DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 7

Mardi 7 décembre 2004
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Emmanuèle Jeandet-Mengual, membre de l'Inspection générale des affaires sociales, présidente du groupe national d'appui à la mise en œuvre de la loi du 4 juillet 2001 relative à l'IVG et à la contraception

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- Audition de Mme Hélène Mignon, députée, coordinatrice du réseau parlementaire de lutte contre le VIH/Sida de l'Assemblée parlementaire de la francophonie (A.F.P.), sur les conséquences du VIH/Sida sur les femmes et les orphelins en Afrique

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Emmanuèle Jeandet-Mengual, membre de l'Inspection générale des affaires sociales, présidente du groupe national d'appui à la mise en œuvre de la loi du 4 juillet 2001 relative à l'IVG et à la contraception.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé que, lors des débats sur la loi du 4 juillet 2001 modifiant la loi du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse, les parlementaires avaient demandé la création d'un groupe national d'appui, chargé d'évaluer l'application du texte. Cette instance avait été constituée en février 2002 et Mme Emmanuèle Jeandet-Mengual, membre de l'IGAS, en avait été nommée présidente. Son rapport, publié en décembre 2002, avait dressé un tableau très complet des lacunes du dispositif et formulé dix recommandations destinées à une meilleure application de la loi.

Par ailleurs, lors de sa séance du 22 septembre dernier, la commission des affaires sociales avait examiné une proposition de résolution de Mme Muguette Jacquaint tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'application de la loi relative à l'IVG. Mme Bérengère Poletti, rapporteure, tout en repoussant cette demande, avait souhaité que la Délégation aux doits des femmes informe l'Assemblée nationale de l'application de la législation quant à l'accès effectif à la contraception et à l'IVG. Cette demande avait été approuvée par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, dont le Président, M. Jean-Michel Dubernard, avait adressé au ministre de la santé, le 23 septembre dernier, un courrier demandant que le groupe d'appui poursuive ses travaux, en étroite collaboration avec le Parlement et particulièrement avec la Délégation aux droits des femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann a indiqué que Mme Bérengère Poletti serait chargée du suivi de la loi du 4 juillet 2001 au sein de la Délégation. Elle a ensuite prié Mme Emmanuèle Jeandet-Mengual de dresser à l'intention de la Délégation un bilan actualisé de l'application de la loi.

Mme Bérengère Poletti a précisé que la proposition de Mme Muguette Jacquaint s'expliquait par le constat irréfutable d'importants dysfonctionnements et de blocages incompréhensibles. C'est pourquoi la commission des affaires culturelles, plutôt que de créer une commission d'enquête, ponctuelle, avait préféré une évaluation permanente, confiée à la Délégation. Celle-ci engage aujourd'hui ce travail avec l'audition de la présidente du groupe d'appui.

Mme Emmanuèle Jeandet-Mengual a observé que le groupe d'appui, en raison du caractère ponctuel de sa mission, ne s'était plus réuni après avoir rendu, en décembre 2002, son rapport au ministre. Cependant, suivant une procédure classique, la chef de l'Inspection générale a voulu, dix-huit mois après la publication du rapport, réunir la commission des suites et faire le point - en présence de représentants des différentes directions du ministère, ainsi que de celui de l'Éducation nationale et d'un membre du cabinet du ministre - de l'application des dix recommandations qu'il contient.

La réunion, qui a eu lieu le 6 juillet 2004, a fourni l'occasion de faire un bilan administratif et statistique qui, pour intéressant qu'il soit, ne peut mesurer les difficultés quotidiennes d'accès à l'IVG. On connaît ainsi le nombre d'IVG pratiquées à l'hôpital ou en clinique dans chaque région, et selon quelle technique, mais aucun moyen ne permet de savoir si une femme voulant interrompre sa grossesse s'est heurtée à une porte close un jour donné dans un service hospitalier, si elle a été renvoyée d'hôpital en hôpital, ou si, parce qu'elle a été trop tardivement prise en charge, elle s'est trouvée être hors délais légaux. Les associations telles que le Planning familial transmettent des informations empiriques à ce sujet, mais il n'existe pas de système national de collecte permettant de mesurer ce type de difficultés. La commission des suites a donc proposé d'améliorer le système statistique, mais aussi de mesurer le délai d'accès à l'IVG. Cela commence à être fait, mais il ne s'agit que de moyennes, ce qui sous-entend de grandes distorsions. Autant dire que même les décideurs ne disposent pas de toutes les informations pertinentes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente s'est demandée si les informations relatives à l'IVG ne seraient pas plus faciles à obtenir au niveau départemental.

Mme Emmanuèle Jeandet-Mengual a estimé que, pour les recueillir, il faudrait lancer des enquêtes. Mieux vaudrait pouvoir compter sur la vigilance constante des ARH et des DRASS, et surtout sur celle des directeurs des établissements de santé et des services d'obstétrique et de gynécologie. La moindre des choses serait qu'ils s'intéressent à l'accès à l'IVG dans leurs services.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente a observé qu'en Lorraine, c'est pour eux une préoccupation constante, parce qu'ils ne parviennent pas à gérer le problème.

Mme Bérengère Poletti a souligné que le constat de dysfonctionnements est unanime, et que ces dysfonctionnements ont parfois pour très grave conséquence que les femmes se trouvent hors délais légaux, ce qui les contraint à se rendre à l'étranger.

Mme Emmanuèle Jeandet-Mengual a indiqué que, de surcroît, pour des raisons médicales, l'IVG médicamenteuse oblige à prendre en charge les femmes dans des délais de réaction plus courts encore.

Elle est ensuite revenue sur les circonstances de la création du groupe national d'appui. La constitution de cette instance avait été voulue par Mme Elisabeth Guigou, M. Bernard Kouchner et Mme Nicole Péry pour faire suite aux débats parlementaires relatifs à l'article 8 de la loi du 4 juillet 2001 relative à l'IVG, qui prévoit la réintégration dans le droit commun de l'organisation hospitalière des centres autonomes qui avaient été créés en 1975. A l'époque, de nombreux services hospitaliers étaient opposés à la prise en charge de l'IVG. Les centres autonomes, auxquels participaient des médecins et des équipes militantes, ont permis que les femmes accèdent à l'IVG. Après vingt-cinq ans, il avait paru souhaitable au législateur que ces centres trouvent un statut normal au sein des hôpitaux, et Mme Martine Aubry, ministre à l'époque, avait jugé nécessaire que les chefs de service concernés, quand bien même ils refuseraient, en invoquant la clause de conscience, de pratiquer eux-mêmes des IVG, organisent leur service de façon à les rendre possibles. Mais les médecins des centres autonomes ont craint de voir les moyens qui leur étaient jusqu'alors alloués captés à de toutes autres fins. Ces craintes ayant trouvé un écho au sein du Parlement, les ministres avaient pris l'engagement de créer un groupe de suivi, dont la mission a finalement été élargie, puisqu'il a également été chargé de rendre compte aux ministres « de l'état des difficultés existantes et de celles que la mise en œuvre de la loi du 4 juillet 2001 est susceptible de révéler ».

Le groupe s'est réuni sept fois, et il a également procédé à sept réunions d'information et de débats avec les professionnels, notamment là où il avait été fait état de difficultés particulières : en Île-de-France, en Rhône-Alpes, en Provence-Alpes-Côte d'Azur... ainsi que dans d'autres régions, en Alsace-Lorraine par exemple.

Le groupe d'appui avait accordé une attention particulière à deux sujets qui avaient suscité une polémique : la prise en charge des IVG durant la onzième et la douzième semaines de grossesse, et l'éventualité que, dans des cas exceptionnels, les mineures soient dispensées d'autorisation parentale pour accéder à une IVG, disposition qui préoccupait fortement les professionnels, inquiets à l'idée que leur responsabilité pénale puisse être engagée en cas d'accident.

Au terme de ces travaux, le groupe d'appui avait formulé dix recommandations, dont neuf pouvaient être appliquées sans réviser la loi.

D'abord, il lui avait paru nécessaire de mesurer, de manière précoce et régulière, le nombre des IVG pratiquées ; les bulletins qui permettent de recueillir les informations sont mal remplis et exploités trop tardivement, ce qui ne permet de disposer des informations qu'après un délai de 3 ou 4 ans. Le groupe avait suggéré de distinguer entre la nécessité de disposer de statistiques simples et rapides qu'on peut obtenir dans le cadre des statistiques d'activité hospitalières classiques, et des études plus approfondies dont la fréquence n'a pas à être annuelle. Par ailleurs, le groupe avait souhaité disposer d'information sur les délais d'accès à l'IVG ; c'est ainsi qu'on dispose depuis cette année d'informations sur le délai moyen d'accès à l'IVG, qui s'établit sur la base de 11 jours environ à partir de données recueillies dans les établissements une semaine donnée dans l'année. En effet, la recommandation sur laquelle le groupe d'appui avait souhaité appeler l'attention particulière des ministres était la réduction des délais d'accès à l'IVG. Or il apparaît qu'ils sont encore, parfois, de quinze jours, voire de trois semaines dans certaines régions et à certaines périodes de l'année. Il reste donc beaucoup à faire pour remédier à cette situation insatisfaisante. Les autorités sanitaires et les établissements doivent être mobilisés sur ce point.

Pour faciliter la prise en charge des IVG durant la onzième et la douzième semaines de grossesse - ce que certains services refusaient de faire - le groupe avait suggéré qu'au moins un établissement par département en soit chargé, évitant ainsi que certaines femmes se trouvent refoulées, à ce stade de leur grossesse, à des centaines de kilomètres de leur lieu de résidence pour subir une IVG  une situation profondément choquante -. Sur ce point, le bilan dressé par la commission des suites montre qu'une régularisation progressive s'opère.

S'agissant de la prise en charge des mineures, le groupe a reçu l'aide bienvenue de la Société française d'anesthésie-réanimation, qui a largement fait savoir à ses membres que, de par la loi, leur responsabilité pénale n'est pas engagée s'ils pratiquent une IVG sur une mineure dépourvue d'autorisation parentale. Les esprits s'en sont trouvés apaisés et, progressivement, la prise en charge de ces jeunes filles s'est mieux faite.

Mme Bérengère Poletti a observé que demeure en suspens le problème posé par le fait que les établissements d'enseignement sont tenus de signaler aux parents l'absence des élèves, quel qu'en soit le motif. Une convention devrait donc être signée à ce sujet entre le ministère de la santé et celui de l'Éducation nationale, ce qui ne sera pas facile.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est demandée comment on pourrait résoudre cette contradiction, puisqu'il en va de la responsabilité des chefs d'établissement.

Selon Mme Emanuèle Jeandet-Mengual, la difficulté est réelle. L'Éducation nationale considère également que les médecins, infirmières scolaires, ou tout autre agent, qui acceptent d'être la « personne accompagnante » exigée par la loi dans ce cas le font sous leur responsabilité personnelle. Il est dommage que les deux ministères ne parviennent pas à s'entendre à ce sujet, le ministère de l'Éducation nationale considérant le problème sous son seul aspect juridique, alors qu'il a aussi une dimension sociale. La question a de nouveau été abordée par la commission des suites de l'IGAS ; le ministre de la santé a adressé un courrier à ce sujet au ministre de l'Éducation nationale.

Le groupe de suivi avait aussi recommandé de mieux articuler contraception et IVG et, dans un autre domaine, de dégager les conditions satisfaisantes d'une intégration des centres autonomes dans le droit commun hospitalier, en préservant leurs moyens et en évitant qu'ils ne soient « détournés » à d'autres fins.

Il avait également suggéré d'inciter les cliniques privées à prendre en charge un plus grand nombre d'IVG, en tout cas à éviter tout désengagement. Le fait que le « forfait IVG » n'ait pas été revalorisé depuis 1991 était très peu incitatif, et le groupe avait donc suggéré l'ouverture de négociations financières à ce sujet. Actuellement, environ les deux tiers des IVG sont pratiquées dans les hôpitaux, qui seraient en grande difficulté si le tiers restant basculait dans leurs services. Cela vaut particulièrement en région parisienne, où la répartition se fait par moitié entre le public et le privé : un reflux vers l'hôpital public y serait ingérable. Le forfait vient d'être revalorisé par le ministre de la santé.

Le groupe d'appui avait aussi suggéré d'améliorer l'information des femmes.

Une seule de ses recommandations imposait une révision de la loi de 2001 : l'anticipation des effets de la démographie médicale par la révision du rôle des sages-femmes dans la prise en charge des IVG. En effet, la génération militante va partir à la retraite et elle ne sera remplacée ni en nombre ni en ardeur : les jeunes médecins, s'ils n'ont pas de réticences idéologiques, n'ont pas non plus de motivation militante. Le groupe d'appui a dit son inquiétude au ministre et plaidé en faveur de l'élargissement à l'IVG du rôle des sages-femmes, car elles en ont toutes les compétences techniques nécessaires. Mais cela supposerait une modification de la loi, qui dispose que les IVG doivent être pratiquées par un médecin.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, l'a interrogé sur l'absence de motivation des jeunes praticiens.

Pour Mme Emmanuèle Jeandet-Mengual, ils trouvent l'acte sans grand intérêt, non gratifiant, et compliqué sur le plan psychologique. De plus, ils sont débordés. Mais plus de 200 000 IVG sont pratiquées chaque année en France - qui est l'un des pays européens où l'on en pratique le plus -. C'est donc un acte très courant, et il faudra faire face.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est demandée si une éducation plus sérieuse à la contraception ne réduirait pas le nombre d'IVG.

Pour Mme Emmanuèle Jeandet-Mengual, les sociologues ont des avis assez partagés à ce sujet. Il n'est pas certain que l'accroissement de la contraception entraînerait automatiquement la chute du nombre des IVG. Ainsi, on aurait pu penser que le développement de la contraception d'urgence réduirait notablement les IVG, mais cela ne semble pas être le cas.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné qu'il faudrait néanmoins insister sur la prévention.

Pour Mme Bérengère Poletti, la question est abordée dans les collèges et les lycées, mais il n'y a pas de campagne nationale.

Mme Emmanuèle Jeandet-Mengual a relevé que, hormis quelques initiatives locales, il n'y a pas de campagne nationale en faveur de la contraception. Il y en a eu une en 2000 et en 2001, après des années de silence ; il n'y en a plus depuis 2001.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souhaité connaître les raisons du plus grand nombre d'IVG en France par rapport aux autres pays européens.

Mme Bérengère Poletti a estimé qu'il faudrait comparer les chiffres relevés dans les autres pays européens en les mettant en parallèle avec les politiques menées.

Mme Emmanuèle Jeandet-Mengual a souligné le nombre important, entre 200 000 et 210 000 par an, d'IVG en France. Depuis l'élargissement, la France est en position médiane, mais elle était auparavant un des pays de l'Union où il s'en pratiquait le plus. C'est pourquoi le groupe d'appui avait recommandé de mieux articuler contraception et IVG, et de mieux informer filles et garçons.

Mme Hélène Mignon a indiqué que l'accent avait été mis sur la protection contre le sida, et qu'on avait laissé de côté l'information sur la contraception. De plus, certaines jeunes filles et jeunes femmes considèrent la prise quotidienne d'un contraceptif oral trop contraignante.

Mme Emmanuèle Jeandet-Mengual a observé qu'il existait d'autres moyens contraceptifs, tels que les patchs ou les implants.

Mme Bérengère Poletti a relevé que leur utilisation est encore marginale et que la question du remboursement peut se poser, car les innovations ne sont pas toujours remboursées. Elle a souhaité connaître la répartition des IVG par tranches d'âge.

Mme Emmanuèle Jeandet-Mengual a indiqué que selon les indications qui figurent dans le numéro d'octobre 2004 de la brochure Etudes et résultats publiée par la DREES, 206 000 IVG ont été recensées en France métropolitaine en 2002, ce qui représente une augmentation de 1,7% en un an. On comptait 14,3 IVG pour 1 000 femmes âgées de 15 à 49 ans. Cinq pour cent environ ont été pratiquées sur des adolescentes, quelque 48 % dans la tranche des 18-24 ans, 22 % chez les 25-30 ans, puis le nombre décroît régulièrement.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé la nécessité de mener des campagnes de sensibilisation à la contraception.

Mme Héléne Mignon a estimé que toutes ces IVG traduisent aussi les relations à l'intérieur des couples, la fuite de certains hommes quand une grossesse leur est annoncée, ainsi qu'une certaine inconséquence, même chez des jeunes femmes diplômées.

Mme Emmanuèle Jeandet-Mengual a observé qu'il serait intéressant pour la Délégation d'entendre des sociologues.

Mme Bérengère Poletti a souhaité savoir si des discussions avaient été engagées, comme le recommandait le groupe d'appui, avec les représentantes des sages-femmes.

Mme Emmanuèle Jeandet-Mengual lui a répondu qu'elles avaient eu lieu avec les représentants des sages-femmes ainsi qu'avec ceux des gynécologues-obstétriciens. Le bilan de la commission des suites montre que la proposition n'a suscité ni enthousiasme ni résistance et que les médecins ne s'opposeraient pas à ce que les compétences des sages-femmes soient étendues aux IVG. Mais il faudrait pour cela réviser la loi, dont chacun sait que ce n'est pas une loi comme une autre, et le ministre n'a pas jugé opportun de le faire.

Enfin s'agissant de l'IVG médicamenteuse en ville, le groupe d'appui avait préconisé sa mise en œuvre rapide. Or la mise en œuvre de cette disposition novatrice de la loi de juillet 2001 a été entravée par une série d'obstacles telle que l'on semble sortir du domaine rationnel. La commission des suites de l'IGAS s'en est étonnée, ce qui a peut-être contribué à la publication, en juillet dernier, de l'arrêté permettant le financement de la mesure. La circulaire d'application qui permettra aux femmes d'être remboursées vient de paraître. Il paraît invraisemblable que trois années et demie se soient écoulées sans que cette disposition soit appliquée, alors qu'elle n'avait suscité aucune opposition lors du vote de la loi et qu'elle devait aussi servir à soulager des plateaux hospitaliers débordés. C'est à la fois incroyable et profondément dommageable pour les femmes.

Mme Bérengère Poletti a souligné la nécessité de faire savoir aux médecins libéraux qu'ils doivent se rapprocher de l'hôpital pour établir le protocole à suivre en cas d'incident survenu à cette occasion dans leur cabinet.

Mme Emmanuèle Jeandet-Mengual a observé que la circulaire s'adresse aux autorités sanitaires et que rien ne semble spécifiquement prévu pour l'information des médecins de ville. Probablement, en tout cas dans un premier temps, seuls les médecins militants pratiqueront l'IVG médicamenteuse, et non pas la grande majorité des généralistes ou des gynécologues.

Pour finir, Mme Emmanuèle Jeandet-Mengual a souhaité attirer l'attention de la Délégation sur la situation de l'IVG dans les DOM, où un nombre très élevé d'IVG est recensé, surtout à la Guadeloupe, où l'on compte presque autant d'interruptions de grossesse que de naissances, avec 41,2 IVG pour 1 000 femmes, contre 14,3 en métropole. Un programme de santé publique spécifique s'impose.

En conclusion, des progrès ont eu lieu, mais il faut rester attentif à l'application de la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse car, aussitôt que la volonté politique fléchit, la mobilisation administrative marque le pas et les difficultés resurgissent très vite. Si une politique volontariste n'est pas conduite, la régression est certaine.

Après avoir observé qu'il en est toujours ainsi lorsqu'il s'agit de femmes, Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié Mme Jeandet-Mengual pour son exposé d'un grand intérêt.

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a ensuite entendu Mme Hélène Mignon, députée, coordinatrice du réseau parlementaire de lutte contre le VIH/Sida de l'Assemblée parlementaire de la francophonie (A.F.P.), sur les conséquences du VIH/Sida sur les femmes et les orphelins en Afrique.

Mme Hélène Mignon a indiqué qu'elle avait souhaité être entendue par la Délégation pour lui faire part de ses sentiments au retour de la mission qu'elle avait effectuée en Afrique. Elle a rappelé que c'était la troisième fois qu'elle participait à de telles réunions. Au début on y parlait surtout de prévention et de thérapie, mais nos collègues africains se préoccupent désormais beaucoup du sort des orphelins, conscients qu'ils seront bientôt 15 millions, porteurs ou non du VIH.

Elle a observé que la France, qui est le deuxième contributeur après les Etats-Unis au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, dont la création a été décidée au G8 d'Evian et qui se consacre essentiellement au médicament, devrait inciter le Fonds à consacrer une partie de ses ressources à une allocation directement versée aux orphelins.

En effet, si au début les familles les ont pris en charge, leur nombre ayant considérablement augmenté et une grande partie de la population active ayant tout simplement disparu, ce sont aujourd'hui les grands-parents qui s'en occupent. Mais ils sont bien trop pauvres pour supporter le coût de la scolarité d'une dizaine de petits-enfants au moins, et on voit apparaître des enfants des rues, phénomène jusqu'ici inconnu en Afrique. Ainsi, alors qu'il y a de moins en moins d'hommes de 25 à 40 ans, ce qui pose de graves problèmes en termes de production, la relève n'est absolument pas assurée puisqu'une bonne partie des enfants développera le sida et que les autres n'auront reçu aucune formation.

On le voit, ce n'est pas une question seulement de santé publique, mais aussi de développement économique qui est posée. D'ailleurs, les grandes entreprises européennes implantées en Afrique savent à quel point la population active est décimée. Elles en ont assez de payer les enterrements, mais aussi de perdre de la main-d'œuvre et du savoir-faire. Elles préfèrent donc désormais investir dans la prévention. Aujourd'hui, selon M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie, il faut installer des dispensaires pour distribuer les médicaments génériques et empêcher l'arrêt du traitement dès que l'état de santé s'améliore. Mais au Togo, on reporte les traitements faute de médicaments et on manque même de réactifs pour les tests de séropositivité !

La situation est vraiment catastrophique et on peut même parler de risque d'éradication de la population de certains pays.

Selon la ministre de la santé du Togo, les hommes pensent qu'ils guériront s'ils ont des rapports sexuels avec une vierge ; aussi des enseignants demandent-ils aux petites filles de leur apporter leur cahier chez eux et des gamines de 6 ans sont ainsi contaminées !

Alors que les députés africains insistaient il y a peu sur le poids des traditions pour expliquer les difficultés à parler de ce sujet, ils sont désormais nombreux à avoir eux-mêmes recueilli des orphelins. Le Président de l'Assemblée et le Président de la République du Togo ont eux-mêmes évoqué la mort de leur chauffeur ou de leur garde du corps. On commence donc à parler, des groupes de réflexion voient le jour au sein des Parlements, souvent sous l'impulsion des femmes qui, avec les ONG, se rendent dans la brousse pour expliquer les choses.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé qu'il y a sept ans déjà, alors qu'elle était encore enseignante, elle craignait que l'épidémie ne prenne une ampleur considérable et que certains pays ne soient ainsi décimés. Aujourd'hui, si les pays occidentaux assument le financement d'une partie des médicaments, les problèmes de leur diffusion et de l'information restent entiers.

Mme Bérengère Poletti  a observé que même si les génériques se développent, les thérapies demeurent hors de prix, alors qu'elles freinent aussi la propagation de la maladie puisque la quantité de virus diminue dans les sécrétions et dans le sang.

Mme Hélène Mignon a indiqué que, faute d'argent, on ne peut guère traiter plus de 10 000 personnes au Togo.

Se demandant si les médicaments sont bien pris correctement, Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est déclarée pessimiste quant aux effets des actions que nous pouvons mener.

Mme Bérengère Poletti a estimé qu'il fallait essayer d'insister sur la prévention et l'information ainsi que sur une évolution culturelle, pour lesquelles les parlementaires peuvent jouer un rôle. C'est difficile, mais sans cela, certains pays vont tout simplement disparaître !

Mme Hélène Mignon a rappelé qu'en Ouganda, là où le virus a été découvert, on est parvenu à ramener le taux de progression de l'épidémie de 18 à 7 %. Mais dans les autres pays, il est au contraire en forte augmentation et on ne dispose pas des ressources nécessaires pour s'occuper des orphelins. C'est d'ailleurs une préoccupation essentielle de la population elle-même. Ainsi, au Burkina, une femme vient tous les six mois dans le dispensaire qui jouxte l'ambassade de France, pour faire un test afin de prévoir l'avenir de ses enfants. Elle n'est pas contaminée, mais elle sait que son mari le sera un jour ou l'autre et qu'elle ne pourra rien lui dire quand il rentrera à la maison, car c'est lui qui fait vivre la famille...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est déclarée effrayée par la contamination des enfants, car cela signifie soit qu'ils ne procréeront pas, soit qu'ils contamineront à leur tour leur descendance. Dans ces conditions, que faire ?

Mme Hélène Mignon a indiqué que, personnellement, elle ne voyait plus l'intérêt d'aller à ces réunions où l'on se contente de dire qu'on ne peut rien faire, alors que les personnes concernées attendent tant de nous. L'idée d'impuissance est affreuse, et même ce que font les ONG ne représente qu'une goutte d'eau. Qui plus est, la situation se dégrade aussi en Chine et en Russie. Quant au Vietnam et au Cambodge, où les campagnards obligés de venir travailler en ville fréquentent les nombreux bordels hérités des Américains avant de rentrer chez eux et de disséminer le virus, la tendance y est désormais la même qu'en Afrique. Dans ces conditions, on peut s'attendre à ce qu'il y ait dans dix ans 40 millions d'orphelins, dont une bonne partie contaminés.

Mme Bérengère Poletti a observé que le fait que 2005 soit déclarée année de la lutte contre le sida aiderait peut-être à communiquer davantage sur ce sujet.

Mme Hélène Mignon a indiqué qu'à son retour, elle avait transmis son rapport à MM. Michel Barnier, ministre des Affaires étrangères, et Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie, et qu'elle avait informé M. Bruno Bourg-Broc, président délégué de la section française de l'Assemblée parlementaire de la francophonie. A ce jour, elle n'a reçu aucune réponse.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a demandé comment les chefs d'Etat africains appréhendent ces sujets essentiels. S'en ouvrent-ils par exemple au Président Jacques Chirac ?

Mme Hélène Mignon a rappelé que ces problèmes avaient été traités en juillet dernier à Bangkok, mais qu'ils n'ont guère été abordés jusqu'ici dans le cadre de la francophonie. Les choses commencent toutefois à changer sous la pression de la Belgique, de la Suisse et de la France.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a proposé que la Délégation mette l'accent, auprès des ministres des affaires étrangères et de la coopération, sur le compte rendu de la mission de Mme Hélène Mignon et sur le fait que des réponses sont désormais attendues.

Mme Hélène Mignon a estimé qu'il faudrait faire remonter les observations jusqu'à l'Elysée. Si la France s'engageait davantage pour la prise en charge des orphelins dans le cadre du Fonds international, les pays concernés seraient enclins à faire de même.

Observant que la France est un gros financeur de ce Fonds, Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a estimé que la répartition des financements était également une question très importante.

Pour Mme Hélène Mignon, c'est aussi un enjeu pour la présence française dans une région où les futurs cadres vont désormais se former au Canada.

S'étant rendue récemment au Nicaragua, pays qui se trouve à la même latitude que le Togo, qui compte le même nombre d'habitants, où la pauvreté est équivalente, mais qui ne subit pas l'épidémie de sida, elle y a constaté une véritable colonisation économique : la résidence du président a été payée par la Thaïlande, les dispensaires sont financés par le Japon, tandis que l'aide européenne est réelle, mais moins voyante.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a observé qu'elle connaissait bien la situation dans ce pays car elle avait souvent l'occasion de rencontrer l'épouse du candidat de l'opposition à la dernière élection présidentielle. Celle-ci lui a indiqué que le souhait que l'Europe intervienne davantage en sa faveur y était largement partagé.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié Mme Hélène Mignon d'avoir fourni ces informations et proposé que toute réponse reçue par l'une ou l'autre d'entre elles soit aussitôt communiquée à l'ensemble des participantes.

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