiction de la peine de mort mérite à ce seul titre de figurer dans notre norme suprême.

De très nombreux pays européens ont d’ores et déjà inscrit l’interdiction de la peine de mort dans leur Constitution, qu’il s’agisse de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Finlande, de la Suède, du Portugal, des Pays-Bas, mais aussi de la Croatie, de la Slovénie, de la Roumanie. Quant à l’Italie, la Chambre des Députés vient d’adopter un projet supprimant la réserve constitutionnelle qui était faite pour la peine de mort en temps de guerre.

La seconde réponse qui peut être faite à la question susmentionnée réside dans le devoir d’inscrire l’interdiction de la peine de mort dans la Constitution.

Au-delà des raisons morales et politiques évidentes qui le commandent, il existe des raisons juridiques. Protégés par la norme supérieure de la hiérarchie des normes et sans considération des traités internationaux qui lient pourtant déjà aujourd’hui la France en temps de paix, il ne serait plus possible, par l’effet de cette révision constitutionnelle, de revenir sur l’interdiction de la peine capitale, sauf à se lancer dans une nouvelle révision. Toutes les propositions de loi allant dans ce sens, qui répondent souvent, de manière conjoncturelle, à des émotions réelles, compréhensibles et légitimes, deviendraient, sans ambiguïté, irrecevables.

L’inscription de l’interdiction dans notre Constitution permettra aussi d’assurer l’articulation entre la volonté nationale et l’ordre juridique international, assurant un continuum cohérent des règles de droit auxquelles se soumet notre pays en la matière.

En effet, si la France souhaite participer pleinement au concert des Nations qui ont renoncé à l’usage de la peine capitale – et personne ne comprendrait que la France n’y participe pas –, elle doit ratifier à la fois l’instrument le plus universel de l’abolition, à savoir le deuxième protocole, adopté à New York en 1989, se rapportant au Pacte des Nations unies relatif aux droits civils et politiques, et l’instrument européen le plus abouti d’abolition, à savoir le protocole n° 13 à la Convention européenne des droits de l’homme, ouvert à la signature en 2002. Ces deux protocoles n’admettent quasiment aucune réserve et, par là, confèrent à l’abolition un caractère irréversible.

Le principe de la souveraineté, proclamé dans notre Constitution, exige précisément de permettre à celui qui est souverain de faire et de défaire. Sur ce fondement, le peuple souverain peut revenir demain sur ce qu’il a proclamé irréversible hier. Pour reprendre, la formule du doyen Vedel, la souveraineté doit rester « à l’intérieur du territoire un pouvoir qui n’a point d’égaux, mais seulement des subordonnés ; à l’extérieur un pouvoir qui ne peut être lié que de son propre consentement ».

Or, saisi sur le fondement de l’article 54 de la Constitution par le Président de la République de la question de la compatibilité avec la Constitution des deux protocoles, le deuxième protocole onusien et le treizième protocole européen, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 octobre 2005, a relevé, d’une part, que les deux protocoles ne contenaient pas de clauses directement contraires à la Constitution et, d’autre part, qu’ils ne mettaient pas en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis.

En revanche, il a conclu que le deuxième protocole onusien, à l’inverse du protocole n° 13, portait atteinte aux « conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale ». En effet, s’il était ratifié, ce protocole ne pourrait pas être dénoncé, car il ne contient aucune clause de retrait, pas plus que le Pacte de 1966 auquel il est adossé. Cette impossibilité lui confère un caractère d’irréversibilité qui entre en contradiction avec le principe constitutionnel de souveraineté. Quant à la question de savoir si le fait d’abolir ou de rétablir la peine de mort lorsque la Nation est menacée dans son existence même est inhérent à l’exercice de la souveraineté, il n’y a, sur la réponse à donner, aucun doute possible.

En conséquence, pour accepter une telle limite à la souveraineté, seule la Constitution peut le prévoir. Affirmant le caractère irréversible de la peine de mort, le présent projet de loi constitutionnelle endosse l’irréversibilité du deuxième protocole onusien, qui pourra, en conséquence, être ratifié sans difficulté.

Le deuxième protocole est moins exigeant que le protocole n °13. Il réserve, en effet, la possibilité de recourir à la peine de mort en temps de guerre si une législation existe en ce sens dans le pays au moment de sa ratification, ce qui n’est d’ailleurs pas le cas de la France. Mais, sa portée universelle impose de le ratifier.

Inscrire l’interdiction de la peine capitale dans la Constitution, permet à la fois de dire que l’abolition de la peine de mort est irréversible et que notre démocratie est plus forte que le crime, notre République plus forte que les terroristes, notre justice plus forte que la pire des injustices.

M. André Vallini a indiqué que le Groupe Socialiste apporterait un soutien résolu, total et enthousiaste à une initiative du Président de la République qui, au terme de son second mandat, n’est pas sans rappeler la manière dont François Mitterrand avait inauguré sa présidence, en 1981, par un geste symboliquement fort.

Le rapporteur s’est réjoui des propos de M. André Vallini et du soutien sans condition apporté par le Groupe Socialiste.

Puis la Commission est passée à l’examen de l’article unique du projet de loi constitutionnelle.

Article unique (art. 66-1 [nouveau] de la Constitution) : Interdiction de la peine de mort :

La Commission a été saisie de deux amendements de M. Richard Dell’Agnola, visant à prévoir une réserve à l’abolition de la peine de mort lorsque l’existence même de la Nation est menacée, pour le premier, et pour les auteurs de crimes de caractère militaire d’une gravité extrême et commis en temps de guerre, pour le second.

Leur auteur a fait valoir que le projet de loi constitutionnelle ne se contente pas de transposer l’abolition législative de la peine de mort, votée en 1981, en ce qu’il comporte des conséquences juridiques plus contraignantes pour la France.

Il a rappelé que, jusqu’à présent, la France n’a pas ratifié le protocole n° 13 à la Convention européenne des droits de l’homme, qui prévoit une abolition absolue, et que le deuxième protocole des Nations unies, dit de « New York », qui comporte quant à lui une réserve sur la peine de mort en temps de guerre, n’a pu en tout état de cause être ratifié parce que le Conseil constitutionnel l’a jugé contraire au principe constitutionnel de souveraineté. Il a souligné que les amendements qu’il présente ont pour objectif d’inscrire dans la Constitution les dérogations prévues par le protocole de New York, de manière à éviter, par exemple, qu’on puisse se trouver conduit à rencontrer dans la rue un criminel de guerre, tel Hitler, au terme de sa peine de prison, quelle que soit l’horreur des crimes dont il se serait rendu coupable à l’encontre de la société civile.

Le rapporteur s’est déclaré défavorable à l’adoption de ces deux amendements, pour des raisons juridiques et politiques.

Il a tout d’abord rappelé que si le deuxième protocole de New York prévoit effectivement une exception à l’abolition de la peine de mort pour les crimes particulièrement odieux en cas de guerre, cette exception ne peut entrer en vigueur qu’à la condition qu’une loi spécifique l’ait prévu antérieurement à la ratification du protocole.

Il a, en outre, ajouté qu’en adoptant les amendements proposés, le Parlement placerait la France dans l’impossibilité de ratifier le protocole n° 13 à la Convention européenne des droits de l’homme, qui abolit la peine de mort en toutes circonstances et a, ainsi, une portée plus générale. Or, alors que le Conseil constitutionnel a mis en évidence les atteintes que porte le protocole de New York à la souveraineté nationale, il n’a trouvé rien à « redire » à la compatibilité du protocole n° 13 avec la Constitution, car celui-ci, par renvoi de la Convention européenne, contient une clause de retrait.

Du point de vue pratique enfin, revenir à l’application de la peine de mort, après la ratification du protocole n° 13, nécessiterait, sans doute, de dénoncer la Convention elle-même.

Le rapporteur a ensuite souligné que le projet de loi constitutionnelle manifestait la volonté du pouvoir exécutif d’abolir la peine de mort d’une manière universelle. Il a rappelé que trente-sept États membres du Conseil de l’Europe ont ratifié le protocole n° 13, et que seulement sept, parmi lesquels figure la France, ne l’ont pas fait à ce jour. De surcroît, ceux qui n’ont pas procédé à cette ratification ont, pour certains, entamé un processus constitutionnel destiné à la permettre, à l’instar de l’Italie qui s’apprête à supprimer une réserve inscrite depuis 1947 dans sa loi fondamentale.

Par ailleurs, à l’exception de la France et de la Pologne, tous les pays de l’Union européenne ont ratifié le protocole de New York. En outre, seuls l’Azerbaïdjan et la Grèce ont maintenu des réserves. Par voie de conséquence, la France, pays des droits de l’homme, se trouve très en retard dans le processus de ratification de ces textes internationaux. Toute la question est de savoir si notre pays souhaite résolument abolir la peine de mort ou se distinguer par une réserve.

Le rapporteur s’est prononcé pour la première solution, considérant que le débat soulevé par les amendements en discussion n’avait qu’une portée théorique. En effet, les crimes les plus graves en période de guerre sont ceux qualifiés de crimes contre l’humanité, pour lesquels la Cour pénale internationale n’applique pas la peine de mort. Il n’est pas sûr, au demeurant, que la réserve proposée soit dissuasive pour des dictateurs, tel Hitler, dont l’histoire a démontré la détermination jusque dans leur issue fatale.

M. Xavier de Roux a observé que la convention de Genève, qui définit les crimes les plus graves, parmi lesquels le génocide, ne prévoit pas la peine de mort pour les sanctionner. Il a indiqué que les conventions internationales ayant institué le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie puis la Cour pénale internationale excluaient également la peine de mort contre les crimes les plus odieux, ce qui montre le cheminement accompli par la communauté internationale depuis les procès de Nuremberg et Tokyo, sans que cela ne l’empêche de juger efficacement des criminels qui ont commis des actes innommables.

M. Patrick Delnatte a estimé que les amendements soumis à l’examen de la Commission avaient pour conséquence de revenir insidieusement sur le principe de l’abolition de la peine de mort, tranché à la fois par le législateur et par les Français. Il s’est montré opposé au rétablissement indirect de cette peine, par le biais d’exceptions, en estimant que la barbarie ne saurait répondre à la barbarie et que la République disposait d’ores et déjà de réponses juridiques suffisantes contre les crimes les plus odieux.

M. Jérôme Lambert s’est déclaré ému de participer à cette ultime phase du débat sur l’abolition de la peine de mort en France, peine qu’il a qualifiée de sacrificielle et barbare. Il a estimé que la France doit être humaniste et faire respecter ses lois autrement que par la terreur qu’est supposée inspirer la peine de mort. L’expérience montre que cette dernière n’a jamais été dissuasive et qu’elle doit être abolie en toutes circonstances, ce qui ne saurait empêcher les États de se prémunir par un arsenal répressif à l’encontre des criminels en tous genres.

M. Jérôme Lambert s’est ensuite interrogé sur la pertinence d’une exception à l’abolition de la peine de mort en temps de guerre, estimant que les crimes commis en temps de paix, lorsqu’ils sont le fait du terrorisme de masse, peuvent être tout aussi odieux qu’en temps de guerre. Il en a conclu qu’il ne convenait pas de faire de différence et il a souligné la profonde évolution de la société sur le sujet depuis 1981.

M. Richard Dell’Agnola a précisé que son premier amendement visait justement à prévoir une exception pour les auteurs d’attentats terroristes mettant en cause l’existence de la Nation. Il a ensuite souligné que le deuxième protocole de New York distingue les crimes de guerre des crimes contre l’humanité, les premiers consistant en l’emploi d’armes interdites à l’encontre des civils.

Souhaitant dissiper tout malentendu et éviter les caricatures, il a indiqué qu’il ne pouvait être excipé de la réserve admise par le deuxième protocole de New York qu’avec l’accord de la communauté internationale. Sans nier que la peine de mort ne dissuade pas un apprenti dictateur de devenir tyran, il a observé que la peine d’emprisonnement à perpétuité n’existe actuellement pas en Europe, sa traduction pratique étant un enfermement pendant trente ans.

Il a ensuite relevé que le Conseil constitutionnel n’avait pas soulevé la nécessité d’une révision constitutionnelle pour ratifier le protocole n° 13 à la Convention européenne des droits de l’homme, de sorte que le débat pouvait rester ouvert sur le projet de loi constitutionnelle.

Il a enfin estimé qu’en épargnant automatiquement la vie de ceux qui sont coupables de massacres, on n’accordait pas nécessairement beaucoup de valeur à la dignité humaine.

M. Christian Decocq a estimé que le débat sur ce projet de loi constitutionnelle constituait en soi un moment historique. Citant Condorcet, qui disait « Mes électeurs m’ont choisi pour mes idées, pas pour les leurs », il a souhaité exprimer son sentiment profond sur la question en adhérant aux propos du rapporteur. Il lui est apparu important de ne pas affaiblir la position de la France et s’est prononcé pour l’adoption tel quel de l’article unique du projet de loi constitutionnelle. Se rappelant que, dans les facultés de droit, avant 1981, la rédaction de l’article de l’ancien code pénal disposant que « Tout condamné à mort aura la tête tranchée » était citée comme un exemple de concision juridique, il a considéré qu’une fois la loi constitutionnelle adoptée, les facultés pourront se référer au nouvel article 66-1, tout aussi concis et beaucoup plus beau dans sa substance.

M. Gérard Menuel a précisé qu’il avait vécu très directement le débat sur la peine de mort puisque, élu de Troyes, il connaissait bien les parents du petit Philippe Bertrand. Il a indiqué que la position du rapporteur confirmait sa conviction.

Le rapporteur a rappelé les propos tenus par M. Robert Badinter, alors Garde des Sceaux, le 17 septembre 1981 à l’Assemblée nationale : « Il se trouve que la France aura été en dépit de tant d’efforts courageux, l’un des derniers pays, presque le dernier – et je baisse la voix pour le dire – en Europe occidentale, dont elle a été si souvent le foyer et le pôle, à abolir la peine de mort ». Il a déduit de ces paroles la nécessité de ne pas nuire une fois de plus à l’image de la France, par l’adoption de réserves qui ne présentent aucun intérêt pratique et constitueraient un retour en arrière.

Il a fait valoir que l’abolition correspondait à un mouvement de fond affectant de nombreux pays européens et le monde entier, ce que notre pays ne peut ignorer. Il a ajouté qu’une phrase inscrite dans notre Constitution n’arrêterait certainement pas les terroristes, la véritable solution à ce fléau résidant dans le développement du renseignement.

Il a enfin fait observer que des criminels reconnus coupables de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale avaient peu de chance de bénéficier d’une libération anticipée, dès lors que les statuts de la Cour prévoient explicitement une peine à perpétuité en cas de crimes d’une extrême gravité et lorsque la situation du condamné le justifie.

M. Richard Dell’Agnola a affirmé que la peine à perpétuité n’existe pas. Il a ensuite regretté que l’on refuse de condamner un criminel de guerre à mort, alors que l’on admet intellectuellement la guerre et les morts de civils qu’elle cause.

M. Xavier de Roux a précisé que la Cour pénale internationale prévoit une peine d’emprisonnement à perpétuité sans libération anticipée, de sorte que l’affirmation de l’inexistence de la perpétuité est erronée.

La Commission a alors rejeté les deux amendements.

Elle a ensuite adopté l’article unique du projet de loi constitutionnelle sans modification.

*

* *

Puis la Commission a examiné, sur le rapport de M. Christian Decocq, la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et de leurs groupements (n° 2624).

M. Christian Decocq, rapporteur, a tout d’abord indiqué que la proposition de loi adoptée par le Sénat visait à parachever un long processus, en sécurisant juridiquement les actions de coopération décentralisée mises en œuvre par les collectivités territoriales. En effet, celles-ci ont pris en compte l’évolution du monde, et notamment l’urbanisation croissante, en nouant des liens de solidarités avec des collectivités étrangères.

Le rapporteur a ensuite rappelé les étapes historiques du développement de la coopération décentralisée, qui a d’abord pris la forme des jumelages, formalisées dans un décret de 1956, puis de la coopération transfrontalière dont les premières réalisations ont conduit à la signature de la convention-cadre de Madrid en 1980. Alors que les lois de décentralisation ne font que très peu de place à la coopération décentralisée, celle-ci gagne une véritable consécration législative avec la loi du 6 février 1992 d’orientation relative à l’administration territoriale de la République.

La coopération décentralisée prend trois formes principales qui sont l’aide au développement, l’action humanitaire d’urgence et la coopération transfrontalière. Dans le domaine de l’aide au développement, la coopération prend souvent une forme relativement concrète, avec un savoir-faire particulier des collectivités territoriales françaises dans des domaines comme ceux des déchets ou de l’eau et de l’assainissement, qui a fait l’objet d’une loi spécifique en 2005.

Dans le domaine de la coopération transfrontalière, la mise en place de structures juridiques est généralement nécessaire. Les outils disponibles sont très nombreux : société d’économie mixte locale, groupement d’intérêt public, participation des structures de droit étranger, groupement local de coopération transfrontalière, district européen, et groupement européen de coopération territoriale, créé par un règlement communautaire du 5 juillet 2006.

Le rapporteur a ensuite estimé que l’État encourageait désormais l’action extérieure des collectivités territoriales, après s’être longtemps montré réticent à son égard, de crainte de voir s’installer une forme de diplomatie parallèle.

L’objet central de la proposition de loi est de lever l’interrogation principale liée à l’action extérieure des collectivités territoriales, qui tient dans leur légitimité à intervenir dans un domaine qui ne relève pas directement de leurs compétences.

Certes, la clause générale de compétence permet à l’organe délibérant de chaque collectivité de régler par ses délibérations les affaires de la collectivité. Afin de préciser cette notion « d’affaire locale », le juge administratif recherche s’il existe un « intérêt public » pour la collectivité territoriale, ce qui passe généralement par la recherche d’effets de l’intervention publique en question pour les habitants de la collectivité. Or, des jugements récents de certains tribunaux administratifs ont fait naître une grande inquiétude pour les collectivités territoriales qui mènent des actions de coopération décentralisée, en retenant une interprétation très rigoureuse de la notion d’intérêt local de l’intervention, très difficile à démontrer pour une action de solidarité internationale.

Le rapporteur a ensuite précisé que la proposition de loi visait à résoudre cette difficulté en supprimant dans l’article du code général des collectivités territoriales relatif à l’action extérieure la référence à la « limite de leurs compétences ». Ainsi, la coopération décentralisée deviendra une nouvelle compétence d’attribution des collectivités territoriales, et non plus simplement un prolongement de leurs compétences traditionnelles.

Le rapporteur a également indiqué que l’article unique de la proposition de loi remplaçait la référence actuelle aux « collectivités territoriales étrangères » par une référence plus neutre aux « autorités locales étrangères », suite à une suggestion formulée par une étude du Conseil d’État menée sur le thème de l’action extérieure des collectivités territoriales en 2005.

Le rapporteur a alors invité la Commission à adopter la proposition de loi adoptée par le Sénat sans modification.

M. Guy Geoffroy a jugé essentielle cette proposition de loi qui permettra d’officialiser des actions de développement représentant des volumes financiers conséquents. Il a rappelé que les communes qui souhaitent aujourd’hui s’engager dans la coopération décentralisée doivent faire face à de nombreux obstacles et peuvent voir la pérennité de leurs actions de coopération remise en cause. De ce point de vue, il a estimé que le cadre juridique proposé protégera l’action des élus dans ce domaine et encouragera par conséquent les actions en faveur du développement, qui sont notamment très utiles pour permettre la diffusion des bonnes pratiques de gestion dans les pays moins favorisés. Il s’est réjoui du fait que les actions menées en faveur du développement permettent également de changer le regard que portent les jeunes issus de l’immigration sur l’action des collectivités locales françaises. Il s’est déclaré très favorable à un texte qui apporte une réponse simple et concrète au problème de la coopération décentralisée.

M. Jérôme Lambert a exprimé son accord avec le texte et a souhaité savoir comment les dispositions spécifiques aux départements et collectivités d’outre-mer s’articulent avec la présente proposition de loi.

M. Patrick Delnatte a souligné que l’article unique de la proposition de loi vise à la fois la coopération transfrontalière et la coopération décentralisée. Concernant la coopération transfrontalière, il a souhaité savoir si la disposition permettra de conclure des accords de coopération transfrontalière sans être au préalable contraint de conclure une convention interétatique.

En réponse à M. Jérôme Lambert, le rapporteur a précisé que le texte proposé laisse subsister le régime spécial des départements et collectivités d’outre-mer, qui permet aux présidents des exécutifs des départements d’outre-mer, de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie de signer des accords avec des États étrangers, en tant qu’agents de l’État et au nom de la République.

En réponse à M. Patrick Delnatte, il a souligné que le règlement européen de juillet 2006 qui crée un nouvel instrument juridique, le groupement européen de coopération territoriale (GECT), est directement applicable et permet la constitution de tels groupements, au sein de l’Union européenne, sans qu’il soit nécessaire de conclure au préalable une convention interétatique.

Enfin, il a appelé l’attention des commissaires sur le fait que, l’action extérieure des collectivités territoriales devenant une compétence d’attribution, les communes pourront par exemple organiser un partenariat dans le domaine du patrimoine, alors que le patrimoine ne relève pas de leur champ de compétence.

Puis la Commission est passée à l’examen de l’article unique de la proposition de loi.

La Commission a adopté sans modification l’article unique de la proposition de loi.

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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Gérard Menuel, la proposition de résolution de M. Christian Philip sur les droits fondamentaux dans l’espace européen (E2589, E3072, E3134) (n° 3331).

M. Gérard Menuel, rapporteur, a rappelé que la Délégation pour l’Union européenne avait adopté le 19 septembre 2006 une proposition de résolution destinée à orienter les positions françaises dans des négociations – parfois houleuses – portant sur trois propositions de textes communautaires : la proposition de décision-cadre relative aux droits procéduraux accordés dans les procédures pénales, le Livre vert relatif à la présomption d’innocence et le Livre vert relatif aux conflits de compétences et au principe « ne bis in idem ». La Commission européenne a déposé cette série d’initiatives renforçant la protection des droits fondamentaux dans l’espace pénal européen dans le but à la fois répondre aux critiques liées à l’orientation jugée trop « sécuritaire » des avancées l’espace pénal européen après le 11 septembre 2001 et de renforcer la confiance mutuelle entre États membres, qui constitue la pierre angulaire de la construction d’un espace judiciaire européen et dont la difficile mise en œuvre de la réforme du mandat d’arrêt européen a prouvé les limites.

Abordant le contenu de la proposition de résolution, le rapporteur a indiqué que celle-ci fixe en premier lieu des principes directeurs encadrant l’action de l’Union européenne en matière de procédure pénale. Il s’agit d’une part du respect du principe de subsidiarité, qui implique que l’Union européenne n’intervienne que dans les matières pénales présentant un caractère transfrontalier et qu’elle se contente de définir des principes fondamentaux, dont la mise en œuvre revient aux États membres, conformément à leurs traditions juridiques, et, d’autre part, de l’affirmation de l’exigence que l’action de l’Union européenne apporte une réelle plus-value par rapport aux dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. À défaut, établir un texte serait superflu et risquerait même au contraire de déboucher sur une protection moindre.

S’agissant de la proposition de décision-cadre relative aux droits procéduraux accordés dans les procédures pénales, qui vise à définir un socle minimal de droits procéduraux accordés aux personnes suspectées d’avoir commis des infractions pénales, le rapporteur a indiqué que, dans une version initiale du texte – celle soumise à l’examen de la Délégation pour l’Union européenne –, la Commission européenne proposait d’harmoniser les modalités d’exercice de quatre droits : le droit à l’assistance d’un avocat, le droit à un interprète et à la traduction des documents utiles de la procédure, le droit d’informer ses proches ou son employeur que l’on a été placé en détention, et l’information des suspects sur leurs droits avec la fourniture d’une « déclaration des droits » dans leur langue.

Devant les difficultés importantes soulevées par ce texte et l’enlisement des négociations, la délégation allemande – qui assure aujourd’hui la présidence de l’Union – a pris l’initiative en décembre dernier de déposer un texte dit de compromis, qui, s’il règle des problèmes soulevés par les propositions de la Commission, n’en pose pas moins de nouveaux.

La première difficulté rencontrée est relative à la base juridique de la proposition. La Commission s’est appuyée sur l’article 31 du Traité sur l’Union européenne, selon lequel l’action en commun de l’Union européenne dans le domaine pénal « vise, entre autres, à assurer la compatibilité des règles applicables dans les États membres » dans la mesure nécessaire à l’amélioration de leur coopération. Cette base juridique est contestable, le traité actuel ne comportant aucune référence à l’harmonisation de la procédure pénale des États membres, et régulièrement contestée par six délégations opposées à l’existence d’un texte contraignant en cette matière : le Royaume-Uni, l’Irlande, la Slovaquie, la République Tchèque, Chypre et Malte. Le rapporteur a suggéré de recadrer l’action de l’Union en limitant le champ d’application de la future décision-cadre aux instruments de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires.

La deuxième difficulté a trait à l’articulation de la future décision-cadre avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dont l’article 6 garantit le droit à un procès équitable et a donné lieu à une abondante jurisprudence. La future décision-cadre doit apporter une valeur ajoutée par rapport à la Convention, en la précisant ou en la complétant, tout en veillant à ce que la coexistence des deux instruments, qui protègent des droits quasi identiques, ne conduise pas au développement de deux jurisprudences parallèles et potentiellement contradictoires des cours de Luxembourg et de Strasbourg.

La troisième difficulté concerne le maintien des dérogations procédurales, prévues par la législation de nombreux États membres, pour certaines infractions graves, telles que le terrorisme ou le trafic de stupéfiants. En France, l’entretien avec un avocat, autorisé en principe dès la première heure de la garde à vue, est reporté à l’issue d’un délai de 72 heures pour ces infractions. Ces dérogations, que le Conseil constitutionnel a jugées conformes aux droits de la défense, sont nécessaires à l’efficacité des enquêtes et doivent être maintenues. Il convient d’introduire, ainsi que l’y invite la proposition de résolution, une disposition spécifique dans la future décision-cadre clarifiant ce point, car cette question n’est jusqu’ici réglée que par un simple considérant dépourvu de valeur contraignante.

Le deuxième texte est le Livre vert sur la présomption d’innocence, par lequel la Commission européenne souhaite ouvrir une large consultation auprès des États membres sur leur définition de ce principe et des droits afférents, dans le but ultérieur, si la consultation fait apparaître un besoin en ce sens, d’inscrire ces droits dans une décision-cadre. Elle estime en effet que, si la présomption d’innocence est un principe fondamental, reconnu par tous les États membres et protégé notamment par la CEDH, le principe n’est cependant pas compris de la même manière par tous les États membres, et que ces divergences d’interprétation d’un État à l’autre pourraient susciter des difficultés.

Dès lors, une intervention de l’Union européenne apporterait-elle une valeur ajoutée dans ce domaine ? Rappelant que M. Christian Philip, rapporteur au nom de la Délégation pour l’Union Européenne avait répondu par la négative, le rapporteur a invité la Commission à faire de même. La présomption d’innocence est déjà un droit fondamental de valeur constitutionnelle garanti dans l’ensemble des États européen et dont les contours ont été précisément définis par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ce qui rend inutile une intervention de l’Union dans ce domaine.

Le rapporteur a ensuite abordé le dernier texte sur lequel porte la proposition de résolution : le Livre vert sur les conflits de compétences et le principe « ne bis in idem » dans les procédures pénales. Il est relativement fréquent que plusieurs États membres soient pénalement compétents pour exercer des poursuites dans une même affaire, en raison de sa dimension transfrontalière. L’engagement de procédures parallèles porte évidemment atteinte aux droits des personnes en rendant difficile l’application du principe « ne bis in idem », selon lequel nul ne peut être poursuivi, jugé ou puni deux fois pour la même infraction. Si le respect de ce principe fondamental est bien assuré à l’intérieur d’un même État membre, son application entre États membres suscite en revanche des difficultés car il est assorti de certains exceptions, prévues par la Convention d’application de l’accord de Schengen. Celles-ci autorisent un État à ne pas tenir compte du principe « ne bis in idem » si les faits incriminés ont eu lieu sur tout ou partie de son territoire, ou si les infractions visées portent atteinte à la sûreté de l’État ou à ses intérêts essentiels, ou encore si les faits ont été commis par l’un de ses fonctionnaires en violation des obligations de sa charge. Le rapporteur a estimé que donner sa pleine portée au principe supposerait de supprimer la première et la dernière de ces exceptions, la deuxième devant être maintenue, car elle correspond à une exigence constitutionnelle en France, selon un avis rendu par le Conseil d’État le 29 avril 2004.

L’application du principe « ne bis in idem » soulève également des difficultés car il fait l’objet d’interprétations divergentes de la part des États membres, notamment sur la question de la prise en compte des décisions prises par les autorités de poursuite qui aboutissent à une extinction de l’action publique. Le rapporteur a invité à les prendre en compte.

Dans ce Livre vert, la Commission européenne esquisse par ailleurs, un mécanisme de règlement des conflits de compétences entre États membres qui repose sur une information réciproque et sur des consultations entre les autorités de poursuite des États membres, suivies, en cas de désaccord, du recours à une médiation par un organe de l’Union européenne.

Le rapporteur a souligné que devrait être accordé dans un tel mécanisme un rôle central à l’unité Eurojust, qui a naturellement pour vocation de contribuer au règlement des conflits de compétences pénales entre États membres. A terme, seul un parquet européen créé à partir d’Eurojust permettrait de régler efficacement les conflits de compétences dans les affaires complexes de criminalité transnationale grave, comme il l’a d’ailleurs déjà fait à la suite du naufrage du « Prestige ».

Concluant sa présentation, le rapporteur a rappelé que les propositions de la Commission interviennent sur des sujets difficiles, extrêmement sensibles, qui posent le problème du mode de prise de décision s’agissant d’affaires relevant du « troisième pilier » : compte tenu de la règle de l’unanimité applicable en la matière, le risque est grand de voir les textes adoptés se contenter in fine de poser des garanties minimales, fondées sur le plus petit dénominateur commun aux États membres, ce qui ne présenterait aucun intérêt et serait même préjudiciable à l’image de l’Union.

Le rapporteur a également insisté sur les mesures concrètes qui, parallèlement à l’adoption de textes, sont de nature à favoriser l’émergence d’une culture judiciaire européenne et à conforter ainsi la confiance mutuelle, telle la création d’un réseau européen de formation des juges.

M. Jérôme Lambert s’est déclaré favorable, au nom du groupe socialiste, aux orientations de la proposition de résolution, conformément à la position qu’il avait adoptée lors de la discussion de cette proposition par la Délégation pour l’Union européenne.

Puis la Commission est passée à l’examen de l’article unique de la proposition de résolution.

La Commission a été saisie de deux amendements du rapporteur qui a précisé que, sans remettre en cause la logique qui sous-tend la proposition de la Délégation, ils tiraient les conséquences des évolutions récentes de la négociation à Bruxelles sur la décision-cadre relative aux droits procéduraux.

Il a indiqué que le premier de ces amendements prévoit que la future décision-cadre sur les droits procéduraux devra comporter une définition précise des procédures pénales visées, afin de d’éviter les risques d’insécurité juridique liés à la coexistence de définitions différentes des mêmes droits par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et par la décision-cadre et de limiter l’intervention de l’Union à son champ de compétence défini par le Traité sur l’Union européenne.

La Commission a adopté cet amendement, dont la rédaction a été rectifiée à l’initiative de M. Guy Geoffroy.

Le rapporteur a ensuite proposé un amendement tendant à prendre en compte la contribution du Conseil de l’Europe aux travaux d’élaboration de la future décision-cadre sur les droits procéduraux. M. Michel Piron ayant souligné l’évidence de la nécessité d’une articulation entre la décision-cadre et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, la Commission a adopté cet amendement.

La Commission a ensuite adopté l’article unique ainsi modifié de la proposition de résolution.