DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 20

Mardi 14 juin 2005
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

Auditions sur le thème des femmes de l'immigration :

pages

- Mme Gaye Petek, directrice de l'association ELELE - Migrations et cultures en Turquie

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- Mme Damarys Maa, présidente de l'IFAFE (Initiatives des femmes africaines de France et d'Europe

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu, sur le thème des femmes de l'immigration, Mme Gaye Petek, directrice de l'association ELELE - Migrations et cultures en Turquie.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a dit son plaisir d'accueillir Mme Gaye Petek, directrice de l'association ELELE - Migrations et cultures en Turquie, dans le cadre de la réflexion que la Délégation aux droits des femmes a engagée en vue d'une meilleure intégration des femmes immigrées et issues de l'immigration. L'association a participé aux travaux du groupe de travail « Femmes de l'immigration » qui a remis le 7 mars dernier un rapport à ce sujet aux ministres de la parité et de la justice. Elle a notamment été associée à la réflexion sur les obstacles culturels à une meilleure intégration des femmes de l'immigration dans la société française.

La Délégation entendra donc avec un intérêt particulier Mme Gaye Petek traiter de l'accès des femmes immigrées à leurs droits et la conquête de leur autonomie juridique ; des mariages forcés ; des difficultés rencontrées par les femmes migrantes qui arrivent pour la première fois en France ; de l'insertion professionnelle de ces femmes, souvent peu qualifiées, possédant mal la langue française, et davantage touchées par le chômage que les Françaises. Au préalable, la Délégation aimerait avoir un aperçu de la communauté turque de France, qui semble très soudée, et des activités de l'association ELELE en direction des femmes.

Arrivée en France à l'âge de six ans sans parler un mot de français, Mme Gaye Petek se définit elle-même comme un pur produit de l'école républicaine. Membre du Haut Conseil à l'intégration, elle enseigne en faculté la sociologie de l'immigration turque. L'association ELELE, qu'elle a fondée en 1984 et qu'elle dirige depuis, a progressivement été conduite, de par l'évolution sociologique des Turcs de France, à s'intéresser de près au sort des femmes. L'association n'a pas d'antennes régionales, mais elle a formé un réseau de médiateurs. ELELE compte vingt personnes, très orientées vers l'accueil social pour l'accès aux droits et aux devoirs, privilégie par ailleurs la formation des acteurs sociaux et des enseignants (au sein des IUFM) à la culture d'une population plus mal connue que d'autres et qui présente par ailleurs une forte résistance à l'intégration.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a demandé si l'association avait abordé la thématique européenne.

Mme Gaye Petek a répondu que la question n'a pas été abordée en tant que telle mais qu'elle agite beaucoup les esprits. Les jeunes issus de l'immigration turque ont mal ressenti ce qui s'est exprimé, et elle-même trouve la situation préoccupante.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a observé que les réticences qui se manifestent à l'idée de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne résultent souvent de la perception du sort réservé aux femmes par la communauté turque en France. L'association en parle-t-elle ?

Mme Gaye Petek a répondu que les membres de l'association qui abordent, devant des Turcs des deux sexes, la question du statut de la femme rappellent que la législation turque, fondée sur des principes laïcs et un code civil qui remonte à 1926, donne aux femmes turques des droits presque identiques à ceux dont jouissent les femmes en Europe. Le problème, comme toujours, c'est la persistance des traditions. Il y a un fossé profond entre la société rurale anatolienne dont sont issus 95 % des immigrés turcs en France et les quelque 25 % d'habitants des grandes villes de Turquie, bien plus à l'aise à ce sujet. Paradoxalement, le contrôle communautaire est encore plus fort en France. Les familles craignant que les femmes ne soient tentées de transgresser la coutume, il s'ensuit une sorte de panique qui induit elle-même une surprotection, voire une « sur-surveillance » des femmes, phénomènes qui prennent une ampleur démesurée. On peut citer, parmi maints autres exemples, celui d'une jeune fille à peine arrivée de Turquie dans une France qu'elle ne connaissait pas, destinée à vivre chez ses beaux-parents, et à laquelle son jeune époux, qui était allée la chercher à l'aéroport, a tendu un foulard avant qu'ils n'arrivent à destination, en lui disant : « Tu n'es plus en Turquie, tu portes un foulard ». Les contrôles communautaires sont terrifiants et, en réalité, les femmes sont plus libres dans les villages turcs que ne le sont les femmes turques immigrées en France.

Décrire cette situation, c'est aussi souligner l'échec des politiques d'intégration menées en France depuis des années, et le manque de souplesse des politiques publiques. Ce qui a manqué et qui continue de manquer, c'est le travail de proximité. Il était très important de mettre au point un contrat d'accueil et d'intégration. Mme Gaye Petek, qui y tenait beaucoup, a plaidé sans relâche en ce sens au sein du Haut Conseil à l'intégration, considérant que les immigrants doivent être accueillis par des Français et non pas par leur réseau communautaire où les femmes, en particulier, sont immédiatement placées sous la coupe de la famille, dans la norme du groupe, sous la surveillance des imams et des belles-mères. S'en tenir à cet accueil-là, c'est accepter que s'instaure d'emblée un circuit d'oppression pour les femmes et les jeunes filles.

On considère qu'il y a aujourd'hui 350 000 immigrés turcs en France, mais c'est un minimum car les consulats avancent plutôt le chiffre de 500 000 personnes, binationaux compris. L'immigration turque s'est faite en deux temps. Dans les années 1970, elle fut économique, puis politique à partir de 1980, après un coup d'Etat militaire. Au début, les immigrants étaient des hommes venus des campagnes dans l'idée d'accumuler un capital et de rentrer au pays fortune faite. Seulement, les choses ne se sont pas passées ainsi et, peu à peu, les femmes sont arrivées, avec les enfants. A partir des années 1980, une prise de conscience a eu lieu chez ces hommes, qui se sont demandé comment rentrer en Turquie en situation d'échec, et qui ont préféré rester. C'est ainsi qu'une immigration conçue comme devant être de courte durée s'est transformée en immigration permanente. Mais ces hommes se sont repliés sur eux-mêmes, soit par frilosité, soit par peur de trahir leurs parents, soit par peur que la « moulinette à intégrer » de l'école républicaine ne l'emporte sur l'identité turque. Ils se sont alors organisés en réseaux, créant des journaux turcs, des radios turques, des commerces turcs, multipliant les achats de paraboles et choisissant l'habitat le plus resserré possible, même au sein des HLM, au point que des ghettos se sont constitués. On trouve ainsi à Mâcon deux classes d'école maternelle intégralement composées d'enfants turcs, ce qui pousse à s'interroger sur la politique suivie par l'Education nationale. Dans le même temps, un tissu associatif s'est créé, qui est composé à 80 % d'associations cultuelles. Voisinent alors une mosquée, un café - pour les hommes... - et une école coranique, autre lieu de contrôle et de normes pour les femmes et les jeunes filles.

La difficulté la plus redoutable était évidemment de savoir comment demeurer Turc en France. La solution trouvée a été d'insuffler du sang frais, en imposant aux jeunes nés en France le mariage avec des Turcs ou des Turques de Turquie. Ainsi revigore-t-on l'identité turque tout en gardant la haute main sur les alliances matrimoniales des enfants, ce qui évite qu'ils ne soient tentés par des mariages mixtes. C'est une organisation mûrement réfléchie, et il n'est pas question que les jeunes gens choisissent leur conjoint, tant est forte la peur d'une dilution identitaire. Bien entendu, la pression la plus grande porte sur les femmes et les jeunes filles. Pour dire les choses crûment, les femmes turques de la première génération d'immigrées sont devenues des tortionnaires pour les générations suivantes, qu'il s'agisse de leurs filles ou de leurs brus. La croyance est tenace que, pour une mère, mener trois filles vierges au mariage, c'est la porte ouverte vers le paradis... C'est donc la mission qui leur est impartie. Mais le contrôle familial porte également sur le mariage des fils : en faisant venir une belle-fille qui sera aussi leur esclave, la mère s'assure que son fils n'ira pas folâtrer - ce qui est plus ou moins vrai, car il mène bien souvent une double vie.

La situation étant celle qui vient d'être décrite, on comprend que la logique politique ne recoupe pas la réalité. Ainsi, la loi de 2003 relative à la maîtrise de l'immigration a porté à deux ans la durée de vie commune obligatoire avant l'obtention d'un titre de séjour. Ce faisant, le législateur n'a pas réprimé les coupables mais les victimes, ces jeunes femmes qui, n'en pouvant plus de se faire torturer, finissent par s'enfuir de chez elles ; la rupture de la communauté de vie étant alors constatée, la préfecture prend un arrêté de reconduite à la frontière. Le législateur, en considérant que certains s'attachaient à contourner la loi, s'est mépris, car une infime minorité seulement se marie pour obtenir des papiers ; pour la grande majorité, il s'agit d'empêcher l'indépendance des enfants et les mariages mixtes.

Mme Bérengère Poletti a observé que ce qui vaut pour la communauté turque ne vaut pas pour toutes les communautés.

Mme Gaye Petek a répondu que certaines tractations pouvaient en effet se produire, mais qu'elles sont minoritaires. Elle a ensuite exposé que la situation des femmes de la première génération n'est pas exactement la même que celle des générations suivantes. Peu de violences sont commises à leur encontre, exception faite des cas où le mari ramène son épouse en Turquie puis revient sans elle en France, et garde les enfants. L'association s'attache à régler ces cas très douloureux avec l'aide de l'OMI en faisant rapatrier ces femmes, peu nombreuses dans cette situation.

Les vrais problèmes se posent pour les jeunes filles turques issues de l'immigration et mariées de force, et surtout pour les brus arrivées en France en vue de mariages arrangés pour satisfaire les belles-mères. Ce sont elles qui subissent les plus grandes violences, parce qu'elles ne parlent pas français, parce qu'elles n'ont pas le droit de sortir, parce qu'elles n'ont aucune liberté, parce qu'elles n'ont pas de papiers ou seulement des papiers provisoires. Il peut même arriver qu'un mari, lassé de cette femme qui ne lui convient pas, écrive lui-même au préfet pour dire qu'il s'agissait en fait d'un mariage qui lui a été imposé ; le résultat ne se fait pas attendre : ordre de quitter le territoire ! L'association doit alors multiplier les interventions auprès des préfectures et trouver les moyens d'accompagner, d'héberger et de socialiser ces malheureuses. Si elles sont bien accompagnées, ces femmes acquièrent d'ailleurs leur autonomie en un an à dix-huit mois, même si elles ont charge d'enfants.

Les jeunes filles turques issues de l'immigration sont moins vulnérables car elles connaissent le français et la société française. Ce dont elles ont besoin, c'est d'un coup de pouce si elles décident de quitter leur famille, pour les aider à surmonter l'idée qu'elles trahissent et une pression psychologique tellement forte qu'elle les conduit à l'autocensure. Sans rien leur cacher de ce que signifie une décision aussi radicale, l'association apporte une aide à ces jeunes filles. Il s'agit de jeunes filles qui ne sont pas autonomes et pour lesquelles on devra, pour éviter des « crimes d'honneur », trouver un hébergement à l'autre bout de la France. Il faut aussi leur faire comprendre que leur rêve d'études supérieures va se heurter très vite au principe de réalité, puisqu'il leur faudra travailler, quitte à reprendre leurs études par la suite. Si elles sont déterminées, l'association les aide à aller au bout de leur projet de départ. Elle propose parfois une médiation, que ces jeunes filles refusent la plupart du temps, craignant que les pressions redoublent, sinon pire.

La situation est d'autant plus difficile que les garçons s'opposent très rarement à ces pratiques, qui leur permettent de jouir d'un confort paisible : pour peu qu'ils épousent la femme que leur mère a choisie pour eux, libre à eux de mener une double vie et même d'avoir, ailleurs, une famille illégitime. L'essentiel, c'est que la femme officielle soit turque. Rares sont les fils capables de dire qu'ils veulent mener leur vie comme ils l'entendent et qu'ils ne prendront pas pour épouse la femme que l'on souhaite leur imposer.

Dans ce contexte, la seule solution est l'information, qui doit se faire à l'école, car si l'école républicaine est émancipatrice pour les filles, elle ne l'est pas pour les garçons ; il faut donc faire mieux. Les interventions faites par l'association ELELE dans les villes de Seine-Saint-Denis telles que Clichy-sous-Bois ou Montfermeil où la population turque est nombreuse, montrent que c'est une des voies principales permettant de contourner les diktats familiaux. A l'école, où les élèves sont d'origines diverses, des interactions se produisent, telles que des émotions sont verbalisées qui auraient été tues autrement. Ainsi de cet adolescent de seize ans qui, ayant entendu Mme Gaye Petek expliquer les inconvénients qu'il y a à un mariage arrangé avec une jeune fille n'ayant jamais quitté son village turc natal, déclara : « Mais si l'on ne fait pas ça, si je sors avec une des filles qui sont là et que je ne suis pas le premier, où est mon honneur ? ». Ce à quoi un jeune Maghrébin rétorqua que l'on n'était quand même plus au Moyen-Age... Il s'ensuivit une discussion passionnée sur l'amour mais aussi sur le respect, la question étant posée de savoir jusqu'à quel point il faut respecter ses parents si l'on souhaite exister en tant qu'individu.

Voilà tout ce dont il faut parler ! Il est temps de comprendre que l'on ne peut faire exactement les mêmes cours au lycée Henri-IV et dans des classes composées à 70 % de jeunes gens issus de l'immigration. Ignorer la réalité ne sert qu'à perpétuer des erreurs dommageables. Il est indispensable d'aborder ces sujets à l'école, car les familles ne vont pas changer très vite, et ce ne sont pas les « prêches laïques » que Gaye Petek fait dans les mosquées modérées qui suffiront à ébranler les consciences masculines dans un avenir proche... Mais elle les fait quand même, toute convaincue qu'elle soit qu'une évolution ne sera possible, s'agissant du mariage forcé, que si l'on se livre à un travail patient d'éducation et de prévention. Actuellement, les jeunes filles françaises issues de l'immigration turque sont, pour 95 % d'entre elles, mariées à des hommes turcs. Le mariage arrangé est donc une stratégie. Parfois, ça marche, bien sûr, comme ça marchait dans la France du XIXe siècle... Mais, dans l'ensemble, cette pratique ne rend pas les gens particulièrement épanouis, qu'il s'agisse des filles ou des garçons, ces garçons qui ne parviennent pas à dire « non » à leur mère, mais qui souffrent de devoir mener une double vie les obligeant à rentrer chez leur épouse quoi qu'il leur en coûte, et qui finissent par passer leur colère sur cette pauvre femme au lieu de s'en prendre à leur mère. Et pendant ce temps, des « crimes d'honneur » continuent d'être commis...

Le mariage arrangé tient-il à des raisons religieuses ? Pour partie seulement. Il y a aussi ce que l'on doit qualifier d'interdits féodaux, puisque l'on constate également des mariages forcés chez les Kurdes ou les Turcs alevi, pourtant très ouverts, ainsi que chez les Assyro-Chaldéens chrétiens. L'obligation, dans ces derniers cas, n'est pas d'ordre religieux, mais les mariages doivent se faire à l'intérieur du groupe pour que le lignage ne soit pas interrompu.

Revenant sur le contrat d'accueil et d'intégration, Mme Gaye Petek a souligné qu'il s'agit d'une excellente solution pour l'avenir, mais qu'il aurait dû être obligatoire. Elle déplore de ne pas avoir été suivie sur ce point et insiste pour que l'on ne s'endorme pas une fois la disposition adoptée. Le plus important n'est pas que 90 % des immigrants signent le contrat, comme c'est le cas, mais qu'une fois le contrat signé tous participent aux modules de formation et d'apprentissage du français ; or, dans ce domaine, la proportion n'est pas du tout la même. Par ailleurs, le maximum doit être fait pour recevoir les femmes seules, avec un interprète, au lieu qu'elles soient accompagnées d'un mari ou d'un frère dont elles dépendent faute de maîtriser le français. Enfin, il faudrait être certain que ceux qui sont chargés de l'accueil des immigrants sont formés à distinguer la situation d'une Russe qui arrive en France munie d'un diplôme de second cycle d'études supérieures et celle d'une paysanne anatolienne. Or, ce n'est pas si sûr...

La journée de formation civique est essentielle, mais encore doit-elle se dérouler dans de bonnes conditions. L'OMI doit donc admettre que, puisque six heures sont jugées nécessaires, elles doivent être intégralement dispensées. Cela signifie la constitution de groupes de niveau si possible homogènes mais surtout parlant la même langue lorsque les personnes sont non francophones, et non pas l'agrégation d'individus parlant des langues différentes dont les interprétations successives s'imputent sur le temps théorique de formation. Poursuivre dans cette voie, c'est le meilleur moyen de tout rater, alors que cette journée donne l'occasion de parler de l'égalité et de la laïcité. On sait d'expérience à quel point le sujet intéresse, mais aussi qu'il demande à être précisément expliqué. La journée sert aussi à donner un aperçu des institutions françaises, et de la protection qu'elles peuvent apporter.

Le mariage est, de très loin, le motif de délivrance de carte de séjour le plus fréquent pour les femmes turques, dont 19 % seulement sont actives. Encore celles qui travaillent le font-elles à domicile - principalement pour la confection ou la restauration de type familial -, ce qui rend bien difficile la réponse aux questions de la Délégation qui portent sur leur insertion professionnelle. Rares sont les femmes turques salariées indépendantes. Néanmoins on observe que parmi les « brus » arrivant de Turquie il existe de meilleurs niveaux d'études que chez leurs conjoints « franco-turcs » et que certaines aspirent à parler le français puis à suivre une formation conduisant au travail. Cependant on retrouve les obstacles familiaux liés à la « permission » qui leur est donnée ou non de travailler.

Voilà pourquoi l'association ELELE privilégie l'apprentissage du français, puis la formation professionnelle pour celles qui en ont l'envie et la capacité. Les connaissances linguistiques sont capitales. Or, les femmes turques de la première génération d'immigration sont toutes non francophones, même lorsqu'elles sont en France depuis trente ans. Quant aux brus, il est douteux qu'on les laisse libres de se rendre aux cours de français. C'est ce qui explique qu'elles ne signent pas toujours le contrat d'accueil et d'intégration : les maris disent que cela ne leur sert à rien, puisqu'elles restent à la maison. Voilà pourquoi la signature de ce contrat doit être rendue obligatoire.

Mme Bérengère Poletti a dit avoir pu constater, dans sa pratique professionnelle, l'extrême réclusion des femmes turques, qui plus est regroupées dans les mêmes quartiers et ne parlant pas français alors même qu'elles vivent en France depuis des années, au point qu'un interprète est nécessaire lors des accouchements... On n'observe pas de tels phénomènes dans d'autres communautés.

Mme Gaye Petek a répondu que le repli communautaire et l'enfermement posent problème aux travailleurs sociaux, et souligné qu'au début de l'immigration turque en France, les choses étaient très différentes : les hommes étaient affables, syndiqués, amateurs de rencontres amicales au café, joueurs de PMU... Mais c'était l'époque où ils pensaient leur immigration temporaire, avant que ne les prenne la peur panique de décevoir ceux qui étaient restés au pays. Or, que se passe-t-il à présent ? Ils sont, lorqu'ils retournent en Turquie, considérés comme plus « ploucs » que quand ils sont partis. Quel échec !

Mme Bérengère Poletti a noté qu'au contraire les femmes qui s'intègrent, s'intègrent parfaitement.

Mme Gaye Petek a répondu que cela s'explique fort bien : elles ont pour références les femmes qui, en Turquie, sont ministres, juges à la Cour constitutionnelle, médecins légistes... Mais c'est là un statut reconnu aux femmes des villes. Ainsi, elle-même se sait respectée pour son savoir lorsqu'elle va parler dans les mosquées, mais elle sait aussi que les hommes auxquels elle s'adresse n'aimeraient pas que leur femme ou leur fille lui ressemblent...

M. Patrick Delnatte a demandé quelles sont les relations entre les familles et l'école.

Mme Gaye Petek a répondu que les familles respectent le savoir qui y est dispensé, mais qu'elles ont peur de sa capacité à intégrer. Il résulte de cette ambivalence qu'une fois rentrés à la maison, les enfants sont priés de laisser leur cartable fermé - autrement dit, de laisser le contenu de l'enseignement des infidèles aux infidèles. Il y avait, jusqu'à présent, très peu de contacts entre les parents turcs et l'école, mais une évolution récente se fait sentir avec les jeunes mères qui parlent un peu français. Il serait bon d'apprendre à ces jeunes femmes quel peut être leur rôle, et que l'on peut être mère autrement qu'en se limitant à poser des interdits et des autorisations. L'association ELELE a constitué des groupes de formation à la parentalité pour les jeunes mères, et les chefs d'établissement de certaines écoles maternelles où l'association intervient en redemandent car les mères qui y ont eu accès ont radicalement changé de comportement, acceptant désormais de venir à l'école parler de leurs difficultés d'éducatrices. Dans le même temps, le respect pour l'école est réel, et si un enfant turc y fait une bêtise, il sera réprimandé. Pour des raisons aisément compréhensibles, la première génération d'immigrés a éprouvé les plus grandes difficultés à aider ses enfants, qu'elle n'a d'ailleurs pas beaucoup encouragés - et surtout pas les filles... Une enquête a été menée, qui portait sur deux échantillons de parents issus du même village d'Anatolie. Le premier groupe était resté sur place mais transplanté à Istanbul dans le cadre de l'exode rural, le second avait émigré en France. Interrogés sur le point de savoir ce qui, pour eux, était le plus important quand les enfants rentraient de l'école, 81 % des Turcs de France ont répondu qu'il fallait d'abord aider sa mère puis faire les devoirs, 81 % des Turcs restés au pays répondant l'inverse...

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a exprimé sa préoccupation.

Mme Gaye Petek a souligné qu'il existe, heureusement, des exemples de réussite, tel cet architecte, fils d'ouvrier, qui ressent comme essentiel le fait que sa mère, analphabète, se soit intéressée, tous les soirs, à ce qu'il avait fait à l'école. Mais, dans leur immense majorité, les enfants de l'immigration turque ne partent pas gagnants ; ils pourraient l'être, mais ils doivent y être aidés. Certes, ils démarrent avec un moins grand handicap que les jeunes issus de l'immigration maghrébine, car ils n'ont pas à faire face à des a priori aussi négatifs. En fait, les jeunes gens turcs, et singulièrement les jeunes filles, souffrent de discriminations dues à leurs parents plus qu'à la société. Rares sont les mères qui peuvent dire à leur fille : « Sois autre que moi ». Leur discours est plutôt : « Comment puis-je exister si tu ne me ressembles pas, puisque je n'aurai pas éduqué ma fille à ma ressemblance ? »

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a demandé à quel âge les enfants turcs apprennent le français.

Mme Gaye Petek a répondu que l'école étant ressentie comme un passage obligé, les enfants vont à la maternelle. En revanche, on constate une forte résistance aux activités périscolaires, qu'il s'agisse de sorties, de classes de neige ou de classes vertes. Le fait que le conjoint vienne de Turquie sans parler français et qu'il ne l'apprenne pas a pour conséquence que l'on parle turc à la maison, que l'on regarde les programmes de télévision turcs et que l'on n'a pour amis que des Turcs avec lesquels on ne parle pas français, puisque le parent primo-arrivant ne maîtrise pas cette langue. Il ressort d'une enquête menée récemment en Alsace que les jeunes enfants d'origine turque actuellement en maternelle éprouvent plus de difficultés que leur propre parent francophone n'en avaient eu au cours des années 1970... Cela s'explique par la confusion linguistique qui règne à la maison, où l'on parle un mauvais turc et un mauvais français puisqu'un parent a grandi en France et que l'autre est primo-arrivant.

Mme Danielle Bousquet a demandé si la classe sociale influe sur le comportement.

Mme Gaye Petek a répondu qu'il n'y a guère de différence sociale entre les immigrés à leur arrivée en France, exception faite de ceux qui sont venus comme intellectuels réfugiés, pour poursuivre des études et faire carrière ou encore pour ouvrir un commerce ou un bureau. Les différences s'installent peu à peu, selon l'ampleur de la réussite économique, et la situation d'une famille diffère bien sûr selon qu'elle est affectée par le chômage et la précarité ou que le père réussit comme entrepreneur. Pour autant, il est illusoire de penser que la réussite économique signifie obligatoirement intégration. On dénombre de nombreux Turcs qui travaillent, qui ont acquis la nationalité française, qui ont une grande maison et une grosse voiture, mais qui ne partagent pas le minimum des valeurs communes aux démocrates.

Mme Bérengère Poletti a souligné que, lorsqu'un membre de la communauté turque achète une maison, il la choisit toujours dans un quartier dans lequel habitent d'autres Turcs.

Mme Gaye Petek a dit qu'il s'agit d'un communautarisme plus nationaliste que religieux. On constate une identification à la nation turque, très différente du ressenti des jeunes gens d'origine maghrébine. Les jeunes issus de l'immigration turque s'identifient à l'extrême droite turque et au panturquisme, mais pas à la religion en cas de fracture identitaire, alors que les jeunes d'origine maghrébine se tournent vers les talibans. A cet égard, le débat sur la place de la Turquie en Europe est redoutable et l'on peut craindre un retour de bâton nationaliste de la part de jeunes gens qui ne cessent de lui demander : « Pourquoi les Français ne nous aiment-ils pas ? » Ce qui est grave, c'est qu'il n'y a personne pour répondre à ces questions. L'association ELELE est prête à jouer ce rôle, mais toutes les autres sont des associations cultuelles.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné le grand mérite de l'association et de sa directrice mais jugé profondément inquiétante la description de la situation.

Mme Gaye Petek a répondu qu'il ne faut pas se voiler la face et que l'évolution perceptible est, en effet, peu encourageante. Il faut agir.

Mme Danielle Bousquet a demandé si les enseignants qui ont beaucoup d'élèves turcs ont conscience de cette réalité et si des programmes spécifiques ont été mis au point.

Mme Gaye Petek a répondu qu'une prise de conscience se fait dans les classes de non-francophones. Le problème, c'est que les IUFM n'ont pas d'argent à consacrer à de telles formations. De ce fait, tout dépend des individus. Certains enseignants remarquables se documentent, mais il n'y a pas de doctrine globale. Pire : certains enseignants expliquent qu'il leur est interdit de faire référence à la culture d'origine d'un élève. Manifestement, certains messages ne passent pas au sein de l'Education nationale.

Mme Danielle Bousquet a observé que la France n'ayant pas pris conscience d'être multiculturelle, on continue à former les enseignants à l'éducation de jeunes Bretons et de jeunes Normands.

Mme Gaye Petek a souligné qu'un certain sentiment de culpabilité semble interdire d'aborder les questions qui fâchent, telle celle des mariages forcés. Lorsqu'elle a commencé d'en traiter, il y a une douzaine d'années, elle-même s'est entendu accuser de stigmatiser la communauté turque. L'association ELELE a averti que si la question n'était pas traitée, la presse s'en emparerait, et de manière bien plus violente ; cela n'a pas manqué.

Mme Bérengère Poletti a demandé si la situation est la même en Allemagne.

Mme Gaye Petek a répondu que l'immigration turque y est plus ancienne de dix ans et que la première vague, venue de l'ouest de la Turquie, était même celle de femmes chefs de famille venues seules, avant leur mari ; ceci a constitué, au fil du temps, une classe moyenne d'origine rurale certes, mais avec des réflexes de classe moyenne. Ensuite sont venus des réfugiés politiques issus du monde urbain et de haut niveau d'éducation, qui ont créé de nombreuses associations similaires à ELELE et proposant des activités culturelles. En Allemagne aussi, les immigrés turcs se marient entre eux, mais 40 % des jeunes se marient entre Turcs d'Allemagne, ce qui est beaucoup plus, et beaucoup mieux, qu'en France. Au sein de l'association ELELE, toutes les catégories sociales se rencontrent, mais c'est un des rares lieux où cela se fait. Pour le reste, il n'y a ni mélange, ni solidarité entre les diverses couches sociales des Turcs de France. Quant aux immigrés turcs qui rentrent en vacances au pays, ils souffrent d'une image bien plus négative qu'en France : la société turque porte sur eux des jugements très durs, estimant qu'ils nuisent à l'image de la Turquie en Europe. De fait, rien ne reflète une Turquie moderne et évoluée dans ces rassemblements de dizaines de femmes voilées... Mais, une fois encore, l'on n'aborde pas comme on le devrait les questions qui fâchent. C'est ainsi qu'au motif qu'elle a participé à la commission Stasi, elle-même est invitée à traiter sans relâche de la laïcité, parce que les Français de souche n'osent pas le faire.

Mme Bérengère Poletti a déclaré qu'il règne une grande confusion dans les esprits entre immigration et racisme.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a chaleureusement remercié Mme Gaye Petek, qui a souligné, en conclusion, l'absolue nécessité de l'éducation et de la formation.

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a ensuite entendu Mme Damarys Maa, présidente de la fédération IFAFE (Initiatives des femmes africaines de France et d'Europe).

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souhaité la bienvenue à Mme Damarys Maa, présidente de la fédération IFAFE, que la Délégation a souhaité entendre dans le cadre de sa réflexion relative à une meilleure intégration des femmes immigrées et issues de l'immigration. L'association a participé aux travaux du groupe de travail « Femmes de l'immigration » qui a remis le 7 mars dernier un rapport à ce sujet aux ministres de la parité et de la justice. Elle a donc été associée à la réflexion sur les difficultés d'intégration des femmes de l'immigration, particulièrement les femmes africaines.

La Délégation entendra avec un grand intérêt l'avis de Mme Damarys Maa sur : l'accès des femmes immigrées à leurs droits et la conquête de leur autonomie juridique ; les problèmes particuliers des femmes africaines confrontées aux mariages forcés, à la polygamie, aux répudiations ; le problème des femmes migrantes qui arrivent pour la première fois en France ; l'insertion professionnelle des femmes immigrées, souvent peu qualifiées, possédant mal le français, et davantage touchées par le chômage que les Françaises.

Mme Damarys Maa a remercié la Délégation de l'avoir invitée à s'exprimer. Elle en est d'autant plus touchée que les problèmes spécifiques des femmes immigrées n'ont que tardivement commencé d'être pris en considération. Cela fait chaud au cœur de celle qui milite depuis de longues années, si longues qu'elle souhaite prendre sa retraite de militante mais s'inquiète de l'absence de relève. Dans leurs permanences, les associations membres de la fédération IFAFE reçoivent des femmes, africaines ou non, car toutes les femmes peuvent souffrir des mêmes problèmes : une femme battue est une femme battue, quelle que soit son origine. Mais les femmes immigrées souffrent d'une double voire triple discrimination de par leurs origines et de par leurs statuts.

IFAFE a été créée en 1993, sous forme d'association loi de 1901. Mme Damarys Maa, qui avait déjà beaucoup milité contre l'apartheid, était à l'époque directrice de son agence de communication par l'événementiel qu'elle avait créée en 1992. Cette année-là, elle a considéré qu'il était temps d'aider les femmes issues de l'immigration qui n'avaient pas eu la chance de parvenir à des postes de responsabilité, en entreprise ou comme indépendantes et, avec des amies dans son cas, elle a décidé d'agir pour aider à l'intégration de la population étrangère en France, pour lutter contre l'image négative des femmes africaines, trop souvent considérées seulement comme l'une des épouses d'un mari polygame, pour combattre le racisme et les discriminations et enfin pour aider au développement des pays d'origine. Mme Damarys Maa, qui est d'origine camerounaise, a souhaité que l'association rassemble des femmes de tout le continent africain, afin de confronter des cultures et des traditions différentes, si bien qu'IFAFE est une Afrique en miniature. En 1996, l'association a décidé qu'il fallait, pour être plus visible et plus efficace, se constituer en fédération. Elle comprend 23 associations en France, dont 15 sont présidées par des femmes. IFAFE s'était en effet ouverte aux associations mixtes en 2000. Chacune des associations membres de la fédération IFAFE est une association loi de 1901 autonome, mais toutes ont le même plan d'action. Lorsqu'il n'existe pas d'association locale, les membres de la fédération se rendent sur place pour voir comment apporter une aide aux femmes en difficulté.

Abordant la question de la polygamie, Mme Damarys Maa a souligné que les difficultés tiennent au regroupement familial. La polygamie touche majoritairement des femmes africaines musulmanes qui ne parlent pas ou peu le français. Issues du Mali, de Mauritanie, du Sénégal, du Niger, des Comores et de Djibouti mais aussi du Maghreb, elles sont venues rejoindre leur mari, mais c'est lui qui détient le pouvoir, c'est lui qui garde leur passeport et c'est lui qui touche les allocations familiales, car elles n'ont pas de papiers à présenter à l'administration. Ne connaissant pas leurs droits et ne maîtrisant pas le français, elles sont sans moyens d'action. Lorsqu'elles se tournent vers l'association, celle-ci est impuissante, car elle ne peut contraindre un époux à restituer ses papiers à sa femme. La méconnaissance qu'ont les Africaines des circuits administratifs français les empêche d'accéder à leurs droits, ce dont les hommes profitent, allant jusqu'à les séquestrer. Bien souvent, les maris les accompagnent au marché pour éviter qu'elles n'entrent en contact avec d'autres femmes qui pourraient leur ouvrir les yeux. C'est ainsi que des jeunes femmes arrivées d'une lointaine province malienne se trouvent tout à coup habiter un appartement, devoir utiliser des toilettes, comprendre l'usage de l'électricité et contraindre leurs enfants à se tenir correctement en public comme en Afrique avec des revers tels que certains enfants peuvent menacer leurs mamans de les dénoncer auprès de la DDASS ou des assistantes sociales... Cela n'a rien d'évident, surtout lorsque l'ombre du mari pèse.

Si les informations nécessaires étaient données, dès le départ, par le consulat qui délivre le visa, la femme immigrante saurait qu'il existe des associations qui peuvent l'aider et surtout qu'elle jouit de certains droits, mais aussi que l'immigration n'est pas le paradis. En France même, chaque association, chaque service social travaille dans son coin, au mépris d'une transversalité pourtant indispensable. En outre, l'ignorance des cultures des autres conduit à des erreurs psychologiques grossières. Une assistante sociale qui demandera brutalement à une femme dont le mari est polygame : « Pourquoi ne divorcez-vous pas ? » n'obtiendra rien. En revanche, les membres d'IFAFE peuvent expliquer ce qu'est la décohabitation en ménageant les traditions ; si l'on ne procède pas ainsi, on court au blocage. En résumé, le manque de complémentarité ne facilite pas les choses. Et pourtant, ce sont des gens parfois bien maladroits qui demandent aux membres d'IFAFE de prouver leurs compétences...

Les mariages polygames entraînent une promiscuité redoutable. Quoi qu'elles en disent, les femmes qui vivent dans cette situation ne peuvent vivre bien, car ce qui se pratique en Afrique n'est pas transposable en France. Où est la grande cour dans laquelle chaque épouse dispose de sa propre case ? En France, les femmes sont contraintes de partager le même appartement, où cohabitent une multitude d'enfants. Le moins que l'on en puisse dire, c'est que ce n'est pas pratique. Comment s'étonner qu'un jour ou l'autre des problèmes surgissent ?

En outre, les maris confisquant cartes de séjour et de sécurité sociale, leurs différentes femmes accouchent sous un nom qui n'est pas forcément le leur. Il s'ensuit des épisodes dont on se demande pourquoi les services de maternité ne sont pas surpris. N'est-ce pas un phénomène mystérieux qu'une femme ayant accouché deux mois auparavant vienne accoucher à nouveau ?

La loi sur le regroupement familial n'a pas été assortie des mesures permettant aux familles polygames de vivre dans un pays qui interdit la polygamie. Or, le regroupement familial étant acquis, les hommes en ont conclu qu'ils peuvent faire venir leurs épouses. Il en résulte que les enfants vivent dans des foyers surpeuplés où ils n'ont aucun espace. C'est un facteur d'échec scolaire patent ; les enfants sont, d'emblée, victimes de cette promiscuité.

Pour chaque femme venue dire sa détresse, les membres d'IFAFE rédigent une fiche expliquant ce qui a motivé sa démarche. Les questions qui permettent sa rédaction montrent que les problèmes s'emboîtent comme des poupées russes. On se rend ainsi compte qu'une femme venue pour un problème de papiers est mariée à un homme polygame, puis que celui-ci la frappe. On découvre aussi que certaines femmes sont en situation irrégulière par simple méconnaissance de la réglementation, ou pour avoir donné foi à des rumeurs. Il arrive que l'association parvienne à rattraper certaines erreurs. Certaines associations membres de la fédération IFAFE dispensent des cours d'alphabétisation sous forme d'ateliers de savoirs de base dans le cadre du co-financement de la politique de la ville (Fasild, sous-préfecture et conseil général). Mais on est une nouvelle fois confronté à des problèmes gigognes, car il est bien difficile d'assister à un cours avec des enfants en bas âge. Il faut donc prévoir des garderies et prévoir aussi, dans ces garderies, des jeux éducatifs pour des enfants qui très souvent ne les ont pas chez eux.

Certains enfants très perturbés ont de bonnes raisons de l'être : ils ne voient jamais leur mère, qui part faire le ménage dans des bureaux à cinq heures du matin, revient quand ils sont à l'école et repart travailler en fin d'après-midi avant qu'ils aient quitté la classe. Comment s'étonner de l'agressivité de ces enfants-là à l'école ? Ils sont pris en charge, plus ou moins bien, par l'autre épouse ou par les grands frères et grandes sœurs, mais leur mère, absente par force, n'a pas d'autorité sur eux.

Mme Danielle Bousquet a demandé quel était le rôle du père, hormis celui de collecteur des allocations familiales.

Mme Damarys Maa a fait observer que, dans une famille africaine, le rôle du père n'est pas de s'occuper des enfants et que, par ailleurs, l'éboueur qui rentre chez lui le soir, sa journée accomplie, est épuisé. Il arrive que l'on parvienne à faire comprendre aux parents pourquoi leurs enfants sont perturbés, mais l'association n'a aucun moyen d'action. Or, elle a eu connaissance d'au moins cinq cas de ce genre, à Paris, à Lyon et à Rouen. C'est dire que si l'on creuse, on trouvera de multiples cas similaires, partout, ce qui est très préoccupant ; ne s'agit-il pas des adultes en devenir de la France de demain ? Et la décohabitation ne résout pas les problèmes car, même lorsqu'elle semble acquise, l'homme continue et de faire le tour des appartements, de faire des enfants à sa femme et de percevoir les allocations familiales. Les femmes ne sont pas plus autonomes qu'elles ne l'étaient précédemment et continuent de dépendre de lui.

Un divorce à la hâte sollicité par le système de « décohabitation » n'est pas considéré en tant que tel par ces familles, ni en France et encore moins en Afrique.

M. Patrick Delnatte a dit avoir cru comprendre que la décohabitation entraînait de facto l'attribution des allocations familiales à la mère.

Mme Damarys Maa a répondu que la mesure commence seulement d'être appliquée.

Abordant la question des mariages forcés, elle a expliqué que la pratique concerne la plupart du temps des femmes musulmanes ne parlant pas ou parlant mal le français. Elle a fait état d'un cas porté tout récemment à sa connaissance, qui témoigne d'une évolution inquiétante. Il s'agit d'une jeune fille renvoyée en Afrique à l'âge de huit ans, que l'on fait revenir à dix-huit ans, alors qu'elle a tout oublié du français, parce qu'elle a un passeport français. Après quoi, on a voulu en quelque sorte vendre ce passeport français à un immigré en situation irrégulière en forçant la jeune fille à l'épouser. Pour elle, l'alternative était la suivante : soit le refus du consentement au moment du mariage, mais les pressions familiales sont énormes, soit la fuite, sachant que son passeport demeure confisqué par la famille.

Dans un cas comme celui-là, un nouveau problème se pose : celui de l'hébergement d'urgence. La fédération IFAFE et ses associations membres y sont confrontées de manière permanente et ne peuvent le résoudre. Et pourtant ! Que faire lorsqu'à minuit, des femmes et parfois des enfants se trouvent à la rue et que le 115 ne répond jamais ? Il arrive que les membres de l'association recueillent ces femmes chez eux, mais ce ne peut être une solution. On constate que les services publics, faute de structure adéquate, en viennent à héberger dans l'urgence ces femmes à l'hôtel - où elles n'ont pas le droit de cuisiner, alors qu'elles ont des enfants... Cette politique, qui coûte une fortune, est incohérente. Mieux vaudrait retaper des immeubles ou de vieilles maisons pour reloger ces femmes en difficulté. Les associations européennes sœurs de la fédération IFAFE se sont d'ailleurs dites estomaquées par cette solution hôtelière ; réunies à l'occasion d'une rencontre organisée par la fédération IFAFE et portant sur l'égalité des chances en Europe, et mises au courant de cette pratique, elles ont dit leur admiration pour cette France si riche !

M. Patrick Delnatte a demandé si les femmes dont il est question sont en situation régulière.

Mme Damarys Maa a répondu que l'association cherche à aider toutes les femmes en difficulté, qu'elles aient ou non des papiers.

Mme Danielle Bousquet a observé que, la politique du Gouvernement tendant à refuser toute régularisation, les problèmes demeureront inextricables.

Mme Damarys Maa a souligné que l'absence consternante d'hébergement d'urgence concerne aussi et surtout les femmes en situation régulière. La différence, c'est que celles-là ont droit à des aides, et pas les autres. Il faut aussi parler des mariages voulus, contractés sur Internet par certains Européens en mal d'exotisme ou d'une femme soumise, mais qui la mettent à la porte quand elle ne répond pas au fantasme ou au cliché traditionnel qu'ils se font de la femme africaine. Il arrive également que des femmes s'enfuient car elles sont victimes de violences de la part de leur mari français. Où les loger ? Comment les aider ?

On assiste d'autre part à une extension permanente de la prostitution forcée. Les femmes contraintes de s'y soumettre proviennent en majeure partie des pays anglophones d'Afrique de l'Ouest, principalement du Nigeria, du Ghana et de Sierra Leone, exerçant la prostitution dans les camions des trafiquants. La fédération IFAFE a prévu une campagne de sensibilisation l'année prochaine, pour mettre en garde, dans les pays d'origine, contre les mères maquerelles qui ont elles-mêmes vécu cette situation et qui vont « recruter » sur place. Les innocentes appâtées ignorent qu'aussi longtemps qu'elles n'auront pas remboursé leur billet d'avion, elles seront à leur tour contraintes de se prostituer, sous peine de voir leur propre famille menacée.

Mme Danielle Bousquet a demandé par quel biais des femmes africaines arrivent en France alors que celui qui les fait venir est déjà marié.

Mme Damarys Maa a expliqué qu'elles entrent sur le territoire avec un visa de tourisme. Voilà pourquoi elles ne peuvent obtenir une carte de séjour, voilà pourquoi elles se trouvent toutes en situation irrégulière, certaines disposant cependant d'un titre de séjour temporaire d'un an.

Mme Danielle Bousquet a dit connaître de multiples cas de ce genre. Et si l'on parvient à en régler un ou deux avec la préfecture, rien n'est possible pour l'immense majorité des autres. C'est ainsi que des femmes sont contraintes de vivre avec douze euros par jour alors qu'elles ont des enfants scolarisés en France. Souvent, des réseaux de soutien se mettent en place, mais aucune solution n'apparaît : il n'existe pas de solution d'hébergement, il n'y a pas de régularisation possible et elles n'ont pas le droit de travailler, si bien qu'aucun employeur, à supposer qu'il le veuille, ne peut les embaucher. Dans ces conditions, que faire ? Doivent-elles se prostituer ? Cette situation est monstrueuse ; pourtant, elle se répète à l'infini, et des familles entières sont à la rue. C'est l'impasse. On ne peut s'en satisfaire.

M. Patrick Delnatte a observé que le problème tient aux conditions de délivrance des visas.

Mme Danielle Bousquet a fait valoir que l'on ne peut refuser un visa touristique, et souligné les conséquences de la traite internationale des femmes, qui enrichit bien des truands.

Mme Damarys Maa a indiqué que le nouveau contrat d'accueil et d'intégration est une bonne chose, mais que les femmes sont une nouvelle fois pénalisées, leur assistance aux cours de français et de formation civique étant compromise par l'absence de garderies. Voilà pourquoi elles y sont peu nombreuses.

Evoquant son parcours personnel, elle s'est désolée que l'on ne parle jamais des cas de réussite professionnelle des femmes issues de l'immigration. C'est toujours une image dévalorisante qui est donnée d'elles, ce qui n'a que des effets négatifs : non seulement les jeunes n'ont pas de modèles, mais ces projections nourrissent le racisme au sein de la population d'accueil. Pourtant, nombreuses sont les femmes d'origine africaine qui sont cadres ou ingénieurs, et nombreuses aussi celles qui ont créé leur commerce. Il est bien dommage que la France ne se rende pas compte de cela et que l'on en reste à des idées toutes faites selon lesquelles les immigrés ne seraient là que pour prendre le travail des autochtones. Par ailleurs, les associations telles qu'IFAFE ne sont pas assez soutenues, et l'action de leurs membres n'est pas reconnue à sa juste valeur. L'action associative est pourtant un formidable vecteur d'intégration et c'est aussi, on le sait, une passerelle vers l'action politique, notamment pour les femmes. Valoriser cette action militante motiverait bien des femmes, encore qu'il soit difficile de demander une telle implication à celles qui vivent dans la précarité. La relève souhaitée au sein d'IFAFE se fait attendre, ce qui est très préoccupant.

Il faut dire aussi que les subventions, récentes, ont déjà été dramatiquement réduites, et que le besoin se fait désespérément sentir d'un local, à ce jour introuvable faute de fonds. Le ministère des affaires étrangères devrait pourtant être reconnaissant à une association dont l'action a, entre autre, permis le retour de deux jeunes Françaises d'origine sénégalaise qui avaient été expédiées au Sénégal sous la contrainte de leur famille !

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a indiqué qu'elle appellerait l'attention des services concernés sur cette question.

Mme Danielle Bousquet a dit s'inquiéter de l'avenir d'une génération d'enfants qui grandissent dans une société qui les rejette.

Mme Damarys Maa a souligné que si tant d'Africains émigrent, c'est que la situation du continent, déjà catastrophique, ne cesse de se dégrader. Il faut en finir avec des programmes de développement concoctés ailleurs et qui ne collent aucunement à la réalité, et leur préférer des projets menés en partenariat après qu'ils auront été élaborés par les populations locales.

Mme Danielle Bousquet a observé qu'il est absurde et illusoire de prétendre fermer les frontières, et que l'on n'empêchera jamais de venir des gens déterminés. On ne résoudra rien de cette manière.

Mme Damarys Maa a dit le clamer avec d'autres, et souligné à regret n'être pas entendue.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, ayant rappelé que l'UMP vient de tenir une convention sur l'immigration, Mme Damarys Maa a indiqué ne pas avoir été invitée à y assister. Aurait-elle pu y prendre la parole qu'elle aurait dit que l'on ne peut fermer les frontières ; que les immigrants seront de plus en plus nombreux car ils fuient la misère et qu'ils sont prêts à tout pour avoir un sort meilleur, y compris à mourir en cours de route ; qu'il appartient aux pays développés de trouver les moyens de maintenir ces populations désespérées dans leur pays d'origine. Ces moyens existent mais, jusqu'à présent, on a distribué larga manu de l'argent à des dirigeants qui s'en sont servis à des fins personnelles, par exemple pour s'acheter des appartements à Paris ou pour financer les coûteuses études de leurs enfants à l'étranger, pendant que la société civile continuait de souffrir. Que l'on commence donc par la formation et l'information en Afrique, que l'on explique enfin ce qu'est la gestion d'une association et celle des deniers publics ! Les gens ont soif de formation, et particulièrement les femmes, celles grâce à qui l'Afrique n'a pas encore complètement sombré.

Mme Danielle Bousquet a souligné qu'il est inacceptable qu'un pays aussi riche que la France laisse à la rue des familles entières. Le besoin d'hébergement d'urgence ne cesse de croître, dans toutes les régions. Il est indispensable d'en tenir compte lors de l'élaboration de la prochaine loi de finances.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a chaleureusement remercié Mme Damarys Maa et souhaité qu'elle ne se décourage pas de poursuivre sa remarquable action militante.

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