DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 13

Mardi 15 février 2005
(Séance de 17 heures )

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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Auditions sur le thème de l'égalité salariale de :

- Mme Frédérique Dupont, secrétaire confédérale de la Confédération générale du travail. (CGT)

- Mme Michèle Monrique, secrétaire confédérale de la Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO)

- Mme Danièle Karniewicz, secrétaire nationale du pôle protection sociale de la Confédération générale des cadres (CFE-CGC)

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Frédérique Dupont, secrétaire confédérale de la CGT et de M. Michel Miné, juriste.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a indiqué que la Délégation a décidé d'entendre les partenaires sociaux dans la perspective de l'examen du projet de loi relatif à l'égalité salariale.

Si on ne peut que se féliciter que le Président de la République ait affirmé la nécessité de parvenir à l'égalité de rémunération entre hommes et femmes d'ici cinq ans, on peut toutefois se demander pourquoi les textes précédents, notamment la loi de 1972, qui posait le principe « à travail de valeur égale, salaire égal », puis la « loi Roudy » de 1983 et la « loi Génisson » du 9 mai 2001, n'y ont pas suffi. Sans doute cela renvoie-t-il à l'enquête très intéressante de la Délégation aux droits des femmes du Sénat sur l'application de la loi. Il est frustrant, pour le législateur, de constater que les textes qu'il vote ne sont pas appliqués.

M. Michel Miné, après avoir précisé qu'il n'intervenait pas en qualité de représentant de la CGT mais de juriste, a souligné toute l'importance de l'apport du droit communautaire depuis vingt-cinq ans avec notamment la notion fondamentale de discrimination indirecte transposée en droit français, avec beaucoup de retard, par la loi du 16 novembre 2001, ainsi que le concept de comparaison hypothétique, qui permet de comparer des emplois à dominante féminine avec ce qu'ils seraient s'ils étaient occupés par des hommes. Si ce dernier est déjà utilisé au Canada et au Royaume-Uni, il n'en est qu'à ses débuts en France. La CGT vient d'ailleurs de lancer une étude à ce propos.

Mme Catherine Génisson a jugé la démarche intéressante, mais s'est demandé si elle ne figeait pas les hommes et les femmes à une place déterminée.

M. Michel Miné a souligné qu'au nom de la mixité, on ne va pas changer du jour au lendemain le fait qu'il y a des emplois majoritairement féminins. Il s'agit d'utiliser un outil juridique pour revaloriser les salaires dans des professions essentiellement occupées par des femmes.

S'agissant de l'absence de sanctions et de poursuites pénales, il a souligné également que les procureurs de la République sont trop peu sensibilisés aux questions de discrimination, et que les procès-verbaux des inspecteurs du travail sont trop souvent classés sans suite quand il n'y a pas de constitution de partie civile. Sous l'influence du droit communautaire, les syndicats privilégient donc l'action civile pour obtenir une réparation pour la femme dont les droits n'ont pas été respectés.

Par ailleurs, la démarche de mainstreaming gender permet d'aborder la question des inégalités de rémunération comme la résultante d'autres inégalités. Or, légiférer sur l'égalité salariale risque de n'être guère efficace si l'on ne s'interroge pas sur les causes des discriminations.

On observe même qu'un certain nombre de textes votés depuis quelques mois sont de nature à aggraver les inégalités de salaire. Tel est le cas du texte adopté en première lecture le 9 février dernier, qui permet que les salariés acceptent par un accord individuel de faire des heures supplémentaires au-delà du contingent réglementaire conventionnel. On sait que ces heures seront effectuées en priorité par ceux qui n'ont pas de charges de familles, auxquels l'employeur, sans volonté discriminante, va confier les tâches les plus intéressantes, ce qui le conduira ensuite à les rémunérer davantage. Il y a donc bien là un effet de discrimination indirecte dans la mesure où ce sont très majoritairement les femmes qui s'occupent des enfants.

Il serait donc extrêmement utile que le législateur intègre la notion de discrimination indirecte dans sa réflexion et sa production normative, ce qui le conduirait à s'interroger sur les effets potentiellement négatifs pour les femmes de tous les textes relatifs au droit social qui lui sont soumis. Cela pourrait faire partie des missions de la Délégation, qui pourrait en cela s'appuyer sur plus de 200 décisions de la Cour de justice des communautés européennes.

On semble lier les difficultés de mise en œuvre de la loi de 2001 à l'absence de sanctions pénales prononcées. Mais le texte se heurte d'abord à de fortes pesanteurs sociologiques et à des stéréotypes persistants. Et ce n'est certainement pas par hasard que le titre premier de l'accord national interprofessionnel du 1er mars 2004 porte sur « l'évolution des mentalités ». Le MEDEF s'est d'ailleurs rallié à l'objectif de supprimer les stéréotypes sexuels en développant une politique de communication interne. Dans ce cadre, l'accord signé aux Eaux de Paris prévoit explicitement la formation du management à ces questions.

Parler de « délit d'entrave » dans ce contexte paraît quelque peu dépassé. Car ce qui est intéressant, ce n'est pas la poursuite pénale. Au lieu de faire condamner, deux ans plus tard, l'employeur à 2 000 euros d'amende, mieux vaut que le tribunal de grande instance lui ordonne d'ouvrir des négociations au cours desquelles les organisations syndicales pourront jouer tout leur rôle.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est demandé pourquoi, dans ce cas, des actions civiles n'étaient pas systématiquement intentées dans les 72 % d'entreprises qui n'ont rien fait en faveur de l'égalité professionnelle. Elle a souhaité que M. Michel Miné puisse donner quelques exemples.

M. Michel Miné, après avoir cité le cas d'une grande entreprise de tabac de la région d'Orléans, a dit que son propos était surtout de montrer que le syndicat avait intérêt à imposer des négociations, sur cette question comme sur celle du temps de travail.

On observe d'ailleurs aussi que les négociations sur l'égalité salariale ne sont pas toujours authentiques : l'employeur arrive avec ses propositions ; si elles ne conviennent pas aux syndicats, il y a constat de désaccord et on se retrouve un an plus tard... Pourtant, si on considère que le droit du travail doit être avant tout un droit négocié, la négociation doit être « loyale » au sens de la jurisprudence, c'est-à-dire que l'entrepreneur doit fournir des informations pertinentes, laisser aux syndicats le temps d'informer les salariés et de faire des propositions alternatives. Lorsque tel n'est pas le cas, la CGT saisit parfois le tribunal de grande instance ; c'est ainsi que la Lyonnaise des Eaux a vu son accord annulé. Il est d'autant plus intéressant de s'intéresser à la manière dont s'élabore la norme conventionnelle que des textes récents, notamment la « réforme Fillon » du 4 mai 2004, ignorent le processus de négociation.

Mme Catherine Génisson a rappelé que la loi de 2001 prévoit l'obligation d'ouvrir des négociations, spécifiques ou intégrées.

M. Michel Miné a fait observer que les entreprises ne savaient pas négocier.

Mme Muguette Jacquaint a souligné que l'on avait pu le constater, récemment encore, chez H & M.

M. Michel Miné a rappelé que les syndicats disposent, depuis la « loi Roudy » de 1983, d'un droit de substitution. Les femmes hésitent néanmoins à aller en justice car cela peut être extrêmement dangereux. Ainsi, le premier cas depuis 1983 de licenciement, de représailles, d'une femme ayant réclamé le versement des mêmes primes que ses collègues masculins n'a été jugé par la chambre sociale de la Cour de cassation que le 28 novembre 2000. On mesure là le temps qui est nécessaire au corps social et à la justice pour intégrer ces évolutions...

Les femmes qui franchissent le pas de l'action en justice n'ont donc pas besoin que le syndicat se substitue à elles. En revanche, il peut les aider à monter le dossier et intervenir à leurs côtés lors du procès. Malheureusement, alors que les défenseurs syndicaux sont parfois plus efficaces que les avocats, notamment non spécialisés, en raison de leur connaissance de l'entreprise, ils sont aujourd'hui, faute d'un statut, en nombre très insuffisant

Mme Catherine Génisson a rappelé qu'en effet, la loi de lutte contre les discriminations a ouvert aux associations la possibilité de se substituer aux salariés.

Mme Muguette Jacquaint a insisté sur la nécessité de donner aux défenseurs syndicaux un statut, une formation, et un plus grand nombre d'heures de délégation.

M. Michel Miné a observé que la CGT a fait des propositions pour renforcer le rôle des défenseurs syndicaux, notamment dans les petites entreprises, où on trouve le plus de salariées et où il n'y a pas de syndicat.

Concernant le rôle de l'inspection du travail, il faut tout d'abord observer que la crise d'effectifs qu'elle connaît depuis sa création ne risque pas de se résorber au moment où le droit du travail devient de plus en plus complexe et où la précarité s'aggrave. Faute de pouvoir vérifier l'application de tous les textes, les inspecteurs se préoccupent en priorité des affaires qui mettent en jeu l'intégrité physique des salariés et ont tendance à laisser de côté des questions comme celle de l'égalité salariale. Même lorsqu'ils enquêtent, leurs procès-verbaux sont très souvent classés sans suite par les parquets, qui ont d'autant plus de mal à comprendre l'importance de la discrimination que ces affaires sont noyées dans le contentieux social, lui-même noyé dans d'autres contentieux. Un tribunal correctionnel traite de coups et blessures, d'agressions, parfois d'accidents du travail, etc. et seulement parfois de discrimination.

Il est donc là aussi plus intéressant, lorsqu'un inspecteur du travail s'investit sur un dossier de ce type, de se placer sur le terrain civil devant les conseils de prud'hommes, lesquels pourront ordonner la reclassification de la femme à son véritable niveau de compétence et de salaire. Malheureusement, l'administration du travail semble trop souvent réticente à se placer sur le terrain civil.

S'agissant de l'objectif de parvenir à l'égalité de salaire d'ici cinq ans, mieux vaudrait tout d'abord parler d'égalité de rémunération, dont le salaire n'est qu'un élément. En effet, les inégalités sont souvent liées à une politique de primes, d'accessoires et d'avantages.

Mme Catherine Génisson a fait observer que cela valait aussi dans la fonction publique : plus les primes sont importantes, plus les inégalités sont fortes.

M. Michel Miné a rappelé que l'article 119 du traité de Rome se fixait, en 1957, l'objectif ambitieux mais irréaliste d'imposer l'égalité de rémunération pour un travail identique dans tout le Marché commun dans un délai de cinq ans... On voit bien l'importance de travailler sur les causes des inégalités, ce pour quoi le droit existant semble suffisant.

Cela étant, une nouvelle loi pourrait permettre d'avancer sur un certain nombre de sujets. Ainsi, il est anormal que les heures complémentaires des salariés à temps partiel soient moins bien rémunérées que les heures supplémentaires des salariés à temps plein, alors qu'un arrêt du 27 mai 2004 de la Cour de justice interdit que les salariés à temps partiel - en majorité des femmes - soient moins bien traités que les salariés à temps plein.

Mme Catherine Génisson a souligné que la loi de cohésion sociale est revenue sur un certain nombre de dispositions relatives aux conditions de recours au temps partiel qui figuraient dans la loi dite « Aubry II ». Ainsi, le délai de prévenance a été ramené de sept à trois jours.

M. Michel Miné a préconisé que le rapport de situation comparée modifié par la loi de 2001 comporte des informations complémentaires sur le salaire médian et sur le temps passé dans un coefficient, car il apparaît que les femmes restent plus longtemps dans le même coefficient.

Mme Catherine Génisson a relevé que cela avait des effets sur les retraites des femmes, surtout après la réforme qui est intervenue. Il importe donc, au-delà de la question de l'égalité salariale, de traiter de l'égalité professionnelle et de la précarité.

M. Michel Miné a insisté sur l'importance de l'accord du 1er mars 2004. Même s'ils répondent parfois à une volonté d'affichage, les accords signés par les grandes entreprises comportent des dispositions intéressantes. L'essentiel est de prévoir des outils de diagnostic, des objectifs précis, un dispositif de suivi et d'évaluation. C'est ainsi qu'on peut vérifier si un accord permet réellement de modifier la situation des femmes dans l'entreprise, ou si on s'en remet à la bonne volonté d'un chef de service. L'accord de la Caisse des Dépôts est sans doute le plus élaboré en matière de suivi et de diagnostic. L'accord des Eaux de Paris fait du traitement de la question de l'égalité non un gadget mais un élément de la gestion du personnel. Surtout, il aborde enfin les questions d'organisation du travail en prévoyant une évaluation paritaire des risques professionnels par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

Il est essentiel de travailler sur cette question, qui est souvent à l'origine de la discrimination : les intitulés de postes ne sont pas identiques, les femmes et les hommes ont les mêmes fonctions mais pas le même travail, etc. Ainsi, dans une entreprise de la métallurgie, hommes et femmes travaillent sur les mêmes machines mais, en cas de panne, les hommes peuvent réparer eux-mêmes tandis que les femmes doivent faire appel au service technique. Les premiers acquièrent ainsi une compétence qui leur permet ensuite d'accéder à la maintenance. Ailleurs, une femme gestionnaire est classée comme secrétaire, alors qu'un homme est tout simplement gestionnaire. Heureusement, le juge examine désormais le contenu du poste et les tâches.

S'agissant de la parentalité, on commence à appliquer en France le droit communautaire qui assimile le congé de maternité à du temps de travail pour le déroulement de carrière. Interrogée pour la première fois en 1998 par la Cour de cassation française, la Cour de justice l'a confirmé explicitement. Une directive du 23 septembre 2002 prévoit en outre que la femme en congé de maternité doit bénéficier de toutes les augmentations de salaire qu'elle aurait perçues si elle avait été présente.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé qu'elle avait trouvé scandaleux, lors du débat sur les retraites, que l'on tienne compte du service militaire mais pas du congé de maternité. On peut se demander dans quel cas on a le mieux servi la France...

M. Michel Miné a cité le cas d'une entreprise où, quand les hommes ont demandé à bénéficier de l'aménagement d'horaire prévu le jour de la rentrée des classes, l'employeur a menacé de supprimer la mesure pour les femmes...

Le fait que l'accord national interprofessionnel traite de la lutte contre les stéréotypes et le harcèlement sexuel montre que les organisations d'employeurs ont évolué : en 1992, elles contestaient jusqu'à la nécessité de la « loi Neiertz » sur le harcèlement sexuel. Or, cela n'est pas sans influence sur l'égalité salariale : quand les femmes travaillent dans un environnement défavorable, elles ne sont guère enclines à revendiquer le respect de leurs droits. Ce que l'accord national a fait, le législateur pourrait le faire aussi en liant action contre les stéréotypes et égalité de rémunération.

Mme Frédérique Dupont a souhaité à son tour insister sur la portée de l'accord interprofessionnel. Ce qui importe, ce n'est pas seulement le rattrapage des salaires, mais d'avoir une vision politique pour rendre l'égalité pérenne. C'est sans doute en travaillant sur les pratiques intégrées que l'on fera évoluer toute la société.

Il est aussi très important de se demander systématiquement ce que toute mesure proposée implique pour les femmes. Ainsi, c'est seulement au cours du débat sur les retraites qu'on a vu, collectivement, ce que la réforme signifiait pour les femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a regretté que les recommandations de la Délégation concernant les retraites des femmes n'aient pas été suivies.

Mme Frédérique Dupont a aussi insisté sur le fait que la plupart des entreprises sont dépourvues de toute représentation syndicale. Il faut donner aux femmes les moyens de négocier. Même si elle n'était pas favorable au mandatement dans le cadre des 35 heures, la CGT travaille maintenant sur cette base. Il est inadmissible que les droits des salariés diffèrent selon la taille de l'entreprise. Avant même de réclamer le droit de défendre les femmes, il faut insister sur le droit à la négociation, c'est ce que les femmes réclament.

Mme Catherine Génisson a observé que, si tous les syndicats comptent désormais des femmes parmi leurs cadres nationaux, les déléguées syndicales restent peu nombreuses, alors qu'elles sont particulièrement compétentes, par exemple sur les questions d'organisation du travail.

Mme Frédérique Dupont a répondu que la CGT prenait des initiatives pour qu'elles soient plus nombreuses et qu'elle avait fait beaucoup d'efforts dans le cadre des élections prud'homales, mais il est vrai que l'exercice par les femmes du mandat au sein des entreprises reste extrêmement difficile. Même dans un syndicat, il est difficile de partager le pouvoir... Pourtant, les femmes peuvent apporter un autre regard dans le combat syndical. Elles sont ainsi plus réticentes à mener des combats durs. Mais il y a aussi la réalité de l'entreprise et des rapports entre l'employeur et les syndicats : comme l'a dit Michel Miné, les employeurs ne savent pas négocier...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a demandé si la CGT avait été consultée dans le cadre de la préparation de la nouvelle loi.

Mme Frédérique Dupont a répondu que la table ronde prévue avait été annulée et qu'elle-même était consultée surtout par les journalistes...

Mme Muguette Jacquaint a posé le problème des sous-traitants et des petites entreprises dépourvues de représentation syndicale.

M. Michel Miné a insisté sur la nécessité d'inclure les sous-traitants dans les négociations avec les branches des donneurs d'ordre pour que ces négociations soient utiles.

Mme Frédérique Dupont a souligné que l'accord du 1er mars a créé une dynamique, qu'il suscite des espoirs et des attentes. Les derniers sondages montrent que cette préoccupation est désormais essentielle pour les salariés. En revanche, l'accord n'a guère incité les entreprises à négocier et la CGT lancera une campagne sur ce thème le 8 mars, d'autant que les deux tiers des employeurs négligent la négociation annuelle obligatoire.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a proposé qu'une nouvelle rencontre ait lieu lorsque que le texte du projet de loi sera disponible.

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a ensuite entendu Mme Michèle Monrique, secrétaire confédérale de la Confédération générale du Travail-Force ouvrière.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé que la Délégation a souhaité entendre les représentants des syndicats dans la perspective de l'examen d'un nouveau projet de loi sur l'égalité salariale.

Mme Michèle Monrique a relevé que des sujets liés à l'égalité des chances ont été abordés lors d'une table ronde organisée par M. Jean-Pierre Raffarin, premier ministre, en présence de MM. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, et de Mmes Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, et Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. On ne peut qu'être ravi de l'idée de réduire les écarts salariaux entre hommes et femmes en cinq ans, alors qu'il ne s'est pratiquement rien passé depuis 1972... Cela dit, on ne peut bien sûr que se rallier à cet objectif et, sans en attendre de miracle, espérer que quelques petits pas permettront ainsi d'avancer.

Force ouvrière a déjà participé à des réunions avec Mme Nicole Ameline et a fait des propositions en faveur de l'égalité salariale. Mais la table ronde prévue dans le cadre de la préparation de la nouvelle loi a été reportée trois fois, sans doute parce que les patrons ont réagi violemment.

Il convient tout d'abord de faire le bilan de ce qui a déjà été fait : un certain nombre d'actions ont été conduites depuis 1972, mais on se rend compte qu'en dépit de la bonne volonté des uns et des autres, les choses ne sont pas simples. On parle, on légifère, mais tout cela ne fonctionne pas vraiment de façon efficace.

Une campagne de sensibilisation au thème de l'égalité est menée au sein de Force ouvrière. Pourtant, il faut absolument utiliser la fenêtre de tir actuelle, on entre dans une période de renversement démographique susceptible d'ouvertures d'emplois. Pour autant, il ne faudrait pas que le patronat mette cette mutation démographique à profit pour embaucher des femmes - ou des immigrés - à bas prix.

Quoi qu'il en soit, il faut s'inscrire dans ce mouvement et faire en sorte qu'il tire l'économie vers le haut : un salaire égal pour le même travail ou pour un travail de valeur égale relève tout simplement de l'esprit républicain.

S'agissant des actions judiciaires qui seraient mises en œuvre par les syndicats en matière d'égalité professionnelle, pour Force ouvrière, il s'agit d'un dernier recours. D'ailleurs, toutes les structures de l'organisation ont été interrogées et aucune n'a à ce jour signalé d'action en cours. Peut-être conviendrait-il de s'adresser aux ministères concernés pour obtenir un recensement plus complet.

Du côté de l'inspection du travail, pourtant chargée de constater les infractions, les informations sont tout aussi parcellaires. Une enquête approfondie pourrait être menée par le ministère du travail et ses services déconcentrés. Il semble que les délégués syndicaux font appel à l'inspection du travail en cas de blocage dans l'entreprise, soit pour obtenir des informations, soit dans le cas d'un rapport annuel de situation comparée. Il apparaît toutefois que les inspecteurs sont saisis pour des raisons considérées comme « fondamentales », mais plus rarement en matière d'égalité professionnelle. Cela est vrai aussi dans les négociations collectives car l'égalité n'a pas encore été totalement intégrée dans la culture de tous les négociateurs. Il faudrait en outre que les inspecteurs du travail soient plus nombreux et sensibilisés pour s'attaquer à ces inégalités récurrentes.

Mme Catherine Génisson a observé que cela supposait une injonction forte qui vienne d'en haut... Si on veut passer de l'effet d'annonce au concret, il faut également dégager des moyens.

Mme Michèle Monrique a ajouté que l'égalité n'était pas non plus, faute d'injonction, une priorité des directions du travail : on commence seulement à disposer de données sexuées.

Il semble que la législation existante serait suffisante pour parvenir à l'objectif d'égalité salariale dans un délai de cinq ans. Toutefois, l'arsenal juridique existant n'a eu que peu d'effets directs sur l'égalité salariale.

On observe depuis trois ans une intensification des négociations sur ce thème, grâce aux instruments juridiques concrets de la loi de 2001- les fameux indicateurs pertinents du rapport de situation comparée et l'obligation de négocier. Pourtant, il faut encore se battre. Ainsi, le MEDEF a obstinément refusé que des indicateurs pertinents figurent dans l'accord national interprofessionnel. On constate aussi que ce champ est peu exploré dans la négociation collective de branche. Peut-être convient-il par conséquent de légiférer à nouveau pour renforcer l'application de ce qui existe déjà, mais j'en doute !

Pour résorber les écarts salariaux d'ici 2010, il faut d'abord partir d'un tableau précis de la situation actuelle. Les chiffres de l'INSEE montrent la persistance d'un écart de 22 % en faveur des hommes en début de carrière. Le rapport de situation comparée des hommes et des femmes prévu dans les entreprises de plus de 50 salariés comporte des indicateurs obligatoires relatifs à la rémunération : les données chiffrées par sexe selon les catégories d'emploi, l'éventail des rémunérations, les rémunérations moyennes mensuelles et le nombre de femmes parmi les titulaires des dix plus hautes rémunérations. On remarque que dans la pratique de nombreuses entreprises, telle que rapportée par les délégués syndicaux, certains éléments font défaut, qui permettraient de tirer une conclusion sur l'existence ou non d'une discrimination, ou du moins d'écarts injustifiés. Les délégués sont ainsi trop souvent contraints de réclamer des détails.

C'est pour ces raisons que Force ouvrière réclame de nouveaux indicateurs pertinents obligatoires sur les rémunérations.

Mme Catherine Génisson a noté que cela relevait du décret et non de la loi.

Mme Michèle Monrique a dit qu'il faudrait au moins préciser si on parle de rémunération brute, nette ou perçue, et indiquer tout ce qui est accessoire au salaire, car c'est souvent là que se creusent les écarts, y compris dans la fonction publique.

Mme Catherine Génisson a confirmé que le système des primes était très discriminant.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné à quel point il est frustrant pour le législateur de constater que la loi n'est pas appliquée. Mais est-ce une raison suffisante pour légiférer à nouveau ?

Mme Michèle Monrique a rappelé avoir dit à Mme Nicole Ameline qu'elle serait déjà satisfaite si on appliquait la loi de 1972 ! Il faut donc s'en donner les moyens et, puisqu'il serait grave que la question de l'égalité ne soit qu'un artifice électoral, se battre pour qu'elle soit davantage appliquée.

A titre d'exemple, FO a considéré que mettre l'accent, dans la lettre paritaire de juillet 2004, sur le problème des installations sanitaires était un manque de respect pour les femmes. Le MEDEF ayant refusé de retirer ce point de la lettre paritaire, FO ne l'a pas signée.

Aujourd'hui, c'est le MEDEF qui grogne, et la seule façon de le faire cesser est de lui donner des compensations. Il est vrai qu'on ne peut demander aux entreprises où il y a un écart de salaire de 10 % un rattrapage immédiat : il faut un délai, un échelonnement. Mais on peut aussi craindre que les départs massifs à la retraite qui se profilent ne soient le prétexte pour faire de l'égalité par le bas, pour faire des femmes un vecteur de dumping social. Il serait quand même terrible, après avoir affiché un objectif aussi ambitieux, d'en arriver à une situation pire pour les femmes !

Quand on aura fait le tour de ce qui fonde les inégalités salariales, on pourra aussi regarder comment se passent les négociations spécifiques sur l'égalité professionnelle, car peu d'efforts sont faits. Quelques mesures correctrices pourraient donc être intégrées à la législation, notamment un plan d'égalité salariale contenant des mesures de rattrapage des rémunérations perçues par des femmes par rapport à celles perçues par des hommes pour un travail égal.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est demandé si le MEDEF pourrait accepter de telles mesures.

Mme Michèle Monrique a répondu que des succès ont déjà été obtenus auprès de certains patrons. Ainsi, chez Peugeot, il a été décidé de valoriser la rémunération du temps partiel pris par les salariés en raison de leurs responsabilités familiales. L'accord chez EDF-GDF est bon également.

On pourrait aussi augmenter la quotité minimale du temps partiel et faire en sorte que le retour à temps plein soit possible.

Mme Catherine Génisson a observé que cela était déjà prévu par la « loi Aubry II ». Il est vrai que la loi de cohésion sociale a mis à bas un certain nombre de dispositifs protecteurs en matière de délai de prévenance, d'intégration dans le contrat de travail des heures complémentaires répétées, de durée de l'interruption de travail entre deux postes, etc. On peut donc douter que le MEDEF accepte d'autres contraintes...

Mme Muguette Jacquaint s'est demandé si le fait de dire que les PME ne pourront pas procéder au rattrapage des écarts salariaux sans être aidées n'accrédite pas l'idée qu'il faut prendre des femmes, pour le même emploi, parce que ça coûte moins cher. C'est ce qu'on pourrait appeler la « prime à la femme »...

Mme Michèle Monrique a indiqué qu'on pouvait s'attendre à ce que des aides soient accordées aux entreprises qui proposent des services à la personne ou des crèches.

Mme Catherine Génisson a considéré qu'on pouvait demander à l'entreprise de respecter le code du travail, ainsi que les autres temps de vie ; mais lui appartient-il d'organiser des crèches ? Le MEDEF a d'ailleurs lancé des crèches interentreprises avec des horaires très étendus. Or, les syndicats ne sont pas présents dans la définition de ces programmes. Le patronat ne va-t-il pas ainsi s'exonérer de ses obligations en matière d'égalité, en perpétuant le stéréotype de la femme qui s'occupe des enfants ?

Mme Michèle Monrique a observé que ces initiatives semblent bien vues par les salariés. Le problème, c'est qu'elles sont largement subventionnées, alors qu'on manque d'argent pour construire des crèches municipales !

Pour combattre une des causes des inégalités salariales, il conviendrait par ailleurs de neutraliser les effets de tous les congés longs pour raison parentale. Le MEDEF a simplement accepté, s'en tenant à une vision paternaliste, qu'on tienne la femme au courant de ce qui se passe dans l'entreprise pendant son congé de maternité...

Mme Catherine Génisson a souligné la nécessité d'appliquer la directive européenne et de faire en sorte que la femme garde tous ses droits pendant le congé de maternité.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a suggéré que cette directive soit transposée à l'occasion de la future loi.

Mme Michèle Monrique a proposé qu'on envisage aussi un plan de revalorisation des emplois fortement féminisés, pour lesquels les salaires ne progressent plus du tout. Ne pourrait-on ainsi favoriser la validation des acquis de l'expérience ? Il serait également souhaitable qu'un plan de promotion permette aux femmes d'accéder aux niveaux d'emploi supérieurs et aux catégories professionnelles au-delà du « plafond de verre ». En matière d'ancienneté, on pourrait concevoir un mécanisme de maintien de la rémunération à l'occasion des congés conventionnels supplémentaires liés aux responsabilités familiales, qui grèvent la carrière des femmes. Cela permettrait peut-être d'éviter que la majorité des femmes se retrouvent au seuil de pauvreté au moment de leur retraite.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a regretté que personne ne semble prendre conscience de la gravité de ce problème.

Mme Michèle Monrique s'est demandée si cela ne tenait pas tout simplement au fait que ce sont toujours les hommes qui, très majoritairement, font la loi.

Mme Catherine Génisson a noté que le projet de loi d'orientation pour l'école parle d'égalité des chances des handicapés, mais pas de l'égalité entre filles et garçons.

Mme Michèle Monrique a proposé qu'on prenne comme référence l'accord intervenu chez Renault le 17 février 2004, qui prend en compte les durées d'absence liées aux congés de maternité, paternité et adoption, désormais considérés comme temps de travail effectif. Il faudrait aussi appliquer la moyenne des augmentations de salaire de la catégorie du salarié en cas d'absence pour raison parentale. Cela permettrait que certains écarts se réduisent et qu'on cesse de considérer que la maternité est « l'accident de parcours » de la femme qui a fait des études supérieures longues... Certains patrons exigent même, en toute illégalité, que les femmes de haut niveau qu'ils recrutent ne fassent pas d'enfants !

On pourrait aussi s'inspirer des dispositions intéressantes des accords Thalès, France Télécom, Caisse des Dépôts. Les grandes entreprises répondent ainsi à un besoin d'affichage, d'autant qu'elles se rendent compte qu'elles vont avoir besoin de la main-d'œuvre féminine.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est inquiétée à l'idée que les femmes obtiennent des avancées pour ce motif.

Mme Michèle Monrique a souligné que, pour Force ouvrière, le vrai problème est de savoir où commence et où finit l'égalité professionnelle, ce qui ramène à la nécessité d'un bilan. Il faut aussi affirmer que l'inégalité salariale n'est pas une fatalité. Pour cela, il faudrait que, dans tous les rouages, les femmes soient là pour dire ces inégalités.

Les employeurs vont vouloir employer les femmes à bas prix, tout en cherchant à bénéficier d'allégements fiscaux. Pour atteindre l'objectif fixé par le Président de la République, l'Etat va ainsi devoir payer...

Il est quand même triste que, dans une république dont la devise est « Liberté, égalité, fraternité », la moitié de la population ne soit pas respectée. Aussi, s'il est bon que le Président dise les choses, il faut se battre pour qu'on n'aille pas vers l'égalité salariale avec une politique de bas salaires.

S'agissant du projet de loi, elle s'est demandé comment, alors que la table ronde a encore été repoussée, le texte pourrait être examiné comme prévu le 9 mars en Conseil des ministres.

Il est vrai que la table ronde sur l'égalité des chances n'a pas donné grand chose : on donne un an à la négociation collective, puis on fera un bilan, mais il n'y aura pas de loi.

Pour l'égalité salariale, on ne peut que souhaiter que l'objectif des cinq ans soit tenu, mais on a un peu de mal à y croire...

Mme Muguette Jacquaint a souligné qu'à un moment où on parle beaucoup de valoriser le travail, l'égalité salariale semble incontournable. De même, quand on dit qu'on va lutter contre la pauvreté, comment ne pas voir que la grande majorité des pauvres sont des femmes ?

Mme Michèle Monrique a prédit qu'il y aurait encore bien plus de salariées pauvres dans dix ans.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a observé que les parlementaires sauront au moins que la Délégation aux droits des femmes a accompli son devoir d'alerte car, au-delà du vote des lois, les députés ont aussi une fonction d'information.

Dès que le projet de loi sera déposé, la Délégation procédera à de nouvelles auditions et prendra clairement position.

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a enfin entendu Mme Danièle Karniewicz, secrétaire nationale du pôle protection sociale de la CFE-CGC, accompagnée de Mme Carole Couvert.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a indiqué que la Délégation entendra avec intérêt Mmes Danièle Karniewicz et Carole Couvert donner leur opinion sur la proposition du Président de la République tendant à l'élaboration d'une nouvelle loi relative à l'égalité salariale, commenter l'application de la loi du 9 mai 2001, dire comment le nouveau texte pourrait s'intégrer dans la législation existante et quelles dispositions il devrait contenir pour être appliqué, sachant que les lois de 1972, 1983 et 2001 ne le sont pas.

Mme Danièle Karniewicz a rappelé les conclusions de l'enquête réalisée par le Sénat en décembre 2004 : il subsiste un fort écart de rémunération entre les hommes et les femmes, et les dispositions légales à ce sujet sont insuffisamment appliquées. Il faut cerner les causes de cet écart avant de prétendre le combler, mais aussi s'interroger sur les sanctions prévues par les textes. Une loi peut-elle suffire si les contrôles et les pénalités ne sont pas effectifs ? Même si l'on se refuse à raisonner sur le mode répressif, force est de constater que la pénalité encourue par les employeurs qui ne respectent pas les dispositions légales est ridicule : elle plafonne à 3 500 euros.

Mme Carole Couvert a ajouté que, rapporté au coût d'une négociation sur l'égalité professionnelle, ces 3 500 euros sont véritablement négligeables, et le dispositif donc fort peu incitatif pour les chefs d'entreprise. D'autre part, le rapport de situation comparée est effectivement un document indispensable, mais encore faut-il que les entreprises se donnent les moyens de l'établir, et toutes ne le peuvent pas. En outre, il y a souvent confusion entre bilan social et rapport de situation comparée, si bien qu'il revient fréquemment aux délégués syndicaux de procéder au recensement des données nécessaires à l'établissement du rapport tel qu'il devrait être.

Mme Catherine Génisson a dit partager le constat d'un télescopage entre bilan social et rapport de situation comparée, qui conduit, bien souvent, à ce que les entreprises se limitent au bilan social.

Mme Danièle Karniewicz a souligné que traiter d'égalité salariale suppose d'avoir préalablement défini ce dont on parle. Or, au salaire de base s'ajoute la partie variable de la rémunération - d'une particulière importance pour les cadres, auxquels sont fixés des objectifs - ainsi que des compléments de salaire. Toute négociation doit se faire sur une base précise ; bien souvent, ce n'est pas le cas.

Mme Carole Couvert a observé qu'il est fondamental que la partie variable soit négociée avec le salarié et qu'elle prenne en compte le temps de travail pour ne pas pénaliser les salariés à temps partiel, dont 80% sont des femmes. Des études complémentaires sont donc nécessaires préalablement aux négociations.

Mme Danièle Karniewicz a précisé que la CFE-CGC demande à ses délégués de négocier ce point dans le cadre des accords d'entreprise. La confédération privilégie en effet l'incitation plutôt que la voie du recours juridique pour parvenir à la réduction des écarts salariaux.

Quelles sont, à cet égard, les possibilités d'action ? L'inégalité peut être liée à la nature même des postes ou des filières, qui n'offrent pas les mêmes perspectives de carrière. Une étude de l'INSEE montre ainsi que les femmes sont majoritairement présentes dans 6 des 31 filières recensées.

Mme Catherine Génisson a précisé que l'on trouve 60 % des femmes dans 30 % des métiers, principalement du secteur intermédiaire et des services.

Mme Carole Couvert a ajouté que la féminisation d'une filière a pour effet de dévaloriser celle-ci et que les salaires des femmes sont d'emblée inférieurs à ceux des hommes à l'embauche. Le fait est que les femmes sont le plus souvent présentes dans des filières où les carrières sont plus lentes et que les femmes cadres sont plus ou moins cantonnées aux domaines du contrôle de gestion ou du contrôle qualité - ce qui est une forme voilée de discrimination.

Ces mécanismes ne sont pas toujours mis en place sciemment, mais à ce jour la démonstration n'a pas été faite de l'enjeu que constitue pour l'entreprise la négociation sur l'égalité professionnelle.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a dit qu'il restait à se convaincre que les entreprises veulent bien négocier sur ce point.

Mme Carole Couvert a répondu que lorsque l'atout économique que cela représente pour elles leur est démontré, elles souhaitent effectivement engager la négociation.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est inquiétée de ce que seul cet argument économique semble porter auprès des entreprises.

Mme Catherine Génisson a fait observer que l'argument économique vaut aussi pour les hommes, puisqu'une entreprise ne consent un avantage à un salarié que si elle en espère un retour.

Mme Danièle Karniewicz a reconnu que l'argument pouvait choquer, mais le fait est qu'il est efficace.

Mme Carole Couvert a exposé que parler d'« enjeu économique », ce peut être aussi souligner l'intérêt de fidéliser le personnel, par exemple en créant des crèches d'entreprise et en respectant les jours de congé et les heures de travail des salariés qui ont charge de famille. Il n'est pas inutile d'engager cette réflexion au sein des entreprises au moment où, démographie aidant, les départs en retraite vont se multiplier, les salariés se raréfier et la concurrence jouer pour les recrutements. Il y a fort à parier que, dans ce contexte, les salariés ne se polariseront pas seulement sur les salaires ; les entreprises n'ont plus que quelques courtes années pour s'en convaincre.

Mme Danièle Karniewicz a ajouté qu'avec l'évolution démographique, les entreprises devront à la fois garder dans l'emploi les salariés les plus âgés et fidéliser les plus jeunes.

Mme Carole Couvert a mentionné une autre approche : la labellisation. Les entreprises pourraient être incitées à se lancer dans une démarche de label « égalité professionnelle », comme certaines se sont lancées dans le commerce équitable.

Le comblement de l'écart salarial aura un coût pour les entreprises. Pour avoir un retour sur cet investissement, elles seraient bien inspirées de tabler sur ce label « égalité professionnelle ».

Mme Danièle Karniewicz a indiqué qu'un autre levier d'action consiste à revoir les grilles de qualification pour garantir, à compétences équivalentes, un salaire égal à l'embauche, comme cela a été fait chez EADS. Mais, comme cela ne suffira pas à réduire l'écart existant, et comme il n'est évidemment pas question de freiner l'avancement des hommes, il faut aussi dégager des moyens supplémentaires destinés exclusivement à la promotion des femmes ; c'est ce que prévoit l'accord sur l'égalité professionnelle signé avec EDF-GDF. Il n'y a pas de progrès possible vers l'égalité salariale sans cette enveloppe complémentaire.

Mme Carole Couvert a ajouté que l'institution de tels mécanismes ne se fait pas sans mal, car ils suscitent le rejet des salariés masculins. Il faut donc les convaincre que de tels accords ne tendent pas à compromettre leur avancement et qu'il s'agit bien de définir une enveloppe complémentaire. Il y faut de la pédagogie...

Mme Danièle Karniewicz a ajouté que cette approche est une incitation à une action volontariste tendant à modifier l'image sociétale de la femme. La CFE-CGC considère que l'on peut atteindre des résultats plus efficaces par ce biais qu'en privilégiant le recours à l'inspection du travail.

Mme Carole Couvert a indiqué qu'un autre levier d'action serait d'insister sur le développement durable. Mais il faudrait pour cela que les agences de notation intègrent les critères liés à l'égalité professionnelle dans leurs grilles d'évaluation des entreprises.

Revenant sur la proposition du Président de la République, Mme Danièle Karniewicz a insisté sur le fait que toute occasion de parler de l'égalité professionnelle est bonne à prendre, tant il est vrai qu'à chaque étape de l'accession à des fonctions de direction, des blocages apparaissent : à chaque fois, les femmes doivent démontrer leur capacité à exercer des postes de responsabilité.

Mme Carole Couvert a souligné que la CFE-CGC a créé en son sein un réseau « Equilibre », chargé de traiter - sur la base de la mixité et non de la parité - de l'égalité professionnelle et de la conciliation des temps de vie ; les hommes qui en font partie sont à présent les meilleurs défenseurs de ces valeurs.

Mme Danièle Karniewicz a précisé que le réseau n'avait acquis de crédibilité qu'après que des hommes s'y furent agrégés. Le débat interne a alors changé de nature, les hommes s'étant convaincus qu'il s'agissait bien de favoriser la mixité.

Mme Catherine Génisson a observé que, si le terme d'« égalité » a un sens précis, celui de « mixité » est ambigu : un groupe constitué d'un homme et de trente femmes n'est-il pas mixte ? Il faut y prendre garde.

Revenant sur les éléments de la rémunération, Mme Danièle Karniewicz a reconnu que la partie variable est très difficile à appréhender. Comme il s'agit souvent d'une rémunération conditionnée par la réussite d'objectifs, il faudrait savoir quels sont les objectifs fixés, comment la réalisation en est mesurée et si les critères retenus sont équitables. Or, ce sont pour la plupart des contrats individuels, sur lesquels les informations manquent. La seule voie d'accès, ce sont donc les critères, qui doivent être les plus objectifs et les plus précis possible ; mais il est fort complexe d'imposer cela. Il faut aussi être sûr que l'on parle de temps de travail comparables, ce qui est loin d'être toujours le cas.

Pour Mme Carole Couvert, aborder cette question permet d'en traiter les multiples aspects : cela permet à la fois de dénoncer le cliché selon lequel les salariés à temps partiel ne s'investiraient pas dans l'entreprise et de pointer le fait que, trop souvent, ce sont les oubliés de la formation professionnelle, si bien que le déroulement de leur carrière s'en ressent.

De nombreuses femmes qui postulent à des fonctions d'encadrement s'entendent répondre que le poste leur sera offert à condition qu'elles acceptent de recommencer à travailler à temps plein.

Mme Muguette Jacquaint en a conclu que, décidément, le temps de travail n'est pas choisi mais imposé.

Mme Danièle Karniewicz a ensuite rappelé que la rémunération globale est aussi composée d'éléments « périphériques » tels qu'appartement, voiture de fonction, indemnités de déplacement, stock-options... Or, bien qu'ils induisent des différences de rémunération considérables, ces éléments ne sont pas pris en considération dans les comparaisons salariales entre hommes et femmes et relèvent quasiment du « secret défense ». L'évaluation est, là encore, d'une extrême complexité.

Mme Carole Couvert a insisté sur le fait que ces compléments de salaire concernent l'encadrement, et que c'est dans cette catégorie de salariés que les écarts salariaux sont les plus grands. La formation y concerne, à 80%, les hommes ; il s'ensuit des différences de salaire considérables.

Mme Muguette Jacquaint a observé que c'est en quelque sorte la formation qui donne droit à un logement ou à une voiture de fonction, mais que les femmes sont les oubliées de la formation.

Mme Danièle Karniewicz a ajouté qu'une difficulté supplémentaire tient à ce que les accords concernant les cadres sont des accords individuels. On notera d'autre part que lorsque les contrôles de l'URSSAF aboutissent à des pénalités, celles-ci sont uniquement dues pour non-déclaration d'avantages en nature : aucune observation n'est jamais faite sur le respect de l'égalité professionnelle au sein de l'entreprise considérée. Voilà qui en dit long... Or, plus l'on progresse dans la hiérarchie, plus la rémunération s'individualise et plus les organisations syndicales sont dépourvues de moyens d'intervention, faute que les éléments « périphériques » de la rémunération soient rendus publics. En bref, on parle d'égalité salariale sans savoir réellement sur quoi porte la comparaison, et l'organisation du travail tendant de plus en plus à l'individualisation, il sera de plus en plus difficile de négocier l'égalité.

Mme Carole Couvert a déclaré que les indicateurs pertinents devraient être précisés, notamment pour ce qui concerne les salaires.

Mme Catherine Génisson a approuvé ce point de vue. Si l'on disposait d'un rapport de situation fiable tant sur la partie fixe que sur la partie variable de la rémunération, ce ne serait déjà pas si mal. Si l'on n'y parvient pas, et la partie fixe des salaires allant s'amenuisant, on pourra afficher une égalité salariale qui ne sera qu'un trompe-l'œil.

Mme Danièle Karniewicz a ajouté que les syndicats ignorent tout de la manière dont sont réparties les composantes variables de la rémunération.

Mme Catherine Génisson a remarqué que les salariés bénéficiaires de rémunérations complémentaires ne tiennent pas particulièrement à ce qu'elles soient exposées publiquement. Le résultat de tout cela est bien que l'inégalité de revenus est supérieure à l'inégalité salariale proprement dite.

Mme Carole Couvert a insisté sur le rôle des organisations syndicales et souligné combien il leur est difficile de faire accéder les femmes au rang de négociatrices ; la compétence militante ne leur est pas reconnue...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a observé que le militantisme dérange...

Mme Carole Couvert, a souligné que c'est pourtant une très grande source d'acquisition de compétences. De plus, la présence de femmes au sein des délégations de négociation modifie radicalement les échanges. Ce serait l'un des leviers d'action possible pour tenter de réduire les écarts de salaires.

Mme Muguette Jacquaint a dit partager ce point de vue sans réserve. Mais les entreprises considèrent-elles encore que les délégués syndicaux leur apportent quelque chose ?

Mme Danièle Karniewicz a répondu que les entreprises continuent d'avoir besoin d'interlocuteurs pour mener à bien le dialogue social, et qu'elles préfèrent avoir affaire aux organisations syndicales que de devoir affronter des corporatismes. Seulement, il y a bien trop peu de femmes dans les délégations de négociation.

Certains accords d'entreprise comportent des dispositions selon lesquelles les salariés engagés dans une démarche syndicale bénéficient pendant ce temps de l'augmentation moyenne perçue par les salariés de leur catégorie - mais il faut se battre pour les faire appliquer !

Mme Carole Couvert a ajouté qu'il faudrait imaginer des mécanismes tels que les salariés soient attirés vers l'action syndicale en ayant la certitude que leur carrière n'en souffrira pas ; or, en dépit des dispositions légales, ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Mme Catherine Génisson a demandé si des mesures coercitives ne devraient pas être imposées aux organisations syndicales comme il en a été imposé aux partis politiques, bien que la CFE-CGC ne soit pas favorable aux quotas...

Mme Carole Couvert a dit que l'activité syndicale pourrait être envisagée au titre de la validation des acquis de l'expérience ; ce serait justice.

Mme Danièle Karniewicz a ajouté que la CFE-CGC a demandé à ce qu'il en soit ainsi mais que les blocages sont persistants. Dans toute structure de pouvoir, il y a, proportionnellement, bien davantage de femmes militantes de base que dans les équipes de direction. Voilà pourquoi les mentalités doivent évoluer. Elle a précisé qu'aujourd'hui, le temps de travail joue un rôle majeur dans les critères de rémunération individuelle, ce qui conduit certains cadres masculins à exagérer leur temps de présence dans l'entreprise.

Mme Carole Couvert a souligné la spécificité française selon laquelle le mérite d'un cadre s'évalue à l'aune de ses heures de présence ; en Allemagne, c'est plutôt une démonstration d'incompétence ou de désorganisation.

Mme Catherine Génisson, qui se rappelle les très fortes revendications exprimées lors de l'élaboration de la loi sur les 35 heures, s'est demandé si l'époque des cadres corvéables à merci n'est pas révolue depuis qu'ils savent ne pas être plus épargnés que les autres salariés en cas de réductions d'effectifs.

Mme Danièle Karniewicz a convenu que les mentalités évoluent parmi les nouvelles générations. C'est d'ailleurs pourquoi, s'agissant des 35 heures, la CFE-CGC a été conduite à aller plus loin que ce qu'elle souhaitait initialement. Les jeunes cadres veulent un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle et, se sachant contraints à la mobilité, ils entrent dans une démarche de « consommateurs » au sein de l'entreprise : ils sont capables de s'investir beaucoup, mais ils attendent un retour. Et si la rémunération ou l'intérêt du travail ne leur conviennent pas, ils changent d'entreprise.

Mme Carole Couvert a fait valoir que la jeune génération a vu ses parents s'investir dans l'entreprise et, vingt ans plus tard, se faire remercier du jour au lendemain ; elle ne veut pas reproduire ce schéma.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est dite moins optimiste, soulignant que les jeunes cadres n'ont, souvent, pas le choix.

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