DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 19

Mardi 8 juin 2004
(Séance de 16 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Yann Gaudronneau, président de la commission sociale de la Fédération des Entreprises de Propreté (FEP), et de Mme Carole Sintés, déléguée générale de la FEP

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- Audition de M. Gilbert Cette, professeur d'économie associé à l'Université d'Aix-Marseille II

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu M. Yann Gaudronneau, président de la commission sociale de la Fédération des Entreprises de Propreté (FEP), et Mme Carole Sintés, déléguée générale de la FEP sur le thème du travail à temps partiel.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous sommes heureux d'accueillir M. Yann Gaudronneau, président de la commission sociale, et Mme Carole Sintès, déléguée générale, de la Fédération des entreprises de propreté.

Votre secteur est le mieux à même, avec le secteur du commerce, à nous aider dans notre réflexion sur le travail à temps partiel. En effet, il regroupe 12 000 entreprises qui emploient environ 353 000 salariés. C'est un important secteur concerné par le travail à temps partiel.

M. Yann Gaudronneau : Le chiffre de 353 000 personnes concerne l'ensemble des salariés, celles à temps complet et celles à temps partiel.

Mme Carole Sintés va procéder à un tableau de la branche ; quant à moi, je répondrai au questionnaire que vous m'avez adressé, que j'assortirai de commentaires.

Mme Carole Sintés : La branche professionnelle comptera bientôt 13 000 entreprises pour un chiffre d'affaires de 7 milliards d'euros.

La fédération rassemble près de 2 000 entreprises, c'est-à-dire 60 % du chiffre d'affaires du secteur. Notre fédération est très représentative de notre branche professionnelle. A côté de la fédération, l'organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) collecte les fonds de formation. Seize conseillers travaillent en son sein, avec un service de proximité très développé vis-à-vis des entreprises.

Nous enregistrons une évolution très positive de nos actions de formation. Nous comptons un organisme de formation pour la branche comportant sept centres de formation d'apprentis (CFA). La branche compte 600 apprentis et 5 000 jeunes dans les lycées professionnels.

Structure très particulière à la branche - c'est un cas unique -, le Fonds d'action pour la réinsertion et l'emploi a été créé voilà une dizaine d'années. Les entreprises de propreté ont décidé de cotiser 0,15 % de leur masse salariale, ces cotisations étant obligatoires pour toutes les entreprises. Cela nous permet de développer des actions en faveur de l'emploi, au sens le plus large, c'est-à-dire des actions concrètes, notamment en faveur du public des demandeurs d'emploi de longue durée, des publics dits « en difficulté », que l'on insère assez traditionnellement dans notre branche professionnelle. C'est un investissement fort de la branche pour favoriser l'emploi, notamment de ces différents publics. De nombreuses actions sont menées : le développement du tutorat, des méthodes de ressources humaines, un accompagnement des entreprises pour améliorer les ressources humaines et leur gestion.

Nous comptons également le centre technique international de l'hygiène propreté (CTIP) et un office professionnel de qualification.

Quelques repères économiques : la branche regroupe 353 000 salariés avec une concentration assez forte des entreprises. Comme dans bien des secteurs, « des majors », des entreprises de plus de 250 salariés, réalisent environ la moitié du chiffre d'affaires et emploient un peu plus de la moitié des salariés du secteur. Viennent ensuite de toutes petites entreprises et des artisans.

L'activité est celle de la propreté dans les locaux ; elle concerne pour l'essentiel le secteur tertiaire : les bureaux, les gares, les aéroports, les moyens de transports, tout ce qui se trouve à l'intérieur d'un local. L'activité est forte, par ailleurs, dans des milieux sensibles comme les hôpitaux, où les procédures sont très techniques, car il s'agit, en plus de la propreté, d'activités de décontamination.

Depuis quelques années, la branche s'ouvre à un autre champ d'intervention, « les services associés ». De plus en plus de clients demandent en effet des interventions autres que le nettoyage des locaux ; au départ connexes, elles sont relatives à la gestion du bâtiment, aussi bien à la maintenance qu'aux petits travaux de dépannage, de réparation. Ce peut être aussi l'accueil de publics...

M. Yann Gaudronneau : Ou encore la préparation de salles de réunions, l'approvisionnement de photocopieurs, si l'on parle de métiers plutôt assurés par les femmes. Citons également les espaces verts, la petite maintenance des carrelages, le changement de poignées de portes.

Inéluctablement, nous nous dirigeons vers une globalisation des marchés. Nos clients nous ont demandé de nous ouvrir à ces métiers. A ce titre, nous avons modifié la classification de notre convention collective, ce qui nous permet d'intégrer ces métiers dans nos professions.

Mme Carole Sintés : Cette gestion globale a déjà des incidences, que nous quantifions actuellement à 10 % du chiffre d'affaires ; nous pensons que cette part augmentera. La globalisation permettra également d'offrir aux salariés des tâches et des emplois plus diversifiés et, par voie de conséquence, une augmentation de leur temps de travail, qui se rapprochera de plus en plus d'un temps plein.

La formation concerne 5 000 jeunes. Nous menons des actions innovantes dans la branche. Nous luttons beaucoup contre l'illettrisme. Notre branche est l'une des seules à avoir engagé un processus spécifique de formation des publics analphabètes et illettrés.

M. Yann Gaudronneau : C'est une action davantage axée sur la région parisienne, en raison de la présence de cultures étrangères très variées.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Et dans les autres régions ?

M. Yann Gaudronneau : Proportionnellement moins. Cela dit, les exigences des clients augmentent et du fait des procédures, nous avons toujours davantage besoin de l'écrit.

Mme Carole Sintés : Peu de branches sont investies dans ce système. C'est un système fin, totalement adapté aux réalités du chantier, également en termes de processus d'apprentissage.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Combien de temps dure la formation ?

Mme Carole Sintés : Les formations dispensées varient entre 150 et 200 heures.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : S'agit-il de volontaires ou imposez-vous les formations ?

Mme Carole Sintés : Nous lions le travail contre l'illettrisme aux écrits professionnels. Si une entreprise ou un encadrement réunit ses différents ouvriers pour dire à chacun qu'ils connaissent des difficultés spécifiques, l'efficacité est faible, sauf lorsqu'il s'agit de publics étrangers, qui, eux, ont des problèmes à écrire le français, de la même façon que nous en rencontrons nous-mêmes pour écrire l'allemand, par exemple. En général, pour les autres, le sujet est tabou. Nous avons donc expérimenté une procédure, qui aujourd'hui fonctionne bien, à partir des écrits professionnels. Une entreprise, par exemple, se lance dans une démarche qualité. A ce titre, elle aura besoin sur le chantier que les salariés dressent des rapports, ce qui est une chose assez simple. C'est dire qu'ils devront passer à l'écrit et savoir lire les procédures. La méthode est liée à l'écrit professionnel. Les personnes n'apprendront pas à lire et à écrire, mais à déchiffrer ces écrits professionnels, parce que c'est un point important dans la démarche qualité.

En termes de formation, nous avons une procédure d'individualisation de la formation, sous forme d'ateliers pédagogiques individualisés. Nous nous sommes trouvés confrontés à un écueil : entre un analphabète, un illettré, un étranger chinois ou marocain, les problèmes sont totalement différents. Il est extrêmement difficile d'homogénéiser un groupe de telle sorte que l'enseignant puisse s'adresser à des personnes de même niveau.

Les formateurs et les organisations de formation sont sélectionnés sur cahier des charges. Ils doivent être en capacité d'y répondre avec la contrainte de limiter leur action, tant il est vrai que proposer quatre cents ou cinq cents heures de formation est trop long pour nos publics ; ceux-ci abandonneraient. Nous limitons donc la formation à un programme de 150 ou 200 heures, avec la possibilité bien sûr de passer au cap supérieur. Mais on reste dans le domaine du possible : en six mois, un an, ils seront capables - bien sûr, tout dépend de leur niveau initial - de réaliser un pas important. Et quand on a franchi un pas important, on peut aller plus loin plutôt que de s'enliser dans des projets ou des programmes de formation si lourds qu'ils donnent l'impression de ne pouvoir aboutir.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Combien de personnes formez-vous ?

Mme Carole Sintés : Nous en avons formé 300 sur 250 000.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Elue au conseil régional, je connaissais bien le problème de la formation professionnelle, qui était l'une de nos préoccupations fortes, notamment la formation initiale qui n'existait pas pour ces publics. J'ai rarement rencontré des entreprises formant en formation initiale.

M. Yann Gaudronneau : Je vais répondre en tant que chef d'entreprise plus qu'en qualité de président de la commission sociale, puisque je dirige, en tant que salarié mandataire, la région Ouest d'une grande entreprise. Nous formons par obligation, poussés par l'exigence du client. Le personnel est notre outil de production. Nous devons bien le former pour l'adapter aux exigences de nos clients. Nous y sommes tenus.

Mme Carole Sintés : Au surplus, nous rencontrons de plus en plus de problèmes de recrutement, liés à un déficit d'image, qui ne sont pas propres à notre branche. Le temps partiel, les horaires décalés, tout cela n'est pas simple pour les salariés. Les entreprises se doivent de consentir des efforts en faveur de leurs salariés techniquement compétents et motivés, mais confrontés à ces problèmes, car, de toute façon, ils n'en trouveront pas d'autres. C'est dire que l'investissement est « presque » obligatoire. Mais à nous de trouver un mécanisme qui réponde à des contraintes de chantier.

Voilà pour les actions innovantes. Il y en a d'autres, mais les développer prendrait trop de temps.

A partir des repères sociaux, j'évoquerai maintenant l'organisation du travail dans le secteur, qui est assez particulier.

En ce qui concerne le chiffre d'affaires des entreprises, 80 % du prix de revient de la prestation correspond à la masse salariale. Toute augmentation des charges, comme l'augmentation du Smic, tous les coûts salariaux ont des conséquences directes sur le prix de revient de nos prestations. Nous y sommes donc extrêmement sensibles.

Dans la mesure où il y a des horaires décalés et beaucoup de temps partiels, nombre de salariés travaillent avec plusieurs employeurs. Aussi avons nous une particularité, l'annexe VII de notre convention collective, l'équivalent en quelque sorte de l'article L. 122-12 du code du travail : en cas de succession de titulaires de marchés, les salariés embauchés par le premier titulaire voient leurs contrats de travail transférés sur le marché suivant.

M. Yann Gaudronneau : Il y a continuité du contrat de travail chez le nouveau titulaire du marché.

Mme Carole Sintés : Imaginons un salarié qui travaille dans une banque. Suite à de nouveaux contrats, le marché est coupé en deux lots. Le salarié réalisera toujours le même travail, avec exactement les mêmes horaires et sera payé de la même façon ; mais, il passera d'un temps plein à deux temps partiels, puisqu'il aura deux employeurs contre un précédemment. C'est un phénomène extrêmement fréquent en même temps que délicat à évaluer très précisément. C'est très fréquent, mais le « très fréquent » représente-t-il 50 ou 60 % des salariés ? Moins, plus ? C'est difficile à dire. Nous avons tenté de l'évaluer, mais l'exercice se révèle un peu compliqué.

Enfin, chacun est confronté à des horaires de travail décalés, très souvent avec des chantiers de très courte durée, avec des interventions tôt le matin et tard le soir, dans la mesure où pendant la journée les locaux sont occupés. La culture en France n'autorise pas l'intervention d'ouvriers ou d'agents de service pendant le temps de travail, alors que c'est beaucoup plus fréquent dans certains pays du Nord.

M. Yann Gaudronneau : J'ai amené un cahier des charges relatif à l'entretien d'un gros bâtiment. On ne souhaite pas y voir les gens travailler pendant les heures de bureaux. L'intervention se situe entre 6 heures et 9 heures le matin ou entre 18 heures et 21 heures. Pourquoi six heures le matin ? Parce que les heures précédentes sont considérées comme des horaires de nuit. Le facteur économique entre en ligne de compte. S'ajoute l'aspect lié aux transports. A Paris, le métro fonctionne à partir de cinq heures du matin. Entamer un chantier à cinq heures est donc délicat. Vient s'ajouter une question liée à la sécurité. Avant six heures, les bâtiments sont sous alarme. Idem pour le soir à 21 heures. Les personnes terminant à dix-huit heures, on ne peut commencer à travailler qu'après 18 heures. Après 21 heures, ce sont des heures de nuit, des problèmes de transport, le phénomène des mises sous alarme.

Il s'agit d'un petit clin d'oeil : le bâtiment en question est celui du ministère des Affaires sociales. Reconnaissons que tous les marchés répondent aux mêmes exigences. Ce n'est pas une spécificité de ce bâtiment, ni du présent Gouvernement : il en va souvent ainsi de tous les sites, publics ou privés.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Alors qu'aux Etats-Unis, les agents de service peuvent intervenir dans la journée.

M. Yann Gaudronneau : Nous et nos agents de services y serions prêts, car un lien social se crée alors. En fait, nous sommes des travailleurs de l'ombre. Quand vous arrivez le matin à votre bureau, il est propre. Peu de personnes se préoccupent de savoir qui l'a nettoyé ; de même pour l'ensemble du bâtiment. Nous rencontrons le représentant du client, mais nos salariés, voire nous-mêmes ne rencontrons pas le client.

Au lieu de deux vacations de trois heures, nous préférerions une vacation de six heures, si ce n'est qu'il ne s'agira plus de six, mais d'au moins sept heures, du fait du temps perdu. Passer l'aspirateur, faire les vitres va plus vite quand les locaux sont vides. Il y a un problème économique. Tout acheteur qui fait normalement son travail saucissonnera les travaux de telle manière que cela lui coûte le moins cher possible et encombrera les bâtiments le moins possible. C'est aussi lié aux consignes de sécurité. C'est dire que notre temps partiel est fortement imposé par notre cahier des charges et les méthodes d'exploitation.

Autre exemple : une même personne ne pourra nettoyer toutes les petites banques de cent cinquante mètres carrés, distantes de trente kilomètres les unes des autres, dont le créneau horaire se situe entre sept heures et vingt heures, car après elles sont tous sous alarme. C'est dire que nous emploierons de faibles temps partiels, d'une heure, qui habiteront à proximité des locaux. Certains de mes employés ont des bulletins de salaire de 4 heures 33, c'est-à-dire d'une heure par semaine. Mais il faut bien que quelqu'un fasse le travail. Les syndicats ont toujours tendance à nous montrer ces bulletins de salaire en déclarant que c'est une honte. Généralement, la personne qui intervient est une petite dame qui habite à côté. Nos exploitants rechercheront dans un environnement d'un kilomètre autour de la banque la personne susceptible de passer l'aspirateur, de nettoyer les sanitaires et de donner un coup aux vitres. Nous lui faisons un bulletin et pour elle c'est un petit salaire.

Troisième exemple : les grandes surfaces. De cinq heures du matin jusqu'à six heures et demie ou sept heures, les magasins font les mises en rayons. Après, c'est l'heure du nettoyage. Nous arrivons à sept heures ou à sept heures trente, alors qu'il y a 15 000 mètres carrés à nettoyer. A neuf heures, le sol doit être propre et sec. Il est hors de question que les clients et les clientes dérapent ! Le terme « sec » est important. C'est dire qu'il faut intervenir dans un créneau serré. Et ce n'est pas une, mais quatre ou cinq personnes que nous mobiliserons sur de grosses machines pour aller très vite. D'où inéluctablement un travail à temps partiel.

Mme Carole Sintés : Nous sommes un secteur de service en évolution. Nous sommes le secteur qui connaît la croissance la plus forte (5 %). Nous avons créé 100 000 emplois en sept ans. Nous sommes passés de 169 000 à 361 000 personnes en 2002.

M. Yann Gaudronneau : Le chiffre d'affaires croît par une externalisation des marchés et par leur revalorisation. La loi sur les trente-cinq heures est intervenue, créant un petit choc salarial, qu'il a fallu rattraper par la « loi Fillon ». De 6 euros de salaire horaire, nous passerons en 2005 à 8 euros. Avec 80 % de salaires et charges, mêmes si des allégements sont venus atténuer le choc salarial, nous avons été contraints de revaloriser très fortement le coût facturé à nos clients. Le chiffre d'affaires a bondi, mais la progression a pour partie été liée à des revalorisations, non à des marchés de mètres carrés supplémentaires.

Mme Carole Sintés : J'en viens à la structure de l'emploi : 91,5 % sont des agents de service. Nous sommes un secteur de main-d'œuvre, avec un encadrement de maîtrise administrative peu importante du fait de l'activité de la branche.

La répartition des salariés par tranche d'âge fait apparaître en pourcentage que les femmes sont plus nombreuses que les hommes dans les tranches d'âge de 40 à plus de 50 ans. Dans la tranche d'âge de 40 à 50 ans, on compte 24,9 % d'hommes contre 32,6 % de femmes, soit + 7,7 % de femmes, et dans la tranche d'âge de plus de 50 ans, 15,2 % d'hommes contre 17,3 %, soit + 2,1 %. Un axe fort de notre formation consistera à permettre à ces salariés d'évoluer, notamment de passer, par exemple, à l'encadrement intermédiaire.

Cinquante et un pour cent des salariés ont plus de dix ans d'expérience dans la branche.

Le personnel est féminin à 66 %, avec la ventilation suivante :

- 75 % sont des agents de service ;

- 83 % sont des employées ;

- 82 % des agents assurent la maîtrise administrative, 54 % sont chefs d'équipe ; c'est une évolution forte ; de plus en plus de femmes deviennent chefs d'équipe dans les entreprises de propreté.

- 31 % assurent la maîtrise d'exploitation ;

- 27 % sont cadres.

M. Yann Gaudronneau : Les statistiques de ma région font apparaître autant de maîtrises femmes que de maîtrises hommes.

Mme Carole Sintés : Des efforts de formation considérables sont réalisés dans la branche. Nous avons un OPCA avec un service de proximité très important. Nous avons quasiment doublé notre offre de formation depuis 1994, année de départ. Le niveau de formation est en constante augmentation, avec, pour les organismes de formation, une connaissance de plus en plus fine des besoins. Nous pouvons être fiers du travail réalisé, notamment en matière de lutte contre l'illettrisme. Nous menons des actions innovantes intéressantes.

On assiste à une augmentation mécanique des temps partiels, dans la mesure où la définition du temps partiel a évolué.

M. Yann Gaudronneau : De 32 heures de durée hebdomadaire maximum du travail, il est passé à 35 heures avec les « lois Aubry ».

Mme Carole Sintés : Il est majoritairement féminin : 77,47 % des personnes qui travaillent à temps partiel sont des femmes.

Il est toujours un peu délicat d'évaluer le temps partiel imposé et le temps partiel choisi. Selon la DARES, 40 % de personnes travaillant à temps partiel souhaiteraient aujourd'hui travailler à temps complet contre 48 % en 2001. La nouvelle définition du temps partiel produit-elle ces différences ?

Quoi qu'il en soit, a priori, les chiffres sont en baisse. On constate que 12 % voudraient travailler davantage ; que 46 % ne souhaitent pas travailler plus. On pourrait parler là de temps partiel choisi.

Dans notre profession, l'existence de plusieurs employeurs fait que des salariés travaillant le matin chez l'un, le soir chez l'autre, sont économiquement à temps complet, alors que, juridiquement, ils restent à temps partiel. Ce sont pour l'essentiel des agents de services, c'est-à-dire des personnels d'exploitation, avec une progression que nous expliquerions par la nouvelle définition du temps partiel.

Enfin, en ce qui concerne la durée hebdomadaire des salariés à temps partiel, les chiffres sont très variables. Ils évoluent d'une année sur l'autre. Il est difficile d'en tirer des conclusions, si ce n'est qu'environ 40/42 % des personnes travaillent 19 heures ou moins par semaine. Les autres travaillent entre 21 heures et 25 heures, jusqu'à 35 heures et plus, cette dernière catégorie représentant 6,18 %.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Arrivez-vous à satisfaire les personnes qui souhaitent travailler à temps complet ?

M. Yann Gaudronneau : Nous avons un accord sur le temps partiel et des fiches de souhaits du personnel qui souhaiterait effectuer plus d'heures. La difficulté est en général d'ordre géographique. Si une personne travaille sur un chantier dans le sud de Nantes, et que j'ai deux heures à lui proposer dans le nord, se pose le problème du transport et de la coïncidence des horaires.

Mme Carole Sintés : Les horaires décalés sont un facteur important de temps partiel, dans la mesure où la plupart des personnes travaillent dans la tranche horaire six heures-neuf heures. Dans l'hypothèse de nouveaux contrats, les horaires proposés seront toujours dans cette même tranche horaire.

M. Yann Gaudronneau : Nous souffrons du fait que les tranches horaires sont étroites. Des personnes souhaitent plus d'heures, mais même si nous avons des chantiers à proposer, ce n'est pas toujours matériellement possible. Parfois, nous y arrivons parce qu'un salarié assure deux heures et que nous avons un chantier de trois heures à pourvoir. Il abandonnera donc son chantier de deux heures pour travailler sur celui de trois heures. On essayera de prendre quelqu'un d'autre pour le chantier de deux heures. On jouera sur le déplacement du personnel.

Tout notre encadrement travaille là dessus. Plus la personne a une durée de travail mensuel élevée, plus elle sera fidèle à l'entreprise, moins il y aura de turn over.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Vous ne connaissez pas de gros turn over ?

M. Yann Gaudronneau : Non, car nous faisons attention. Avec un turn over élevé, travailler serait très compliqué. Le remplacement d'une personne nécessite de montrer les locaux au nouvel employé, de même que de lui montrer le local ménage, les accès ; c'est dire que cela engendre un travail préparatoire. Lorsqu'une personne est efficace et que le client en est satisfait, nos agents de maîtrise font en sorte de ne pas la perdre.

Vous m'avez interrogé sur la proportion de travailleurs à temps partiel. Je suis directeur régional de la Région Ouest Bretagne-Pays de la Loire-Poitou Charentes. En avril 2004, 5 032 salariés étaient inscrits ; 4 876 étaient des ouvriers, soit une forte proportion ; 3 751 étaient à temps partiel, dont 3 428 femmes. Sur 5 032 salariés, nous comptons 3 500 salariés féminins à temps partiel, soit une proportion assez forte.

La région Ouest est une région dépourvue de gros sites. Plus les sites sont grands, plus on enregistrera des temps complets. A Paris, l'APHP en est un exemple. A l'hôpital de la Salpêtrière, nombreuses sont les personnes à travailler à temps complet. Mais en province, excepté des villes comme Nantes, Rennes, Angers, où travaillent des temps complets, il y aura du temps partiel, parce que les chantiers sont de faible ampleur.

L'ensemble du ministère des Affaires sociales représente plus de 100 000 mètres carrés. Avec des créneaux horaires comme décrits précédemment, on est obligé d'avoir des temps partiels. Pour un temps complet, les personnes devraient avoir une double vacation. C'est dire qu'elles travailleraient de six heures à neuf heures le matin pour revenir le soir à dix-huit heures. Or, ce ne sont jamais les mêmes, ou du moins c'est très rare.

Certaines femmes effectivement n'assurent que trois heures. Cela leur permet d'avoir un bulletin de salaire et une couverture sociale. Souvent, ce sont des personnes qui feront également des travaux ménagers chez les particuliers, avec une grande flexibilité d'horaires. Elles arriveront pratiquement à l'équivalent d'un temps complet. Mais elles auront organisé leur travail.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Dans le secteur de la propreté, avec des horaires de ce type, on peut compléter le temps partiel. L'idée de plusieurs temps partiels se conçoit, parce que les femmes travaillent ensuite chez les particuliers.

M. Yann Gaudronneau : Tout à fait. On aura des femmes ayant dépassé la quarantaine, le problème des enfants étant résolu.

Mme Carole Sintés : On le retrouve dans les chiffres.

M. Yann Gaudronneau : C'est le reflet de ce que nous connaissons dans nos exploitations. La forme des appels d'offres, la forme des contrats nous ont imposé de trouver un mode de fonctionnement ; mais augmenter le temps partiel, ce n'est pas facile.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Avec de tels horaires, vous n'avez pas besoin d'augmenter le nombre d'heures ; les personnes trouvent elles-mêmes des heures à ajouter. A la limite, c'est beaucoup mieux.

M. Yann Gaudronneau : Je vous laisserai un écrit, que nous avons intitulé : « Le temps partiel, les incohérences des réformes successives sur la durée du travail, leurs effets pervers sur l'emploi et la nécessité d'une réforme. »

La « loi Aubry » précise que les heures complémentaires que l'on peut donner aux temps partiels sont surréménérées à hauteur de 25 %, alors que les heures effectuées par un CDD le seront à 10 %. D'un point de vue économique, si je dois remplacer une des personnes affectées sur un site et que je peux le faire par une autre personne qui travaille déjà pour moi, je peux lui donner ces heures. Mais, économiquement, j'ai intérêt à prendre un CDD. Je précarise donc la dame qui a déjà un CDI chez moi, qui demande à travailler davantage et à la demande de laquelle je pourrais répondre. L'agent de maîtrise du chantier préférera prendre un CDD. Pour les temps partiels, nous n'avons pas la possibilité de faire un accord de branche pour négocier avec les partenaires sociaux la surrémunération de 25 %.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est une vraie question.

M. Yann Gaudronneau : Un inspecteur du travail expliquera que le coût des heures complémentaires recouvre celui de la précarité. Une précarité est payée à 25 %, une autre à 10 % ; économiquement, j'ai intérêt à retenir 10 %.

Il y a une incohérence de la loi. La « loi Aubry » nous interdit par accord de branche de négocier la majoration des heures complémentaires. Si une telle possibilité nous était offerte, dans la mesure où je suis président de la commission sociale, je rencontrerais les partenaires sociaux et je négocierais ce point. D'autant que nous avons un accord sur le temps partiel selon lequel nous devons favoriser nos salariés à temps partiel. Or, la loi va à l'encontre de l'accord sur le temps partiel signé avec les partenaires sociaux.

Nous profitons de cette rencontre pour vous le signaler. Quand il légifère, le législateur oublie qu'une armada de lois antérieures existe qui finissent par devenir contradictoires.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est le problème récurrent de l'empilement des lois.

M. Yann Gaudronneau : Vous m'avez interrogé sur les conditions de rémunération des travailleurs à temps partiel et de l'incidence sur le temps de travail des « lois Aubry ». Cela dépend des stratégies d'entreprise. Certaines ont réduit le temps de travail de tout leur personnel. C'est ce que nous avons fait dans notre entreprise. En matière de garantie mensuelle de rémunération, nos salariés à temps partiel sont soumis à la GMR 2 ; nous sommes à la GMR 2 du fait de la date de réduction du temps de travail dans notre entreprise. Les temps partiels ont les mêmes salaires, au moins pour le premier niveau de la branche, que les temps complets. En revanche, certaines entreprises n'ont réduit que le temps de travail des personnels à temps complets sans toucher aux temps partiels. Ces derniers ne sont donc pas soumis à la GMR 2. Sur le premier niveau de salaire, nos salariés à temps partiel sont soumis à un écart qui s'élèvera au 1er juillet à environ 3 centimes d'euros de l'heure. Nous sommes à 7,76 euros. Notre GMR 2 devrait être, selon l'hypothèse d'une inflation à 2 % à 7,8 euros et, selon l'hypothèse d'une inflation à 1,2 %, à 7,79 euros. Soit trois centimes d'écart.

Sur le premier niveau de la branche, on a encore un écart de salaire lié à l'effet des 35 heures qui disparaîtra au 1er juillet 2005 par la convergence du Smic et de la GMR 2. Ce fut un casse-tête pour notre profession quand la  « loi Aubry » est arrivée. En effet, dans la mesure où nous avions des bas salaires et que le problème du Smic n'était pas résolu, il y avait un problème d'augmentation des salaires de 11,43 %. Nous avons signé un accord de branche sur la base de trois augmentations échelonnées de + 6,3 %, + 3 % et + 3 %. Nous le gérons sur trois ans avec une RTT.

Vous nous avez également demandé si les salariés ont recours à un deuxième temps partiel. Nous y avons répondu précédemment.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Le fait de compléter leur temps partiel par du temps partiel chez des personnes privées est positif.

M. Yann Gaudronneau : Quand on ouvre un nouveau chantier et que des heures sont disponibles, notre première réaction sera de demander à tous les salariés dans un rayon de quelques kilomètres si elles veulent travailler davantage.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : On ne peut pas faire cela dans le commerce, car les horaires ne le permettent pas. Le temps de pause est en milieu de journée ; c'est un vrai temps de pause, pendant lequel on n'ira pas chercher un autre temps partiel.

M. Yann Gaudronneau : Vous nous avez interrogé sur la part du temps partiel contraint et du temps partiel choisi ? Il est très difficile de répondre à cette question.

Le temps partiel est contraint par les modes d'exploitation. Prenons l'exemple d'un complexe cinématographique, qui commence à dix heures le matin pour finir le lendemain à une ou deux heures du matin. Après, le complexe est mis sous alarme.

Les complexes sont très grands, il faut aspirer tous les sièges. Le ménage commencera à six heures le matin jusqu'à dix heures et sera assuré par cinq ou six personnes.

Je vous signale un problème de notre profession que nous ne savons pas résoudre aujourd'hui : celui du travailleur isolé, lié au temps partiel, aux horaires décalés. Une personne toute seule est pour nous une préoccupation, que nous évoquons en conseil d'administration. C'est une préoccupation des partenaires sociaux, car il s'agit de personnel féminin qui peut se retrouver à six heures du matin ou à neuf heures le soir dans une zone industrielle.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il y a un problème de sécurité dont vous n'avez pas la solution.

M. Yann Gaudronneau : Dans ma direction régionale, notre agent de service vient faire le ménage deux fois par semaine. Elle vient à huit heures et demie comme tout le monde.

En tant que président de la commission sociale, je peux admettre qu'une personne fasse le ménage pendant que je travaille. Ce n'est pas du tout gênant. Nous sommes une petite structure de dix personnes. Cela ne nous pose pas de difficultés. Mais, imaginez un grand ensemble, privé ou public, il n'est pas imaginable qu'une personne entre dans un bureau pour faire le ménage. Le passage de l'aspirateur peut intervenir dans un temps décalé.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est une question d'éducation et de respect de la personne qui nettoie.

M. Yann Gaudronneau : Et de lien social - j'y tiens.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Vous avez tout fait raison.

M. Yann Gaudronneau : J'y tiens, car la personne qui réalise les travaux de nettoyage dans mes bureaux, l'un de mes établissements nantais, je la connais, je connais son histoire, ses problèmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Je suis entièrement de votre avis.

M. Yann Gaudronneau : Souvent, c'est toute la difficulté de nos agents de maîtrise qui ont du mal à supporter ce stress. Des personnes arrivent le matin protestant que l'agent de service a oublié de faire ceci ou cela. La difficulté de notre métier est bien celle-là : nous ferons trente bureaux pendant trois heures. Il est difficile de faire le ménage dans trente bureaux de manière identique. Sur les trente, un sera « loupé ». Dans la mesure où la personne qui occupe le bureau ne connaît pas la personne qui a fait le nettoyage, elle n'épargne pas ses critiques, ce qui parfois est très difficile à vivre pour nos exploitants.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ce ne doit pas être facile d'être agent de propreté.

M. Yann Gaudronneau : Ce n'est pas facile d'être agent de propreté, comme il n'est pas facile d'encadrer des agents de propreté. Nous sommes les travailleurs de l'ombre. On nous voit quand on fait la grève ou quand nos salariés font la grève, parce que les poubelles débordent. Autrement, c'est la normalité que ce soit propre et que les poubelles soient vidées.

Vous nous avez interrogé sur la durée du temps partiel au cours de la carrière de nos salariés et sur leur possibilité effective de revenir vers un temps plein ou de changer de secteur d'activité. Je vous ai parlé des chefs d'équipe et des agents de maîtrise : la moitié de la population est composée de femmes. Quatre-vingt-dix-huit pour cent d'entre elles ont été agents de propreté. A un moment donné, elles sont repérées par les agents de maîtrise pour leurs qualités et leur sens du commandement. En effet, lorsque l'on monte les échelons, ce n'est plus la technique qui est demandée, mais le sens du commandement. Les enfants de ces femmes étant devenus grands, elles ont davantage de possibilités ; elles évoluent ainsi. Des agents de maîtrise, voire des directeurs d'agence dans une grande entreprise comme la nôtre sont entrés comme agents de service.

En ce qui concerne l'existence de cadres à temps partiel dans les entreprises, c'est très rare.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Parce qu'ils ne le veulent pas ou parce que vous ne le souhaitez pas ?

M. Yann Gaudronneau : Nous ne le souhaitons pas. Il peut y en avoir quelques uns, mais c'est exceptionnel. J'emploie pour ma part des cadres à temps partiel, parce qu'ils travaillent sur deux établissements d'entité juridique distincte. Pour avoir la délégation de pouvoir, il faut bien qu'ils soient salariés des deux entreprises. Ils sont donc à temps partiel. Mis à part cette situation atypique, il y en a très peu, voire pas du tout.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Faute de suivi notamment.

M. Yann Gaudronneau : Oui, et puis rendez-vous compte de l'amplitude des horaires pour nos agents de maîtrise ! Lorsqu'ils font les chantiers tôt le matin, ils ne feront pas ceux du soir et inversement. S'il y a un problème le matin et un le soir, ils seront là le matin et le soir.

Vous nous avez également demandé nos suggestions pour une amélioration de la situation des travailleurs à temps partiel. Eh bien, que l'État montre l'exemple au travers des appels d'offres publics ! Dans la région parisienne, avec tous les ministères, 30 % du chiffre d'affaires des entreprises de propreté relèvent du secteur public. Il faudrait que les collectivités territoriales et les ministères montrent l'exemple et aident au travail à temps plein. Cela nécessite un état d'esprit différent : on doit accepter qu'une personne que l'on ne voit jamais aujourd'hui vienne nettoyer pendant les heures de bureau. Cela suppose une bonne organisation.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Votre propos est instructif. Nous apprenons que le temps partiel est important dans votre secteur et que vos employés peuvent le compléter, contrairement au secteur du commerce, en travaillant pour des particuliers.

M. Yann Gaudronneau : J'ai omis de souligner une particularité de notre profession : de par l'annexe VII, nous avons de très fortes relations entre confrères. Lorsque nous avons des salariés multi-employeurs, nous arrivons à nous arranger, du moins dans les grandes villes, pour résoudre les questions de congés d'été notamment.

Mme Anne-Marie Comparini : Aujourd'hui, les sociétés de services de nettoyage ou de propreté offrent quasiment une qualité zéro défaut. Elles travaillent selon des horaires un peu atypiques et les salariés sont plus souvent multi-employeurs que dans les autres secteurs.

M. Yann Gaudronneau : Mon agent de service de l'agence de Nantes assure deux vacations dans la semaine. Elle arrive à huit heures et demie. Elle me demande à quelle heure je sors de mon bureau. Elle s'organise avec tout le monde pour passer l'aspirateur, ce qui réclame une organisation spécifique. Et puis, sur la base des chèques « emploi-service », elle travaille chez des particuliers. Elle arrive à s'assurer un salaire équivalent à un travailleur à temps complet. C'est elle qui organise son temps de travail, non son employeur.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ce que l'on ne peut faire dans le commerce.

Mme Anne-Marie Comparini : Il n'y a donc pas une seule forme de temps partiel. C'est différent selon les branches. La loi est uniforme et réclame que nous soyons prudents. Car l'uniformité peut poser problème. C'est pourquoi il nous faut introduire de la souplesse.

M. Yann Gaudronneau : Je n'ai pas honte de le dire : certains de mes employés ont des bulletins de salaire mensuels de 4 heures 33, car la personne nettoie une fois par semaine un petit bureau de poste ouvert deux fois dans la semaine, dans le cadre d'un marché départemental. Il y a 150 mètres carrés à nettoyer, soit une heure de travail. Nous avons un accord sur le temps partiel selon lequel nous payons au minimum une heure, ce qui n'était pas le cas il y a quatre ans environ.

Mme Carole Sintés : On ne peut parler de précarisation de l'emploi dans ce cadre.

M. Yann Gaudronneau : Et on ne peut parler d'emploi précaire. Nous avons le marché et nous recherchons une personne dans un rayon d'un kilomètre autour de la poste qui pourra en assurer l'entretien. En général, les agents de maîtrise demandent au receveur de la poste ou se rendent à la mairie. Par le bouche à oreille, ils trouvent quelqu'un qui améliorera ainsi son ordinaire, sans être dérangée dans son emploi du temps.

Mme Anne-Marie Comparini : C'est un métier qui réclame une grande technicité pour les « salles blanches ». Ce qui vous oblige à faire de la formation.

M. Yann Gaudronneau : Oui, nous avons une classification assortie de rémunérations particulières. Le milieu hospitalier est un univers de femmes, y compris dans le secteur du nettoyage, contrairement au secteur sensible qu'est l'agroalimentaire, où s'agissant d'un travail de nuit, d'un travail de force avec des lances haute pression, on trouvera des hommes.

Mme Anne-Marie Comparini : Le secteur agroalimentaire emploie-t-il des salariés à temps partiel ?

M. Yann Gaudronneau : Très peu, car il s'agit en fait d'arrêts limités. Et puis il serait difficile de trouver des temps partiels pour un travail de nuit qui commence à ving-deux heures et qui se termine à minuit. Pensez-vous qu'une personne se déplacerait pour deux heures ? Non. Les organisations sont ainsi faites qu'il y a des arrêts de l'unité et que l'on prend une vacation de sept heures.

Mme Anne-Marie Comparini : Il est à noter la grande technicité, ce que d'aucuns parfois négligent. Cela suit bien l'évolution de notre société.

Mme Carole Sintés : Nous avons une filière de formation qui va du CAP au Bac + 5.

M. Yann Gaudronneau : Depuis trois ans, nous avons un master.

Mme Anne-Marie Comparini : Au niveau national ?

Mme Carole Sintés : Oui, à Lyon.

M. Yann Gaudronneau : Ce n'est pas un souci d'avoir une seule école en France pour un master. A ce niveau d'études, les étudiants sont mobiles.

On retrouvera la technicité dans le domaine pharmaceutique et dans celui de l'agroalimentaire. Nous avons à traiter des sites sensibles, des sites pharmaceutiques avec Pfizer, des sites cosmétiques avec Yves Rocher dans l'Ouest, et puis tout ce qui tourne autour de l'hospitalisation et des maisons de retraite.

L'intérêt de notre métier est d'être partout. Si je vous invite à Nantes, je suis en mesure de vous faire visiter des avions, des hôpitaux, des trains, et, à Brest les sous-marins nucléaires, parce que j'ai obtenu le marché des sous-marins nucléaires de l'île Longue.

Mme Anne-Marie Comparini : Cela montre que le temps partiel est utilisé dans des filières de grande technicité et qu'avec l'évolution de la société, tous nos métiers suivent et s'élèvent en qualité.

M. Yann Gaudronneau : Nous sommes présents sur tous les secteurs d'activité. Cinquante-cinq pour cent du marché global sont aujourd'hui sous-traités. Nous avons de la marge de progression devant nous. Quarante-cinq pour cent du nettoyage sont encore réalisés en interne. Je connais une très grosse entreprise de nettoyage qui s'appelle La Poste. Elle a encore ses femmes de ménage, ainsi qu'elle les appelle et que nous nommons « agents de service ». L'intérêt de l'externalisation est celle-ci : une femme de ménage à La Poste restera femme de ménage ; si le poste est externalisé, rentre dans une entreprise de propreté, elle sera agent de propreté dans une entreprise de propreté dont c'est le métier et où elle peut éventuellement évoluer si elle le souhaite.

Mme Anne-Marie Comparini : C'est la réflexion que je portais sur les TOS pour les lycées. Le fonctionnaire d'État, le TOS, qui commence à vingt ans à s'occuper du nettoyage d'un lycée fait le même travail à cinquante-cinq ans. Ce n'est pas une bonne chose. En transférant les TOS à la région, qui trouve des possibilités de sous-traitance ou d'externalisation...

M. Yann Gaudronneau : Dans le cadre des programmes d'externalisation que j'ai eu à connaître, notamment avec les cliniques privées, le client souhaitait sous-traiter la propreté de son site, car il voulait s'occuper de son métier, de l'hôtellerie hospitalière, du plateau technique, non de la maintenance ou des repas. La procédure consiste alors à transférer le personnel de l'entreprise « clients » à une entreprise de propreté en obtenant l'accord de tous les salariés. L'argument choc, l'argument décisif est de leur démontrer l'impossibilité d'évoluer au sein de la clinique, dans la mesure où le nettoyage n'est pas son cœur de métier. Quand on n'est pas dans le cœur de métier, on peut difficilement évoluer.

Mme Anne-Marie Comparini : Ils peuvent d'autant plus évoluer qu'ils sont motivés.

M. Yann Gaudronneau : Ils peuvent alors accéder à d'autres qualifications et évoluer professionnellement.

A propos d'un projet de réforme : la suppression d'un jour férié...

Mme Anne-Marie Comparini : A vous de le choisir avec les syndicats.

M. Yann Gaudronneau : Oui, mais un salarié multi-employeur ou un salarié qui aura deux clients différents aura-t-il deux statuts différents ? Je ne sais comment sera établi un accord de branche satisfaisant à des conditions différentes.

Mme Anne-Marie Comparini : Pour aider les personnes âgées, il fallait avoir le courage de dire que nous allions tous travailler huit heures de plus dans l'année. C'est à dire ajouter huit heures à la durée annuelle.

M. Yann Gaudronneau : Pour l'heure, nos agents de maîtrise s'interrogent. Que faire si nous travaillons le lundi de Pentecôte et que l'un de nos clients ne travaille pas le 8 mai ? Ce qui est certain c'est que cela représentera 0,3% de la masse salariale.

Mme Anne-Marie Comparini : C'est pourquoi je préconisais d'ajouter huit heures de travail, car pour aider nos anciens, il faudrait travailler plus.

M. Yann Gaudronneau : Cela ne nous choque pas. Politiquement, effectivement, il fallait annoncer une augmentation de la durée du travail.

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a ensuite entendu M. Gilbert Cette, professeur d'économie associé à l'Université d'Aix-Marseille II.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous sommes heureux d'accueillir M. Gilbert Cette, professeur d'économie associé à l'université d'Aix-Marseille II, chef du service des études macro-économiques à la Banque de France, conseiller scientifique, puis membre, du Conseil d'analyse économique.

Vous êtes l'auteur de nombreux ouvrages et travaux sur la problématique du temps de travail, dont nous retiendrons particulièrement le rapport sur le temps partiel en France, présenté au Conseil d'analyse économique en 1999.

C'est en raison de cette étude extrêmement riche en informations et analyses que nous avons souhaité vous entendre sur le travail à temps partiel, qui demeure essentiellement féminin. Au fur et à mesure de l'avancée de nos travaux, nous nous rendons compte que ce temps partiel peut fonder de nouvelles poches de pauvreté. Nous souhaiterions connaître votre analyse sur le temps partiel, sur l'intérêt macroéconomique du développement du travail à temps partiel, sur les mesures à prendre pour favoriser le temps partiel choisi, et sur l'amélioration de la protection sociale à apporter aux travailleurs à temps partiel.

M. Gilbert Cette : Je précise que je suis ici à titre personnel ; mon principal employeur, la Banque de France, n'est pas concerné par les travaux que j'ai engagés il y a déjà très longtemps. C'est en ma seule qualité d'universitaire que je m'exprime.

J'ai effectivement été conduit à travailler sur le temps partiel dans le cadre du Conseil d'analyse économique, après avoir beaucoup réfléchi sur la réduction collective du temps de travail. Cela donna lieu à la publication d'un rapport en 1999. Depuis, j'ai poursuivi ces travaux dans différents contextes, entre autres avec Jacques Barthélémy, juriste éminent du droit du travail, avec qui j'ai publié plusieurs articles sur ces sujets. Je veux essayer une synthèse des messages qui me paraissent les plus importants. Je dois m'excuser d'avoir pris, depuis un an, un peu de recul sur les statistiques et de ne pas pouvoir vous livrer les chiffres les plus récents.

Sept constats.

D'abord, l'analyse des réponses, non de salariés, mais de personnes soumises à des enquêtes sur la question du temps, permet de relever de nombreuses insatisfactions.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Pourquoi cette différence entre personnes et salariés ?

M. Gilbert Cette : Les personnes sont en âge de travailler, mais éventuellement ne travaillent pas. Je me réfère à une multitude d'enquêtes, notamment les enquêtes complémentaires à l'enquête emploi menée par l'INSEE en 1995 et 2001, une enquête de la DARES de 1999, une récente enquête très intéressante réalisée par Chronopost.

Un grand sentiment d'insatisfaction prévaut chez certaines populations et c'est par rapport à cette insatisfaction que se développe ma réflexion sur le temps partiel et le temps choisi.

Quelles sont ces insatisfactions ? La première insatisfaction fonde mon deuxième constat ; elle à l'allure d'une insatisfaction quantitative. De nombreuses personnes à temps partiel déclarent vouloir passer à temps plein et beaucoup de personnes à temps plein souhaitent passer à temps partiel. D'un point de vue strictement quantitatif, on constate que les personnes qui voudraient passer du temps plein au temps partiel sont très largement supérieures en nombre aux personnes travaillant à temps partiel qui déclarent vouloir passer à temps plein. Voilà un enseignement important. Ouvrir la possibilité de choix - ce n'est sans doute pas économiquement réalisable dans l'absolu - aboutirait à une réduction de la durée moyenne du travail. Tout cela alors même que la France se distingue au sein des pays industrialisés par une proportion de salariat à temps partiel contraint particulièrement élevé.

Quelles sont les populations les plus particulièrement concernées par ces déséquilibres ? Ce sont principalement les femmes qui vivent un temps partiel contraint. Mais ce n'est pas là un sujet d'étonnement, dans la mesure où le temps partiel concerne à 80 % des femmes. Il est clair que ce sont elles qui subissent ce déséquilibre de la façon la plus forte. Ce sont aussi principalement des femmes qui, à temps plein, disent vouloir passer à temps partiel. C'est là un constat important.

Par ailleurs, on remarque que les femmes qui travaillent à temps partiel et qui veulent passer à temps plein sont peu rémunérées. Elles vivent une contrainte économique forte qu'elles subissent, faute de mieux. C'est de la pauvreté difficilement vécue. Les personnes qui sont à temps plein et qui voudraient passer à temps partiel sont généralement des femmes mères de jeunes enfants. C'est là une considération à conserver à l'esprit pour la suite de l'analyse.

Je rappelle qu'en France entre 45 % et 50 % des travailleurs à temps partiel vivent un temps partiel contraint et voudraient travailler davantage. Nous sommes, parmi tous les pays industrialisés, l'un de ceux où ce pourcentage est le plus élevé. Cela m'a conduit à la réflexion qui a abouti à ce rapport au Conseil d'analyse économique : les mères de jeunes enfants peuvent bénéficier du congé parental d'éducation ; ainsi, de droit, elles peuvent passer à temps partiel sans opposition de leur employeur, dès lors qu'elles ont des enfants de moins de trois ans ; mais, comment se fait-il que des salariées femmes, mères de jeunes enfants de moins de trois ans, n'utilisent pas cette possibilité ?

Cette interrogation conduit au troisième point central de l'analyse. Ce besoin de temps partiel n'est pas un besoin quantitatif, c'est un besoin qualitatif. Pourquoi des mères de jeunes enfants veulent-elles travailler moins ? Pour une raison simple : elles veulent rendre compatibles leurs horaires de travail et des obligations, qu'à tort ou à raison, elles se donnent. Elles sont fortement impliquées dans la vie familiale, elles vont chercher les enfants à l'école et elles s'en occupent le mercredi, etc. Les dispositions prévues dans le code du travail sur le congé parental d'éducation étant strictement quantitatives, elles ne sont pas, par définition, adaptées à ce besoin, par nature davantage qualitatif. Ce n'est pas simplement un nombre d'heures qui compte, mais bien plutôt une disposition des horaires de travail. Voilà la dimension essentielle. Quand nous réfléchissons sur un registre qualitatif, nous constatons que nous passons aussi à un niveau individuel. Nous découvrons alors une rupture fondamentale avec toutes les approches du temps en termes de réduction du temps de travail telles que nous y sommes habitués depuis plus d'un siècle et qui sont des approches collectives. On réduit la durée collective du travail par le passage aux 35 heures, alors qu'avec une dimension qualitative nous procédons à du « surmesure ». C'est là une double rupture par rapport à l'orientation du temps de travail que connaît un pays comme la France depuis un siècle. Il faut promouvoir la dimension qualitative, là où ce fut toujours du quantitatif, et de l'individuel, là où ce fut toujours du collectif. Pour cette raison, dans un pays comme la France, émerge une difficulté culturelle liée à nos traditions, évidemment fortes, notamment la faiblesse particulière de notre dialogue social. C'est un élément qu'éprouvent beaucoup moins, voire pas du tout, d'autres pays.

Passer à l'individuel, considérer le fait que Jean-Luc, Simone, etc. voudront faire valoir des besoins de nature et de quantités diverses, ce sont là autant d'éléments très différents à prendre en compte. L'on entre dans une approche des problèmes que les partenaires sociaux ne sont pas du tout prêts à prendre en compte.

Le quatrième point de mon propos est lié au fait que j'ai été sollicité à titre personnel par Chronopost qui, tous les ans, organise une enquête pour son image de marque, une enquête sur le temps. Chronopost a donné à plusieurs spécialistes du temps la possibilité d'élaborer un questionnaire d'enquête. Dans ce cadre, j'ai pu introduire des questions sur les problèmes de conciliation entre-temps de travail et temps privé, dont le temps familial. J'ai voulu poser des questions sur les renoncements à l'enfant : « Avez-vous été amené, du fait de difficultés de conciliation, à renoncer à concevoir un enfant de plus, ou avez-vous été amenée à décaler cet enfant dans le temps ? » Les difficultés de conciliation retombant très largement sur les épaules des femmes, elles se traduisent par des problèmes de choix : investissement dans la vie professionnelle ou dans la vie familiale ? Sachant qu'évidemment les périodes où les investissements les plus forts doivent être réalisés sont les mêmes périodes. Le temps où il faut s'investir à fond dans la vie professionnelle pour faire carrière au bon sens du terme est celui où l'on procrée. Les alternatives peuvent être très difficiles à vivre. C'est la raison pour laquelle j'ai voulu que cette question soit posée. Les réponses doivent être considérées avec prudence, car entre ce que ressentent les gens et ce qu'ils expriment peut apparaître un écart. Environ une femme salariée sur trois déclare que, du fait de difficultés de conciliation, elle a été amenée à renoncer ou à décaler un enfant.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est beaucoup !

M. Gilbert Cette : Ce sont des chiffres considérables qu'il faut prendre avec prudence, mais conserver à l'esprit. Pour pointer toute la difficulté de cette question, je signale que l'arbitrage entre vie professionnelle et vie familiale recèle une grande complexité. À l'examen des grands pays industrialisés européens ou des États-Unis, nous constatons que les pays où le taux d'activité des femmes est le plus faible sont aussi les pays où le taux de fécondité est au plus bas. Ce n'est pas une donnée que nous avons souvent en tête. Pour l'Europe, ces pays sont l'Espagne, l'Italie, la Grèce ; le taux de fécondité y est dramatiquement bas pour le devenir de ces pays et c'est là que le taux d'activité des femmes est le plus bas.

La France est un pays où le taux d'activité des femmes est élevé et où le taux de fécondité est de 1,9. De même les États-Unis sont un pays où le taux de fécondité est très élevé, 2,1, et dans lequel le taux d'activité des femmes est particulièrement élevé. En renvoyant les femmes à la maison, certains croient résoudre les problèmes de conciliation, mais ce n'est guère ainsi que l'on élève la fécondité. Pour revenir à l'enquête Chronopost où l'on interroge les femmes sur ce qui leur semble être la solution, les réponses tournent autour d'une meilleure souplesse des horaires et une implication des conjoints.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Cela relève de la vie privée.

M. Gilbert Cette : Je suis d'accord, chacun choisit son conjoint et nul n'est forcé. Mais il existe des pays où la politique économique s'est donné pour mission de produire des signaux utiles pour la vie privée.

J'aborde l'analyse de ces politiques économiques au sens large, y compris les éléments issus de la politique contractuelle et de la négociation collective. À l'examen des pays étrangers, on se convainc du caractère plus ou moins universel de la difficulté ; il existe cependant des pays « méditerranéens » et d'autres où la réflexion a davantage progressé du fait d'une présence plus forte des femmes à la tête des organisations syndicales au sens large. Aux Pays-Bas, que j'ai étudiés de près, cette réflexion fut très précoce. Je rappelle que les Pays-Bas sont un pays où les femmes ne travaillaient pas - en caricaturant à peine - au début des années 1980 et où les femmes sont arrivées sur le marché du travail de façon massive à temps partiel à partir des années 1980. Ainsi, aujourd'hui, deux femmes salariées sur trois travaillent-elles à temps partiel contre un homme sur six. C'est le pays champion du monde du temps partiel. Mais il s'agit d'un temps partiel choisi et à la question : « Voulez-vous travailler davantage ? », 5 % seulement des salariées à temps partiel répondent oui.

Comment l'évolution s'est-elle faite aux Pays-Bas ? Les expériences ne sont pas transposables du fait de cultures différentes. L'impossible transposition ne nous épargne pas d'y jeter un coup d'oeil. Les Pays-Bas ont connu une négociation collective intense. Je rappelle que le principal syndicat, la FNV, compte davantage d'adhérents que la CGT et la CFDT réunies, alors que le pays est beaucoup moins peuplé que le nôtre. La négociation collective y revêt un autre sens que chez nous et a permis l'éclosion de beaucoup d'accords de temps choisi sous forme de codes de procédure. L'on ne demande pas à toute entreprise de répondre « oui » à la demande de tous les salariés. Ces codes de temps choisis ambitionnent d'organiser une rencontre entre les aspirations des salariés et les besoins des entreprises autour de trois points.

D'abord, comment les salariés peuvent-ils faire valoir des aspirations en termes de temps de travail ? Cela signifie la fréquence par laquelle ils peuvent faire passer une demande à leur chef d'entreprise. Évidemment, il n'est nullement question de donner le droit aux salariés d'envoyer quotidiennement une demande qui engorgerait le système ; il faut notamment prévoir dans ce cadre pour quels accidents de la vie les salariés peuvent faire valoir une aspiration.

Comment, ensuite, le chef d'entreprise doit-il y répondre ? L'obligation du chef d'entreprise est de motiver son éventuel refus par un nombre restreint d'arguments de nature économique et vérifiables.

Enfin, les modalités de gestion des conflits sont souvent comprises dans ces codes de procédure. Le salarié se voit opposer un refus. Il pense que la réponse du chef d'entreprise est de mauvaise foi. Comment, dès lors, gérer le conflit ? Cette dimension est particulièrement importante dans notre pays où les prud'hommes sont engorgés et connaissent des délais de réponses insoutenables dans les cas où l'aspiration peut être générée par la naissance d'un enfant et où préside une certaine urgence.

Cela nous a conduits, Jacques Barthélémy et moi-même, à réfléchir à partir de cet exemple sur la façon dont les évolutions pourraient en France prendre forme.

Dans un pays comme les Pays-Bas, riches d'une tradition forte de négociation collective, les partenaires sociaux ont toutefois ressenti le besoin de recourir à une loi, celle du 8 février 2000, entrée en application à compter de juillet 2000. Les partenaires sociaux ont voulu une loi, car il est des branches dans lesquelles la négociation collective reste malgré tout anémiée. Le déséquilibre entre le pouvoir des chefs d'entreprise et la représentation des salariés y est réel, notamment dans certains tissus de PME. Les syndicats ont donc souhaité pour ces branches-là une « voiture balai ». Ils ont voulu aussi des clauses minimales. La loi du 8 février 2000 sur le temps choisi reprend ainsi globalement la logique que je viens d'exposer. Un article préparé par une juriste francophone pour la revue Futuribles exprime toute la subtilité d'un point de vue néerlandais et donc beaucoup plus approfondi que celui que je peux avoir.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Cette loi est-elle à vos yeux transposable en France ?

M. Gilbert Cette : Avec Jacques Barthélémy, nous écrivons qu'elle n'est pas transposable telle qu'elle, tant il serait pour partie vain d'affirmer des droits dont ne se sentiraient pas responsables les personnes en charge de les appliquer.

Il faut que les partenaires sociaux se sentent concernés.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ils ne le sont guère.

M. Gilbert Cette : Certains ont une certaine oreille pour cela. Nous avons commis un article avec Jacques Barthélémy dans la revue Droit social à la suite duquel la CFDT nous en a demandé un autre pour leur propre revue. Les responsables de cette centrale nous ont sollicités à maintes reprises pour venir en débattre avec eux ; ils sont très sensibles à cette dimension. Mais je dois avouer que ce sont les seuls.

Il faut sensibiliser les partenaires sociaux à la question. L'équilibre fluctue toujours entre les pouvoirs publics, qui lancent des signaux pour sensibiliser les partenaires sociaux et ces partenaires qui, historiquement, ne sont pas sensibilisés. Dans la négociation collective et le droit contractuel français, la représentation syndicale est faible. Quelqu'un qui prétend représenter les salariés est en fait désigné par un syndicat pour signer un accord avec les chefs d'entreprise ; il pourra signer sans pour autant qu'il y ait obligation de discussion ou une mesure de la représentation des salariés. Nous sommes en France dans une situation qui nous conduit à préconiser pour de tels sujets la technique de l'accord majoritaire, afin qu'émerge malgré tout le sentiment d'une approbation des aspirations des salariés, ce qui impose, en amont, la nécessité d'un débat avec les salariés, afin d'aboutir à un accord qui recouvre pour partie les aspirations réelles des salariés.

L'autre dimension est celle de la gestion des conflits. Sur ce thème, nous sommes allés plus loin dans un autre article, afin de déterminer comment, en France, articuler le droit réglementaire et le droit contractuel d'une façon plus performante. Le droit contractuel est assez peu développé en regard d'un droit réglementaire considérable et rigoureux, surtout dans le domaine du temps. Il faut donner aux partenaires sociaux la possibilité de gérer les conflits en dehors des prud'hommes, ce qui est une révolution. Si les partenaires sociaux s'accordent à vouloir gérer les conflits par des commissions paritaires ad hoc élaborées au niveau de la branche ou autres, il faut leur en donner la possibilité, ce qui implique de recourir à la voie législative. Le salarié, ou le chef d'entreprise, qui ne sera pas d'accord avec la décision prise par la commission paritaire ad hoc ne pourra plus compter sur le recours des prud'hommes, sinon le dispositif ne servirait à rien. Pour ouvrir ce nouveau droit, il faut également en fermer un, sans quoi, loin de gagner du temps pour résoudre les conflits, nous amplifierions les délais de procédure. C'est une révolution, que nous préconisons d'ouvrir, avec le verrou d'un accord majoritaire, qui reste essentiel.

Pour conclure, les questions de politique économiques appellent les constats suivants. Nous sommes, en France, dans une situation aberrante où les femmes pâtissent de ces confusions et contradictions considérables entre politique familiale et politique d'incitation au travail, qui reviennent très cher aux pouvoirs publics. Heureusement, dans le cadre de la deuxième « loi Aubry » du 20 janvier 2000, les incitations à la réduction du temps de travail ont été également déclinées pour le temps partiel, mais non en dessous d'un seuil, afin de ne pas encourager au working poor et ne pas donner aux entreprises la possibilité de diviser des postes de travail pour bénéficier d'un maximum d'aides, tout en plaçant des salariés hors des conditions de vie décentes. C'est une bonne chose. Il faut toutefois évoquer une contradiction considérable, largement soulignée dans un nouveau rapport du CAE à paraître dans quinze jours, qui a été largement présenté dans la presse et que j'ai rédigé avec Patrick Artus sur le thème "productivité et croissance".

Dans cet article, nous développons très largement le problème de la conciliation entre travail et activité familiale pour les femmes. Aujourd'hui, en France, des incitations - quatre milliards d'euros soit 0,25 % de PIB par exemple pour la prime à l'emploi - sont adressées à des personnes peu qualifiées pour entrer sur le marché du travail en augmentant l'écart entre les revenus de l'activité et ceux de l'inactivité. C'est d'ailleurs une bonne politique menée sous des formes différentes au Royaume-Uni, aux États-Unis et dans d'autres pays encore. Dans le même temps, l'allocation parentale d'éducation (APE), qui est pleine de bons sentiments, consiste à inciter des personnes peu qualifiées - de fait, il n'y a qu'elles qui peuvent être intéressées par une aide de l'ordre de 600 euros -, à se retirer du marché du travail quand elles ont plusieurs enfants, dont l'un a moins de trois ans.

Quand nous sommes passés de l'allocation parentale de rang 3 - ouverture des droits avec l'arrivée du troisième enfant - à l'allocation parentale de rang 2 en 1994, l'on a constaté - beaucoup d'études convergent en ce sens - que 150 000 femmes sont complètement sorties du marché du travail.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Sans aucun espoir de retour ?

M. Gilbert Cette : Avec des espoirs assez délicats, puisque différentes études révèlent que les femmes concernées étaient peu qualifiées et donc que s'ajoutait à ce handicap la difficulté de réinsertion dans le marché du travail. Ce sont des situations aberrantes, qui partent certes d'un bon sentiment, mais qui révèlent un choix contradictoire avec la logique de la prime pour l'emploi. S'ouvre là une forte déperdition en termes de finances publiques, alors même que d'autres pays ont montré la pertinence d'autres voies. Le phénomène est aussi souligné par le rapport de Pierre Cahuc et Michèle de Bonneuil au Conseil d'analyse économique. Nous nous inspirons pour nos préconisations de ce qui se pratique au Royaume-Uni avec le Work families tax credit, qui est venu prendre la place en 1999 du Family credit. C'est une politique se rapprochant de notre prime pour l'emploi, mais deux fois plus importante en masse financière déployée et plus précisément ciblée : en France, 8 millions de personnes bénéficient de la prime pour l'emploi ; au Royaume-Uni, 1,5 million de personnes. Cette Work families tax credit est ciblée sur les parents salariés ayant des enfants et des ressources faibles pour augmenter, toujours selon la même logique, la distance entre les revenus de l'inactivité et ceux du travail. Mais l'effet est amplifié dans des proportions considérables pour les parents de jeunes enfants, de façon à couvrir les frais de garde et d'éviter que l'avantage à travailler ne soit faible.

Mme Anne-Marie Comparini : Le Work families tax credit est orienté, alors que la prime à l'emploi bénéficie à tout le monde.

M. Gilbert Cette : Oui, huit millions de bénéficiaires. C'est très faiblement amplifié pour les parents. Cinq milliards de livres sterling au Royaume-Uni contre quatre milliards d'euros en France. Il faut travailler au moins 16 heures par semaine pour en bénéficier. Ce seuil a été fixé pour éviter que la mesure ne bénéficie à des personnes qui travaillent deux ou trois heures, en fait pour éviter le working poor.

L'allocation parentale d'éducation, qui est une disposition non sexuée - évidemment tout parent peut en bénéficier - concerne les femmes à 98 %. Voyez la situation désespérante et désespérée dans laquelle peuvent se retrouver ensuite ces femmes pour revenir sur le marché du travail.

La politique familiale, mal conçue et parfois bien conçue - aux yeux de ceux qui défendent quelques relents idéologiques, mais plus souvent encore de ceux pétris de bonnes intentions qui pensent que c'est là une bonne politique familiale - percute les politiques d'incitation à se porter sur le marché du travail. Quand deux politiques sont contradictoires, l'argent public est jeté par la fenêtre ; ce sont des signaux mal orientés et donc très flous pour les personnes. Mais si l'on demandait au pied levé à nombre de spécialistes de prendre une feuille de papier et d'expliquer comment se décline en France la politique familiale, peu seraient capables de dresser l'inventaire de mesures ; le dispositif se décline sur 50 canaux et d'une façon absurde, car les bénéficiaires ne s'en rendent pas souvent compte, comme ils ne réalisent pas combien ils sont aidés.

L'aide n'est pas assez forte pour chaque personne, alors qu'au total elle est cependant élevée. Et puis c'est parfois très mal orienté pour ne prendre que l'exemple de l'APE.

Mme Anne-Marie Comparini : Comment cela se passe-t-il au Royaume-Uni ? Est-ce l'équivalent de la prime à l'emploi ? L'aide est-elle ciblée sur les parents, alors que les familles sont souvent monoparentales ?

M. Gilbert Cette : Il suffit d'avoir des enfants ; cela concerne donc les familles monoparentales, recomposées ou traditionnelles. Quelle que soit la configuration familiale, on peut en bénéficier. Les conditions de l'amplification du Work families tax credit tiennent à l'existence d'enfants à charge et de frais de garde.

Le principe de base en est qu'il s'agit d'un revenu qui s'ajoute aux revenus de l'activité ; il est amplifié surtout pour les bénéficiaires ayant des enfants jeunes, davantage encore pour ceux qui paient des frais de garde, car les frais de garde représentent une donnée importante dans l'alternative : travailler ou rester à la maison.

Mme Anne-Marie Comparini : Vous parliez d'un million et demi de personnes au Royaume-Uni et de huit millions chez nous. Quelle catégorie forme en France ces six millions et demi de personnes ?

M. Gilbert Cette : Une quantité de personnes. Un grand nombre de réflexions est actuellement mené sur ces systèmes et l'efficacité de la prime à l'emploi. Il existe un consensus parmi les économistes pour penser que cette forme de politique est bonne dans son principe mais qu'elle a, pour l'heure, en France plusieurs sources d'inefficacité. L'une d'entre elle a été soulignée par le Conseil national des impôts : le bénéfice de la prime pour l'emploi et son fait générateur sont souvent très éloignés l'un de l'autre. Pour des personnes qui ont une forte préférence pour le présent, car ils vivent au jour le jour, un dispositif qui rémunère dans 18 mois un choix opéré aujourd'hui est peu efficient. Au Royaume-Uni, l'aide est immédiate, car gérée par les entreprises ; elle s'ajoute à la paye. Aux États-Unis, c'est un peu la même logique qu'en France : une gestion par la voie fiscale.

Le système est déclaratif en France et l'on pense que le taux de fraude et de versements indus est assez élevé, même si nous manquons encore d'une étude détaillée.

L'autre source d'inefficacité tient dans le fait que la mesure est peu ciblée. Si nous voulons réellement inciter des personnes peu qualifiées à se porter sur le marché du travail, il faut décliner la prime pour l'emploi de manière différente selon les avantages et les inconvénients à se porter réellement sur le marché du travail. Or, ces facteurs négatifs ou positifs ne sont pas les mêmes pour les parents de jeunes enfants qui ont des frais de garde que pour ceux qui n'en ont pas. Ce besoin de démultiplier la prime à l'emploi dans le cas de frais de garde est vraiment très important. Toutes les analyses portées sur ce point développent ce point de vue. Je renvoie au rapport du Conseil d'analyse économique actuellement sous presse et déjà disponible sur le site du CAE. C'est aussi ce que le rapport de Pierre Cahuc et Michèle de Bonneuil préconise très fortement. Un fort consensus se dégage sur ce point. Décliner plus fortement le dispositif signifie toutefois dégager des ressources. Nous pensons que ces ressources doivent être celles de l'allocation parentale d'éducation. Nous percutons une façon de décliner la politique familiale. Les difficultés ne sont pas celles de l'économiste ...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Elles sont culturelles.

M. Gilbert Cette : Les dépasser ne relève plus de mon travail, mais du vôtre.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Vous pouvez nous y aider. La corrélation positive entre le nombre de femmes au travail et le taux de fécondité est intéressante ; elle constitue un argument fort contre l'allocation parentale d'éducation.

Quand vous êtes intervenu sur ce thème devant le Premier ministre, avez-vous senti si cela faisait partie ou non de sa réflexion sur la cohésion sociale ?

M. Gilbert Cette : Une très bonne disposition a été décidée par le Président de la République : regrouper dans un même dispositif plusieurs formes d'allocations. À partir du moment où l'on achève de construire ce dispositif, l'avis d'experts, même répété, qui viennent mettre en garde contre certains éléments de l'ensemble, paraît peu performant - c'est là un euphémisme !

L'orientation arrêtée et qui a revêtu cette forme concrète, dont l'évolution n'est pas encore achevée, s'est faite sans prise en compte d'un tel souci dans la réflexion initiale, pourtant avancé par de nombreux économistes, dont je fais partie.

Je voudrais souligner une autre difficulté. A ce temps partiel et à ce temps choisi, sont opposées à la fois des personnes dotées d'une vision, déjà évoquée ici, de la politique familiale et des personnes auxquelles j'ai été conduit à être confronté dans mes présentations et qui sont animées de sentiments féministes. Je dois préciser que ce n'est qu'une partie des personnes qui se disent féministes ; d'autres ont entendu ce discours avec beaucoup d'intérêt.

Pourquoi un si mauvais accueil ? Si l'on ouvre la possibilité du temps choisi pour permettre cette concrétisation, les personnes qui s'y précipiteront seront des femmes, compte tenu de la division sexuée du travail domestique, en l'état actuel de notre culture.

Nous risquons donc de renforcer cet aspect et de faire en sorte que certaines femmes, actuellement contraintes à temps plein, pourraient passer à temps partiel, ce qui renforcerait la division sexiste du travail. Nous avons réponse à cela : nul n'a à faire des choix contre les gens, mais nous pouvons agir de façon culturelle. A aller dans le sens voulu par les intéressés permet d'éviter l'écueil d'imposer des pratiques. Nous pouvons toutefois tirer des sonnettes d'alarme, recourir à la pédagogie et sensibiliser sur des manières de faire, car certains choix peuvent conforter des rôles traditionnels et se révéler à terme coûteux. Quand des familles se séparent, les personnes qui ont fait le choix d'un temps partiel durable se trouvent pénalisées en termes de droits acquis, de retraite, etc. Elles peuvent se retrouver en situation de pauvreté. Il faut évidemment sensibiliser les personnes à de telles questions. Mais sensibiliser ne veut pas dire choisir à leur place ; or, pour l'instant, je constate une insatisfaction très forte des femmes à laquelle il faut répondre.

L'opposition n'est pas le seul fait de personnes ayant une vision traditionnelle, elle vient aussi de personnes qui souhaitent défendre les femmes.

Mme Anne-Marie Comparini : Le temps partiel choisi est-il possible pour tous les métiers ou reste-t-il cantonné à certaines formes d'activité ?

M. Gilbert Cette : En amont de la réponse à votre question, je précise que le temps choisi ne signifie pas forcément le temps partiel. Trente-cinq heures peuvent se décliner avec le temps choisi. Trente-cinq heures peuvent constituer l'enfer en termes de compatibilité entre activité familiale et activité professionnelle ou s'organiser très bien selon la disposition de ces heures. Le temps choisi ne se résume pas à l'aspect quantitatif du temps partiel.

Pour répondre à votre question, je précise que c'est difficile, mais possible. Une généralisation du temps partiel suppose beaucoup de souplesse des deux côtés et de l'intelligence dans la création de contrats. Il faut laisser les partenaires avoir cette intelligence. La recherche d'une compatibilité pour des mères de jeunes enfants ne doit pas non plus interdire une plus forte disponibilité à des périodes de pics qui doivent être prévisibles. Ces accords doivent prévoir les modalités par lesquelles on peut anticiper ces variations de l'activité pour organiser la garde des enfants avec des solutions familiales ou avec des solutions sur le marché des baby-sitters. Il revient aux partenaires sociaux, dans le cadre des accords de temps choisi, de négocier toute l'ampleur de la disponibilité et d'autres points aussi. Il est clair que le temps choisi ne signifie pas que le salarié puisse imposer quoi que ce soit ; c'est un équilibre à trouver. Le chef d'entreprise doit être en mesure de faire passer dans un accord de temps choisi la couverture de besoins liés à des pics, qui peuvent être l'été pour le secteur du tourisme ou l'automne pour les jouets. Dans les secteurs où l'on ne peut anticiper des pics, les désirs des salariés peuvent être un peu moins pris en compte face aux besoins des entreprises dans ces accords de temps choisi. Tout doit pouvoir se concilier avec de la prévisibilité. Et cela devient un jeu gagnant-gagnant. C'est là l'intelligence. Seuls les partenaires sociaux peuvent conclure de tels accords.

Dès lors, comment inciter les partenaires sociaux à emprunter cette voie ? Pour être clair, les incitations au temps partiel devraient être conditionnées à l'existence d'un accord de temps choisi. Les pouvoirs publics donnent aux chefs d'entreprise un intérêt à se porter demandeurs. Cela ne devrait être qu'un accord majoritaire, afin que les représentants des salariés soient incités à connaître le souhait des salariés.

Vous posiez l'importante question à laquelle nous avons beaucoup réfléchi avec Jacques Barthélémy et d'autres personnes de la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, celle des droits sociaux, car nous avons bien en tête qu'ils sont partiels dans le cadre du temps partiel, ce qui peut être maigre. Les prestations en nature sont des droits universels ; ainsi, un assuré social qui se fait renverser dans la rue a droit aux mêmes soins, qu'il travaille à temps partiel ou non. En revanche, les prestations en espèces présentent une situation plus diverse. Il n'y a aucune raison que les indemnités journalières ne se déclinent pas comme le salaire pour les travailleurs à temps partiel. On n'accordera pas des indemnités journalières à taux plein à un travailleur à temps partiel. Pour les indemnités chômage, il nous semble que la logique est identique.

La difficulté concerne particulièrement le risque vieillesse. Comment prendre en compte le fait que des personnes, bien souvent des femmes, qui ont travaillé longtemps à temps partiel se retrouvent avec des pensions assez basses ? Qu'en penser et comment agir ?

Première proposition avancée : il faut ouvrir aux salariés à temps partiel la possibilité de cotiser à la seule retraite sur la base d'un temps plein, tant pour les cotisations salariées que pour les cotisations employeurs, de façon à cumuler les droits. Ils cotiseraient plus que proportionnellement à leur revenu d'activité. À la réflexion, l'ouverture de ce droit a semblé exorbitante. Cela aboutirait à un rendement de l'euro de cotisation sociale exceptionnellement élevé. S'il nous a semblé que le minimum serait d'ouvrir aux salariés à temps partiel le droit à cotiser, eux et leur chef d'entreprise, sur la base d'un temps plein pour l'ensemble de leurs risques sociaux - maladie, chômage, famille, retraite -, cela aboutit à un prélèvement social très élevé. Mais avant de décliner les taux des cotisations risque par risque, il faut réfléchir davantage, la réflexion n'est pas encore assez mûre.

L'ouverture des droits sur l'ensemble des risques devrait être avérée, cela va de soi. Faut-il aller plus loin ? Cela mérite réflexion. Cela représente un coût et peut aboutir à des situations exorbitantes inégalitaires. Or, l'on peut avoir le souci d'égalité pour l'euro dépensé pour sa protection sociale. Si l'on cotise sur la base de son revenu à temps partiel pour une retraite à taux plein, cela définit un rendement de la contribution très élevé qui semble exorbitant.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Quand la situation de précarité survient, au moment de la retraite ou d'un divorce, elle devient préoccupante.

M. Gilbert Cette : Je suis d'accord avec vous. Il faut prolonger la réflexion. De l'avis unanime de toutes les personnes que j'avais rencontrées dans le cadre de l'élaboration de ce rapport - des responsables de l'administration, des juristes, des économistes -, il semblait qu'il convenait d'avancer prudemment et de réfléchir davantage. Les bonnes intentions peuvent aboutir à des inégalités. L'on ne peut avoir d'avis tranché.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Vos propos sont très riches d'enseignements ; ils sont également inquiétants.

M. Gilbert Cette : L'affaire est complexe.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : J'ai souhaité que nous l'abordions dans cette Délégation, car au sein de la population féminine, c'est une préoccupation de plus en plus importante ; toujours plus de personnes travaillent à temps partiel et réalisent au moment de prendre leur retraite de l'erreur qu'elles ont pu commettre. En partant de bonnes intentions, l'on a oublié de réfléchir aux conséquences.

M. Gilbert Cette : Je ne saurais trop vous inviter à étudier le cas des Pays-Bas.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Le pourcentage de temps partiel y est considérable.

M. Gilbert Cette : Avant, les Néerlandaises ne travaillaient pas ; la situation des Pays-Bas n'est donc pas similaire à la nôtre.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Elles utilisent le temps partiel pour entrer dans le monde du travail, alors que chez nous c'est l'inverse.

M. Gilbert Cette : Néanmoins, reportons-nous à nouveau à l'étude de Chronopost. Vous y noterez le drame que vivent certaines femmes pour concilier leur vie professionnelle
- elles ont envie de ne pas renoncer à leur carrière - et leur vie familiale. Cette enquête faite par IPSOS est poignante.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : À notre niveau, si nous pouvons faire évoluer les choses, ne fut-ce qu'à la marge, nous le ferons ; c'est une obligation pour nous.

M. Gilbert Cette : Une sensibilisation sociale est nécessaire ; elle est transpartisane. Des réunions transpartisanes avec des spécialistes et des partenaires sociaux peuvent faire avancer les choses. À gauche comme à droite, l'on rencontre des personnes intéressées et motivées par ces questions.

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