DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 7

Mardi 29 novembre 2005
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Examen du rapport d'activité de la Délégation aux droits des femmes octobre 2004-novembre 2005 (Mme Marie-Jo Zimmermann, rapporteure)

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- Audition de Mme Marie-Dominique de Suremain, déléguée nationale de la Fédération Nationale Solidarité Femmes

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes s'est réunie, le mardi 29 novembre 2005, sous la présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, pour examiner le rapport annuel de la Délégation aux droits des femmes pour la période juillet 2004-novembre 2005.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a d'abord présenté les propositions de recommandations portant sur le thème d'étude annuel de la Délégation : « agir pour les femmes de l'immigration ». Elles ont donné lieu à un large débat.

S'agissant du contrat d'accueil et d'intégration qui permettra d'améliorer l'information des femmes immigrées sur leurs droits, elle a notamment souligné la nécessité de rendre ce contrat obligatoire et d'organiser une cérémonie en préfecture solennisant la signature de ce contrat.

S'agissant de la lutte contre la polygamie, Mme Chantal Brunel a souhaité que soit modifiée la recommandation initiale qui prévoyait de verser directement les prestations familiales aux mères des familles polygames ayant décohabité. Elle a fait valoir que ces femmes étaient la plupart du temps illettrées et ne parlaient pas le français et qu'il leur serait donc difficile de gérer elles-mêmes ces dossiers. Elle a souhaité que les prestations familiales soient versées à un tuteur extérieur à la famille polygame.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, ayant approuvé cette modification et souligné que le versement des prestations familiales aux pères maintenait les femmes en situation de dépendance, un débat s'est engagé pour déterminer quel serait dans ce cas le meilleur tuteur. Mme Bérengère Poletti a proposé de confier ce tutorat aux associations figurant sur une liste validée par le ministère concerné, tandis que Mme Chantal Brunel a évoqué la responsabilité des caisses d'allocations familiales et souhaité qu'elles exercent un meilleur contrôle. L'intérêt du tutorat a été souligné par Mme Bérengère Poletti qui a insisté sur la nécessité d'une rééducation des familles.

La recommandation n° 11 a donc été modifiée dans le sens proposé.

S'agissant des mutilations sexuelles, un débat s'est engagé sur les meilleurs moyens de lutter contre cette forme de violence. Outre les campagnes de prévention et de sensibilisation retenues par la Délégation, et notamment la nécessité d'insister sur l'information délivrée dans le cadre de la procédure du contrat d'accueil et d'intégration relative à l'interdiction de la polygamie et des mutilations sexuelles, un consensus s'est dégagé sur la nécessité de sanctionner les parents pour les mutilations commises à l'étranger sur leurs enfants mineurs résidant habituellement en France.

Une recommandation supplémentaire a également été introduite visant à soumettre à une visite médicale obligatoire les enfants au cours de la dernière année d'école primaire, et non pas seulement dans leur sixième année, comme c'est le cas aujourd'hui.

S'agissant des mariages forcés, la Délégation a insisté sur la nécessité de rendre obligatoire l'audition séparée des futurs époux par les autorités consulaires de manière à empêcher toute transcription automatique des mariages célébrés à l'étranger.

À une question de Mme Chantal Bourragué sur les éventuelles différences de transcriptions de mariage lorsqu'elles concernent, par exemple, des immigrées de l'Union européenne, Mme Marie-Jo Zimmermann lui a indiqué que les règles étaient identiques pour tous les étrangers.

S'agissant de la lutte contre le sexisme notamment dans les cités, Mme Marie-Jo Zimmermann a insisté non seulement sur la nécessité de mettre en place dans les IUFM une formation spécifique aux problèmes rencontrés dans les zones d'éducation prioritaires (ZEP), mais aussi d'établir un tutorat pour les primo-affectations des professeurs dans les ZEP, et sur l'importance d'affecter des professeurs expérimentés dans ces zones par une politique réellement incitative.

Elle a également rappelé l'importance de soumettre la carte de résident à une bonne maîtrise de la langue française.

L'ensemble des recommandations ont été ensuite adoptées par la Délégation compte tenu des observations formulées et des modifications suggérées :

Concernant le statut juridique des femmes immigrées :

1. Dénoncer les conventions bilatérales qui méconnaissent le principe d'égalité entre les hommes et les femmes ;

2. Limiter la portée de l'application du statut personnel, notamment en prévoyant que la nationalité du pays de résidence l'emporte lorsqu'elle est plus favorable aux droits des personnes, ou, de manière plus générale, en prévoyant l'application de la loi du domicile pour les immigrés installés de façon durable en France ;

Concernant l'amélioration de l'information sur les droits des femmes immigrées et le suivi des ces femmes :

3. Améliorer la formation des personnes en contact avec les femmes immigrées : personnel des ambassades et consulats, travailleurs sociaux, magistrats, policiers ;

4. Favoriser une diffusion dans le plus grand nombre de langues étrangères des informations délivrées lors de l'accueil sur les plates-formes de l'ANAEM et des journées d'information civique ;

5. Insister sur l'interdiction de la polygamie et des mutilations sexuelles lors de l'accueil des primo-arrivants ;

6. Améliorer le fonctionnement de la journée d'instruction civique, par la constitution de groupes homogènes du point de vue de la langue et du niveau de formation ;

7. Rendre obligatoire la signature du contrat d'accueil et d'intégration (CAI) ainsi que le suivi de la journée d'information « Vivre en France » ;

8. Obliger les femmes à se rendre seules, éventuellement avec un interprète, aux différentes étapes de la procédure d'accueil ;

9. Rendre obligatoire une cérémonie en préfecture lors de la signature des contrats d'accueil et d'intégration ;

10. Généraliser la diffusion aux communes des listes des personnes ayant signé les contrats d'accueil et d'intégration ;

Concernant la lutte contre la polygamie :

11. Verser les prestations familiales à un tuteur extérieur à la famille ;

12. Favoriser la coopération avec les pays d'origine, afin notamment d'améliorer l'information relative à l'interdiction de la polygamie en France ;

Concernant la lutte contre les mutilations sexuelles :

13. Organiser une campagne de prévention à destination des familles en France, et, à l'étranger, aux personnes en demande de visas ;

14. Sensibiliser les médecins, le personnel scolaire, les magistrats et les policiers, sur la question des mutilations sexuelles ;

15. Soumettre à une visite médicale obligatoire les enfants au cours de la dernière année d'école primaire ;

16. Modifier la loi pour permettre de sanctionner les parents pour les mutilations commises à l'étranger sur leurs enfants mineurs étrangers résidant habituellement en France ;

17. Allonger le délai de prescription d'action publique à vingt ans et à compter de la majorité de la victime ;

Concernant les mariages forcés :

18. Former et sensibiliser les officiers d'état civil, les magistrats et les policiers à la reconnaissance des mariages forcés ;

19. Rendre obligatoire l'audition séparée des futurs époux par les autorités consulaires lors des mariages célébrés à l'étranger ;

20. Désigner, dans chaque consulat, un responsable des mariages forcés à qui les jeunes filles ou femmes françaises, ou les jeunes filles mineures étrangères résidant habituellement en France, victimes de mariages forcés, pourraient s'adresser ;

21. Harmoniser l'âge nubile des filles et des garçons à 18 ans ;

22. Instaurer un délit de contrainte au mariage ;

23. Modifier le code civil pour permettre que le ministère public soit habilité à demander en justice l'annulation d'un mariage lorsque le consentement d'un époux a été obtenu par fraude, violence ou contrainte ;

24. Prévoir un dispositif d'accueil spécifique pour les jeunes filles et femmes fuyant les mariages forcés ;

25. Organiser des campagnes au sein de l'Éducation nationale, à destination tant des filles que des garçons, dans les medias à destination des parents ;

Concernant la lutte contre le sexisme, notamment dans les cités :

26. Rendre obligatoire dans l'enseignement les droits de l'homme, l'histoire de la pensée et des idées ;

27. Mettre en place une journée d'éducation civique à l'école, au collège et au lycée, axée sur les droits de l'homme, sur l'égalité entre les hommes et les femmes et sur les droits de l'enfant ;

28. Former les étudiants et professeurs stagiaires des IUFM aux problèmes spécifiques des zones d'éducation prioritaires (ZEP), notamment en organisant des stages obligatoires en ZEP, et mettre en place un tutorat lors des primo-affectations dans ces zones ;

29. Favoriser l'affectation en ZEP de professeurs expérimentés par une politique réellement incitative en terme de carrière et de rémunération. Les années passées en ZEP pourraient par exemple compter plus que les autres dans le calcul de la retraite (deux années comptant pour trois) ;

30. Organiser des campagnes d'information à destination des jeunes, afin d'apprendre aux filles et aux garçons à vivre dans le respect réciproque ;

31. Organiser des campagnes d'information à destination de l'ensemble de la société, afin de réaffirmer le principe de l'égalité et la nécessité du respect mutuel entre les hommes et les femmes ;

Concernant l'apprentissage de la langue française :

32. Soumettre la délivrance de la carte de résident à une bonne maîtrise de la langue française ;

33. Rendre obligatoire la formation à langue française organisée dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration. ;

Concernant la lutte contre les discriminations dans l'entreprise :

34. Encourager les enquêtes sur la diversité dans l'entreprise, prenant notamment en compte le caractère sexué des discriminations ;

35. Soutenir les femmes immigrées dans leurs parcours d'insertion professionnelle, de formation et de création d'entreprise.

36. Favoriser la diversification des parcours des jeunes filles issues de l'immigration en améliorant l'information sur l'orientation à l'école et en valorisant les parcours de réussite.

37. Mettre en place une réelle diversité dans le recrutement des fonctionnaires, et encourager cette même diversité au sein des entreprises, notamment par l'adoption d'une charte de l'égalité et de la diversité.

38. Valoriser la différence comme facteur d'enrichissement.

39. Conforter le rôle de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE), notamment en la dotant d'un pouvoir propre de sanction.

40. Encourager les magistrats à la plus grande vigilance face aux délits de discriminations.

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Mme Bérengère Poletti a ensuite présenté les recommandations portant sur le suivi de la loi du 4 juillet 2001 relative à l'IVG et à la contraception, thème d'étude confié à la Délégation par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

La Délégation a adopté l'ensemble des recommandations proposées :

1. Lancer le plus rapidement possible une nouvelle campagne nationale d'information sur la contraception afin de mieux faire connaître la variété des méthodes contraceptives à la disposition des femmes ; renouveler régulièrement de telles campagnes de manière à délivrer des messages actualisés à un public féminin et masculin en constant renouvellement ;

2. Renforcer l'information sur les contraceptifs hormonaux de la troisième génération et favoriser leur diffusion, notamment les implants, les patchs et les anneaux vaginaux, particulièrement adaptés aux besoins de la tranche d'âge des femmes de 20 à 30 ans qui est celle où les oublis de pilule sont les plus fréquents et où le taux d'IVG est le plus élevé ;

3. Faire élaborer par le ministère de la santé des plaquettes informatives, simples, claires sur les différentes méthodes de contraception, les contraceptifs hormonaux de la troisième génération, la conduite à tenir en cas d'oubli de pilule, la contraception d'urgence, l'IVG et l'IVG médicamenteuse ; mettre ces plaquettes à disposition des professionnels de santé concernés (médecins généralistes et gynécologues, infirmières scolaires, centres de planning familial, centres de PMI) pour une large diffusion auprès des femmes ;

4. Faire élaborer par le ministère de la santé un guide du prescripteur en matière de contraception, dans lequel il conviendrait de sensibiliser les médecins à la nécessité d'adapter la contraception proposée au mode de vie et à l'âge des femmes ;

5. Attirer l'attention des professeurs de SVT sur l'importance des informations qu'ils communiquent concernant les périodes de fécondité humaine et s'assurer que les manuels scolaires véhiculent les messages appropriés, notamment que le 14e jour du cycle n'est qu'une date d'ovulation théorique, que l'ovulation peut intervenir à n'importe quel moment du cycle et que la période de fécondité est plus large que la date d'ovulation ;

6. Élargir à l'ensemble des médecins généralistes la possibilité de pratiquer l'IVG médicamenteuse en ville, dès lors qu'ils auraient suivi une formation spécifique ;

7. Activer la mise au point d'un protocole d'accord entre le ministère de la santé et celui de l'Éducation nationale pour assurer aux mineures s'absentant pour des démarches relatives à une IVG la garantie de confidentialité prévue par la loi du 4 juillet 2001.

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a ensuite entendu Mme Marie-Dominique de Suremain, déléguée nationale de la Fédération Nationale Solidarité Femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souhaité la bienvenue à Mme Marie-Dominique de Suremain, déléguée nationale de la Fédération Nationale Solidarité Femmes. La proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple adoptée par le Sénat en première lecture ayant été déposée sur le bureau de l'Assemblée, qui l'examinera le 13 décembre, la Délégation a souhaité savoir ce que la Fédération attend de ce texte.

Mme Marie-Dominique de Suremain a déclaré que les soixante associations qui composent le réseau Solidarité Femmes se félicitent que la navette parlementaire progresse. Depuis un an, sa commission « justice » réfléchit à une loi cadre dont l'objet serait d'adapter au droit français la loi organique adoptée par l'Espagne. A cet égard, les dispositions votées par le Sénat lui paraissent importantes mais encore insuffisantes.

C'est une bonne chose de prévoir, comme le fait la proposition, que « les peines encourues pour un crime ou un délit sont aggravées lorsque l'infraction est commise non seulement par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, mais également par les anciens partenaires ».C'est en effet au moment de la séparation que se produisent les faits les plus graves. Mais la relation par la presse de terribles faits divers - des jeunes filles brûlées ou assassinées par des prétendants qui ne supportaient pas qu'elles résistent à leurs avances - montre que la violence faite aux femmes n'a pas pour seul cadre les couples constitués. Il conviendrait donc de privilégier la notion de « violences faites aux femmes », qui couvrirait plus clairement ce type de délits, le viol conjugal entrant au nombre de ces crimes.

C'est pourquoi, la Fédération est favorable à l'extension des circonstances aggravantes lorsque les faits sont commis par l'ancien conjoint, l'ancien concubin ou l'ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est interrogée sur la notion de « viol conjugal ».

La question est de reconnaître, a observé Mme Marie-Dominique de Suremain, que l'on doit considérer comme un crime d'imposer une relation sexuelle même lorsque l'on est marié. La jurisprudence, en tout cas, reconnaît le viol conjugal. Cette notion doit-elle figurer explicitement dans la loi ? Pour la Fédération, cela aurait une importance symbolique réelle. La législation de nombreux pays le prévoit, le Mexique vient d'adopter une jurisprudence en ce sens. Toutefois, cette nouvelle incrimination poserait un problème juridique puisque, une fois exposé que le crime a ceci de spécifique qu'il est perpétré dans une relation de couple, il faudrait, pour la même raison, prévoir les circonstances aggravantes, ce qui paraît redondant. Voilà pourquoi le débat demeure ouvert. Pour l'heure, le Sénat s'est limité à proposer d'insérer dans l'article 222-23 du code pénal qui traite du viol un nouvel alinéa ainsi rédigé : « La qualité de conjoint ou de concubin de la victime ou de partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité ne peut être retenue comme cause d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité. »

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a indiqué que la notion de viol conjugal lui semblait bien difficile à définir.

Mme Marie-Dominique de Suremain a répondu que des preuves sont naturellement nécessaires mais qu'il s'en trouve suffisamment pour qu'une jurisprudence existe déjà à ce sujet.

Pour ce qui est des mesures d'éloignement du conjoint violent, elles ne sont possibles qu'en cas de divorce. Il conviendrait qu'elles deviennent une sanction pénale et de préciser qu'elles sont impératives lorsque des violences sont dénoncées. On ne peut se contenter de dire qu'il est « possible » de prononcer l'éloignement. Si jusqu'à présent, la question n'a été traitée qu'au civil, c'est que le cadre était celui du divorce et non celui des violences conjugales. La loi espagnole va plus loin, et prévoit une mesure de protection générale en plusieurs volets. Voilà ce qui serait nécessaire en droit français ; on ne peut se limiter à informer.

Par ailleurs, la Fédération s'interroge sur le dispositif des familles d'accueil pour femmes victimes de violences conjugales car l'expérience montre que, si quelqu'un a dû quitter son domicile en raison de violences, des mesures de sécurité sont nécessaires. C'est pourquoi les centres d'hébergement de la Fédération sont des lieux sécurisés et anonymes. Une famille d'accueil n'est pas armée pour faire face à un agresseur. Une famille d'accueil peut être utile dans certains cas, par exemple pour des jeunes filles menacées de mariage forcé, mais il est indispensable d'accroître le nombre de lieux d'hébergement spécialisés, dans lequel les femmes en détresse rencontreront une réponse intégrale, notamment dans le domaine juridique et de l'accès aux droits sociaux.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a demandé qui financerait ces lieux.

Mme Marie-Dominique de Suremain a répondu que la charge en reviendrait aux DDASS.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné que si Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, a parlé de famille d'accueil, c'est aussi en raison de considérations financières.

Mme Marie-Dominique de Suremain a répondu que s'en remettre aux familles d'accueil dans de tels cas serait les mettre en danger. Est-ce la meilleure solution ? Avoir recours à des familles d'accueil pour des personnes en situation précaire est une chose mais, dans le cas de violences conjugales, on est à la croisée du pénal et du social. Des mesures de sécurité sont donc indispensables et il faut que des professionnels puissent apprendre à évaluer le danger. La Fédération insiste avec force sur ce point au cours de ses nombreuses actions de formation de policiers, de médecins et de magistrats.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a demandé si les policiers bénéficiaient d'une formation spécifique à ce sujet.

Mme Marie-Dominique de Suremain a répondu qu'elle était prévue. La Fédération dispense des formations au sein de modules de deux ou trois jours, mais la formation au long cours qui serait nécessaire est encore à venir. Elle a dit espérer que les moyens indispensables seraient dégagés à cette fin.

Elle a ensuite souligné la nécessité d'inclure dans la définition des violences domestiques les violences psychologiques qui, souvent, précèdent les violences physiques. Il faut, naturellement, distinguer le simple conflit conjugal de la violence par laquelle quelqu'un entend imposer sa volonté et dominer ou soumettre le conjoint. La violence conjugale s'exerce dans la durée et par différents moyens - économiques, psychologiques et physiques et sexuels. Le conjoint violent interdit à l'autre d'utiliser l'argent qu'il gagne, peut aller jusqu'à l'empêcher de travailler pour le rendre dépendant, l'humilie, le frappe, le terrorise. La violence conjugale se traduit donc aussi par des violences psychologiques qui vont jusqu'au harcèlement après la séparation, ce harcèlement moral qui a été reconnu sur les lieux de travail et que l'on retrouve très fréquemment dans les cas de violence conjugale. Il convient donc d'inclure ce type de violences dans la définition générale de la violence conjugale.

Mme Marie-Dominique de Suremain est ensuite revenue sur l'éloignement du conjoint violent prévu dans la réforme du divorce.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné que la disposition ne vaut que pour les couples mariés. La Délégation avait souhaité l'étendre aux concubins et aux personnes pacsées mais elle n'a pas été suivie.

Mme Marie-Dominique de Suremain a exposé que la mesure ne devrait pas être prise seulement par le juge aux affaires familiales mais constituer également un dispositif pénal, car le maintien de la victime à son domicile lorsque l'agresseur est très violent ne suffit pas à la protéger.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a objecté qu'il paraît difficile de faire davantage que de maintenir la victime à domicile et d'imposer l'éviction du conjoint violent.

Mme Marie-Dominique de Suremain a rappelé que la mesure tombe si le divorce n'est pas demandé par la victime dans les quatre mois qui suivent l'éviction du conjoint violent. La réforme du divorce a mis l'accent sur les conditions économiques de la séparation mais, aussi longtemps que les violences n'ont pas cessé, les victimes ne sont pas prêtes à envisager les aspects pratiques du divorce, si bien que ce délai de quatre mois est extrêmement court pour elles. Par ailleurs, les juges aux affaires familiales sont très peu enclins - et très peu préparés - à prendre des mesures relatives aux violences conjugales, car elles sont supposées prises au pénal. Dans le même temps, les procédures décidées en correctionnelle sont largement insuffisantes. Le Guide de l'action publique édité par la chancellerie en septembre 2004 a constitué un progrès certain, mais encore faudrait-il que tout ce qu'il contient soit appliqué. Pour cela, il faudrait une volonté politique beaucoup plus affirmée.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a observé que la question de l'application de la loi vaut pour toute texte. Mais il est vrai que si une loi n'est pas appliquée, rien ne sert d'en élaborer une nouvelle.

Mme Marie-Dominique de Suremain a indiqué que l'une des grandes faiblesses de la législation française en matière de violence conjugale est l'absence de conception commune au civil et au pénal. Pourtant, si un adulte exerce son autorité en appliquant la loi du plus fort, en ridiculisant sa compagne, en l'humiliant et en l'écrasant, quelle éducation donne-t-il à ses enfants ? Un tel comportement a un très fort impact social, qui demande un traitement d'ensemble plus cohérent.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a observé que l'on entrait là dans la sphère privée.

Mme Marie-Dominique de Suremain a remarqué que, ce faisant, on civiliserait la sphère privée.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est demandé qui peut pénétrer la sphère privée pour mesurer une violence. C'est là toute la difficulté du sujet : non seulement la femme doit être consciente qu'une violence lui est faite, ce qui n'est pas toujours le cas, mais il reste à déterminer qui va évaluer les violences commises.

Mme Marie-Dominique de Suremain a indiqué que l'enquête nationale sur les violences envers les femmes (ENVEFF) a fait progresser la connaissance sociologique et psychologique des violences conjugales, en montrant qu'elles touchent toutes les classes sociales. L'enquête a aussi permis de mieux cerner une certaine ambivalence, qui tient à ce que les victimes mettent du temps à renoncer à leur rêve d'une vie harmonieuse, à prendre conscience qu'elles n'ont plus de liberté ni d'identité. Ces cycles sont désormais connus, et l'on peut former utilement les policiers et les médecins à faire des diagnostics dont les magistrats accepteront la validité. Mais, pour cela, les bonnes questions doivent être posées : « Avez-vous la liberté d'aller et de venir ? Vous habillez-vous comme vous le souhaitez ? Gérez-vous vous-même l'argent que vous gagnez ? » Si de telles questions sont posées, la démonstration des violences conjugales apparaît avec une grande clarté au fil des réponses. Le problème, c'est qu'elles ne le sont pas. Il arrive même que les femmes qui viennent exposer leur drame soient ridiculisées dans les commissariats. Cela changera lorsque tous les policiers auront été convenablement formés à l'utilisation de trames d'audition types. Par ailleurs, l'audition des agresseurs est elle-même source d'enseignements, car ils ont un comportement typique et reconnaissable en ce qu'ils expriment toujours les mêmes notions : « C'est ma femme, j'ai le droit, d'ailleurs elle m'énerve, elle ne fait pas ce que je veux ». Systématiquement, l'agresseur se défausse de sa responsabilité.

Ce n'est pas toujours pour les faits les plus graves que les femmes portent plainte. Mais si l'on s'avise que deux ou trois épisodes ont été portés sur la main courante et que la femme va chercher des témoignages, la situation est manifestement de celles dans lesquelles on peut démontrer l'existence de violences conjugales. Encore faut-il former les professionnels de manière adéquate, pour qu'ils comprennent la situation. La formation est donc un élément essentiel dont la loi doit faire explicitement mention. Par formation, il faut entendre celle des policiers, des médecins, des travailleurs sociaux et des magistrats. Mme Marie-Dominique de Suremain a cité l'exemple d'un policier qui lui a dit, en sortant de l'une des formations organisées par la Fédération : « J'ai beaucoup appris mais, surtout, j'ai compris ». De même, des médecins ont expliqué avoir repéré, après ces formations, des signes qu'ils ignoraient auparavant. L'un d'eux a exposé être manifestement passé à côté de la signification de certains troubles de l'audition, récurrents et inexplicables, accompagnés d'une grande angoisse et d'une dépression, comprenant soudain que la femme concernée recevait des coups sur la tête, de ces coups qui ne laissent pas de trace. Les professionnels formés comprennent les cycles de la violence et donc les rémissions ; ils savent que les femmes perdent tout repère sous l'effet d'une déstabilisation constante et d'un déplacement de la responsabilité de l'agresseur sur la victime tel que, les rôles s'inversant, la femme finit par croire mériter les coups qui lui sont portés.

Si les auditions sont mieux faites par des policiers mieux formés, si des preuves sont recueillies, si les travailleurs sociaux collaborent, si des certificats médicaux circonstanciés sont rédigés, on pourra faire quelque chose. Mais les comportements doivent changer, et une loi-cadre contribuera à modifier une conception erronée des relations entre les hommes et les femmes.

Il faut aussi maintenir les commissions départementales d'action contre les violences faites aux femmes, qui accomplissent un travail considérable.

Actuellement, il existe une fâcheuse contradiction entre les dispositions du code pénal et celles du code civil. Ainsi, une femme en danger peut légitimement partir de chez elle pour se mettre à l'abri ; elle laissera une trace en faisant inscrire sur la main courante le motif de son départ. Mais le droit civil dispose que l'on ne peut cacher à un père l'adresse de ses enfants mineurs. De ce fait, des commissariats exigent parfois des associations membres de la Fédération qu'elles indiquent où sont hébergées les femmes qui se sont soustraites aux violences infligées par leur conjoint... pour les remercier ensuite de leur refus lorsqu'ils se rendent compte du danger qui menace ces femmes. Il faut mettre fin à ces contradictions juridiques en définissant une stratégie spécifique unique tendant à instituer des mesures de protection des victimes.

Une autre mesure importante concerne l'aide juridictionnelle, qui devrait être automatique. Elle l'est en Espagne en cas de violences, et l'on ne vérifie qu'ensuite si les conditions d'obtention sont réunies, pour obtenir, dans le cas contraire, le remboursement des sommes dues. En France, il faut de deux à quatre mois pour obtenir l'aide juridictionnelle, aide à laquelle les victimes n'ont donc pas accès au moment où, dans l'urgence, elles en ont un besoin extrême.

Il serait nécessaire, par ailleurs, d'informer les victimes des dates de sortie de prison ou de permissions de leur agresseur, pour qu'elles puissent se protéger, car l'emprisonnement est très peu ordonné et, lorsqu'il l'est, c'est qu'il y a eu récidive et que l'agresseur est particulièrement dangereux.

S'agissant des femmes étrangères, le Sénat a prévu à juste titre que la privation des pièces d'identité ou des pièces relatives au titre de séjour ou de résidence par le conjoint sera passible de sanctions. La question est d'une grande importance, car, souvent, les hommes violents empêchent la régularisation administrative de l'épouse qu'ils ont fait venir au titre du regroupement familial, si bien qu'elles n'acquièrent pas de droit personnel au séjour et se trouvent, bien malgré elles, en situation irrégulière. La loi de novembre 2003 contient un article incitant les préfets à une attention particulière « lorsque la communauté de vie a été rompue à l'initiative de l'étranger à raison des violences conjugales qu'il a subies de la part de son conjoint ». C'est un progrès, mais tout demeure subordonné à l'appréciation des préfets. Il faut donc qu'une association ait constitué un dossier consistant, ce qui n'est pas le cas pour toutes les victimes.

Un autre dispositif pose problème : la médiation pénale, singulièrement inadéquate en cas de violences conjugales. Le plus souvent, lorsqu'un parquet est saisi d'une plainte pour violence conjugale, soit il la classe sans suite, soit il ordonne une médiation pénale. Comment ne pas comprendre que, dans un tel cas, les deux membres du couple ne sont pas sur le même pied ? En fait, il se passe dans le cadre de la médiation exactement ce qui se passait dans la sphère privée : l'agresseur promet de changer de comportement, la victime croit que les choses vont s'arranger... et rien ne change ! Les associations qui composent la Fédération voient affluer dans leurs locaux des femmes qui ont consulté un médiateur pénal avec un résultat rigoureusement inefficace. Il faut expliquer aux procureurs que ce dispositif est inapproprié dans ce cas. Pour l'instant, le Guide de l'action publique recommande un recours « restreint » à la médiation conjugale en cas de violence - alors qu'elle devrait être rendue impossible. On comprend l'intérêt de la démarche en cas de conflit, mais aucunement en cas de violence installée, lorsque l'un des membres du couple est vampirisé et écrasé par l'autre. Et que penser de ce médiateur déclarant : « Madame, veillez à ne pas énerver Monsieur » ? Quel contresens !

La Fédération demande l'ouverture d'un lieu d'hébergement spécialisé dans chaque département, l'inclusion d'un nombre suffisant de logements réservés aux femmes victimes de violences dans les plans de construction de logements sociaux et l'évolution du droit aux Assedic lorsqu'une femme est contrainte de quitter son emploi pour fuir des violences conjugales. La loi espagnole comporte un ensemble de dispositions à ce sujet ; il faudrait qu'au moins, en France, on accorde le droit aux Assedic aux femmes obligées de fuir.

La Fédération souhaite encore l'établissement d'un bilan annuel des violences faites aux femmes et la tenue de statistiques sexuées, identifiant les meurtres, les plaintes classées sans suite, le nombre de poursuites, le quantum des peines prononcées et aussi le suivi socio-judiciaire des agresseurs. Ce ne sont pas des malades, mais ils devraient très certainement être destinataires de mesures socio-éducatives. Quelqu'un qui frappe son conjoint estime avoir la légitimité de le faire ; il n'est pas question de maladie mentale et, la plupart du temps, il s'agit d'individus apparemment sensés dans leur vie sociale mais qui, chez eux, se sentent fondés à faire appliquer leur loi. Voilà pourquoi les enquêtes de voisinage ne donnent rien : ce sont des hommes décrits comme des gens charmants, mais qui ont sous leur coupe une proie sur laquelle ils déversent toute leur hargne. L'interrogation fondamentale est : au nom de quoi ce comportement est-il légitimé dans la société française ? Le fait est que très peu d'hommes sont victimes de violences conjugales.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a observé qu'elle n'en était pas si sûre.

Mme Marie-Dominique de Suremain a indiqué que la proportion varie de un à dix selon qu'il s'agit d'hommes battus ou de femmes battues.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souligné que, souvent, les hommes ne portent pas plainte car ils ont honte.

Mme Marie-Dominique de Suremain a répondu que les femmes sont plus honteuses encore. Lorsque les violences contre les femmes seront réduites en nombre à celles qui concernent les hommes, la partie sera gagnée. L'écart gigantesque qui demeure montre qu'il s'agit d'un phénomène social et culturel. Que la société ne le sanctionne pas et ne le reconnaisse même pas explique pourquoi une loi est nécessaire. Une telle législation existe déjà dans un grand nombre de pays et la France est largement retard dans ce domaine sur l'Autriche, l'Allemagne, l'Espagne, le Canada, le Japon et plusieurs pays d'Amérique latine, dont les législations sont souvent beaucoup plus sévères que ce que la Fédération demande.

Il conviendrait également de réduire le droit de visite accordé aux hommes violents. Peut-on être un bon père quand on a écrasé, frappé, voire assassiné sa femme ? Quel modèle de société propose-t-on aux enfants ? Ne pas réduire le droit de visite, c'est permettre que le harcèlement continue. Le père doit, bien sûr, continuer de cultiver une relation avec ses enfants, mais les rencontres doivent se faire dans des lieux neutres pour préserver la mère. D'ailleurs, le plus souvent, les hommes violents ne respectent pas les horaires fixés et viennent quand ils le souhaitent. Cela ne peut être, car c'est utiliser les droits de visite pour continuer de déstabiliser la femme, les enfants n'étant plus que les instruments d'un jeu pervers. Il est indispensable de mettre un terme à ces manipulations, à la fois pour les femmes et pour les enfants, qui vivent sous le coup d'une menace permanente et qui doivent pouvoir grandir dans la sérénité.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié Mme Marie-Dominique de Suremain.

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