DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 17

Mardi 18 mai 2004
(Séance de 18 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Mmes Annie Thomas, secrétaire nationale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et Marie-Josèphe Charron, déléguée femmes de la CFDT

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mmes Annie Thomas, secrétaire nationale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et Marie-Josèphe Charron, déléguée femmes de la CFDT.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je vous remercie d'avoir répondu à l'invitation de notre Délégation qui s'intéresse actuellement au travail à temps partiel.

Si j'ai voulu entreprendre cette réflexion sur le travail à temps partiel, c'est que ce sont des emplois dans lesquels on trouve beaucoup de femmes et que, malheureusement, l'on ne s'y intéresse pas beaucoup. La plupart du temps, ces femmes ne sont pas syndiquées ou, si elles le sont, d'autres problèmes passent avant les leurs.

C'est la raison pour laquelle, par rapport au problème des retraites que nous avons évoqué l'année dernière et à la loi sur le divorce qui vient d'être votée, je crois que ces femmes qui, à un moment de leur vie, ont fait le choix du temps partiel avec leur conjoint pour gérer au mieux leur vie familiale, vont finir par rencontrer des difficultés dans des périodes ultérieures de leur vie. Elles se retrouveront, âgées, avec des faibles retraites ou, seules, avec un travail à temps partiel. Les solutions seront difficiles à trouver, mais il faut les rechercher, afin d'améliorer leur situation.

J'ai souhaité faire de cette question le thème de notre rapport annuel. C'est dans ce cadre que nous auditionnons tous les syndicats ainsi que des responsables des secteurs qui utilisent beaucoup le temps partiel. Nous recevons aujourd'hui Mme Annie Thomas, secrétaire nationale et Mme Marie-Josèphe Charron, déléguée femmes à la CFDT.

Mme Annie Thomas est également membre active de l'Observatoire de la parité. Elle va apporter une contribution à notre travail sur la culture paritaire puisque, cette année, le rapport de l'Observatoire sera composé d'articles de ses membres venant d'horizons divers - syndicalisme, professions juridiques, recherche, médias...

Mme Annie Thomas : Nous avons essayé de suivre assez fidèlement la série de questions que vous nous avez transmise, mais veuillez nous pardonner si, parfois, nous nous en écartons un peu. Nous avons particulièrement développé votre dernière question qui portait sur les propositions de notre organisation syndicale en vue d'améliorer la situation des travailleurs à temps partiel.

Nous vous présenterons donc des propositions pour encadrer le temps partiel, qui relèvent à la fois du rôle de la négociation collective, mais qui peuvent aussi, pour certaines, rejoindre l'action du législateur.

Nous vous donnerons des réponses plus politiques ou qualitatives que statistiques sur cette question.

Vos deux premières questions faisaient référence aux politiques de l'emploi, aux allégements de charges et à la réduction du temps de travail. Nous pouvons vous livrer à ce propos des éléments sur le ressenti des personnes, car nous avons réalisé des enquêtes sur le sujet, grâce à la mise en place par la CFDT de ce que nous appelons « le travail en question », le TEQ. Il s'agit d'un travail d'enquête de nos équipes vers des publics, des professions, des populations ciblées.

Nous avons demandé à une jeune chercheuse, Me Maya Jaquier, de travailler sur la dimension femmes de ces enquêtes, en particulier autour de trois thèmes. Le premier TEQ portait sur des centres d'appel qui comptent de nombreuses salariées féminines ; le second était un TEQ sur les cadres et le troisième, un TEQ sur le ressenti des salariés par rapport à la réduction du temps de travail.

Concernant le ressenti des personnes, on peut constater que 11 % d'entre elles - donc, un nombre minime, mais malgré tout non négligeable - n'ont pas été concernées par la réduction du temps de travail. La RTT a touché essentiellement les personnes travaillant à temps complet et, plus légèrement, celles travaillant à temps partiel.

En revanche, en termes de satisfaction, lorsque ces dernières sont concernées par la réduction du temps de travail, leur degré de satisfaction est identique à celui des personnes travaillant à temps complet. Mais, comme les personnes à temps complet - et peut-être encore plus qu'elles -, elles ont ressenti l'intensification du travail après la mise en place de la réduction du temps de travail ainsi que la flexibilité liée à la réduction du temps de travail.

Vous évoquiez dans vos questions la différence entre temps partiel choisi et temps partiel contraint. Nous partageons votre analyse, à savoir que l'on a parfois l'impression qu'il existe une vraie différence ; or, le temps partiel choisi l'est aussi en fonction de contraintes extérieures à l'entreprise. Donc, si le temps partiel contraint est lié aux contraintes de l'entreprise - « Voici le contrat, c'est à prendre ou à laisser » - le temps partiel choisi est, lui, souvent lié aux contraintes familiales d'éducation des enfants, de possibilités de transport, bref, aux contraintes de conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle. Nous pensons donc comme vous que le distingo très abrupt entre les deux n'est pas si pertinent que cela.

Le développement du temps partiel dans certains secteurs, tels que la grande distribution, le nettoyage et le secteur médico-social, est pour nous un vrai problème. Nous partageons avec vous l'idée que le temps partiel a un genre, le genre féminin. C'est très net. Lorsque l'on parle de temps partiel, on parle donc à la fois d'organisation de travail et de situation des femmes au travail. Il faut chaque fois aborder ces deux questions.

Ce développement est concentré dans certains secteurs qui utilisent une politique d'organisation du travail, une politique de genre, sans que cela ne soit jamais dit, jamais affiché.

Ce problème de l'organisation du temps de travail avec des horaires réduits, et donc, des salaires et des revenus réduits, se conjugue souvent pour ces personnes avec des difficultés familiales. Dans ces emplois à temps partiel, on retrouve souvent des personnes qui cumulent des difficultés. Elles sont dans des familles monoparentales, par exemple, et choisissent ce temps partiel de manière à pouvoir être présentes un minimum. Nous avons donc là un bloc assez silencieux, mais fait de situations de souffrance au travail.

Les emplois à temps partiel dans ces secteurs se caractérisent en général par des salaires très faibles. Quand on parle de smicard en France, on voit souvent l'image d'un homme. On se trompe. On devrait avoir l'image d'une femme, car 80 % des smicards sont des smicardes, sont des femmes. Et les smicards représentent un quart du salariat français.

Les personnes qui travaillent à temps partiel et en dessous du Smic - il faut le dire même s'il y a péréquation avec le temps de travail - représentent un pourcentage qui n'est jamais inférieur à 80 %. Il atteint même presque 100 %. Ces personnes cumulent donc la difficulté d'être dans des emplois peu payés, au Smic, avec des salaires encore réduits du fait qu'elles sont à temps partiel.

Une autre caractéristique remarquable de ce secteur est un moindre accès à la formation professionnelle. Nous l'avons vu lorsque nous avons négocié l'accord sur la formation professionnelle. Des enquêtes ont été menées sur le sujet par le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, il y a trois ans. Il a rendu un rapport sur les problèmes d'accès des femmes à la formation. Toutes les personnes travaillant à temps partiel, qu'il s'agisse d'un temps partiel choisi ou contraint, rencontrent des difficultés de ce point de vue.

Il faut cependant citer des efforts récents, réalisés en particulier dans la filière médico-sociale, pour permettre d'accéder soit à la formation, soit à la validation des acquis, mais il faut dire aussi que c'était presque une obligation en termes de qualité de soins donnés à la population. Ce n'est donc pas étonnant.

Pour nous, il s'agit à la fois d'une question d'organisation du travail, de genre, et, à la limite, d'une question de choix de croissance en emplois. Nous notons aujourd'hui des créations d'emplois dans ces secteurs qui sont peu payés et peu reconnus, alors qu'il s'agit de secteurs en pleine augmentation liés aux besoins croissants de la population, tant en matière d'accompagnement que de soins aux usagers.

On fait tout à l'envers : au lieu de répondre sur le qualitatif de la demande, on a une réponse qui est mauvaise, qui n'aide ni les personnes qui travaillent, ni celles concernées par ces soins. On sait parfaitement qu'il y a aussi dans ces métiers une très forte instabilité : si on le peut, on s'en échappe, quitte, malheureusement, à enchaîner les petits boulots. On voit bien que l'on ne répond pas véritablement à la demande sociale.

J'en viens à votre quatrième question sur les retraites. C'est un sujet polémique et difficile. Les travaux du Conseil d'orientation des retraites (COR) analysent, entre autres, les conséquences de la place des femmes dans le travail, en particulier dans le temps partiel, et les conséquences sur le niveau de leurs retraites.

Pour la CFDT, les femmes ne sont pas pénalisées par le régime de retraite. Celui-ci est neutre, c'est-à-dire qu'il est fonction de la validation de trimestres. C'est mathématique. En fait, les femmes sont pénalisées par le régime de travail. C'est leur situation au travail qui les pénalise ensuite pour la retraite. Si nous voulons vraiment améliorer les retraites des femmes, c'est leur situation au travail qu'il faut améliorer. Nous n'avons pas à faire supporter à la réforme des retraites, les critiques que nous avons à porter au système du travail.

En revanche, la CFDT tient beaucoup à ce que l'on réfléchisse au maintien des avantages familiaux, puisque l'on sait parfaitement que le régime intéressant des femmes à la retraite était lié à ces avantages. En contrepartie du fait que les femmes élevant des enfants étaient pénalisées dans leur carrière, les avantages familiaux leur permettaient de bénéficier d'un petit plus.

Vous connaissez cela dans la fonction publique ; cela existe aussi dans le privé. Mais se pose désormais la question de la conciliation avec les directives européennes. Jusqu'à quand allons-nous pouvoir conserver ces avantages familiaux si nous devons répondre aux injonctions de l'Europe ?

Nous pensons qu'un travail collectif est à mener entre partenaires sociaux et législateurs à l'égard des instances européennes pour indiquer que, certes, ces avantages familiaux peuvent être dérogatoires pour les femmes, mais qu'ils se justifient parce que la carrière des femmes est pénalisée par la maternité.

Je ne vous cache pas que cette question est explosive. Un certain nombre de choses ont été réglées. On a vu des agents d'EDF aller devant la Cour de justice européenne pour dire qu'ils avaient, autant que leurs femmes, élevés leurs enfants. C'est bien beau dans l'esprit, mais cela pénalise les femmes. Donc, il faut à la fois une neutralité des régimes, mais aussi, par le biais des avantages familiaux, maintenir un certain avantage pour les femmes.

Vous nous avez interrogé sur la question du congé parental. Nous partageons votre analyse, à savoir que le congé parental est souvent une vraie rupture et rend difficile un retour, soit au poste quitté, soit à un autre poste.

Les partenaires sociaux sont parvenus à la signature d'un accord sur l'égalité professionnelle et, dans cet accord, nous avons décidé d'un certain nombre de points qu'il convient de faire vivre, soit par la négociation, soit par la loi. Le premier d'entre eux est de dire qu'il faut que l'entreprise maintienne des liens réguliers avec la personne éloignée. Qu'elle soit en congé maternité ou en congé parental, elle doit recevoir, par des circuits d'information appropriés - documents, journaux et autres -, tout ce qui concerne l'évolution de son atelier ou de son travail.

Nous avons introduit aussi la possibilité qu'elle puisse bénéficier d'un entretien professionnel avant son retour ainsi que d'une formation durant son temps de congé parental, avec son accord, bien évidemment.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Tout cela ne figurait-il pas déjà dans le code du travail ?

Mme Annie Thomas : Non, cela n'y figure pas. Ce temps de formation n'etait pas pris sur le temps du congé parental.

Mme Anne-Marie Comparini : En fin de compte, pendant son congé, la femme préparera son retour.

Mme Annie Thomas : Avec son accord, bien entendu. Toutes les organisations syndicales l'ont accepté, même si cela doit tordre le cou à l'unicité du congé parental.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La formation au retour est une obligation.

Mme Annie Thomas : Sauf si, à votre retour, vous avez un patron qui vous dit que c'est fini. La situation réelle peut être celle-là.

Ces personnes pourront également avoir, dans le cadre du congé parental, l'accès à un bilan de compétences ou à la validation des acquis. Cela a donné lieu à discussion. Il est vrai qu'il peut sembler qu'on échange un droit contre un autre. Mais quel est l'objectif ? Il s'agit de faire en sorte que les femmes aient une carrière continue et ne soient pas pénalisées par la maternité.

Au cours de la négociation de l'accord, nous avons parfaitement identifié le fait que les femmes étaient pénalisées par la maternité. C'est très net. Donc, nous avons décidé, par exemple, que le droit individuel de formation (DIF), par négociation de branche, ne sera pas neutralisé pendant ce congé, c'est-à-dire que le compteur continuera de courir. Nous avons ainsi fait entrer toute une série de points de ce type dans l'accord. Ils sont discutables et j'entends déjà des hommes dire que ce n'est pas normal. Tout est possible.

Cela a donné lieu à un vrai débat au moment de la négociation de l'accord sur la formation professionnelle. Nous sommes aujourd'hui dans un temps très défini : soit, c'est le temps de travail, soit, c'est le temps de loisir.

Mme Anne-Marie Comparini : Cela a changé. Aujourd'hui, c'est le temps mélangé.

Mme Annie Thomas : Oui, le temps mélangé. Et il y a un temps qui peut être un temps de formation, dans le cadre de la formation tout au long de la vie.

Mme Marie-Josèphe Charron : Plus concrètement, il peut arriver, par exemple, qu'une femme qui prend un congé parental de trois ans reprenne des études. Elle pourrait ainsi très bien demander la validation de ses acquis avant de retourner dans son entreprise et revendiquer un poste supérieur, ce qu'elle ne peut pas faire actuellement.

Mme Annie Thomas : C'est un exemple de situation favorable.

Vous avez aussi le cas totalement défavorable dans lequel votre poste de travail a totalement disparu du fait des nouvelles orientations prises par l'entreprise. Quand vous revenez, il n'y a plus de travail pour vous. Vous êtes réintégré, parce que c'est une obligation, mais vous êtes marginalisé. Au bout d'un mois, vous êtes dehors, parce que vous ne correspondez plus au travail et que c'est vous qui finissez par partir. On connaît bien ces situations qui sont dénoncées par nos sections.

Nous avons donc essayé de trouver des réponses qui bousculent le code du travail, j'en conviens, mais qui tentent aussi d'avancer sur ce que l'on appelle la sécurisation des parcours et l'employabilité des personnes, qui est, je crois, un souci encore plus fort pour les femmes que pour les hommes.

Vous nous interrogiez également sur le niveau de la représentation syndicale et l'application effective des accords de branche.

Dans les secteurs des services de la santé et de l'aide aux personnes à domicile, la représentation syndicale en termes professionnels et électifs est bonne pour la CFDT. Ce sont de nouveaux secteurs et la syndicalisation de la CFDT se porte plus sur des secteurs nouveaux qu'anciens. Nous avons des équipes de négociatrices qui réalisent là un véritable travail.

Quel est le problème de ces secteurs ?

Ce sont des secteurs qui se caractérisent par une faible activité contractuelle ; il a fallu beaucoup de temps pour arriver à construire des conventions collectives réelles. Il va y avoir - enfin ! - un statut pour 260 000 assistantes maternelles. Nous sommes en train de finaliser un projet de convention, avec un contrat de travail type contenant des dispositions sur les salaires, sur la prévoyance, sur la formation, etc.

On cumule les difficultés : ce sont des secteurs qui n'ont pas d'habitudes contractuelles, dont le patronat est particulièrement rétrograde, comparé, par exemple, à celui de la métallurgie.

Dans ces nouveaux secteurs, le patronat n'est pas organisé. Il n'a pas de culture de négociation. Elle existe d'autant moins que, dans certains secteurs comme le service aux personnes -assistantes maternelles ou autres-, ces patrons sont souvent des associations. Donc, soit ce sont des personnes sorties du rang qui ont créé leur entreprise et qui en veulent, soit ce sont de grandes associations d'origine chrétienne ou humaniste, qui ont une idée de la gestion basée sur une forme de paternalisme, ou de maternalisme, et qui, parce qu'elles sont issues du monde associatif, considèrent qu'il n'est nul besoin de syndicat et que leur « éthique » suffit : « C'est écrit dans notre charte. ».

Nous avons là de réelles difficultés.

De plus, dans le service aux personnes, il s'agit souvent de petites structures, de salariés éparpillés chez différents employeurs, et même dont l'employeur est parfois directement le client. Ce sont de simples particuliers qui utilisent, par exemple, une garde pour assister une mère âgée ; ce n'est même pas l'entreprise. Ces personnes ont donc de multi-employeurs et leur structure de référence, qui est une association, n'a pas de culture contractuelle ; leur chef d'entreprise n'a pas de culture contractuelle.

Dans le secteur de la propreté, une difficulté encore plus importante en terme d'action syndicale est la multiplication des horaires décalés, qui conduit les employés à travailler seuls. Pour faire vivre une vie syndicale et une vie contractuelle, c'est très compliqué.

Des faits très objectifs expliquent donc cette faiblesse contractuelle. Il ne faut pas s'en désespérer, mais on ne peut nier que cela ajoute à la difficulté. La question de l'organisation du travail n'est donc pas la seule qui se pose, me semble-t-il.

S'agissant de votre question portant sur la loi du 4 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, dans tous les accords qui nous sont parvenus, il est toujours fait référence au temps partiel. Cela signifie que nos équipes y sont sensibilisées, ce dont nous nous félicitons, mais cela signifie surtout que les indicateurs sont très pertinents...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Tout à fait.

Mme Annie Thomas : ...qu'ils sont utilisés et permettent réellement de trouver une solution.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'étaient les meilleurs critères que l'on pouvait trouver.

Mme Annie Thomas : S'agissant des cadres, il est mal vu dans les entreprises que les cadres prennent un temps partiel.

L'évolution de carrière des hommes et des femmes cadres est marquée par la rupture de l'arrivée du premier enfant. Souvent, elle peut être suivie d'une demande de temps partiel. Mais, temps partiel ou pas, le premier enfant constitue une rupture extrêmement forte. C'est toujours le modèle masculin de carrière qui prévaut. Il y a ainsi des stéréotypes : on fait sa carrière de vingt-cinq à quarante ans, juste au moment où les femmes sont, elles, occupées avec les enfants et peuvent être intéressées par un temps partiel.

L'organisation du travail et l'organisation des carrières pénalisent donc les femmes, qu'elles prennent ou non un temps partiel. C'est encore plus pénalisant pour celles qui sont chargées de famille.

Notre Union confédérale des cadres s'est attachée à savoir comment se produisait ce processus de décrochage et s'il y avait un coupable idéal. Or il n'y en a pas. En fait, on constate que personne ne le veut, ni les hommes, ni les femmes, ni les patrons. Mais on s'aperçoit que, de choix en choix des individus, choix qui est souvent celui du couple, d'ailleurs, s'installe un processus de choix internes, mais aussi externes à l'entreprise, qui ont des effets sur la place de ces femmes cadres dans l'entreprise.

Cette situation inégalitaire qui est constatée n'est pas le choix d'affreux réactionnaires ; personne ne le veut, ni ne le revendique. C'est plus subtil que cela et, à la limite, plus dangereux, c'est-à-dire que ce sont des choix qui sont faits - y compris par une femme qui décide à un moment de prendre un temps partiel, de s'arrêter ou de marquer son opposition à une organisation du travail qu'on lui impose - et qui font qu'elle se retrouve dans ce que notre Union confédérale des cadres appelle « le deuxième cercle ». Les inégalités aujourd'hui sont d'autant plus fortes à démasquer qu'elles se cachent derrière la mixité. On a progressé en termes de mixité des responsabilités et de place des femmes dans le travail mais, selon l'Union confédérale des cadres, cette mixité cache souvent les inégalités : on voit la mixité, on ne voit plus les inégalités.

En ce qui concerne la fonction publique, nous vous avons dit ce que nous pensions du temps partiel choisi. Il y a malgré tout une différence entre le temps partiel dans la fonction publique et dans le secteur privé. La différence la plus intéressante, c'est que, dans la fonction publique, d'un temps partiel vous pouvez, si vous le souhaitez, revenir à un temps complet, sans aucune difficulté. De ce point de vue, il existe une véritable différence au bénéfice des femmes travaillant dans la fonction publique.

En revanche, dans la fonction publique, le temps partiel n'est quasiment jamais compensé : vous travailliez cinq jours, vous demandez le mercredi, vous retrouvez sur votre bureau le travail de cinq jours. Dans l'organigramme, les personnes ne sont pas remplacées pièce pour pièce. L'organisation est telle que c'est à vous de vous organiser pour mener en quatre jours ce qui, auparavant, l'était en cinq.

De même, des secteurs entiers de la fonction publique semblent totalement fermés au temps partiel. Je pense notamment aux personnels de l'Education nationale, qui représentent la majorité des fonctionnaires. Pourtant, la prise de temps partiel dans ce secteur pourrait induire de nouveaux modes de travail, de fonctionnement collectif, qui n'existent pas à ce jour. Aujourd'hui, les enseignants sont dans un face-à-face pédagogique et unique avec leurs élèves. Nous plaidons pour que soit réintroduit du travail collectif, afin que les enfants puissent bénéficier d'apports variés en ayant plusieurs adultes autour d'eux. Le temps partiel pourrait permettre de construire cette organisation autre que le face-à-face pédagogique. Or il est très rare de voir des enseignants à temps partiel.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Rien ne l'interdit.

Mme Annie Thomas : Dans le primaire, cela existe, mais très peu. Pour les enseignants des collèges et des lycées, ce n'est pratiquement jamais le cas.

En ce qui concerne votre question sur la durée moyenne du temps partiel dans le déroulement d'une carrière, elle est très variable : pour les enseignants, elle est nulle ; pour d'autres qui travaillent dans la filière propreté, par exemple, elle peut atteindre 100 %.

Il ne faut pas s'étonner que ces personnels aient une retraite misérable. Ils ont cotisé et, en fait, ils perçoivent le minimum vieillesse. Leurs cotisations ne leur reviennent pas. Elles entrent dans le tronc commun.

En ce qui concerne votre dernière question concernant nos propositions, nous nous sommes efforcées de vous présenter des propositions à la fois générales et pratiques.

S'agissant des questions des stéréotypes et des orientations, on constate que l'orientation des filles se fait encore vers des filières très féminisées qui, nous le savons, offrent une part importante d'emplois à temps partiel. Lorsqu'elles sont orientées vers des filières médico-sociales ou des filières de services, elles sont orientées non seulement vers une profession, mais aussi vers une organisation de travail, ce que les enseignants ne disent jamais.

Il existe, de manière générale, un réel problème d'orientation dans notre pays, qui se double d'un problème d'orientation particulier pour les filles qui ne sont pas, à mon sens, pleinement informées. Il peut être très intéressant d'aller vers la filière médico-sociale, d'autant qu'il s'agit d'un secteur dans lequel des emplois peuvent être créés, mais il faut que les jeunes reçoivent vraiment une information complète, sur la profession et le diplôme qu'il va leur falloir obtenir, mais aussi sur le fait que ce sont plutôt des emplois à temps partiel.

Nous avons ensuite des propositions plus classiques, notamment celle d'avoir une vraie réflexion sur l'articulation des temps sociaux et le développement du service collectif, utile pour que les femmes ne soient pas obligées de travailler à temps partiel. De ce point de vue, un travail doit être fait tant du côté des pouvoirs publics que du côté des entreprises.

Nous avons intégré dans l'accord - c'est déjà dans le code du travail, mais il faut le rendre réel - que chaque fois qu'une entreprise envisage une embauche à temps complet, celle-ci soit proposée prioritairement aux personnes qui travaillent déjà à temps partiel dans l'entreprise et que ce soit le temps partiel qui soit proposé à l'embauche, de manière à avoir plus de fluidité ; on est à temps partiel, mais on ne reste pas coincé dans un poste à temps partiel.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est une bonne idée.

Mme Annie Thomas : C'était dans la « loi Aubry II». Nous l'avons inscrit dans notre accord. Encore faut-il le faire vivre. Il ne faut pas rester coincé dans un poste à temps partiel si on ne le souhaite pas.

Mme Anne-Marie Comparini : Or, souvent, dans la grande distribution, par exemple, les femmes le sont.

Mme Marie-Josèphe Charron : Avec pour conséquence de n'avoir pas d'évolution de carrière possible.

Mme Annie Thomas : Notre deuxième demande porte sur la question du lien entre emploi et accès à la protection sociale. Nous nous adressons là au législateur.

Aujourd'hui, c'est un constat, certains emplois à temps partiel ne permettent pas d'accéder à la protection sociale ou d'obtenir une retraite. Les travailleurs cotisent pour rien. Ils n'auront que le minimum vieillesse. Nous proposons donc qu'il n'y ait pas de temps partiel en-dessous des seuils d'accès à la protection sociale, retraite et sécurité sociale.

Mme Anne-Marie Comparini : Cela ne concerne pas le mi-temps.

Mme Annie Thomas: Non, il s'agit d'horaires en dessous du mi-temps, comme il en existe, par exemple, dans la grande distribution. Il y aurait une régularisation à faire, car ces femmes cotisent pour la solidarité, pour les autres, mais pas pour elles. C'est un vrai problème.

Vous nous avez demandé si nous étions favorables à une contribution des employeurs en cas d'utilisation du temps partiel. Nous ne sommes pas du tout favorables à des politiques de ce type, à aucun niveau. Nous ne souhaitons pas faire payer plus les employeurs qui utilisent beaucoup d'emplois précaires, parce qu'ils préféreront payer, comme, dans le domaine de la parité politique, les partis politiques préfèrent payer.

Nous pensons qu'il est préférable de mieux encadrer le niveau d'heures minimum. Il faut dire qu'il ne peut y avoir de contrats à temps partiel inférieurs à un certain nombre d'heures, fixer ce seuil en liaison avec les seuils d'accès à la protection sociale, et l'afficher clairement.

Il faut également encadrer les amplitudes d'horaires, imposer qu'il n'y ait pas, un jour, trois heures le matin, puis le lendemain, deux heures l'après-midi et le surlendemain, trois heures la nuit. Les amplitudes de travail doivent être correctes, respecter la personne, permettre l'accès à la formation et aux droit sociaux, car le problème, c'est que nombre de ces secteurs, du fait de leur faible habitude contractuelle, n'ont pas d'accords sur l'accès à la prévoyance, aux assurances complémentaires, etc.

11 % des Français ne sont pas couverts aujourd'hui par des mesures de prévoyance ; presque 20 % n'ont pas d'assurances complémentaires. On le voit aujourd'hui dans le débat sur l'assurance maladie. Je ne serais pas étonnée, mais on n'a jamais de statistiques de genre, que, dans ces pourcentages, il y ait beaucoup de femmes salariées. C'est inévitable puisque nous parlons de secteurs où il n'y a pas d'habitudes contractuelles, employant des smicards. Je suis sûre que cela concerne majoritairement des femmes.

Elles sont pénalisées dans leur carrière, mais peuvent l'être aussi en cas de décès ou de handicap ; pénalisées également par rapport à la couverture maladie, puisqu'elles n'ont pas accès aux assurances complémentaires qui, souvent, sont payées en partie par les entreprises. Et ne parlons pas de l'épargne salariale et de tout ce qui est lié aux retraites.

Enfin, nous avons une demande générale de revalorisation des rémunérations de ces emplois. Nous pensons qu'ils sont trop mal payés. Cette demande ne s'adresse pas au législateur, mais au patronat ; nous vous en faisons part néanmoins, car cela fait partie de notre panoplie de propositions.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Qu'adviendra-t-il des étudiants si vous demandez un seuil minimum d'heures ?

Mme Annie Thomas : A choisir entre un étudiant qui, dans quatre ou cinq ans, sera ingénieur, et une dame, qui va rester toute sa vie à temps partiel, je choisis la dame et sacrifie un peu l'étudiant.

Pour protéger l'accès au temps partiel d'une catégorie privilégiée - parce que les étudiants sont une catégorie privilégiée - on met dans la détresse des milliers de femmes.

Mme Anne-Marie Comparini : Et pour toute leur vie.

Mme Annie Thomas : C'est un choix de société.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Qu'il faudra mettre en évidence.

Mme Annie Thomas : Pour les étudiants, il suffirait de créer un contrat à temps partiel étudiant.

Mme Anne-Marie Comparini : J'ai beaucoup aimé votre réflexion sur les nouveaux secteurs. Tout en respectant la vie associative, car c'est souvent de l'économie solidaire, il faut malgré tout dire certaines choses. Les syndicats et même nous, en tant que citoyens, voyons bien que tous ces services d'aide à la personne ne pourront continuer à travailler comme ils le font.

Mme Annie Thomas : C'est de l'artisanat le plus total.

Mme Anne-Marie Comparini : La personne qui travaille quatre heures le matin pourrait certainement travailler quatre heures ailleurs l'après-midi. Ce n'est qu'une technique de management.

Mme Annie Thomas : Elle pourrait aussi ne pas avoir d'employeurs différents le matin et l'après-midi.

Mme Anne-Marie Comparini : Je pense que la professionnalisation de ces métiers et, donc, leur revalorisation pourrait aider. S'il est si important pour nous d'aller vers la fin de vie de manière digne, acceptons d'en payer le prix. Cela veut dire aussi qu'on leur aura fait un vrai métier, avec une convention, une formation, etc.

Mme Annie Thomas : Oui, il faut qu'elles soient capables d'intervenir non seulement pour garder la personne, mais aussi pour l'aider à progresser, en lui faisant faire des exercices, en l'aidant à marcher, en développant des techniques d'entretien qui lui permettent de conserver sa vivacité.

Mme Anne-Marie Comparini : Sans cela, il n'y aura plus personne dans ces métiers ; la jeune génération n'est plus attirée par ces travaux.

Par ailleurs, il commence à y avoir une organisation en réseau. Il me semble que même la vie associative y a intérêt, parce que certains ont envie d'exercer ces métiers d'aides soignants ou d'auxiliaires de vie et ne trouvent pas de travail, alors qu'ailleurs, on sait qu'il en manque, mais eux, ne le savent pas. On doit pouvoir organiser des réseaux. Ce serait bénéfique tant pour celui qui en a besoin, la personne âgée, par exemple, que pour celui qui l'aide.

Pour moi, ce rapport de la Délégation arrivera à point nommé.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Oui, j'ai vraiment proposé ce thème avec l'idée d'améliorer le travail à temps partiel et, effectivement, il y a des éléments positifs à développer pour les associations, parce que ce sont des emplois dont nous allons avoir de plus en plus besoin.

Mme Anne-Marie Comparini : Et pour la grande distribution et le privé, il faudrait trouver le moyen de pouvoir passer d'un temps partiel à un temps complet, et inversement, car dans la vie, on peut très bien entrer à temps partiel pour pousser la porte de l'entreprise sans vouloir rester à temps partiel. Il faudrait mettre en place cette règle selon laquelle dès qu'il y a création d'un emploi, il y a une sorte de droit de préemption.

Mme Annie Thomas : Non seulement en cas de création d'emploi, mais également en cas de départ d'un salarié, car ces personnes à temps partiel ont déjà la culture de l'entreprise.

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