DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 18

Mardi 25 mai 2004
(Séance de 18 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mmes Michèle Monrique, secrétaire confédérale de la Confédération générale du Travail-Force ouvrière (CGT-FO) et Annie Barbé, secrétaire fédérale de la Fédération générale de l'alimentation et du tabac

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mmes Michèle Monrique, secrétaire confédérale de la Confédération générale du Travail-Force ouvrière (CGT-FO) et Annie Barbé, secrétaire fédérale de la Fédération générale de l'alimentation et du tabac.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Dans le cadre des auditions de la Délégation aux droits des femmes sur le travail à temps partiel, nous avons le plaisir d'accueillir Mme Michèle Monrique, secrétaire confédérale de la Confédération générale du Travail - Force ouvrière, spécialiste du secteur « égalité » à la CGT-FO et membre du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle. Vous êtes par ailleurs membre du Conseil économique et social et vice-présidente de sa Délégation aux droits des femmes.

Vous êtes accompagnée de Mme Annie Barbé, secrétaire fédérale de la fédération générale de l'alimentation et du tabac. Nous avions en effet souhaité rencontrer des représentantes de secteurs particulièrement concernés par le travail à temps partiel. Cela nous permettra une approche plus concrète des problèmes, chaque secteur ayant une réelle spécificité en la matière.

Nous vous avons posé par écrit un certain nombre de questions, qui sont l'expression des préoccupations de la Délégation et nous vous remercions d'intervenir aujourd'hui sur les problèmes du travail à temps partiel, qui concerne aujourd'hui très majoritairement les femmes.

Mme Michèle Monrique : Nous avons choisi de vous apporter un témoignage à deux voix. Je suis accompagnée de Mme Annie Barbé qui appartient à la fédération générale de l'agriculture et de l'alimentation. Elle est sur le terrain, côtoie et rencontre des jeunes femmes qui travaillent, notamment dans les supermarchés et les hypermarchés.

Pour ma part, je commencerai par vous exposer brièvement le point de vue de la confédération sur la question du temps partiel, ou plus exactement de l'impact du temps partiel.

Je suis une des victimes du temps partiel, simplement parce que j'ai été l'une des militantes du temps partiel. Dans les années 75-80, les femmes cherchaient à concilier vie familiale et vie professionnelle et la seule manière de le faire était de prendre un temps partiel. Nous avons pris le mercredi et avons été payées à temps partiel, tout en faisant le travail à temps complet. C'était une situation confortable pour tout le monde dans la mesure où, à la maison, cela résolvait bien des problèmes : nous disposions du mercredi pour aller chez l'orthodontiste, remplir le frigo, faire la lessive, repasser, s'occuper des devoirs, etc. ; puis, le jeudi, nous repartions fringantes au boulot. Cela arrangeait le mari. Cela arrangeait aussi et surtout les employeurs, puisque nous étions payées beaucoup moins cher que quelqu'un à temps complet. Ils réalisaient une économie. Dans cette affaire, la gagnante n'était sûrement pas la femme qui le croyait pourtant à l'époque.

En fait, on s'aperçoit que le travail à temps partiel est un véritable boomerang, d'une part, parce qu'il est un frein à toute promotion et, d'autre part, parce qu'il n'était pas pris en compte pour valider les droits à la retraite. Il représente un handicap permanent. Ce que nous trouvions positif s'est retourné contre l'ensemble des salariés, car, à partir du moment où le patronat a réalisé l'intérêt pour la flexibilité du travail d'accepter ce temps partiel des femmes, il a cherché à l'appliquer à l'ensemble des travailleurs. Le temps partiel s'est donc mis en place aussi pour les hommes. Pourtant, dans la recherche de l'égalité professionnelle et de l'égalité entre les hommes et les femmes, la question du temps partiel est finalement, trente ans après, devenue un axe central de l'inégalité.

En France, il s'agit d'un phénomène récent, d'une trentaine d'années. Un jour, les femmes ont découvert qu'elles pouvaient travailler à temps partiel et elles ont fait en sorte de pouvoir l'aménager elles-mêmes. Le temps partiel ne représente pas la forme de travail par laquelle les femmes ont intégré massivement le salariat dans les années 60, à la différence de pays voisins, tels les Pays-Bas ou le Royaume-Uni. En France, c'est en effet par des emplois à temps plein qu'a eu lieu l'accroissement de l'activité féminine et non par le temps partiel.

Dans les années 70-80, le temps partiel a représenté une des solutions devant la difficulté d'articulation de la vie qu'il nous fallait mener pour être des femmes, ou plutôt des super women, capables de tout faire, de tout gérer, d'être à la fois des mères et des femmes lancées dans une carrière professionnelle. Les femmes des années 70-80 ne pensaient pas à la retraite, mais à se réaliser dans leur métier. Elles avaient fait des études ou n'en avaient pas fait d'ailleurs, mais elles voulaient « vivre » professionnellement. En même temps, il leur fallait aussi être de bonnes épouses. Nous étions dans une société où il nous fallait être tout à fait parfaites.

Aujourd'hui, cela représente un parfait contre-exemple : aidée par des mesures d'exonération de cotisations sociales, l'embauche à temps partiel est devenue un phénomène banalisé, qui est passé dans la norme. La plupart du temps, il s'agit d'emplois non qualifiés, flexibles, dont use et abuse bon nombre d'employeurs et dont ils se servent comme variable d'ajustement.

A propos de variable d'ajustement, je ferai juste une parenthèse : l'étude que je réalise actuellement sur la place des femmes dans la professionnalisation des armées montre que l'on a fait « sauter » les quotas à l'accès des femmes aux métiers des armées, qu'il y a un engouement des femmes pour rentrer dans l'armée. Cette féminisation de l'armée tient au fait que la suppression du service national a provoqué une pénurie d'emplois au sein du ministère de la défense, plus particulièrement chez les femmes militaires. D'un seul coup, les femmes devenaient assez « géniales » pour être militaires, dès l'instant où elles constituaient une sorte de variable d'ajustement.

Les employeurs ont fait de même, en tout cas en ce qui concerne l'emploi non qualifié.

Mme Annie Barbé : Je vais vous parler des secteurs de la grande distribution, des jardineries et graineteries, et de la restauration rapide. Au sein de notre fédération, nous comptons également le secteur de l'hôtellerie, mais aussi les emplois de services, les assistantes maternelles, que je n'aborderai pas aujourd'hui.

La grande distribution emploie 625 000 salariés, dont 61 % sont des femmes. Sur ces 625 000 salariés, il y a aujourd'hui 223 000 personnes travaillant à temps partiel. Je prends ici en considération les supermarchés et les hypermarchés car, si je ne considérais que les hypermarchés, sur 301 000 salariés, 110 000 sont à temps partiel et 96 000 sont des femmes.

Ces salariés ont, en principe, des coupures de 2 h 30, puisque les hypermarchés sont ouverts en continu. Mais si nous considérons les maxi-discounters, comme Leader Price, Ed ou d'autres, nous comptons alors 55 % de salariés à temps partiel avec des coupures de 3 heures, puisque, bien souvent, en province, ces magasins ferment à midi.

Nous avons pu faire augmenter le nombre d'heures travaillées avec le passage aux 35 heures. Cela a permis dans les hypermarchés d'augmenter les contrats d'une heure par salarié, et nous avons enregistré une augmentation plus significative dans les supermarchés puisque les contrats ont augmenté de 4 heures ; même si quatre heures à 7,19 euros représentent une somme qui ne nous semble pas élevée, je puis vous assurer que, pour ces femmes, c'est important.

Les jardineries représentent 4 000 salariés, dont seulement 646 travaillent à temps partiel sur des contrats de vingt heures, avec obligation de travailler un dimanche sur deux. Le salaire est de 7,19 euros durant la semaine et de 8,99 euros le dimanche.

A cela, il faut ajouter le transport ; de plus, s'il y a un enfant, il faut trouver quelqu'un qui veuille bien le garder. Quand on nous dit qu'il faut ouvrir les magasins le dimanche, il faut savoir que c'est encore exploiter davantage les femmes !

Dans la restauration rapide, l'effet de la loi sur l'égalité professionnelle a permis aux femmes d'avoir le même taux horaire que les hommes, au moins à la Brioche dorée. C'est un grain de sable, mais ce n'est pas à négliger.

Dans la grande distribution, d'après la convention collective, les heures complémentaires devraient être rémunérées, mais il est souvent proposé aux salariés de les récupérer. Et, souvent, ces salariés acceptent en espérant une augmentation de leur contrat, sachant bien que s'ils n'acceptent pas, ils n'obtiendront rien du tout.

A cela s'ajoute le problème des retraites que Mme Michèle Monrique évoquait puisque, maintenant, d'une part, la loi prévoit de faire le calcul sur les années cotisées et non plus validées et, d'autre part, il y a le régime complémentaire. Jusqu'à présent, cette solution n'existait pas, mais l'accord interprofessionnel de novembre dernier permet de cotiser pour un temps plein même si l'on est à 30 heures ou 20 heures. Il ne faut pourtant pas se leurrer. Je vous ai apporté un bulletin de salaire d'une personne qui gagne 688 euros par mois, dont 113 euros pour une ancienneté de vingt ans. Il s'agit d'un emploi dans un Carrefour de province, non pas Carrefour France, mais une enseigne Carrefour. Avec de telles montants de salaires, vous imaginez bien que l'accord interprofessionnel est inapplicable pour une femme à temps partiel.

Peut-être y aurait-il une solution : les exonérations consenties aux employeurs pourraient n'être accordées qu'aux employeurs qui emploient du personnel à temps complet... Pourquoi ne pas pénaliser les employeurs qui font du temps partiel un mode de gestion du personnel ? Car il ne s'agit pas de temps partiel choisi. Contrairement à ce que vous expliquait Mme Michèle Monrique lorsqu'elle évoquait certaines professions dans lesquelles les femmes demandaient un temps partiel, dans nos secteurs, il s'est agi dès le début de temps partiel imposé. Ce n'était pas un choix des femmes.

Je ne vois donc pas comment elles pourraient cotiser plus. Elles auront alors une retraite à temps partiel. Compte tenu des congés parentaux, de tous les congés qui ont pu être proposés, et de leur temps partiel ; imaginez combien elles vont toucher à la retraite !

Par ailleurs, actuellement, l'accès au logement est également un problème qui s'aggrave pour ces femmes. J'appartiens à un comité interprofessionnel du logement et j'ai téléphoné à celui de Sarcelles pour demander quels étaient les logements disponibles. La réponse a été qu'il restait un logement à Puteaux, un F2, à 602 euros par mois. Avec un salaire de 688 euros, vous comprenez le problème.

Voyez la situation de ces jeunes femmes. Si elles ont un enfant, je me demande comment elles font pour se loger, puisqu'elles ne peuvent pas accéder à des logements comme celui dont je parlais : d'une part, elles n'ont pas le revenu qu'il faut, puisque le revenu doit être quatre fois supérieur au montant du loyer ; d'autre part, il leur faut une caution. Elles peuvent arriver à l'obtenir avec Locapass, mais leur situation est cependant dramatique. Ces jeunes femmes, dans vingt ans ou trente ans, au moment de la retraite, seront encore davantage dans la misère.

J'ai choisi le secteur de la grande distribution, dont les personnels sont plutôt mieux loties qu'ailleurs. La situation des aides ménagères est bien pire.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : En vingt ans, on a atteint le chiffre de près de trois millions et demi de travailleurs à temps partiel. A l'origine, la création du temps partiel avait été envisagée pour donner la possibilité aux femmes d'avoir un deuxième temps partiel. Mais, matériellement, dans certains secteurs, comme dans l'exemple que vous citiez, c'est impossible.

Mme Annie Barbé : De plus, en dessous de dix heures hebdomadaires, il y a exclusion du régime général de la sécurité sociale.

Mme Michèle Monrique : Ce sont les cas les plus dramatiques.

Le temps partiel est une spirale infernale dans la mesure où cela entraîne d'abord une proratisation de la rémunération, ensuite, un retard d'accès à la formation et, enfin, l'inaccessibilité à la promotion.

Mme Annie Barbé : Je voudrais attirer votre attention sur un point. Il me semble qu'il faut vraiment lutter contre le temps partiel car, si aujourd'hui, il concerne une majorité de femmes, il faut veiller à ne pas attirer aussi demain les hommes sur ce terrain.

Mme Michèle Monrique : C'est déjà fait.

Mme Annie Barbé : Il est vrai que, dans la grande distribution, on commence à voir des caissiers. Au titre de l'égalité, on va nous dire qu'il faut aussi embaucher des hommes, mais ils ne sont pas encore nombreux.

Mme Michèle Monrique : Non, 85 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes. Cela fait aussi partie de notre inconscient collectif, de notre culture, de considérer que ce sont les femmes qui assument la charge de la maison. On parle d'un « deuxième salaire », d'un salaire d'appoint. On ne le dit plus parce que c'est politiquement incorrect, mais cela demeure.

Mme Annie Barbé : La personne qui a bien voulu me remettre son bulletin de paie travaille depuis vingt ans à temps partiel et avait demandé une augmentation. Cela lui a été refusé parce que son conjoint était fonctionnaire. Elles étaient d'ailleurs plusieurs dans ce cas. Les chefs de service et ses collègues ne l'ont pas défendue, disant qu'elle avait un mari dont le travail était protégé. Voyez jusqu'où vont les inégalités.

Mme Michèle Monrique : Il y a ingérence dans la vie privée.

Mme Annie Barbé : C'est la même chose dans les secteurs de l'hôtellerie et la restauration, où l'exploitation est maximale.

Mme Michèle Monrique : Pour le nettoyage industriel, dans le métro, la situation est identique. Il s'agit de femmes souvent immigrées qui ne parlent même pas notre langue et ne savent pas se défendre. Nous avons chez nous des travailleurs de l'ombre, ou des travailleuses de l'ombre.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Quelles recommandations préconiseriez-vous pour le travail à temps partiel ?

Mme Annie Barbé : Dans notre secteur, il faudrait éviter une augmentation du travail à temps partiel.

Dans le secteur de la grande distribution, il va y avoir davantage de temps partiel. Deux grandes enseignes ont lancé une étude sur le self scanning. Il s'agit d'Auchan et de Casino où, avant de mettre en place le test, les organisations syndicales ont été consultées. Une caisse avec paiement par carte bancaire décomptera automatiquement tous les objets qui se trouvent dans le caddie, quand le client passera. Il y aura donc moins besoin de caissières, pas dans l'immédiat, mais à terme. Cela concernera, dans les hypermarchés, ce que nous appelons les batteries de caisses, qui emploient le plus de salariés à temps partiel.

Cela signifie qu'il y aura davantage de petits contrats à temps partiel, donc que cela va encore amener de la précarité. On n'aura plus besoin de caissières en caisse ; peut-être leur fera-t-on aider le consommateur à pousser son caddie jusqu'à sa voiture ? Nous avons appris lors d'un colloque au Portugal que Metro faisait déjà ce type de reconversion. En France, les distributeurs avaient dit qu'ils ne mettraient pas en cause l'emploi. Pourtant, Auchan et Casino lancent cet essai. S'ils commencent, les autres suivront.

Mme Michèle Monrique : Remplacer indéfiniment les hommes par des machines, c'est aussi et d'abord un manque à gagner pour la sécurité sociale. Il y a certainement moyen de formuler certaines recommandations dans l'articulation entre la vie professionnelle et la vie privée des hommes et des femmes. A FO, nous pensons que le temps de travail doit être encadré fermement, et le temps partiel aussi.

Que faudrait-il faire ?

Nous avançons les préconisations suivantes : fixer des plafonds d'heures complémentaires les plus restreints possibles ; mettre en place des calendriers prévisionnels d'horaires, avec de larges délais de prévenance pour toute modification.

Mme Annie Barbé : Dans le cadre de la modulation, les horaires doivent être présentés au comité d'entreprise - je parle des grands groupes - avec un délai d'un mois. Cependant, le salarié, lui, est averti entre sept et douze jours avant et, pour raisons exceptionnelles, ce délai peut être réduit à trois jours.

Comment un parent, qu'il soit homme ou femme, qui donne son enfant à garder ou qui l'inscrit à la crèche, collective ou privée, puisque cela a tendance à se développer, ou chez une assistante maternelle, peut-il faire quand il lui faut téléphoner pour prévenir que, le soir même, il ne pourra pas être là comme prévu ?

Mme Michèle Monrique : Dans ce cas, en plus, il paie le tarif de garde maximum.

Mme Annie Barbé : Et comment faites-vous si cela se passe en fin de journée, dans un magasin comme Monoprix qui, à Paris, est ouvert jusqu'à 22 heures et que l'on vous annonce qu'il manque quelqu'un le soir et que vous devez venir faire une nocturne ?

Mme Michèle Monrique : De plus, on va vers une ouverture des magasins 24h/24h. Cela existe déjà dans certains pays étrangers

Mme Annie Barbé : Il existe déjà des magasins de proximité qui pratiquent ainsi, des épiceries de nuit.

Mme Michèle Monrique : Il me semble qu'il faut poser des garde-fous, notamment en ce qui concerne les coupures du temps. Il faut réduire l'amplitude du temps de travail. Quand des femmes travaillent à temps partiel avec une amplitude de travail sur la journée, c'est un temps partiel qui occupe toute leur journée. Ce n'est pas possible.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ce n'est plus du temps partiel.

Mme Michèle Monrique : Elles travaillent à temps partiel, mais sur une amplitude horaire qui peut être de douze heures.

Mme Annie Barbé : Il faut y ajouter le temps de trajet.

Mme Michèle Monrique : Si elles sont en région parisienne, elles ne peuvent pas rentrer chez elles.

Mme Annie Barbé : En province, c'est pareil. Je suis paloise. Si les femmes ont cinquante kilomètres à faire ou si le couple ne dispose pas d'une deuxième voiture, elles ne peuvent pas rentrer non plus. Elles restent dans la galerie marchande. En province, les moyens de transport ne sont pas ceux de la région parisienne et, après 20 heures, il n'y a plus de bus.

Mme Michèle Monrique : Le compte épargne temps, fonctionne-t-il ? Une réduction du compte épargne temps à deux ans maximum, serait-elle intéressante ?

Mme Annie Barbé : Nous n'y sommes pas très favorables.

Mme Geneviève Levy : Comment cela fonctionne-t-il matériellement ? Quel en est l'intérêt ?

Mme Annie Barbé : Le compte épargne temps est un système qui consiste à mettre du temps sur un compte, afin soit d'avoir des congés exceptionnels, soit de partir plus tôt en fin de carrière. Au lieu d'être rémunérée, une partie du temps va sur un compte épargne.

Mme Geneviève Levy : C'est donc à considérer sur le long terme ?

Mme Annie Barbé : Oui, à long terme. Mais une personne à temps partiel a besoin de sa rémunération immédiatement.

Mme Geneviève Levy : C'est bien ce qui me semblait. C'est la raison pour laquelle je ne comprenais pas pourquoi vous posiez cette question.

Mme Michèle Monrique : C'est une question qui pourrait se poser.

Imaginer des solutions sur le temps partiel n'est pas évident pour deux raisons : d'une part, les femmes se disent qu'elles ont besoin de travailler, qu'il faut travailler à deux et, d'autre part, il n'est pas toujours évident de trouver un travail aujourd'hui. Dès lors, elles acceptent n'importe quel travail et l'on rencontre en ce moment dans les hypermarchés des filles de niveau Bac+3 à Bac+5.

On a toujours dit à nos enfants : faites des études, travaillez bien, en pensant qu'ainsi ils auraient un travail et un salaire leur permettant de s'assumer et de vivre leur vie...

J'en ai parlé à Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle. C'est après vingt-cinq ans que les femmes se réalisent professionnellement si elles ont fait des études. Or, entre vingt-cinq et trente-cinq ans, c'est aussi la période où elles procréent.

Elles veulent tout ménager, comme nous avons voulu le faire, à ceci près qu'aujourd'hui, c'est encore plus difficile.

Avec 85 % de femmes qui sont des salariés pauvres, cela fera 90 % de femmes qui seront extrêmement pauvres, au seuil de pauvreté, au moment de la retraite.

Il faut réfléchir sérieusement à cette pauvreté qui est en train de s'installer. On est en train d'aggraver le quart-monde, dans lequel il y aura 90 % de femmes.

Mais que pouvons-nous faire, nous, aujourd'hui ?

Je crois que les femmes sont un peu fatalistes. Elles se disent qu'il y a du chômage et elles sont déjà contentes d'avoir un petit travail à 600 euros.

Mme Annie Barbé : Jusqu'à présent, les femmes dans la distribution, ne se mettaient pas en grève. Pourtant, chez Casino, pour la première fois, au mois de mars, elles ont lancé un mouvement de grève qui a été très suivi. Le salaire n'était pas seul en cause. De meilleures conditions de travail étaient aussi et surtout réclamées.

Mme Michèle Monrique : Nous n'avons pas évoqué les conditions de travail, les chariots qu'elles transportent, dans le froid, le chaud, la pression maximale qu'elles subissent en permanence. Tous ces éléments sont à prendre en compte...

Mme Annie Barbé : Sans oublier l'agression verbale par les clients aux caisses, qui est très fréquente.

Mme Michèle Monrique : Je suis très inquiète quand j'entends dire que l'on ne trouve pas de personnes pour faire le travail et que l'on va faire appel à l'immigration. Pour les payer encore moins qu'on ne paye ces femmes ?

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Dans la distribution alimentaire, aujourd'hui, les patrons se plaignent de ne plus trouver de personnel.

Mme Michèle Monrique : Cela n'a rien d'étonnant quand vous voyez les bulletins de salaires.

Mme Annie Barbé : Elles ont avantage à rester chez elles. Maintenant, elles demandent des agréments pour être assistantes maternelles. Elles vont gagner pratiquement autant en restant à la maison et en gardant des enfants. Nous sommes en train de négocier une convention collective sur les assistantes maternelles, qui sera signée le 11 juin.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est très bien.

Mme Michèle Monrique : C'est bien mais, en même temps, on renvoie toujours les femmes dans les mêmes secteurs. On les renvoie au foyer, en fait.

Ce qui, dans les années 80, était apparu aux unes et aux autres comme une solution à bien des problèmes pour organiser notre vie devient aujourd'hui un vrai boulet : boulet social, boulet pour la retraite, qui conduit à une extrême pauvreté. Je n'ai pourtant pas envie de noircir le tableau, mais je suis obligée de le dire, car c'est la vérité. Il n'y a qu'à regarder les sources statistiques de la DARES.

Le témoignage de Mme Annie Barbé sur les femmes de la grande distribution est un témoignage de terrain. C'est pour cela que j'ai tenu à avoir sa présence à mes côtés aujourd'hui ; c'est en vous livrant de tels témoignages que vous pourrez prendre la mesure de la situation.

Mme Annie Barbé : Les enseignes pour lesquelles les situations sont vraiment dramatiques sont Leclerc et Intermarché. Nous ne parvenons pas à nous y implanter syndicalement. Dans les grands groupes, nous pouvons éviter certains abus, mais chez Leclerc et Intermarché, il est vraiment impossible de mener une action syndicale quelle qu'elle soit ou, alors, de façon très marginale.

Mme Michèle Monrique : L'effet des années 80 nous revient en boomerang. Il se peut que le temps partiel arrange certaines personnes, lorsqu'il y a un premier salaire confortable, mais elles ne mesurent pas l'impact que cela pourra avoir dans leur vie, si elles vivent une rupture sur le plan familial. Elles se retrouveront alors dans de grandes difficultés. Même dans la fonction publique, quand on s'est arrêté quelques années pour s'occuper d'un enfant, comme je l'ai fait moi-même, c'est au moins 30 % de la retraite qui sont perdus. A l'époque, il n'y avait pas de congé parental, ni de crèche.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il me semble pourtant que s'occuper d'un enfant, c'est travailler pour l'avenir. C'était une des propositions que j'avais faites, et qui n'a jamais été prise en considération, celle de prendre en compte, au niveau des retraites, la période durant laquelle une femme s'occupe de son enfant.

Mme Michèle Monrique : Je demande la neutralisation du congé de maternité.

A la différence du service militaire qui est pris en compte pour le calcul des retraites, il n'y a pas de prise en compte du congé pris pour élever des enfants. Ce congé doit être neutralisé.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Tout à fait.

Mme Michèle Monrique : Ou alors, il faut que l'on ouvre des crèches, Il ne faut pas punir les femmes parce qu'elles participent à la vie de la nation.

Mme Annie Barbé : Une carrière à temps partiel, cela veut dire que les femmes qui travaillent se retrouvent dans la même situation que celles qui n'ont pas travaillé autrefois et qui avaient une pension de réversion.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Vous êtes une des premières à nous dire que le travail à temps partiel vous préoccupe. Tous ceux qui ont été auditionnés jusqu'à présent nous ont dit que ce n'était pas leur préoccupation du moment.

Mme Michèle Monrique : Plus généralement, les préoccupations des femmes ne sont pas une préoccupation du moment.

Mme Annie Barbé : Je peux vous assurer que nous nous sommes préoccupées du temps partiel au moment des négociations de branche pour la formation professionnelle. De plus, lors des accords sur les trente-cinq heures, nous avons demandé une augmentation du temps des contrats.

Mais nous avons eu du mal à les faire accepter. Dans certaines entreprises, nous avons négocié des départs à la retraite. Chaque fois que nous avons négocié, nous avons obtenu une compensation en volume d'heures, soit par une augmentation des contrats, soit par des embauches.

Mme Michèle Monrique : Pour revenir aux retraites, on nous dit aujourd'hui qu'il faut cotiser à une retraite complémentaire. Mais comment voulez-vous que ces femmes le fassent  avec les salaires qu'elles ont !

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Tout cela, il nous faudra le mettre en avant lors de la rédaction du rapport.

Mme Annie Barbé : En matière de protection sociale, notamment de mutuelle maladie, chez Casino ou Carrefour, il existe des accords de groupe. Mais, pour la salariée à temps partiel d'une petite entreprise, il n'existe pas d'accord de groupe, donc, pas de possibilité de souscrire un contrat avec une mutuelle. Il y a certes la CMU, mais elle ne couvre pas tout. Pour ces femmes un contrat individuel est trop cher.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : On est en train de créer de l'exclusion, de créer une poche de pauvreté.

Mme Michèle Monrique : Je suis responsable de l'immigration, des jeunes et de ce qui touche aux droits de l'homme. Quand j'entends dire qu'il faut chercher des recettes pour lutter contre l'exclusion et la discrimination, je réponds qu'il faut commencer par ne pas en créer.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Dans le secteur de la distribution, avez-vous des femmes qui font toute leur carrière à temps partiel ?

Mme Annie Barbé : Je vous ai montré le bulletin de salaire d'une femme qui a vingt ans d'ancienneté.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Cette femme a-t-elle demandé un temps complet ?

Mme Annie Barbé : C'est justement celle dont je parlais tout à l'heure en disant que le temps plein lui avait été refusé parce que son mari avait un emploi protégé...

Mme Michèle Monrique : ... Parce que l'on juge toujours l'emploi de la femme en fonction de celui du mari.

Mme Annie Barbé : La moyenne d'ancienneté du travail à temps partiel est de sept ans.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Cette femme ne percevra qu'une retraiter minime.

Mme Annie Barbé : Elle aura le minimum vieillesse ainsi qu'une retraite complémentaire très faible. Mais elle ne fera même pas partie des salariés qui auront une retraite équivalente au SMIC.

Mme Michèle Monrique : Le temps partiel est un problème difficile, étant donné que, comme on le disait tout à l'heure, on n'en mesure pas tout de suite les conséquences. En même temps, c'est un moyen pour les femmes d'entrer dans le monde du travail. Elles se disent qu'elles vont mettre ainsi le pied à l'étrier, commencer par un temps partiel qui leur permettra d'avoir un autre emploi. D'ailleurs, c'est ainsi qu'on les tient, en leur disant que, si elles se comportent bien, dès qu'un emploi sera créé, elles l'auront.

Mme Annie Barbé : La perversité du système est bien démontrée par l'exemple du travail du dimanche, pour lequel on fait appel à volontaire. Mais les femmes à temps partiel ne vont pas refuser de venir, dès lors qu'on leur laisse entendre que si elles sont dociles, cela favorisera peut-être une augmentation de leur contrat... Mais l'augmentation de contrat n'arrive pas.

Mme Michèle Monrique : C'est un constat terrible, parce que, sous des dehors très séducteurs, le travail à temps partiel s'avère un gros handicap. Mais je n'ai pas non plus de recette miracle.

En même temps, sur le terrain et dans les entreprises, les fédérations concernées font du bon travail, en particulier, dans la grande distribution. Là où les organisations syndicales sont implantées, il y a une sensibilisation.

Mme Annie Barbé : Il est vrai que chez Carrefour, nous sommes parvenues à faire augmenter le temps des contrats. Je parle des magasins de Carrefour France, parce qu'il existe des magasins de l'enseigne Carrefour où ce n'est pas du tout le cas.

Mme Michèle Monrique : Je me demande si on ne pourrait pas faire action civique en sensibilisant les filles dès l'école, au moins en fin de parcours secondaire, au moment de l'orientation scolaire. On leur présenterait les possibilités, les orientations qui leur sont offertes ; et on leur expliquerait ce que recouvre le temps partiel. Ne peut-on envisager des solutions de ce type ?

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est peut-être par cela qu'il faut commencer et arrêter de bercer les filles d'illusions.

Mme Annie Barbé : Un autre élément à souligner dans le secteur de la distribution, ce sont les contrats étudiants. On ne peut certes pas s'opposer aux contrats étudiants, parce que les étudiants ont aussi besoin de travailler, mais il faut savoir que cela se fait au détriment de l'augmentation du temps des contrats.

Mme Michèle Monrique : Il faut relire le tome II de Françoise Héritier, Masculin Féminin, Dissoudre la hiérarchie. Ce livre est riche d'enseignements sur le sujet et l'on comprend le tricotage par lequel les femmes en sont arrivées où elles en sont, pourquoi elles en sont là aujourd'hui, y compris en matière de temps partiel.

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