DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 6

Mardi 22 novembre 2005
(Séance de 18 heures 30)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Myriam Bernard, directrice générale adjointe du FASILD et de M. Kaïs Marzouki, directeur de l'action éducative et de la solidarité, chargé de la question des femmes immigrées et issues de l'immigration

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu Mme Myriam Bernard, directrice générale adjointe du Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD) et M. Kaïs Marzouki, directeur de l'action éducative et de la solidarité, chargé de la question des femmes de l'immigration.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a dit son plaisir d'accueillir à nouveau Mme Myriam Bernard, directrice générale adjointe du FASILD, et M. Kaïs Marzouki, directeur de l'action éducative et de la solidarité, chargé de la question des femmes de l'immigration, venus compléter leur propos.

M. Kaïs Marzouki a indiqué que les femmes constituent 47 % de la population immigrée, proportion qui augmente régulièrement. Ce sont des adultes jeunes, puisque pour la plupart âgées de vingt à quarante-cinq ans. Comme on le sait, les femmes sont plus touchées que les hommes par le chômage. Or, la situation est plus grave encore pour les femmes étrangères que pour les femmes françaises. Ainsi, une femme immigrée sur quatre est au chômage, contre un homme immigré sur cinq, et le taux de chômage des femmes étrangères originaires de pays non membres de l'Union européenne est trois fois plus élevé que celui des femmes françaises. Enfin, l'emploi à temps partiel concerne 37 % des femmes immigrées contre 31 % de l'ensemble des femmes actives ayant un emploi en France.

Il y a donc bien, pour ce qui est de l'emploi, une sorte d'entonnoir : les hommes sont en quelque sorte relativement bien lotis et les femmes souffrent de discrimination, cette discrimination étant plus prégnante pour les femmes originaires des pays de l'Union européenne et plus sévère encore pour les femmes issues de l'immigration extracommunautaire qui sont, et de loin, les plus touchées par le chômage.

Dans ce contexte, le FASILD s'attache à promouvoir l'égalité entre les sexes sans distinction d'origine, et toutes ses actions tendent à lever la double discrimination dont sont victimes les femmes immigrées, en raison de leur sexe et de leur origine ethnique. Le FASILD intervient à ce sujet selon plusieurs modalités. Le Fonds conclut des accords cadres avec tous les services publics chargés des questions relatives aux femmes. Un accord a ainsi été signé avec la direction de la population et des migrations et le service des droits des femmes et de l'égalité.

Le Fonds s'efforce par ailleurs de susciter un effet de levier par son travail avec les associations. Il intervient au niveau national, en association avec les têtes de réseaux et les fédérations, mais aussi aux niveaux régional, départemental et local, en signant des conventions pluriannuelles d'objectifs dont la durée habituelle est de trois ans et, au cas par cas, des conventions annuelles. Plus largement encore, toutes les actions du FASILD sont conçues de manière transversale, si bien que toutes les conventions mentionnent explicitement que la question de la mixité et de l'égalité entre les hommes et les femmes doit être prise en compte dans toutes les actions qu'il soutient.

Voilà pourquoi la direction des études du FASILD a consacré plusieurs travaux à l'amélioration des connaissances sur la situation des femmes de l'immigration. En 2005, M. Le Huu Khoa a traité des « Femmes asiatiques en France : place familiale, placements professionnels, déplacements sociaux ». L'étude dresse un tableau exhaustif des conditions de vie et du poids de l'éducation familiale, religieuse et communautaire sur les trajectoires d'insertion sociale et professionnelle de trois cents femmes asiatiques.

Une seconde étude, réalisée sous la direction de M. Altan Gökalp, a traité des « Conjoints de Français originaires de Turquie ». Elle montre le décalage vécu, après leur arrivée en France, par des jeunes femmes qui ont souvent un niveau d'études supérieur à leurs conjoints et qui découvrent à leur arrivée en France des conditions de vie parfois difficiles.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a dit ressentir les communautés asiatiques comme particulièrement refermées sur elles-mêmes, ce qui n'aide pas à comprendre la situation exacte des femmes en leur sein. Il en va de même pour les communautés d'Afrique noire : on ne sait précisément quel rôle joue chaque femme dans ce qui s'apparente à des tribus au sein desquelles plusieurs épouses cohabitent. Voilà qui complique la tâche du législateur.

Mme Myriam Bernard a indiqué que, selon les conclusions de l'étude de M. Le Huu Khoa, les femmes asiatiques bénéficient d'une assez grande intégration professionnelle. Mais si elles apparaissent bien intégrées dans leur milieu, elles semblent aussi plutôt soumises à leur mari et à la communauté étendue et, effectivement, peu connues des services publics.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a observé que, lors de la fête du Têt, le dialogue se noue avec les hommes, mais très rarement avec les femmes.

M. Kaïs Marzouki a exposé que la modernité se traduit par la primauté donnée à l'individu sur le groupe. En France, le groupe vient en second, mais ce n'est pas le cas pour les vagues d'immigration récentes, où le poids du groupe demeure très important et où il n'y a pas primauté de l'individu. S'agissant des femmes d'origine maghrébine, il existe un indicateur que les chercheurs utilisent avec réticence et qui est pourtant loin d'être inintéressant : celui des mariages mixtes. Ils sont en effet extrêmement nombreux, et les unissent à des Français de France. Autrement dit, le brassage se fait, comme il s'est fait précédemment avec les vagues d'immigration polonaise, italienne, espagnole ou portugaise. Mais le curseur le plus significatif demeure le degré de primauté accordé à l'individu. Il s'agit là d'un phénomène de long terme, mais il va dans le sens de l'histoire.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est demandé si les communautés asiatiques souhaitent cette évolution.

Mme Myriam Bernard a répondu que l'étude ne le montre pas, mais que le phénomène doit être envisagé dans la durée. Pour ce qui est des femmes africaines, le FASILD, loin de nier la polygamie, aide à la décohabitation, source d'autonomie. Là aussi, du temps est nécessaire pour permettre aux nouvelles arrivantes de dépasser les schémas traditionnels. Mais il y a chez les femmes africaines un potentiel d'énergie considérable, comme en témoigne leur activité, remarquable, de chefs d'entreprises.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a dit n'en pas douter, et s'est félicitée qu'une femme ait remporté l'élection présidentielle au Libéria.

Mme Myriam Bernard a souligné que les femmes africaines ont lancé d'innombrables micro-projets dans les quartiers, projets qui demeurent essentiellement portés par elles. Cela étant, les entretiens menés par le FASILD dans ces quartiers ont mis en évidence à quel point l'image des hommes et des pères est dévalorisée. En fait, plus les femmes prennent leur autonomie, et plus ils se réfugient dans la tradition et le repli communautaire.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé les très intéressants propos de Mme Gaye Petek à ce sujet. Elle a d'autre part souligné l'absence des hommes de la prévention des violences urbaines des dernières semaines : on a vu des femmes essayer de reprendre les choses en main, mais les hommes sont apparus comme uniquement spectateurs. D'évidence, les femmes ont un rôle majeur à jouer.

M. Kaïs Marzouki a insisté sur l'action menée par le FASILD à propos de la parentalité, précisant qu'il s'agit bien de valoriser le rôle des mères et des pères. Si l'équilibre est difficile à trouver, c'est qu'il faut mener des actions ciblées vers les femmes sans disqualifier les pères.

Mme Myriam Bernard a appuyé ce propos, soulignant que lorsque l'image du père est dévalorisée, les enfants ont beaucoup de mal à se construire, faute de repères identitaires satisfaisants.

Mme Nathalie Gautier s'est dite à son tour surprise par l'absence des pères pendant les violences urbaines, absents au point de n'exprimer aucune revendication. Elle a ensuite abordé la question des relations entre les familles immigrées et les établissements d'enseignement. Elle s'est dite frappée par l'inquiétude des mères immigrées lorsqu'elles constatent, au collège, que leurs enfants commencent à « décrocher », et ne peuvent établir de liens, sinon superficiels, avec le professeur principal ou avec le CPE. Une demande est formulée qui demeure insatisfaite, et il en résulte une véritable souffrance. Bien souvent, l'équipe enseignante est prête à répondre à la demande mais l'articulation ne se fait pas avec la famille, car le père n'apparaît pas.

M. Kaïs Marzouki a indiqué que le FASILD mène une intervention spécifique dans ce domaine, un accord cadre ayant été signé à ce sujet avec l'Education nationale. Il s'agit justement de favoriser le rapprochement entre l'école et les parents - le père et la mère, et non la mère seulement.

Mme Myriam Bernard a souligné que, plus largement encore, le FASILD souhaite aider les femmes issues de l'immigration à s'investir davantage dans les instances de l'Education nationale.

Mme Claude Greff a observé que la chose ne serait pas simple, puisqu'un problème se pose déjà à ce sujet avec les parents non issus de l'immigration.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a dit redouter que la génération de ses arrière petits-enfants soit seule à même de régler le problème, tant l'effort à accomplir est de longue haleine. A relire la déclaration du Président de la République, on comprend bien que c'est la question de la diversité culturelle qui se pose et que la France, à ce jour, ne l'assume pas.

Mme Claude Greff a renchéri, constatant qu'actuellement la France ne voit pas de quelle richesse cette diversité culturelle est porteuse.

Mme Myriam Bernard a indiqué que le FASILD a passé un accord cadre avec France 3 et qu'un autre accord est en cours de réalisation avec France Télévisions. L'objectif est de présenter l'immigration, l'intégration et la diversité culturelle de manière constructive. La même démarche a été entreprise auprès de TF1 sans résultats probants, cette chaîne considérant avoir fait ce qu'elle devait grâce à des émissions telles que Star Academy. Pourtant, il faut aller bien au-delà et savoir montrer, dans les films produits par la télévision française, des personnages reflétant toute la diversité culturelle du pays.

Mme Claude Greff a observé que cette diversité apparaît dans les films américains.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a fait valoir que la même diversité devrait être de règle dans les films français.

Mme Claude Greff s'est interrogée sur la nécessité d'une telle démarche.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a indiqué avoir eu l'occasion de discuter avec l'acteur Mouss Diouf, qui joue dans le feuilleton télévisé Julie Lescaut. Il lui a fait part de son intention d'abandonner cette production, expliquant en avoir assez d'être « le Noir de service »... L'objectif devrait être de montrer toute la diversité de la population française dans les films proposés aux téléspectateurs.

Mme Claude Greff a exposé que, plutôt que d'en passer par les fictions, mieux vaudrait que la diversité culturelle se traduise dans l'effectif des présentateurs et des journalistes. A cet égard, France 3 est sans nul doute en avance sur TF1.

Mme Nathalie Gautier a observé que, contrairement à la société américaine, la société française est bloquée en la matière. Il n'est besoin, pour s'en convaincre, que de constater la difficulté que les collégiens de troisième éprouvent à trouver un stage lorsqu'ils sont issus d'une famille immigrée. La responsabilité est générale : la France n'accepte pas son immigration, ni donc la réalité, qui est que la société nationale est devenue multiethnique.

Mme Claude Greff s'est dite en désaccord avec cette manière d'envisager les choses. Les enfants issus de l'immigration sont parfaitement acceptés. Ce qui fait barrage, c'est leur comportement, leur manière de s'exprimer et leur tenue vestimentaire, qui ne sont pas dans la norme. Voilà ce qui fait obstacle.

Mme Nathalie Gautier a dit ne pas partager ce point de vue, soulignant que la plupart des adolescents et des jeunes gens ont des vêtements hors norme.

Mme Claude Greff a insisté et précisé qu'un Français de souche ne sera pas davantage admis dans une entreprise s'il prétend s'y présenter coiffé en « rasta ». Si les immigrés veulent véritablement s'intégrer à la société française, chacun doit y mettre du sien. La France doit considérer la diversité culturelle comme une richesse mais les immigrés doivent, pour leur part, consentir à un effort minimal de comportement, effort qui n'existe pas toujours.

M. Kaïs Marzouki a souligné que la France compte 10 % d'habitants d'origine étrangère. Certains économistes considèrent, à juste titre selon lui, que se passer d'un habitant sur dix tient du suicide économique. En poursuivant dans cette voie, la France se ferait harakiri. Quant à l'intégration, elle est en effet à double sens. Il y a, d'une part, les efforts accomplis par l'individu pour s'intégrer, d'autre part, la responsabilité de la société dans les pratiques discriminatoires. Or, elles sont bien réelles ; si elles ne l'étaient pas, le Président de la République n'aurait pas eu à évoquer le « poison » qui mine la société française, et point n'aurait été besoin non plus de créer la HALDE. Une vision équilibrée des choses est nécessaire. Des jeunes de la deuxième ou de la troisième génération sont peut-être débraillés, mais le sont-ils davantage que les autres jeunes Français ? En revanche, n'est-ce pas une anomalie de ne cesser de leur rappeler leurs origines ?

Mme Claude Greff a estimé cette analyse tout à fait pertinente, soulignant que la société française, pour s'exonérer d'avoir oublié qu'elle s'enrichissait de la diversité culturelle, a tendance, aujourd'hui, à considérer les fauteurs de troubles comme des victimes. L'équilibre est en effet nécessaire : la société française doit accepter les différences et les immigrés faire des efforts. Le dire, c'est contribuer à une intégration réussie.

M. Kaïs Marzouki est revenu aux études conduites sous l'égide du FASILD, indiquant que Mme Marie-Thérèse Lanquetin avait réalisé, en 2002, une étude relative à « La double discrimination à raison du sexe et de la race ou de l'origine ethnique », publiée en 2004. C'est là une des questions les plus complexes qui soient.

Comme l'a indiqué Mme Myriam Bernard, le FASILD intervient aussi sur les représentations, par le biais d'un accord cadre avec France Télévisions, dont le président fait preuve d'un fort volontarisme en ce domaine.

Mme Claude Greff a indiqué avoir suivi une émission de Star Academy et avoir constaté une volonté sous-jacente de tolérance et de lutte contre les discriminations, quelles qu'elles soient. L'évolution est notable, mais elle devrait être encore accentuée.

Mme Myriam Bernard a indiqué que le FASILD finance pour partie le feuilleton Plus belle la vie, proposé par France 3 tous les soirs et regardé par cinq millions de téléspectateurs.

M. Kaïs Marzouki a indiqué que l'Association des Tunisiens de France a réalisé une exposition sur le thème « Traces, mémoires, histoire des mouvements de femmes de l'immigration », tendant à faire le lien entre l'histoire de ces femmes et la manière dont elles transmettent ce passé à leurs enfants.

Dans le cadre du GIP EPRA, le FASILD favorise la production d'émissions radiophoniques qui évoquent la situation des femmes de l'immigration.

Le FASILD intervient également auprès de l'Education nationale pour favoriser la formation des adultes qui sont au contact des enfants, afin que les questions liées à l'immigration soient prises en compte et que la parole des femmes de l'immigration soit encouragée.

Un autre axe de son intervention concerne l'accès aux droits. A cette fin, le Fonds finance, à hauteur respectable, différentes associations dont les plus connues sont ELELE et Ni putes ni soumises, ainsi que des centres d'information et d'orientation sur les violences faites aux femmes, les mariages forcés et les mariages arrangés.

Le FASILD s'attache également à favoriser l'accès à la culture des femmes issues de l'immigration. Dans ce cadre, il soutien notamment le Festival international de films de femmes de Créteil. Son dernier axe d'intervention concerne l'intégration économique des femmes, par le biais d'accords pluriannuels tendant à diversifier leur orientation professionnelle. Dans ce cadre, des pourparlers sont en cours qui tendent à élargir l'accès à des métiers non traditionnellement féminins.

Pour conclure, la question des femmes est prise en compte de manière transversale dans toutes les actions du FASILD, et tous les financements qu'il alloue sont orientés dans cette optique. Autrement dit, le FASILD applique une sorte de discrimination positive, puisqu'à choisir entre deux actions, il privilégiera toujours celle qui tient compte des femmes. Actuellement, le Fonds travaille à la création des conditions de l'émergence de la parole des femmes en soutenant des associations de femmes.

Mme Claude Greff a demandé si la population dont le FASILD s'occupe était issue de l'immigration régulière.

Mme Myriam Bernard a répondu qu'il en était bien ainsi.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié Mme Myriam Bernard et M. Kaïs Marzouki.

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