DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 3

Mardi 4 novembre 2003
(Séance de 18 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mmes Véronique Hespel, présidente, et Françoise Nallet, déléguée générale de l'association Retravailler, sur le thème de l'orientation professionnelle continue des femmes

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La Délégation aux droits des femmes a entendu Mmes Véronique Hespel, présidente, et Françoise Nallet, déléguée générale de l'association Retravailler.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous recevons aujourd'hui Mmes Véronique Hespel, présidente, et Françoise Nallet, déléguée générale de l'association Retravailler, sur le thème de l'orientation professionnelle continue des femmes - thème capital pour faire progresser l'égalité professionnelle.

Après l'adoption par la Délégation d'un rapport relatif à l'égalité professionnelle - dans lequel nous formulons quelques recommandations - je souhaiterai aujourd'hui approfondir le thème de la formation professionnelle.

Le 20 septembre dernier, les partenaires sociaux ont signé l'accord national interprofessionnel relatif à l'accès des salariés à la formation tout au long de la vie professionnelle, dont certains articles concernent plus particulièrement les femmes. Il s'agit là d'un élément important et quand nous examinerons le projet de loi sur la formation tout au long de la vie et la démocratie sociale, nous mettrons l'accent sur le fait que la formation
- c'est la volonté de M. François Fillon - est une donnée importante pour parvenir à l'égalité professionnelle.

Avant de vous laisser la parole, je vous poserai trois questions.

Tout d'abord, nous souhaiterions que vous nous présentiez votre association Retravailler, impliquée depuis trente ans dans la réinsertion professionnelle des femmes, à partir d'un vaste réseau sur tout le territoire et des liens privilégiés avec des partenaires, tels que l'AFPA, l'ANPE et le service des droits des femmes. Ce service m'intéresse particulièrement, car il me semble qu'il a un rôle essentiel à jouer en ce domaine ; je souhaiterais même qu'il soit davantage sollicité.

Ensuite, quelles sont les modalités de votre intervention auprès des femmes, en matière de soutien personnel, d'orientation, de conseils et de formation ?

Enfin, ces dernières années, votre association a été confrontée aux difficultés plus spécifiques que rencontrent les femmes ayant bénéficié de l'allocation parentale d'éducation lors de leur retour à l'emploi après un congé parental. Quelle est votre analyse de cette situation, sachant qu'au bout d'un an 50 % d'entre elles n'ont toujours pas retrouvé d'emploi ? Pouvez-vous nous présenter l'expérience que vous avez mise en place en Ile-de-France pour aider ces femmes, en anticipant la reprise d'activité ? Quelles sont vos suggestions pour améliorer leur retour sur le marché du travail ?

Je rappelle que l'accord interprofessionnel du 20 septembre fait explicitement référence à l'égalité entre les hommes et les femmes dans l'accès à la formation professionnelle dans les entreprises et doit favoriser l'accès des femmes à tous les dispositifs de formation. J'insiste sur ce point, car nous souhaitons que la formation professionnelle puisse permettre aux femmes qui n'ont pas un niveau d'études élevé de progresser dans l'entreprise. Ces femmes ont souvent un caractère moins battant que celles qui ont suivi des études. Comment pouvons-nous, à travers la formation professionnelle, les encourager pour qu'elles obtiennent des promotions au sein de leur entreprise ?

Mme Véronique Hespel : Madame la présidente, je prendrai brièvement la parole, car je ne suis présidente de l'association que depuis le mois de juin dernier ; je laisserai donc Françoise Nallet, déléguée générale, répondre à vos questions.

Cette association a été créée voilà trente ans pour venir en aide aux femmes qui souhaitaient retravailler après avoir élevé leurs enfants. De fait, l'association a acquis un vrai métier pour mobiliser, motiver les femmes et leur démontrer qu'elles possèdent de véritables ressources, même lorsqu'elles n'ont pas eu un parcours classique.

Cette expérience, l'association la met aujourd'hui au service des femmes, bien sûr, mais également des hommes et des plus jeunes. Nous avons fait de l'orientation et de la valorisation de l'expérience un véritable métier que nous mettons à la disposition d'autres publics que les femmes.

Parmi nos partenaires, vous n'avez pas cité les régions, qui sont très importantes pour nous et qui le seront encore plus demain. Saurons-nous intéresser autant les régions que l'Etat à l'orientation professionnelle des femmes en difficulté ? Nous devrons déterminer quelle sera la régulation de l'intervention des régions.

Notre structure est elle-même très décentralisée - nous représentons ce que l'on appelle l'Union -, même si les associations territoriales ont voulu fédérer leurs efforts en créant une structure très légère à leur tête. Au total, ces associations territoriales emploient près de 600 personnes, et interviennent comme prestataires de services pour le compte de l'ANPE, de l'AFPA et des régions - mais encore très peu pour le compte des entreprises.

L'Union et des associations territoriales souhaitent tirer parti de l'accord interprofessionnel. Si nous intervenons de façon privilégiée auprès de personnes qui sont sorties du marché de l'emploi, pour assurer l'égalité professionnelle des hommes et des femmes, il convient d'accompagner les femmes tout au long de leur vie à l'intérieur des entreprises. Avec le développement de la mobilité professionnelle, les femmes intégreront en effet de plus en plus d'entreprises dans le cours de leur vie professionnelle. Il s'agit pour nous d'un véritable enjeu : aider la femme à réussir sa vie professionnelle - à travers de multiples entreprises - et sa vie de femme.

Nos structures décentralisées vont devoir trouver les interlocuteurs - partenaires régionaux et partenaires sociaux - qui pourront les aider à construire les trajectoires de ce public particulier que sont les femmes.

Derrière les techniques que nous mettons en œuvre, il est important de montrer que les besoins des femmes sont également des besoins d'autres publics ; la valorisation de l'expérience, par exemple, est un domaine pour lequel nous avons acquis un capital d'expérience remarquable. Or, pour les personnes qui n'ont pas beaucoup de bagages - 50 à 60 % de notre public -, qui sortent de l'école aux niveaux 5 ou 6, la valorisation de leur expérience comptera pour leur trajectoire. Sur ce point, malgré l'accord interprofessionnel et la loi, nous avons encore des boulevards à construire - car ils ne sont pas très fréquentés par les entreprises.

J'ai le sentiment que l'Etat - à travers l'ANPE, l'AFPA - se mobilise bien plus sur ces sujets que les entreprises. Notre objectif est donc de mobiliser les entreprises et l'administration, car ce problème se posera aussi, un jour, au sein de la fonction publique.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il s'agit d'un des grands thèmes du Président de la République. L'Etat doit donner l'exemple.

Mme Véronique Hespel : Il y a, pour nous, un vrai chantier à mettre en œuvre, que Françoise Nallet et la précédente présidente, Sandra Bélier, ont ouvert, notamment avec le ministère de la défense. Mais pour l'instant, l'égalité professionnelle homme/femme dans l'administration est un sujet en jachère. Je suis fonctionnaire au ministère des finances : c'est un ministère assez sexiste dans la répartition des fonctions, des pouvoirs, dans les mentalités. Les fonctions d'autorité ne sont pas encore complètement partagées, même si, depuis vingt ans que j'y suis, les choses ont progressé.

Mme Françoise Nallet : Il est vrai que nous touchons là à la division du travail, problème majeur qui préoccupe notre association. De ce fait, le parti pris d'intervention de Retravailler, aujourd'hui, par rapport à l'égalité homme/femme et l'égalité professionnelle, c'est la mixité des emplois, des métiers et des professions.

Notre idée est la suivante : pour aller vers l'égalité, il convient de désenclaver les bastions dits masculins et ceux dits féminins. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que 61 % de l'activité des femmes est concentrée sur 6 professions - sur 31 recensées -, et, bien entendu, dans des secteurs où elles externalisent les compétences qu'elles ont développées dans les rôles et les places qui leur ont été culturellement attribués, à savoir : le service aux personnes, la santé, le social, l'éducation, la formation et le tertiaire dans les bureaux.

Notre parti pris, depuis un certain nombre d'années, est de plaider fortement pour la mixité professionnelle, ce qui explique l'accord-cadre que nous avons passé en juillet 2000 avec l'AFPA.

Lorsque nous avons repris les fondamentaux de Retravailler et étudié comment se jouait aujourd'hui la question de l'égalité, - plus de 80 % de femmes travaillent entre 25 et 49 ans -, nous nous sommes rendu compte que les femmes faisaient des choix non stratégiques, parce qu'induits par les stéréotypes de sexe. Elles s'engouffrent dans des filières de formation professionnelle, où elles se font concurrence, pendant que des secteurs entiers sont sous tension.

Mais si l'on veut que les femmes s'orientent vers de nouvelles filières professionnelles, elles doivent être qualifiées et donc avoir accès à la formation qualifiante. Cependant, nous nous sommes aperçus que même lorsqu'une femme faisait un choix de filière qualifiante atypique, il n'y avait pas forcément de suite dans l'accès au dispositif de formation.

Nous avons donc ouvert une négociation avec l'AFPA. Notons la volonté très forte de l'AFPA à ce moment-là qui s'est traduite, dans son contrat de progrès, par la volonté de doubler le nombre de femmes dans six secteurs professionnels dans lesquels elles ne sont quasiment pas présentes. Cette négociation a débouché sur la signature d'un accord-cadre en juillet 2000 qui prévoit : d'abord, la formation et la sensibilisation de l'ensemble des formateurs et des intervenants de l'AFPA à cette problématique - car c'étaient les premiers à bloquer, à ne pas envisager les femmes dans certains métiers ; entre 2000 et 2003, l'Union nationale a formé un certain nombre de formateurs-relais pour répandre le message de l'égalité au sein de l'AFPA - et il y a des progrès incontestables ; ensuite, la sous-traitance du travail d'orientation, à savoir l'élaboration du projet de formation pour les femmes, afin d'introduire un désenclavement des projets professionnels habituels ; enfin, un observatoire de l'égal accès des hommes et des femmes à la formation qualifiante dans les domaines du plan pour veiller à ce que les choses fonctionnent, et, si elles ne fonctionnent pas, voire ce qui bloque et faire des préconisations pour apporter des corrections.

Les premiers chiffres ont montré un très net progrès du nombre de femmes dans certaines filières, même s'il semble qu'il y ait une légère stagnation dans le dernier exercice. Quoi qu'il en soit, nous allons nous donner les moyens d'avancer.

Ce partenariat avec l'AFPA fonctionne très bien. Il y a encore quinze jours, je participais à un colloque avec tous les correspondants « égalité » de l'AFPA, au cours duquel nous avons fait le point sur les acquis et sur ce qui reste à développer - en particulier des actions en amont pour diversifier les choix des femmes.

Nous avons également un travail à mener auprès des psychologues de l'AFPA - dont la majorité sont des femmes - qui ont tendance à avoir un comportement très protecteur à l'égard des femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est-à-dire ?

Mme Françoise Nallet : Nous avons noté une résistance des psychologues à orienter des femmes dans des filières qui ne sont pas habituellement fréquentées par les femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Quels sont leurs arguments pour ne pas orienter les femmes vers ces filières ?

Mme Françoise Nallet : Les psychologues - pas seulement ceux de l'AFPA - ont souvent une vision traditionnelle de la répartition des rôles et des places entre les hommes et les femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La femme aux fourneaux et le mari au bureau !

Mme Geneviève Levy : Non, mais elles les orientent vers le social, la santé...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est extrêmement grave. Que pouvons-nous faire ?

Mme Françoise Nallet : Nous devons travailler sur les représentations - c'est ce que nous sommes en train de faire.

Au départ, nous travaillions essentiellement sur les formateurs et les formatrices du système : or nous nous sommes rendu compte que ce n'était peut-être pas le meilleur levier pour faire bouger les choses. Ce sont les psychologues qui orientent les femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Les psychologues de l'AFPA sont en majorité des femmes, et vous nous dites qu'elles ont une idée préconçue des rôles de la femme et de l'homme. Sont-elles des femmes jeunes ?

Mme Françoise Nallet : Elles sont de tout âge. Mais ce n'est pas le cas uniquement des psychologues de l'AFPA, cela concerne les psychologues en général.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Cela vient-il de l'enseignement qu'ils ont reçu ?

Mme Véronique Hespel : C'est plus profond que cela, c'est inscrit dans notre éducation : la fonction maternelle, la fonction paternelle et la manière dont elles se répartissent au sein d'une famille ; c'est là-dessus que toute la psychologie s'est construite. La clarification des rôles au sein d'une famille permet aux personnes de se sentir bien. Ce n'est donc pas complètement anormal que les psychologues aient des clivages qui correspondent à l'état de la société.

Mme Geneviève Levy : Il est vrai que la répartition des rôles au sein d'une famille est importante. Mais si on applique le schéma familial au milieu professionnel, cela ne m'étonne pas...

Mme Françoise Nallet : La plupart des rapports qui ont été publiés sur les ressorts des inégalités professionnelles et la division du travail qui perdure malgré les avancées technologiques - tels que les problèmes de pénibilité physique - montrent que c'est la répartition des rôles dans la famille qui reste la raison essentielle des inégalités au travail. Et le problème d'articulation des temps pénalise les femmes, car 80 % des activités domestiques et de soins à apporter aux enfants et aux ascendants sont assurés par les femmes.

Mme Véronique Hespel : Je vous rappelle que les hommes participent aux travaux domestiques dix minutes de plus qu'il y a quinze ans, bien que notre génération ait lutté pour plus d'égalité.

Mme Françoise Nallet : Lorsque nous menons avec les femmes un travail d'orientation, nous nous heurtons à ce problème du temps. Toutes les enquêtes montrent d'ailleurs que, dès l'adolescence, la fille est déjà dans la recherche d'un compromis entre le rôle de mère qu'elle projette et son avenir professionnel ; les garçons, eux, au même âge, sont centrés sur leur projet professionnel. Ce qui ne veut pas dire qu'ils n'envisagent pas d'être pères, mais cela ne pèse pas sur leur projet professionnel.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Lorsque j'ai présenté le rapport d'activité de notre Délégation, un journaliste a émis un doute sur la disposition de l'accord interprofessionnel prévoyant d'organiser la formation professionnelle en dehors des heures de travail.

Mme Françoise Nallet : Il est vrai que l'accès à la formation professionnelle va s'en trouver compliquée. Mais ce n'est pas nouveau, ce type de mesure - donnant-donnant - existe déjà avec le co-investissement. Et ce système du donnant-donnant, évidemment, dessert les femmes puisque, pendant leur temps « libre », les femmes assurent non seulement les activités domestiques, mais également les activités liées aux enfants et aux ascendants.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Vous avez raison de parler du problème des ascendants, car on a tendance à l'oublier, alors qu'il va devenir de plus en plus préoccupant.

Mme Véronique Hespel : Cela étant dit, avec l'allongement de l'âge de la vie, les femmes ont aujourd'hui en charge leurs ascendants entre 55 et 65 ans.

Mme Marie-Jo Zimmerman, présidente : C'est-à-dire qu'entre 25 et 45 ans nous avons la charge des enfants, puis, entre 55 et 65 ans, celle des ascendants.

Mme Véronique Hespel : Tout à fait ! C'est la raison pour laquelle je pense que le grand enjeu, c'est l'organisation des temps de la vie.

La femme, qui a une certaine période de fertilité, manque, en général, dans sa carrière professionnelle, les moments stratégiques...

Mme Françoise Nallet : C'est le problème de la grande misère de l'orientation en France. Les pays anglo-saxons et nord-américains réfléchissent depuis longtemps aux problèmes de carriérologie ; ils se demandent comment répartir sur toute une vie un certain nombre d'investissements professionnels plus ou moins forts selon ce que l'on a à vivre sur le plan privé.

En France, l'orientation commence juste à devenir un sujet. Je vous ai amené un livre que j'ai écrit pour défendre l'orientation professionnelle, qui est très liée à la notion d'égalité. Si nous ne travaillons pas sur le problème de l'orientation, nous ne résoudrons pas la question de l'égalité.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Vous parlez de l'orientation scolaire ?

Mme Françoise Nallet : Je parle de l'orientation professionnelle continue, à savoir, non seulement le choix du métier, mais aussi le choix d'une mobilité professionnelle, le choix d'une stratégie de carrière ; c'est tout cela l'orientation professionnelle. Or, en France, l'orientation professionnelle est calée sur le modèle de la formation initiale, à savoir que l'on n'a recours à elle que lorsqu'il y a échec et pas du tout comme outil de pilotage d'une carrière intelligente, stratégique. Et, pour les femmes, c'est encore une plus grande catastrophe que pour les hommes. L'orientation est une fonction sociale tout à fait essentielle que l'on n'a vraiment pas prise assez au sérieux dans notre pays.

Mme Véronique Hespel : J'ai l'impression que la société française est très cadencée par les âges. Vous devez passer votre bac à 18 ans, avoir terminé vos études à 25 ; dans l'entreprise, vous devez avoir accédé à telle fonction à tel âge, etc. Il s'agit là d'une caractéristique bien française ; nous faisons encore des sélections par l'âge qui sont terribles.

Cette sélection par l'âge, pour les femmes, est particulièrement dommageable. L'idée de sécurisation, de trajectoire tout au long de la vie, de crédit-formation doit être travaillée, pensée, pour qu'il puisse y avoir des étapes bien organisées. Nous ne devons pas avoir toutes le même parcours au même âge ; nous devons pouvoir redonner aux femmes des capacités de rebondissement ; ce qui manque, dans notre système, c'est de pouvoir rebondir. Si vous bifurquez de votre trajectoire à un moment donné, pour une raison ou pour une autre, vous êtes perdue.

Dans ma carrière, il y a eu des moments où j'étais totalement submergée, parce qu'il fallait que je m'occupe de mes trois enfants et que je commence à m'investir dans la haute fonction publique, et puis, aujourd'hui, mes enfants sont partis et j'ai du temps. Mais c'est fini !

Je mets cela en perspective avec l'allongement de la durée d'activité. Il y a quelque chose dans le contrat entre générations qui repose actuellement sur les femmes et dont on est, en même temps, étant donné l'organisation du temps de la société, complètement victimes : on manque tous les moments où l'on pourrait faire autre chose.

Mme Françoise Nallet : Tous les rapports démontrent que la naissance du premier enfant est synonyme, pour les femmes diplômées et qui ont commencé leur carrière dans les mêmes conditions que les hommes, de régression, alors que la carrière de l'homme est en expansion.

Les femmes elles-mêmes, lorsqu'on les interroge, disent que pendant dix ou quinze ans, elles préfèrent s'occuper de leurs enfants et qu'elles reprendront leur carrière après.

Seulement, comme le disait Mme Véronique Hespel, nous avons une façon de gérer les carrières qui fait que, si à un moment donné la femme est en recul, elle est hors-jeu jusqu'à la fin.

Mme Véronique Hespel : Et les dirigeants d'entreprise ont bien cet état d'esprit qui consiste à dire qu'après 40 ans c'est fini, ce qui est redoutable pour les femmes.

Deuxième problème, hormis celui du temps, si l'Etat a réalisé beaucoup de choses sur cette question, les entreprises, elles, n'ont rien fait.

C'est la raison pour laquelle je trouve que votre rapport, Madame la présidente, arrive au bon moment. Etant donné la pénurie de main-d'œuvre qui se profile, les entreprises ne pourront pas continuer à parler d'augmentation du taux d'activité et continuer comme elles le font.

Tous les ajustements de la conjoncture, ce sont les femmes qui les prennent en charge, sans contrat durable ; mais dès qu'il y a un à-coup de conjoncture, on reparle de l'allocation parentale d'éducation (APE). Lorsqu'on a besoin de nous, nous sommes priées de tout concilier et de nous organiser, mais dès que les chiffres du chômage augmentent, on applique un dispositif pour nous ramener à la maison.

Les entreprises ne se préoccupent pas de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, alors que l'Etat fait tout ce qu'il peut : il augmente même les avantages fiscaux. Les chèques emploi-services, c'est tout de même un sujet important en France.

Mme Françoise Nallet : Il y a tout de même quelques bonnes pratiques qui commencent à se développer, notamment face à la problématique de la pénurie de main-d'œuvre. Les choses bougent depuis deux ou trois ans sur cette question - prenant exemple sur les modèles américains. Des groupes comme Schlumberger ont été exemplaires.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Avez-vous des exemples sur ce qu'a réalisé Schlumberger ?

Mme Françoise Nallet : Ce groupe avait un gros problème pour promouvoir des femmes au niveau technique, du fait de la mobilité obligatoire des premières années - les ingénieurs tournant de plate-forme en plate-forme. Eh bien les dirigeants ont mis en place des politiques d'aide à la mobilité de toute la famille. De ce fait, non seulement les femmes ont bougé - et des femmes ingénieurs font maintenant carrière -, mais cela a aussi profité aux hommes.

Par ailleurs, les femmes développent moins le sentiment de compétence que les hommes ; elles ont moins la capacité à dire : « Je suis compétente ». En revanche, lorsqu'on évalue leurs compétences, on s'aperçoit qu'elles le sont tout autant que les hommes. C'est ce manque de confiance en soi qui les pénalise, car un recruteur, aujourd'hui, est très sensible au fait que l'on puisse lui affirmer que l'on est compétent.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, la semaine dernière un journaliste m'a posé la question de savoir ce qu'il convenait de faire. Je lui ai répondu que je souhaitais que les femmes cadres, les femmes en situation de prise de pouvoir, deviennent plus battantes.

« Mais est-ce servir les femmes » m'a-t-il répondu ? Oui, car si elles sont convaincantes à l'entretien d'embauche, si elles sont battantes, les dirigeants d'entreprise auront envie de les engager. Je suis donc d'accord avec vous pour dire que les femmes ont des qualités qu'elles ne développent pas suffisamment, notamment au moment des entretiens d'embauche.

Mme Françoise Nallet : Tout à fait, ce que les Belges et les Italiens appellent l' « assertivité », à savoir la capacité à s'affirmer sur le plan psychosocial.

Je me suis occupée, pendant de nombreuses années, de cadres qui faisaient un bilan de compétences pour vérifier un projet de mobilité. J'ai donc rencontré beaucoup de femmes et d'hommes ; or j'ai toujours entendu les femmes dire : « Je ne suis pas sûre de pouvoir y arriver » ; les hommes jamais. Cela ne veut pas dire que les hommes ne doutaient pas, mais ils ne le disaient pas.

C'est la raison pour laquelle nous devons, dans les sessions que nous faisons avec les femmes, leur redonner ce sentiment de compétence, et travailler sur la valorisation et sur l'estime de soi. D'ailleurs, les entreprises qui veulent promouvoir les femmes ont organisé le « coaching » et mis des réseaux en place.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il convient tout de même de faire la différence entre les femmes qui ont un niveau d'étude élevé - qui doivent être capables de se battre pour se faire embaucher - et celles qui n'en ont pas fait ; ces dernières ont besoin d'être encouragées, « coachées ».

Mme Françoise Nallet : Toutes les enquêtes réalisées sur le sentiment de compétence montrent qu'il est moins développé chez les femmes que chez les hommes.

Mme Véronique Hespel : Ce sentiment ne doit tout de même pas être imputé qu'aux femmes.

Je ne vois pas la grande différence qui peut exister, à des niveaux de responsabilité, entre la fonction publique et le privé. Dans l'administration, le système de concours fait que la proportion de femmes qui accèdent à des postes de responsabilité - je dirais jusqu'à l'échelon de sous-directeur - n'est pas très différente de la proportion de femmes qui se présentent au concours. Après, pour les postes de directeur et de directeur de cabinet, c'est différent.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Alors qu'est-ce qui empêche les femmes d'accéder à ces postes ?

Mme Véronique Hespel : Le temps. Je prends mon exemple : j'ai quitté le cabinet de Jacques Delors parce que j'avais deux enfants et que je ne pouvais pas tout assumer - j'avais 30 ans. Mais je ne regrette rien, j'assume mon choix et j'en suis heureuse. Ce n'est donc pas la question. Nous avons le droit aussi de vouloir élever nos enfants ; pour moi, il s'agissait d'une occasion à ne pas manquer. Je refuse de rentrer dans un sentiment de culpabilité. Et je considère que l'administration offre des possibilités pour concilier vie familiale et vie professionnelle.

En revanche, lorsque je suis entrée en entreprise, alors que je n'avais pas de doute sur mes compétences, j'ai tout de suite compris que je n'en avais aucune aux yeux des autres, quels que soient mes diplômes. Pour progresser au sein de l'entreprise, je devais être dix fois meilleure que les hommes. Je devais tout contrôler, car la moindre faute ne m'était pas pardonnée. Dire que les femmes manquent de confiance en elles, oui, mais ce n'est pas suffisant.

S'agissant de la lutte contre la différenciation sexuelle des postes, il est très important, c'est vrai, d'orienter les femmes vers des métiers qui ne sont pas traditionnellement féminins, et inversement. Mais cela ne suffit pas : nous devons accompagner ces pionnières. Car il ne faut absolument pas sous-estimer les obstacles du milieu. Je ne parle pas de la psychologue de l'AFPA ou de notre rôle - par rapport à la représentation - ; mais une femme qui devient commissaire de police ou chef de chantier, pourra avoir toutes les qualités du monde, tous les diplômes nécessaires, elle se heurtera à des représentations qui sont celles d'un milieu profondément machiste et qui n'entend pas la parole des femmes.

Dans le monde de l'entreprise, un réseau doit fonctionner, du « coaching » et des interventions extérieures doivent êtres prévus, car le changement ne se fera pas tout seul.

Mme Françoise Nallet : Ce sujet est compliqué, car il est systémique et, effectivement, il n'y a pas qu'un réseau explicatif. Il convient d'intervenir sur différents points, tels que les discriminations - elles existent, il suffit de voir les différences de rémunérations. C'est un tout, il convient d'appuyer sur plusieurs curseurs à la fois si l'on veut faire avancer les choses : il faut travailler avec les femmes au niveau de la confiance, sur les mentalités et les représentations de tout le monde - des hommes et des femmes, à tous les niveaux. Car il y a les résistances du milieu professionnel, mais il ne faut pas oublier les résistances du milieu familial. Combien de femmes ont renoncé à certains choix, à certaines carrières, car cela blessait narcissiquement le mari ou posait problème au milieu familial !

Accompagner une femme dans une carrière atypique, c'est effectivement l'accompagner dans le milieu professionnel, mais aussi la soutenir par rapport aux difficultés qu'elle va rencontrer au sein de sa famille.

Mme Véronique Hespel : Tous les sociologues que j'ai pu rencontrer au commissariat du Plan pendant quatre ans m'ont dit que la question de la parité était la question du XXIe siècle. Nous sommes face à une transformation des représentations : on s'aperçoit que des tâches traditionnellement féminines peuvent être partagées avec les hommes et que, réciproquement, une femme a le droit d'entrer dans la sphère dite masculine.

Ce changement est porteur et intéressant. Et les pouvoirs publics peuvent avoir une responsabilité dans l'accompagnement, pour le rendre possible, non seulement dans l'esprit des gens, mais également dans l'accueil, afin d'éviter les discriminations.

Heureusement, les jeunes n'ont pas la même perception que nous de la question.

M. Patrick Delnatte : Ceux qui entrent dans la vie active aujourd'hui n'en ont effectivement pas la même perception.

Mme Françoise Nallet : Mais, avec un grand clivage entre les jeunes diplômés et les jeunes issus de milieux défavorisés. Dans les milieux favorisés, les jeunes femmes comme les hommes veulent, à la fois, être parents et faire carrière ; ils ont donc des attentes beaucoup moins sexuées et les représentations ont bougé.

En revanche, dans les milieux difficiles, la violence est terrible, notamment envers les filles qui deviennent les meilleures à l'école. Il y a là un vrai danger et une vraie difficulté.

Devant ce changement colossal des mentalités, les personnes qui sont en difficulté vont le rejeter violemment ; il y a donc un enjeu politique qui me semble essentiel.

Mme Véronique Hespel : J'en ai parlé avec Mme Françoise Héritier, professeur au Collège de France, que notre association avait invitée ; elle nous a bien expliqué ce tabou ancestral, cette peur de l'homme par rapport à la femme qui a la capacité de produire l'autre en elle-même, et donc de cette place de la femme qui, dans toutes les sociétés, remonte à un tabou lointain, ancestral. Je lui ai fait observer : « Lorsqu'on touche à ce tabou, dont vous soulignez dans vos travaux l'universalité, il n'est pas très étonnant qu'il y ait des réactions violentes ».

J'ai entendu un sociologue de la science politique, spécialiste de l'extrême droite, dire clairement que l'on trouvait, dans les origines du Front national et des mouvements d'extrême droite, une réaction à la dépossession des rôles masculins.

J'ai également discuté avec un sociologue anglais sur ce qui se passait à Manchester et Liverpool : d'une part, après des années de thatchérisme, les femmes se sont repliées sur elles-mêmes et ont mis les hommes à la porte, et, d'autre part, on a vu apparaître le hooliganisme. Cela me fait très peur, car je me demande où nous allons, et je suis consciente que le retour de bâton pourrait être très violent pour les femmes.

Mme Françoise Nallet : Il conviendrait, pour accompagner tout cela, d'ouvrir un vaste chantier d'éducation sans oublier la communication.

J'en reviens à vos questions initiales, Madame la présidente.

L'AFPA est une institution qui bouge dans le bon sens au niveau de l'égalité homme/femme, elle essaie de faire avancer l'égal accès des femmes à la formation qualifiante, y compris dans des secteurs où elles n'étaient pas présentes.

L'ANPE, elle, est notre premier commanditaire. De nombreuses prestations que l'on offre aux femmes demandeuses d'emploi - ainsi qu'aux hommes - nous sont commanditées par l'ANPE. L'Union Retravailler a formé un certain nombre d'intervenants dans les centres de formation pour introduire la question de l'égalité dans la formation initiale et continue des agents de l'ANPE. Mais l'ANPE a une vieille tradition de neutralité du demandeur d'emploi ; or la neutralité est toujours au détriment de la femme.

S'agissant du service des droits des femmes, nous avons toujours très bien travaillé avec lui et nous avons des réunions de travail régulières. Il soutient notre action et notamment les journées nationales de l'Union Retravailler.

En revanche, je regrette la mise en sommeil du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle qui m'a semblé être, pendant longtemps, une instance dans laquelle se débattaient un certain nombre de sujets en matière d'égalité professionnelle. Aujourd'hui, il me semble manquer dans le paysage.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il s'agit justement d'une de mes recommandations. Mais elle est très difficile à faire accepter.

Mme Françoise Nallet : Et d'où vient ce blocage ?

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je dois rencontrer le ministre des affaires sociales pour lui remettre officiellement le rapport de la Délégation. J'en profiterai pour développer certains points, notamment celui-là.

Toutes les personnes que nous avons auditionnées sur ce sujet ont mis en avant le fait que c'était au Conseil supérieur de l'égalité professionnelle que l'on pouvait analyser l'évolution de la loi et cerner ces manques. Or, depuis qu'il a été renouvelé, il n'a jamais siégé - sauf pour son installation.

Mme Françoise Nallet : La commission permanente du Conseil supérieur est un lieu de travail très intéressant, où nous avons procédé à l'audit d'entreprises.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Où vous travailliez énormément ! Je le sais, car certaines personnes qui ont été nommées à l'Observatoire de la parité sont également membres du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle ; elles m'ont d'ailleurs demandé d'intervenir pour que le Conseil fonctionne comme l'Observatoire. Il existe bien un problème. C'est donc une de nos recommandations, car il me semble que c'est dans cette institution que l'on pourra faire avancer les choses.

Mme Françoise Nallet : Nous avons mené tout un travail d'audit d'entreprises sur la conception de l'égalité professionnelle, son instrumentalisation... Travail passionnant qui a fait bouger les mentalités !

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je pense sincèrement que l'égalité professionnelle est un chantier important pour toutes les femmes. De très bonnes idées sont mises en avant, mais il convient aussi de refaire fonctionner certaines instances en urgence.

Je suis très contente que l'égalité professionnelle ait été introduite dans les négociations, mais cela ne suffit pas.

M. Patrick Delnatte : S'agissant des négociations menées par M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille, sur les avantages fiscaux accordés aux entreprises qui s'investissent dans la politique familiale, je puis vous assurer qu'aucun syndicat ne s'y est intéressé - sauf, par tradition, la CFTC. Alors que l'égalité professionnelle passe par le règlement du problème de la conciliation vie familiale/vie professionnelle.

Mme Véronique Hespel : J'ai réalisé une enquête, à l'inspection des finances, pour le compte de Mme Martine Aubry, sur les services aux personnes. J'ai ainsi rencontré les personnes qui s'occupaient du titre emploi-services et étudié les effets de la loi. Je me suis alors aperçue que les réserves émises sur ces chèques venaient des syndicats eux-mêmes.

En fait, il n'y a pas suffisamment de femmes dans les organisations syndicales.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Cela pose le problème de la représentation des femmes dans les comités d'entreprise.

Mme Véronique Hespel : Or la parité devrait également exister dans les comités d'entreprise.

Mme Françoise Nallet : Si le problème de l'égalité n'a pas été une revendication et n'a pas plus avancé que cela, c'est bien parce que les syndicats, où il y a peu de femmes, n'en ont pas fait une priorité.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Tout à fait, une femme qui travaille, qui a une vie familiale, n'a pas le temps, en plus, de faire partie du comité d'entreprise.

Mme Françoise Nallet : Et les représentations qu'elle en a ne l'amènent pas forcément à avoir envie d'en faire partie.

Nous avons réalisé une étude relative à l'accès des femmes au pouvoir dans les associations. Nous nous sommes rendu compte que très peu de femmes étaient présidentes ou trésorières. Pourquoi ? Parce que la représentation qu'ont ces femmes de l'exercice du pouvoir est catastrophique. Elles disent : « Ils parlent, ils parlent, c'est tout ce qu'ils savent faire ».

M. Patrick Delnatte : Pour que les comités d'entreprise puissent régler les problèmes de crèche ou autres, il faut des personnes qui s'en occupent ; et là le rôle des femmes est primordial.

Mme Françoise Nallet : Le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle est une instance déterminante, car les partenaires sociaux y débattent de ces questions et se mobilisent sur des données.

M. Patrick Delnatte : C'est un peu comme en politique. Il faut être clair : les femmes qui perçaient dans ces instances balayaient complètement les questions familiales et sociales. Il s'agissait de femmes qui s'étaient battues et qui avaient pris des positions, des responsabilités, ce qui faisait que ces sujets n'entraient pas dans leurs préoccupations. Or maintenant, comme il y a davantage de femmes en politique, ces questions sont mieux prises en compte.

Mme Véronique Hespel : Il est vrai que cela est très difficile pour des femmes qui ont atteint un certain niveau de responsabilité. Mais moi, je considère que c'était un plus de pouvoir faire les deux.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je le dis aussi, et il est nécessaire que nous soyons nombreuses à le dire.

M. Patrick Delnatte : Mais ce n'est pas seulement le problème de la femme, c'est également celui du père.

Mme Françoise Nallet : Exactement, c'est la parentalité qu'il faut mettre en avant.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Malheureusement, nous sommes très peu de femmes à le dire. Celles qui le disent réagissent en fait, même si elles ont des responsabilités, comme des femmes : elles ne veulent pas reproduire le modèle masculin.

Mme Véronique Hespel : Rester femme lorsqu'on a une responsabilité, c'est ce qu'il y a de plus dur.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Tant que je serai présidente de cette Délégation, je défendrai cette idée, car ce n'est pas aider les femmes que de vouloir reproduire le modèle masculin.

Mme Françoise Nallet : J'ai participé à un colloque de l'AFFDU, avec Mme Cathy Kopp, aujourd'hui DRH du groupe ACCOR - après avoir été PDG d'IBM - qui a développé les actions qu'elle menait au sein de ce groupe, en posant le principe d'ingérence. C'est ce que vous disiez tout à l'heure, Monsieur le député, sur la nécessité de mettre en liaison et non plus d'opposer vie familiale et vie professionnelle.

Elle pose le principe d'ingérence entre la vie privée et la vie professionnelle. De ce fait, aujourd'hui chez ACCOR, les salariés ont accès, non seulement à des services de conciergerie, mais surtout à une plate-forme qui prend en charge les problèmes des salariés - remplir la feuille d'impôts, trouver une crèche, etc. C'est un service qui s'occupe de vous renseigner et qui vous évite d'avoir la tête encombrée par des petits soucis.

Mme Véronique Hespel : J'émets pour ma part des réserves sur ce type d'initiative. C'est la mainmise de l'entreprise sur notre vie privée.

Mme Françoise Nallet : Tout dépend du statut que l'on donne à ce service. Mais c'est en même temps la solution à de nombreux problèmes.

M. Patrick Delnatte : Je voudrais revenir sur un autre sujet, celui de l'APE. Historiquement, l'association Retravailler a été créée pour des femmes qui, non seulement voulaient retravailler, mais connaissaient de réelles difficultés. Dans tout ce que vous venez de dire, Mesdames, je ne retrouve pas tout à fait son but d'origine...

Mme Françoise Nallet : Nous avons beaucoup changé, mais nous sommes restés fidèles à nos principes fondateurs.

M. Patrick Delnatte : Vos actions étaient tout de même bien ciblées : elles concernaient les femmes qui souhaitaient retravailler après avoir élevé leurs enfants.

Quelles problématiques pourrait-on développer pour ne pas condamner systématiquement la femme qui choisit d'élever ses enfants - ou le père, d'ailleurs ? Afin qu'élever ses enfants ne soit pas synonyme de chômage ?

La décision a été prise d'accorder une allocation de libre choix pour six mois. Si c'est pour entendre dire qu'il s'agit de six mois de perdus dans la vie professionnelle, c'est une attitude culturelle qui me désole. Car cela veut dire que les femmes n'ont pas la possibilité de se consacrer, pendant un an ou deux, à l'éducation de leurs enfants.

Quel système pourrait-on mettre en place - avec l'accord des entreprises, car elles ont un rôle à jouer -, pour que les femmes puissent garder un lien avec l'entreprise ?

Mme Françoise Nallet : Dans les pays nordiques, certaines entreprises ont développé de bonnes pratiques dans ce domaine, de non rupture du lien pendant le congé parental. Lien maintenu par emails, par une liaison autour du journal de l'entreprise, par la communication des changements intervenus et, avant de reprendre le travail, par un accompagnement et une évaluation des compétences, ainsi que par la réactivation des connaissances, à savoir une remise à niveau. Tout cela peut faire l'objet d'un bilan de compétences et d'un entraînement avant de reprendre le travail.

Les entreprises françaises n'ont pas cette habitude, le congé maternité est considéré comme une horreur. D'ailleurs, tous les témoignages de femmes qui reprennent leur travail après un tel congé nous disent que cela est compliqué : leur place est prise, elles ont le sentiment d'avoir perdu leurs compétences, etc.

Le problème est, non pas la perte des compétences - un travail de réactivation est facile -, mais de convaincre les entreprises qu'il est nécessaire de tisser un lien entre la vie familiale et la vie professionnelle ; il convient donc de changer les mentalités des DRH.

En ce qui concerne l'APE, les chiffres démontrent que c'est une catastrophe ; mais il est vrai aussi que cette allocation concerne surtout des femmes peu ou pas qualifiées.

Mme Véronique Hespel : Bien entendu, l'APE concerne des femmes non qualifiées et qui, par ailleurs, culturellement, attachent plus d'importance à leur place dans la maison.

J'en profite pour insister sur le fait que le travail domestique n'est pas considéré comme un travail ; alors qu'il s'agit d'un travail considérable.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : J'ai été choquée, au moment de la discussion du projet de loi concernant les retraites, par le fait que l'on prenne en considération l'année du service militaire et non pas l'année prise par les femmes pour élever leurs enfants
- même si nous devons tenir compte des contraintes européennes. Ce qui veut dire que l'année de service militaire, contrairement au fait d'élever son enfant, est considérée comme un service rendu à l'Etat.

M. Patrick Delnatte : Le temps passé par le père ou la mère à élever un enfant est pris en compte par le texte final.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Seuls six mois sont comptabilisés pour la fonction publique. C'est ce qui m'a choquée.

M. Patrick Delnatte : De toute façon, l'armée est aujourd'hui professionnelle et les femmes s'engagent de façon impressionnante.

Mme Véronique Hespel : Les gendarmes sont inquiets d'ailleurs. Ils ont remonté le niveau des épreuves physiques, afin que les femmes - qui ont de meilleures notes au concours - ne puissent pas réussir.

Mme Françoise Nallet : Vous nous demandiez ce que nous avions réalisé en Ile-de-France. Nous avons mis en place un dispositif « femmes », en collaboration avec l'AFPA, qui a pour objectif essentiel de cibler les postes qui ne sont pas enclavés, c'est-à-dire qui ouvrent des perspectives à l'emploi des femmes bien au-delà de ce qui existe aujourd'hui ; avec des plates-formes de découverte des métiers et tout un travail sur les représentations. La diversification des choix me semble tout à fait essentielle si l'on veut avancer sur l'égalité professionnelle.

Il s'agit d'un gros chantier, qui implique un travail sur les représentations des métiers ; mené par les entreprises, ce travail porte ses fruits. Quand un patron dit à une femme  « vous pouvez faire ce métier », généralement, cela a de l'impact. Mais le meilleur moyen de convaincre les femmes qu'elles peuvent exercer des métiers qu'a priori elles pensaient ne pas pouvoir faire est le banc d'essai.

Il convient également de travailler sur les mentalités, afin de faire passer le message qu'il n'y a pas de métier typiquement masculin ou féminin, et que toutes les cultures professionnelles gagneraient à être irriguées par les hommes et par les femmes.

J'ai participé à une émission télévisée sur France 5, « Dans ma boîte », sur le thème des métiers qui changent de sexe. J'avais alors expliqué que non, les métiers ne changeaient pas de sexe, mais qu'ils étaient aujourd'hui exercés par les hommes comme par les femmes.

Un reportage avait été diffusé sur une maternité qui avait recruté un « sage-homme ». Or ses collègues sages-femmes trouvaient cela très enrichissant, car sa présence avait réintroduit le père dans l'événement de la naissance.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Tout à fait ! D'ailleurs un médecin gynécologue-obstétricien peut aussi bien être un homme qu'une femme, alors pourquoi être choqué par un « sage-homme » ? Nous avons un travail à mener sur la culture paritaire au niveau de l'éducation, de l'enseignement initial.

Aujourd'hui, dans certains métiers extrêmement durs que les femmes intègrent, la réflexion qui est menée sur les conditions de travail sert en fait autant aux hommes qu'aux femmes. En effet, dans ma circonscription, une réflexion a été menée sur l'ergonomie dans l'industrie automobile ; eh bien elle bénéficie également aux hommes.

Mme Françoise Nallet : La plasturgie, qui a connu des problèmes de main-d'œuvre très tôt, a remplacé ses chèvres mécaniques par des ponts roulants, ce qui permet aux femmes de travailler, mais également aux hommes de ne plus avoir le dos cassé à 50 ans. L'autorisation du travail de nuit pour les femmes a amené une législation en la matière qui profite à tout le monde.

Mme Véronique Hespel : Pour revenir à l'APE, je me demande s'il ne faut pas creuser la question d'étapes. Avant de choisir l'APE, ne devrions-nous pas instaurer un entretien obligatoire permettant à la femme de connaître ses droits, lui proposer un bilan de compétences et utiliser les possibilités de l'accord interprofessionnel ?

En ce qui concerne l'orientation, nous ne sommes pas bons - elle n'a lieu qu'en troisième et en faculté - et la formation professionnelle est embryonnaire.

Il appartient donc peut-être au législateur de proclamer qu'il existe des étapes importantes dans la vie qui nécessitent une rencontre entre l'employeur et l'employé, afin d'informer la femme sur ses droits en termes de formation professionnelle lors du retour à l'emploi.

Mme Françoise Nallet : Le DIF - droit individuel à la formation - peut être une opportunité extraordinaire de ce point de vue là. J'ai rencontré sur ce sujet l'AGEFOS PME
- organisme gestionnaire des fonds de la formation professionnelle -, qui souhaite en faire l'un des outils de sa politique de gestion pour les PME et les TPE, où il y a très peu de formation professionnelle.

Le DIF serait conçu comme un processus qui permettrait de faire le point sur les acquis, de les valoriser, voire de les valider en ayant accès au dispositif de validation des acquis de l'expérience, et de sécuriser les trajectoires. Et le CIF - congé individuel de formation - pourrait ensuite prendre la relève du DIF pour la qualification.

Nous avons vraiment des pistes pour améliorer les choses. En outre, vingt heures pour une femme, a priori, c'est possible. Et si pendant ces vingt heures, elle travaille à un projet de formation, dès qu'elle en comprendra la plus-value et la faisabilité, elle ira vers le CIF, sinon, elle n'ira pas spontanément. Il y a là une réelle opportunité stratégique.

Mme Véronique Hespel : Il convient de démontrer, comme pour les conditions de travail, que les réflexions menées en faveur des femmes peuvent être importantes pour tout le monde.

Prenons l'exemple de la mobilité professionnelle, qui est un vrai problème pour les couples bi-actifs. Comment mieux utiliser les potentialités de la loi pour assurer la reconversion professionnelle ou l'accompagnement professionnel du conjoint - qui est le plus souvent la femme ? Comment gérer cette rupture, dans le cadre du dispositif « formation tout au long de la vie » ?

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Vous avez entièrement raison.

Mme Véronique Hespel : Réfléchir à cette notion d'étapes - étapes qui sont nécessairement différenciées selon les personnes - me paraît être extrêmement important.


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