DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 14

Mardi 27 avril 2004
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Jérôme Bédier, président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (F.C.D.)

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu M. Jérôme Bédier, président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (F.C.D.).

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir M. Jérôme Bédier, président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution.

Le secteur de la grande distribution, qui représente environ 65 % des ventes de produits alimentaires en France, dans près de 10 000 points de vente, répartis entre les supermarchés, les hypermarchés et les magasins discount, emploie près de 625 000 salariés, dont un grand nombre de femmes travaillant principalement à temps partiel.

Si le temps partiel ne fait pas l'objet actuellement d'un travail législatif, notre Délégation a néanmoins souhaité mener une réflexion sur son développement, qui date des années quatre-vingts. Nous avons considéré qu'il y avait lieu, vingt-cinq ans après, d'effectuer un bilan pour établir les avantages et les inconvénients qu'il peut apporter aux femmes et déterminer la façon dont l'utilisent les entreprises.

Une question qui est toujours à l'ordre du jour est la suivante : le temps partiel est-il un temps choisi ou un temps subi ? Il est certain que la réponse est difficile à donner dans la mesure où, même lorsqu'il est choisi, le temps partiel peut être, à un certain moment, subi. C'est une des raisons qui a poussé la Délégation à entreprendre une réflexion et à vous auditionner en premier lieu, le secteur de la grande distribution étant un des principaux utilisateurs du temps partiel.

M. Jérôme Bédier : Le temps partiel constitue, pour notre secteur d'activité, un sujet important. En effet, le métier du commerce est un métier dans lequel les femmes ont toujours joué un rôle essentiel. Depuis toujours, on sait le rôle que les femmes jouent dans le monde du commerce, quelle que soit la taille des magasins.

Tout d'abord, je ferai un certain nombre de rappels. Le secteur dit de la grande distribution comprend tous les formats. Notre fédération représente de la supérette à l'hypermarché, en passant par les supermarchés et les magasins discount, ainsi que les « cash and carry » qui approvisionnent les commerçants indépendants spécialisés. Nous représentons donc l'ensemble du spectre de la distribution généraliste ou à prédominance alimentaire organisée. En effet, dans notre domaine, en dehors de l'artisanat et de quelques spécialités, la distribution est constituée en réseau organisé, mais avec des formats très différents qui permettent de coller aux besoins des clients et à la situation des villes et villages en France.

Comme vous l'avez rappelé, nous sommes un secteur très féminisé, puisque nos effectifs sont composés à 61 % de femmes, soit 383 700 sur un effectif global de 625 000 personnes. Cet effectif majoritairement féminin comprend notamment l'ensemble des hôtesses de caisse, même si l'on compte quelques « hôtes ».

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Lors de l'embauche des hôtes et des hôtesses, y a-t-il une sélection faite en accordant une préférence aux femmes ?

M. Jérôme Bédier : A réception des candidatures d'hommes et de femmes, le choix se fait en fonction des compétences.

Dans les autres postes de nos magasins, nous avons accru la proportion de femmes. Plus de 20 % des effectifs de chefs de rayon sont des femmes. Nous constatons qu'elles commencent à gravir les échelons : 37 % des agents de maîtrise et 26 % des cadres le sont également. Par exemple, l'actuel directeur des achats du groupe Carrefour en France, un des plus gros postes dans notre secteur et poste traditionnellement masculin, est tenu par une femme qui s'appelle Nathalie Mesny. A cet égard, les directions des achats comptent de plus en plus de femmes. On retrouve également beaucoup de femmes dans les services fonctionnels, juridiques, etc.

En résumé, notre secteur est largement féminisé dans les magasins, notamment avec les hôtesses de caisse, et se féminise progressivement aux postes qui étaient traditionnellement des postes d'hommes. Nous sommes d'ailleurs là au confluent de deux traditions, celle du commerce dans lequel les femmes sont très représentées, et celle de la logistique - entrepôt, mise en rayon - qui est plutôt un métier d'homme. Telle est, rapidement brossée, la physionomie générale de la féminisation de notre secteur.

S'agissant du temps partiel, nous considérons depuis longtemps que le temps partiel est un mode d'organisation du travail qui est une grande opportunité et que l'on a malheureusement considéré plutôt comme une contrainte. C'est un point que nous avons d'ailleurs souvent relevé : on a présenté la réduction du temps de travail comme une grande victoire et jamais le temps partiel comme un moyen de faire de la RTT. Le temps partiel est à la fois un mode de partage du travail et une réduction du temps de travail. Il constitue une sorte d'anticipation d'une forme de RTT un peu particulière, avec les contraintes qui sont les siennes. Mais jamais le problème n'a été posé en ces termes.

Pour nous, l'une des raisons principales en est que le monde syndical semble très opposé au temps partiel. Il considère globalement que le temps partiel relie des salariés à l'emploi de manière un peu différente de celle du contrat de travail habituel. Nous sentons, dans le monde syndical, une forme de tension vis-à-vis du temps partiel, car le grand salariat traditionnel de CDI leur apparaît comme plus « syndicable » ou plus intéressé par les questions syndicales qu'un salarié en CDD ou à temps partiel. D'où cette idée de travail précaire appliquée au temps partiel, que nous récusons à juste titre.

A plusieurs reprises, nous nous sommes exprimés auprès des différents ministres et responsables concernés, en particulier M. Jacques Barrot, en soulignant le fait que le temps partiel n'est pas un travail précaire. Un contrat à durée déterminée peut être considéré comme précaire, mais nos emplois à temps partiels sont des contrats à durée indéterminée et aussi stables que tous les autres contrats à durée indéterminée.

Une sorte d'amalgame est faite entre des contrats précaires, soit à durée déterminée ou en intérim, et les contrats à temps partiel. Cela peut venir du fait que certaines personnes travaillant à temps partiel se trouvent, par ailleurs, dans une situation personnelle relativement précaire, compte tenu des revenus du foyer. Pour notre part, nous considérons et répétons de manière très ferme que le travail à temps partiel, s'agissant d'un contrat à durée indéterminée, n'est pas un travail précaire. Les contrats à temps partiel répondent aux mêmes contraintes et modes d'organisation que les contrats à durée indéterminée.

Avant d'aborder les modes d'organisation du temps partiel que nous avons mis en place, lorsque les syndicats faisaient baisser le temps de travail du contrat à durée indéterminée, nous augmentions celui du contrat à temps partiel. Au final, on ne voyait plus très bien où était la vraie place du temps partiel.

Il y a quelques années, nous avions exprimé la nécessité de faire du travail à temps partiel une vraie opportunité pour la société. A l'époque, en liaison avec nos autres collègues du commerce, dans le cadre du Conseil National du Commerce de France, nous avions demandé un rapport à une personnalité extérieure sur le temps partiel. Nous avions confié le travail à M. Jean Kaspar, ancien responsable de la CFDT, qui avait une très bonne connaissance du sujet. Il revenait des Etats-Unis où le temps partiel est considéré comme un réel avantage, car il permet de concilier vie professionnelle et vie personnelle et de ne pas se couper de la vie professionnelle. Ainsi, une femme peut prendre un temps partiel pour se consacrer à sa famille, puis reprendre éventuellement une vie professionnelle à temps complet. M. Jean Kaspar était revenu des Etats-Unis avec l'idée que le temps partiel n'était en aucun cas considéré comme une survivance moyenâgeuse et mal organisée du travail.

Dans son rapport, il a passé en revue la plupart des problématiques qui traversent le temps partiel, notamment le temps partiel subi ou choisi, l'évolution de carrière, etc. Comme il le souligne dans son avant-propos, c'est un rapport dont l'objectif est le suivant : « Très longtemps, tout au long du 19e siècle, deux temps dominaient, celui du travail et du repos pour récupérer la fatigue des longues journées de labeur. Puis avec la scolarité obligatoire, il y a eu trois temps : l'éducation, le travail et le repos. Ensuite, les temps se sont multipliés : temps de l'éducation, de l'apprentissage, de la formation, du travail, des congés, des loisirs, de la vie personnelle, de la retraite, de l'engagement citoyen, etc. » Il dit très clairement que « le temps partiel peut être le moyen de contribuer à l'alternance de ces temps ». C'est la vision moderne du rôle du temps partiel. « Une telle évolution ne se fera pas spontanément. Elle implique en tous cas une revalorisation sociale, économique et culturelle du temps partiel. »

Le problème aujourd'hui, c'est que le temps partiel porte une image négative qui freine son bon usage et son développement. Encore une fois, j'attribue cette image négative au souhait des syndicats de ne pas laisser le statut du travail se complexifier. A cet égard, syndicalement, il est beaucoup plus compliqué de défendre les intérêts de salariés plus ou moins indépendants, plus ou moins à temps partiel. Cela oblige le syndicalisme à se réorganiser et à se rénover dans une autre ambiance. C'est mon sentiment, qui ressort des discussions, par ailleurs fructueuses, menées avec les syndicats.

M. Jean Kaspar rappelle que « le temps partiel peut notamment apporter une contribution déterminante à la lutte contre le chômage et contre certaines formes d'exclusion. Il peut mettre le pied à l'étrier de jeunes mal ou peu formés. Il favorise aussi la création d'emplois en prenant mieux en compte l'aspiration nouvelle d'une couche de plus en plus importante de la population. Nous sommes convaincus, au terme de notre travail d'investigation, qu'il s'agit d'un sujet qui va être placé au centre d'un processus de négociation donnant aux acteurs économiques, sociaux et associatifs un rôle prépondérant. »

Telles sont, brièvement résumées, les conclusions de ce rapport que je vous communiquerai. Ce rapport date un peu, car il a été remis en août 1999, mais l'essentiel de la problématique reste néanmoins d'actualité et il permet d'avoir une sorte d'état de la question à un moment donné. Si votre Délégation l'estimait utile, nous serions prêts, en liaison avec M. Jean Kaspar, à retravailler sur ce sujet et à le réactualiser.

M. Jean Kaspar a également fourni une synthèse, d'ailleurs sans complaisance, de ce rapport. Dans les « Points forts de l'enquête : 1) moralisation et valorisation du temps partiel », il milite pour une nouvelle dynamique du temps partiel, pour qu'il soit choisi et non subi, et que la société en fasse l'un des éléments du temps de travail.

Je vais maintenant vous exposer la façon dont nous avons travaillé. Nous avons été actifs dans la négociation sociale sur ce sujet, à tel point que les dispositions des « lois Aubry » sur le temps partiel constituent quasiment un « copié-collé » des dispositions déjà prévues par notre convention collective. D'ailleurs, à l'époque, nous avions eu un grand nombre de contacts avec le chef de cabinet de Mme Martine Aubry, qui nous interrogeait sur les modalités que nous avions mises en place. Tous les systèmes de minimum et de temps organisé ont été plus ou moins calés sur ce que nous avions nous-mêmes décidé.

S'agissant de nos discussions avec les partenaires sociaux, tout d'abord, nous avons avancé sur le minimum d'heures des contrats dans notre secteur professionnel. Ce minimum s'établit à 22 heures par semaine, au titre de la convention collective, qui rend obligatoire que l'horaire régulier soit effectué de telle façon que les salariés qui le souhaitent puissent exercer une autre activité professionnelle. Le respect de cette obligation de la convention collective s'organise selon la taille des magasins.

Toutefois, il convient d'admettre que la réalité aujourd'hui, compte tenu des souhaits de nos salariés et des pressions des syndicats, c'est que le temps partiel est plutôt un mini temps plein qu'un temps partiel, puisque la plupart de nos grandes enseignes ont accepté d'aller jusqu'à 30 heures d'heures de base par semaine. La mauvaise image du temps partiel nous a conduit à renoncer nous-mêmes à ce qui pouvait constituer une partie des avantages du temps partiel. En effet, un salarié qui travaille 30 heures minimum par semaine est quasiment un temps plein, par rapport aux 35 heures. D'ailleurs, certaines de nos enseignes, comme Carrefour, ont des temps pleins à 32 heures. La différence entre temps plein et temps partiel est donc minime.

La pression que nous avons subie sur le temps partiel, de la part de nos partenaires, nous a conduit, notamment pour les grandes enseignes qui sont les plus soucieuses de leur image sociale, à la signature d'accords, même si, dans le même temps, nous sommes restés très attentifs à la qualité du dialogue social. C'est ce qui explique que le temps partiel, dans notre secteur d'activité, soit une sorte de mini temps plein.

Pour autant, d'autres enseignes, notamment des magasins plus petits, sont encore aux 22 heures avec des systèmes d'heures complémentaires, lesquels font d'ailleurs que l'horaire moyen des salariés s'établit à 26,50 heures en moyenne pour l'ensemble de nos salariés à temps partiel, soit huit heures d'écart avec un temps complet. Le temps partiel peut être considéré comme un trois-quarts de temps.

Nous avons une autre règle qui s'applique de manière assez générale. Pour les salariés qui sont en modulation, c'est-à-dire qui ont un rythme annuel qui permet de tenir compte des périodes de forte chalandise, la durée minimale hebdomadaire du travail est portée de 22 à 26 heures, avec une modulation de plus ou moins quatre heures par semaine. L'amplitude est donc de plus ou moins quatre heures par semaine par rapport aux 26 heures.

Nous avons aussi beaucoup travaillé sur le sujet des coupures et la façon dont la journée peut être organisée. La première règle en la matière est qu'il ne peut y avoir de durée de travail inférieure à trois heures. Aucun salarié ne se déplace pour moins de trois heures. La deuxième règle est que la coupure doit être au maximum de quatre heures, lorsqu'il y a fermeture à mi-journée de l'établissement. Cela vaut pour beaucoup de nos magasins, en général des supérettes et des supermarchés, qui en province ferment entre midi et 15 heures, voire 15 heures 30. Cela peut constituer un avantage pour les femmes qui y travaillent, car elles peuvent ainsi rentrer chez elle pour s'occuper de leur famille.

Quand il y a fermeture à mi-journée de l'établissement, la coupure maximum est de quatre heures. Si l'établissement reste ouvert toute la journée, la coupure est de trois heures, dans la limite de deux fois par semaine, et de deux heures les autres jours, avec la possibilité que les accords d'entreprise fixent des durées plus courtes.

Nous avons un autre système que nous favorisons beaucoup et qui permet une organisation du travail plus efficace, c'est ce que l'on appelle les îlots de caisses. Cette expérimentation, qui date d'il y a sept ou huit ans, consiste à laisser à un groupe d'hôtes et d'hôtesses de caisse le soin de s'organiser eux-mêmes. Les salariés se portent volontaires en fonction des demandes du chef de magasin qui requiert la présence de tant de salariés à tel et tel moment de la journée ou de la semaine. Ce système d'organisation du travail, qui fonctionne bien et que nous essayons de généraliser, est encadré par un certain nombre d'articles de notre convention collective, mais pose un problème au regard du code du travail, car cela n'y est pas prévu. Il nous semblerait intéressant, dès lors que ce sujet pourrait concerner d'autres secteurs, d'examiner s'il y aurait là matière pour pousser à une forme d'autogestion les salariés à temps partiel.

Autre point, les contrats à durée déterminée ne sont pas autorisés pour le temps partiel, sauf si des raisons spécifiques le justifient. Notre taux de contrats à durée déterminée, qui est relativement élevé, s'explique par les remplacements, principalement effectués par des étudiants, en période de vacances ou de fêtes.

En ce qui concerne la rémunération, elle fait l'objet de dispositions particulières. Dans la convention collective, nous avons fixé la règle suivante, à savoir que la rémunération d'un temps partiel doit être proportionnelle à celle d'un temps complet. Lorsqu'il s'agit d'emplois de même nature, il n'est pas question de créer de différence entre des temps partiels et des temps complets.

Au cours des discussions sur les 35 heures, nous n'avons pas souhaité créer d'obligations de réduction proportionnelle du temps de travail. Au contraire, nous sommes plutôt dans une tendance d'augmentation du temps de travail. L'horaire moyen des salariés à temps partiel a connu une croissance assez rapide puisque nous sommes passés, en une dizaine d'années, de 22 heures à 26 heures 50.

Aujourd'hui, nous considérons que le statut des employés à temps partiel est établi sur de bonnes bases. Pour aller dans le sens des demandes qui nous étaient faites, nous avons abandonné une certaine vision du temps partiel qui consistait à défendre un vrai mi-temps, c'est-à-dire un temps de travail entre 15 et 20 heures. Nous avons cédé et nous avons maintenant un temps partiel qui peut être assimilé à un mini temps plein. Cela étant, nous pouvons continuer d'avancer sur le sujet, en reprenant le débat sur des bases différentes.

Un autre sujet sur lequel nous avons beaucoup travaillé est cette notion de temps partiel choisi ou subi. Selon une étude d'« Economie et Statistique » d'octobre 2001 intitulée : Le travail à temps partiel féminin et ses déterminants, de Cécile Bourreau-Dubois, Olivier Guillot, et Eliane Jankeliowitch-Laval), il semblerait que moins d'un tiers des salariés à temps partiel sont dans la situation d'un temps partiel dit subi, c'est-à-dire qu'ils souhaiteraient travailler plus.

A cet égard, la question qui se pose est très simple : sachant que certaines personnes voudraient travailler plus, faut-il pour autant leur interdire de travailler à temps partiel ? Si l'on considère que, parce que certains ont un temps partiel subi, il faut pousser les gens à travailler à temps plein, cela implique que les entreprises auront moins d'emplois à offrir.

En fait, la problématique peut se poser en ces termes : aujourd'hui, les entreprises font des offres de travail à temps partiel, que des personnes acceptent, tout en souhaitant travailler plus. Nous considérons, ainsi que le rappelle très bien M. Jean Kaspar dans son rapport, qu'il est préférable pour une personne de travailler à temps partiel plutôt que de ne pas travailler. Comme je l'ai mentionné lors d'une manifestation récente organisée par Emmaüs, notre profession ne peut être tenue responsable des difficultés que rencontrent certains foyers, notamment monoparentaux, dans lesquels malheureusement la femme a un travail à temps partiel qui ne lui assure pas un revenu suffisant.

En fait, la vraie question est de déconnecter ce problème social de celui du travail à temps partiel. Dans la mesure de nos moyens, notre but est qu'il y ait de moins en moins de temps partiel subi et de plus en plus de temps partiel choisi. Nous essayons de tenir compte au maximum des souhaits de nos salariés, mais la situation personnelle des salariés doit être traitée en dehors de l'entreprise. Il est certain qu'une femme cadre supérieur, qui travaille à temps partiel, n'en retire que des avantages, alors qu'une femme, chef de famille monoparentale, qui ne reçoit aucune pension de son ancien conjoint, vit le temps partiel comme un drame social. Néanmoins, l'employeur ne peut être tenu responsable de cette situation dramatique, même s'il doit y rester attentif.

D'où la question importante quant à l'articulation entre le travail à temps partiel et les dispositifs sociaux. On rejoint là le revenu minimum d'activité (RMA) et toute une série de dispositifs sur lesquels, à mon avis, il reste beaucoup de travail à faire. Si l'on arrive à la conclusion que le temps partiel est bon en soi et que l'on ne peut imposer aux magasins d'embaucher des salariés à temps plein, il faut que l'articulation de ce travail à temps partiel avec l'ensemble des dispositifs qui existent par ailleurs pour les familles se fasse de la manière la plus efficace possible. Cela nous paraît être une piste intéressante de nature à débloquer psychologiquement le système, à la fois pour l'employeur et l'employé. A force de lire dans la presse que le temps partiel équivaut à de l'esclavage moderne, du travail précaire, cela finit par empoisonner l'esprit de tous ceux qui sont concernés.

A cet égard, « Envoyé Spécial » a proposé, il y a quelques années, un reportage très intéressant sur les caissières, notamment dans les magasins Casino. Lorsque le journaliste demandait à une caissière ce qui l'avait le plus choqué, elle répondait que c'était la mauvaise image des hôtesses de caisse, même si la plupart d'entre elles font très bien leur métier. Elle racontait cette anecdote d'un père qui, passant à la caisse avec sa fille qui faisait des bêtises, la grondait en lui disant : « Si tu continues comme ça, tu finiras comme elle ! » Le dommage le plus fort était celui de l'image.

Il conviendrait donc non seulement de rappeler que le temps partiel peut être une source d'avantages, mais aussi que des dispositifs sociaux peuvent aider les salariés à temps partiel pour lesquels cela pose un problème social. Toutefois, même dans de telles conditions, le temps partiel est un moyen pour la personne de rester en contact avec la société et de continuer d'avancer. Si l'accent était mis sur cette image, cela permettrait de débloquer nombre de situations délicates et contribuer à une meilleure organisation des temps de travail entre vie personnelle et vie professionnelle.

Dernier point, il est certain que l'utilisation du temps partiel a été favorisée par les décisions prises, à une époque, sur les exonérations de charges sociales. Pour notre part, nous regrettons que ces exonérations, pour des raisons budgétaires, voire d'idéologie politique, aient été proratisées. Elles sont maintenant proportionnelles au temps de travail passé et perdent ce côté d'incitation pour le partage du travail. L'Etat considérait que le temps partiel était un des moyens de recréer un peu d'oxygénation et de souplesse dans le dispositif et, comme le rappelle M. Jean Kaspar, de traiter mieux toute cette frange de gens qui sont entre le travail et le non-travail, pour des raisons soit d'insertion, soit d'ordre familial. A cet égard, le secteur du commerce est un grand secteur d'insertion, car on y retrouve ceux qui n'ont pas de diplôme, ceux qui ont des difficultés relationnelles et qui, malgré tout, peuvent travailler dans nos activités logistiques. La distribution est donc un grand secteur d'insertion de jeunes et de personnes en cours de réinsertion dans la vie professionnelle. Cette vocation fait partie de nos caractéristiques et de notre devoir, et est sans doute facilitée par la qualité des dispositifs mis en place, notamment ceux sur le temps partiel.

Mme Claude Greff : Vous avez très bien exposé les avantages pour les salariés à travailler à temps partiel. Pourriez-vous maintenant expliquer quels sont les avantages pour les entreprises à employer des temps partiels ?

M. Jérôme Bédier : L'avantage principal pour les entreprises vient du fait que leurs activités sont dépendantes des clients, c'est-à-dire que selon les moments, les clients sont nombreux ou absents de nos magasins. Comme les clients n'aiment pas attendre aux caisses, nous devons nous organiser de telle sorte que l'on offre le maximum de services aux clients, sans mobiliser inutilement des batteries de caisse au moment où les clients sont absents du magasin.

C'est une alchimie assez complexe, qui oblige à avoir des densités d'effectif dans les magasins très différentes d'un moment à l'autre. Le temps partiel est un moyen très efficace pour créer ce système-là, sans pour autant supposer que l'on appelle les salariés au pied levé, car il y a un délai de prévenance à respecter. Cette adaptation constitue l'avantage principal que représente le temps partiel pour l'entreprise.

Le temps partiel peut également, comme on le voit dans d'autres pays, concerner des catégories spécifiques de population, telles que les salariés seniors.

Le temps partiel est un système qui, dans notre secteur d'activité, est très encadré par toute une série de règles que l'on retrouve dans la convention collective, à la fois sur le temps minimum, l'organisation du temps de travail et les coupures. Tout ce dispositif est soumis au contrôle de l'inspection du travail.

Pour ce qui est de l'application concrète du temps partiel, nous sommes confrontés à deux difficultés. La première concerne la région parisienne. Autant revenir chez soi déjeuner quand on travaille dans un magasin en province est possible, autant en région parisienne, c'est beaucoup plus compliqué. Quand les salariés ont une coupure de trois heures, la plupart ne peuvent pas rentrer chez eux. D'ailleurs, ce problème du temps partiel, notamment dans certains magasins, a été vu souvent au travers de magasins parisiens dont les modes de fonctionnement ne reflètent pas ce qui se passe dans la moyenne de notre secteur professionnel.

Quant à la deuxième difficulté que nous essayons de traiter dans notre convention collective, ce sont les magasins indépendants qui fonctionnent dans un climat familial. Dans ces magasins qui comptent une quarantaine de salariés qui se connaissent tous, il y a des contraintes et le système n'est pas aussi implacablement applicable que ce que l'on peut trouver dans d'autres enseignes plus intégrées. Il peut donc y avoir des cas où l'organisation du travail n'est pas toujours un modèle du genre. Mais encore une fois, la convention collective existe et s'applique à tous les magasins, indépendants ou pas.

Mme Claude Greff : Ma question était ciblée sur les avantages que l'entrepreneur pouvait avoir à embaucher des salariés à temps partiel. J'ai bien compris qu'il y avait déjà l'avantage de la modulation, mais serait-ce le seul pour l'entreprise ?

M. Jérôme Bédier : C'est l'avantage principal. Avant, il y avait un avantage supplémentaire qui était l'exonération de charges sociales, lorsqu'elles n'étaient pas proratisées, mais maintenant ce n'est plus un avantage car elles sont proportionnelles. A une époque, il y a eu une politique volontaire d'incitation au développement du temps partiel, dans le cadre de la politique de l'emploi. Une des questions que l'on peut se poser est s'il faut ou non inciter au temps partiel. C'est une des manières différentes d'aborder la réduction ou le partage le temps de travail.

Mme Catherine Génisson : Je confirme que votre convention collective a servi de base aux modifications de la pratique du temps partiel introduite dans la « loi Aubry ».

Je voudrais vous poser un certain nombre de questions précises. Comment travaillez-vous sur l'intégration des heures complémentaires par rapport à vos modèles de modulation ? En effet, vous avez indiqué qu'il y a, pour un certain nombre des personnes, une annualisation. Comment intégrez-vous les heures complémentaires dans le temps de travail ordinaire ?

Par ailleurs, continuez-vous à diversifier les fonctions des personnes qui travaillent à temps partiel ? En effet, vous avez rappelé que les caissières travaillent à temps partiel en raison des contraintes de chalandise. Mais il y a aussi le fait qu'une caissière ne peut travailler à temps plein à une caisse, compte tenu de la pénibilité du travail. Or, un certain nombre d'entreprises de distribution ont fait diversifier les tâches de ces personnes en leur faisant tenir la caisse, à un moment, puis en les affectant au remplissage des rayons, à un autre. Est-ce un fonctionnement que vous favorisez ?

Enfin, s'agissant des coupures, même s'il est vrai que c'est dans la région parisienne que se pose majoritairement ce problème, il ne faut pas ignorer la façon dont cela peut se passer en province. En effet, quand les salariés habitent loin de leur lieu de travail, avoir deux ou trois heures de coupure entraînent des frais pour ces personnes qui ont des revenus relativement bas et qui sont souvent, y compris en province, majoritairement des femmes chefs de famille monoparentale.

Vous avez mentionné un élément intéressant que sont les îlots de caisse, fonctionnant selon un quasi-principe d'autogestion. Pourriez-vous nous dire s'il y a une caissière chef qui préside à l'organisation de ces îlots de caisse ou si c'est de l'autogestion au sens plein du terme ?

Vous avez fait état de vos revendications en soulignant que l'on ne peut pas vous accuser de tous les maux en voulant assurer la mise en place du temps partiel, que l'on ne peut pas demander à l'entreprise de rémunérer à taux plein des personnes qui travaillent à temps partiel et que, pour autant, ces personnes devraient pouvoir accéder de façon préférentielle aux dispositifs sociaux. A cet égard, je vous rappelle qu'actuellement, une personne qui travaille, ne serait-ce qu'à temps partiel, n'a pas accès aux dispositifs sociaux. Cet accès est très encadré, y compris pour les emplois consolidés et pour le cumul d'un RMI ou d'un RMA avec un temps partiel. Ce sont des dispositifs qui n'existent plus actuellement.

Enfin, vous avez parfaitement souligné que l'intérêt du temps partiel pour l'entreprise, c'est la modulation du temps de travail. Quand il a été établi que le temps partiel, même s'il présentait des avantages, était majoritairement assumé par les femmes, donc subi par un tiers d'entre elles - bien qu'il me semble plutôt que ce soit deux tiers subi, un tiers choisi -, cela avait conduit à la décision, à la fois budgétaire et politique, de supprimer l'exonération de charges spécifiques pour le temps partiel, afin de casser ce recours au temps partiel.

M. Jérôme Bédier : Pousser cette problématique temps partiel subi/temps partiel choisi aboutit à un rapprochement très fort du temps partiel avec le temps complet, comme nous le constatons dans notre secteur. C'est une question qui doit être examinée très précisément, car nous ne pouvons pas être rendus responsables des problèmes que rencontrent toutes les personnes que nous employons à temps partiel.

Mme Catherine Génisson : Il ne s'agit pas de vous rendre responsable. Politiquement, nous avions tous supposé que le temps partiel allait résoudre le problème du chômage.

Mme Claude Greff : Certes, mais à la base, le temps partiel n'est pas fait pour cela.

M. Jérôme Bédier : Cela permet de sortir des personnes du cycle du chômage.

Mme Catherine Génisson : La mise en place du temps partiel, avec en plus des exonérations de charges sociales importantes, au moment où le chômage a augmenté de façon significative, représentait une des solutions pour contrer le chômage. Aujourd'hui, il faudrait essayer de valoriser le temps partiel, sans doute plus avec les mêmes arguments qu'auparavant.

Mme Claude Greff : Le but de cette audition n'est pas de nous pencher sur le bien-fondé des exonérations de charges sociales, mais de déterminer si le temps partiel est plutôt un temps de travail subi ou choisi, et de déterminer s'il constitue un avantage pour les deux parties en jeu, l'entreprise et le salarié.

M. Jérôme Bédier : Je pense que cet aspect temps subi/temps choisi est l'élément clé qui déterminera l'image du temps partiel dans notre société. Plus on donnera l'impression que le temps partiel subi est un problème insupportable pour la société, plus cela poussera les acteurs à sortir du temps partiel. C'est la raison pour laquelle nous restons très attentifs à cela. A chaque fois qu'un magasin peut faire passer un salarié sur un temps de travail qui correspond mieux à ses souhaits, il s'efforce de le faire. Mais si la société nous rend responsable du temps partiel subi, nous ne pourrons pas continuer comme cela.

Il faut savoir qu'un certain nombre d'expérimentations, menées notamment aux Etats-Unis, poussent à la diminution du nombre de caissières grâce à de nouvelles technologies. Si on continue d'accuser les entreprises d'employer des salariés avec des temps partiels subis, ce qui est un terme lourd, car cela renvoie à une image très négative, elles se tourneront vers les nouvelles technologies, c'est-à-dire les portiques qui font office de caisses automatiques et qui remplacent les caissières. L'entreprise gardera quelques caissières à temps plein et supprimera toutes celles qui sont à temps partiel. Ainsi, il ne sera plus question de temps partiel choisi ou subi.

Notre souhait est de garder nos caissières, car il est important d'avoir un élément humain dans les magasins, mais si on nous renvoie en permanence cette image négative des temps partiels subis, nos entreprises se tourneront vers les nouvelles technologies. Il faut dire que l'on rend responsable le secteur de la distribution de nombre des problèmes que connaît notre société, notamment les difficultés de l'agriculture, les cessations d'activité des PME, l'aménagement urbain à l'entrée des villes, etc.

En ce qui concerne les heures complémentaires, le fait d'augmenter le minimum d'heures aboutit à restreindre très fortement le recours aux heures complémentaires. Dans le passé, une des grandes souplesses de ce système était apportée par les heures complémentaires. En règle générale, les plannings étaient établis à l'avance, même si parfois les caissières acceptaient de venir avec un délai de prévenance très court. Ce système des heures complémentaires a perdu beaucoup de son impact. On est en train de lisser plus ou moins les heures complémentaires et de créer, sous forme de nouveaux minima, un système de quota d'heures supplémentaires fixe, qui se réalise ou pas, d'où moins de différenciation des profils.

Auparavant, vous aviez des temps partiels qui restaient à leur minimum, d'autres qui allaient largement au-delà. Ce système s'est un peu figé. Cette évolution, que nous n'avons pas pu éviter, présente autant d'avantages que d'inconvénients, tout dépendant de l'image que la société a du temps partiel.

Pour en revenir au problème des coupures, c'est le plus difficile à résoudre. Si nos magasins étaient conduits à faire travailler de manière continue l'ensemble de leurs salariés à temps partiel, ils seraient rapidement confrontés à une forte désoptimisation du système, car ils se trouveraient dans l'obligation de garder du personnel à des moments où sa présence n'est pas indispensable.

Nous sommes preneurs d'une réflexion globale liée à cela, car nous considérons que le temps partiel mérite une réflexion qui, de ce point de vue, échappe à l'employeur seul, car il touche à la question des temps de la vie, de l'organisation des lieux de la ville, etc. De même qu'il y a une relation entre le temps partiel et les divers aspects d'aide sociale complémentaire, de même il y a un aspect complémentaire qui concerne les temps de la ville. Pour des raisons de niveau de vie, les salariés en viennent à habiter très loin des centres-villes où se passe l'activité. Cet éloignement crée une contrainte sociale forte et oblige l'aménageur, au sens large, à reprendre le problème d'une manière globale, c'est-à-dire avec le commerce, le transport, etc. C'est une réflexion que nous serions intéressés à développer.

A cet égard, nous avons déjà abordé le thème transport et commerce, notamment en région parisienne, avec par exemple les problèmes liés aux services offerts par la RATP. Nous leur avons démontré que les usagers prennent leur voiture en toute occasion, car l'ensemble du réseau n'a été conçu que pour optimiser le trajet « boulot, dodo ». Vous savez combien il est difficile de prendre les transports en commun avec des paquets volumineux ou un caddie. L'ensemble du réseau de transport en commun (bus ou métro) a été conçu sans aucun système intermodal avec le commerce. Cela rejoint d'ailleurs le problème des salariés car, en l'absence d'un réseau de transport établi en liaison avec les commerces, les salariés ne disposent d'aucun autre moyen de transport que l'automobile.

Maintenant prenons l'exemple du tramway, qui ne subit pas les problèmes liés à la circulation, dont les rames sont fréquentes et d'un accès plat. Ce moyen de transport est très bénéfique aux commerçants. Je peux vous citer le cas du magasin Carrefour de Drancy, qui se trouve sur le parcours du tramway et dont la chalandise vient pour moitié en tramway. C'est la même chose pour Strasbourg où deux grandes zones commerciales sont desservies par les tramways. Cela permet aux salariés de rejoindre sans encombre leur lieu de travail et aux magasins d'avoir une chalandise importante.

En d'autres termes, dans ce problème global de l'aménagement de la ville en fonction du commerce, il y a une vraie réflexion à mener, sachant que l'on reproche souvent aux commerçants d'être à l'origine des évolutions que certains condamnent, par exemple, concernant les entrées de ville. Toutefois, il faut aussi comprendre que les commerçants s'installent là où il y a de l'espace disponible et où nos clients peuvent venir. Pour preuve, dans les zones rurales désertifiées, il n'y a plus de commerçants. En revanche, dès lors qu'il existe une dynamique locale et des clients potentiels, des magasins s'installent, car la distribution compte suffisamment de formats entre supermarchés, supérettes, hypermarchés et maxi discount pour trouver le bon, en fonction de la clientèle.

Nous suivons les évolutions de la société et sur ce sujet-là comme sur d'autres, nous sommes très intéressés de voir comment nous pouvons agir. A cet égard, sur le terrain, un grand nombre de projets se mettent en place, en liaison étroite avec les élus, pour tenter de coller au maximum à ces évolutions.

Je le répète, si les salariés, pour des raisons d'organisation de la ville, travaillent tous très loin des centres de vie et de chalandise, cela rend par définition ce problème de la coupure très difficile à gérer. C'est d'ailleurs ce que nous constatons à Paris. Comme je l'ai rappelé à plusieurs reprises aux élus parisiens, il y a une volonté politique marquée de ne pas créer dans Paris de grandes surfaces de distribution. De ce fait, nous avons des magasins plus petits dont les conditions sociales ne sont pas faciles à gérer, si on prend déjà en compte le coût très élevé de la charge foncière. En conséquence, cela laisse peu d'espace pour créer des conditions sociales très favorables.

Nous constatons, à cet égard, que la politique sociale est plus difficile à gérer pour les petits formats, notamment pour organiser les rythmes de travail. D'ailleurs, à un moment donné, nous avons eu une revendication assez forte des supermarchés de ne plus être soumis à la convention collective des hypermarchés. Néanmoins, nous avons pris la décision politique, au plus haut niveau, de garder la même convention collective pour les hypermarchés et les supermarchés, afin de ne pas créer un système à deux vitesses qui divergerait, les hypermarchés pouvant plus facilement organiser leur droit social que les supermarchés. Pour les supérettes, c'est encore plus difficile.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Aujourd'hui, le temps partiel étant devenu un quasi mini temps plein, la complémentarité n'est plus possible. Or, il me semble que, dans les années quatre-vingts, la complémentarité était une volonté du salarié. Avez-vous des chiffres à cet égard ?

M. Jérôme Bédier : Autant il nous est facile d'obtenir des chiffres sur les volumes d'heures complémentaires significatifs, par rapport au minimum d'heures, autant il est très difficile de déterminer si les salariés ont un deuxième emploi, même si nous pensons qu'un certain nombre d'entre eux en ont un.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : En règle générale, est-ce un emploi dans le commerce ?

M. Jérôme Bédier : Cela peut être dans le commerce.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est un aspect que je découvre. Pour moi, le travail à temps partiel était plus lié à la vie privée qu'à un deuxième emploi. Par ailleurs, comment gérez-vous la carrière des salariés à temps partiel ?

Mme Anne-Marie Comparini : Quand les femmes choisissent de travailler à temps partiel, c'est généralement lié à une période limitée de leur vie. Mais actuellement les femmes qui choisissent cette opportunité s'aperçoivent que cela risque de les freiner dans la progression de leur carrière et l'obtention de formations. Le ressentez-vous de manière pratique ?

Mme Claude Greff : Je voudrais ajouter un autre élément à la question. Dans les années quatre-vingts, lorsqu'une personne choisissait un mi-temps, c'est parce qu'elle savait qu'elle pouvait éventuellement le compléter par un second mi-temps. Or actuellement le temps partiel frôle quasiment un mini temps plein, d'où la difficulté d'avoir un deuxième emploi.

M. Jérôme Bédier : La seule manière d'avancer sur la nature des autres activités professionnelles remplies par les femmes travaillant à temps partiel serait de procéder à des interviews en direct, en prenant deux ou trois magasins tests.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il serait intéressant pour la Délégation d'effectuer une visite sur le terrain et de rencontrer, par exemple, des responsables d'îlots de caisse, notamment en région parisienne. Seriez-vous à même d'organiser une telle visite ?

M. Jérôme Bédier : C'est tout à fait dans nos compétences.

Pour en revenir à votre question précédente, il est assez difficile de déterminer les autres travaux exécutés, qui peuvent être éventuellement « clandestins ». Pour votre information, nous pourrons vous fournir la moyenne d'heures complémentaires effectuées, il y a quelques années, avant les augmentations du temps minimum que nous avons connues depuis.

En ce qui concerne l'évolution des carrières dans le cadre d'un mi-temps, même si une femme à temps partiel peut bénéficier de l'évolution au niveau de la rémunération et des systèmes d'intéressement existants, il est certain que si elle veut accéder à des responsabilités plus importantes, elle doit passer à temps complet. Je pense que cela s'applique même à un responsable d'îlot de caisse.

Mme Anne-Marie Comparini : C'est là où le bât blesse.

M. Jérôme Bédier : Certes, mais il ne faut pas oublier que l'un des objectifs du temps partiel - et c'est là que l'on rejoint la notion de choisi ou subi - est de permettre à une femme de travailler plus à certaines périodes, notamment une fois que ses enfants sont élevés.

Mme Anne-Marie Comparini : Si une femme souhaite passer d'un temps partiel à un temps plein, y a-t-il un délai pour cela ?

M. Jérôme Bédier : Non, il faut attendre qu'un emploi corresponde aux souhaits de la personne.

Pour répondre à la question précédente, je vérifierai si les chefs des îlots de caisse sont salariés à temps plein ou à temps partiel. C'est une caissière qui anime l'îlot (elle change tous les six mois), le chef de caisse n'intervient que si nécessaire (pas de possibilités de remplir les plannings). Cela étant, la polyvalence est un sujet sur lequel nous travaillons. Nous pensons que la polyvalence, dans l'ensemble des magasins, notamment les plus grands - elle est généralisée en supérettes et en supermarchés -, permet de varier les tâches et de tenir compte de la situation de chacun.

Il y a également une prise en compte de la polyvalence dans notre système de validation des acquis. A cet égard, nous mettons en place une expérience, d'ailleurs reconnue et subventionnée par le ministère du Travail, qui consiste à mettre au point des systèmes d'autoévaluation des acquis en s'appuyant sur une base informatique. Cela permet à chaque salarié de s'auto-évaluer au regard de ses acquis professionnels et de construire des parcours complémentaires pour accéder à certaines qualifications. C'est d'ailleurs un système ouvert aux caissières et dont vous pourrez observer le fonctionnement lors de votre visite.

Mme Anne-Marie Comparini : Cela permet de revaloriser l'image du salarié. Ainsi un magasinier sait qu'il peut avoir d'autres fonctions, mais il doit y avoir très peu de magasiniers à temps partiel dans les magasins.

M. Jérôme Bédier : Oui, mais le travail d'entrepôt, malgré les périodes de grande consommation comme Noël, est plus régulier que dans les magasins.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Avez-vous des temps partiels parmi vos cadres ?

M. Jérôme Bédier : Je ne pense pas que cela concerne beaucoup de nos effectifs. Pour ce qui est des cadres de magasin, il est certain qu'ils ne sont pas à temps partiel. Dans les sièges, il peut y en avoir pour des fonctions horizontales, juridiques, etc. Mais d'une manière générale, les cadres sont plutôt à temps plein.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Pourrait-on envisager néanmoins qu'un cadre, entré à temps complet, obtienne, pour une durée déterminée, un temps partiel pour des raisons familiales ?

M. Jérôme Bédier : Pour un grand nombre de fonctions, cela peut se faire facilement. Parmi les collaborateurs des enseignes avec lesquels nous travaillons régulièrement, un certain nombre de femmes, notamment dans les services de communication, sont absentes le mercredi. C'est en fait plus lié à la nature du travail. Mais il est impossible d'envisager un encadrement hiérarchique dans le magasin, tels que les chefs de rayon, travaillant à temps partiel.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Y a-t-il une possibilité de travailler en binôme ?

M. Jérôme Bédier : Cela peut se faire, mais dans le cas d'absences d'au moins plusieurs semaines. Pour les périodes courtes, c'est difficile de l'envisager, car un rayon, c'est une entité qui vit, qui bouge d'heure en heure. Sans compter qu'il faut en plus régler les problèmes des samedis, des jours fériés, des congés.

Mme Claude Greff : Le temps partiel subi représente malgré tout un avantage pour l'entreprise, notamment au regard de la modulation qu'il permet. Auriez-vous une réflexion par rapport au fait que nous pourrions envisager une forme de compensation qui serait donnée par l'entreprise pour « indemniser » cette difficulté à vivre un temps partiel subi ? J'entends par là soit à titre de rémunérations, soit de valorisation de la retraite. Cet avantage du temps partiel dont l'entreprise bénéficie ne doit pas être à sens unique. Il faut aussi que le personnel, qui subit ce temps partiel, puisse en tirer profit.

M. Jérôme Bédier : Si on donne un avantage en ce sens, tous les salariés vont se déclarer à temps partiel subi pour obtenir cet avantage. C'est très difficile à gérer, car la notion de temps subi est très personnelle.

Le deuxième point, c'est que je serais d'accord pour vous suivre dans votre raisonnement, mais en l'étendant à tous les contrats de travail. Un salarié qui travaille 35 heures et voudrait travailler 38 heures considère aussi qu'il a un temps de travail subi et non choisi. Je ne comprends pas pourquoi la notion de temps de travail subi concernerait uniquement le temps partiel.

La réforme des 35 heures a abouti à faire subir aux salariés un temps de travail subi et non choisi. Nous sommes dans un système dans lequel il y a une forme de jugement de valeur qui pénalise le temps partiel en tant que tel, ce qui n'est pas acceptable. Pourquoi la notion de temps subi serait-elle restreinte au temps partiel ?

Mme Anne-Marie Comparini : Il faudrait appliquer le système anglais qui donne aux chefs d'entreprise la possibilité de négocier la durée du temps de travail avec le salarié concerné.

M. Jérôme Bédier : Quand on embauche quelqu'un, il n'est pas nécessairement en difficulté sociale et l'entreprise ne peut être informée des difficultés personnelles de chacun (interdit). A nos yeux, le plus logique serait que, dès lors qu'une personne se trouve dans une difficulté sociale, car elle ne gagne pas suffisamment d'argent, qu'elle travaille 25, 30 ou 35 heures, on évite de créer cette incitation à ne pas travailler qui fait que quelqu'un qui travaille, par définition, a du mal à toucher des revenus complémentaires. D'où l'intérêt du RMA qui, dans cette optique, peut jouer un rôle d'insertion. En effet, la femme est à la fois dans la vie professionnelle, où elle peut saisir des opportunités en fonction de ses compétences et, en même temps, elle peut ne pas perdre des avantages auxquelles elle a droit légitimement, car elle est dans une situation personnelle qui fait que la solidarité doit fonctionner. Je le vois plutôt dans ce sens, plutôt que dans celui de dire que c'est à l'entrepreneur à intervenir, à la place de la société, pour résoudre un problème personnel.

Mme Claude Greff : Pour ma part, je le conçois plutôt dans le sens de donner beaucoup plus de liberté. Si on oblige l'entreprise à participer à une indemnisation par le fait qu'elle profite de l'instauration d'un temps partiel subi, cela donnera une incitation générale à la reprise au travail et à plus de liberté par rapport aux 35 heures, pour tout le monde.

Je vous rappelle quand même que le RMA ne concerne qu'une catégorie de gens qui sont dans des situations de précarité extrême et qui n'ont pas travaillé depuis des années. Cela ne concerne pas le travailleur à temps partiel. Ce sont deux choses totalement différentes. Je ne suis pas pour l'assistanat complémentaire à un temps partiel, mais pour inciter au travail tout en protégeant le personnel qui peut avoir à subir un temps partiel.

M. Jérôme Bédier : Le terme de subir est impropre. Nous n'obligeons personne à travailler dans nos magasins.

Mme Claude Greff : Je ne suis pas d'accord. Une personne préfère peut-être travailler chez vous plutôt que d'être au chômage. Je trouve qu'il faut valoriser cela.

M. Jérôme Bédier : Auquel cas le temps partiel n'est pas subi. Il découle d'une décision volontaire d'une personne qui n'est absolument pas forcée de venir signer un contrat avec un de nos magasins. Pourquoi pénaliser l'employeur de n'offrir qu'un temps partiel, alors que c'est lui qui offre un travail, voire une planche de salut à la personne. C'est là qu'il y a une inversion du système. Si on pénalise l'employeur parce que le salarié déclare que son temps partiel est subi, l'employeur supprimera le temps partiel. Nos magasins ne feront alors que des contrats à 32 heures et non plus de 30 heures, et ne paieront plus de compensations supplémentaires. De ce fait, nous continuerons dans la voie dans laquelle nous sommes déjà engagés.

Mme Claude Greff : Je suis en grande partie d'accord avec vous, mais j'insiste néanmoins sur le fait qu'il existe des temps partiels subis, parce que les entreprises « profitent » du système. Je rencontre certaines personnes qui m'indiquent que leur entreprise est tout à fait satisfaisante de les embaucher à mi-temps pour des raisons de modulation du travail.

Mme Anne-Marie Comparini : Ce n'est pas simple, car dans tous les métiers du commerce, il y a des heures de pointe. Les magasins ne peuvent donc pas embaucher systématiquement sur des temps complets.

Mme Claude Greff : Ces ruptures, dans le rythme du travail, ne concernent pas que la distribution.

M. Jérôme Bédier : Il convient d'admettre que le commerce connaît des amplitudes très fortes dans son activité.

Mme Claude Greff : Certes, mais quand il y a beaucoup de clients, les caissières travaillent sans relâche. Ces moments intenses d'activité compensent les moments plus tranquilles.

M. Jérôme Bédier : On peut difficilement réintroduire les heures d'équivalence qui ont été supprimées dès 1970 dans notre secteur. Elles existent toujours pour les « petits » commerces.

Je vous transmettrai des chiffres sur les amplitudes journalières des passages en caisse dans les magasins.

Si on met trop en avant cette notion de temps subi en en rendant responsable l'employeur, ce dernier continuera à proposer du travail partiel qui n'est plus vraiment du temps partiel. Nous ne pouvons pas porter psychologiquement le poids de cette condamnation selon laquelle nous faisons subir du travail aux gens. Cela renvoie à un imaginaire du travail forcé.

Nous en avons beaucoup débattu entre nous : soit le travail à temps partiel est considéré comme un atout pour la société et comme une formule positive qu'il faut encourager, développer, une forme de travail reconnue au même titre que les autres, avec la nécessité de traiter les problèmes sociaux qui y sont liés, soit les entreprises considéreront le temps partiel comme un risque social et chercheront à s'en exonérer.

En général, une caissière à temps partiel, qui travaille bien et qui demande à passer à temps plein, obtiendra un temps plein. Mais si un salarié déclare avoir un temps partiel subi alors qu'il préférerait un temps plein, et que l'employeur soit amené à verser une compensation, cela fait dériver le système vers ce vers quoi il dérive aujourd'hui, c'est-à-dire des temps partiels à 30 heures. De toute façon, je ne comprends pas pourquoi on applique cette notion de temps subi uniquement au temps partiel.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Dès lors que l'on explique aux salariés que le contrat est de 35 heures et qu'il n'y aura pas de progression de carrière, on peut dire que ces 35 heures sont subies, car beaucoup de salariés voudraient travailler plus.

Mme Claude Greff : Au travers des auditions, je vous rappelle que beaucoup ont parlé de temps partiel subi, c'est-à-dire imposé par l'entreprise.

M. Jérôme Bédier : Mais nous n'obligeons personne à travailler à temps partiel !

Mme Claude Greff : Si un magasin a des emplois à temps complet et si, en prétextant qu'il y a une tranche horaire où la salariée n'est pas employée, il transforme ce temps complet en temps partiel, il y gagne.

Mme Anne-Marie Comparini : Les magasins n'obligent pas les salariés français à accepter malgré eux un emploi à temps partiel. Quand je vais chez Carrefour, je peux lire sur les panonceaux d'embauche qu'il est bien spécifié que c'est un emploi de caissière à mi-temps qui est proposé.

M. Jérôme Bédier : Je pense encore une fois que le syndicalisme va pousser vers le temps plein, le levier pour pousser vers le temps plein étant la notion de temps subi. C'est ainsi que cela fonctionne depuis plusieurs années.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Quand on parle de temps subi, on se réfère aussi aux pauses. Il me semble que nous ne nous entendons pas sur le terme subi. Pour une personne qui recherche un mi-temps, c'est soit tous les matins, soit tous les après-midi. Or, pour vous, le temps partiel, c'est le temps choisi par l'entreprise. C'est à cet égard que l'on ne comprend peut-être pas le terme subi de la même façon.

M. Jérôme Bédier : En allant sur le terrain et en visitant quelques magasins de formats différents, vous verrez concrètement comment s'organise le travail.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est la coupure qui fait que nous ne donnons pas le même sens au mot subi. Je comprends le chef d'entreprise qui a des besoins, qui a des pointes de chalandise dans son magasin, mais je comprends également la personne qui souhaite un temps partiel parce qu'elle suppose que cela lui permettra d'avoir d'autres conditions de vie. Or, tel qu'il existe concrètement dans la vie de tous les jours, ce n'est pas pour moi un véritable temps partiel.

M. Jérôme Bédier : Ce qui vous gêne, ce sont plutôt le rythme de travail et le délai de prévenance.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : J'ai été surprise par vos propos selon lesquels certaines personnes souhaitent travailler à temps partiel pour avoir une autre activité. Or, dès lors que les amplitudes horaires sont plus proches des amplitudes horaires d'un temps complet, cela ne permet pas d'avoir une autre activité. Pour moi, le temps partiel c'était 20 heures par semaine ; 30 heures par semaine ne correspondent pas, à mes yeux, à la définition d'un temps partiel.

M. Jérôme Bédier : En ce qui concerne les coupures, nous avons beaucoup avancé sur ce problème. Avant, il y avait deux coupures, maintenant il n'y en a plus qu'une, avec au minimum trois heures avant ou après la coupure. De plus, la durée des coupures a été limitée.

Mme Claude Greff : J'ai l'exemple d'une jeune femme que l'on prévient, une semaine à l'avance, de ses « coupures », qui rallongent ses journées. Elle fait garder ses enfants par une nourrice. Or comme la durée des coupures - trois heures - ne lui permet pas d'aller les rechercher, elle doit les laisser pendant des heures chez la nourrice.

M. Jérôme Bédier : Cela rejoint le problème du délai de prévenance.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Quand vous dites que le temps partiel permet la complémentarité, il faut que le délai de prévenance soit suffisamment long.

M. Jérôme Bédier : Les horaires et le délai de prévenance sont généralement prévus dans le contrat.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il y a un réel défaut de communication entre nous, en ce sens que, dans notre esprit, le mi-temps était un temps choisi. C'est pourquoi il est important de faire ce travail sur le temps partiel subi.

M. Jérôme Bédier : Pour autant, les syndicats ont utilisé le terme subi pour faire évoluer le temps partiel vers un plein temps. Ils continueront de le faire, car c'est dans leur logique.

Mme Claude Greff : Il nous faut trouver un autre qualificatif que celui de subi.

M. Jérôme Bédier : Cela permettra de redonner au temps partiel ses lettres de noblesse.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Tout à fait. Il est très important que vous communiquiez sur le fait que le temps partiel actuel n'a plus rien à voir avec le temps partiel tel que nous l'entendions dans le passé.

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