DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 15

Mardi 4 mai 2004
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Mme Rachel Silvera, économiste

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Rachel Silvera, économiste.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La Délégation aux droits des femmes conduit actuellement un travail sur le temps partiel et, dans ce cadre, a souhaité entendre Mme Rachel Silvera, économiste, spécialiste des politiques de l'emploi, du temps de travail et de l'égalité professionnelle.

Vous êtes, par ailleurs, maître de conférence en économie à Paris X - Nanterre, membre du comité directeur du groupe de recherche MAGE du CNRS (marché du travail et genres) et experte auprès de la Commission européenne au Bureau pour l'égalité des chances.

Vos récentes recherches sur les enjeux du genre dans les politiques du temps de travail rendaient tout à fait nécessaire cette audition.

Premièrement, pourriez-vous nous donner un aperçu du développement du travail à temps partiel depuis les années quatre-vingts ? Quelle a été l'influence de la politique de l'emploi allégeant les charges patronales ? N'a-t-elle pas surtout profité à certains secteurs d'activité qui y ont trouvé les avantages de la flexibilité du travail ?

Deuxièmement, quelle est l'incidence sur le travail à temps partiel de l'application des « loi Aubry » sur les 35 heures : passage à temps plein, maintien du temps partiel ou diminution des horaires ? N'y a-t-il pas des situations de concurrence avec des salariés bénéficiant de la RTT ?

Troisièmement, le temps partiel étant principalement féminin en France à la différence des pays d'Europe du Nord, ce sont les femmes qui en cumulent souvent les désavantages. Pouvez-vous nous dresser un tableau des conditions du travail à temps partiel, particulièrement au niveau des employés - horaires, coupures, délais de prévenance, niveau des salaires - mais aussi, s'agissant des cadres, du point de vue de la promotion et de la carrière dans l'entreprise ?

Enfin, que suggérez-vous pour revaloriser le statut du temps partiel dans l'entreprise, soit par des mesures législatives ou réglementaires, soit par une meilleure prise en compte, notamment syndicale, dans la négociation collective ?

Mme Rachel Silvera : En introduction, je rappellerai que le temps partiel évoque plusieurs réalités. Ce qui rend cette image si confuse, c'est que nous avons deux figures extrêmes, même si je vois davantage de points communs aujourd'hui que de différences. Il y a le - ou plutôt la - fonctionnaire, ayant un certain statut, une certaine reconnaissance, qui fait une demande de travail à temps partiel et la caissière ou la personne qui travaille dans le nettoyage, qui va être recrutée sur des temps extrêmement courts, par des entreprises ou même parfois par des collectivités locales. Il s'agit d'un personnel qui a un travail de quelques heures, ici et là, réparties dans la journée. Ce sont des horaires atypiques, qui peuvent être très tôt le matin et très tard le soir.

Ces deux réalités n'ont rien à voir.

Il me semble, et c'est le point de départ de la réflexion, que la confusion entre ces différentes formes d'emploi, que l'on regroupe toutes sous l'appellation temps partiel, et l'idée que, derrière le temps partiel, il y a un temps choisi, masquent, pour la grande majorité, des réalités de précarité qui sont, à mon sens, de plus en plus dramatiques.

La caissière, la femme de ménage dans les entreprises de nettoyage, comme le personnel de restauration et d'hôtellerie, pour ne prendre que ces exemples, constituent de nouvelles franges de salariés, qui ont des horaires atypiques et cumulent des formes d'inégalités aujourd'hui criantes ; ils sont même parfois en situation de pauvreté tout en travaillant. Au nom d'un temps partiel qui renverrait toujours à l'idée que, pour les femmes, c'est mieux, puisque cela permet de "concilier" les temps de vie, notamment vie familiale et vie professionnelle, on est en train de développer des formes d'emplois précaires nouvelles, celles du XXIsiècle, qui font, à mon sens, peu débat dans notre société. Je suis contente que vous preniez en main cette question car il existe un silence et finalement une tolérance sociale sur ces situations, comme si, dans ces cas-là, c'était peut-être moins grave.

Derrière les arbitrages faits par les collectivités locales concernant les personnels qui accueillent les enfants des écoles maternelles et primaires et les aident dans les classes,
- ATSEM, ATSEP, par exemple -, il y a l'idée que "c'est bien pour elles", d'abord parce qu'elles accèdent malgré tout au marché du travail. De même, j'ai entendu, dans le commerce, dire que ce n'était peut-être pas un choix pour ces femmes d'être caissières, mais que c'était mieux par rapport au chômage. Puis, il y a aussi l'idée que, de toute façon, si leur salaire est très réduit, il s'agit d'un salaire d'appoint. On n'ose plus le dire ouvertement, mais l'idée qu'elles ont un conjoint, qu'elles travaillent presque par choix, pour leur « argent de poche », persiste. Or, des études ont été réalisées à l'INSEE, à la DARES et à l'IRES, sur ces fameux travailleurs pauvres ayant des bas ou des très bas salaires. On s'aperçoit que, dans la majorité des cas, les femmes dont on parle qui n'ont même pas 500 euros par mois, appartiennent à des ménages pour lesquels leur salaire est vital - dans plus de 60 % des cas -, soit parce qu'elles sont à la tête d'une famille monoparentale - quel drôle de terme pour parler de femmes seules qui élèvent leurs enfants, ce qui représente 90 % des cas -, soit parce que leur conjoint est lui-même chômeur et/ou en situation de pauvreté également. Nous ne sommes plus dans des cas de salaires d'appoint, comme il y a un demi-siècle. Les femmes travaillent bien souvent parce que c'est une nécessité pour la survie de leur ménage.

Donc, elles acceptent, faute de mieux, ces conditions de travail, ces conditions de vie. Cette tolérance sociale s'établit au nom d'une conciliation qui serait mieux pour elles, compte tenu de leur situation familiale. Or c'est tout l'inverse.

Dans le commerce, lorsqu'on a affaire à des horaires atypiques, parfois les week-ends, quand on a des situations de précarité importantes et des horaires atypiques, on sait très bien qu'on est loin de pouvoir articuler une vie familiale correcte dans ces conditions. Si le conjoint ne participe pas aux tâches domestiques et familiales, si l'on n'a pas un réseau familial sur lequel s'appuyer, on ne s'en sort pas.

Je ne veux pas non plus dresser un tableau noir parce que, pour d'autres femmes, la situation est bien meilleure. Mais il me semble que l'un des dangers du XXIsiècle est qu'il y ait encore plus d'inégalités parmi les femmes et qu'au nom d'un principe d'égalité général entre hommes et femmes - et je pense que l'on a des avancées réelles aujourd'hui dans ce domaine - on fasse l'impasse sur la situation de certaines femmes, les moins qualifiées et les moins reconnues dans notre société, les moins représentées syndicalement d'ailleurs. J'estime qu'il existe un risque assez fort de voir des inégalités, parmi les femmes, s'accroître. Cela me paraît très inquiétant.

Pour répondre plus précisément à vos questions, j'aimerais, dans un premier temps, revenir sur l'évolution du temps partiel depuis les années quatre-vingts en France (et vous dire un mot sur le cas hollandais). Vous savez qu'en France, le travail à temps partiel n'était pas une tradition. Il faut le rappeler. Les femmes sont entrées tôt sur le marché du travail et, d'abord, à temps complet. Pour les historiennes, elles ont toujours travaillé. La mesure du travail salarié a changé, évolué, mais elles ont quasiment toujours travaillé. Le temps partiel ne correspondait pas à un comportement d'activité traditionnel en France. C'est au cours des années 80-90 et via la politique de l'emploi et celle du temps de travail, que l'on a suggéré le recours au temps partiel, peut-être à juste titre si on prend à cœur la question de la lutte contre le chômage. On a vu, à travers le temps partiel, une forme de compromis, un moyen d'enrichir la croissance en emplois, avec l'idée que tout emploi est bon à prendre.

D'ailleurs, initialement, la stratégie européenne de l'emploi allait dans ce sens, c'est-à-dire qu'elle visait les taux d'emploi sans regarder leur équivalent temps plein. Aujourd'hui, on y a ajouté la qualité de l'emploi. Il n'empêche qu'il y a un flottement, car demeure l'idée que le temps partiel n'est pas forcément une mauvaise chose.

En tout cas, en matière de lutte contre le chômage, le temps partiel a fait ses preuves. On a vu ainsi une floraison de temps partiel pendant les années 80-90, qui a contribué largement aux créations d'emplois sur toute cette période en France. C'est vraiment un phénomène massif. Le temps partiel a plus que doublé depuis les années quatre-vingts et touche surtout l'emploi féminin.

C'est une mesure qui correspondait à la politique de l'emploi via les exonérations de charges pour le temps partiel et qui a rencontré une demande des entreprises en matière de gestion de la main-d'œuvre et de flexibilité. Il y a eu là une vraie rencontre. L'expression « effet d'aubaine » me semble s'appliquer tout à fait dans ce cas. En effet, contrairement à ce que l'on pouvait espérer, c'est surtout dans les secteurs et pour les emplois où le temps partiel avait déjà commencé à exister que cet accroissement a eu lieu.

Concrètement, l'ensemble des secteurs d'activité n'a pas utilisé le temps partiel. Dans l'industrie, c'est resté très marginal. Surtout, les hommes n'ont pas développé le recours au temps partiel. Il y a eu d'abord une légère progression, mais elle s'est stoppée et, globalement, s'il représente 30 % de l'emploi des femmes, le temps partiel ne concerne que 5,5 % de l'emploi masculin.

C'est donc une mesure de politique de l'emploi qui a répondu à des besoins des entreprises, mais avec un effet d'aubaine, parce que ce sont des entreprises qui, a priori, y seraient venues : secteurs de la grande distribution, du nettoyage, de la restauration, de l'aide à domicile, en raison du type d'activité lié par excellence à l'emploi féminin - ce sont des secteurs où l'emploi féminin prédomine -, à des exigences d'horaires et à une recherche de flexibilité extrêmement forte vu la pression de la concurrence. Etant donné qu'il s'agit surtout d'emplois féminins, moins représentés syndicalement, on a largement utilisé et développé la création d'emplois à temps partiel dans ces secteurs.

Cette forme de travail est devenue prédominante, même si les enquêtes montrent, et cela peut paraître paradoxal, que seulement un tiers (27 %) des personnes sont considérées en sous-emploi, c'est-à-dire des personnes qui disent vouloir travailler davantage. A contrario, on pourrait donc penser que la majorité est relativement satisfaite du temps partiel, puisqu'il n'y a que 27 % de sous-emploi.

Mais que veut dire sous-emploi ?

J'ai interrogé cette catégorie de personnel. Il s'agit de personnes qui, compte tenu de l'environnement actuel, toutes choses égales par ailleurs, ne souhaitent pas travailler à temps plein. Autrement dit, elles ne souhaitent pas forcément travailler plus dans les conditions de vie et de travail qui sont les leurs. Cependant, jamais on ne se pose la question de savoir si leur réponse serait la même si, par exemple, les modes d'accueil pour les enfants, les modes d'entraide pour les personnes âgées dépendantes dont elles s'occupent, étaient plus satisfaisants, moins chers - le coût est important -, de meilleure qualité, et surtout disponibles, car la pénurie des modes d'accueil reste forte, ou encore si les conditions de transport étaient meilleures, si leur conjoint travaillait moins. Voilà des questions que l'on ne pose jamais lors de ces enquêtes statistiques pour mesurer le sous-emploi.

A mon avis, on aurait une autre réponse. Les salariés qui disent ne pas vouloir travailler plus, souvent, le font sous contrainte. Il me paraît important de souligner ce point : leur choix est très relatif ; il est lié à l'environnement et aux conditions de travail.

Dans le commerce, lors de la réduction du temps de travail, les personnes à temps partiel ont-elles pu allonger leur temps de travail ? Il s'agit d'une question importante. C'était possible dans la plupart des accords, mais certains salariés ne l'ont pas voulu, parce que, vu leurs conditions de travail, ils ne souhaitaient pas travailler plus. Cela ne veut pas dire qu'ils étaient forcément heureux de leur situation, mais que travailler plus représentait parfois une organisation des horaires encore plus compliquée, des problèmes d'accueil des enfants encore plus complexes, pour une somme dérisoire. Il faut en effet parler des revenus liés au temps partiel dans le commerce : c'est le Smic horaire ou à peine au-dessus, ce qui, en terme mensuel, donne des niveaux de vie extrêmement faibles.

Mais, paradoxalement, lorsque l'on a proposé aux salariés à temps partiel d'augmenter leur temps partiel, voire de passer à temps complet, leur nombre a été rare ; une frange importante a refusé, soit parce que leurs conditions de travail ne les satisfaisaient pas, soit parce que, à la clé, pour allonger leur temps de travail, on leur demandait de la modulation, plus de flexibilité. Les salariés étaient réticents, parce que cela voulait dire que les horaires pouvaient varier d'une semaine à l'autre. Il existe des garde-fous, certes, mais l'accord signé par les partenaires sociaux n'est pas forcément celui appliqué à l'échelle d'un magasin.

On est là dans un univers très particulier. J'ai rencontré des directeurs de ressources humaines dans le commerce, très progressistes, qui avaient à cœur de lutter contre la précarité des temps partiels. Ils voulaient améliorer la situation. Ainsi, certains accords prévoient justement qu'il n'y aura plus de temps partiels très courts, en dehors du week-end qui concerne les étudiants, qu'on allongera la durée hebdomadaire de 26 à 28 heures, par exemple, pour les salariés du commerce. Dans les magasins de la grande distribution, plus on s'éloigne du siège, plus on trouve des réalités vraiment différentes. Les syndicalistes disent, par exemple, que là où ils sont présents physiquement, il n'y a pas de problème. J'ai entendu des syndicalistes de la CGT me dire que leur combat de tous les jours est de faire appliquer le droit, la convention collective. Normalement, cela devrait être le rôle du directeur d'appliquer le droit. Dans les faits, c'est aux syndicalistes que cela revient. Mais au moins, ils peuvent se référer au droit. Là où ils ne sont pas présents, c'est-à-dire dans la majorité des magasins, on ne sait pas ce qui se passe.

Il ne faut pas se leurrer, dans le commerce, la syndicalisation est dérisoire. C'est d'ailleurs un vrai problème. On a des échos de salariés qui viennent se plaindre du fait qu'on leur change les horaires du jour au lendemain, voire le jour même. Il faudrait parler aussi des conditions de travail, du harcèlement, des situations de chantage, - il n'y a pas d'autre mot - où on leur dit, grosso modo, que s'ils souhaitent avoir plus d'heures, s'ils souhaitent allonger leur temps partiel, parce que c'est cela la promotion, il leur faut accepter d'être mobiles. C'est du donnant-donnant. S'ils n'acceptent pas, s'ils refusent une ou deux fois, on ne le leur proposera plus et il n'y aura plus de possibilité d'avoir davantage d'heures, ou bien l'accès aux « bons horaires » leur sera refusé. C'est aussi un enjeu dans le commerce : accéder aux horaires du matin ou du début d'après-midi relativement stables. Pour passer à ces conditions, il faut d'abord avoir travaillé la fin de journée, les soirées, voire les week-ends.

Le déroulement de carrière, c'est d'arriver à avoir un horaire du matin, plus d'heures, peut-être un temps plein. Mais cela reste extrêmement aléatoire. Si bien que, dans le commerce, on a un taux de turn over considérable. J'ai entendu parler de 60 % dans certains magasins.

Tôt ou tard, la question de la fidélisation de ces salariés va se poser. On ne pourra pas fonctionner sans arrêt avec un turn over aussi élevé. Il faudra bien se poser la question des conditions de travail. En tout cas, il faut alerter tous les partenaires sociaux et peut-être même les pouvoirs publics sur ce qui se passe dans ce domaine du commerce.

J'aimerais revenir sur la spécificité française. On parle souvent des Pays-Bas, où plus de 70 % des femmes sont à temps partiel. Mais, c'est une réalité totalement différente, qu'il me paraît très difficile, voire dangereux, de vouloir transposer à la France.

En France, comme je le disais précédemment, le temps partiel a été institué comme une mesure de politique de l'emploi et également un mode de gestion de la main-d'œuvre de certains secteurs d'activité, même si partiellement des femmes ont souhaité passer - je parlais de la fonctionnaire - à temps partiel, comme un temps dans leur parcours de vie, pour gérer, sur un temps donné, leur carrière et leur vie familiale.

Pour replacer la situation dans son contexte, il faut rappeler qu'aux Pays-Bas, les femmes sont entrées beaucoup plus tardivement sur le marché du travail. C'est un pays encore très fortement imprégné du modèle familialiste, où les femmes étaient attachées à la famille comme premier objectif. Leur entrée sur le marché du travail est plus tardive ; elle s'explique par une évolution sociale et culturelle, mais aussi par des raisons économiques. Le fameux modèle hollandais supposait qu'en termes de revenus, un seul revenu par ménage était suffisant. Il y a eu une telle modération salariale que l'on a incité les femmes à travailler. On est passé d'un modèle de bread winner, c'est-à-dire M. Gagne-pain seulement, à un modèle à un revenu et demi, d'abord pour des raisons économiques, mais ensuite, et c'est important, comme choix social.

Ce sont les syndicats et les courants féministes, qui ont porté l'idée du temps partiel comme revendication des femmes, ce que l'on ne verrait pas en France. Dans la mesure où elles sont entrées plus tardivement sur le marché du travail, elles sont moins diplômées que chez nous et leur objectif était de maintenir un équilibre entre leur vie familiale et leur vie professionnelle. Il y a un refus du modèle masculin du temps plein. Ces femmes ont demandé un temps partiel qui est, en général, long et qui ne correspond pas à des formes de précarité dont on parlait à propos des caissières françaises. Elles aménagent leurs horaires et d'ailleurs, dans ce contexte, on a peut-être affaire à davantage d'égalité avec, par exemple, la recherche d'un modèle de double temps court, puisque les hommes aussi, à l'heure actuelle, revendiquent une réduction de leur temps de travail.

Il existe une enquête européenne de la Fondation Dublin sur les aspirations des salariés. Je sais que le contexte n'est plus aux 35 heures, mais il n'empêche que l'aspiration globale des salariés est plutôt de travailler autour de 35 heures. Ce modèle du double temps court suppose certes un temps partiel pour les femmes, mais aussi un ajustement à la baisse du temps de travail pour les hommes.

A cet égard, j'évoquerai une loi qui me paraît intéressante. La loi hollandaise de l'adaptation des horaires suppose, comme un droit individuel, que les salariés puissent allonger ou réduire leur temps de travail en fonction de leurs besoins familiaux ou autres, l'entreprise ne pouvant pas s'opposer à ce choix individuel, sauf raisons majeures économiques à prouver. Nous sommes donc dans un tout autre modèle et dans un autre contexte que celui de la France, mais j'insisterai beaucoup sur ce point : un temps partiel choisi doit être réversible et doit pouvoir s'allonger, se moduler comme on le souhaite.

Or, aujourd'hui, on le sait, malgré les 35 heures, le temps de travail reste avant tout le choix, la décision de l'employeur qui, dans la grande majorité des cas, même s'il y a eu des accords positifs où les salariés ont pu exprimer leur volonté et choisir une modalité du temps de travail, organise les horaires. Il n'est pas prêt à négocier ce domaine puisque, pour lui, cette contrainte de la gestion des horaires fait partie de sa mission et répond à la demande et à l'activité. Pour en revenir au commerce, on a du mal à imaginer, en France, en tout cas, que l'entreprise puisse faire de la question du temps de travail un domaine vraiment négocié et partagé. Je ne parle pas seulement du volume d'heures, mais de l'organisation des horaires. Il existe des cas où cela se fait, mais ils restent isolés.

J'aimerais revenir au second point de mon intervention - et ce faisant, je répondrai en partie à des points que vous avez évoqués concernant la concurrence entre 35 heures et temps partiel ainsi que sur les conditions de travail - sur un aspect qui me paraît essentiel et qui est un fil conducteur de mon propos : le lien entre temps contraint et temps choisi, et vous montrer que, même lorsque l'on demande un temps partiel, il n'est pas toujours choisi.

Je vais être concrète et choisir des cas d'entreprise, puisque j'ai participé à une grande enquête portant sur la réduction du temps de travail et les modes de vie des salariés. Elle a été l'occasion de m'intéresser aux questions de genre, de voir comment hommes et femmes se positionnaient par rapport au temps de travail, et d'observer également la situation du temps partiel, parce que, souvent, même lorsqu'existaient des accords collectifs, se posait la question du temps partiel.

Un premier cas intéressant, c'est celui d'une entreprise de l'électronique, dans laquelle a été prise la décision d'une forte réduction du temps de travail, aux alentours de 32 heures. On se situait dans le cadre de la « loi de Robien », donc avant les 35 heures, et il s'agissait d'allonger la durée d'utilisation des équipements, de passer à six équipes, avec du travail de nuit et de week-end. L'accord était plutôt de type donnant-donnant, c'est-à-dire que, pour les salariés, il y avait forte réduction du temps de travail et maintien du salaire - ce qui n'était pas rien -, la contrepartie étant des horaires parfois de nuit, parfois de week-end, et une flexibilité plus forte. Cela concernait les personnels de la production.

Il m'a paru intéressant de noter que, pour le personnel administratif de l'entreprise, une autre modalité était prévue, avec l'accord des syndicats. Le personnel administratif, soit cinq secrétaires, toutes des femmes, devait faire le choix suivant : accepter de passer à temps partiel ou accepter que l'une d'entre elles soit licenciée. J'espère qu'il s'agit d'un cas isolé, mais je l'ai trouvé assez révélateur, parce que ce qui se posait pour ces femmes était un non-choix, bien entendu. Elles ont tout de suite renoncé à l'idée d'un licenciement de l'une d'entre elles, tirée au hasard ; elles ont donc accepté la situation totalement paradoxale d'avoir la même réduction du temps de travail que les personnes de la production, des ouvriers et aussi des ouvrières, mais de se le payer ! La différence était là : d'un côté, dans le cadre de cet accord, il y avait pour la production une compensation salariale totale, de l'autre, le temps partiel pour la même durée, le 80 %, était payé 80 % du salaire.

Ces cinq femmes n'étaient évidemment pas satisfaites. Cela se passait dans les années quatre-vingt-dix. Un nouvel accord plus offensif a heureusement permis de corriger cette situation incroyable, mais il n'empêche que cela a existé.

D'autres études l'ont montré. Je pense notamment aux travaux de Margaret Maruani que l'on a dû vous citer. On voit souvent une sorte de chantage entre « le mi-temps ou la porte », dans des situations défensives, quand il s'agit de plans sociaux, par exemple. Très souvent, c'est sur certains salariés ou certaines catégories de salariés que l'on fait jouer ce chantage. On entend dire souvent : "le temps partiel n'est pas forcément bon pour toi en tant que femme, mais il sera plus supportable pour ton ménage".

Les femmes ne sont pas contentes mais ne vont pas vraiment exprimer leur opposition. Les cinq secrétaires dont je parlais ne vont pas se mettre seules en grève, parce qu'elles sont dans une situation défensive où, face aux menaces de licenciement, tout le monde a été d'accord pour le plan de réduction du temps de travail. Elles ont donc accepté le jeu au nom de la solidarité avec les autres catégories de salariés. En fait, le temps partiel s'est trouvé ici, comme souvent, en opposition entre des mesures individuelles protégeant moins les salariés et remettant en cause leur niveau de salaire et des mesures collectives offrant plus de garanties pour les salariés. Cette division va jouer sur les catégories de salariés les plus fragilisées dans l'entreprise.

Dans l'exemple de cette entreprise de l'électronique, ce qui se jouait, c'était une logique de genre, car il y avait plus d'hommes ouvriers, mais c'était aussi cols bleus contre cols blancs, c'est-à-dire que pour les cols bleus, y compris ouvrières, que j'ai rencontrés, ces femmes secrétaires étaient des "nanties". Pourtant, il fallait voir leurs conditions de travail ; elles avaient une charge de travail très lourde, encore alourdie par le fait que leur temps partiel s'est opéré sans réduction de la charge de travail. Elles subissaient une pression énorme, mais elles n'étaient pas à l'usine et, pour beaucoup, étant des nanties, elles pouvaient bien accepter ce temps partiel.

Il ne s'agit pas seulement d'un rapport homme/femme, c'est parfois catégories de salariés entre elles, ou encore distinction suivant l'âge ; on le sait très bien, parfois la préretraite progressive va être proposé aux salariés plus âgés. Là aussi, on va jouer sur des franges de salariés moins bien représentées syndicalement.

Deuxième cas de figure, pour vous montrer que, même lorsque l'on demande un temps partiel et qu'on pense faire un choix délibéré, il ne s'agit pas forcément d'un libre choix.

Il s'agit cette fois d'une entreprise dans le domaine de l'agroalimentaire. Là aussi, cela se passait juste avant l'application des 35 heures. L'entreprise est passée à quatre jours pour tous les salariés et a créé beaucoup d'emplois, au-delà même de la réduction du temps de travail. L'opération était donc très positive, très valorisée sur le bassin de l'emploi, qui connaissait un taux de chômage élevé.

Les salariés ont quatre jours de travail par semaine avec, en contrepartie, bien sûr, une flexibilité des horaires plus forte, des délais de prévenance - c'est-à-dire la période prévue pour prévenir les salariés en cas de changements d'horaires -, pas toujours respectés. L'entreprise répond à la commande, est en flux tendu ; il faut donc accepter des changements d'horaires très rapprochés. Là encore, un petit effort salarial a été concédé, faible pour les ouvriers, un peu plus élevé au fur et à mesure que l'on monte dans la hiérarchie. Cet accord a été jugé gagnant-gagnant, positif.

Quand j'ai rencontré le directeur de cette entreprise, il insistait beaucoup sur le fait que tous les salariés étaient à la même enseigne. Les cadres aussi avaient dû réduire leur temps de travail. Il n'était d'ailleurs pas facile pour eux d'accepter de travailler moins, de déléguer. Cela a supposé une réorganisation du travail - ce qui était intéressant.

Les personnes à temps partiel dans l'entreprise n'étaient qu'une poignée ; il s'agissait de femmes ouvrières qui fonctionnaient déjà sur le modèle de quatre jours de travail. Les mêmes règles leur ont été appliquées, sans faire de différence, c'est-à-dire que le temps de travail de ces femmes a été réduit. Or, elles avaient choisi de travailler quatre jours, souvent pour avoir le mercredi, mais pas seulement, car nombre d'entre elles étaient plus âgées et avaient choisi cette réduction du temps de travail parce qu'elles étaient épuisées et qu'en termes de conditions de travail, elles ne tenaient plus cinq jours.

Je ne comprenais donc pas pourquoi ces personnes qui avaient voulu un aménagement de leurs horaires en quatre jours, dont elles étaient satisfaites d'ailleurs, se sont retrouvées à travailler trois jours. Et je ne vous parle pas des personnes à mi-temps qui se sont retrouvés marginalisées dans l'entreprise. Elles étaient cependant peu nombreuses dans ce cas.

J'ai interrogé le syndicat, qui comptait très peu de représentants, et j'ai interrogé ces femmes. Du point de vue de l'entreprise et du point de vue du syndicaliste, la question était très simple : on ne pouvait pas maintenir ces salariés à quatre jours parce que, pour qu'elles restent à quatre jours, il aurait fallu augmenter leur salaire, ce qui représentait 150 euros mensuels - ce sont de tout petits salaires -, ce qui n'aurait pas été bien vu par les autres salariés à qui l'on demandait un petit effort. Ces femmes qui étaient à temps partiel, se le payaient ; il fallait qu'elles continuent à avoir une différence par rapport aux autres salariés. Le syndicaliste disait la même chose ; il défendait le général, le collectif et pas le cas de ces femmes.

Je puis vous assurer qu'elles n'étaient absolument pas satisfaites. Elles n'ont rien dit au nom de la solidarité sur le bassin d'emploi. Elles ont « accepté » de réduire encore leur temps de travail. Ce qui m'intéresse dans un pareil cas, c'est que, d'une situation où elles avaient choisi un temps partiel, elles se retrouvent dans un emploi définitivement à temps partiel. C'est un vrai piège pour elles.

Il est très important de souligner qu'en France, en dehors de la fonction publique et de certains accords, comme ceux passés dans les assurances, il y a eu, via les 35 heures, des accords où l'on a donné la possibilité aux personnes à temps partiel de réaménager leurs horaires, mais le temps partiel reste le fait de la direction d'entreprise, il n'est pas réversible. Cela n'est pas prévu.

Je reviendrai sur ce point car, pour moi, à l'instar de la loi hollandaise dont je vous ai parlé, cela me paraît un levier important que de garantir à ces salariés la possibilité de revenir à temps plein lorsqu'elles le souhaitent. Dans l'exemple de mon entreprise de l'agroalimentaire, l'égalité était totalement absente. On pensait que ces femmes pouvaient être maintenues à part alors que, somme toute, lorsque j'avais interrogé le directeur, j'avais été frappée de constater que, finalement, il s'était inspiré de ces femmes salariées, dont le mode de travail sur quatre jours était parfait pour l'entreprise. De pionnières, elles se retrouvent perdantes.

D'un autre côté, il existe des fonctionnaires qui ont fait le choix d'un temps partiel. Celui-ci est réversible dans la fonction publique, compte tenu de certaines garanties. Mais on constate que l'on ne fait pas carrière à temps partiel. D'après les statistiques, à peine 6 % des cadres en France sont à temps partiel, et seulement 3 % des hommes cadres. Ce sont vraiment des cas atypiques.

On ne fait pas carrière à temps partiel parce que, dans notre société, persiste l'idée selon laquelle la performance rime avec une présence et une disponibilité totales. On ne connaît finalement pas d'autres mesures de la performance. Même si, en terme managérial, d'autres formules commencent à se développer, le temps de travail reste encore l'indicateur principal. Le fait qu'un salarié, surtout individuellement, demande un temps partiel reste considéré comme un signal négatif de non-implication dans son travail, de moindre disponibilité.

Nous avons là un vrai problème de société. Il renvoie à la place du temps de travail. A ce titre, l'expérience concernant les femmes cadres de la ville de Rennes, qui veulent raisonner à travers des missions, est vraiment intéressante. Du moment qu'elles remplissent leur mission, à 18 heures, elles peuvent être disponibles pour leur vie familiale. Certes, elles ne sont plus là lorsque des élus arrivent et sont donc moins bien vues, mais leurs dossiers sont à jour.

Ce n'est pas forcément en faisant des horaires incroyables dans l'entreprise qu'on est le plus performant. Ces femmes vont même jusqu'à dire que c'est peut-être l'inverse.

Donc, il faut essayer de repenser les horaires de travail et les critères de performance. Lorsque l'on est cadre, on travaille autour d'objectifs, de missions et, donc, le lien avec le temps de travail doit être différent ; faire le choix d'un temps partiel, en s'appuyant, par exemple, sur des expériences de temps partagé, où deux cadres investissent un poste, devrait être possible, mais suppose une réflexion générale sur l'entreprise, sur sa fonction... et sur les rôles sociaux, car, tant que des hommes cadres ne demanderont pas un temps partiel, ce dernier restera négatif, objet d'un marquage et d'une stigmatisation.

J'aimerais, en guise de conclusion, formuler quelques propositions.

Première suggestion, il me semble qu'il faudrait réfléchir à une meilleure évaluation des besoins des salariés quand ils font une demande de temps partiel. Je reviens à ce que je disais à propos du sous-emploi : on ne peut pas se limiter à une mesure du sous-emploi aussi stricte que « veut ou ne veut pas travailler ». Auparavant, l'on disait : « veut un temps plein ou non », aujourd'hui, l'on dit : « veut travailler davantage ». C'est un peu mieux, mais cela ne suffit pas. Encore faudrait-il connaître les besoins en termes de modes d'accueil des enfants, de transports, d'horaires des conjoints, etc. Il faut parvenir à développer un outil plus précis pour évaluer les besoins du temps partiel et je suis sûre que nous aurions une autre image du sous-emploi et de ce temps partiel, que j'estime vraiment subi et contraint.

Deuxième suggestion, la lutte contre le temps partiel subi, contraint, me paraît une priorité essentielle. Je suis frappée de constater que lorsque l'on parle de contrat à durée déterminée, d'intérim, on prévoit, dans ces situations de précarité, que soit accordée une prime de précarité. Pourquoi le temps partiel contraint n'est-il pas considéré comme une forme de précarité à part entière ? Je suggère qu'au même titre que les autres formes de précarités, les travailleurs à temps partiel aient droit à une prime de précarité. Parfois, ils cumulent les deux : ils sont en CDD et à temps partiel. Dans ce cas, ils auront droit à une prime de précarité. Mais lorsqu'ils sont en CDI à temps partiel, et dans un contrat subi, ils devraient y avoir droit également.

On retrouve, là encore, la fameuse tolérance sociale, dont je parlais précédemment, qui fait que, aussi bien pour les syndicalistes que collectivement, on se dit que, certes, il s'agit d'un salaire faible, partiel, mais que c'est un salaire d'appoint. Or, on sait très bien que ce n'est pas toujours vrai.

Troisième suggestion, il faut absolument renforcer les droits du temps partiel long et choisi. Parmi ces mesures, comme dans la loi hollandaise, il faudrait, me semble-t-il, arriver à donner un droit à la reversibilité du temps partiel. Cette loi qui permet d'allonger ou de réduire son temps de travail comme un droit individuel est vraiment intéressante. La France pourrait peut-être s'en inspirer.

Autre remarque relative à ce temps partiel, certains accords, très peu nombreux
- mais c'est le cas notamment dans la fonction publique -prévoient un temps partiel bonifié, c'est-à-dire que lorsque vous travaillez à 80 %, vous êtes payé un peu plus que votre temps de travail effectif.

Mme Danielle Bousquet : Jusqu'à 95 % dans certaines fonctions publiques, ce qui peut soulever des questions.

Mme Rachel Silvera : Jusqu'à 95 %, c'est peut-être trop parce qu'alors, il y a une « désincitation » au temps plein. Mais on note tout de même que chaque fois que des accords sont intervenus en ce sens, notamment dans les assurances ou à Ibis dans le Groupe Accor, lorsque l'on bonifie le temps partiel en accordant un peu plus que la réduction du contrat, on s'aperçoit que bien plus d'hommes s'y intéressent. Je ne veux pas affirmer que le salaire est la seule variable importante du choix, mais cela joue.

Enfin, en conclusion, je dirai qu'il ne faut pas se bercer d'illusions. Le temps partiel reste, à mon sens, une forme d'emploi à part, à connotation négative, qui suppose un moindre investissement professionnel. Pour devenir une forme d'emploi attractive, y compris pour les cadres à haut potentiel et pour tous les hommes, il faut changer dans l'entreprise ce fameux modèle temporel dominant selon lequel la performance n'est mesurable que sur la disponibilité et la présence. Il faut aussi remettre en cause les modèles culturels sur les rôles traditionnels au sein des ménages.

Je suis en train de tirer un fil, puis un autre, et finis par remettre en cause beaucoup d'éléments des modèles sociaux et je ne suis pas sûre qu'aujourd'hui, tous les acteurs soient prêts à s'avancer sur ce terrain.

Mme Anne-Marie Comparini : Le temps partiel des femmes apparaît comme quelque chose de très positif mais, à force d'entendre des exemples, on finit par se demander s'il ne serait pas nécessaire de réduire la confusion qui existe entre temps partiel et mi-temps choisi.

Mme Rachel Silvera : Tout à fait.

Mme Anne-Marie Comparini : En entendant M. Jérôme Bédier, président de la FCD, que nous recevions la semaine dernière, nous comprenions bien que le temps partiel dans ses magasins était mis en place dans l'intérêt de l'entreprise et qu'il correspondait à des horaires atypiques. Il ne faudrait donc pas utiliser le même terme, revenir aux sources, à la pureté cristalline du « mi-temps choisi » et le distinguer du temps partiel soumis à des horaires atypiques. Au moins, ce serait clair.

Mme Rachel Silvera : Mais le mi-temps suppose 50 % et la plupart du temps choisi concerne 80 %, c'est-à-dire une journée dans la semaine, le plus souvent le mercredi.

Le mot mi-temps recouvrait les premières formes du temps partiel, parce qu'à l'époque, il n'y avait pas de modulation possible ; c'était 50 % ou rien. Aujourd'hui, toutes les modalités sont possibles et le mi-temps est très faible. Heureusement.

Mme Danielle Bousquet : Le temps choisi et le temps qui assure une flexibilité, c'est bien cela les deux formes de temps partiel ?

Mme Claude Greff : Là encore, on est dans l'abstrait parce que nous ne disposons pas des pourcentages des postulantes pour le mi-temps ou le temps partiel choisi. Ce sont deux critères différents par rapport au temps imposé et subi.

Mme Rachel Silvera : On a dû vous en parler à propos de l'enquête INSEE de 1998 qui montre que les créations à l'embauche sont la forme principale du temps partiel.

Cela ne veut pas dire que ce sont toujours des temps contraints, car il arrive que des salariées répondent à une annonce de temps partiel, parce qu'elles souhaitent, d'entrée de jeu, travailler à temps partiel. Dans cette enquête, on constate cependant que c'est la forme dominante de création d'emploi : 50 % pour les femmes et 70 % pour les hommes, dans cette enquête de 1998, où étaient posées des questions plus précises sur l'origine du temps partiel.

Mme Claude Greff : 1998, c'est déjà loin.

Mme Rachel Silvera : Cette enquête n'a pas été renouvelée, effectivement.

Mme Claude Greff : Il faudrait savoir s'il y a réellement un souhait des entreprises de ne créer que des temps partiels dans certaines catégories de professions, parce que cela leur convient ainsi.

Mme Rachel Silvera : Je précise que, depuis l'arrêt de l'exonération des charges, le temps partiel s'est stabilisé en France. Nous n'avons plus ce phénomène de croissance régulière. Depuis 2002, nous avons une stabilité. Nous n'avons pas encore le recul suffisant pour pouvoir l'affirmer, mais il semble bien que l'emploi partiel soit désormais stable.

Mme Anne-Marie Comparini : Quelle est la date exacte de la fin des exonérations de charges ?

Mme Rachel Silvera : Cette disposition figurait dans la « loi Aubry II » de 2000, est entrée en application en 2002 et commence seulement à produire ses effets sur les nouveaux contrats.

Mme Claude Greff : Cela montre bien que les effets d'aubaine existaient vraiment.

Mme Rachel Silvera : Tout à fait.

Mme Anne-Marie Comparini : Je voudrais vous exposer ce que j'ai vécu dans la fonction publique territoriale où j'avais souhaité que la mise en place de la RTT ne vienne pas « abîmer » le temps partiel choisi. Souvent, des fonctionnaires de catégorie B et A avaient voulu disposer de leur mercredi et je ne voulais pas qu'elles se trouvent pénalisées. Je pense que ce qui a pu être fait dans la fonction publique, le secteur privé, pressé par le temps et les moyens financiers, n'a pas pu le faire car, en matière de ressources humaines, pour 800 fonctionnaires, cela a représenté un an de travail : il a fallu revoir service par service le mode de travail, non pas vu par les responsables, mais par les fonctionnaires eux-mêmes.

Aujourd'hui, tout est parfait. Quatre formules sont proposées. Il n'y a d'ailleurs plus de temps partiel dans cette collectivité, mais cela a représenté un an de travail durant lequel, du directeur au fonctionnaire de catégorie C, tout le monde a dû se parler et élaborer le projet de service. J'imagine que, sous la contrainte concurrentielle, le secteur privé ne le ferait pas.

Mme Danielle Bousquet : La grande distribution est tout de même un des secteurs où les entreprises réalisent des bénéfices très substantiels. Cela ne mettrait pas en péril la grande distribution de se lancer dans cette démarche, s'ils avaient pour objectif de réduire effectivement cette précarité que connaît la grande majorité de leurs salariés.

Mme Rachel Silvera : On ne peut pas dissocier la question des horaires de celle des conditions de travail. Une enquête dans ce secteur a montré que l'on ne pourrait pas aller vers un temps plein pour toutes ces caissières, pas tant financièrement que parce que ce temps est tellement dur que l'on ne peut imaginer un temps plein en caisse, sauf à repenser l'organisation du travail, rechercher les polyvalences, les polycompétences. Il est impensable de rester la journée entière en caisse. Finalement, le temps partiel, c'est une modalité de gestion du coût, mais aussi du stress et de la pénibilité du travail.

Mme Anne-Marie Comparini : Cela veut dire aussi formation à ces polyvalences, cela veut donc dire « vouloir ».

Mme Danielle Bousquet : Vous avez abordé tout à l'heure le secteur des personnels de la fonction publique qui s'occupent des jeunes enfants, notamment les ATSEM. Celles-ci ne sont pas à temps plein, elles interviennent à la cantine, par exemple, ainsi que, parfois, le matin ou le soir pour du ménage. Elles font quatre heures par jour, à des horaires qui les empêchent de trouver un autre travail. En tout cas, c'est ainsi que beaucoup de collectivités les gèrent, même la mienne. On pourrait sans doute, au moins autant qu'en entreprise, essayer d'agir.

Il y a là quelque chose d'inacceptable. Elles sont à mi-temps, voire à tiers-temps, avec des salaires qui tournent autour du SMIC. Pourtant ces femmes viennent frapper à la porte du maire parce qu'elles souhaitent travailler à la cantine. Par bonté d'âme, on finit par dire oui, sauf qu'on les conduit à la pauvreté extrême. Il faut aussi que nous ayons une réflexion sur la fonction publique territoriale, même si elles ne sont pas fonctionnaires, mais contractuelles vacataires de la fonction publique territoriale.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : J'ai été très surprise d'entendre M. Jérôme Bédier indiquer qu'elles avaient un deuxième temps partiel. Cela me semble impossible.

Mme Rachel Silvera : Sur ce point, nous ne disposons pas de données très précises. Il est clair que, quand j'ai rencontré des syndicalistes qui se sont opposés à la modulation des horaires, leur argument était de dire que beaucoup de femmes à temps partiel avaient une autre activité à temps partiel et qu'en conséquence, bousculer les horaires était impensable.

Mme Danielle Bousquet : J'aimerais qu'on me dise lequel.

Mme Anne-Marie Comparini : Des ménages chez des particuliers.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous avons demandé à M. Jérôme Bédier d'aller sur le terrain, dans les supermarchés, pour le savoir.

Mme Rachel Silvera : En tout cas, pour ce qui est des entreprises de nettoyage, très souvent, il y a plusieurs employeurs avec une amplitude horaire épouvantable dans la journée, très tôt le matin jusqu'à très tard le soir.

Vous savez très certainement qu'il existe un programme Equal sur les questions d'articulation des temps et qu'une réflexion est menée autour des villes. Je sais que Rennes a expérimenté un travail sur des agents d'entretien, les ATSEM et autres, avec l'idée de recomposer leur temps pour aller vers un temps plein, avec parfois plusieurs lieux de travail.

Mme Danielle Bousquet : Cela a demandé deux années de réflexion à Rennes. Si vous en étiez d'accord, madame la présidente, nous pourrions demander la manière dont ils ont abordé la question et organisé cela, car c'est tout à fait intéressant. Ils sont passés effectivement de temps partiels très courts à des organisations qui permettent des temps pleins.

Je pense à Mme Danielle Touchard, chargée de mission à la mairie de Rennes, qui pourra vous parler également de la question des cadres, qui, autour d'une mission égalité, ont travaillé sur la question du temps, de la disponibilité.

Mme Rachel Silvera : Ils posent la question plus générale du temps des villes pour essayer d'articuler le temps de travail des personnes, le temps des écoles, des commerces, des transports, de l'administration. C'est une démarche extrêmement intéressante qui est mise en œuvre à Rennes.

Cela se passe sur une dizaine de sites en France. Vous en aurez assez rapidement des échos puisque la Datar vient de finir un programme sur ces questions de « temps et territoire ». Certains programmes Equal portent aussi sur cette dimension et devraient s'achever d'ici l'été. On commence donc à avoir une certaine expérimentation.

Mme Anne-Marie Comparini : Ce sont de nouvelles manières d'aborder ces métiers dont on a besoin.

Mme Danielle Bousquet : Cela se fait dans la fonction publique de la ville de Rennes, mais on a cherché à le généraliser à l'organisation des temps sociaux de l'ensemble de la population. Ce n'est pas réussi partout, mais il y a une véritable volonté.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est un travail de longue haleine.

Mme Anne-Marie Comparini : Nous l'avons bien vu dans ma collectivité territoriale. Maintenant, chacun a sa formule et, grâce aux nouvelles technologies, la durée du travail est de 35 heures.

Mme Danielle Bousquet : Pourrait-on envisager de recevoir des membres de la fonction publique territoriale pour qu'ils nous fassent un point sur ce qu'ils savent de ces temps émiettés des femmes qui travaillent aussi auprès des personnes âgées et dont les temps partiels sont scandaleusement indécents ? De telles situations ont forcément été recensées.

Mme Anne-Marie Comparini : Nous avons vu le cas des femmes, mais il y a aussi cette catégorie d'hommes ou de femmes de plus de 55 ans, qui aimerait partir en « sifflet », progressivement, de la vie active, pour ne pas entrer brutalement dans la retraite. De manière parfois idéaliste, on se dit qu'il serait bien que ces départs puissent s'organiser avec du temps partiel. Mais est-ce le bon mot pour le qualifier ?

Mme Rachel Silvera : Non. On parle de préretraite progressive. En fait, le phénomène de préretraite est aujourd'hui stoppé, qu'elle soit progressive ou pas, via la pression, à juste titre me semble-t-il, de la stratégie européenne. Nous sommes l'un des pays dans lequel les taux d'activité et d'emploi des personnes les plus âgées, celles de plus de 50 ans, sont les plus faibles. Cela paraît paradoxal dans un contexte de chômage ; il n'empêche qu'il y a un certain gâchis, que l'on reconnaît aujourd'hui, à l'usage massif des préretraites en France.

Il faut maintenant remettre en cause ce principe. On l'a stoppé. Mais, de ce fait, le débat sur la préretraite progressive est aussi passé à la trappe.

Mme Danielle Bousquet : C'est dommage, parce que c'était aussi un bon passage de relais.

Mme Claude Greff : Oui, une transmission de savoirs qui se faisait sans pression, avec l'obligation pour l'entreprise d'embaucher la personne parrainée.

Mme Rachel Silvera : Cette idée de préretraite - tout dépend, bien sûr, à quel âge elle s'entend - est très mal vue aujourd'hui. En revanche, un départ en retraite progressif
- pas une préretraite - me paraît être une piste intéressante.

Il faut que les salariés se fassent à l'idée de poursuivre leur activité au-delà de cinquante, cinquante-cinq ans dans des entreprises où la tradition était de partir tôt. Il y a tout un apprentissage à faire. C'est aussi un travail important. Il est vrai que cette idée de temps partiel paraît intéressante, via aussi le compte épargne-temps, lorsqu'il existe. Lorsqu'on le garde pour sa fin de carrière, on peut aussi envisager, une modulation. C'est pensable.

Mme Claude Greff : Vous nous l'avez d'ailleurs suggérée.

Mme Rachel Silvera : C'est une piste qui avait été développée, notamment par le Conseil d'analyse économique, dans le rapport sur la préretraite progressive de M. Dominique Taddei.

Mme Anne-Marie Comparini : Vous parliez tout à l'heure des temps au pluriel. Quand on aborde le temps partiel, non pas notre ancien mi-temps, mais le temps partiel idéal, ne se trompe-t-on pas de concept, puisque l'on entre aujourd'hui dans un monde qui n'est plus unidimensionnel ? Nous allons avoir nos temps de formation, d'activité... N'y a-t-il pas quelque chose à reconstruire ?

Mme Rachel Silvera : Je pense que les femmes portent tout particulièrement cette idée de la multiplicité des temps, de la concordance des temps. L'expérience des temps de la ville est venue d'Italie et des femmes italiennes élues locales qui partaient de l'idée que les femmes changent le temps, qu'il n'y a pas qu'une vie au travail, linéaire, qu'il existe une superposition des temps, d'autant plus que l'on est mère de famille : à un moment donné de la vie, lorsque les temps de l'enfant, les temps scolaires, les temps professionnels, le temps personnel, le temps domestique se cumulent, mais aussi, sur le cycle de vie, en suivant des phases où l'on est plutôt dans une période transitoire, d'accès à l'emploi, etc. Ce sont tous ces phénomènes qu'elles voulaient prendre en compte. L'entrée par la question de l'égalité permet d'élargir et de mieux prendre en compte ces temps.

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