DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 4

Mardi 18 novembre 2003
(Séance de 17 heures 30)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

page

- Audition de Mme Patricia Bouillaguet, directrice de l'AFPA, en charge de la prospective et des relations avec les pouvoirs publics

2

La Délégation aux droits des femmes a entendu Mme Patricia Bouillaguet, directrice à la direction de l'AFPA, en charge de la prospective et des relations avec les pouvoirs publics.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Patricia Bouillaguet, directrice à la direction de l'AFPA, en charge de la prospective et des relations avec les pouvoirs publics. Elle est accompagnée de M. Thomas Delourmel, chef du service des relations avec les pouvoirs publics.

Cette audition se situe dans la ligne du projet de loi sur la formation tout au long de la vie, qui doit être présenté demain en conseil des ministres par M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Ce projet reprendra les dispositions de l'accord national interprofessionnel, signé par les partenaires sociaux, le 20 septembre dernier, relatif à l'accès des salariés à la formation tout au long de la vie professionnelle.

Cette audition se situe également dans la continuité des travaux de la Délégation, qui a adopté en octobre dernier un rapport comportant des recommandations en matière d'égalité professionnelle.

Faciliter la formation professionnelle des femmes m'apparaît comme une des clefs pour parvenir à l'objectif d'égalité entre les hommes et les femmes. Lorsque je reçois à ma permanence parlementaire des personnes suivies par l'AFPA, je conseille à celles qui ont des problèmes de vous rencontrer. Je connais votre façon de travailler et votre très forte mobilisation dans ce domaine.

Je souhaiterais que vous nous exposiez les politiques spécifiques menées par l'AFPA en direction des femmes et que vous développiez les actions que vous avez conduites pour diversifier le choix professionnel des femmes dans certains secteurs considérés jusqu'à présent comme masculins. J'aimerais que vous nous indiquiez les réactions des employeurs concernés et des femmes qui s'engagent dans ces nouveaux métiers. Comment faire pour les aider à surmonter les obstacles des milieux professionnels hostiles aux femmes ? Quels sont les milieux professionnels qui font preuve de la plus grande ouverture et quelles sont les résistances les plus grandes ?

J'aimerais également connaître les développements et l'impact de vos journées d'actions spécifiques réservées aux femmes. Quel bilan en tirez-vous ? Continuerez-vous ces actions ?

L'AFPA a fait un immense effort pour mobiliser ses formateurs sur le thème de la formation des femmes. Les responsables de l'association « Retravailler » ont évoqué, lors de leur audition devant la Délégation, les problèmes posés par les psychologues qui ont souvent des idées préconçues sur les rôles assignés à la femme et à l'homme. Quelle est votre opinion sur cette question ?

Enfin, je souhaiterais connaître votre appréciation sur l'accord interprofessionnel, à savoir comment l'améliorer pour faciliter la formation professionnelle continue des femmes et, plus largement, vos propositions en la matière.

Mme Patricia Bouillaguet : Je répondrai au fur et à mesure à vos questions, après avoir dit quelques mots sur les actions de l'AFPA, nos ambitions et nos motivations.

Nous avons décidé en 2000 de mettre en place à l'AFPA un plan national pour l'égalité d'accès des hommes et des femmes à la formation qualifiante concernant la période 2000-2006. Cela ne veut pas dire que l'AFPA ne faisait rien auparavant en ce domaine, mais il s'agissait d'un ensemble d'actions locales ponctuelles qui n'irriguaient pas la structure de la maison.

Or, l'AFPA a une histoire très masculine et très industrielle. L'AFPA a été fondée autour du bâtiment et de la métallurgie après la guerre pour fournir la main d'œuvre dont l'économie avait besoin pour sa reconstruction. Cette histoire imprègne beaucoup la culture et les formations de l'AFPA, puisque les deux tiers des formations qualifiantes sont destinés à l'industrie et au bâtiment.

La part des femmes dans les formations qualifiantes de l'AFPA ne dépassait pas 30 %, taux qui n'avait pas évolué depuis vingt ans, alors même que la palette des formations de l'AFPA s'était diversifiée.

Pour un organisme comme l'AFPA, ayant comme mission de service public la lutte contre les inégalités sur le marché du travail, cela posait problème. Nous remplissions bien notre rôle vis-à-vis des hommes, notamment pour amener des chômeurs à un métier et les aider à accéder à l'emploi, mais en raison de cette barrière de formations très industrielles, très « bâtiment », avec une culture très masculine, nous remplissions mal notre mission envers les femmes. Toutes les actions locales que nous avions menées avec d'autres partenaires n'avaient rien changé globalement et structurellement dans la maison.

En l'an 2000, nous avons eu l'idée de développer un plan national appuyé sur des objectifs quantifiés, en ciblant un certain nombre de secteurs qui nous semblaient particulièrement porteurs d'ouvertures. Caractérisés par un taux très faible de femmes (10 %) sans que rien, s'agissant des conditions de travail ou des technologies, ne justifie que les femmes ne puissent y accéder, ces secteurs souffraient de pénurie de main d'œuvre.

A notre sens, la cause en était culturelle. Faire évoluer les mentalités nécessitant du temps, il valait mieux saisir les opportunités. Or, les difficultés de recrutement des entreprises constituent une opportunité. Ne trouvant pas d'hommes dans certains bassins d'emplois comme en Bretagne, certains tabous tombent d'eux-mêmes. Face aux vicissitudes économiques, les entreprises sont plus disposées à écouter un autre discours.

Nous avons donc saisi la vague des difficultés de recrutement pour lancer le mouvement. Les six secteurs choisis étaient ceux qui souffraient de fortes pénuries de recrutement en 2000. Notre objectif était de doubler le taux de femmes dans ces formations, soit 20 % à l'horizon 2006, ce qui est considérable. Pour l'atteindre, il fallait des actions complémentaires.

Tout d'abord, il fallait travailler sur les représentations professionnelles des personnes qui, au sein du service public de l'emploi - d'où nos contacts avec l'ANPE -, orientaient les femmes dans les métiers traditionnellement féminins. Pour en prendre conscience, il suffisait de regarder les orientations professionnelles proposées aux femmes et de discuter avec nos professionnels ou avec les orienteurs de l'ANPE. Les femmes étaient orientées vers les métiers traditionnellement féminins qui offrent moins de débouchés, la palette d'emplois des femmes étant plus resserrée que celle des hommes.

Si l'on élargit cette palette d'emplois, si l'on diversifie les métiers ouverts aux femmes, je pense que l'on agira fortement sur les différences de taux de chômage entre les hommes et les femmes. Ce rétrécissement de la palette des emplois spontanément ouverts aux femmes est un facteur d'explication des disparités de chômage entre les hommes et les femmes et une des raisons du chômage structurel des femmes.

Nous pensons que la question de l'orientation professionnelle des femmes est au cœur du sujet.

Pour cette raison, nous avons mis en place une action systématique de formation-sensibilisation de nos psychologues et de nos formateurs. Il ne suffit pas de former les psychologues à la diversification des choix, il faut aussi que nos formateurs, qui viennent du bâtiment et de l'industrie, soient également sensibilisés à cette dimension. Notre objectif était de former 2 600 formateurs et psychologues de l'AFPA pour accompagner ce plan.

La première année, nous avons construit avec l'Union nationale « Retravailler » les outils pédagogiques nécessaires à la formation de nos professionnels. Aujourd'hui, mille formateurs et psychologues ont été sensibilisés au problème de l'égalité professionnelle. Nous aurions pu faire davantage, mais il n'a pas été facile de distraire de leur activité pendant deux jours les formateurs et les psychologues. Nous avons procédé par démultiplication en formant des formateurs relais, qui diffusent ensuite dans tous les centres AFPA les actions de sensibilisation à la diversification des choix professionnels. Pour nous, c'est un préalable indispensable pour arriver au but.

J'adhère complètement à ce que vous avez dit dans votre propos de présentation : les gens ont dans leur subconscient des représentations professionnelles, qui influencent les conseils et les choix. Il y a là, à mon sens, une action importante à mener.

Depuis, nos partenaires du service public de l'emploi, notamment l'ANPE, les missions locales et les services de l'Etat, nous ont demandé de venir sensibiliser, former, c'est-à-dire étendre notre méthode à d'autres structures. Actuellement, nous menons notre action au sein des missions locales, des permanences d'accueil, d'information et d'orientation (PAIO) et des services de l'ANPE.

Quel est le bilan de ces actions en 2003 ? Nous n'en sommes qu'à la moitié du plan. Nous avons beaucoup progressé entre 2000 et 2002, période pendant laquelle la part des femmes dans les secteurs visés a augmenté de 18 % en deux ans et demi. Notre action volontariste a donc bien fonctionné.

Nous sommes en panne en 2003. Pour quelles raisons ?

Le chômage masculin a remonté. Si nous n'avons pas réduit la pression politique
- nécessaire pour changer les comportements des acteurs -, le chômage masculin ébranle les convictions égalitaires de nos agents. Face à un retour du chômage masculin massif, sans un discours permanent de mobilisation, les gens de terrain ont l'impression que le chômage des femmes est moins important. En devenant massif, le chômage devient moins féminin en termes d'affichage.

M. Thomas Delourmel : La concurrence sur un même emploi s'accentue entre les hommes et les femmes.

Mme Patricia Bouillaguet : On l'a vu dans la mobilisation de nos professionnels de l'AFPA : dès que le chômage des hommes augmente et que la composante féminine passe au second plan - le chômage féminin étant structurel et celui des hommes conjoncturel -, c'est le métier industriel, donc masculin, qui est visé. La montée du chômage est plus masculine que féminine.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Que voulez-vous dire ?

Mme Patricia Bouillaguet : Quand on analyse les mouvements du chômage sur trente ans, ces phénomènes sont récurrents. Les périodes de crise sont des périodes de chômage masculin, parce que c'est d'abord du chômage industriel qui augmente et que l'emploi industriel est plus masculin que féminin. En période de chômage massif, le chômage se masculinise.

Par conséquent, pour les professionnels du service public de l'emploi, le problème de l'égalité professionnelle avait tendance à passer au second plan. Il a fallu remobiliser nos troupes. Nous avons signé un accord avec l'ANPE en 2003, parce qu'il fallait aussi remobiliser les équipes.

Faire en sorte qu'un plus grand nombre de femmes entrent dans les formations qualifiantes non traditionnelles suppose une connivence avec l'ANPE. Nous avons donc relancé le dispositif avec des objectifs chiffrés et en stimulant nos managers, car le doute s'était installé sur sa pertinence et sa priorité. Le chômage devenant massif et masculin, le poids relatif du chômage des femmes n'en devenait que plus faible. C'est un problème mathématique.

Mme Claude Greff : Le chômage des femmes est plus dilué.

Mme Patricia Bouillaguet : C'est cela. Comme il est plus dilué, on pourrait se demander  : est-ce encore une priorité ?

Au cours de l'année 2003, en raison de la remontée du chômage, nous sommes restés stables sur l'atteinte de nos objectifs.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Cela expliquerait que dans toutes les négociations et les accords, l'égalité professionnelle ne fasse pas partie du contexte. C'est grave.

Mme Patricia Bouillaguet : Le sujet de la formation professionnelle est en négociation depuis 18 mois et celui de l'égalité professionnelle n'est arrivé sur la table que très tard, dans les derniers mois de la négociation. Pendant près d'un an, ce sujet n'a pas été affiché par les partenaires sociaux.

Mme Danielle Bousquet : Ce n'était pas une de leurs préoccupations.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Cela me pose problème que ce ne soit pas une priorité pour les partenaires sociaux. En fait, ce n'est une priorité pour personne et c'est inquiétant.

Mme Patricia Bouillaguet : Le service public de l'emploi a fait de l'égalité professionnelle une priorité depuis de nombreuses années. La stratégie européenne pour l'emploi et l'orientation politique de la Communauté européenne à ce sujet y a beaucoup contribué. Le thème de l'égalité professionnelle est un thème pris en compte de façon assez structurelle dans l'action du service public de l'emploi.

Mme Claude Greff : Mais il passe aujourd'hui au second plan.

Mme Patricia Bouillaguet : Il y a des moments où il est plus ou moins fort. Mais on ne peut pas dire qu'il ne s'en préoccupe pas. Il y a une volonté permanente du service public de l'emploi de rendre le marché du travail plus égalitaire entre les hommes et les femmes, mais avec des intensités d'action qui peuvent varier.

Mme Claude Greff : Mais cela ne constitue pas la priorité.

Mme Patricia Bouillaguet : Lorsque l'on est un acteur du service public de l'emploi, on doit lutter contre toutes les inégalités d'accès au marché du travail. Il y a certes le problème de l'égalité professionnelle homme-femme. Mais d'autres publics, comme les handicapés, sont aussi défavorisés dans l'accès à l'emploi. Le service public de l'emploi doit faire face à de nombreux publics prioritaires et englober l'ensemble des priorités qui sont celles des Gouvernements. Je ne serai donc pas aussi sévère. L'égalité professionnelle a toujours été une priorité, mais, face à un chômage massif, elle est peut-être moins prioritaire que dans une conjoncture moins difficile.

Mme Claude Greff : Vous parliez à l'instant des personnes handicapées. Vous allez donc élaborer plusieurs secteurs dans votre plan ? Les hommes, les femmes, les handicapés...

Mme Patricia Bouillaguet : ... les bénéficiaires du RMI. Nous nous sommes fixés des objectifs.

Mme Claude Greff : C'est révélateur !

Mme Danielle Bousquet : Les catégories hommes et femmes sont-elles distinctes de celles des handicapés, etc. ? La problématique hommes-femmes n'est tout de même pas de même nature que celle des handicapés et des personnes âgées !

Mme Claude Greff : C'est la raison pour laquelle j'ai souligné ce point.

Mme Patricia Bouillaguet : C'est un problème de rationalisation des moyens d'intervention de l'Etat sur le marché du travail, qui ne sont pas illimités. Ce qui justifie l'intervention de l'Etat sur le marché du travail, ce sont des politiques correctives. Or, dans ces politiques correctives, il y a effectivement l'égalité professionnelle, qui n'est pas à mettre sur le même plan, car les femmes ne sont pas une catégorie spécifique. C'est la moitié de l'humanité.

Mme Danielle Bousquet : Elles peuvent aussi être vieilles et handicapées.

Mme Patricia Bouillaguet : Il n'empêche qu'un Gouvernement se donne des priorités que les acteurs chargés de mettre en œuvre la politique de l'emploi doivent traduire en actions.

Chaque année, le service public de l'emploi se donne des objectifs de baisse du chômage - ce qui est déjà une bonne méthode de travail - ; ces objectifs sont quantifiés et suivis mensuellement. Nous avons ainsi chaque année un objectif de baisse du chômage des femmes. Nous le déclinons dans chacune des régions et faisons en sorte que les moyens d'action permettent d'atteindre le résultat. Tous les programmes du service public de l'emploi depuis cinq ans incluent cet objectif de baisse du chômage des femmes. C'est un objectif prioritaire depuis de nombreuses années avec des résultats chiffrés.

Quelles sont les relations entre les employeurs et les femmes qui s'engagent dans les nouveaux métiers autrefois masculins ?

Toutes nos formations qualifiantes comportent une période d'application en entreprise. Nous mettons à profit cette période de trois à quatre, voire huit semaines pour certaines formations, pour travailler à lever les tabous et pour que cette période d'application en entreprise ait un effet pédagogique et de levier sur l'employeur.

Pour travailler sur les champs professionnels des femmes et les diriger vers des métiers où elles n'ont pas été forcément orientées, nous avons mis au point des actions pédagogiques de découverte des métiers, où sont largement impliquées les entreprises. Pendant cette période, nous allons faire découvrir aux femmes des métiers auxquels elles n'avaient pas pensé, tels que ceux du bâtiment.

M. Thomas Delourmel : Nous mettons en place la prestation avant l'acte d'orientation et avant l'établissement d'un programme de formation. Toutes les représentations sur les métiers peuvent tomber grâce à ces actions. Nous avons un premier levier en amont.

Mme Patricia Bouillaguet : Nous organisons des périodes d'immersion des femmes dans les entreprises. Elles sont mises en contact avec leurs collègues masculins.

Voilà pour notre méthode de travail en vue de diversifier les choix professionnels.

Comment aider ces femmes ?

Nous avons noué sur le terrain des partenariats avec des organismes spécialisés dans l'accompagnement des femmes : l'Union Retravailler nous aide beaucoup sur le terrain et le Centre national d'information des droits des femmes et des familles (CNIDFF) nous aide dans la prise en compte du hors-formation, qui est aussi important dans la réussite du parcours.

Pour une femme, s'orienter vers un métier masculin n'est pas toujours facile à faire admettre à la famille. Il est souvent nécessaire - l'Union Retravailler et le CNIDFF le font très bien - d'avoir une action auprès de la famille, afin que le projet de la femme ne soit pas bloqué. C'est un travail d'accompagnement nécessaire en amont et pendant le parcours.

Ensuite, il faut faire en sorte que le parcours réussisse et que la personne n'abandonne pas pour des raisons extérieures, telles que le logement ou la garde d'enfant. L'environnement de la formation fait partie des éléments de la réussite. Comme ce n'est pas notre métier, nous nouons des partenariats avec le CNIDFF et l'Union Retravailler, qui aident les femmes pendant leurs parcours en formation qualifiante, voire même, à leur demande, les accompagnent dans l'emploi.

Mme Claude Greff : Qui finance ces actions ?

Mme Patricia Bouillaguet : Nous avons beaucoup d'aides du Fonds social européen (FSE). Si nous arrivons à monter des parcours compliqués supposant une mise en place de moyens non classiques de formation pour lesquels nous n'avons pas de financement, c'est parce que ces réseaux ont aussi des moyens financiers que nous conjuguons.

Mme Danielle Bousquet : Des contrats de plan Etat-Région ont été montés à cette fin et nous avons reçu des fonds de l'Union européenne.

Mme Patricia Bouillaguet : Les programmes européens aident beaucoup. Je tiens à souligner qu'ils ont permis de changer la situation en France. Je ne dis pas que la France ne l'aurait pas fait seule, mais je pense que la pression européenne et les moyens financiers mis en œuvre par l'Union européenne ont certainement permis d'accélérer un certain nombre d'évolutions en France. Elles n'auraient pas été aussi importantes si nous n'avions pas eu cet appui.

Mme Danielle Bousquet : Dans le précédent contrat de plan Etat-Région, les préfets de région, lors de la constitution des DOCUP, ont lancé des appels d'offres indiquant qu'il fallait inscrire des opérations concernant les femmes. Nous avions des trames. C'était une quasi-obligation. Nous avons demandé au chargé de mission et au CIDF dans les départements d'imaginer des opérations de formation et d'accompagnement des formations avec des solutions innovantes de gardes d'enfants, etc.

Je me rappelle avoir moi-même écrit de tels documents pour le contrat de plan Etat-Région.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il y a également des mesures prises dans le cadre des commissions de la formation professionnelle des régions où, depuis quelques années, on travaille systématiquement sur l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Mme Danielle Bousquet : L'Union européenne ayant provisionné des crédits à cet effet, il fallait donc les utiliser, dans le cadre des contrats de plan Etat-Région, sur le volet du financement européen.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Y avait-il obligation de retour d'informations ?

Mme Patricia Bouillaguet : Oui. L'Union européenne est très exigeante - elle a raison - sur la traçabilité des actions, l'obligation de résultat et le rendu de comptes. L'AFPA est régulièrement contrôlée par le FSE.

Mme Claude Greff : Toutes les régions pouvaient-elles en bénéficier ?

Mme Patricia Bouillaguet : Oui, c'est un programme FSE III qui concerne toutes les régions.

M. Thomas Delourmel : L'intégralité du plan qui vous est présenté aujourd'hui est cofinancé par le FSE.

Mme Patricia Bouillaguet : Vous m'avez demandé quels sont les secteurs faisant preuve d'ouverture et ceux qui sont les plus difficiles ?

Le secteur le plus ouvert est celui du bâtiment, avec lequel nous avons signé des accords, aussi bien avec la Fédération française du bâtiment (FFB) qu'avec la Confédération artisanale des petites entreprises du bâtiments (CAPEB). La mobilisation du bâtiment en faveur de l'égalité professionnelle, de la diversification des métiers et de l'ouverture des métiers aux femmes ne se rencontre dans aucun autre secteur.

Nous venons de signer un accord entre l'ANPE, l'AFPA et la Fédération du bâtiment pour une qualification dans le secteur du bâtiment, incluant le sujet de l'égalité professionnelle.

Nous avons bien réussi notre plan dans les métiers du bâtiment, car nous ne rencontrons aucun problème d'insertion par la suite. Il est intéressant que ces secteurs s'ouvrent sur les métiers de base du bâtiment. Nous visons les niveaux 5 et 4, c'est-à-dire les premiers niveaux de qualification. Nous n'avons pas ciblé le gros œuvre, mais les métiers du bâtiment de second œuvre et de finition, c'est-à-dire maçon, carreleur. Ces métiers intéressent les femmes. Certaines ont même saisi l'occasion pour créer leur entreprise.

Mme Claude Greff : Même dans la décoration ou dans le carrelage, le bâtiment est très demandeur.

Mme Patricia Bouillaguet : Exactement. La branche avec laquelle nous n'avons pas réussi est la métallurgie, alors que cette industrie manque aussi de main d'œuvre. Nous n'avons pas réussi à monter des opérations portes ouvertes, dans lesquelles les entreprises s'investissent. Je n'ai pas d'exemple flagrant d'opération de grande envergure dans le secteur de la métallurgie.

Mme Claude Greff : Ce secteur ne nécessite pourtant pas une force particulière.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Dans ma circonscription, le groupe PSA Peugeot Citröen fait parfois des demandes de main d'œuvre féminine.

Mme Patricia Bouillaguet : La métallurgie dans sa globalité n'est pas un secteur avec lequel, contrairement au bâtiment, nous avons pu vraiment engager partout des opérations de fond, longues et répétitives, avec un engagement à tous les niveaux, du national jusqu'au local.

Vous avez raison de dire que certains constructeurs automobiles comme Peugeot et Citroën ont ouvert leurs emplois de fabrication aux femmes pour faire face à leurs besoins de recrutement. Mais c'est le fait de constructeurs et non de la branche.

Une autre branche très active est celle du transport, notamment le transport urbain et le transport scolaire. Nous avons passé de nombreux accords avec des entreprises de transport pour former des femmes aux métiers du transport urbain. C'est une profession qui s'ouvre beaucoup aux femmes et qui leur convient aussi en termes de conditions de travail.

J'en viens au dernier sujet, celui de l'accord interprofessionnel sous l'angle de l'égalité professionnelle et des améliorations qui pourraient y être apportées.

A propos du droit individuel à la formation (DIF), il y a un point dommageable dans l'accord qui peut pénaliser davantage les femmes que les hommes : ce droit individuel n'est pas transférable. Tel qu'il a été négocié et transposé dans l'accord, il ne permet pas de donner un sens concret à la formation tout au long de la vie. Ce droit doit être utilisé dans l'entreprise. Une personne qui change d'entreprise...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : ... perd son droit.

Mme Patricia Bouillaguet : ... Elle ne peut l'utiliser que pendant la période de préavis, si elle est licenciée. Je trouve cela dommage.

Mme Danielle Bousquet : Ce n'est donc pas un droit de tirage lié à la personne, mais à l'entreprise.

Mme Patricia Bouillaguet : Ce n'est pas un compte. Il y a des logiques institutionnelles, des logiques de branche qui peuvent aller à l'encontre de l'intérêt de l'individu.

Aujourd'hui, les partenaires sociaux, dans le champ de la formation professionnelle, sont très organisés autour des branches. Organiser l'interprofessionnel dans ce contexte-là est très compliqué. Si l'on en avait fait un vrai droit individuel, les gens auraient accumulé des droits qu'ils pouvaient garder et faire valoir à n'importe quel moment de leur vie.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Cela serait plus logique.

Mme Patricia Bouillaguet : Les partenaires sociaux se sont arrêtés en cours de route, puisque ce droit ne peut être utilisé que dans l'entreprise ou au moment d'un licenciement. On ne peut pas l'emporter avec soi et l'utiliser quand on le souhaiterait, y compris dans d'autres emplois. C'est rattrapable dans la mesure où l'on ne quitte pas la branche, puisqu'une personne qui change d'emploi au sein de la même branche peut faire valoir son droit individuel à la formation au travers des fonds mutualisés.

Mais la plupart des métiers féminins sont par définition transverses. Le métier de secrétaire n'est pas propre à une branche professionnelle. Une femme peut être secrétaire dans l'agroalimentaire, puis dans la métallurgie. Elle ne pourra pas emmener son droit.

Le droit individuel à la formation prévu par l'accord n'est pas allé jusqu'au bout de la logique. Le caractère interprofessionnel n'est pas organisé.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Peut-on imaginer que le Gouvernement puisse améliorer le texte ?

Mme Patricia Bouillaguet : C'est une question délicate. Le souci du Gouvernement était que tous les partenaires sociaux signent - ce qui est une grande première - pour limiter la loi à l'extension de l'accord et ne pas aller au-delà. Le choix a été fait de respecter l'accord.

Mme Danielle Bousquet : Le projet de loi va retranscrire l'accord, mais on peut envisager des amendements.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : S'il y avait un tel amendement, quelle serait la réaction des partenaires sociaux ?

Mme Patricia Bouillaguet : Les partenaires sociaux sont très attachés à la logique de branche professionnelle. Dès lors que vous créez un droit individuel, cela signifie que des compétences peuvent être transférées d'un secteur à un autre. Or, notre système de formation professionnelle est construit autour des branches professionnelles. Créer un droit individuel transférable à tout moment dans le temps reviendrait à donner la primauté à l'interprofessionnel sur le professionnel. C'est un sujet délicat dans les négociations sociales en matière de formation professionnelle.

Mme Danielle Bousquet : En quoi cela se fait-il au détriment des femmes ?

Mme Patricia Bouillaguet : Les femmes sont plus souvent dans les métiers transverses que dans les métiers au cœur d'une branche. Un homme électricien pourra toujours être dans la branche, tandis qu'une femme exerçant un métier transverse se retrouvera en permanence hors de la branche.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Quels arguments seraient avancés pour ne pas accepter un tel amendement ?

Mme Patricia Bouillaguet : Chaque branche veut contrôler l'usage de ses fonds. Or, la collecte des fonds de l'obligation légale des entreprises est organisée par branche. Ce sont des sommes considérables. Organiser l'interprofessionnel signifierait construire un fonds mutualisé au-dessus des branches.

Par ailleurs, toute la réforme est tournée vers le les contrats à durée indéterminée et le temps plein. Or, on sait que les femmes sont plus concernées que les hommes par les contrats à durée déterminée et par le temps partiel. Leur accès au droit à la formation est plus limité. C'est donc un problème récurrent depuis la loi de 1971. De ce point de vue, le nouvel accord n'améliore pas la situation.

Un autre problème est celui du co-investissement. Lorsqu'il s'agit de formations conduisant à une qualification, il me semble normal qu'il y ait une coresponsabilité de l'entreprise et du salarié dans le financement et dans l'effort. Je pense qu'il est bien d'avoir renforcé le co-investissement dans l'accord.

Le seul problème, c'est que le co-investissement sera réalisé pratiquement par du temps hors temps de travail. Cela aurait pu être du co-investissement en argent. Mais, c'est le co-investissement en temps qui va être privilégié.

Or, l'usage du temps hors travail entre les hommes et les femmes n'est pas mobilisé de façon identique. Autant le co-investissement en temps peut s'organiser - et s'organisera - pour les hommes, autant je ne sais pas ce qu'il restera hors temps de travail pour que les femmes se forment.

J'ai essayé de sensibiliser sur ce dernier point, en demandant ce que signifiait pour une femme de se former hors temps de travail, alors qu'elle a encore un temps contraint très fort pour les tâches domestiques. Même si l'on tend vers plus de mixité, les enquêtes de l'INSEE montrent que les tâches domestiques ne sont pas encore complètement partagées.

Mme Danielle Bousquet : En vingt ans, les hommes accomplissent 7 % de tâches ménagères en plus !

Mme Patricia Bouillaguet : Il suffit de regarder les statistiques de l'INSEE. Le hors temps de travail ne s'organise pas de la même manière pour les hommes et les femmes. C'est un point problématique pour l'égalité professionnelle : quand les femmes trouveront-elles le temps d'investir hors temps de travail dans leur formation ? Elles devront forcément le faire pour accéder aux formations qui leur permettront de progresser dans leur vie professionnelle.

Mme Danielle Bousquet : Il faut mettre en avant que c'est contraire à la constitution des familles. Cela va favoriser les femmes célibataires. Les femmes mariées en charge d'enfants ne pourront pas accéder à ces formations.

Mme Patricia Bouillaguet : L'AFPA devra repenser son organisation pour pouvoir former hors temps de travail, voire le samedi. C'est vrai que les outils de formation à distance peuvent nous aider, mais on ne peut pas tout faire à distance.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Si l'on ajoute le samedi dans le temps de travail, comment vont faire les femmes ?

Mme Danielle Bousquet : L'accord n'apporte pas de réel progrès pour les femmes ; il y a même une dégradation pour les femmes dès lors que l'on parle de co-investissement.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je reconnais que, s'agissant de formation individuelle, je n'avais pas supposé que ce droit ne soit pas interprofessionnel.

M. Thomas Delourmel : Nous vous remettons des documents plus centrés sur l'AFPA, sur l'égalité et sur quelques exemples concrets d'opérations conduites en région, pour partie cofinancées par le FSE. Nous avons aussi travaillé sur les questions d'orientation de deux sujets qui nous paraissent essentiels, dont le rapprochement entre l'AFPA et le CIDFF. Pourquoi, comment et avec quels objectifs ?

Mme Danielle Bousquet : Dans tous les départements ?

M. Thomas Delourmel : Oui. Nous avons signé une convention nationale en avril 2003.

Avec l'Union nationale Retravailler, nous avons construit un observatoire et un plan de travail 2003 portant uniquement sur la question de l'orientation et de l'élargissement des choix. Nous avons aussi adressé aux chefs d'entreprise un support sur la question des femmes exerçant des métiers dits masculins. Nous vous remettons une cassette de témoignages de femmes qui se sont orientées vers des métiers dits masculins.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Etes-vous consultés dans les négociations engagées sur l'égalité professionnelle?

Mme Patricia Bouillaguet : Non, nous n'avons pas été consultés. J'espère que le service des droits des femmes est consulté.

M. Thomas Delourmel : Nous avons été associés à la réflexion sur le fait que les institutions publiques devaient aussi investir du temps et travailler sur la question de l'égalité au niveau des salariés des institutions. Nous avons rebondi et signé un accord avec les syndicats.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Mais dans les négociations ?

M. Thomas Delourmel : Non.

Mme Patricia Bouillaguet : Nous ne sommes pas du tout associés à ces négociations.

Mme Danielle Bousquet : En tout à cas, on peut vous féliciter. Pour avoir fréquenté l'AFPA, je sais que cet organisme était à une époque d'une misogynie extrême. C'est une évolution très intéressante. Les femmes étaient laissées pour compte. Il y avait une différence entre l'emploi et la formation. L'identité culturelle est très intéressante.

Mme Patricia Bouillaguet : Je vois cette évolution au travers des mentalités. Quand j'ai présenté devant mes directeurs régionaux ce plan pour l'égalité professionnelle en 1999, j'ai obtenu au mieux une réaction d'indifférence, au pire une plaisanterie machiste. C'était difficile, car on était à contre-courant. Trois ans plus tard, on voit déjà les évolutions dans les mentalités, y compris celles des formateurs. Il ne faut jamais laisser tomber la pression et il faut travailler dans la durée.

Mme Danielle Bousquet : Ce sont des volontés politiques qui se réaffirment.

Mme Patricia Bouillaguet : Elles doivent se réaffirmer en permanence, sinon elles disparaissent.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est ce que j'ai dit à M. François Fillon, la semaine dernière, lorsque je lui ai présenté le rapport annuel de la Délégation. On sent de la part des chefs d'entreprises une motivation sur le sujet de l'égalité professionnelle. Je crois donc qu'aujourd'hui, il ne faut pas rediscuter, mais au contraire avancer.

Mme Patricia Bouillaguet : Et il faut saisir toutes les opportunités.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : PSA a signé un accord extraordinaire sur l'égalité professionnelle. Il faut le mettre en avant et ne pas reprendre à nouveau des discussions.


© Assemblée nationale