DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 7

Mardi 20 janvier 2004
(Séance de 18 heures 30)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Benoit Bastard, sociologue, directeur de recherche au CNRS

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu M. Benoit Bastard, sociologue, directeur de recherche au CNRS, sur le projet de loi relatif au divorce.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Dans le cadre de la réflexion menée par la Délégation sur le projet de loi relatif au divorce, qui vient d'être adopté en première lecture au Sénat, nous accueillons ce soir M. Benoit Bastard, sociologue, directeur de recherche au CNRS.

Vos activités de recherche vous ont conduit à étudier déjà, et depuis longtemps, le champ de la famille, à l'occasion notamment des ruptures, la principale étant le divorce, et vous vous êtes penché dans votre dernier ouvrage « Les démarieurs » sur le rôle des professionnels du droit, juges, avocats, médiateurs, vis-à-vis des couples qui s'engagent dans cette démarche.

Saisie du projet de loi relatif au divorce par la commission des lois de l'Assemblée nationale, la Délégation interviendra dans le débat et souhaiterait au préalable vous poser quelques questions générales sur cette réforme.

Les quatre cas de divorce, institués par la loi de 1975, maintenus, mais redéfinis dans le projet de loi, vous paraissent-ils convenir à la diversité des situations familiales ?

Dans quelle mesure, le maintien du divorce pour faute vous paraît-il correspondre à une attente des couples ?

Pensez-vous que les dispositions du projet de loi qui vise à pacifier les conflits, notamment en dissociant les conséquences financières du divorce de la reconnaissance des torts, permettront véritablement d'atteindre cet objectif ?

Les dispositions concernant la prestation compensatoire et l'octroi éventuel de dommages et intérêts vous paraissent-elles suffisantes pour compenser les préjudices subis ?

Quel rôle pourra jouer le recours à la médiation familiale que le juge propose aux époux, avec leur accord ? Quelle peut être l'efficacité d'une injonction du juge à rencontrer un médiateur familial pour une séance d'information ? La médiation ne devrait-elle pas intervenir bien en amont de la procédure de divorce ?

Vous avez travaillé ces dernières années, au plan international, sur les problèmes de régulation des comportements familiaux. Trouvons-nous chez nos voisins des exemples à suivre en ce domaine ?

M. Benoit Bastard : Je me suis attaché à réfléchir au projet de loi en essayant de tenir compte de la question de l'égalité entre les hommes et les femmes, et en me demandant s'il est en phase ou en décalage par rapport aux réalités sociologiques ou pratiques, ce qui recouvre une partie de vos interrogations.

En fait, si l'on revient en arrière jusqu'à la loi de 1975, on voit que la réforme avait précisément pour objet de prendre en compte la diversité des situations familiales et des conceptions de la famille, notamment en introduisant le consentement mutuel. Elle mettait l'accent sur le changement des manières d'être en famille, sur l'émergence de ce que l'on peut appeler « la démocratie familiale », sur le fait qu'il y a plus d'égalité au sein des couples et des familles, que le divorce peut être vu simplement comme une conséquence du « désamour » et, au fond, qu'il pouvait être géré par des couples, par les hommes et par les femmes, d'une manière responsable et autonome. L'introduction de la prestation compensatoire allait dans le même sens en insistant sur la fin de la dépendance d'un conjoint par rapport à l'autre, encore cette idée d'autonomie.

On vit encore pour l'essentiel avec cette loi, même s'il y a eu des aménagements, notamment par rapport à la question des enfants. On peut s'interroger sur son assise sociologique, sur sa mise en œuvre, et sur les améliorations que le projet de loi peut apporter en ce qui concerne la prise en compte de ces questions d'égalité.

Pour ce qui concerne l'accès au divorce, la pratique judiciaire, à partir de la loi de 1975, a mis l'accent sur un « modèle », si l'on parle en sociologue et non pas en juriste, bien sûr - une manière particulière de concevoir la rupture.

Pour les magistrats, le divorce « bien géré », c'est celui dans lequel les parties parviennent à se parler, à s'entendre, leur présentent des conclusions communes. Tout le travail des juges, d'après les études que nous avons pu faire, vise à essayer de promouvoir des solutions consensuelles ; s'ils se présentent d'accord devant eux, les juges aux affaires familiales « félicitent » les conjoints d'avoir réussi à faire cette séparation correctement et encouragent ceux qui n'arrivent pas à le faire.

Dans les modalités pratiques d'application de cette loi, on a beaucoup insisté sur cet aspect de dédramatisation des ruptures, on a cherché à favoriser les ententes et on a insisté sur la dimension d'autonomie économique, de séparation correcte des conjoints. On en voit le prolongement, en matière de prise en charge des enfants, dans le fait que les lois successives ont fait émerger la notion d'autorité parentale conjointe, puis, plus récemment, celle de coparentalité. On retrouve sur la question des enfants ce « modèle » d'un divorce négocié. La médiation va exactement dans le même sens. La médiation familiale, c'est l'expression paradigmatique d'un divorce dans lequel ce sont les parties elles-mêmes qui sont parvenues à une entente et qui, ensuite, vont présenter cette entente devant une institution pour qu'elle soit légalisée. Ce sont ces principes qui ont été favorisés.

Dans la pratique, on voit que ce divorce dédramatisé est extrêmement difficile à réaliser, que le divorce pour faute, bien sûr, est resté à un niveau élevé, que, beaucoup de divorces, même le divorce sur requête conjointe, connaissent un certain niveau de conflictualité. Les travaux des démographes montrent que sont souhaitées des mesures qui permettent la dédramatisation du divorce et la circulation des enfants entre les parents, mais aussi que cela reste difficile à mettre en œuvre et que l'on a encore un nombre d'enfants assez grand qui sont coupés ou risquent d'être coupés d'un de leur parent, en général le père ; de même, au niveau économique, les pensions, on le sait, restent difficiles à payer pour les débiteurs et sont souvent impayées.

Voilà des réflexions sur un plan général. Si l'on regarde maintenant des points plus particuliers, il y a ce même décalage entre ce qui est promu par la loi et ce qui existe en réalité.

En ce qui concerne la prise en charge des enfants, qui n'est sans doute pas l'objet du texte, puisqu'elle est maintenant réglée par la loi sur l'autorité parentale de 2002, il y a une aspiration très marquée dans la loi qui a été votée pour une prise en charge commune des enfants par les deux parents - la coparentalité -. On fait un peu comme s'il y avait presque déjà une égalité des prestations des hommes et des femmes par rapport aux enfants ; on encourage fortement l'hébergement alterné, par exemple, qui devient presque un modèle alors que, dans la réalité, on sait bien qu'une telle égalité des prestations des hommes et des femmes n'est pas du tout réalisée et qu'en pratique les femmes restent, pour l'essentiel, celles qui prennent en charge les enfants au quotidien. Cela ne veut pas dire que les pères ne s'investissent pas plus aujourd'hui qu'ils ne le faisaient dans le passé par rapport à leur rôle de père, mais il reste un déséquilibre extrêmement fort entre les deux parents, même si l'aspiration qui se fait jour dans la loi est celle d'une prise en charge réellement égalitaire.

On peut relever à cet égard un chiffre important de l'étude de l'INSEE publiée l'été dernier : le nombre des familles monoparentales augmente sensiblement et, en dix ans, de 1990 à 1999, on est passé de 14 % de familles monoparentales à 17 %, ce qui est relativement important. Or, dans la plupart de ces familles monoparentales, c'est une femme qui est en charge des enfants, même si le père est présent d'une certaine manière, peut-être plus aujourd'hui qu'il ne l'était par le passé.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je suis assez sceptique sur ce dernier point.

M. Benoit Bastard : Certes, les études des budgets temps montrent que le temps que passent les pères à s'occuper de leurs enfants a très peu augmenté, de quelques minutes par an. En même temps, on ne peut pas s'empêcher de penser - ces études étant très globalisantes - que, dans la pratique, il y a des attitudes, des comportements qui changent. Il y a certainement des changements dans les représentations, dans les attitudes des pères par rapport à leurs enfants qu'il serait intéressant d'étudier, car on ne peut pas juste s'en tenir à la question du temps. Il faut aussi voir comment le modèle de la paternité est vécu. Mais, comme vous, sur le plan pratique, je pense que cela évolue extrêmement lentement.

Mme Hélène Mignon : Quand je repars de Paris par avion, souvent le vendredi vers 17 heures, je suis très étonnée du nombre d'enfants qui prennent l'avion seuls et qui retrouvent leur père à Toulouse. C'est un phénomène tout à fait nouveau par rapport aux années précédentes.

M. Benoit Bastard : Les démographes disent à ce sujet - Mme Villeneuve-Gokalp, chercheure à l'INED, a fait une étude très précise sur ce point - que le nombre des enfants, qui ne voient pas leur père, reste relativement constant dans le temps, mais que ceux qui voient régulièrement leur père le voient plus fréquemment qu'il y a dix ans. Autrement dit, les pères qui se sont investis le sont de plus en plus et, en même temps, on a toujours un même nombre d'enfants qui ne voient pas leur père, soit qu'ils ne l'aient jamais vu, soit qu'il y ait une coupure, soit que le père ait par la suite fait défaut et ait disparu.

Je voudrais parler également de la réalité du règlement économique du divorce. Là encore, d'une certaine manière, on voudrait faire comme si l'égalité était présente, comme si les femmes, du fait qu'elles ont plus souvent un emploi rémunéré, sont capables d'avoir une autonomie véritable. Certes, beaucoup d'entre elles ont des emplois, et cette indépendance plus grande se marque dans le fait que le nombre des prestations compensatoires - d'un peu plus de 10 % - est assez faible. C'est donc le signe qu'il y a une autonomie des femmes. Mais, en même temps, on sait bien que cette autonomie se paie cher, que les femmes ont des statuts moins favorables que les hommes sur le plan du travail, que ce sont elles qui sont confrontées aux problèmes de conciliation entre emploi et prise en charge des enfants, puisqu'elles restent les principales personnes à prendre en charge les enfants.

J'ai dit que les pensions sont mal payées. Dans une étude récente de l'INSEE, on relève qu'un nombre croissant de familles monoparentales ont à leur tête une femme jeune et qu'elles sont aujourd'hui particulièrement vulnérables. Là encore, il y a plus d'autonomie des femmes dans un certain sens, mais en même temps il reste des vulnérabilités importantes. Il y a également les situations, dont ont parlé les rapporteurs au Sénat, de femmes plus âgées qui n'ont pas travaillé pendant une certaine période. Aux deux extrêmes, on trouve de grandes vulnérabilités.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Connaissez-vous la répartition entre hommes et femmes du nombre de familles monoparentales ?

M. Benoit Bastard : Il y avait en France 1 495 000 familles monoparentales en 1990. Dans 86 % de ces familles, le parent seul est une femme.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Y a-t-il une progression ou non du nombre d'hommes au sein des familles monoparentales ?

M. Benoit Bastard : Non. La proportion des pères au sein des parents de famille monoparentale s'est stabilisée à 14 %.

Mme Hélène Mignon : Ce sont surtout des veufs et très peu de divorcés. Mais il est vrai que l'on en voit un peu plus qu'il y a quelques années. C'est tout de même très minoritaire.

M. Benoit Bastard : On peut dire qu'il y a un décalage sur tous les plans. On voudrait un divorce pacifié et dédramatisé, mais on voit que le taux du niveau de la conflictualité reste très élevé.

On voudrait que les conjoints soient également présents auprès des enfants et on voit que l'on en est loin.

On voudrait autant d'autonomie chez les femmes que chez les hommes, mais on voit que sur ce plan il y a encore un écart très grand.

Pour finir, je m'intéresserai à la question de savoir en quoi le projet de loi va apporter des modifications. Peut-on notamment penser que ce projet, s'il est adopté en l'état, va, d'une certaine manière, rapprocher les pratiques de la réalité sociale ? Va-t-on avoir une loi plus réaliste ?

Pour répondre à une des questions que vous avez posée, son équilibre général reproduit et réaffirme celui de la loi de 1975, dans le sens de la même reconnaissance de la pluralité des formes d'accès au divorce correspondant à la pluralité des conceptions de l'union ou des pratiques des conjoints. De ce point de vue-là, on ne peut qu'adhérer à ce qui est proposé.

La simplification du consentement mutuel va dans le sens de reconnaître cette capacité qu'ont certains couples de s'organiser par eux-mêmes au moment du divorce. De ce point de vue-là, on peut penser que c'est quelque chose qui va fonctionner. Peut-être ira-t-on plus loin dans une prochaine étape. Je sais que l'idée du divorce sans juge a été abandonnée. Je pense qu'elle reviendra à l'ordre du jour un peu plus tard.

Je n'y suis pas défavorable au vu des observations que j'ai menées sur le travail des juges au cours des audiences, il y a quelques années. En effet, lorsque les parties leur présentent une convention de divorce sur requête conjointe, les juges font très peu d'investigations. Cela peut dépendre des juridictions et la région parisienne diffère de la province. Alors qu'on dit quelquefois que les juges n'ont pas le temps, certains juges disent que, s'ils avaient plus de temps, ils ne feraient pas plus d'investigations dans certaines situations. En effet, si vous avez l'impression que les parties sont d'accord et que les solutions qu'ils préconisent sont correctes et équitables, - à première vue, le juge dispose de peu d'éléments - certains juges ne souhaitent pas entrer dans les détails, car ils pensent qu'ils risquent de raviver des discussions qui n'ont plus lieu d'être.

Mme Geneviève Levy : J'ai une expérience un peu différente. Je vous parle d'une province dont le TGI est particulièrement surchargé et où les demandes de magistrats sont importantes. Ce n'est donc pas un tribunal qui a le temps. Beaucoup de personnes confrontées à ce stade de la procédure m'ont dit : comment se fait-il, alors que l'on pensait que tout serait réglé rapidement, que le juge nous fasse revenir et nous pose des tas de questions ? C'est un phénomène qui n'est pas marginal. Il est très difficile d'avoir un jugement de valeur, mais je pense que les deux extrêmes ne sont pas bons dans ces cas. En fait, on se rend compte très vite que, d'un climat où il n'y a pas de tension, on peut en faire naître. Il y a toujours une petite limite à ne pas dépasser, et on ne sait pas où elle se trouve. Donc, il faut se poser la question de savoir quelle est la juste voie que peut prendre un texte dans ce domaine. Cela me paraît très délicat.

M. Benoit Bastard : Vous avez raison. Certains juges peuvent être insistants aussi, mais je crois que l'on peut aussi faire confiance aux magistrats dont je parlais, qui entrent moins en discussion avec les conjoints, pour poser les bonnes questions ; au moment où un niveau de pension pour un enfant leur apparaît trop bas, ils vont bien dire : pensez-vous, Madame, que c'est raisonnable d'accepter un niveau aussi bas ? Ils vont s'apercevoir à ce moment-là qu'il y a des raisons. Dans l'avenir, s'il s'agit d'un consentement mutuel, ils demanderont une deuxième comparution, puisqu'ils pourront encore le faire.

Je pense qu'on peut faire confiance aux juges pour trouver des adaptations. Je pense que, sur le fond, cette simplification du divorce est attendue par une partie des conjoints. Si vous prenez les sondages à propos de la question du divorce sans juge, sur un taux de réponse extrêmement fort, 81 % de personnes tout public étaient favorables à cette simplification.

Les gens veulent quelque chose, mais peut-être ne sont-ils pas capables de le réaliser non plus. Il y a cette idée qu'ils peuvent le faire eux-mêmes et, en même temps, on sait bien que tout une partie des couples ont de grandes difficultés à réussir à mettre fin de façon négociée à un conflit.

Mme Geneviève Levy : En dehors de l'aspect matériel, il y a aussi l'aspect purement psychologique. En effet, peut-être faut-il, à un moment donné, savoir aller un peu plus loin, et, comme on dit savoir faire son deuil au moment de la perte de quelqu'un, faire son deuil d'une vie commune. Peut-être qu'un divorce trop simplifié risque de faire passer sous silence cette phase du vide. De même, trop de recherches du petit détail, risquent de remettre en cause l'accord qui était intervenu. C'est pourquoi je dis que la voie doit être très étroite et qu'elle n'est pas facile à trouver pour le législateur.

M. Benoit Bastard : En ce qui concerne le divorce pour faute, son maintien m'apparaît raisonnable, avec les réserves qui sont incluses dans le projet de loi, à savoir que l'on cherche, d'une certaine façon, à en restreindre l'accès. Certains conjoints considèrent en effet que des torts très caractérisés leur ont été faits et souhaitent pouvoir recourir à ce type de procédure. Aujourd'hui, ceux qui y recourent n'y trouvent pas toujours les réponses qu'ils en attendent et cela ne va pas changer, parce que - je l'ai dit - ce modèle du divorce dédramatisé est tellement prégnant que les magistrats ne souhaitent pas entrer trop vite dans le règlement tranché d'un conflit et préfèrent essayer toutes les voies qui vont permettre d'avoir des accords sur les effets du divorce ou de le pacifier. Ce maintien du divorce pour faute paraît d'autant plus important que l'on insiste en même temps sur la question de la violence des hommes sur les femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : On a trop tendance aujourd'hui à dire que les hommes sont violents. Ce n'est pas que je veuille prendre la défense des hommes, mais il ne faut pas non plus minimiser celle des femmes.

M. Benoit Bastard : Elles exercent sans doute d'autres violences que celles des hommes. L'étude ENVEFF, annexée au rapport du Sénat, montre cependant l'importance de ce phénomène de violence des hommes contre les femmes.

Mme Hélène Mignon : Les hommes qui se font battre ne vont pas le clamer sur tous les toits.

M. Benoit Bastard : Du point de vue de l'équilibre du projet, il est important de rendre « attractif » les autres voies d'accès au divorce, qui sont revivifiées. Cela devrait permettre de mieux recouvrir la diversité des situations. Il reste à voir en pratique l'application de ce nouveau texte, car il faut se souvenir que la loi de 1975 n'a pas été réalisée dans toute son ampleur. Par exemple, en ce qui concerne la prestation compensatoire, je ne peux dire si les transformations de l'attribution des dommages et intérêts simplifieront cette pratique ; il faudra voir. Sur le plan économique, pour moi, les choses restent difficiles à lire. Il y a une hésitation entre le projet initial de 1975 selon lequel la prestation compensatoire règlerait une situation - les anglais parlent de « clean break » - et la pratique qui a tiré les choses du côté de ce qui ressemblait à nouveau à une pension. On est alors revenu en 2000 à une réaffirmation de l'ancien principe avec des aménagements. Maintenant, on fait encore autre chose. Il semble qu'il y ait une sorte d'opposition entre les partisans du débiteur - qui veulent lui donner la possibilité de refonder une famille - et ceux des créanciers qui souhaitent le maintien du niveau de vie de la première famille.

Il faut cependant souligner un point qui figure à plusieurs reprises dans les travaux préparatoires du texte : cette inégalité, qui reste forte dans les longs mariages, du fait que ne sont pas partagés les avantages accumulés par un conjoint à travers une carrière et ceux des droits à la retraite. En France, ces droits ne font pas l'objet de partage, alors qu'ils le sont en Allemagne, en Suisse, en Californie. C'est quelque chose qui pourra être revu dans l'avenir.

Le dernier point que je voulais évoquer porte sur la question des enfants qui n'est pas prise en compte au premier chef dans le présent projet.

On se demande, d'un point de vue de sociologie du droit, s'il n'y a pas maintenant un étrange hiatus. D'un côté, avec ce projet de loi, on réaffirme la pluralité des modes d'accès du divorce, on prend bien en compte la diversité des manières d'être en couple et en famille, tandis que, de l'autre côté, avec la loi sur l'autorité parentale de mars 2002, on arrive en fait à un modèle de plus en plus fort d'autorité parentale partagée, d'obligation de s'entendre, de coparentalité. D'un côté, on a la diversité et, de l'autre, on a une modalité de plus en plus affirmée. Je ne suis pas le seul à le souligner ; j'ai entendu Mme Dekeuwer-Défossez le dire récemment. On risque d'avoir des parents qui vont divorcer par consentement mutuel et exercer une coparentalité sans grande difficulté et d'autres parents qui ne parviendront pas à s'entendre, qui seront dans des processus de divorce conflictuel, mais dont on attendra en même temps qu'ils soient capables de coparentalité. Pour ceux-là, ce seront des situations difficiles. Il y a une sorte de tension très forte entre des modèles.

Il faudra regarder comment la pratique pourra gérer ce hiatus.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Certaines personnes auditionnées par la Délégation nous disaient qu'il fallait prévoir un accompagnement des gens qui divorcent. Ce sera très lourd à gérer.

M. Benoit Bastard : Il y aura une contradiction. D'un côté, on considère de plus en plus que ce doit être une affaire privée, que les personnes doivent être capables de se prendre en charge et, de l'autre, on dit que c'est difficile à faire, qu'il faut des capacités que les gens n'ont pas et qu'il faut les accompagner.

Il existe des formes d'accompagnement. La médiation représente la promotion de ce modèle dédramatisé. Les lieux d'accueil pour le maintien des relations enfants/parents sont également intéressants. Ce sont des lieux dans lesquels les parents qui ne vivent pas avec les enfants au quotidien peuvent les rencontrer, sur l'indication d'un juge dans 90 % des cas. Ces associations aident les parents à gérer l'exercice de l'autorité parentale dont ils sont censés être titulaires. Leur action revient à restreindre les possibilités de l'exercice de l'autorité parentale parce que le juge l'a stipulé, alors même que les parents en sont titulaires. Ici, il y a une zone un peu particulière d'accompagnement qui va dans le même sens, celle de promouvoir la circulation des enfants et de permettre à des parents en difficulté, à y accéder.

Mme Hélène Mignon : Par expérience, pour l'avoir vu autour de moi, quand la coparentalité est vraiment assurée par la mère et par le père, c'est vraiment une réussite pour l'enfant. L'enfant se sent aussi bien chez l'un que chez l'autre. Il n'y a jamais eu de phrases déplacées du père ou de la mère à l'encontre de l'autre. J'ai quelques exemples de cas où cela se passe bien, parce qu'il y a cette volonté des deux parents.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Chacun doit s'être reconstruit de son côté.

M. Benoit Bastard : On dit quelquefois que les recompositions d'un côté ou de l'autre rendent plus problématiques le fonctionnement de la circulation des enfants. On peut le voir dans les travaux des démographes sur l'après-divorce. En même temps, la situation que vous décrivez est tout à fait possible.

Mme Hélène Mignon : Je vois aussi le père dire de temps en temps qu'il part seul huit jours avec son fils et pas avec celui de sa compagne. Pour certains cela marche très bien, les enfants sont vraiment épanouis. Mais c'est certainement difficile.

M. Benoit Bastard : Je voudrais encore évoquer la médiation.

On peut penser que la médiation va dans le sens d'un divorce dédramatisé et que les mesures qui ont été prises vont en faire une pratique de plus en plus accessible et banalisée. En même temps, on ne peut pas penser que la médiation va régler tous les problèmes du divorce rapidement et qu'elle puisse être appliquée à toutes les situations. Il y a à la fois intérêt à ce que la médiation se développe et en même temps il faut que l'on sache bien pour quel type de situation elle fonctionne bien et pour quelles autres ce sont des pratiques différentes qui sont indiquées.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je pense que ce texte est très attendu et qu'il sera examiné en séance publique au mois d'avril.

Mme Hélène Mignon : Le nombre de pères qui l'attendent pour régulariser leur droit de visite plus facilement est important.

M. Benoit Bastard : Le projet ne modifie pas fondamentalement l'architecture des choses. Les positions qui sont prises sont mesurées.

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