DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 10

Mardi 25 janvier 2005
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Françoise Hostalier, présidente de l'association Action Droits de l'Homme, membre de la Commission nationale consultative des droits de l'homme

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- Audition de Mme Marie-Josèphe Creps, présidente de l'association CLER, Amour et Famille

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Françoise Hostalier, présidente de l'association Action Droits de l'Homme, membre de la Commission nationale consultative des droits de l'homme.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est réjouie d'accueillir Mme Françoise Hostalier, inspecteur général de l'Éducation nationale, ancienne secrétaire d'État à l'enseignement scolaire dans le premier gouvernement de M. Alain Juppé, ancienne députée du Nord, actuellement conseillère régionale du Nord-Pas-de-CaIais et conseillère municipale de Nieppe dans le département du Nord.

C'est en sa qualité de présidente de l'association Action Droits de l'Homme et de membre de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) que la Délégation aux droits des femmes a souhaité l'entendre.

A la CNCDH, elle préside la sous commission chargée des droits de l'enfant, de la femme et de la famille, de l'éducation et de la formation aux droits de l'homme, vaste sujet de réflexion qui l'a conduite à élaborer des rapports sur lesquels il serait intéressant d'avoir de plus amples informations.

Après avoir rappelé brièvement le mode de fonctionnement de la Délégation, la présidente Marie-Jo Zimmermann a jugé utile d'échanger des idées sur les sujets d'intérêt commun à la sous-commission et à la Délégation, afin de déterminer comment leurs travaux pourraient se compléter, voire se conforter. Elle a souhaité en particulier savoir comment l'avis de la CNCDH sur le projet de loi relatif aux propos homophobes et sexistes avait été préparé, et connaître le sentiment de son auteur sur l'évolution ultérieure du texte.

Mme Françoise Hostalier a souligné que de nombreux parlementaires ont entendu parler d'Action Droits de l'Homme parce que cette association fait beaucoup de lobbying sur ces sujets.

C'est en 1999, au moment de la guerre au Kosovo, qu'un groupe de femmes qui s'étaient déjà mobilisées de 1992 à 1995 au moment de la guerre en Bosnie, puis en 1997 pour soutenir les femmes algériennes victimes des massacres, ont éprouvé la nécessité de se constituer en association pour agir. Action Droits de l'Homme fonctionne essentiellement par réseaux et n'est pas spécialisée dans un pays, mais défend les droits de l'homme, la dignité de la personne et la place des femmes comme projet de société.

L'association est très impliquée notamment en Afghanistan où elle avait deux observateurs pour les élections présidentielles du 9 octobre 2004. Dans ce pays qui était encore en guerre il y a trois ans, où les femmes n'avaient pas d'existence et étaient privées de l'accès aux soins, où 80 % d'entre elles sont analphabètes, au minimum 25 % de femmes seront pourtant élues au Parlement lors des élections qui auront lieu à la fin du printemps.

Action Droits de l'Homme s'intéresse aussi au Tibet, au Vietnam, à la Tchétchénie, au Soudan, à Cuba, où l'une de ses actions a permis que les 75 dissidents emprisonnés en 2003 soient parrainés par des parlementaires. Elle a aussi aidé à la mobilisation internationale en faveur des femmes menacées de lapidation au Nigeria, mobilisation qui fait désormais hésiter les autorités judiciaires de ce pays à prononcer et à exécuter de tels jugements.

L'association essaie de travailler avec le Parlement européen et entretient de bonnes relations avec cette femme remarquable qu'est Emma Bonino, ancienne commissaire européenne. Elle participe à la CNCDH, où elle est représentée par un membre suppléant dans chacune des six sous-commissions, Mme Françoise Hostalier présidant elle-même l'une d'entre elles. Elle n'a pas beaucoup de moyens et fonctionne avec 80 adhérents réguliers, essentiellement par lobbying.

La CNCDH, dont le site Internet (www.commission-droits-homme.fr) est très complet, peut soit être saisie par le Premier ministre, soit s'autosaisir afin de vérifier que les textes qui régissent le fonctionnement de l'État sont conformes aux droits de l'homme au sens des instruments juridiques internationaux que la France a ratifiés. Elle travaille aussi sur les problématiques internationales et alerte le Gouvernement en cas de violation des droits de l'homme. Elle assure le suivi des conventions que la France a signées (convention CEDAW, convention des droits de l'enfant, etc.).

Ses 120 membres représentent toutes les ONG et structures travaillant sur les droits de l'homme, les syndicats, les obédiences religieuses, sept ministères, le médiateur, etc. Chacun peut assister aux réunions de toutes les sous-commissions qui peuvent intervenir sur tous les thèmes. Ainsi, sur le rapport relatif aux droits de l'homme et à la prison, confié à la sous-commission C, d'autres membres ont estimé que les problèmes des étrangers, des personnes en fin de vie et des mineurs n'étaient pas traités, et un travail transversal a été mené pour compléter le texte.

La Commission s'est autosaisie l'an dernier du sujet des mutilations sexuelles féminines. Son rapport très complet n'ayant été suivi d'aucun effet alors qu'il comportait une trentaine de propositions faciles à mettre en œuvre, un nouveau rapport d'étape va être préparé, qui inclura également un travail avec les pays francophones d'Afrique où la CNCDH a des relais. La Commission se propose également de s'auto-saisir sur la question des mariages forcés, l'harmonisation à 18 ans de l'âge légal du mariage des hommes et des femmes pouvant être un moyen de les combattre.

La Commission n'avait été ni informée ni saisie du projet de loi sur l'homophobie, mais ses sous-commissions A, C et D ont travaillé ensemble et sont arrivées à la conclusion qu'il convenait que le texte soit retiré, ce dont Mme Françoise Hostalier était elle-même convaincue en raison de sa conception universaliste et non communautariste des droits de l'homme, mais aussi des problèmes qu'il posait pour la liberté de la presse. Peut-être faut-il prendre en considération les différences en droit pénal, mais, sur le plan des principes, il faut absolument préserver l'égalité entre les êtres humains, dans ses dimensions de liberté, de dignité et de sécurité. C'est ce que Mme Françoise Hostalier a elle-même expliqué à des représentants, particulièrement pugnaces, d'une association de défense des homosexuels : cela ne la regardait en rien de savoir qu'ils étaient homosexuels car elle ne voyait en eux que des êtres humains ; en revanche, si l'on faisait une loi uniquement pour les protéger, ils apparaîtraient comme membres d'une catégorie à part.

S'agissant de la presse, on pouvait craindre que des peines trop fortes empêchent certains sujets de fond d'être traités, y compris avec des exagérations, lesquelles seraient bien moins contrôlables si elles s'exprimaient ailleurs. En outre, Reporters sans frontières redoute qu'il ne soit guère cohérent de recréer une discrimination au moment où un certain nombre de pays, Sénégal en tête, s'inspirent de la loi de 1881 pour libéraliser leur législation.

La Ligue des droits de l'homme, si elle est d'accord sur la notion d'universalité, considère toutefois qu'il est possible d'élargir les dispositions qui existent déjà en matière de racisme et de xénophobie. L'avis demandant le retrait a toutefois été adopté à une large majorité, la Commission poursuivant son travail.

Cet avis n'a pas empêché, pas plus que le lobbying d'Action Droits de l'Homme, le vote d'un texte dont on peut douter qu'il soit applicable, ce qui ne concourra guère à la revalorisation du Parlement.

Peut-être certains se sont-ils imaginé qu'avec le vote de ce texte ils échapperaient au débat sur le mariage et l'adoption, mais ils vont au contraire susciter de nouvelles revendications.

Sur le mariage, la CNCDH compte, comme elle l'a fait pour l'accompagnement de fin de vie, préparer un rapport, non pour trancher le débat mais pour l'alimenter. A cette fin, Mme Françoise Hostalier a été chargée de travailler sur la thèse opposée au mariage homosexuel, tandis que M. Roger-Vincent Calatayud rapportera celle qui y est favorable. En fait, il semble qu'on ne parle pas de la même chose : certains voient dans le mariage un simple contrat, et dans ce cas il n'y a pas de limite, tandis que d'autres y voient une institution qui est à la base de la société et qu'on ne saurait traiter n'importe comment.

Ensuite, la CNCDH travaillera sur le thème de l'homoparentalité, en sachant que deux personnes homosexuelles peuvent bien sûr être considérées comme célibataires et adopter. Ce sont donc des situations particulières qui posent problème, notamment quand le parent dont est issu biologiquement l'enfant disparaît. Pour autant, les régler suppose que soit remis à plat tout le système d'adoption, ce qui serait après tout envisageable, à condition de se caler sur les textes internationaux protecteurs des intérêts des enfants.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a dit qu'elle avait constaté également, en particulier lorsqu'elle a participé à l'émission Mots Croisés, que les homosexuels voient dans les dispositions contre l'homophobie un premier pas vers l'homoparentalité.

Mme Françoise Hostalier a souligné que la société avait beaucoup évolué mais qu'on pouvait se demander s'il appartenait au législateur d'anticiper, d'accompagner ou de freiner cette évolution. N'a-t-il pas le devoir de poser des règles ? On sait que la période de l'enfant roi a fait des dégâts et que l'on rencontre aujourd'hui de nombreux jeunes en manque d'autorité et de repères, ce qui peut même en faire des proies pour les sectes. Le premier acte d'amour d'un parent ou d'un enseignant est d'encadrer, de surveiller, de guider.

Mme Claude Greff a relevé que l'enfant unique et l'enfant dans une famille recomposée ont du mal à trouver leur place.

Mme Françoise Hostalier a indiqué que le rapport sur le mariage sortirait avant l'été. Plus aucun débat sur la famille ne peut désormais s'affranchir d'un traitement du volet mariage, homoparentalité, familles homosexuelles.

Mme Danielle Bousquet a observé que cela correspondait simplement à la réalité sociale.

Mme Françoise Hostalier s'est demandé à quelle réalité, à combien de personnes, à combien d'enfants cela correspondait. Bien sûr, ce qu'a subi Sébastien Nouchet est horrible, mais fallait-il pour autant voter une loi d'exception ? Doit-on faire une loi parce que des SDF sont régulièrement massacrés ? Pourquoi légiférerait-on sur l'arbre sans voir la forêt de tous ceux qui vivent normalement ?

Se rend-on bien compte par ailleurs que si on modifie le code de la famille pour que ces personnes aient les mêmes droits, on va, par un effet domino, bouleverser tout l'équilibre social pour 300 ou 400 cas ?

En venant à la place des femmes dans la société française, Mme Françoise Hostalier a fait part de son sentiment d'une régression. Après l'ouverture spectaculaire intervenue il y a 25 ans, on pouvait nourrir l'espoir que les femmes trouveraient toute leur place, et il est vrai que seul aujourd'hui le métier de sous-marinier reste exclusivement masculin. Pour autant, on a l'impression que les techniques actuelles, qui utilisent largement l'informatique, ne font pas l'objet d'une appropriation par les filles, qui utilisent la bureautique, mais pas l'informatique elle-même, et que l'Éducation nationale passe là à côté de sa mission. Or c'est de la place des filles dans le système scolaire que dépendra celle des femmes dans la société de demain.

A l'observation de Mme Bérengère Poletti sur la féminisation croissante de certaines professions comme la magistrature ou la médecine générale, Mme Françoise Hostalier a répondu qu'on pouvait s'inquiéter que ce constat conduise aussi à parler de la paupérisation de ces métiers.

Mme Françoise Hostalier a conclu en proposant que de telles rencontres soient renouvelées, sur les thèmes intéressant la Délégation et la CNCDH. Celle-ci vient de s'autosaisir de deux propositions de loi relatives à l'inceste, l'une proposant de le rendre imprescriptible, ce qui semble a priori devoir être réservé aux crimes de masse, l'autre de le faire reconnaître en tant que tel dans le code pénal.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souscrit à cette proposition de rencontres fréquentes et a remercié Mme Françoise Hostalier.

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a ensuite entendu Mme Marie-Josèphe Creps, présidente de l'association CLER, Amour et Famille.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est réjouie d'accueillir Mme Marie-Josèphe Creps, présidente de l'association CLER Amour et Famille, ainsi que Mmes Christine Morel et Christiane Férot, membres de l'association.

Cette audition s'inscrit dans le cadre de la mission confiée à la Délégation aux droits des femmes par la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale. Mme Bérengère Poletti, au sein de la Délégation, est plus particulièrement chargée de la mission de suivi de l'application de la loi du 4 juillet 2001, quant à l'accès effectif à la contraception et à l'IVG.

CLER Amour et Famille est un mouvement chrétien de réflexion et d'action qui se propose « d'aider toute personne jeune ou adulte, en couple, ou non, croyante ou non, à mieux vivre sa vie sexuelle en vue d'un meilleur épanouissement humain et spirituel ». Cette association, reconnue d'utilité publique, est agréée auprès des ministères des affaires sociales et de la jeunesse et des sports. Son rôle de conseil conjugal et familial est reconnu ainsi que ses activités de formation. Elle est membre du Conseil supérieur de l'information sexuelle.

Parmi ses activités extrêmement variées, la Délégation est très intéressée par ses interventions auprès des jeunes et des couples.

A une époque où les jeunes rencontrent beaucoup de difficultés dans la découverte de leur vie sexuelle et affective, quels sont les conseils que le CLER Amour et Famille est amené à leur donner et quel est le cadre de son intervention ?

A l'heure où l'institution familiale connaît une profonde mutation, quel type d'aide peut-il apporter aux couples et aux familles en difficultés ? Qu'entend-il par le soutien à la parentalité, qui est une de ses approches des problèmes du couple ou de parents isolés ?

Mme Marie-Josèphe Creps s'est félicitée de pouvoir présenter à la Délégation le travail de l'association CLER Amour et Famille, de faire part de son expérience de terrain et de répondre à des questions sur un sujet aussi délicat que la sexualité.

Ses trois représentantes sont conseillères conjugales et familiales. Mme Christiane Férot qui a son activité à Cambrai, a été présidente de l'association de 1986 à 1992, a fondé en 1982 le Centre d'information sur les droits des femmes de Cambrai dont elle est toujours membre du conseil d'administration, et a été décorée en 2003 de la Légion d'honneur pour son travail social dans le cadre de l'association ; aujourd'hui, elle reçoit des couples et des personnes seules en conseil conjugal et familial, anime des groupes de jeunes en éducation affective et sexuelle dans des établissements scolaires, et assure des points écoute dans un lycée technologique et professionnel.

Mme Christine Morel, qui a son activité en Seine-et-Marne dans le secteur de Marne-la-Vallée, reçoit aussi des couples et des personnes seules en conseil conjugal et familial, se rend dans de nombreux établissements scolaires pour animer des groupes de jeunes en éducation affective et sexuelle, et assure, en lycée et collège à Meaux, un point écoute géré par l'association des parents d'élèves.

Mme Marie-Josèphe Creps est elle-même présidente de l'association, ce qui lui laisse peu de temps pour le travail sur le terrain, mais elle a exercé le conseil conjugal et l'éducation affective et sexuelle pendant de nombreuses années en Savoie.

Elles ont, toutes trois, assuré des entretiens avant décision d'IVG, entretiens qui ne sont désormais, hélas, plus obligatoire, sauf pour les mineures.

L'association CLER Amour et Famille a été créée en juin 1961 afin d'aider les couples en difficulté, notamment pour la régulation des naissances. C'est en 1970 qu'ont commencé les rencontres avec des groupes de jeunes pour l'éducation affective et sexuelle. La demande était déjà très importante et il est difficile, aujourd'hui encore, de répondre favorablement à toutes, avec seulement 930 membres actifs au sein de 90 équipes réparties sur tout le territoire métropolitain et à la Réunion.

CLER Amour et Famille est une association centralisée et non une fédération. Ses interventions sont faites principalement par ses membres bénévoles mais aussi par quelques personnes qui travaillent dans des centres de planification. Elle a participé à la création d'associations en Suisse, en Belgique, en Espagne, à l'île Maurice et dans différents pays d'Afrique.

En 2003, elle a rencontré 145 000 personnes dont 88 000 jeunes en éducation affective et sexuelle - 9 % en centres de planification -, 14 000 personnes en entretien de conseil, dont 230 en entretien post-IVG, 41 000 personnes en groupe d'information, conférence - 4 % en centre de planification -, 1 200 personnes en entretien pré IVG - 90 % en centre de planification. En 1998, ces entretiens pré-IVG avaient concerné 2 379 personnes et 2 788 en 2000.

Mme Christine Morel a présenté les activités de l'association en matière d'éducation affective et sexuelle. Ses membres rencontrent les jeunes à la demande soit des parents, soit de l'établissement ou des professeurs.

Ses interventions débutent dès l'école primaire avec un enseignement suivi de questions. Quel que soit l'âge des jeunes, les questions sont le plus souvent écrites afin de conserver un caractère confidentiel. Dans le primaire, l'enseignement porte sur la description et le fonctionnement des organes génitaux masculins et féminins, sur le développement du bébé dans le sein maternel, sur l'accouchement, et se termine par un temps de réflexion sur la relation d'amour entre un homme et une femme. On cherche à ce que les enfants s'émerveillent devant la beauté et la complexité de leur corps. On introduit les notions de respect, de pudeur en vue de prévenir les abus sexuels.

Une réunion de parents est systématiquement organisée pour qu'ils sachent ce que l'on va dire à leurs enfants. Beaucoup remercient les intervenants d'avoir pu ouvrir un dialogue avec leurs enfants à la suite de leur passage. Les enseignants signalent également souvent un changement de comportement des enfants : plus grand respect des garçons envers les filles et inversement, moins de mots grossiers à caractère sexuel.

En collèges, lycées ou mouvements de jeunes, les bénévoles préfèrent répondre à leurs questions en petits groupes où la parole peut circuler.

Garçons et les filles sont séparés en collège car, à cet âge, leurs centres d'intérêts ne sont pas les mêmes. On leur explique que l'amour est l'aboutissement de cinq grands désirs : d'exister, d'être ensemble, de tendresse, sexuel, d'enfant - consciemment ou inconsciemment. Sont aussi introduites les notions de respect de soi, de l'autre, de la vie, de maîtrise de soi, de responsabilité. Avec la responsabilité, on parle de la contraception et de la protection contre les infections sexuellement transmissibles.

Aux plus grands, on montre que l'amour est une lente construction. Il est sentiment, attirance sexuelle, relation et communication entre deux personnes. La relation sexuelle implique maturité, confiance, respect. Elle nécessite maîtrise de soi et attention à l'autre dans sa différence. Après l'intervention, les établissements mettent souvent en place des points écoute qu'ils demandent à l'association de tenir.

En ce qui la concerne, Mme Christine Morel intervient une fois par semaine en lycée et en collège à Meaux. Aujourd'hui même, elle a reçu huit jeunes qui lui ont posé beaucoup de questions sur l'amitié. Une fille en avait assez d'être rabaissée par sa mère. La semaine dernière, trois frères et sœurs sont venus lui faire part de leur inquiétude devant le comportement de plus en plus violent de leur père et de ses tendances alcooliques ; ils ont réfléchi ensemble à des solutions que les enfants ont ensuite proposées à leur mère.

Mme Christiane Férot a dit que, pour sa part, elle a commencé à rencontrer les jeunes, il y a vingt ans, à la demande d'un directeur qui avait vécu douloureusement le fait qu'une mère, avertie que sa fille était en coma éthylique, ait répondu ne pouvoir se déplacer en raison d'un rendez-vous pour sa chienne chez le vétérinaire... Elle s'est dit que cette jeune fille avait trouvé ce moyen pour appeler au secours et qu'il n'était sans doute pas opportun d'attendre pour lui tendre la main. C'est ainsi qu'elle est passée d'une permanence un midi par semaine à un mi-temps rémunéré dans l'enseignement privé au cours duquel elle a assuré de 450 à 480 entretiens chaque année. Elle travaille en liaison avec les médecins et les infirmières scolaires, ainsi qu'avec les services sociaux.

Les jeunes qu'elle reçoit expriment leurs bleus à l'âme et parfois au corps. Elle leur fournit des informations sur la grossesse, la contraception, la toxicomanie. Tout ce qui est lié à leur vie scolaire trouve un écho au point d'écoute. Elle ne participe pas au conseil de classe car c'est un lieu de sanction tandis que l'écoute est dans le registre de la bienveillance et du secret. Elle travaille toutefois avec les enseignants, en toute discrétion.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a considéré que c'était une chance de l'enseignement privé de pouvoir offrir un tel service, que l'Éducation nationale ne saurait financer.

Mme Bérengère Poletti s'étant interrogée sur le risque que les intervenantes ne soient démunies face à certaines situations, Mme Christine Morel lui a répondu qu'elles étaient formées et supervisées.

Si elles travaillent avec les assistants sociaux, il s'agit surtout d'un travail en écho, qui peut faciliter par exemple la reprise du contact familial et la restructuration d'un jeune, mais c'est bien à lui qu'il appartient de faire des démarches s'il a besoin d'un accompagnement social.

A Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, qui pensait que les enseignants étaient enclins à se décharger sur les intervenantes, Mme Christiane Férot a dit qu'il était bon que les jeunes aient le choix de leur référent et que les professeurs disaient souvent ne pas avoir vocation à se transformer en assistant social.

Elle a par ailleurs indiqué qu'en matière de contraception les jeunes recevaient une information en groupe, en dehors du cours donné en 4e par les professeurs de SVT - et d'ailleurs plutôt en 3e car c'est une classe charnière où il est bon de retravailler le sujet de l'amour, autour des idées d'attirance, de désir sexuel, de passage à l'acte, de responsabilité de soi, de l'autre et des tiers. Les jeunes comprennent qu'ils sont aptes à transmettre la vie mais pas à l'accompagner car ils n'ont pas eux-mêmes fini de se construire. C'est donc dans le sens de la responsabilité que la contraception est abordée.

Pour en parler, on commence par décrire le fonctionnement des organes génitaux de l'homme et de la femme et des signes de fertilité de la femme. Cela intéresse chacun de connaître son corps. Pour certains, même adultes, c'est une réelle découverte. Or on n'est responsable que lorsque l'on est bien informé.

Il est important de savoir aussi que tout homme, toute femme a dans son inconscient un désir d'enfant. C'est ce désir inconscient qui va faire rater la meilleure des contraceptions et qui est par exemple à l'origine de l'oubli de pilule. C'est ce désir d'enfant qui fait qu'une contraception est toujours difficile à mettre en place et peut changer. Prendre conscience de ce désir est important pour s'approprier une méthode et la rendre plus efficace.

Mme Bérengère Poletti a demandé ce qui est répondu à ceux qui s'interrogent sur les échecs de la contraception.

Mme Christiane Férot a utilisé l'image d'une cocotte-minute : si on colmate la soupape, on ne voit plus la force de la vapeur, mais heureusement que le joint est défectueux et qu'il permet une fuite avant l'explosion...

Est-il si surprenant que la contraception échoue quand on se dit « Oh, ça ne fait rien pour une fois, ça n'arrive qu'aux autres » ? Il faut que chacun comprenne qu'on est toujours l'autre de l'autre...

Mme Bérengère Poletti a demandé ce qui se passait une fois qu'il y avait eu échec et que la grossesse non désirée intervenait.

Mme Christiane Férot a répondu que les jeunes femmes venaient alors avec leurs interrogations, leur colère, leurs peurs, mais pas forcément en refusant l'enfant. Elles viennent surtout pour parler, c'est ensuite qu'elles se rendront au Planning familial, à l'hôpital, ou qu'elles reviendront discuter.

De même, lors de l'entretien pré-IVG, on entend ce que la personne vient dire, on répond à ses questions sur la façon dont cette grossesse est survenue, on donne place si possible à la parole du père. Mais, au bout du compte, c'est la femme qui a le pouvoir de mettre cet enfant au monde ou pas. L'entretien post-IVG permet encore de mettre des mots sur les choses, de sortir d'un déni douloureux.

Mme Danielle Bousquet a rappelé que, lors d'une audition récente, une gynécologue avait dit que les professeurs de SVT donnaient aux élèves des informations erronées sur la prétendue période de fécondation du 14e jour et que c'était une cause importante d'IVG. Comment le CLER Amour et Famille gère-t-il cela ?

Mme Christiane Férot a expliqué que le couple pouvait faire le choix de la méthode naturelle d'observation des cycles et de l'abstinence à certains moments. Cette technique n'est pas à confondre avec la méthode Ogino basée sur un simple calcul de probabilité. Elle repose sur l'observation et l'interprétation de plusieurs signes : température, glaires ou mucus cervical, transformations du col utérin. L'entrée en période fertile est déterminée par l'observation de la glaire et la sortie par la température. Cette période peut être de 8 ou 9 jours, cela varie. Cette méthode est exigeante mais efficace. Le couple qui la choisit doit être stable et motivé. Il apprend à exprimer l'amour par tous les gestes que la vie met à sa disposition ; il accepte des périodes de continence.

Mme Christine Morel a ajouté que l'association expliquait bien dans les écoles que cette méthode n'était pas pour les jeunes filles, mais pour des gens plus âgés et plus motivés. Cela étant, en leur expliquant comment fonctionne leur corps merveilleux, on leur donne envie de se connaître, on leur explique à nouveau les cycles, enseignés en 4e, on les incite à observer la glaire, on leur dit que s'il faut jeter à la poubelle la méthode du calendrier, il faut qu'elles prennent l'habitude de marquer leur règles ; qu'elles vivent avec leur corps.

Il est également utile de parler aux garçons pour les responsabiliser et les rendre respectueux, mais il vaut mieux les séparer des filles car la maturité et la curiosité ne sont pas les mêmes.

Mme Marie-Josèphe Creps a regretté qu'il n'apparaisse dans aucun document officiel que la méthode d'auto-observation est, pour certains couples, une alternative à la contraception.

Le CLER Amour et Famille, depuis l'origine, une commission qui travaille sur les signes de fertilité de la femme et sur la façon de les repérer, et les couples qui ont participé à ses travaux tirent une certaine fierté d'avoir contribué au progrès de la science.

Mme Christiane Férot a ensuite plaidé pour le rétablissement de l'obligation de l'entretien pré-IVG, au nom du bien de la femme qui est d'autant plus considérée comme une personne qu'elle a réfléchi à sa décision et fait un choix conscient. Confrontée à un problème très douloureux, le fait de pouvoir parler sans être jugée la délivre d'une part d'appréhension. Or l'entretien, depuis qu'il n'est plus obligatoire que pour les mineures, n'est plus systématiquement proposé par le médecin.

Mme Christine Morel a ajouté qu'avec la possibilité de prendre le RU 486 seule chez soi, la femme a encore moins de possibilités de parler, les médecins en ayant rarement le temps. Certaines se trouvent ainsi dans une grande solitude.

Mme Danielle Bousquet a observé que les médecins étaient normalement tenus de proposer l'entretien et que les femmes en difficulté psychologique pouvaient en profiter.

Si on a supprimé l'obligation en 2002, c'est parce que tous les intervenants ont dit qu'elle était un facteur de retard dans l'accès à l'IVG et qu'il était très mal vécu par les femmes de devoir préalablement obtenir un « papier ». C'est donc par respect des femmes que l'entretien n'est plus obligatoire.

Mme Marie-Josèphe Creps a relevé que beaucoup de femmes étaient venues contraintes à l'entretien, mais que celui-ci leur avait fait du bien parce qu'elles avaient pu parler des raisons de leur avortement.

Mme Bérengère Poletti a noté que, si les représentantes du CLER Amour et Famille semblent avoir à cœur la vraie écoute des personnes, il n'est pas sûr que ce soit le cas de tout le monde : on a signalé des cas où ces entretiens avaient été très déstabilisants pour les femmes.

Mme Christine Morel a répondu que les intervenantes du CLER Amour et Famille étaient formées pour faire ce genre d'entretien, ce qui n'est pas le cas de tout le monde.

Elle a cité le cas d'une femme de ménage qui ne supportait pas l'idée de continuer à travailler pendant sa sixième grossesse. Mais ce couple musulman était écrasé de chagrin à l'idée d'un avortement vécu comme un pêché. Après une heure d'entretien, il est apparu qu'un arrêt de travail par un médecin complaisant pourrait être une solution, et le couple est reparti rayonnant. Peut-on nier dans ce cas l'utilité de l'entretien ?

Mme Christiane Férot a ajouté que l'entretien était le lieu pour dire l'affect, le lieu du transfert, le lieu où déposer une histoire de couple qui, sinon, n'aurait aucun écho.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est dite plutôt favorable à l'entretien, à condition qu'il soit fait correctement.

Mme Bérengère Poletti a insisté sur le fait qu'il pouvait entraîner un retard, compte tenu de l'engorgement des centres d'orthogénie.

Mme Christine Morel a jugé l'argument du retard moins recevable depuis qu'on a augmenté les délais de recours à l'IVG.

Mme Danielle Bousquet a rappelé que l'obligation avait non seulement entraîné des retards, mais aussi été le prétexte à des entretiens dissuasifs, et que les auditions avaient montré l'hostilité de tous à l'obligation, au motif que l'on n'a pas à intervenir dans le choix de la femme. Il ne faut pas sous-estimer l'action de ceux qui s'opposent à cette liberté : il y a quelques jours, sur le site du ministère de la santé, si on tapait « IVG », on obtenait la liste des associations qui militent contre...

Mme Christiane Férot a observé que l'entretien était aussi le lieu où l'on donnait à la femme des informations sur les aides matérielles dont elle pouvait bénéficier en cas de naissance.

Mme Bérengère Poletti a souligné que, lorsque une femme fait la démarche de demander l'IVG à son médecin, sa décision est largement prise et que l'obligation d'entretien peut alors être perçue comme un processus de culpabilisation, une façon de lui demander « mais pourquoi ne voulez-vous pas de cet enfant alors que tout est prévu pour votre confort ? ». Car tout le monde n'a pas la même délicatesse que les intervenantes du CLER Amour et Famille...

Peut-être faut-il que les médecins conseillent davantage à celles qui s'interrogent, qui ont besoin de parler, de recourir à l'entretien, mais sans restaurer pour autant l'obligation.

Mme Marie-Josèphe Creps a dit que c'était surtout le respect de la personne qui était en jeu : lors de l'entretien, on n'est plus considérée comme une femme qui va avorter mais comme une femme tout court, et on peut en ressortir davantage debout.

Mme Christine Morel s'est demandé s'il ne serait pas utile de mener des campagnes en faveur de la contraception, alors que l'on communique presque exclusivement sur le préservatif ?

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a indiqué que ce serait une des premières propositions de la Délégation.

Mme Bérengère Poletti a observé qu'il fallait mieux connaître la contraception mais aussi mieux se connaître soi-même. Or les jeunes filles ne notent plus leurs règles. Par ailleurs l'oubli de pilule est une cause importante de grossesse non désirée.

Mme Marie-Josèphe Creps a rappelé que l'entretien permettait aussi de parler de contraception, de dire que, contrairement à une idée reçue, le premier rapport pouvait être fécond, que le retrait, le « faire attention », n'étaient pas des méthodes valables.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné qu'il fallait parler de la pilule mais aussi des autres moyens de contraception.

Mme Christiane Férot a souhaité qu'on favorise le libre choix, en donnant sa juste place à la méthode d'observation des cycles, qui n'est absolument pas d'arrière-garde.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a conclu cette audition en remerciant les intervenantes du CLER Amour et Famille.

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