DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 12

Mardi 6 avril 2004
(Séance de 17 heures 30)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mmes Valérie Ulrich et Jennifer Bué, chargées d'études à la DARES

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- Audition de Mme Marie-Thérèse Lanquetin, membre du réseau d'experts juristes auprès du Bureau de l'égalité des chances de la Commission européenne

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mmes Valérie Ulrich et Jennifer Bué, chargées d'études à la DARES.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Mmes Valérie Ulrich et Jennifer Bué, chargées d'études à la DARES, l'une des directions du ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité chargée de l'animation de la recherche, des études et des statistiques.

La Délégation aux droits des femmes entame aujourd'hui une étude qui me paraît indispensable sur le travail à temps partiel.

Pourquoi avoir choisi ce thème du temps partiel pour notre rapport annuel, après celui de l'égalité professionnelle l'année dernière ?

Je pense que le travail à temps partiel pose de réels problèmes. D'abord en ce qui concerne le choix de ce mode de travail : on parle en effet de temps partiel choisi et de temps partiel subi. Or, même si certaines études récentes font état d'une régression du travail à temps partiel subi, je ne suis pas convaincue que le travail à temps partiel soit réellement un temps choisi.

Par ailleurs, le travail à temps partiel aura des conséquences non négligeables sur la situation des femmes, que ce soit au moment d'un divorce ou au moment de la retraite.

Je pense qu'il est donc de notre devoir, en tant que Délégation parlementaire aux droits des femmes, de poser la question et d'essayer d'en trouver les remèdes.

Je souhaiterais que, dans le rapport que nous élaborerons, on expose les situations réelles, situations qui, dans quelques années, risquent de poser de sérieux problèmes, et que l'on essaye d'en tirer un certain nombre de recommandations. Ensuite, viendra le temps du travail législatif, s'il faut une réponse au niveau gouvernemental, mais aussi, je crois, le temps du travail des partenaires sociaux.

Voilà le contexte dans lequel je souhaite conduire ces auditions. Je suis contente que vous ayez accepté de les ouvrir. En tant que chargées d'études à la DARES, vous faites partie des spécialistes de la question, par les études, les statistiques, les articles que vous publiez et l'ensemble des réflexions que vous avez menées sur ce sujet.

Voilà ce que je souhaitais dire en introduction. Le travail à temps partiel est une de mes grandes préoccupations. On en découvrira les conséquences inquiétantes d'ici dix ou quinze ans, le jour où ces femmes auront 50 ou 60 ans.

Mme Valérie Ulrich : Je vais commencer par vous présenter quelques statistiques sur le temps partiel : d'abord, une comparaison européenne des taux de temps partiel, puis la situation particulière du temps partiel en France.

Je développerai plusieurs aspects : d'abord, l'évolution du temps partiel en France depuis le début des années 1990, puis quelques éléments sur les salariés à temps partiel et leurs lieux de travail.

Je vous parlerai ensuite de la durée du travail des temps partiels ainsi que du temps partiel subi, tel qu'il est connu au niveau statistique. Comme je vous l'ai dit précédemment, Jennifer Bué précisera cet aspect par des résultats d'études qualitatives et statistiques.

Je mets à votre disposition le document sur lequel je m'appuie, car il y a quelques tableaux statistiques qu'il est bon d'avoir sous les yeux.

Nous avons aussi apporté un certain nombre de publications de la DARES sur le sujet, que nous vous laisserons.

D'abord, le temps partiel en Europe. La diffusion du temps partiel est très variable au sein de l'Europe des Quinze, mais partout il est surtout féminin. Il est assez largement répandu en Europe du Nord, notamment aux Pays-Bas, mais aussi au Royaume-Uni, en Suède, en Allemagne et au Danemark. Au contraire, il est assez peu pratiqué en Europe du Sud. Vous pouvez l'observer dans le tableau 1 qui donne les taux de temps partiel pour l'Europe des Quinze et les taux d'activité.

La France, avec un taux de temps partiel de 16,2 % en 2002, se situe un peu en dessous de la moyenne européenne, qui est de 18,2 %, pour l'ensemble des hommes et des femmes.

En France, environ 30 % des femmes actives occupées sont à temps partiel, ce qui la situe un peu en dessous de la moyenne européenne, qui est de 33,5 %. Pour les hommes, il y a 5 % d'actifs occupés à temps partiel en France, contre 6,6 % pour la moyenne européenne.

En ce qui concerne plus particulièrement les femmes, on peut grosso modo en Europe opposer deux situations, même si c'est très schématique : 

- les pays du Sud, caractérisés par un taux d'activité féminine inférieur à la moyenne européenne et un taux de temps partiel assez faible,

- les pays d'Europe du nord, notamment la Suède et le Danemark, où l'on a des taux d'activité féminine très supérieurs à la moyenne européenne et des taux de temps partiel élevés.

C'est assez schématique, car si vous regardez le tableau 2, qui est l'équivalent du tableau 1, uniquement pour les femmes, on constate une très grosse variabilité des taux d'activité des femmes en Europe.

Deux pays connaissent un développement particulièrement important du temps partiel, la Grande-Bretagne, où près d'une femme active occupée sur deux est à temps partiel et les Pays-Bas, où c'est le cas de près de 75 % des femmes.

Entre ces deux modèles très polaires, la France a un taux d'activité des femmes légèrement supérieur à la moyenne européenne et, comme je l'ai dit, un taux de temps partiel légèrement inférieur. Grosso modo, la France est plutôt dans la moyenne européenne.

En ce qui concerne la durée du travail des salariés à temps partiel, l'Italie est le pays où les temps partiels travaillent le plus longtemps, avec une moyenne de 23,8 heures par semaine. La France, avec 23 heures par semaine, la Belgique et la Suède présentent également des durées de temps partiels plus longues que la moyenne européenne. En revanche, cette durée moyenne est assez identique pour les hommes et pour les femmes en Europe.

Il convient cependant de noter que la durée moyenne des temps partiels ne nous révèle pas grand-chose sur la répartition de ces durées. Par exemple, en France il y a plutôt des durées courtes et des durées longues, ce qui donne une durée moyenne de 23 heures, alors que, dans d'autres pays, l'ensemble des salariés a une durée du travail proche de 20 heures.

Pour plus de détails sur le temps partiel en Europe, je vous indique une publication toute récente de la Fondation de l'Amélioration des Conditions de Vie et de Travail de Dublin. Elle est sur internet.

Quelle a été l'évolution du temps partiel en France depuis le début des années 90 ?

En mars 2002, 16,2 % des actifs occupés étaient à temps partiel en France. Ce temps partiel s'est fortement développé à partir de 1992, année de mise en place de l'abattement de 30 % des cotisations patronales pour les emplois à temps partiel.

A partir de 1996, cet abattement pouvant être cumulé avec l'allègement des charges sociales sur les bas salaires - la ristourne Juppé -, cela a accentué le développement du temps partiel.

A partir de 1998, il y a une stabilisation de la part des salariés à temps partiel et, plus récemment, une légère baisse.

A quoi tient cette baisse récente ?

Elle tient à la stagnation du nombre de salariés à temps partiel à partir de 1998 et à une augmentation du nombre de salariés à temps complet du fait de l'amélioration de la conjoncture.

Elle est également liée à l'application des 35 heures, parce que les entreprises passées à 35 heures ont généralement plutôt embauché à temps complet, ce qui a contribué à diminuer la part du temps partiel.

En revanche, il faut noter que le passage du temps partiel au temps complet à l'occasion des 35 heures n'a pas été un phénomène massif.

Aujourd'hui, il n'y a pas un recul suffisant pour mesurer les effets de la suppression de l'abattement par les « lois Aubry ». Les « lois Aubry » ont en effet supprimé l'abattement sur le temps partiel pour les nouveaux contrats à temps partiel, un an après l'abaissement de la durée légale du travail. Les entreprises qui ont des salariés à temps partiel et qui bénéficiaient de l'abattement continuent à en bénéficier, mais les nouveaux contrats n'en bénéficient plus.

Pour résumer, il y a eu une augmentation très importante du temps partiel au début des années 90, puis une tendance à la stagnation et une baisse.

Qui sont les salariés à temps partiel ? Ce sont surtout des femmes, puisque près de 80 % des salariés à temps partiel sont des femmes. En mars 2002, environ 30 % des femmes actives occupées sont à temps partiel, contre seulement 5 % des hommes.

D'un point de vue sectoriel, c'est surtout le secteur tertiaire qui recourt massivement au temps partiel, beaucoup plus que l'industrie ou la construction. Certains secteurs y recourent très massivement : l'éducation, la santé et l'action sociale, les services aux particuliers, parmi lesquels l'hôtellerie et la restauration, secteur où près d'une femme sur deux travaille à temps partiel.

Dans d'autres professions, le temps partiel est très répandu : les agents de nettoyage, les caissières de magasin et les assistantes maternelles.

En ce qui concerne la durée de travail des salariés à temps partiel en France, on a observé une augmentation de la durée moyenne depuis 1995, et, beaucoup plus récemment, à partir de 2001, une baisse de cette durée moyenne. Si l'on regarde plus précisément la répartition de ces durées, on observe un renforcement des durées inférieures à 20 heures, au détriment des contrats à 20 heures, mais aussi un renforcement des contrats entre 26 et 29 heures, au détriment des contrats à 30 heures.

C'est un effet lié à la réduction du temps de travail ; en effet, lorsque les salariés à temps partiel ont été concernés par le processus de réduction du temps de travail dans leur entreprise, le plus souvent ils ont réduit leur durée du travail au prorata de la durée du temps complet, c'est-à-dire de deux ou trois heures.

Il faut noter cependant que, la plupart du temps, ils n'ont pas été concernés par le processus de RTT.

Quelques mots maintenant sur la notion de temps partiel subi.

Cette notion, assez répandue, est souvent liée à une question posée, dans les enquêtes, aux salariés à temps partiel, à savoir s'ils souhaitent travailler davantage. On observe aujourd'hui qu'environ un tiers des salariés à temps partiel aimeraient travailler davantage ; la plupart, soit 75 %, disent qu'ils aimeraient un temps complet.

Il y a eu une petite baisse du temps partiel subi récemment, mais il reste cependant important. Mais, comme Jennifer Bué va vous l'expliquer, le souhait de travailler davantage ne permet pas de caractériser de façon précise le temps partiel subi.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il n'est donc pas exact de dire que, depuis 1998, il y a une baisse du temps partiel subi ?

Mme Valérie Ulrich : Selon cette question et les réponses données à cette question, c'est vrai, mais ce qui est vécu par les salariés en termes de temps partiel subi n'est pas reflété par cette question.

Mme Hélène Mignon : Je me pose la question. Une jeune femme cadre va dire qu'elle a fait le choix de moins travailler et de garder ses enfants, mais en réalité, si l'on va au fond des choses, c'est un temps partiel subi, parce qu'elle a des problèmes de garde d'enfants.

Mme Jennifer Bué : C'est pourquoi ces notions sont extrêmement floues. On a donc essayé de cerner les différents types de temps partiel par un autre biais.

Je vais vous présenter ces différents types de temps partiel, à travers une étude qualitative, que j'ai faite avec deux autres personnes, sur le traitement des temps partiels dans la réduction collective du temps de travail et à travers une exploitation de l'enquête Emploi du Temps, qui demande à chaque personne de noter dix minutes par dix minutes ses activités et dans laquelle, en 1998, j'avais pu introduire une question sur le temps partiel : travaillez-vous à temps partiel ou non ?

On n'avait pas ces données en 1988, lors de l'enquête précédente. Il n'y a donc pas d'évolution sur ces thèmes, mais on peut cependant préciser les notions.

Effectivement, on part de l'idée répandue de temps partiel choisi ou imposé, mais c'est plus compliqué que cela. Il faut aussi différencier ce qui est un réel volontariat d'une acceptation.

Comme vous le disiez, souvent le temps partiel est choisi par les femmes, mais, ce choix tient compte de contraintes extérieures à la vie professionnelle, ce qui fait que l'on peut difficilement parler de choix d'un acteur totalement libre de ses choix.

Nous pensons qu'il est nécessaire de différencier les temps partiels selon le mode d'accès à cette forme d'emploi et, ensuite, selon les marges de manœuvre dans le choix de la durée du travail et de la répartition des temps travaillés.

On a différencié deux types de temps partiel.

D'une part, ce que l'on appelle le temps partiel par décision du salarié ; on l'identifie par une modification du contrat de travail initial ; c'est donc le passage d'un temps complet à un temps partiel.

D'autre part, le temps partiel d'embauche, qui est une embauche directe sur un emploi à temps partiel.

Si l'on confronte ces notions avec la notion de choix, le temps partiel par décision du salarié et modification du contrat de travail est effectivement à l'initiative du salarié. C'est un acte demandé par le salarié pour des raisons diverses.

Seulement, au sein même de ce type de temps partiel par décision du salarié, il faut différencier celui qui est vraiment complètement à l'initiative du salarié et celui qui est incité par l'entreprise ; c'est le cas des entreprises dans lesquelles il y a des restructurations, un plan social, une recherche pour réduire la masse salariale et donc des incitations au temps partiel.

Certains salariés choisissent de modifier leur contrat de travail, mais dans un contexte tel que l'on peut difficilement dire que ce soit vraiment un choix délibéré. La plupart du temps, ces salariés n'auraient pas fait cet acte volontaire s'il n'y avait pas ce contexte de difficultés, par rapport à l'emploi, de licenciement, etc.

On voit donc bien que déjà, dans ce type de temps partiel, il existe des nuances.

Le deuxième type de temps partiel que l'on a différencié est le temps partiel d'embauche, qui concerne des salariés directement embauchés à temps partiel.

Il peut y avoir aussi plusieurs cas de figure. Ce sont en majorité des gens qui prennent un emploi à temps partiel faute de mieux, parce que l'employeur propose un emploi à temps partiel et qu'ils ne trouvent rien d'autres, mais il y a quelques cas où l'on peut considérer que c'est un temps partiel choisi, par exemple les étudiants qui choisissent de travailler à temps partiel pour faire leurs études.

La grosse différence entre ces deux types de temps partiel est que, dans le premier cas, en particulier dans le tout premier cas, il y a possibilité de retour au temps complet, alors que, dans le deuxième cas, qui est le temps partiel d'embauche, il n'y a pas de possibilité de retour au temps complet.

Dans les accords sur le temps partiel, dans les entreprises ou dans l'administration, etc., les salariés qui demandent un temps partiel ont toujours la possibilité, avec quelques petites conditions, mais très souples, de revenir à temps complet.

Dans les cas de temps partiels d'embauche et dans les secteurs que Valérie Ulrich a signalés, en particulier le nettoyage, le gardiennage, les caissières, etc., il n'y a pas de possibilité de passer à temps complet. C'est une grosse différence.

Dans l'enquête Emploi du Temps de 1998, 53 % des salariés à temps partiel sont embauchés à temps partiel. En ce qui concerne les temps partiels choisis, on avait différencié entre temps partiel choisi pour s'occuper des enfants - 28 % des salariés à temps partiel - et temps partiel choisi pour d'autres raisons - 18 % des salariés -.

Cette catégorie de temps partiel choisi pour d'autres raisons concerne en partie (ce sont les études qualitatives qui nous le montrent) des gens qui choisissent le temps partiel pour faire une formation ou une activité associative, ou pour faire quelque chose pour eux-mêmes, mais une grande partie de ces salariés passe aussi à temps partiel pour fuir des conditions de travail pénibles, une usure au travail importante ; passer à temps partiel permet de tenir le coup sur son emploi. Ce sont souvent des facteurs négatifs qui font choisir le temps partiel.

Le deuxième critère pour différencier les temps partiels, c'est la marge de manœuvre que les salariés peuvent avoir pour choisir les modalités de répartition de ce temps, pour choisir à la fois la durée et la répartition du temps travaillé dans la semaine, dans la journée, etc.

C'est une distinction extrêmement importante, car de nombreuses études qualitatives montrent que, lorsque les salariés ont des marges de manœuvre pour choisir l'organisation de leur temps de travail, cela a une grande incidence sur le vécu de ces horaires.

La plupart de ces études portent sur des salariés qui ont des horaires atypiques, donc difficiles à vivre ; et on voit bien que, lorsque le salarié a une marge de manœuvre pour organiser ses horaires en fonction de sa vie personnelle, il vit beaucoup mieux ces horaires atypiques.

Ce qui nous intéresse aussi, c'est de voir dans quelle mesure le temps partiel est vraiment un aménagement du temps de travail permettant de s'occuper des enfants.

On peut dégager quatre situations.

Il y a les temps partiels par décision du salarié, mais avec des modalités accommodantes qui font que le salarié peut choisir le jour non travaillé, etc. Dans l'enquête Emploi du Temps, 33 % des femmes à temps partiel entraient dans cette catégorie.

Il y a ensuite les temps partiels par décision du salarié, mais avec absence de choix de la répartition du temps de travail, donc une répartition du temps de travail définie par l'employeur. Cela concerne 18 % des femmes à temps partiel.

Ensuite, il y a le temps partiel d'embauche, avec des modalités accommodantes, avec choix de la répartition des horaires. Cela concerne 13 % des femmes à temps partiel.

Enfin, quatrième catégorie, le temps partiel d'embauche avec des modalités contraignantes, c'est-à-dire absence de choix de la répartition du temps de travail. Cela concerne un peu plus d'un tiers, soit 36 % des femmes, la plupart étant caissières de supermarché, agents d'entretien, femmes de ménage, etc.

On voit dans cette enquête que c'est uniquement pour un tiers des femmes à temps partiel que cette forme d'emploi représente un aménagement du temps de travail, dans la mesure où elles peuvent choisir la forme d'emploi et la répartition des horaires. Là, on peut véritablement parler de temps choisi ; mais c'est la seule catégorie car, pour plus de la moitié, elles n'ont pas pu choisir les périodes de travail et de non-travail et pour plus d'un tiers, soit 36 %, elles n'ont choisi ni la forme d'emploi, ni la répartition du temps de travail.

Il est intéressant de voir ensuite qui sont ces différents types de salariés à temps partiel. Par parenthèse, je ne vous parle que des femmes, car dans l'enquête Emploi du Temps j'avais un effectif tel que les hommes à temps partiel représentaient un effectif non représentatif.

Qui sont ces femmes ? Ce sont des personnes et des emplois totalement différents.

Pour le temps partiel d'embauche, ce sont surtout des jeunes femmes, qui occupent des emplois peu qualifiés, dans des situations peu stables, avec statut précaire et revenus faibles.

Pour les temps partiels choisis pour les enfants, ce sont surtout des femmes d'âge médian, qui occupent des emplois relativement qualifiés et stables.

En ce qui concerne les temps partiels choisis pour d'autres raisons, ce sont des femmes plus âgées, qui occupent des postes de qualification variée. On retrouve un peu la même répartition que pour les temps complets. Il y a à la fois des personnes qui choisissent d'avoir des activités hors travail et des personnes qui prennent le temps partiel pour supporter leur emploi.

Pour ces différents types de temps partiel, les conditions d'emploi, surtout en termes d'horaires, sont extrêmement différentes.

Très clairement, les conditions d'emploi des salariés à temps partiel d'embauche sont les plus mauvaises et les conditions d'emploi des salariés ayant choisi le temps partiel pour s'occuper des enfants sont les meilleures. Catégorie intermédiaire, les temps complets et les salariées à temps partiel ayant choisi le temps partiel pour d'autres raisons. On le voit en particulier pour le type d'horaires. Parmi les salariées qui ont des horaires déterminés par l'entreprise, donc des horaires rigides et sans souplesse, 72 % des temps partiels d'embauche sont dans ce cas, contre seulement 47 % des temps partiels choisis pour les enfants, 56 % de ceux choisis pour d'autres raisons et 62 % pour les temps complets. De même pour pouvoir choisir la date des vacances, ce qui constitue une marge de manœuvre dans l'organisation de sa vie personnelle, il y a aussi une différence : 66 % des temps partiels choisis pour les enfants peuvent choisir leur date de vacances et seulement 45 % des temps partiels d'embauche.

Pour comprendre l'importance de cette marge de manœuvre dans le choix des horaires, l'enquête Emploi du Temps permet de voir ce que les salariées font en dehors de leur travail.

Il est clair que les activités hors travail sont très dépendantes des variables socio-démographiques, donc du niveau de diplôme, de la qualification, du niveau de revenus, etc., mais l'organisation du temps de travail intervient aussi. Certaines caractéristiques du temps de travail influent sur les activités, les pratiques sociales extérieures au travail. En particulier, la possibilité de choisir la répartition de son temps de travail favorise la pratique d'activités extérieures au domicile.

En comparant les salariées qui ont pu choisir la répartition de leurs horaires et celles qui n'ont pas pu choisir, on voit déjà que ne pratiquent aucune activité 31 % de celles qui ont pu choisir la répartition et 40 % de celles qui n'ont pas pu choisir. La marge de manœuvre dans la répartition du temps de travail a donc un effet important sur la vie hors travail.

Autre effet de la possibilité de pouvoir choisir la répartition de son temps de travail : la présence auprès des enfants. 66 % des femmes qui ont choisi la répartition de leur temps de travail sont toujours présentes auprès de leurs enfants le matin, contre 56 % seulement des autres. Il y a le même écart pour le soir. Cette marge de manœuvre a donc des conséquences très importantes sur le hors travail.

Je voudrais aussi préciser très rapidement que l'enquête Emploi du Temps permettait d'évaluer ce que l'on appelle le temps contraint quotidien, qui est le temps contraint par l'activité professionnelle et par le travail domestique.

Vous avez peut-être vu les comparaisons hommes/femmes qui sont très intéressantes, mais j'ai étudié le temps contraint des femmes à temps complet et celui des femmes à temps partiel.

Les femmes à temps complet ont pratiquement neuf heures de temps contraint par jour, mais les femmes à temps partiel n'en ont pas tellement moins ; ainsi, les femmes qui ont choisi le temps partiel pour s'occuper de leurs enfants ont 8 h 48 de temps contraint, parce que le temps gagné sur le temps de travail est complètement pris par du travail domestique.

Je n'ai pas pu faire de comparaisons hommes/femmes sur l'utilisation du temps hors travail des hommes à temps partiel. J'espère un jour pouvoir le faire, car les comparaisons de l'enquête Emploi du Temps sur le temps contraint des hommes et le temps contraint des femmes montrent qu'il y a très peu d'évolution depuis 10 ans en ce qui concerne le temps du travail domestique et que, par ailleurs, le temps de travail des femmes augmente, en moyenne.

Mme Danielle Bousquet : Peut-on interpréter l'enquête quantitative dont vous parlez, en disant que, excepté pour un tiers d'entre elles, les femmes à temps partiel ont en réalité des temps partiels contraints, pour des raisons diverses ?

Mme Jennifer Bué : Le temps partiel est un temps choisi pour un tiers des femmes, d'après l'enquête Emploi du Temps.

Mme Danielle Bousquet : Donc, il ne l'est pas pour les deux tiers restant.

Mme Jennifer Bué : Pour les deux tiers, elles ont pu choisir de travailler moins, mais elles ont des horaires contraignants, qui font qu'elles ne sont pas forcément disponibles pour leur enfant, puisque l'idée est que les femmes travaillent à temps partiel pour s'occuper des enfants et être disponibles pour la maison. Il n'y en a qu'un tiers pour lesquelles on peut dire que c'est le cas.

Mme Danielle Bousquet : Il faut que l'on soit bien d'accord sur le postulat de départ. Si l'on veut orienter notre travail, il ne faut pas partir à contre-courant : oui, on a raison de s'attaquer à cette question, car il y a un véritable problème du temps partiel pour les femmes qui ne choisissent pas, sauf pour un tiers d'entre elles.

Mme Jennifer Bué : Mais surtout, citez bien la source, car c'est une enquête, une source, et il n'y en a pas d'autres.

Mme Danielle Bousquet : Mais cela corrobore ce que l'on a pu faire de manière un peu parcellaire par ailleurs. Le temps partiel est subi.

Mme Marie-Jo Zimmermann présidente : Cela corrobore tout ce que l'on pense sur le temps partiel. Il est subi.

Mme Valérie Ulrich : Pas pour tout le monde.

Il ne faut pas garder ce chiffre d'un tiers en tête, car si une enquête a donné ce chiffre, dans la réalité, il est peut-être de 40 %.

Mme Jennifer Bué : Il s'agit d'une évaluation ; cela peut donc être 40 % ou 25 %, on ne sait pas.

On ne peut pas saisir dans les enquêtes pourquoi les femmes choisissent d'être à temps partiel, c'est-à-dire pourquoi elles transforment leur contrat à temps complet en contrat à temps partiel.

Elles le font en fonction de contraintes extérieures au travail. Ce sont des problèmes de gardes d'enfants, etc., problème de société sur lequel je n'ai pas d'éléments. Mes études ne me permettent pas de les avoir, mais c'est vraiment là-dessus qu'il faut travailler.

Tout cela doit être rapporté à un problème de société, dans lequel les femmes assument - l'enquête Emploi du Temps le montre -, encore majoritairement, le travail domestique et l'éducation des enfants, dans une société où il y a peu de systèmes de garde ou d'aide pour ces femmes, en particulier, pour les femmes à bas salaire.

53 % sont des temps partiels d'embauche et sont majoritairement des emplois de demi-smic. Ce n'est absolument pas un moyen d'élever ses enfants.

Mme Hélène Mignon : Ni une promotion dans la société, ni une place dans la société.

Mme Jennifer Bué : C'est plus de la moitié de mon échantillon.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est la réalité. Votre échantillon est juste.

Mme Jennifer Bué : Ces femmes ont des salaires faibles, partiels ; on retrouve là les poches de pauvreté des femmes qui travaillent.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Et qui auront, d'ici 15 ou 20 ans, de très grosses difficultés à constituer leur retraite. C'est aujourd'hui ma plus grande préoccupation.

Mme Jennifer Bué : Encore plus avec la réforme des retraites.

Mme Claude Greff : L'enquête INSEE date de 1998 et cela me semble assez ancien, car la société évolue rapidement, les statuts évoluent, le temps de travail évolue.

Je voudrais donc savoir si l'instauration des 35 heures a influencé le temps partiel, si une étude a été établie aujourd'hui consécutivement à l'application des 35 heures sur le temps partiel ?

Mme Jennifer Bué : Valérie Ulrich vous a dit les conséquences au niveau statistique de l'évolution du temps partiel depuis les 35 heures.

En revanche, je voudrais préciser que l'enquête que j'ai citée date effectivement de 1998 et qu'elle est faite tous les dix ans. Entre 1988 et 1998, les hommes consacrent cinq minutes de plus au travail domestique, donc l'évolution, dans certains domaines, n'est pas extrêmement rapide.

C'est une enquête extrêmement lourde, très onéreuse, qui ne sera refaite que dans dix ans.

Pour les conséquences de la RTT sur le temps partiel, Valérie Ulrich vous a fourni des données sur l'évolution du taux de temps partiel depuis la RTT. Je vous laisse également une étude que nous avons faite sur le traitement du temps partiel dans la RTT, étude qualitative qui a été faite auprès d'une dizaine d'entreprises.

On voit qu'au sein des entreprises, il y a plusieurs moyens d'intégrer ou non les temps partiels dans la réduction collective du temps de travail et on a pu différencier trois situations.

D'abord, une situation dans laquelle les temps partiels ont le choix entre plusieurs possibilités, soit réduire leur temps de travail de la même manière que les temps complets, soit garder leur temps de travail antérieur, avec ou sans majoration de salaire, soit augmenter leur durée du travail, sans passer à temps complet, soit passer à temps complet.

Dans ces entreprises, on peut dire que les temps partiels ont été plutôt favorisés par rapport aux temps complets, car ils ont eu une marge de manœuvre que les temps complets n'avaient pas.

La deuxième situation consiste à imposer aux temps partiels une solution, sans leur donner le choix de l'une des quatre situations que je vous ai citées. Dans ce deuxième cas, les temps partiels sont traités comme les temps complets, ce qui en général ne les arrange pas, car s'ils sont intégrés dans la RTT, leur temps de travail est réduit alors que, souvent, ils voudraient l'augmenter.

Le troisième cas est celui où les temps partiels sont désavantagés, car exclus du processus de réduction du temps de travail. J'ai en particulier en mémoire une entreprise de gardiennage, une autre de nettoyage, donc des emplois à temps partiel non qualifiés et mal payés, qui étaient exclus de la RTT ; ce qui veut dire qu'ils n'ont pas eu de réduction du temps de travail avec maintien du salaire, ils ont continué à travailler le même nombre d'heures, avec le même salaire. Cela constitue une inégalité.

Dans certains cas, il y a dualité de traitement entre les temps complets et les temps partiels, mais surtout au sein des temps partiels. Tous les temps partiels par décision du salarié, avec modification du contrat de travail, dans toutes les entreprises que nous avons visitées, ont eu des possibilités de choix.

En revanche, pour les temps partiels d'embauche, soit on leur a imposé une situation, soit ils ont été exclus de la RTT. On voit bien là qu'il y a une reproduction de cette inégalité au sein des temps partiels et qu'il faut vraiment bien différencier.

Mme Arlette Grosskost : Quel est le motif de ces embauches de temps partiel pour les gens peu qualifiés à des rémunérations minimales ?

L'employeur embauche-t-il à temps partiel parce qu'il n'y a qu'un nombre d'heures de travail inférieur au temps complet à combler ? Ou alors, l'employeur cumule-t-il plusieurs temps partiels pour obtenir certaines aides ou certains avantages ?

Mme Jennifer Bué : Les aides ont un effet très important sur l'embauche à temps partiel, mais il y a aussi ce que l'on appelle les heures complémentaires.

Si l'on fait travailler les salariés à temps partiel plus que leur contrat de travail, tant qu'ils sont en dessous du temps complet, ce sont des heures qui ne sont pas considérées comme des heures supplémentaires, mais des heures complémentaires payées au même taux que les heures normales. Cela donne donc, dans des secteurs comme la grande distribution, qui est le plus connu, une souplesse : on vous appelle, on vous dit que l'on a besoin de vous et vous venez. Le salarié n'est pas payé en heures supplémentaires. C'est une souplesse de gestion, qui pose beaucoup de problèmes pour les femmes qui ont des enfants, car elles sont appelées sans aucun préavis et elles acceptent, évidemment, car elles ont besoin d'argent et espèrent toujours, un jour, avoir un temps complet.

Mme Arlette Grosskost : C'est votre analyse ? L'objectif numéro 1 est la souplesse ?

Mme Jennifer Bué : Oui, dans le cadre de la gestion interne des entreprises, c'est une flexibilité.

Mme Valérie Ulrich : Les « lois Aubry » ont essayé de freiner cette flexibilité, mais dans la pratique on n'en connaît pas encore les effets. Par exemple, les heures complémentaires, désormais, doivent être majorées de 25 % lorsqu'elles dépassent un dixième de la durée prévue par le contrat.

De la même manière, on a limité l'interruption dans la journée à un maximum de deux heures, car les caissières travaillaient souvent tôt le matin, puis avaient une interruption de quatre heures. Or, comme elles habitent très loin, elles ne pouvaient pas rentrer chez elles ; c'était donc vraiment quatre heures perdues puisqu'elles retravaillaient après.

Cela a-t-il été mis en œuvre en pratique, on ne le sait pas.

Mme Hélène Mignon : Dans les grandes surfaces, on voit encore des écarts entre le matin et le soir, et les responsables des relations humaines cherchent, autant que possible, des gens qui n'habitent pas dans le secteur pour que, pendant la coupure, on puisse éventuellement leur faire effectuer une heure supplémentaire, sans leur laisser le temps de pose ou de repas.

Dans un secteur de Toulouse que je connais, toutes les embauches d'une grande surface se font dans le secteur opposé, ce qui impose aux salariées une heure de trajet. C'est volontaire. Ce n'est pas un cas isolé. Nous en avons fait l'analyse.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est la réalité.

Mme Arlette Grosskost : Il s'agit d'une branche d'activité très spécifique.

Mme Jennifer Bué : Cela existe dans la grande distribution et aussi le nettoyage.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il y a une plage de pause plus importante dans les sociétés de nettoyage, mais pas dans la grande distribution.

Avez-vous des statistiques sur la durée d'un temps partiel sur une carrière ?

Mme Valérie Ulrich : J'allais en parler car, par rapport à votre question sur la retraite, c'est fondamental.

Dans la mesure où le temps partiel est une décision volontaire du salarié, il a la possibilité de revenir à temps complet. C'est souvent un choix qui est fait au moment où les enfants sont petits ; en tout cas ces femmes ont la possibilité de revenir à temps complet. Vont-elles le faire ou pas, c'est une autre question, car elles peuvent prendre goût au temps partiel, du mercredi notamment, par exemple.

Pour les temps partiels d'embauche, les femmes n'ont pas la possibilité, ou très rarement, d'obtenir le temps complet. Vont-elles l'obtenir sur la carrière ? Il faut quasiment qu'elles changent de métier. Une caissière est obligée de changer de métier si elle veut travailler à temps complet.

Il est vrai que l'on n'a pas vraiment de statistiques sur le nombre d'années passées à temps partiel. On n'a pas l'outil.

Mme Jennifer Bué : On y arrivera peut-être un jour, mais on n'a pas l'outil statistique nous permettant de le faire.

Mme Valérie Ulrich : Cela exige en effet de suivre les personnes sur l'ensemble de leur vie.

Mme Jennifer Bué : Ce serait une bonne idée, je serais prête à le faire.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je crois que ce sera nécessaire à un certain moment car il y aura notamment des adaptations à faire par rapport aux retraites.

Les questions que l'on a abordées à la Délégation sur les retraites et les divorces, me font dire que le temps partiel va poser, à terme, de très sérieux problèmes.

Mme Claude Greff : Pensez-vous que le fait d'interrompre toutes les aides au temps partiel, c'est-à-dire à la fois les mesures Juppé et les abattements de cotisations, puisse avoir une influence positive sur la reprise des temps complets, hors la grande distribution ?

Mme Valérie Ulrich : Il est certain que le temps partiel a augmenté massivement avec la mise en place de cet abattement.

On n'a pas encore assez de recul pour savoir si, avec la suppression de cet abattement, on aura à nouveau une baisse du temps partiel. On sait qu'il se développe quand il y a des aides spécifiques sur le temps partiel, mais est-ce que cela va s'arrêter ? Je n'en suis pas sûre, parce que le temps partiel d'embauche est un tel outil de flexibilité, qui a de tels avantages, qu'il se peut que, même sans les aides, les entreprises organisées de manière à utiliser fortement le temps partiel d'embauche n'y renonceront pas.

Mme Jennifer Bué : Cela aura peut-être un effet dans les entreprises qui ne sont pas organisées, dans des secteurs moins utilisateurs.

Mme Valérie Ulrich : Si elles ne sont pas structurées comme cela, oui, mais dans les secteurs très utilisateurs du temps partiel comme les grandes surfaces, ce n'est pas évident du tout.

Les études vont nous le montrer.

Mme Arlette Grosskost : Je pense que vous avez raison pour ce qui concerne la flexibilité dans cette branche d'activité particulière qu'est la distribution.

Mais, dans tous les secteurs de prestation de service, quels qu'ils soient, l'employeur remplaçait un temps complet par le cumul de deux temps partiels du fait des aides. C'était indéniable.

Il y aurait peut-être une réflexion à mener à ce niveau, car je suis intimement persuadée que, s'il n'y avait pas l'incitation par l'aide, cela pourrait transformer un certain nombre de postes partiels en postes à temps complet.

Mme Valérie Ulrich : Pour l'instant, l'aide continue pour les emplois à temps partiels en cours. C'est pour les nouvelles embauches à temps partiel qu'il n'y a plus d'aide. Mais, comme dans ces secteurs il y a un turn over important, cela risque de bouger vite.

Mme Claude Greff : A partir du moment où l'on ne proposera plus de temps partiel, ce sera difficile pour celles qui le voudront.

Majoritairement, on est bien d'accord, ce sont des temps partiels subis proposés pour toutes les raisons que l'on a invoquées, mais il existe quand même des temps partiels choisis. Les aides n'existant plus pour les temps partiels, que deviendront les temps partiels choisis ? Cette mesure pourrait être à leur détriment.

Mme Valérie Ulrich : Les aides concernaient tous les temps partiels et aussi les passages des temps complets à des temps partiels. Elles étaient vraiment intéressantes là où il y avait beaucoup de salariés à temps partiel, car c'était des aides massives.

Quand il s'agit d'un temps partiel choisi - et c'est souvent dans des grandes entreprises que les femmes choisissent de passer à temps partiel -, l'aide a un impact beaucoup plus faible sur le coût de la main d'œuvre.

Mme Arlette Grosskost : Néanmoins, dans une entreprise qui employait deux temps partiels choisis pour faire un temps complet, le fait de proposer deux temps partiels permettait aussi à certaines femmes de choisir leur temps partiel. Si l'on supprime cette possibilité, les femmes qui auront choisi de travailler à temps partiel auront moins d'offres, c'est évident.

Mme Claude Greff : Tout à fait, car on a eu de nombreux reportages sur des temps partiels choisis de femmes qui acceptaient de travailler sur Internet chez elle, à leur domicile, ce qui leur permettait de garder leurs enfants. Il y avait aussi des exemples de femmes ayant les mêmes compétences, l'une travaillant le matin, l'autre l'après-midi.

Nous sommes conscientes, tout comme vous, des abus exercés aujourd'hui, mais on doit vraiment avoir une réflexion nous permettant à la fois de satisfaire les temps partiels choisis et d'éviter les abus des temps partiels imposés d'embauche.

Mme Valérie Ulrich : C'est pourquoi je pense que la typologie que vous a présentée Jennifer Bué est assez nuancée sur cette question.

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* *

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a ensuite entendu Mme Marie-Thérèse Lanquetin, membre du réseau d'experts juristes du Bureau de l'égalité des chances de la Commission européenne.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous recevons maintenant Mme Marie-Thérèse Lanquetin, juriste, chercheure à l'Université de Paris X-Nanterre, membre du réseau d'experts juristes auprès du Bureau de l'égalité des chances de la Commission européenne.

Vos domaines de recherche sont le droit social communautaire et le droit social français, l'égalité et la discrimination.

Vous avez publié à la fois sur le thème de la discrimination, de l'égalité de traitement entre hommes et femmes et de l'égalité professionnelle.

Vous avez collaboré aux travaux de Mme Margaret Maruani, sociologue, directrice de recherche au CNRS, qui a été déjà auditionnée par la Délégation.

Aujourd'hui, dans le cadre du thème qui sera celui de notre année 2004, celui du travail à temps partiel, nous aimerions avoir votre avis de juriste. Vous avez souhaité l'étudier sous l'angle de la discrimination, au regard d'arrêts de la Cour de Justice des Communautés européennes, qui est attentive au respect du principe de non-discrimination et d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : Effectivement, je suis membre du réseau d'experts de la Commission européenne depuis 1986. Ce réseau comprend un représentant par pays.

Je dois dire que c'est un lieu d'expérience et d'apprentissage très intéressant, car non seulement on est obligé de faire du droit national, mais aussi du droit communautaire et du droit comparé. Pour arriver à travailler avec les autres experts, il faut essayer de comprendre les logiques des autres Etats membres.

Je travaille dans le cadre du réseau MAGE (Marché du travail, genre et sociétés), piloté par Margaret Maruani, qui est un groupement de recherche européen qui, depuis peu, suit ces questions. Je suis la seule juriste, car il y en a peu qui s'intéressent aux questions d'égalité hommes/femmes...

Mme Marie-Jo- Zimmermann, présidente : Ce qui est dommage, d'ailleurs.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : Oui, mais ce sujet devient plus porteur depuis deux ou trois ans, alors que j'ai prêché dans le désert très longtemps et que je n'étais absolument pas entendue.

J'ai donc trouvé que c'était une opportunité de venir vous en parler.

Le travail à temps partiel est majoritairement le fait des femmes, qu'elles l'aient ou non choisi, mais je ne veux pas entrer dans la question du choix.

Mme Marie-Jo- Zimmermann, présidente : Pourquoi ?

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : Parce qu'il est conditionné, me semble-t-il, par une série de facteurs qui mériteraient une étude en soi et que tel n'est pas mon angle d'attaque.

Sur le choix, je ne peux rien dire en tant que juriste. En revanche, sur la situation des femmes à temps partiel, j'ai peut-être des choses à dire, notamment constater qu'il faut aussi regarder cette question sous l'angle de la discrimination :  les femmes qui travaillent à temps partiel ne sont-elles pas discriminées ?

La question est de savoir si elles ne sont pas victimes de discrimination, mais aussi de savoir ce qu'est une discrimination.

Quel est le droit existant, non seulement la loi votée par le Parlement, mais aussi la Constitution ou les textes internationaux que la France a ratifiés.

Le terme de « discrimination » renvoie à une distinction contraire au droit, contraire au principe d'égalité. Elle est définie par les conventions internationales des Droits de l'Homme, notamment dans la convention CEDAW, convention de l'ONU sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.

Elle est également définie dans la convention 111 de l'OIT concernant la discrimination en matière d'emploi et de profession, et visant à promouvoir l'égalité de chances et de traitement, sans distinction en raison de la race, du sexe ou de la situation de famille.

Ce terme de discrimination est défini, dans les conventions internationales, comme une mesure qui a « pour effet de porter atteinte à des droits garantis ». Elle peut être intentionnelle, et avoir pour but de porter atteinte, mais cette dimension est exigée surtout au plan pénal, puisqu'il y a un élément intentionnel dans le délit de discrimination. En matière civile, c'est l'effet produit par une mesure qu'il faut observer.

Cette conception de la discrimination a été mise en œuvre par la Cour de Justice des Communautés européennes depuis un certain nombre d'années, mais seulement depuis 1981, sous l'angle sous lequel je voudrais traiter cette question, celui de la discrimination indirecte.

Qu'est-ce qu'une discrimination indirecte ?

On connaît la discrimination directe, qui consiste à dire que l'on ne veut pas embaucher une femme parce que, etc., mais qu'est-ce qu'une discrimination indirecte ?

C'est une mesure apparemment neutre, mais qui, en réalité, a un effet différent sur les hommes et les femmes et désavantage massivement les femmes.

Dans un premier temps, je voudrais rappeler que la Cour a construit tout un raisonnement pour aborder la question de la discrimination indirecte. J'ai pris l'exemple de quelques arrêts pour vous montrer le raisonnement de la Cour.

Cette notion de discrimination indirecte n'est pas fructueuse devant les juridictions françaises, car il y a très peu de contentieux appliqués au travail à temps partiel, ce qui à mon sens renvoie à la conception française du principe d'égalité. C'est la deuxième partie de mon intervention que je voudrais développer devant vous. A ce propos, je m'appuierai sur la nouvelle loi concernant les retraites.

La première partie de mon intervention porte donc sur la jurisprudence de la Cour concernant la discrimination indirecte appliquée au travail à temps partiel.

La première affaire portée devant la Cour de Justice date de 1981. C'est un arrêt Jenkins, qui concernait une entreprise de textile de Grande-Bretagne, qui rémunérait différemment hommes et femmes.

La loi sur l'égalité de rémunération ayant été adoptée en Grande-Bretagne, l'employeur, à ce moment-là, a rémunéré différemment les travailleurs à temps plein et les travailleurs à temps partiel.

Madame Jenkins, soutenue par une agence compétente en matière de discrimination, comme il en existe au Royaume-Uni, a saisi les juridictions britanniques qui ont posé une question en interprétation à la Cour de Justice des Communautés européennes : l'employeur pouvait-il avoir une telle politique salariale, qu'il justifiait par la volonté d'avoir surtout des travailleurs à temps plein ?

Et, comme c'était majoritairement les femmes qui travaillaient à temps partiel, cette politique salariale n'était-elle pas discriminatoire ?

Voilà le type de question qui est venu devant la Cour et la CJCE a jugé qu'une telle politique salariale pouvait être discriminatoire si elle ne s'expliquait pas par des facteurs objectivement justifiés et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

Mais ce n'est pas cet arrêt Jenkins, mais un autre arrêt, l'arrêt Bilka, de la Cour de Justice du 13 mai 1986, que je voudrais analyser plus profondément.

Dans une société de grands magasins en Allemagne, la société Bilka, les salariés à temps partiel n'avaient pas droit à une pension d'entreprise ou n'y avaient droit que s'ils avaient travaillé à temps plein au moins 15 ans sur une période de 20 ans. Au moment de leur départ en retraite, s'ils avaient travaillé au moins 15 ans sur une période de 20 ans à temps plein, ils avaient droit à cette pension d'entreprise.

Quand Mme Weber part en retraite, elle ne remplit pas cette condition. Elle saisit les juridictions allemandes, qui posent alors une question à la Cour de Justice en interprétation : l'article 119 concernant l'égalité de rémunération n'est-t-il pas violé, en raison d'une discrimination indirecte, lorsqu'une société, qui emploie principalement des femmes, exclut les employés à temps partiel du bénéfice du régime de pension d'entreprise, compte tenu du fait que cette mesure frappe de manière disproportionnée les femmes par rapport aux hommes ?

N'y a-t-il pas discrimination, violation de l'article 119, qui affirme l'égalité de rémunération aux travailleurs masculins et féminins ?

Dans un premier temps, la Cour de Justice analyse la nature juridique de cette pension, car il faut d'abord savoir si c'est bien une rémunération. Elle reprend donc la définition de la notion de rémunération au sens du droit communautaire et elle conclut qu'il s'agit bien d'une rémunération.

Elle poursuit son analyse et considère que l'article 119 est violé par une société de grands magasins qui exclut ses employés à temps partiel du régime de pension d'entreprise, lorsque cette mesure frappe un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d'hommes, à moins que l'entreprise n'établisse que ladite mesure s'explique par des facteurs objectivement justifiés et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

Vous voyez sans doute poindre le déplacement de la charge de la preuve, qui a été transposée dans le droit français par la loi du 16 novembre 2001 : « à moins que l'employeur n'établisse que ladite mesure s'explique par des facteurs objectivement justifiés et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe ».

Qu'est-ce qu'une raison économique objectivement justifiée au sens de la jurisprudence Bilka ?

La société va essayer de justifier sa politique salariale. Elle fait valoir qu'elle veut décourager le travail à temps partiel, car il lui faut du personnel à temps plein pour les fins d'après-midi et les samedis. Il lui faut donc rendre attractif le temps plein.

Que dit Mme Weber ? Elle dit, après tout, pourquoi les employeurs embauchent-ils des travailleurs à temps partiel ? Ils n'ont qu'à ne pas en embaucher ; mais s'ils en embauchent ils n'ont pas, en plus, à restreindre leurs droits.

La Cour observe qu'il faudrait, en plus des raisons économiques objectivement justifiées, examiner si la pratique salariale est nécessaire et proportionnée par rapport aux objectifs de l'employeur : ne pouvait-il pas atteindre son objectif autrement, de manière moins défavorable pour les femmes ?

Voilà les motivations de la Cour de Justice. Dans l'affaire Jenkins, l'arrêt ne va pas aussi loin que celui-ci. Il en reste à l'exigence d'une politique objectivement justifiée. Mais qu'est-ce que justifier objectivement ? C'est cet arrêt Bilka qui nous explique qu'il faut examiner quel est l'objectif poursuivi, sa légitimité, sa nécessité.

La Cour dit pour droit que l'article 119 est violé, à moins que l'employeur ne démontre que la pratique correspond à un véritable besoin de l'entreprise, que les moyens sont aptes pour atteindre cet objectif, qu'ils sont nécessaires.

Voilà donc l'interprétation donnée par la Cour de Justice. Ce sera au juge national d'assurer ce contrôle.

Ce qui me paraît très intéressant dans ce raisonnement, c'est qu'au lieu d'affirmer un principe d'égalité ou de non-discrimination, la Cour de Justice va chercher à réaliser l'égalité en fait et en droit. En droit, on le comprend, en fait, il s'agit de regarder l'impact d'une mesure sur la population concernée.

La Cour a appliqué ce mode de raisonnement à la promotion, à l'ancienneté. Il y a un certain nombre de décisions sur l'ancienneté, comme par exemple le fait de savoir s'il faut une ancienneté double pour les travailleurs à temps partiel par rapport aux travailleurs à temps plein, pour qu'ils aient une promotion ou une majoration de rémunération.

La réponse de la Cour est de dire que cela dépend de la nature de l'emploi. L'ancienneté, en général, va de pair avec l'expérience, mais ce n'est pas systématique. L'objectivité d'un tel critère dépend notamment de la relation entre la nature de l'emploi et la fonction exercée.

L'employeur ne peut pas avoir une allégation vague ; dans chaque cas, les exigences que doit remplir le critère de l'ancienneté doivent être démontrées. La Cour l'a appliqué ce raisonnement dans plusieurs décisions, donnant des indications, des directives aux juges nationaux, qui doivent ensuite regarder au cas par cas, compte tenu de l'emploi, compte tenu de la nature de l'emploi, l'intérêt de ce critère.

Quelle est la portée de cette jurisprudence ? La France affirme certes une égalité de traitement entre les travailleurs à temps plein et travailleurs à temps partiel. Dans le code du travail, il y a l'affirmation de l'égalité de traitement, mais cette égalité de traitement est-elle bien appliquée en ces termes ?

Devant la précarité du travail à temps partiel, on peut se poser légitimement des questions. On peut aussi se demander pourquoi il y a si peu de contentieux en France sur cette question.

Sur la question de la discrimination directe, concernant le travailleur à temps partiel, il y a des contentieux. Mais, s'agissant de la discrimination indirecte, je connais une seule affaire où le juge ne connaissait pas encore la jurisprudence communautaire et n'a pas retenu l'application du critère d'ancienneté par une caisse de sécurité sociale : il a exigé le doublement de l'ancienneté du travailleur à temps partiel par rapport au travailleur à temps plein.

Je ne connais qu'une seule affaire et, pourtant, ce mode de raisonnement de la Cour de Justice fonctionne fort bien. On le voit très bien fonctionner en matière de discrimination syndicale, mais on ne le voit pas fonctionner concernant les femmes.

La Cour cherche à réaliser l'égalité en fait et en droit, c'est pourquoi elle regarde l'impact d'une mesure pour s'interroger s'il n'y a pas de mesures discriminatoires, non pas frontalement, mais indirectement.

Mme Geneviève Levy : Dans le cadre de vos recherches, avez-vous analysé pourquoi la France n'avait pas de contentieux de ce type, alors que, pourtant, il y a certainement un nombre de cas, même s'ils ne sont pas très importants, qui justifieraient un recours.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : Je me suis interrogée en effet à ce sujet.

D'abord, le travail à temps partiel conviendrait tellement bien aux femmes qu'il n'est pas vécu en termes de discrimination. Après tout, qui dit travail à temps partiel dit femme et on ne se pose pas tellement de questions. Il y a intériorisation par les femmes de cette conception.

Deuxième élément de réponse, la conception même du principe d'égalité en France. Il y a là une réponse juridique sur la conception même du principe d'égalité Je vais vous en donner mon analyse.

Troisième raison, il y a une méfiance vis-à-vis du contentieux en France. On ne va pas facilement devant le juge. Il y a une méfiance par rapport au juge. Sauf que, sur des questions comme celle-ci qui porte sur des droits fondamentaux, le juge est un autre juge, en quelque sorte. Il est obligé d'entendre les modes de raisonnement de la Cour de Justice et de les appliquer ; il commence à bien les connaître. Il a appliqué la jurisprudence de la Cour de Justice en matière d'égalité entre hommes et femmes avant même la transposition des directives récentes, avant même la loi du 16 novembre 2001 ; parce qu'il connaissait la directive, il a appliqué la jurisprudence communautaire. Ce n'est donc pas que le juge ne sache pas faire, c'est plutôt qu'il y a eu, pendant des années, pour les femmes qui s'aventuraient sur ce terrain de nombreux échecs. Il y a donc une méfiance par rapport aux juges.

Ce dont il est question, vous l'avez sans doute senti dans mes propos, c'est le rapport entre liberté du chef d'entreprise et égalité.

La liberté du chef d'entreprise a été le fondement du raisonnement du juge pendant longtemps : l'employeur seul juge. Avec le droit communautaire et la montée en puissance des droits fondamentaux, l'égalité de traitement entre hommes et femmes faisant partie des droits fondamentaux au sens de la Cour de Justice, le juge entend maintenant ce qu'il n'entendait pas auparavant.

Cependant, le pli a été pris de faire peu de contentieux.

Voilà donc trois types de réponse. Je pense aussi qu'il n'y a pas de savoir-faire pour lire les situations de fait comme des discriminations indirectes.

Le principe d'égalité est un principe ambigu, très général, évolutif, insaisissable. Au fond, on peut essayer de le caractériser en disant qu'il y a d'abord l'égalité de tous devant la loi, mais, au-delà de cette grande égalité qui est une victoire de 1789, il a bien fallu traiter de la même façon ceux qui étaient dans une situation égale et traiter différemment ceux qui n'étaient pas dans la même situation.

On a donc fait des catégories pour traiter de façon égale des situations égales, et de façon différente des situations différentes.

Cependant, en droit français, si on peut traiter de façon différente des situations différentes, doit-on le faire ? En principe, non. C'est une différence avec le droit communautaire. En principe, le droit français ne va pas obliger de traiter de façon différente des situations différentes, si bien que la loi est la même pour tous, sans que l'on regarde l'impact de la loi. Le droit français ne considère pas toujours la situation des femmes.

Il est peut-être intéressant de regarder historiquement comment cela s'est mis en place, car à la fin du XIXème siècle, les mesures de protection concernant les femmes ont été nombreuses et ont visé à leur interdire un certain nombre de travaux, à limiter leur durée du travail, à interdire le travail de nuit, à interdire le travail dans des mines et souterrains, etc. En réalité, parce que les femmes n'étaient pas égales, on ne les traitait pas à égalité : elles avaient une place dans la famille et c'était au nom de leur place dans la famille qu'elles devaient avoir cette protection. Elles n'avaient pas le droit de vote, elles n'étaient pas égales, donc l'Etat se substituait au mari. Depuis qu'elles sont égales, la loi est neutre et on ne considère pas l'effet des mesures. On ne distingue pas.

Je voudrais, pour illustrer mes propos, prendre l'exemple de la loi sur les retraites dans la fonction publique. Avant la loi, il y avait, dans la fonction publique, une bonification d'un an par enfant, sans que les mères aient à s'arrêter de travailler. A l'issue de la loi, cette bonification n'est plus que de six mois.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La Délégation avait préconisé que l'on garde cette bonification, ce qui paraissait tout à fait logique.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : La loi a remplacé cette bonification d'un an par une validation de durée de cotisation, sous condition d'interruption d'activité ou de travail à temps partiel, avec des conditions énumérées dans le statut des fonctionnaires.

Or, ce sont majoritairement les mères qui vont s'arrêter. Au regard du droit communautaire, cette mesure n'est-elle pas discriminatoire ? Je pense que oui.

Compte tenu de tout le dispositif entourant le travail à temps partiel et l'allocation parentale d'éducation, du niveau de rémunération de cette allocation, ce dispositif est discriminatoire.

J'ai parlé d'égalité devant la loi, d'égalité dans la loi, d'égalité de traitement entre hommes et femmes, je voudrais maintenant illustrer l'égalité par la loi.

Là aussi, la loi sur les retraites me fournit un bon exemple, mais cette fois pour le secteur privé. En effet, la bonification de deux ans par enfant a été maintenue ; mais cette solution a été soumise au contrôle de constitutionnalité, ce qui n'avait pas été le cas auparavant. Cette bonification de deux ans sans condition d'arrêt et d'interruption d'activité existait depuis les années 75 ou 80, à l'imitation de la bonification existant dans la fonction publique, qui, elle, existait depuis 1924.

Dans sa décision du 14 août 2003, le Conseil constitutionnel admet, pour la première fois, une action positive, c'est-à-dire une mesure temporaire prise et acceptée au nom de l'intérêt général. Le Conseil constitutionnel reprend sa jurisprudence et l'applique aux femmes. Or, d'habitude il n'applique pas une telle analyse à une distinction fondée sur le sexe. Mais il reprend à cette occasion, pour la première fois, sa jurisprudence sur l'intérêt général.

Je me proposais de vous lire deux ou trois attendus, que vous devez connaître, sur la décision du Conseil.

« Considérant que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;

Considérant que l'attribution d'avantages sociaux liés à l'éducation des enfants ne saurait dépendre, en principe, du sexe des parents ;

« Considérant, toutefois, qu'il appartenait au législateur de prendre en compte les inégalités de faits dont les femmes ont jusqu'à présent été l'objet ; qu'en particulier, elles ont interrompu leur activité professionnelle bien davantage que les hommes afin d'assurer l'éducation des enfants ; qu'ainsi, en 2001, leur durée moyenne d'assurance était inférieure de onze années à celle des hommes ; que les pensions des femmes demeurent en moyenne inférieures de plus du tiers à celle des hommes ; qu'en raison de l'intérêt général qui s'attache à la prise en compte de cette situation et à la prévention des conséquences qu'aurait la suppression des dispositions de l'article L.351-4 du code de la sécurité sociale sur le niveau des pensions servies aux assurées dans les années à venir, le législateur pouvait maintenir, en les aménageant, des dispositions destinées à compenser des inégalités normalement appelées à disparaître ».

La question est de savoir si ces inégalités sont véritablement appelées à disparaître, surtout lorsque les femmes travaillent à temps partiel.

Heureusement que le Conseil constitutionnel a reconnu pour la première fois une action positive pour tenir compte de la situation des femmes, puisque la retraite, finalement, est le révélateur de tout ce qui s'est passé antérieurement.

Mme Arlette Grosskost : Vous vous demandez si la dernière disposition prise en matière de retraites n'est pas discriminatoire. J'aimerais que vous en développiez l'argumentaire, car on peut l'interpréter de deux manières.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : A mon sens, elle est discriminatoire, car elle porte atteinte à la liberté d'exercer une activité professionnelle.

Mme Arlette Grosskost : C'est-à-dire ?

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : On peut l'analyser de deux façons. On peut l'analyser en termes de discrimination indirecte et dire que cette mesure concerne majoritairement les femmes et qu'elle est donc discriminatoire.

Je voudrais cependant nuancer mon propos. Pour cela, je voudrais insister sur la notion de discrimination indirecte. J'ai fait une première lecture à partir de l'arrêt Bilka, qui donne une définition de la discrimination indirecte en termes d'impact disproportionné : quand une mesure a un impact disproportionné sur un sexe par rapport à l'autre, elle est discriminatoire, sauf que cette notion de discrimination indirecte a évolué.

Dans les directives adoptées en 2000 concernant l'égalité de traitement sans distinction de race ou d'origine ethnique ou portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, - deux directives adoptées sur le fondement de l'article 13 du Traité d'Amsterdam - la notion de discrimination indirecte a changé.

La même notion est reprise par la directive 2002-73, qui modifie la directive de 1976 sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes. Cette directive 2002 n'est pas encore transposée, elle le sera l'année prochaine.

Quelle est la nouvelle définition ? Alors qu'auparavant on regardait l'impact disproportionné, maintenant il est dit :

«Une discrimination indirecte se produit lorsqu'une disposition, un critère, une pratique apparemment neutre est susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes d'une race, d'un sexe, à moins que... » (le reste est sans changement) «... cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soient objectivement justifiés par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires ».

Or, en réalité, n'y a-t-il pas un désavantage ?

Pour avoir droit à la majoration d'une durée de cotisation, il faut interrompre son activité ou bien avoir travaillé à temps partiel. La mesure est discriminatoire, car elle oblige, pour bénéficier de la validation de durée de cotisation, à interrompre ou à prendre un travail à temps partiel. Or, ce sont majoritairement les femmes qui le font.

Mme Arlette Grosskost : Je ne suis pas d'accord. Elles ont quelque chose en plus : avant elles avaient une bonification d'un an, maintenant elles en ont une de six mois. A la limite, c'est discriminatoire vis-à-vis des hommes.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : Je ne parle pas des six mois. Les six mois sont justifiés par la fonction biologique.

Je m'interroge sur la nécessité d'interrompre ou de prendre un temps partiel pour avoir une validation de durée. Cette possibilité est ouverte au père et à la mère.

Il y a égalité de traitement, c'est donc une mesure apparemment neutre ; cependant, si ce sont majoritairement les femmes qui le prennent, cela ne leur crée-t-il pas un désavantage au regard de leur carrière professionnelle ?

Cette disposition les enferme dans leur rôle maternel. Si elles veulent avoir, non plus une bonification, mais une validation, elles sont obligées d'en passer par les conditions posées.

On peut l'analyser en termes de discrimination indirecte, mais aussi, pourquoi pas, en termes de discrimination directe au regard de leur emploi. Cela les oblige en effet à interrompre ou à prendre un temps partiel.

Elles ont une garantie d'emploi, puisque la disposition s'applique dans la fonction publique, mais elles ont un niveau de rémunération en baisse si elles prennent un temps partiel et, si elles interrompent leur activité et prennent une allocation parentale d'éducation, elles ont un traitement inférieur. Pendant ce temps, elles cotisent pour leur pension vieillesse sur la base de l'allocation vieillesse des parents au foyer, qui n'est pas très élevée, car la base de cotisation a pour référence le Smic. Finalement, pendant cette période, la rémunération de la femme ne sera pas élevée, de même que sa pension. Il me semble que c'est une situation difficile, que l'on peut analyser en termes de discrimination.

Mme Arlette Grosskost : A contrario, si l'on avait voulu éviter une discrimination indirecte, qu'aurait-il fallu faire ?

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : Appliquer l'arrêt de la Cour de Justice, l'arrêt Griesmar, c'est-à-dire maintenir la bonification, mais l'ouvrir au père, sous conditions.

Mme Claude Greff : Il y aurait alors une vraie discrimination.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : Non, car on peut, par la loi, - article 141 du Traité d'Amsterdam -, autoriser des mesures en faveur des femmes, à condition qu'il y ait une clause d'ouverture aux pères qui se trouvent dans la même situation.

Mme Marie-Jo- Zimmermann, présidente : présidente : Dans ce cas, il leur faudrait prouver qu'ils se sont consacrés à l'éducation de leurs enfants.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : C'est le cas du père qui a élevé ses enfants seul, ou qui s'est retrouvé veuf, etc.

Il s'agit de l'égalité par la loi. Pour ne pas enfermer les parents dans une répartition traditionnelle des rôles, il faut une clause d'ouverture aux pères ; c'est prévu dans les arrêts de la Cour de Justice.

Mme Arlette Grosskost : Le principe de la bonification était, non pas le fait d'avoir élevé un enfant, mais de l'avoir mis au monde et de l'avoir élevé.

Or, la femme ne l'a pas élevé seule, elle l'a fait conjointement avec un homme. S'il y avait une discrimination, elle est là.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : La Cour de Justice vient de dire que ce n'est pas le fait d'avoir mis au monde des enfants qui compte, mais le fait de les élever après la naissance.

Il faut travailler les catégories : égalité devant la loi, c'est facile ; égalité dans la loi, on sait faire ; égalité par la loi, on ne sait pas faire.

Pourquoi, dans le secteur privé, maintient-on les deux ans de bonification pour les mères ? Parce que, on n'est pas dans le champ du droit communautaire. La France peut donc continuer à maintenir cette bonification de deux ans par enfant.

Cependant, on peut se dire que cela ne va pas durer ainsi, car des pères veufs, ayant élevé les enfants voudront aussi cette bonification. Il y aura des contentieux.

Mme Arlette Grosskost : La raison des deux ans supplémentaires, ce n'est pas le fait d'avoir élevé les enfants, car toutes les femmes qui travaillent concomitamment à l'éducation de leurs enfants ont, malgré tout, ces deux années supplémentaires. Elles correspondent bien plus à une politique familiale visant à favoriser les naissances.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : La formulation de la loi n'est pas d'avoir des enfants, mais de les élever.

Mme Claude Greff : Quand la femme et le mari travaillent, matériellement la femme ne les a pas élevés davantage que le père, et pourtant, elle bénéficie des deux ans de bonification.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : En général, les carrières des femmes ne se font pas au même rythme que celles des hommes.

Mme Arlette Grosskost : Pas toutes.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : Pourquoi dans la fonction publique, les femmes sont-t-elles majoritairement dans les catégories B ? Regardez le « rapport Colmou ».

Mme Arlette Grosskost : C'est plus une question culturelle.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : Justement, la Cour de Justice, pour faire évoluer les rôles, incite à ce que le père ait ponctuellement, lorsqu'il se retrouve dans la même situation, accès aux mêmes bonifications parentales. Au-delà, le débat c'est, après tout, de supprimer les avantages familiaux et de les remplacer par des services qui permettent beaucoup plus de liberté par rapport à l'activité professionnelle : des crèches, des services bien conçus. C'est la solution, mais le système actuel a accordé des avantages familiaux. Comment fait-on bouger ce système ?

Finalement, ce sont les femmes du secteur privé les plus fragilisées, qui ont les carrières les plus discontinues, chaotiques, qui continuent à bénéficier des deux ans de bonification. Mais, dans la fonction publique, cette loi ne pose-t-elle pas problème ?

Mme Claude Greff : Il n'y a pas de précarité dans la fonction publique.

Mme Marie-Jo- Zimmermann, présidente : Ce n'est pas au point de vue de la précarité qu'il faut se placer, mais de l'évolution de la carrière. Elle est différente pour une femme, même encore aujourd'hui.

Mme Claude Greff : Non, pas dans le public.

Mme Marie-Jo- Zimmermann, présidente : Si. Il y a une interruption automatique, il faut neuf mois pour avoir un enfant.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : Pourquoi Madame Anne-Marie Colmou a-t-elle fait 17 propositions ?

Mme Arlette Grosskost : On est d'accord sur le principe : on dit «n'employez pas de jeunes femmes, car nous avons peur qu'elles fassent des enfants » ; c'est bien connu.

Mme Marie-Jo- Zimmermann, présidente : Oui et cela existe toujours. L'évolution des carrières est différente.

Mme Arlette Grosskost : La bonification, que ce soit d'un an dans le public ou de deux ans dans le privé, était-elle faite pour compenser l'évolution des carrières ou était-elle une mesure de politique familiale ?

Mme Marie-Jo- Zimmermann, présidente : Selon moi, c'est une compensation.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : Cela a été conçu, bien souvent, comme des mesures natalistes, mais les finalités ont évolué.

Mme Marie-Jo- Zimmermann, présidente : Je n'ai jamais compris que l'on ne se pose pas la question de l'année de service militaire. Personne ne la remet en cause.

J'ai été très choquée par le fait que l'on remette en cause l'année de bonification pour enfant dans la fonction publique, car j'ai toujours considéré que c'était une compensation par rapport à l'évolution de carrière. Même si aujourd'hui, au niveau des cadres, les femmes sont plus battantes, l'évolution professionnelle des hommes et des femmes n'est pas la même.

Mme Arlette Grosskost : C'est une interprétation : compensation ou mesure nataliste.

Il faut resituer la discrimination dans son contexte et se demander si c'est une mesure discriminatoire. Je n'en suis pas persuadée, c'est tout.

Si c'était une mesure nataliste, ce n'est pas une mesure discriminatoire.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : Pourquoi pas ?

Mme Arlette Grosskost : Pour moi, c'est un plus.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : Non, ce n'est pas un plus que d'être obligé de s'arrêter ou de travailler à temps partiel, que d'avoir une rémunération minorée, une retraite minorée. Ce n'est pas un plus pour la mère en question.

Celles qui auront des revenus supérieurs, pourront échapper à ce type de dispositif, pourront se faire aider, pourront continuer leur carrière. Elles ne demanderont pas à bénéficier du dispositif.

Celles qui ont des rémunérations moindres, demanderont à en bénéficier. Leur rémunération sera à temps partiel, l'évolution de carrière ne se fera pas, leur retraite sera minorée, etc.

Mme Marie-Jo- Zimmermann, présidente : Je pense que le temps partiel est toujours subi.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : C'est pourquoi je n'ai pas voulu entrer dans ce débat au départ.

Mme Claude Greff : Ce n'est pas non plus systématique. Il est aussi un choix.

Mme Arlette Grosskost : Certaines femmes préfèrent avoir une rémunération moindre, d'autres avoir un épanouissement dans le travail à temps complet.

Il est certain qu'il faut proposer davantage de structures d'accueil pour que le choix soit total.

Mme Marie-Jo- Zimmermann, présidente : Le temps partiel peut être apparemment choisi, mais je ne suis pas convaincue qu'il soit véritablement choisi. Ce qui m'inquiète, c'est le jour où l'on fera le compte final au terme de la carrière des femmes ayant travaillé à temps partiel.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin :  La question pour moi est de dire que, finalement, le temps partiel est présenté comme une mesure de conciliation vie familiale/vie professionnelle mais, qu'en réalité, c'est une mesure de conciliation pour les mères.

Or, c'est discriminatoire, parce que l'articulation vie familiale/vie professionnelle est un corollaire de l'égalité de traitement au sens de la Cour de Justice des Communautés européennes.

Donc, si l'on n'avance pas sur une conciliation pour les parents, et non pas seulement pour les mères, le travail à temps partiel restera discriminatoire.

Mme Arlette Grosskost : Je pense que la réflexion doit dans ce cas aller beaucoup plus loin. Puisque nous sommes en plein débat sur le divorce par exemple, cet espèce de différentiel que vous constatez, qui est un choix à l'intérieur de la famille, devrait porter conséquence au niveau de la rupture de la vie familiale de quelque manière que ce soit, par le divorce ou par le décès. Or, je crois, au contraire, que l'on s'en éloigne.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : On prend le problème par un bout et on retrouve un ensemble plus large.

Mme Marie-Jo- Zimmermann, présidente : Je suis tout à fait d'accord. C'est pour cela que j'ai voulu travailler sur le temps partiel, car autour du temps partiel, il faut mener une réflexion sur l'ensemble de ce que représente le travail de la femme, sur l'articulation vie familiale/vie professionnelle.

S'agissant du divorce, on va faire une loi qui, à terme, aura des conséquences terribles pour les femmes qui ne travaillent pas à temps plein. Je crois que l'on oublie cet aspect, ce qui m'inquiète beaucoup.

Mme Geneviève Levy : On ne l'a pas complètement oublié. On l'a peut-être insuffisamment traité.

Mme Marie-Jo- Zimmermann, présidente : C'est un aspect qu'il ne faudra surtout pas négliger, notamment dans les recommandations que la Délégation fera sur le temps partiel, et qu'il faudra relier à d'autres domaines, comme la retraite ou le divorce.

Nous en sommes au début de notre réflexion sur le temps partiel et sur ses vraies conséquences et nous ne voyons pas aujourd'hui encore tous les dégâts que cela va occasionner.

Mme Claude Greff : Il faut différencier le temps partiel imposé et le temps partiel choisi. Dans notre réflexion, il sera nécessaire de nuancer ces deux notions. Quand on opte pour un temps partiel choisi, cela veut dire qu'on choisit une qualité de vie.

Mme Marie-Jo- Zimmermann, présidente : Je l'espère. Mais il y a des professions pour lesquelles cela ne représente pas une qualité de vie.

Mme Claude Greff : Il y a des choix contraints. Comment les définiriez-vous ?

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : Il est plus pratique que l'un des deux parents s'arrête et, comme c'est la femme qui gagne un peu moins que le mari, il va de soi que c'est à elle de s'arrêter.

Mme Claude Greff : Il s'agit d'une contrainte décidée à deux.

Mme Marie-Jo- Zimmermann, présidente : Au départ.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : Apparemment.

Mme Marie-Jo- Zimmermann, présidente : Le couple décide ensemble que la femme prendra un temps partiel, mais le jour où la femme se retrouve abandonnée, même s'il est vrai que cela a été un choix de couple au départ, la vie évoluant, elle se retrouve dans une situation très difficile.

Mme Claude Greff : Puisque le choix a été commun, il faut l'assumer.

Mme Marie-Jo- Zimmermann, présidente : C'est en cela que je dis que la loi sur le divorce n'assume pas complètement ce choix.

Mme Claude Greff : Je suis d'accord. A partir du moment où l'on rompt un choix de vie, il faut assumer un temps partiel choisi à deux ; l'homme doit donc assumer le désagrément de ce qui était vécu comme quelque chose de positif avant la rupture, mais qui, au final, ne l'est plus.

Mais lorsque c'est un temps choisi, vécu jusqu'au bout, pourquoi la femme devrait-elle se sentir pénalisée par rapport à une autre femme ?

Je trouve discriminatoire de donner les mêmes avantages à une femme qui a choisi un temps partiel et à une autre qui n'a pas choisi le temps partiel.

De même, j'étais opposée à la solution de l'arrêt Griesmar, car il n'y avait aucune raison que l'homme bénéficie des mêmes bonifications que sa femme.

Mme Marie-Thérèse Lanquetin : La Cour de Justice ne résout pas le problème de M. Griesmar, elle donne la solution de principe et elle dit « compensation à la mère et au père, s'il fait la preuve qu'il a été veuf et qu'il a élevé les enfants ».

L'affaire est revenue devant le Conseil d'Etat français et c'est lui qui a assimilé la situation de la mère à celle du père en disant qu'il a des enfants à charge et qu'il les a élevés. Mais ce n'est pas ce que dit la Cour de Justice. Il y a un espace entre l'arrêt du Conseil d'Etat et celui de la Cour de Justice, que la France n'a pas voulu voir.

C'est cet espace que j'essaie de travailler, car la Cour de Justice cherche à faire évoluer les rôles.

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