DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 19

Mardi 7 juin 2005
(Séance de 18 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

page

- Audition sur le thème des femmes de l'immigration de Mme Claudie Lesselier, présidente du RAJFIRE (Réseau pour l'autonomie des femmes immigrées)

2

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu, sur le thème des femmes de l'immigration, Mme Claudie Lesselier, présidente du RAJFIRE (Réseau pour l'autonomie des femmes immigrées).

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est réjouie d'accueillir Mmes Claudie Lesselier, Anne Nguyen-Dao et Lucia Martini dans le cadre de la réflexion que la Délégation aux droits des femmes a engagée en vue d'une meilleure intégration des femmes immigrées et issues de l'immigration. Elle a souhaité savoir, parmi les mots « insertion, intégration et assimilation », celui que le RAJFIRE estimait le plus pertinent, et s'il jugeait que de nouvelles mesures législatives et réglementaires étaient nécessaires. Elle a ensuite posé un certain nombre de questions sur les activités de leur association, sur les difficultés d'intégration des femmes immigrées, sur les mariages forcés et sur les situations de violence dont elles sont victimes.

Mme Claudie Lesselier a souligné que le RAJFIRE, parce qu'il travaille dans un comité d'action interassociatif, a jugé important de préparer cette réunion avec les trois autres associations membres actifs de ce comité : la CIMADE, qui tient une permanence juridique pour les femmes étrangères victimes de violence, la Ligue des femmes iraniennes pour la démocratie et la Fédération nationale solidarité femmes, dont le champ d'action est la lutte contre les violences conjugales en général. Leur travail se situe donc à l'intersection des problèmes que peuvent rencontrer les femmes en tant que femmes et en tant qu'étrangères.

Le RAJFIRE est une association féministe, qui a une existence légale depuis cinq ans, et qui agit pour les droits des femmes et pour l'égalité, pas seulement en termes d'intégration, d'insertion ou d'assimilation, mais pour l'égalité des femmes entre elles et avec les hommes. L'association mène des actions très concrètes, notamment en tenant, chaque semaine, une permanence d'information et de solidarité destinée à aider des femmes dans leurs démarches et dans leur courrier, ainsi qu'à les accompagner dans les préfectures et auprès des différentes institutions. C'est dans ce cadre qu'elle a été amenée à rencontrer de nombreuses femmes étrangères, arrivées en France soit depuis peu de temps soit depuis plusieurs années, sans titre de séjour ou avec un titre précaire, et qui sont confrontées à des situations juridiques, administratives et sociales difficiles.

Ce sont des bénévoles qui assurent ces permanences, en raison de leur engagement féministe et parce qu'elles sont convaincues que ces femmes ont besoin d'informations et de soutien. C'est au moment de l'occupation de l'église Saint-Bernard que les membres de ce qui allait devenir le RAJFIRE sont entrées en contact avec celles qui se nommaient elles-mêmes les « sans-papières », qui leur ont fait part de leurs problèmes familiaux et personnels, ce qui a amené à créer les permanences, puis l'association.

Bénéficiant désormais d'une certaine reconnaissance, cette dernière ne se contente plus d'apporter une aide individuelle à ces femmes, elle essaie de développer une analyse des dispositifs législatifs et réglementaires et de faire avancer l'accès aux droits. C'est ce qui l'a conduite à interpeller les députés au moment de l'examen de la loi du 26 novembre 2003 modifiant l'ordonnance de 1945 sur le droit d'asile.

Elle a aussi noué des relations avec des acteurs de la vie politique et sociale ainsi qu'avec de nombreuses autres associations, d'où la création de ce comité d'action, qui trouve son origine dans l'appel lancé par le Groupe femmes de Turquie à propos d'une jeune femme, mariée à un Français dans le Jura, qui l'a chassée de son domicile et dénoncée à la préfecture, ce qui a entraîné sa reconduite à la frontière.

Le comité est donc voué à lutter contre la double violence que subissent ces femmes qui, en tant que femmes et en tant qu'étrangères, sont soumises à la fois aux violences sexistes, conjugales, parentales, mais aussi aux injustices et aux abus, hélas fréquents, de l'administration et à des dispositions législatives injustes, car trop restrictives.

Est-il normal, par exemple, qu'une femme étrangère qui épouse un homme de nationalité française doive attendre plus de deux ans pour obtenir la carte de résident qui lui garantit le droit au séjour en France ? Si le couple se sépare au cours de cette période, la femme perd tout simplement son titre de séjour. Cette dépendance conjugale est choquante. Il faut donc se féliciter que la loi du 26 novembre 2003 ait prévu que, si la séparation est due à la violence conjugale, l'épouse peut tout de même voir renouveler son titre de séjour. Les associations ont aidé de nombreuses femmes à monter des dossiers en ce sens et à obtenir satisfaction. Mais le problème reste entier quand les violences surviennent avant même que la carte soit attribuée car il est alors très difficile de la faire délivrer, en particulier parce que les accords bilatéraux franco-algériens ne le prévoient pas. Il est parfois possible d'obtenir que les préfectures étudient le cas des Algériennes, mais cela n'est nullement obligatoire. La situation n'est pas la même pour les autres pays, notamment du Maghreb et d'Afrique, qui admettent généralement la législation relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile en vigueur depuis le 1er mars 2005.

La violence conjugale peut bien sûr être physique et morale, mais elle se manifeste aussi quand l'époux ne tient pas son engagement d'accompagner la femme à la préfecture pour prouver la communauté de vie. Il arrive aussi que de tels abus de pouvoir soient le fait de parents de jeunes filles célibataires. On a vu le cas de parents vivant en France depuis longtemps et faisant repartir leur fille, avant ses 18 ans, dans leur pays d'origine, soit pour la marier de force, soit parce qu'ils craignent qu'elle se marie avec un Français ou qu'elle vive trop librement en France. Ces jeunes filles se trouvent alors bloquées au pays, privées de la possibilité d'étudier ou de travailler. Pour rentrer en France, elles doivent demander un visa dont l'obtention peut prendre des années. À leur retour, elles sont considérées comme primo-arrivantes, contraintes de solliciter un titre de séjour qui peut leur être refusé. Il arrive aussi qu'une femme mariée de force et qui n'a pas réussi à divorcer dans un pays où seul le mari peut demander le divorce, se voie refuser un titre de séjour à son retour en France, au motif qu'elle conserve des attaches familiales - en l'occurrence son mari - dans le pays d'origine... Il y a donc bien, là aussi, double violence : celle des parents, qui contraignent la jeune fille à partir, et celle des institutions françaises, consulat et ministère de l'intérieur, qui l'empêchent de rentrer dans un pays qu'elle estime être le sien.

Un livre a été publié à ce propos en 2001 sous le titre Identités volées. Aujourd'hui, en Seine-Saint-Denis, un groupe de cinq femmes qui ont passé parfois dix ou quinze ans en Algérie et qui sont revenues, se battent pour obtenir la reconnaissance de leurs droits. Elles viennent d'obtenir un rendez-vous à la préfecture et on espère que la réponse sera positive. Mais il faut bien voir que, sans l'aide d'une association, la plupart de ces femmes n'ont aucune chance d'être régularisées, tant les démarches sont complexes.

Autre exemple choquant de double violence, celui des victimes de l'esclavage et de la prostitution, qui ne peuvent pas porter plainte en raison des menaces de représailles sur leurs proches et qui subissent des reconduites à la frontière.

On observe également des dysfonctionnements dans l'exercice des droits sociaux : s'il existe aujourd'hui, heureusement, des dispositifs légaux et réglementaires qui garantissent les droits des femmes étrangères, on observe, dans la pratique administrative, de grands abus de pouvoir envers celles qui ont bien du mal à se défendre. Ainsi, alors qu'il est possible de régulariser des mineures isolées même si leur passeport a été confisqué ou volé ou s'il est détenu par la police de l'air et des frontières, une jeune femme s'est encore vu refuser il y a deux jours le droit de déposer un dossier en préfecture au motif qu'elle n'avait pas de passeport... Dans les commissariats, les femmes sans titre de séjour sont dissuadées de porter plainte contre des viols ou des violences conjugales, alors qu'aucun texte ne l'interdit : les droits humains fondamentaux que sont la sûreté, le respect de la vie privée et l'intégrité physique ne dépendent bien évidemment pas du droit au séjour !

Les députés devraient se saisir de ces problèmes, comme de l'application et du suivi de la loi. Ainsi, la loi sur la sécurité intérieure a prévu plusieurs dispositifs d'aide aux victimes de la prostitution, mais il est totalement impossible de savoir s'ils sont appliqués et combien de personnes en ont bénéficié.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a demandé si le RAJFIRE avait interrogé le ministère de l'intérieur à ce propos.

Mme Claudie Lesselier a déclaré qu'au moment de sa nomination, en 2002, M. Nicolas Sarkozy avait reçu de nombreuses associations qui ont été entendues sur un certain nombre de points, en particulier en ce qui concerne la perte de titre de séjour pour les victimes de violence conjugale. Mais, depuis lors, toutes les associations se sont heurtées au refus d'audience de son successeur qui leur demandent de s'adresser aux préfectures.

C'est pourquoi, dans le document qui a été transmis à la Délégation, le RAJFIRE insiste sur les rapports entre les associations et les institutions, les secondes ayant intérêt à mettre à profit l'expérience de terrain des premières au moment d'échéances importantes. Il faut souligner que la demande de rendez-vous faite en janvier auprès de la préfecture de police de Paris n'a pas davantage été entendue.

Sur le droit d'asile, le RAJFIRE a aussi travaillé en réseau avec des associations extrêmement compétentes comme la CIMADE, la commission femmes d'Amnesty International, Femmes de la Terre et la Ligue des droits de l'homme. Il est proposé, d'appliquer, sans la modifier, la convention de Genève sur les réfugiés, car les femmes sont persécutées et soumises à des discriminations légales et officieuses en tant que groupe social. Or, quand leur État ne protège pas les personnes persécutées, elles ont le droit de demander l'asile. Il convient donc non seulement que leurs demandes soient examinées de façon sérieuse, qu'elles fassent l'objet d'une instruction approfondie, mais aussi qu'elles puissent la déposer dans de bonnes conditions, car on sait combien les victimes de traumatismes, en particulier sexuels, ont du mal à parler de violences qui touchent à leur intimité et à leur intégrité.

Il est particulièrement choquant que 5 % seulement des femmes qui fuient des menaces familiales, des mutilations sexuelles, un mariage forcé, le viol et les violences liées à la guerre civile, et qui arrivent à la frontière française - c'est-à-dire souvent dans un aéroport parisien - sans passeport ni visa, parviennent à demander l'asile, alors que 40 % des demandes sont satisfaites quand elles parviennent jusqu'à l'OFPRA et à la commission des recours. À l'évidence, il convient que la convention de Genève soit interprétée de façon moins restrictive. Pourquoi la France ne pourrait-elle faire ce que font le Canada et la Grande-Bretagne ? De même, si le HCR prend en compte les questions de genre en matière d'asile, pourquoi l'OFPRA et la commission des recours ne pourraient-ils faire de même ?

Si on peut se réjouir de certains aspects positifs des dernières modifications de la loi sur l'asile, notamment du fait que l'OFPRA examine maintenant l'ensemble des demandes, on peut regretter que le texte reste silencieux sur les persécutions sexistes à propos desquelles l'ONU et de nombreuses institutions lancent pourtant un cri d'alarme. Comment imaginer que l'OFPRA et le Parlement français soient les seuls à ignorer la gravité des persécutions dont les femmes sont victimes ?

Mme Anne Nguyen-Dao a souligné que la Fédération nationale solidarité femmes est un réseau, issu il y a plus de 25 ans du mouvement féministe, qui regroupe une soixantaine de structures, de taille et d'activité variables, qui s'occupent en particulier d'hébergement et d'accueil de femmes victimes de violences, en particulier conjugales. Environ 40 000 femmes ont recours chaque année aux services du réseau. La Fédération gère également le numéro d'appel Femmes info service, plus connu sous le nom SOS femmes battues. La permanence accueille chaque jour les victimes mais aussi des membres de leur entourage.

C'est parce qu'elle a été confrontée à de nombreux cas que la Fédération s'est intéressée à la question des femmes immigrées victimes de la double violence. En effet, ces femmes sont extrêmement dépendantes de leurs maris pour obtenir des papiers, et il est fréquent que ces derniers refusent d'accomplir les démarches et qu'ils détruisent ou confisquent les documents. Mais la situation de ces femmes est vue dans la problématique plus générale des femmes victimes de violence, et le combat pour qu'elles puissent vivre dignement en France s'inscrit dans le mouvement global de la défense des droits des femmes.

La proportion d'étrangères parmi les femmes qui contactent les services du réseau est de plus en plus grande, mais on ne peut en conclure qu'il y a plus de femmes étrangères victimes de violence qu'auparavant : le fait qu'elle contactent une association peut aussi être le signe d'une certaine intégration et montrer que l'information qui circule depuis plusieurs années et les campagnes de sensibilisation ont fini par toucher même les femmes les plus isolées. Toujours est-il que, dans certaines régions, ces femmes représentent de 50 à 80 % de celles qui sont accueillies dans les centres d'hébergement. C'est dire l'importance de cette population pour la Fédération.

Il faut saluer, comme l'a fait Claudie Lesselier, le fait que la nouvelle loi prenne en compte les violences conjugales pour le renouvellement du titre de séjour. Mais son application est assez variable sur le terrain et il serait souhaitable d'inciter à une harmonisation des pratiques administratives pour que les femmes ne soient pas privées de la possibilité de dénoncer la violence et de se défendre. Celles qui n'ont pas encore de titre de séjour, parce que les violences les ont poussées à quitter le domicile avant sa délivrance, sont particulièrement pénalisées pour déposer plainte et demander le divorce. Certes, la nouvelle loi sur le divorce ouvre la possibilité de demander l'éviction du conjoint, mais elle est d'application récente et on peut se demander si les femmes étrangères parviendront à faire usage de cette possibilité, surtout quand elles ont été obligées de quitter le domicile. Et quand elles ont demandé le divorce et qu'elles se retrouvent sans titre de séjour et en situation précaire, il leur est difficile de suivre les procédures et d'obtenir l'aide juridictionnelle dont elles ont pourtant besoin.

S'agissant des difficultés d'intégration, l'association observe qu'elles sont le plus fréquemment liées à la langue, à la qualification professionnelle et au logement, en particulier dans le cas, fréquent, de familles monoparentales. Il est particulièrement regrettable que les femmes qui ont été aidées, qui sont parvenues à sortir du problème de violence conjugale, qui ont recouvré une certaine autonomie, une capacité à travailler, à élever leurs enfants, demeurent confinées dans un système d'aide sociale dont elles pourraient se passer, simplement parce qu'elles ne peuvent trouver de logement.

Mme Anne Nguyen-Dao a souligné aussi l'importance du suivi de l'application de la loi.

Elle a souhaité que la situation des femmes immigrées soit prise en compte dans la loi-cadre sur la violence conjugale en cours de discussion au Sénat. Il faudrait, en particulier, que la privation de papiers soit reconnue comme une forme de violence : placer une femme en situation irrégulière est un acte violent, l'y maintenir également. La Fédération nationale solidarité femmes s'apprête d'ailleurs à publier un travail de réflexion à propos de cette loi. Elle espère que la disposition relative à la privation de papiers s'appliquera également aux concubins et aux ex-concubins.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a observé qu'au moment de l'examen de la loi sur le divorce, la chancellerie avait soulevé la complexité du problème des concubins.

Mme Anne Nguyen-Dao a insisté, enfin, sur l'importance de la prévention, en particulier à l'école, pour les mariages forcés. L'association a maintenant une connaissance suffisante du phénomène pour pouvoir repérer les moments de l'année où il faut intervenir. Élever l'âge du mariage serait une bonne chose, mais cela ne suffira pas : il faut vraiment développer la prévention en direction des 15-18 ans.

Mme Claudie Lesselier a souligné que le problème du mariage forcé se pose aussi pour les jeunes filles de nationalité française. Mais elles sont mieux protégées car elles ont la possibilité de faire appel aux autorités consulaires. Il faut donc que ces dernières délivrent également des laissez-passer et fournissent une aide matérielle aux jeunes filles de nationalité étrangère mais résidant habituellement en France. Quand des situations de ce type se sont produites au Maroc, il a fallu de nombreuses interventions pour que les jeunes filles s'en sortent ; en Algérie les choses sont extrêmement difficiles.

On n'a sans doute pas besoin d'une incrimination spécifique pour le mariage forcé car les auteurs et complices peuvent déjà être poursuivis pour viol. Qui plus est, dans la mesure où il ne saurait y avoir de mariage sans consentement, l'annulation devrait pouvoir être obtenue facilement. En région parisienne, outre le Groupe femmes pour l'abolition des mutilations sexuelles et autres pratiques affectant la santé des femmes et des enfants, deux associations sont particulièrement actives dans ce domaine : l'association Fatoumata à Paris et Voix de femmes à Cergy. Un rapport récemment publié par Mme Nicole Ameline comporte également un certain nombre de recommandations mais, sur le terrain, on constate que les femmes ont de grandes difficultés à accéder à leurs droits quand elles sont bloquées, sans papiers, dans le pays dont elles ont la nationalité.

Lorsqu'il est intervenu en France, le mariage forcé peut davantage faire l'objet d'un recours, mais on ne peut négliger ni la pression sociale et familiale, ni la culpabilisation de la femme. C'est pourquoi il est très important que les femmes puissent, dans leur pays d'origine, recourir de façon rapide et simple à un consulat. Une disposition d'ordre réglementaire pourrait aisément le prévoir. Il faudrait qu'il y ait, dans chaque consulat, un responsable de ces questions, auquel les femmes victimes de mariage forcé et de séquestration pourraient s'adresser en urgence, et qui pourrait aussi leur délivrer un laissez-passer et prendre contact avec la préfecture. Il conviendrait également d'assurer le rapatriement des mineures et de prévoir une aide d'urgence pour les majeures, par exemple sous forme de prêt.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a dit que cela lui paraissait difficile et compliqué.

Mme Claudie Lesselier a répondu qu'un Français agressé à l'étranger recevait une aide du consulat et qu'il ne paraîtrait pas anormal d'étendre ce dispositif aux femmes étrangères qui résident habituellement en France et dont un certain nombre seront automatiquement françaises dès qu'elles atteindront 18 ans. Que les résidents étrangers disposent des mêmes droits sociaux que les Français est quand même la moindre des choses !

S'agissant du statut personnel, le RAFJIRE est bien moins compétent que de nombreuses autres associations dont il faudrait recueillir l'avis  : FCI (Femmes contre les intégrismes) et FIJI (Femmes informations juridiques internationales) à Lyon, BRRJI (Bureau régional de ressources juridiques internationales) à Marseille, CICADE (Centre pour l'initiative citoyenne et l'accès au droit des exclus) à Montpellier, FIJI et le BRRJI étant reliés aux CIDF (Centres d'information pour les droits des femmes).

Le RAFJIRE est favorable, sans remettre en cause l'article 3 du code civil, à ce qu'une personne puisse, par simple déclaration, demander à se voir appliquer la loi française. Pour les femmes, cela semble difficile parce qu'elles sont soumises à une pression inverse du mari. Qui plus est, le statut personnel est souvent considéré comme un marqueur identitaire auquel il est difficile de renoncer.

Si la justice française se déclare généralement compétente, le fait est que, si le mari souhaite recourir à un code national plus discriminatoire à l'égard des femmes, il peut toujours dire qu'il est domicilié à l'étranger, par exemple en Algérie, et engager une procédure de divorce sur la base de la loi algérienne. Dans ce cas, la femme doit se lancer dans une démarche complexe et coûteuse pour obtenir qu'un tribunal français se déclare compétent, refuse d'exécuter la décision algérienne et fasse appliquer la notion de respect de l'ordre public.

La question relative aux motivations des migrantes est très vaste. Comme pour tout émigrant, elles reposent sur des problèmes d'emploi et sur le sentiment de ne pas avoir d'avenir dans son propre pays. Mais il y a aussi, les centaines d'entretiens réalisés par l'association le montrent, des itinéraires et des motivations spécifiques aux femmes : fuite devant des oppressions sociales et familiales, devant des menaces, devant des violences et des persécutions, désir de liberté, influence de la diaspora. Tout cela pousse à l'émigration même des femmes instruites, qui ont un emploi, parfois dans la fonction publique, et qui vivent en ville.

Mme Claudie Lesselier a souhaité, même si cela traduit de sa part un certain utopisme, que les frontières disparaissent.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné que cela va à l'encontre de la nécessité d'accueillir dignement celles et ceux qui arrivent en France.

Mme Claudie Lesselier, a répondu que, sans aller jusque-là, il était éminemment souhaitable que les politiques d'immigration tiennent davantage compte des situations humaines et que plus de moyens soient engagés.

Même si les recherches - notamment à Paris-VII, Paris-VIII et à l'École des hautes études en sciences sociales - se développent, on manque encore largement de connaissances, en particulier statistiques, sur les migrantes. Certes, les préfectures ont des chiffres qui permettent de connaître le nombre de personnes, hommes et femmes, par nationalités, qui vivent en France, mais elles ne publient pas de statistiques sexuées sur les flux d'entrées et les divers types de titres de séjour délivrés annuellement.

Parmi les effets négatifs de la loi du 26 novembre 2003, figure incontestablement l'allongement de la période au cours de laquelle on ne peut obtenir qu'une carte de séjour temporaire. Comment espérer décrocher un CDI quand on ne peut produire qu'une carte de séjour temporaire, voire un récépissé ? Cette disposition précarise donc des femmes déjà fragiles. Et cela amène à la première question de la présidente sur l'usage des mots intégration et assimilation : comment parler d'intégration quand on n'a pas la possibilité de travailler ?

Mme Lucia Martini a insisté sur une précarisation qui peut conduire ces femmes à travailler au noir bien qu'elles soient en France depuis plusieurs années. Alors que leurs compétences et leur expérience pourraient être reconnues dans le cadre de la validation des acquis, ce qui les inciterait à apprendre le français et leur ouvrirait l'accès à des emplois de proximité et à des emplois familiaux, le fait même d'être dans une situation précaire les empêche d'atteindre les 3 000 heures de travail salarié nécessaires à cette validation, qui pourrait pourtant être à la base d'une véritable intégration.

Il conviendrait par ailleurs de multiplier, sur le modèle des maisons des femmes, les espaces de rencontres et d'échanges entre les femmes et les associations. Alors qu'il y a de plus en plus de femmes en difficulté, ces espaces sont bien trop peu nombreux et trop mal répartis sur le territoire national. Le besoin est important, chez les femmes victimes de violence et souffrant de syndromes post-traumatiques, d'échanger leurs expériences, mais aussi de trouver un soutien pour leurs relations avec l'administration.

Dans la loi-cadre contre les violences conjugales, il serait utile de prendre en compte la question de la traite.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé que cette question avait été traitée dans le cadre de la loi sur la sécurité intérieure.

Mme Claudie Lesselier a observé qu'aucun bilan des dispositifs d'aide renforcée n'avait encore été fait et que cette aide était surtout mise en œuvre par les associations, alors que la loi parlait de dispositifs publics. C'est pour cela que le RAJFIRE souhaite qu'un rapport soit rédigé. Aucun bilan n'a été fait non plus de la délivrance d'autorisations provisoires de séjour aux femmes portant plainte contre des proxénètes. On ignore aussi combien de personnes ont porté plainte et combien ont été régularisées dans ce cadre. On sait bien, par ailleurs, qu'un certain nombre de femmes ne peuvent porter plainte en raison des menaces qui pèsent sur leurs familles dans leur pays d'origine.

Qui plus est, pour obtenir une régularisation, elles doivent se tourner vers les associations. Pourquoi le service public se défausse-t-il sur ces dernières au lieu de jouer son rôle ? Il conviendrait que dans chaque département un pôle composé de fonctionnaires soit à même de recevoir et d'orienter ces femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné qu'elle s'était inquiétée d'emblée des difficultés d'application de cette loi, pourtant pétrie de bonnes intentions. Ce qui vient d'être dit montre que ses craintes étaient fondées. Tout cela pourrait faire l'objet d'une question écrite.

Mme Claudie Lesselier s'est déclarée prête à fournir des informations en vue de la rédaction de questions qui pourraient être adressées aux ministères des affaires étrangères, de la justice, de l'intérieur. On pourrait aussi demander au ministre des affaires sociales pourquoi une mère qui se présente dans une caisse peut se voir refuser les allocations familiales, alors qu'une décision de la Cour de cassation a établi que si les enfants disposent d'un titre de circulation pour étranger mineur, les parents doivent recevoir les allocations. Il est quand même incroyable que l'administration elle-même ne connaisse pas les textes !

La proposition de loi issue du rapport de Christine Lazerges sur l'esclavage moderne s'est perdue dans les sables entre l'Assemblée et le Sénat. Certaines dispositions pourraient toutefois être reprises. Si une femme qui porte plainte a des chances d'obtenir une régularisation, beaucoup ne le font pas, parce que les esclavagistes sont souvent des notables locaux ou des proches et parce qu'elles craignent des représailles sur leurs familles. Il faut donc véritablement insister sur la régularisation car le retour au pays n'est pas envisageable dans la mesure où elles y seraient stigmatisées.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné combien elle était personnellement attachée à l'application de la loi. Il n'y a rien de plus frustrant pour un député que de constater que ce qu'il a voté ne donne pas de résultats et elle souhaite pour sa part qu'avant de légiférer davantage on commence par vérifier si les lois sont appliquées.

À l'issue du travail qu'elle a engagé, la Délégation fera un certain nombre de recommandations. Avant leur publication, elles seront transmises aux associations et pourront être améliorées si elles ne sont pas conformes à leurs attentes.

Mme Claudie Lesselier a rappelé qu'en juin 2000, à l'occasion d'un colloque organisé à l'Assemblée à propos de la loi Chevènement de mai 1998, un comité de suivi avait alors été créé. On pourrait envisager de faire de même aujourd'hui.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a répondu que cela ferait partie des recommandations de la Délégation.

Mme Lucia Martini a insisté sur la nécessité que les victimes de la prostitution soient considérées comme telles non seulement quand elles portent plainte contre les organisateurs de la traite, mais aussi quand elles veulent simplement refaire leur vie.

Mme Claudie Lesselier a rappelé qu'en application de loi de 1960, il devrait y avoir dans chaque département un pôle d'aide aux femmes qui veulent abandonner la prostitution. Or, alors que cette dernière s'est développée et qu'elle touche des femmes dans une situation encore plus précaire, les rares pôles qui avaient été créés n'existent plus aujourd'hui.

Mme Lucia Martini a souhaité ajouter, parmi les motivations des migrants, le souhait très fort, chez les mères de famille, que leurs filles puissent vivre en liberté.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié les participantes à cette audition, qui enrichira la réflexion de la Délégation sur ces questions.

--____--


© Assemblée nationale