DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 21

Mardi 22 juin 2004
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Jean-Denis Combrexelle, directeur des relations du travail au ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.

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- Audition de MM. Bernard Chave, directeur des ressources humaines, et Charles-Henri Bardot, directeur des affaires sociales du groupe ISS, et de Mme Christine Constantin, responsable de l'agence de Bourgogne-Franche-Comté

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La Délégation aux droits des femmes a entendu M. Jean-Denis Combrexelle, directeur des relations du travail au ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La Délégation aux droits des femmes mène actuellement une étude sur le travail à temps partiel, qui l'a conduit à recevoir des organisations syndicales, des organisations patronales, des statisticiens, des sociologues. Maintenant nous souhaiterions savoir comment le ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale appréhende ce problème.

Je sais que le ministre s'intéresse à l'évolution des mentalités s'agissant du temps partiel, puisqu'il nous a cité l'exemple des pays scandinaves, et notamment de la Suède. Mais, l'historique n'en est pas du tout le même qu'en France. Les raisons pour lesquelles les Français travaillent à temps partiel sont spécifiques ; nous devons donc réagir d'une façon particulière.

Quelles ont été nos préoccupations ? Nous avons rencontré des DRH de sociétés dans les secteurs où le temps partiel est prédominant - ceux de la propreté et de la grande distribution - , ainsi que des salariés travaillant à temps partiel. La semaine dernière, nous avons visité l'hypermarché Carrefour Paris Bercy 2 et celui d'Auchan Val d'Europe à Marne-la-Vallée. Nous avons dialogué avec les femmes - parce qu'il s'agit essentiellement de femmes - travaillant à temps partiel. Soit elles sont relativement jeunes et élèvent leurs enfants, soit elles ont plus de 45 ans et sont dans une situation particulière ; mais elles vivent leur travail à temps partiel sans se poser de questions sur les conséquences qu'il peut avoir, en matière de retraite notamment.

Nous nous intéressons à la définition du temps partiel, aux clauses du contrat de travail, à l'organisation de l'entreprise et surtout à la différence entre temps partiel choisi et temps partiel imposé.

Nous avons choisi ce thème d'étude à la suite de l'examen à l'Assemblée nationale des projets de loi sur les retraites et sur le divorce. En effet, certaines femmes, qui ont choisi le temps partiel, parce qu'il correspondait à leur besoin à un moment de leur vie, se retrouvent ensuite seules - divorcées - avec une petite retraite. Il nous a donc semblé important qu'une réflexion parlementaire ait lieu sur la situation de ces femmes - et de quelques hommes - qui ont choisi le temps partiel et qui se trouvent ensuite pénalisés - retraite, précarité salariale, etc.

Plusieurs questions doivent être posées : comment améliorer les rémunérations attachées au temps partiel - prime de précarité, contreparties spécifiques, bonification des rémunérations ? Comment passer progressivement du temps partiel, le plus souvent contraint, à un temps partiel choisi, prenant mieux en compte les aspirations individuelles, comme aux Pays-Bas, par exemple, où le temps partiel est réellement choisi ? En France, à l'exception des îlots de caisses, où les hôtesses de caisse peuvent avoir une vision de leur planning six ou huit semaines à l'avance, la majorité des personnes travaillant à temps partiel sont en situation de précarité.

M. Jean-Denis Combrexelle : S'agissant du travail à temps partiel, la direction des relations du travail a fait trois constatations principales.

D'abord, le temps partiel concerne, en France, un nombre relativement important de salariés - 16 % -, même si nous sommes sensiblement en dessous de la moyenne européenne. Les femmes sont surreprésentées parmi cette catégorie de salariés - ce qui n'est pas le cas dans tous les pays.

Ensuite, le travail à temps partiel est très encadré ; il fait l'objet de très nombreuses dispositions, avec le double souci de faire en sorte que le temps partiel soit choisi et que ce système permette de libérer véritablement du temps pour les personnes qui en bénéficient.

Enfin, tout le dispositif législatif repose sur cette différenciation entre le temps partiel subi et le temps partiel choisi. Or, nous avons du mal à cerner statistiquement cette notion. Il s'agit d'une réalité très importante pour les salariés, mais il est extrêmement difficile de faire la part entre ce qui relève du temps partiel choisi et du temps partiel subi.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous avons appris, lors de l'audition de responsables d'une société de propreté, que les horaires de nettoyage des bureaux, par exemple, étaient imposés par le client - en général, tôt le matin, vers 5 heures, ou tard le soir ; le temps partiel n'est donc plus, à ce moment-là, choisi.

M. Jean-Denis Combrexelle : Le code du travail est construit sur une relation bilatérale qui tente d'établir un équilibre entre l'employeur et le salarié. Aujourd'hui, notamment dans les sociétés de services, la situation du salarié dépend, non seulement de l'organisation de son entreprise, mais également de la relation avec les clients - le salarié étant en contact direct avec le client. D'ailleurs, le travail à temps partiel est l'un des domaines privilégiés de ces sociétés de services. Et la satisfaction du client suppose des horaires et une organisation du travail, qui sont parfois totalement destructeurs pour le salarié.

Nous sommes tous des consommateurs, désireux de pouvoir bénéficier de services 24 heures sur 24, mais cette évolution pose à l'évidence des problèmes de droit du travail et dépasse de loin la seule question du travail à temps partiel.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il est vrai que les salariés à temps partiel travaillent souvent dans des secteurs où le droit du travail n'est pas toujours respecté. Et c'est là l'une de mes grandes inquiétudes.

M. Jean-Denis Combrexelle : La difficulté est la suivante : il faut essayer de concilier le souci d'assouplissement du droit du travail - traduit par exemple par les « lois Fillon » sur les 35 heures - et le développement d'emplois différents, mais nécessaires. Car l'assouplissement entraîne parfois des contraintes importantes pour les salariés et notamment pour ceux à temps partiel, donc pour les femmes.

Mais le problème n'est pas uniquement français, il se pose également au niveau communautaire : il convient d'assouplir le droit du travail, de prévoir des cadres autres que le contrat de travail à durée indéterminée, à temps plein, etc. En effet, l'économie a parfois besoin d'un cadre plus souple, mais bien entendu, il convient également de ne pas oublier que derrière tout cela, il y a les salariés - et notamment les salariés en situation précaire.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Ce sont des questions qui devront inévitablement être soulevées un jour ; c'est la raison pour laquelle je souhaitais vous en parler.

M. Jean-Denis Combrexelle : Lorsqu'on parle d'assouplissement, l'on raisonne, en général, de façon théorique ; or, il convient de tenir compte de la réalité sur le terrain.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : J'ai vraiment été choquée par la situation dans les sociétés de propreté ; plus que dans les grandes surfaces, où une réflexion est menée sur l'adaptation du temps partiel.

M. Jean-Denis Combrexelle : En termes de négociation collective, les grandes surfaces - au niveau de la branche, comme des entreprises - ont le souci de chercher et de trouver des solutions. Les caissières, par exemple, étant en contact direct avec la clientèle, il est important, pour l'image de l'entreprise, que le climat social ne soit pas détérioré. C'est la raison pour laquelle les responsables d'Auchan, de Carrefour, ont une réflexion sur la gestion des âges, les conditions de travail, etc.

S'agissant des sociétés de propreté, les salariés ne sont pas en contact avec les clients, puisqu'ils sont partis lorsque nous arrivons, ou qu'ils viennent tard le soir.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Les femmes de ménage de l'Assemblée nationale ou des ministères travaillent très tôt le matin. Or, dans d'autres pays, elles font le ménage alors que les fonctionnaires sont à leur poste. Ces personnes subissent donc leur temps partiel.

M. Jean-Denis Combrexelle : Les ministères, comme toutes les grandes entreprises, ont une organisation du travail qui implique généralement que les femmes de ménage aient fait leur service avant l'ouverture des bureaux.

Mme Claude Greff : Et ce pour deux raisons principales : d'une part professionnelle, le bruit de l'aspirateur, par exemple, n'est pas compatible avec le travail, et, d'autre part, pour des raisons d'hygiène.

Quelles solutions pourrions-nous envisager s'agissant du temps partiel : doit-il perdurer, et si oui, dans quelles conditions, ou doit-il être supprimé, dans la mesure où il est préjudiciable aux salariés, et surtout aux femmes.

M. Jean-Denis Combrexelle : Il ne faut surtout pas supprimer le travail à temps partiel, qui répond parfois à une véritable demande. En revanche, et c'est ce que nous essayons de faire en ce moment, il convient d'assouplir l'organisation du travail. Bien entendu, il convient aussi de faire en sorte que le travail à temps partiel soit non pas subi, mais choisi.

Mais je ne crois pas que d'un coup de baguette magique, par une disposition particulière, l'on puisse faire en sorte que le travail à temps partiel soit non plus subi, mais choisi. D'autant que le dispositif législatif existe - même s'il est imparfait.

Il me semble qu'il appartient aux partenaires sociaux de se préoccuper de ce problème. La dernière « loi Fillon », du 4 mai 2004, est importante, car s'il est difficile, au niveau de la banche, d'organiser le travail à temps partiel - vous parliez des sociétés de propreté -, il y a plus de possibilités au niveau de l'entreprise.

Mme Claude Greff : Les sociétés de propreté emploient beaucoup de salariés à temps partiel, et c'est à elles et non au législateur de prendre des initiatives pour améliorer leurs conditions de travail. En milieu hospitalier, par exemple, le personnel de ménage ne travaille pas la nuit, parce que les locaux sont adaptés pour des interventions de jour. Nous pourrions donc demander aux chefs d'entreprise d'avoir un autre comportement, d'autres habitudes ; d'adapter leurs locaux afin que le personnel de ménage puisse travailler dans la journée ; si l'on ne met pas de moquette dans un bureau, la femme de ménage n'aura pas à passer l'aspirateur et de ce fait ne dérangera pas le salarié.

M. Jean-Denis Combrexelle : Je suis bien d'accord avec vous, mais cela est difficile.

Si l'on prend le sujet du maintien des salariés âgés, le problème est le même ; il dépend des conditions de travail. Et cette organisation du travail passera non pas par des dispositions législatives, mais par un changement des comportements.

Les pays scandinaves font beaucoup d'efforts de communication sur ces sujets, bien plus que la France, qui a tendance à privilégier la réglementation. Par ailleurs, ils n'ont pas le même public, le message passe donc bien mieux. Je ne suis pas certain, que si on se lançait dans une communication intense en termes d'organisation du travail, elle aurait un effet très tangible. Bien entendu, le Parlement peut néanmoins jouer un rôle important de pédagogie, mais cela risque d'être long ; le changement de comportement se fera sur le long terme.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La question qui me préoccupe le plus est la suivante : que pouvons-nous faire pour que le travail à temps partiel ne soit pas un travail précaire ? Comment pouvons-nous améliorer les retraites des personnes travaillant à temps partiel ?

Les personnes qui choisissent le temps partiel n'envisagent pas le futur ; à aucun moment, elles ne pensent à leur retraite - c'est ce que nous disait la responsable juridique de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution. Alors peut-être devrions-nous avoir cette réflexion pour elles - sans passer par une loi, bien entendu.

M. Jean-Denis Combrexelle : Le code du travail organise la relation entre l'employeur et le salarié et raisonne par contrat de travail. Les salariés qui sont dans les situations les plus précaires sont ceux qui ne font aucune projection dans l'avenir ; ils prennent le travail qui se présente, avec le salaire et l'organisation du temps de travail qui correspondent ; ils subissent.

En fait, il faudrait arriver à organiser des carrières dans le temps - ce qui est très difficile, croyez-moi, puisque nous étudions déjà cela avec les partenaires sociaux. Il faudrait se préoccuper du parcours professionnel de ces salariés ; ce qui peut impliquer des changements d'entreprises, de postes, etc. Cela passe nécessairement par des conventions collectives ; or les partenaires sociaux en sont très loin.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Alors que peut-on faire ? Car l'on ne peut pas se permettre, en tant que législateur, de renvoyer le problème aux partenaires sociaux. Nous devons avoir des propositions à faire.

M. Jean-Denis Combrexelle : Un autre problème est à prendre en compte : les personnes qui négocient, en général, sont en majorité des hommes ; ils ne sont donc pas sensibilisés aux problèmes plus particulièrement féminins. Je peux le constater dans les différentes instances dans lesquelles je siège.

La « loi Fillon » a transféré le centre de gravité du niveau de la branche à celui de l'entreprise, ce qui est une excellente chose, de nombreux problèmes ne pouvant se résoudre qu'au niveau de l'entreprise. Bien entendu, cela supposera de trouver, au sein de l'entreprise, de véritables négociateurs - le DRH ne peut pas être seul -, tels que des syndicalistes, des personnes qui soient à la fois disponibles et compétentes pour négocier un accord d'entreprise.

Or, les syndicats ont des difficultés à trouver ces négociateurs ; quand ils en trouvent ce ne sont pas des femmes, parce que, pour négocier un accord d'entreprise, il faut travailler le week-end, le soir, etc.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Peut-on imaginer des primes de précarité, des contreparties spécifiques ou des bonifications de rémunérations, en faveur des salariés à temps partiels ?

M. Jean-Denis Combrexelle : C'est tout à fait possible, mais ces secteurs, tels que celui de la propreté, sont très concurrentiels, et les marchés se gagnent souvent en termes de dumping social ; il faut donc une action au niveau des branches. On ne peut pas imaginer qu'une entreprise de services établisse des primes de précarité, alors que les autres ne le ferait pas ; ce serait une distorsion de concurrence.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Si cela doit passer par des accords de branche, cela risque d'être très difficile.

M. Jean-Denis Combrexelle : Une partie des organisations professionnelles considère encore que les questions de conditions de travail, de santé et de sécurité au travail ont un coût. Evidemment qu'il y a un coût, mais il y a aussi un bénéfice au bout. Contrairement à nous, les pays du Nord de l'Europe ont compris ce raisonnement. Ils ont compris, par exemple, qu'éviter qu'un accident du travail ne se produise, est extrêmement important en termes de pure compétitivité économique ; réduire les maladies professionnelles, également. Ils ont compris que la qualité des conditions de travail est aussi un avantage économique.

Un effort important de pédagogie doit donc être réalisé à l'égard de certaines organisations professionnelles. C'est ce qu'essaie de faire l'administration, l'Etat ; le Parlement serait peut-être encore plus légitime pour mener cette réforme des mentalités.

L'évolution démographique étant ce qu'elle est, d'un strict point de vue économique, les salariés seront de plus en plus âgés et les femmes devront travailler plus. Cela suppose donc, non seulement que l'on améliore les conditions de travail, mais également que l'organisation soit adaptée à la situation des femmes.

Une partie des organisations professionnelles l'a compris, mais cela reste extrêmement limité. Très peu de personnes ont pris conscience de l'enjeu que représentent les conditions de travail, au sens large.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La direction des relations du travail ou le Gouvernement peuvent-ils les aider à cette prise de conscience ?

M. Jean-Denis Combrexelle : Nous pouvons peut-être avoir un impact, mais nous n'avons pas le pouvoir de tout changer.

La tendance actuelle est que toutes les évolutions se feront de moins en moins par la voie législative ou réglementaire.

En termes de conventions collectives, nous détenons l'arme des arrêtés d'extension, puisque c'est le directeur des relations du travail qui étend les conventions de branche. En matière d'égalité homme/femme, des négociations sont obligatoires dans les conventions collectives de branche ; or, systématiquement, je relève et écris qu'il manque telle ou telle stipulation en matière d'égalité homme/femme. Même cette mention-là fait l'objet de difficultés en commission nationale de la négociation collective.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est extrêmement grave. On n'avancera jamais.

M. Jean-Denis Combrexelle : On ne peut pas dire aux sociétés « c'est comme ça que vous devez travailler » ! Ce sont des questions d'organisation du travail, etc., donc l'Etat régalien est moins présent. Nous sommes davantage dans un système de pédagogie et de persuasion à l'égard des acteurs. Cela suppose que ces actions de pédagogie ne proviennent pas simplement de l'Etat, mais également du Parlement, etc.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Tout le monde se renvoie la responsabilité.

M. Jean-Denis Combrexelle : Non, je dis simplement que la direction des relations du travail peut utiliser toutes les armes dont elle dispose - régalienne ou en termes de contrôle ou de modification des textes - mais que cela ne suffira pas. Les questions d'égalité professionnelle, par exemple, font partie des priorités données à l'inspection du travail, mais concrètement, pour l'organisation de la vie de l'entreprise, ces armes ne sont pas suffisantes ; il faut également une prise de conscience des organisations professionnelles.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La question du temps partiel n'est pas une de ces priorités ?

M. Jean-Denis Combrexelle : Non. En outre, nous avons des problèmes dans la remontée des informations.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Selon vous, le temps partiel a-t-il créé une nouvelle précarité ?

M. Jean-Denis Combrexelle : Oui, tout à fait.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est la raison pour laquelle il nous appartient d'alerter, en amont, sur le danger du temps partiel.

M. Jean-Denis Combrexelle : Je trouverais sain et salutaire qu'un rapport du Parlement soit établi sur cette question.

Nous constatons plusieurs cas de précarité : le temps partiel, mais également les salariés des sous-traitants, etc. D'ailleurs, les situations qui entraînent un développement de la précarité se regroupent ; leur donner un coup de projecteur sous l'angle de la question du travail à temps partiel - ce qui n'a jamais été fait - est bien. Mais votre rapport aura encore plus de portée si vous faites un effort de pédagogie à l'égard des organisations professionnelles.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous les avons auditionnées. Elles ont été très surprises, car il ne s'agit absolument pas, pour elles, d'un sujet d'actualité. Or, il faut penser aux personnes qui vont, d'ici 5 à 10 ans partir à la retraite, et qui vont avoir de grosses surprises.

J'aimerais vraiment, monsieur le directeur, que vous nous aidiez sur ce sujet, car il est de notre devoir, en tant que parlementaires, de tirer la sonnette d'alarme ; cette précarité va devenir très difficile à gérer. Comment la direction des relations du travail appréhende-t-elle le sujet, notamment celui de la préparation de la retraite de ces salariés ?

M. Jean-Denis Combrexelle : La compétence en matière de retraite est partagée avec la direction de la Sécurité sociale.

A l'égard des organisations professionnelles, nous devons essayer de faire passer le message suivant : « Les sociétés ont besoin de souplesse - je parle du cadre juridique du travail -, ce qui passe par le temps partiel, des accords d'entreprise, etc., mais en contrepartie les salariés ne doivent pas se retrouver en situation de précarité. Leurs conditions de travail, leurs salaires doivent donc être pris en compte de façon satisfaisante. Sinon, il y aura toujours les cadres juridiques, mais il n'y aura plus de salariés. »

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : J'espère que vous serez le porte-parole de ces problèmes de travail à temps partiel.

Mme Anne-Marie Comparini : Le temps partiel a été transformé en horaires atypiques !

M. Jean-Denis Combrexelle : J'évoque toujours la question des conditions de travail - au sens large du terme. Je suis favorable au fait d'assouplir certains cadres juridiques du code du travail - c'est absolument nécessaire -, mais en contrepartie il convient d'être extrêmement ferme sur la santé, la sécurité au travail ainsi que sur les conditions de travail au sens large.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous faisons un travail en amont, et nous aimerions que vous soyez une des courroies qui relaie notre travail et permette d'aider, d'ici à 5 ans, les personnes qui ont actuellement des emplois précaires.

En ce qui concerne le code du travail, comment pourriez-vous encourager les dirigeants des entreprises à mieux connaître - et donc à appliquer - les dispositions du droit du travail ?

M. Jean-Denis Combrexelle : Si le code du travail protège les femmes de ménage qui commencent à 5 heures du matin, l'organisation de leur travail par la société ne dépend pas du code. Les conditions de travail des salariés, pour 50 %, dépendent non pas du code du travail, mais de l'organisation interne de la société et des exigences des clients.

Alors certains disent que ces situations devraient être régies par le code du travail, d'autres prônent l'intervention des partenaires sociaux - très peu disent qu'il faut laisser faire. Mais il faut savoir que ce sera long et que l'intervention de l'Etat, seul, ne sera pas suffisante.

Les questions de conditions et d'organisation du travail - nous avions cela en tête lorsqu'on a parlé de plan « santé-travail » - sont tout à fait prioritaires et englobent le travail à temps partiel. Je trouve intéressant que vous abordiez le problème des conditions de travail par un angle différent, celui du temps partiel. Car les partenaires sociaux débattent souvent de sujets déterminés et récurrents. Il est donc très bien que le problème des femmes en situation précaire - du fait du temps partiel - soit abordé par des parlementaires.

Mme Anne-Marie Comparini : Nous pouvons nous poser la question de savoir si nous ne sommes pas entrés dans une ère de souplesse et de flexibilité, dans laquelle nous n'avons pas les mêmes outils qu'à l'époque où nos vies étaient plus encadrées. Alors quel est l'outil qui pourrait donner, dans un monde de flexibilité, le même résultat qu'un encadrement réglementaire ou législatif ?

M. Jean-Denis Combrexelle : Je ne suis pas certain que le contrat de travail à durée indéterminée soit aujourd'hui la seule solution ; il convient de s'adapter, d'être plus souple. Mais ce souci de souplesse ne doit pas se traduire par des conditions de travail dégradées, des problèmes de retraite, etc.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il faut assouplir en encadrant.

M. Jean-Denis Combrexelle : Oui, mais cet assouplissement devrait se faire dans le cadre d'accords entre partenaires sociaux - selon les branches - et non au niveau de l'Etat.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Oui, mais l'Etat doit avoir son mot à dire. Car il ne faut pas aller vers le tout libéralisme.

M. Jean-Denis Combrexelle : Bien entendu, mais ce jeu entre partenaires sociaux et Etat est actuellement difficile.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Tout à fait, et ce n'est pas toujours à l'avantage des salariés.

Mme Anne-Marie Comparini : On note un certain conservatisme chez les partenaires sociaux qui ne traitent que les sujets qu'ils connaissent.

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La Délégation aux droits des femmes a ensuite entendu MM. Bernard Chave, directeur des ressources humaines, et Charles-Henri Bardot, directeur des affaires sociales, du groupe ISS, et Mme Christine Constantin, responsable de l'agence de Bourgogne-Franche-Comté.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous accueillons maintenant des représentants du groupe ISS, leader mondial dans le secteur de la propreté, et société en charge du nettoyage des locaux à l'Assemblée nationale.

M. Bernard Chave : Le groupe ISS représente aujourd'hui en France 920 millions d'euros de chiffre d'affaires et 35 000 personnes. Il appartient à un ensemble beaucoup plus important au niveau mondial, détenu par des Danois.

Jusqu'en 1999-2000, nous étions presque exclusivement une entreprise de propreté. Aujourd'hui, la propreté ne représente plus que 60 % de notre métier, même si elle reste une part très importante. D'autres métiers sont venus rejoindre le groupe, notamment les espaces verts qui représentent 150 millions d'euros de chiffre d'affaires. Nous oeuvrons avec des sociétés comme la Compagnie générale des espaces verts (CGEV), qui nous a rejoints. Nos sociétés entretiennent les pelouses pentues du Palais omnisport de Paris-Bercy, que certains Parisiens croient en synthétique. Elles gèrent également les parcs du Petit Trianon et beaucoup d'espaces publics.

L'énergie est une nouvelle activité du groupe, tout ce qui est climatisation et chauffage, depuis l'intégration du groupe Miège.

D'autres métiers ont été intégrés dans le groupe : la logistique et la production, avec la sous-traitance des travaux pour un certain nombre d'industriels, mais également le domaine du tertiaire. Ainsi effectuons-nous pour EDF des travaux de relevés de compteurs, nos salariés se présentant « comme des salariés d'EDF ». Il en va de même pour France Télécom, pour qui nous gérons des contrats de téléphonie mobile.

Notre secteur « environnement » s'étend du ramassage des ordures ménagères jusqu'aux centres d'enfouissements techniques en passant par le tri. Nous assurons la collecte dans les villes de Lyon, Valence, Marseille, La Rochelle, Rouen, Vesoul et celle du marché d'intérêt national de Rungis. Nous ne figurons pas parmi les leaders de l'environnement. Il existe deux ou trois autres sociétés beaucoup plus importantes, mais nous sommes le challenger qui intéresse certaines collectivités locales.

La dernière activité arrivée dans le groupe est celle de la sécurité et du contrôle d'accès.

Tous ces derniers métiers, qui viennent d'intégrer le groupe, ne connaissent pas la problématique du temps partiel, qui se pose essentiellement dans le secteur de la propreté.

M. Charles-Henri Bardot : L'évolution du travail à temps partiel en regard de l'évolution du nombre de salariés montre que, depuis 1999, la hausse des temps partiels concerne 50 % des effectifs et la hausse des temps plein 15 %. Le phénomène est lié à des achats d'entreprises qui comptaient un grand nombre de salariés à temps partiel, auxquels les lois sur la réduction du temps de travail ont été appliquées.

L'analyse des tranches horaires de travail montre que 17 % des effectifs globaux travaillent moins de sept heures quatre-vingt. Les femmes qui travaillent moins de sept heures quatre-vingt par semaine représentent 15 % des effectifs globaux.

Sur les 21 366 femmes du groupe, 30 % travaillent entre 31 heures 20 et 35 heures ; 12 % sont aux 35 heures. Pour les hommes, la proportion est inverse avec 52 % aux 35 heures.

Sur l'ensemble des femmes à temps partiel qui ont suivi une formation, sont concernées : les ouvrières à 97 %, les cadres à 0,8 %, les employées à 1,8 % et la maîtrise à 0,3 %.

M. Bernard Chave : Notre activité comporte beaucoup de femmes sous la rubrique « ouvriers » ; ce sont elles qui travaillent à temps partiel.

Nous avons essayé d'analyser les causes du temps partiel. Nos clients, pour la plupart, demandent une prestation accomplie en dehors des heures d'ouverture de leurs entreprises : soit le matin très tôt, soit le soir après les heures de bureau. Nous ne pouvons nettoyer l'hémicycle de l'Assemblée nationale au moment où vous siégez ! Nous employons donc des travailleurs à temps partiel avec des petites prestations de deux ou trois heures le matin ou le soir, mais nous n'arrivons pas à proposer du temps plein.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est un problème inhérent à toutes les sociétés de propreté.

M. Bernard Chave : Oui. Nous avons cependant la volonté de fidéliser notre personnel. Quand nous avons du personnel que nous avons formé et qu'il est de qualité, nous avons tout intérêt à le conserver. Nous essayons de donner à nos employés - c'est une demande de beaucoup d'entre eux - plus d'heures qu'il n'en figure dans leur contrat initial. À partir de là, il faut trouver des prestations complémentaires. Pour le personnel affecté sur le site de l'Assemblée nationale, il est difficile d'accroître les heures au titre du contrat « Assemblée nationale ». Il nous faut étudier les contrats que nous pouvons obtenir autour. À Paris, il y a des facilités de locomotion, mais en province, tout le monde n'a pas de voiture.

Mme Christine Constantin : L'agence de Bourgogne-Franche-Comté couvre cinq départements. L'établissement est à Dijon et couvre le département du Jura, du Doubs, de la Haute-Saône de la Saône-et-Loire et de la Côte-d'Or.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Des départements où il n'est pas facile de circuler en période de neige.

Mme Christine Constantin : Cette agence compte 654 salariés exactement, dont 88,5 % sont à temps partiel. Sur ces 654 salariés, on dénombre 533 femmes à temps partiel, soit 92 % de femmes. C'est considérable. Le phénomène est lié à des facteurs géographiques et aux clients. La Côte-d'Or et le Jura sont des départements qui ne comptent que très peu de grosses industries. Nos clients sont principalement des réseaux bancaires, dont les multiples petits sites sont très éparpillés. Le réseau du Crédit agricole, que tout le monde connaît, est considérable sur le terrain. Des agents de service travaillent à son entretien, une heure par jour, par exemple, à l'agence de Mouthe.

Voilà le type de problèmes qui expliquent le nombre de salariés à temps partiel. C'est mon souci quotidien, car ce n'est pas une bonne manière de fidéliser notre personnel. Nous rencontrons aujourd'hui des difficultés considérables à trouver du personnel, et le fait de proposer du temps partiel ne nous aide pas. Comment faire avec de tels horaires d'intervention : entre 5 heures et 8 heures le matin et entre 17 heures et 21 heures le soir ?

Cela signifie que les personnes doivent disposer d'un moyen de locomotion et que cela pose des problèmes de garde d'enfants. En contrepartie, nos salariées n'ont pas de problèmes de salaires, car notre taux horaire est nettement supérieur au SMIC.

Certes, certaines salariées ont fait le choix délibéré de ce temps partiel, notamment dans les campagnes, où elles gèrent des fermes. Cela leur permet d'avoir une petite activité extérieure. Elles ne cherchent pas à travailler un plus grand nombre d'heures ; elles recherchent une couverture sociale, une mutuelle. Je ne reçois pas de réclamation de leur part sur le temps partiel. En revanche, en ville, je reçois un grand nombre de réclamations.

Les salariées travaillent à temps partiel car, à leur embauche, on leur offre du temps partiel. En effet, aux termes de l'annexe VII de notre convention collective, si, à l'issue d'un appel d'offres, nous prenons un chantier, le personnel reste sur le chantier. Nous menons un travail important pour que le personnel ait toujours davantage d'heures, mais quand nous perdons un site, cet effort retombe, puisqu'une partie de ce temps de travail est transférée à une autre société. Mais il est vrai que de nombreuses salariées travaillent pour plusieurs sociétés, soit le matin, soit le soir, voire dans la journée pour des particuliers. Cela préserve l'emploi, mais pour la personne ce n'est pas simple, notamment au niveau de la gestion de ses papiers, qui n'est pas facilitée. Du point de vue de l'employeur, avec la perte des heures, le salarié n'a pas la même motivation. Au surplus, quand on interroge notre personnel, il ne dit pas travailler chez ISS, mais chez notre client ! Pour toutes ces raisons, nous souhaitons donner davantage de temps à nos salariées pour les fidéliser.

Les salariées sont demandeurs d'heures supplémentaires. Mais du fait de l'annexe VII, quand nous obtenons d'autres sites, nous n'avons pas de nouvelles heures à distribuer. Pour grossir le nombre d'heures de travail, nous redistribuons les heures dégagées par les arrêts maladies ou autres. Nos salariées sont excessivement demandeurs. Je ne vous cache pas que nous le faisons dans l'intérêt du personnel, car, pour la société, cela représente un coût complémentaire ; en effet, les heures supplémentaires sont très taxées, alors que les CDD coûtent moins cher.

Nous ne sommes que peu intéressés par l'embauche d'un CDD, car il faut alors lui réapprendre à connaître l'entreprise et passer du temps à lui donner des consignes. En revanche, financièrement c'est plus intéressant. Or, en tant que responsable d'agence, j'ai des comptes à rendre. Reste que nous aimerions avoir la possibilité de donner du temps de travail supplémentaire à nos salariées.

Nous avons racheté voilà deux ou trois ans un groupe, en intégrant le personnel. Nous avons constaté que certaines salariées travaillaient dans les deux sociétés, et qu'elles faisaient beaucoup plus d'heures que le temps légal. Or, en tant que groupe nous ne pouvions pas cautionner de tels agissements. Nous avons fait donc perdre de l'argent aux salariées.

M. Bernard Chave : La fusion de société leur a fait perdre des heures. Cela a été difficile à expliquer, alors qu'on leur avait annoncé que le rachat de leur société par ISS était pour elles une bonne chose.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Elles faisaient donc plus que le temps légal ?

M. Bernard Chave : Elles travaillaient pour deux entreprises différentes.

Mme Christine Constantin : C'est invérifiable. Nous savons toutefois que cela existe, car nous procédons souvent à des enquêtes pour connaître leur disponibilité et leur proposer des postes nouveaux. Nous nous apercevons en fait à cette occasion qu'elles ne sont pas aussi libres que cela. Au global, elles ne sont bien nulle part, elles ne sont intégrées nulle part. Pour leur qualité du travail et de vie, c'est grave.

Quand elles liquident leurs droits à la retraite, ce doit être impressionnant !

M. Charles-Henri Bardot : Même si, aujourd'hui, c'est la dernière caisse de retraite qui centralise toutes les informations. Mais quand il manque des documents, cela ne doit pas être facile.

Mme Anne-Marie Comparini : Qu'est-ce qui vous empêche de leur donner davantage d'heures ?

Mme Christine Constantin : Les heures complémentaires sont plus chères : payer 25 % en plus, cela nous freine. Nos employés comprennent et protestent contre ce système qui joue contre eux, car l'important, pour eux, c'est de travailler.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il est tout de même extraordinaire de constater que certains dépassent le temps légal. Cela pose question.

Mme Christine Constantin : Ils flirtent avec une certaine illégalité, dans deux cas : la durée du temps légal et la durée minimum du temps de repos obligatoire. Ils excèdent cette durée, par exemple, quand ils finissent chez nous à 22 heures et qu'ils recommencent à 5 heures du matin dans une autre entreprise.

M. Bernard Chave : Mais nous ne découvrons cela qu'au moment des rachats de sociétés.

Mme Christine Constantin : Je ne vous cache pas que j'ai eu un débat avec l'inspection du travail à ce sujet. Je leur ai expliqué que le contrôle de ce genre de pratiques ne pénaliserait pas la société, mais le travailleur lui-même. Je pense qu'ils ont adopté la solution de fermer les yeux, car les inspecteurs connaissent bien notre métier et le savent. Nul ne veut pénaliser des salariés peu qualifiés.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Peu qualifiés, donc qui ne peuvent pas se défendre le jour où ils sont pris.

Mme Christine Constantin : Ils n'imaginent même pas une telle situation. Ce sont des gens courageux, qui travaillent. Ils ne s'imaginent pas être dans l'illégalité.

Quand, par exemple, une personne travaille le matin chez nous et que, reprenant un autre site, on s'aperçoit qu'elle y travaille le soir, nous essayons de la muter et de lui trouver un site dans lequel elle ait des créneaux horaires légaux.

M. Bernard Chave : On ne peut laisser la personne dans l'illégalité. Mais, nous essayons de le faire en lésant la personne le moins possible.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Vous la lésez systématiquement, parce qu'en fait elle travaille ailleurs dans la journée.

Mme Christine Constantin : C'est pourquoi, lorsque je lui propose du travail, elle me répond qu'elle ne peut pas. Ce que nous vous décrivons là n'est pas un exemple isolé ; tous les mois, nous sommes confrontés à de telles situations.

Mme Anne-Marie Comparini : Ce sont des situations qui pourraient engendrer une certaine paupérisation.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Il pourrait y avoir paupérisation, s'il n'y avait pas illégalité. Cela vient en appui de ce que je dis depuis le début : le temps partiel conduit directement à la précarité. Ce que personne ne veut entendre.

M. Bernard Chave : Sauf quand il est librement choisi, quand c'est un véritable choix personnel. Mais qui le choisit ? La catégorie des cadres.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Le temps partiel est un avantage à l'instant t. Dix ans après, en cas de divorce ou au moment de la retraite, l'intéressée se retrouve dans la précarité.

Est-il possible d'organiser deux mi-temps avec une coordination des activités à un certain moment ?

Mme Christine Constantin : A mi-temps, on risque de perdre un certain intérêt et une certaine connaissance du terrain.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Imaginons deux institutrices, deux temps partiels. Elles font le relais.

M. Bernard Chave : C'est bien pour les enfants.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est la diversité.

Mme Christine Constantin : Et puis quand les relations ne sont pas bonnes avec l'une, elles peuvent l'être avec l'autre ! Je ne pense pas que l'on puisse partager à deux un plein temps lorsqu'on est un cadre dirigeant.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Vous avez alors l'obligation de faire une vraie passation, c'est à dire une vraie prise en compte du travail précédent.

Mme Christine Constantin : Mais commercialement, je ne sais pas si c'est bien perçu.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Cela impose une organisation du temps partiel avec notamment passation écrite.

M. Bernard Chave : S'agissant de dossiers en commun, il est particulièrement difficile de communiquer à un autre ce que l'on a ressenti lorsque l'on s'est rendu sur un site et de faire que l'information soit reprise au même niveau.

Les chefs d'agence ont à gérer des détails quotidiens, ce qui nécessite de leur part un gros effort d'organisation et de passation de consignes.

Nous comptons quelques cadres à temps partiel pour lesquels cela se passe bien. Mais, en l'occurrence, il s'agit de temps choisi.

M. Bernard Chave : S'agissant des retraites, elles sont évidemment servies au prorata.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : La semaine dernière, nous avons discuté avec des salariées à temps partiel dans les grandes surfaces. Selon la responsable que j'ai interrogé après ces entretiens, jamais ces femmes ne s'interrogent sur leur retraite. Elles n'y pensent même pas ! C'est une des raisons pour lesquelles j'ai abordé la question du temps partiel, car, un moment donné, il faut se poser ces questions.

Mme Anne-Marie Comparini : Elles vont se retrouver avec des retraites de très faible montant.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Nous devons anticiper les difficultés que les uns et les autres pourraient avoir.

On demande à l'employeur un effort pour améliorer les cotisations de retraite des temps partiels. Or, ce n'est pas son rôle.

Mme Anne-Marie Comparini : Y a-t-il une différence entre un territoire ou une agglomération comme Mouthe et les grandes villes ?

M. Bernard Chave : Dans des villes comme Paris ou Lyon, il est sans doute plus facile de trouver des opportunités de travail supplémentaire du fait de la proximité ; la province connaît le handicap des transports en commun.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Comment font les femmes de ménage qui, à cinq heures du matin, viennent travailler à l'Assemblée nationale ? Le métro ne fonctionne pas à cette heure-là !

M. Bernard Chave : Surtout que ce personnel vient de banlieues assez lointaines et n'habite pas dans l'arrondissement.

A la mairie, dans le cadre d'une réunion sur la restauration collective et les chantiers de nettoyage, on m'a dit que les personnels devraient habiter plus près de leur chantier. Tout le monde sait qu'autour de l'Assemblée nationale, on se loge très bien pour pas cher !

On m'a également conseillé le covoiturage, ce à quoi j'ai rétorqué que ce serait plutôt du « comobylettage ! »

Les personnes de la mairie ont ensuite préconisé la mise en place de navettes par l'employeur. Ma solution passe par l'ouverture du métro et du RER toute la nuit.

M. Charles-Henri Bardot : Vous mettez l'accent sur un vrai problème. Notre plage d'intervention est le matin avant l'arrivée des salariés. Il n'est pas question de faire le ménage à l'Assemblée lorsque vous siégez.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Dans les bureaux, dans certains pays, le ménage est fait au cours de la journée et cela ne dérange personne.

Mme Anne-Marie Comparini : C'est difficile dans des entreprises pointues, dans le secteur privé.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Et dans une administration ?

Mme Christine Constantin : C'est possible. Il nous revient de former notre personnel à adopter un certain comportement et à faire preuve de discrétion.

Depuis un certain temps, on observe que, s'agissant de certains travaux, les clients demandent que le travail soit réalisé le week-end.

Nous avons organisé un module de formation « Attitudes et comportements » que nous avons présenté à notre personnel. La première fois, il était vexé. En fait, il était destiné à l'alerter. Aujourd'hui, c'est un module qui lui plaît énormément. Nous avons de très bonnes remontées. Nous demandons systématiquement à notre client d'intervenir en même temps que nous intégrons ce module de formation, pour que le client formule également ses attentes. Cela permet un dialogue avec lui. Il nous faut organiser le travail de façon que le personnel ait envie de rester avec nous. Combien de fois nous souhaiterions le garder alors qu'il part ailleurs !

M. Bernard Chave : Sans doute sommes-nous trop liés à nos clients, mais nous n'avons pas les moyens de dire non à un client. Plus nous avons de clients, plus nous pouvons proposer de travaux à nos salariés. Nous appelons l'attention sur la formation pour leur offrir la culture ISS et leur montrer que l'on intègre des personnes qui ont peu de qualifications au départ. C'est à nous de leur offrir cette qualification, car il s'agit d'un vrai métier, qui est aussi noble que la plupart.

Passer l'aspirateur à l'Assemblée nationale réclame un savoir-faire. Pendant neuf ans, nous avons nettoyé le musée du Louvre. On ne nettoie pas n'importe comment la Joconde !

Nous éditons un journal en interne qui s'appelle Carte blanche, où nous mettons certains chantiers à l'honneur. Il y avait précisément celui de l'Assemblée nationale. Nous avons fait poser nos salariés sur les marches... Ils sont fiers de travailler à l'Assemblée nationale, dont on parle tous les jours à la télévision.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : C'est gratifiant.

M. Bernard Chave : Il en va de même pour les personnes qui travaillent au Parlement européen.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Faites-vous travailler des hommes ?

M. Bernard Chave : Oui.

Mme Anne-Marie Comparini : Vous atteignez des taux records de personnes à temps partiel.

M. Bernard Chave : Même dans la grande distribution, ils n'enregistrent pas de tels taux.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente : Dans les grandes surfaces, ce taux est de 80 %. L'évolution vers le temps complet s'accompagne d'un changement d'activité. Une caissière ne peut faire trente-cinq heures. C'est une activité pénible. Il en va de même du remplissage des rayons. Par exemple, une femme passera 25 heures à la caisse et travaillera 10 heures au remplissage de rayons.

Mme Christine Constantin : Un temps complet en nettoyage n'est pas non plus possible. Imaginez faire sept heures de ménage par jour !

Aux personnes qui travaillent à temps partiel, on essaye de donner de vrais travaux complémentaires.

Mme Anne-Marie Comparini : Le tri des ordures aussi est une activité qui commence tôt.

M. Bernard Chave : Oui et nous avons des temps partiels dans ce secteur. Excepté à Paris, où parfois des camions-bennes circulent en journée, ils passent, en principe, tôt le matin ou la nuit.

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