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DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

COMPTE RENDU N° 12

Mardi 21 mars 2006
(Séance de 17 heures)

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Geneviève Gueydan, directrice de l'action sociale, de l'enfance, et de la santé de la Ville de Paris, accompagnée des Docteurs Geneviève Roche et Martine Chochon, médecins de PMI, ainsi que de Mme Odile Morilleau, responsable de l'Observatoire de l'égalité femmes-hommes à la mairie de Paris

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Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a souhaité la bienvenue à Mme Geneviève Gueydan, directrice de l'action sociale, de l'enfance, et de la santé de la Ville de Paris, accompagnée des docteurs Geneviève Roche et Martine Chochon, médecins de PMI, ainsi que de Mme Odile Morilleau, responsable de l'Observatoire de l'égalité femmes-hommes à la mairie de Paris.

Elle a rappelé que la Délégation avait choisi cette année de se pencher sur le douloureux problème de la précarité des femmes, sujet qui préoccupe peu de gens, mais qui lui est apparu comme très important à l'occasion des travaux récents de l'Assemblée sur les textes relatifs au divorce, aux retraites et à de nombreux problèmes que rencontrent les femmes dans leur vie quotidienne.

Certes, la pauvreté n'est pas un fait nouveau, mais elle a changé de visage : alors qu'elle était il y a quarante ans, dans un pays en période de croissance, un phénomène résiduel touchant la frange la plus fragile de la population, elle est devenue, en ces temps de crise économique, un phénomène susceptible de toucher toute la population.

Les parlementaires doivent donc mener un véritable travail en amont pour répondre à une demande de prévention. C'est pour cela que, tout au long de la législature, la Délégation a voulu insister sur la grande fragilité des femmes, qui tient bien sûr à des situations familiales sur lesquelles il est difficile d'agir, mais aussi à des phénomènes aggravants comme le temps partiel. Ce dernier n'est pas mauvais en soi, mais il est impératif de prévoir un accompagnement pour éviter qu'il ne conduise dans quelques années à une nouvelle pauvreté des femmes, d'autant qu'il est particulièrement inquiétant de constater que certaines, tout en ayant travaillé, vont se retrouver au minimum vieillesse.

À la pauvreté traditionnelle est venue s'ajouter la précarité, c'est-à-dire la fragilité dans l'emploi, la situation familiale ou le logement. Les chiffres sont alarmants. Un million d'enfants vivent aujourd'hui en France dans la pauvreté. En 2003, 12,7 % des personnes seules vivaient sous le seuil de pauvreté. C'était aussi le cas de 14,1 % des membres de familles monoparentales et même de 30 % d'entre eux lorsque le chef de famille était une femme inactive.

Tout cela montre qu'il faut aujourd'hui faire des recommandations pour que les choses changent en profondeur. En la matière, Paris est un laboratoire où l'on travaille énormément sur tous les sujets relatifs aux femmes, qui préoccupent beaucoup la municipalité. C'est pourquoi la Délégation a souhaité savoir comment ses services travaillaient et s'il était possible de tracer quelques pistes de réflexion à partir de leurs actions. Car ce dont les femmes ont besoin, ce n'est pas qu'on fasse en sorte qu'il y ait quelques conseillères municipales de plus, mais qu'on mène un combat quotidien pour améliorer leur sort.

Mme Geneviève Gueydan a souligné que trois directions s'occupent plus particulièrement de ces questions à la mairie de Paris :

- la direction de l'action sociale, qui traite de ce qui relève des compétences départementales, notamment du RMI, des personnes âgées, des personnes handicapées, de la protection de l'enfance et de la santé ;

- la direction de la famille et de la petite enfance, créée en 2004, dont relèvent les crèches et la Protection Maternelle et Infantile (PMI), qui exerce également une fonction de pilotage sur les questions relatives à la vie quotidienne des familles ;

- le centre d'action sociale, dont dispose la Ville de Paris en tant que commune et dont une des principales missions est de gérer les aides facultatives, quelques-unes étant destinées aux familles monoparentales.

S'y ajoute l'Observatoire de l'égalité, qui a une mission transversale sur ces questions.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, ayant demandé si cet Observatoire avait été créé à l'initiative de Mme Claire Bernard, Mme Odile Morilleau a répondu que sa création avait répondu au souhait exprimé par le maire de Paris dès 2002 et qu'il avait été symboliquement rattaché à la première adjointe en charge de l'égalité et au secrétariat général, qui dirige tous les services de la ville et du département. Son objectif est de mener un travail transversal sur la veille et la prospective, sur tous les sujets touchants, de près et de loin, à l'égalité. Il analyse donc tous les projets que la ville peut présenter, y compris lorsqu'ils visent à l'ouverture de nouveaux équipements, sous l'angle de l'égalité, mais aussi des temps des femmes, dont on sait combien ils sont différents de ceux des hommes. Il a ainsi à se prononcer sur le plan des transports parisiens ou sur le rythme d'ouverture des équipements municipaux. Il fait aussi un gros travail en ce qui concerne les crèches et les bibliothèques. Bien évidemment, l'Observatoire travaille en partenariat avec l'État, la région, d'autres institutions et avec les associations.

Mme Geneviève Gueydan a souhaité insister sur le contexte socio-démographique parisien. Les femmes représentent 53,5 % de la population parisienne. A l'image de cette dernière, elles sont globalement plus qualifiées que dans le reste du pays. Elles ont aussi un taux d'activité deux fois supérieur à la moyenne nationale. Elles sont 20 % à travailler à temps partiel contre 30 % dans le reste de la France. Mais si elles sont plus favorisées que dans le reste du pays sous certains aspects, cela n'empêche pas qu'existent aussi à Paris des phénomènes de grande précarité qui concernent les femmes.

Le profil familial est également original, avec beaucoup de personnes isolées puisque 600 000 Parisiens vivent seuls, soit 52 % des ménages. Alors que plus de 410 000 autres vivent en couple sans enfant, ce sont, au total, la moitié des 2 millions de personnes vivant à Paris qui n'ont pas d'enfant.

Cela se retrouve dans le profil de la population par âge puisqu'on dénombre beaucoup de jeunes, étudiants ou au début de leur vie professionnelle, et beaucoup de personnes âgées. Pour autant, le dynamisme démographique est fort, ce qui exerce une forte pression sur les modes de garde que doit gérer la direction de la petite enfance.

Autre spécificité parisienne, le taux de familles monoparentales est extrêmement élevé puisqu'il atteint 25 % du total des familles avec enfants contre 16 % en moyenne nationale. Un tiers de ces familles sont en situation de pauvreté, proportion s'élevant à la moitié pour celles qui ont au moins trois enfants.

Paris se caractérise également par une forte polarisation sociale, avec d'un côté un revenu moyen par unité de consommation le plus fort de France, et de l'autre 12 % de foyers en dessous du seuil « bas revenu », ce qui place la capitale au deuxième rang en Île-de-France derrière la Seine-Saint-Denis. On a donc d'une part des gens plutôt aisés, dont on dit qu'ils se « boboïsent », d'autre part un grand nombre de personnes isolées et de familles qui vivent dans une grande pauvreté, à tel point que l'écart entre le premier et le dernier décile est de 1 à 10 à Paris contre 1 à 5 dans le reste du pays. C'est cela que les services de la Ville de Paris ont à gérer.

Le logement joue particulièrement dans cette situation, avec 100 000 demandes de logement social en attente et un très faible turn-over du parc social. Bien évidemment, la Ville de Paris essaie de développer ce dernier mais elle se heurte au fait que la capitale est une des villes les plus denses au monde. Cela pèse sur toutes les politiques sociales, notamment sur la prise en charge de la précarité.

Paris compte aussi beaucoup de pauvreté « importée » avec des flux migratoires extrêmement importants puisqu'on trouve, intra-muros, un quart des demandeurs d'asile de toute la France. Paris compte par ailleurs la moitié des places d'hébergement d'urgence d'Île de France qui accueillent beaucoup de personnes sans papiers.

C'est aussi cela qui conduit les différents services, le SAMU social et la Coordination d'accueil des familles demandeurs d'asile (CAFDA) à loger chaque jour 10 000 personnes en famille à l'hôtel.

Dans ce contexte général, on manque de données sexuées sur la situation des femmes précaires à Paris et il convient donc de combiner approches statistique et plus qualitative.

Parmi les facteurs de risque, on retrouve bien évidemment l'isolement, particulièrement important à Paris. On sait également que les problèmes psychiques pèsent lourdement sur les femmes qui se retrouvent à la rue. Cela renvoie au problème général de la psychiatrie en France, qui s'ajoute aux phénomènes classiques liés à la précarité de l'emploi et au logement.

Dans les dispositifs de prise en charge, il y a une grande différence entre les femmes qui ont un enfant et les autres. Même s'il est difficile d'apporter des réponses adaptées à toutes les situations, les dispositifs sociaux sont assez importants pour les femmes avec enfants, les personnes les plus isolées ayant beaucoup moins accès à tous les « amortisseurs sociaux ».

Parmi les femmes précaires, on trouve toutes celles qui sont aux minima sociaux. Si le RMI concerne majoritairement les hommes, qui représentent 56 % des 62 000 allocataires, les 44 % de femmes sont des femmes isolées (26 % vivent seules), 12 % sont chefs de famille monoparentale et 5 % vivent en couple avec des enfants. Globalement, les femmes ayant charge de famille sont assez peu représentées. Ces femmes présentent des profils très divers, on y trouve beaucoup d'artistes, de diplômées ayant connu un accident de parcours, de femmes étrangères n'ayant aucune activité professionnelle et souvent analphabètes, de femmes confrontées à de lourdes difficultés sanitaires et sociales.

Il convient donc d'essayer d'adapter les actions d'insertion à ces profils, ce qui passe, en particulier, par une ouverture des modes de garde à ces femmes, par ailleurs assez peu nombreuses à bénéficier de l'Allocation pour parent isolé (API).

Si l'on manque d'informations sur les femmes isolées hors minima sociaux, on sait toutefois qu'il s'agit pour beaucoup de jeunes, qui n'ont pas encore accès au RMI mais au Fonds d'aide aux jeunes (FAJ), dont 45 % des bénéficiaires sont les filles, 25 % d'entre elles seulement vivant chez leurs parents. Il y a moins de filles SDF que de garçons.

Il y a aussi des femmes isolées plus âgées qui se tournent vers les services sociaux, qui perçoivent de petits revenus parce qu'elles occupent des emplois précaires et à temps partiel, et qui présentent une très grande fragilité au moindre incident comme une grosse facture ou un problème de santé. Elles « plongent » essentiellement pour dettes de loyers. Comme le montre le rapport de Martin Hirsch, peu d'aides sont à la disposition de ces femmes, en dehors du RMI et des allocations exceptionnelles du Centre d'Action Social (CAS-VP).

Les familles monoparentales posent un problème majeur. Alors qu'elles constituent 25 % des familles avec enfants à Paris, le taux de pauvreté atteint 33 % en leur sein, voire 50 % pour les familles de trois enfants et plus. Il est frappant de constater que 44 % des signalements judiciaires faits au parquet concernent des familles monoparentales, ce qui montre la très grande fragilité économique et éducative dans laquelle elles se trouvent. Même s'il s'agit d'un phénomène qui les dépasse très largement, il paraît évident que les dispositifs sociaux doivent davantage pouvoir jouer le rôle de filet de sécurité.

S'il y a moins de femmes SDF, arrivées ainsi au bout de la précarité, il y a aussi relativement peu de structures pour les accueillir même si elles se sont développées ces dernières années. Elles représentent environ 10 % des appels du 115. Beaucoup d'entre elles ont des problèmes psychiatriques. Or, alors qu'on a réduit le nombre de lits dans les hôpitaux psychiatriques, on n'a pas mis en œuvre dans le même temps de dispositif alternatif nécessaire. Certes, il y a parfois une prise en charge des soins, mais c'est tout le dispositif de vie qui fait défaut. Bien sûr, l'asile n'était pas une meilleure solution, mais l'absence d'asile sans autre prise en charge conduit à mettre ces personnes à la rue. Or, on sait qu'un tiers des SDF ont des problèmes psychiques, soit antérieurs, soit qui se sont développés à cause de leur situation.

Mme Hélène Mignon a fait observer qu'il y avait dans le dernier numéro de Convergence, mensuel du Secours populaire français, un article très intéressant sur la psychiatrie dans la rue.

Mme Geneviève Gueydan a souligné que le problème du nombre de places est ancien, même si les choses s'améliorent, avec 520 places spécifiquement destinées aux femmes sur les 4 000 places d'hébergement d'urgence et d'insertion. Deux espaces de solidarité et d'insertion offrent un accueil de jour d'une part aux femmes SDF très « cassées » et d'autre part aux victimes de violences.

On trouve aussi à Paris un grand nombre de femmes étrangères en grande précarité, en particulier parmi les demandeurs d'asile. À l'issue d'une procédure de 18 à 24 mois, les demandeuses sont en général déboutées et deviennent des sans-papiers. Or, si certaines disposaient d'une allocation de pré-demande d'asile, une fois déboutées elles n'ont plus rien et relèvent alors plutôt de la survie, grâce à l'aide publique (cf. hôtels payés par l'État via le Samu Social), au travail au noir et aussi parfois à la prostitution.

La Ville de Paris essaie de prendre en compte ces situations de précarité en apportant un certain nombre de réponses. Dans le cadre de ses allocations facultatives, le Centre d'action sociale mène des actions importantes à travers des dispositifs de complément de ressources destinés à essayer de compenser un coût de la vie particulièrement élevé, essentiellement en matière de logement. En 2002 a été créée par exemple, l'allocation logement pour familles monoparentales, d'un montant de 122 € par mois. En 2005, l'allocation logement « familles nombreuses » a été étendue aux familles de deux enfants. Il existe également des dispositifs « EDF Familles » et « EDF précarité ».

Beaucoup est fait également en direction des femmes précaires avec enfants, en particulier dans le domaine de la prévention. La PMI joue un rôle essentiel ; c'est le cas aussi du développement des modes de garde. Des aides sont aussi destinées aux enfants, en particulier pour le périscolaire. La ville mène également de nombreuses actions de soutien à la parentalité. Un certain nombre de structures, comme Enfant présent, s'investissent dans le champ de la prévention.

Se situant davantage dans le champ de l'urgence sociale, les internats scolaires permettent de prendre en charge des enfants en difficulté issus de familles monoparentales à très faibles ressources. Pour les enfants de classes primaires, la ville entretient une relation privilégiée avec un internat particulièrement adapté à l'accueil d'enfants ayant de gros retards scolaires. Pour les collèges et les lycées, elle fait appel à différents internats banalisés mais la ressource, déjà peu importante, tend à se tarir.

En réponse à Mme Martine Carrillon-Couvreur, qui demandait si cette action relevait de l'Aide sociale à l'enfance (ASE), Mme Odile Morilleau a indiqué que tel n'était pas exactement le cas, que les parents conservaient l'autorité parentale pleine et entière et qu'il s'agissait d'une action préventive et non d'un placement judiciaire.

Mme Geneviève Gueydan a ensuite insisté sur le rôle de la médecine scolaire en primaire en matière de prévention avant d'en venir à l'hébergement d'urgence, qui est un autre aspect de l'urgence sociale. Le centre d'action sociale gère deux CHRS accueillant des femmes avec enfants, pour un total de 330 places. Ils sont toujours pleins. 40 places sont également disponibles dans un centre d'hébergement d'urgence. La Ville aide des opérateurs associatifs à ouvrir des places supplémentaires à destination des femmes et cinq centres devraient ouvrir grâce à une aide à l'investissement. La ville cofinance également, à parité avec l'État, deux accueils de jour pour femmes SDF.

L'action dans le domaine de l'emploi et de l'insertion est liée à la compétence en matière de RMI ainsi qu'à l'action de développement économique, qui finance des formations-insertion. Paris a décidé d'insister particulièrement sur l'emploi à domicile et sur l'alphabétisation : 68 % des bénéficiaires du programme départemental d'aide à l'emploi sont des femmes.

Un certain nombre d'actions sont également menées dans les champs de l'égalité professionnelle et de la lutte contre les violences faites aux femmes.

Parmi les difficultés rencontrées, on peut citer les problèmes des femmes isolées sans enfant, l'emploi précaire et le temps partiel, en particulier parce qu'on continue à favoriser le temps partiel subi.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a fait observer qu'il y avait des moments où cette formule pouvait être intéressante mais qu'il fallait absolument prévoir un dispositif d'accompagnement financier par celui qui utilise la flexibilité.

Mme Odile Morilleau a indiqué qu'une récente enquête auprès d'un échantillon de 600 personnes travaillant à temps partiel montrait que 18 % d'entre elles ne l'avaient pas choisi et aimeraient changer de statut professionnel. Elle fournira à la Délégation cette étude, qui montre également la répartition du temps partiel par catégories socioprofessionnelles.

Revenant sur la question du logement, Mme Geneviève Gueydan a insisté sur le problème de la solvabilité et lancé un appel à une revalorisation régulière des allocations logement, qui offrent un filet de sécurité essentiel pour l'accès et le maintien dans le logement des familles comme des isolés.

Les places en CHRS font aussi cruellement défaut, la DDAS n'ayant plus aucune marge de manœuvre pour en financer, alors qu'il faudrait absolument avoir moins recours aux hôtels. L'hébergement d'urgence pour les demandeurs d'asile et les sans-papiers est aussi de plus en plus souvent géré au quotidien grâce aux hôtels et il est temps d'envisager de sortir de ce système. C'est un problème social d'autant plus important que, dans ce contexte, les enjeux de santé deviennent écrasants.

On manque aussi de places dans les centres maternels, qui sont bondés. Les femmes y restent jusqu'au bout la période de trois ans, parfois renouvelée lorsqu'elles font un deuxième bébé. Il conviendrait de rendre le dispositif plus fluide.

Il faut aussi mentionner les difficultés d'accès des femmes précaires aux structures de garde collective.

La psychiatrie est également un gros problème.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a déclaré qu'elle en avait sans doute eu insuffisamment conscience jusqu'ici.

Mme Martine Chochon a souligné combien il était difficile d'approcher ces femmes, qui ne vont pas d'elles-mêmes consulter un psychiatre.

Mme Geneviève Gueydan a indiqué que la ville avait passé un partenariat avec cinq grands hôpitaux psychiatriques et que la direction de l'habitat essayait de réserver quelques places dans des résidences sociales aux personnes suivies dans ces hôpitaux. C'est une bouffée d'oxygène, mais elle est insuffisante.

Mme Martine Carrillon-Couvreur a insisté sur la nécessité de se préoccuper de ce problème. Il aurait absolument fallu que la fermeture des lits de psychiatrie dans les hôpitaux, que l'on peut comprendre, s'accompagnât d'un développement des formules d'accompagnement, en particulier en appartements thérapeutiques. Car, partout en France, les personnes précaires qui souffrent de troubles graves, après avoir été hospitalisées en urgence, sont à nouveau livrées à la rue quand elles en sortent. Quand on arrive dans une gare parisienne, on est frappé par la grande désocialisation de ces personnes et on se dit qu'un coup de folie est tout à fait possible. Il est vraiment temps de prendre conscience que la pauvreté et la précarité entraînent obligatoirement des difficultés d'ordre psychique.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, s'est demandé si ces personnes présentaient déjà ces troubles ou s'ils s'étaient développés avec la précarité. Quand on les voit, prostrées dans les gares, on se demande si tout lien familial est rompu.

Mme Martine Chochon a répondu que si ces troubles sont parfois anciens, la situation de ces personnes les aggrave indéniablement.

Mme Geneviève Gueydan a ajouté qu'il s'agit de personnes malades. Incapables de prendre en charge une vie normale, n'arrivant pas même à conserver le RMI, elles subissent une véritable dégringolade, jusqu'à la rue. La moitié des personnes qui se trouvent en dessous du seuil de pauvreté sont isolées et les études montrent qu'elles n'ont aucun réseau social. L'isolement est donc un facteur aggravant

Mme Geneviève Roche a souligné que les facteurs de vulnérabilité et de précarité s'entretiennent mutuellement et qu'au bout d'un moment on ne sait plus comment rompre ce cercle vicieux et même simplement apporter un soutien à ces personnes.

Mme Odile Morilleau a rappelé qu'une grande partie des personnes en situation de précarité ont vécu une série de ruptures, plus ou moins involontaires, familiales, professionnelles, mais aussi dans leurs traitements médicaux.

Mme Geneviève Roche a indiqué qu'elle traiterait essentiellement des problèmes avant la naissance, avant que Mme Chochon n'en vienne aux questions liées à l'enfant.

Travaillant dans le nord du 18e arrondissement, elle a affaire à deux types de populations précaires. Les premières sont des femmes françaises, installées depuis des générations dans des HLM, qui se trouvent en situation de précarité parce qu'elles ont peu de ressources financières et éducatives. Elles présentent des pathologies compliquées, psychiques et addictives. Dans leur cas, on ne peut pas vraiment parler d'isolement social mais d'un monde clos avec des difficultés qui se transmettent de génération en génération.

Les secondes sont les femmes étrangères que l'on rencontre dans les hébergements précaires. L'instabilité est une de leurs caractéristiques : elles passent fréquemment d'un hébergement chez des compatriotes ou dans la famille à l'hôtel et au centre d'hébergement. Il est donc particulièrement difficile d'organiser un suivi, en particulier en cas de grossesse et on voit encore des femmes arriver aux urgences pour y accoucher.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé que le fait de ne pas parler le français était pour ces femmes un handicap supplémentaire. C'est pourquoi elle insiste souvent sur la nécessité d'un apprentissage de la langue dès l'arrivée en France.

Mme Geneviève Roche a souligné que le premier handicap était le problème de survie, qui empêche de reconnaître l'état de grossesse et même de formuler une demande d'aide. La femme étrangère enceinte est obligée ensuite de suivre une sorte de parcours du combattant car elle ne sait ni où elle doit aller ni ce qu'il faut faire.

Certaines accouchent à domicile : une étude portant sur deux mois en 2005, dans le 18e arrondissement, montre qu'elles sont environ une dizaine sur 250 accouchements. Mais elles sont aussi souvent contraintes d'accoucher en clinique car, quand la grossesse est découverte tardivement, il est très difficile d'obtenir une place dans une maternité et de bénéficier d'une prise en charge hospitalière. Bien évidemment, l'instabilité du logement complique encore le suivi pendant la grossesse.

Dans ces conditions, la PMI est amenée à collaborer fréquemment avec le SAMU social, la CAFDA et Médecins du monde, qui reçoivent des femmes enceintes en première intention.

Tout ceci a des conséquences médicales sur les grossesses, avec une fréquence plus élevée de la prématurité et des petits poids à la naissance, ainsi qu'une vulnérabilité psychique rendant difficile la relation entre la mère et l'enfant, ce qui aura des effets ultérieurement.

Face à ces situations, une convention entre la PMI et les hôpitaux de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) a créé au sein des hôpitaux des structures d'accueil auxquelles n'importe quel intervenant médico-social peut adresser les femmes. Ces structures sont chargées de faire avec elles le point sur l'accès aux droits et de leur chercher une place en maternité, ce qui est d'autant plus compliqué qu'on manque cruellement de lits. Au-delà de cinq mois de grossesse, il est extrêmement difficile de trouver une place. Certaines maternités demandent aujourd'hui des lettres de motivation aux futures mamans. Or, on ne peut pas être suivi dans une maternité si on ne doit pas y accoucher.

Actuellement se développe le réseau périnatalité, dans lequel des médecins extérieurs prennent en charge la femme en fin de grossesse.

Les hôpitaux de l'AP-HP se sont engagés à assurer le suivi des parisiennes mais ils sont également sollicités par des femmes qui habitent la banlieue.

Dans ces conditions, la durée de séjour à la maternité après l'accouchement est extrêmement réduite. Or, il est bien sûr plus difficile de quitter la maternité quand on est seule avec son enfant et hébergée de façon précaire.

Le réseau Solipam, anciennement Solidarité Paris Mamans, vise à assurer la continuité du suivi, l'accès aux soins et une relative stabilité de l'hébergement, depuis la fin de la grossesse jusqu'aux trois mois de l'enfant.

Mme Hélène Mignon a souligné combien il est difficile pour une femme vivant à l'hôtel de s'organiser, ne serait-ce que pour fournir une nourriture adaptée à l'enfant.

Mme Geneviève Roche a indiqué qu'il existe, pour les femmes qui ont pu être inscrites à l'hôpital, ce qu'on appelle les staffs de périnatalité ou de parentalité, qui réunissent, au sein de l'hôpital, des professionnels issus de la PMI, des services sociaux, des services psychiatriques, afin d'anticiper les difficultés. Ils se réunissent une fois par mois pour évoquer les situations qui posent problème en cours de grossesse et qui présentent un risque de dégradation ultérieure. Ils peuvent proposer un suivi adapté, y compris après la sortie de l'hôpital, afin de coordonner les différentes interventions.

Mme Martine Chochon a souhaité expliquer ce que signifie être mère dans la précarité. Elle a indiqué qu'elle intervenait actuellement dans les 8e et 9e et qu'elle avait travaillé dans les 10e et 20e arrondissements.

Vivre sans le père de l'enfant dans un squat, dans un hôtel social, dans un centre d'hébergement, dans des logements insalubres, sans sécurité, dans une grande promiscuité a un impact sur la santé des mères et des enfants.

À l'issue de grossesses peu suivies, les mères se trouvent en grande vulnérabilité médico-psycho-sociale. Nés prématurés ou de petits poids de naissance (ou hypotrophiques), les enfants sont déjà fragilisés et leurs conditions de vie précaire les exposent à des pathologies graves, comme la tuberculose, qui touche encore certaines populations parisiennes, ou le saturnisme, qui persiste en dépit de l'action engagée depuis une quinzaine d'années par la ville. Ils sont aussi à la merci d'accidents domestiques, de morsures de rats et même d'incendies, comme ceux qui ont eu lieu l'année dernière. Ces enfants présentent souvent des troubles du sommeil. Les plus grands ont beaucoup de mal à faire leur travail scolaire.

Tous les gestes de la vie quotidienne sont compliqués pour les mères. Elles doivent nourrir leur bébé. Même si elles l'allaitent au début, cela ne dure pas bien longtemps, car elles sont fatiguées et s'alimentent mal. Certaines associations comme Paris tout petit leur fournissent du lait, des petits pots, des couches. Mais les mères elles-mêmes se nourrissent aux Restos du cœur. Quand les enfants grandissent, elles ne peuvent pas faire la cuisine. Et le comble est que ces enfants, qui ne peuvent acquérir de bonnes habitudes alimentaires, sont particulièrement exposés au risque d'obésité.

Ces mères rencontrent d'énormes difficultés à se procurer le matériel de première nécessité : lit, poussettes, vêtements. Même si elles peuvent bénéficier de l'aide des services sociaux, encore faut-il qu'elles soient capables de faire la démarche.

Pour soutenir et accompagner ces familles, la Ville de Paris et le Service de Protection maternelle et infantile disposent d'un certain nombre de ressources et mobilisent l'ensemble de ses services médico-sociaux.

On sait l'importance du repérage précoce de ces situations pendant la grossesse, afin de mener des actions de prévention notamment sur les troubles du lien mère-enfant et du développement de l'enfant. C'est un secteur qui fonctionne bien, la bonne collaboration entre les différents intervenants permettant une intervention très en amont.

Ces femmes au parcours traumatique présentent souvent des troubles psycho-pathologiques graves et sont fréquemment en état de dépression latente. Il est donc important que les équipes professionnelles se mobilisent pour leur offrir un appui.

Le service de PMI dispose de puéricultrices qui interviennent à domicile. L'intervention auprès de ces populations ciblées est une priorité pour le service. Ce mode d'action est préféré aux visites systématiques chez les primipares. Il permet de se rapprocher de ces femmes et de créer un point d'ancrage avec un des 60 centres de PMI, auquel elles demeurent ensuite fidèles même lorsqu'elles déménagent.

Certaines situations associent à la précarité des problèmes d'addiction ou des psychopathologies qui nécessitent l'intervention d'équipes mobiles spécialisées. Même si ces services doivent être étoffés, il faut citer l'action de l'association Horizon, qui a créé un réseau d'aide en direction des femmes qui n'ont pas accès aux soins. La grossesse est un moment privilégié pour entrer en contact avec elles et ce travail donne des résultats intéressants.

Il existe aussi à Paris des équipes mobiles de psychiatrie du nourrisson (composées de pédopsychiatres) qui se rendent à domicile, car on se situe dans ce qu'on appelle la « clinique de la non-demande ».

Tout ce travail est fait en lien avec la PMI, qui essaie de prévenir les troubles de l'attachement, la maltraitance et d'assurer la protection de l'enfance et l'évaluation des situations. Bien évidemment, la précarité ne doit pas être une cause de signalement judiciaire.

La PMI dispose aussi de lieux d'accueil pour les enfants. Les inscriptions dans les crèches et les haltes-garderies ne sont pas toujours faciles pour ces familles sans ressources, sans travail, parfois sans papiers, et qui bougent d'un arrondissement à l'autre. Ce sont les maires d'arrondissement qui attribuent les places en crèche, normalement réservées aux enfants dont les deux parents ont une activité. Certains se montrent néanmoins sensibles aux difficultés de ces femmes et l'on a dans ces arrondissements des expériences très intéressantes de parents qui se sont réinsérés, réussissant ainsi à sortir du cercle infernal. Cet accueil a bien évidemment aussi un effet bénéfique sur les enfants.

La crèche Enfant Présent est un dispositif particulier à Paris qui permet d'accueillir des enfants de 0 à 3 ans dont les parents sont en situation de vulnérabilité psychosociale. À mi-chemin entre la PMI et l'ASE, ce mode d'accueil préventif, souple et modulable conjugue accueil collectif et familial. Il apporte soutien et accompagnement aux familles et permet une intervention précoce auprès de l'enfant en organisant en accord avec les parents une suppléance familiale plus ou moins intensive. Cette structure pluridisciplinaire participe à l'évaluation des liens parents-enfants et des risques de dangers concernant l'enfant.

Mme Geneviève Gueydan a jugé surprenant, alors que le projet de loi sur la protection de l'enfance devrait prochainement être soumis au Parlement et que le ministre insiste beaucoup sur l'importance de la prévention de la protection de l'enfance, que certaines caisses d'allocations familiales semblent aujourd'hui hésitantes à prendre en charge des structures innovantes comme celles qui assurent ponctuellement un accueil 24 heures sur 24. Il conviendra donc de veiller à ce que les CAF, qui ont joué le jeu de l'expérimentation locale depuis plusieurs années, restent bien partenaires de toutes ces expériences.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a indiqué que les parlementaires sauraient se montrer vigilantes.

Mme Hélène Mignon a considéré cette crainte comme légitime dans le cadre du désengagement actuel des CAF d'un certain nombre de projets, faute de financements suffisants.

Mme Martine Carrillon-Couvreur a souligné que ce problème se retrouvait dans les contrats éducatifs locaux, avec la prise en charge des actions de formation à l'alimentation et au goût.

Mme Odile Morilleau a ajouté que la volonté de recentrer les CAF sur leurs missions de base risquait d'avoir aussi des conséquences négatives sur les fonds d'aide aux jeunes dans bon nombre de départements.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a invité Mme Odile Morilleau à présenter l'action de l'Observatoire de l'égalité femmes-hommes de la mairie de Paris.

Mme Odile Morilleau a souhaité insister rapidement sur l'impact de la précarité et des violences sous l'angle de l'accès aux droits des femmes, et sur les difficultés particulières que rencontrent les femmes étrangères, en particulier en raison des dispositions du droit de la famille et du droit au séjour.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé que le rapport de la Délégation a porté l'an dernier sur les femmes de l'immigration et souligné une fois de plus toute l'importance qu'elle accorde à l'apprentissage du français. Il y a vraiment un travail essentiel à accomplir en la matière, car ce n'est que quand les femmes sont capables de s'exprimer que l'on peut aller vers elles.

Mme Odile Morilleau a observé que le contrat d'accueil et d'intégration comporte certaines avancées sur ce point, mais que beaucoup des femmes qui arrivent ne souhaitent pas suivre immédiatement un stage de langue, soit parce qu'elles doivent avant tout se préoccuper de trouver un emploi, soit parce qu'elles n'en reçoivent pas l'autorisation, soit encore parce qu'elles doivent s'occuper d'abord de l'éducation de leurs enfants. C'est pour cela qu'on trouve à Paris beaucoup de femmes qui sont parfois là depuis quinze ans et qui ne parlent absolument pas le français. Pourtant, des actions intéressantes sont menées par les associations et par les services de la ville, notamment en faveur de l'alphabétisation, vue comme le début de la marche vers l'autonomie.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a insisté sur la nécessité de se battre pour que toutes les femmes qui arrivent aient accès à la langue française, en particulier parce qu'elles seront d'autant plus exploitées qu'elles la connaîtront mal. Et s'il est nécessaire de l'imposer, il faut en passer par là car on ne saurait admettre comme explication que les femmes n'en ont pas reçu « l'autorisation » ! C'est pour cela que, lors de l'entretien prévu par le contrat d'accueil et d'intégration, on peut admettre la présence d'un interprète mais pas celle du mari.

Mme Odile Morilleau a répondu que tout le monde était d'accord sur le constat, mais qu'il était difficile de faire évoluer les choses. Le contrat d'accueil et d'intégration est très positif, mais on voit bien que c'est souvent à travers les enfants qu'on peut toucher les femmes. Les associations en sont extrêmement conscientes, qui mènent des actions d'apprentissage du français parallèlement à leur travail d'accompagnement scolaire. Il convient aussi de privilégier les actions de proximité en direction de femmes qui sortent peu de chez elles. C'est un travail de longue haleine.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a rappelé que des expériences intéressantes sont menées dans les quartiers nord de Marseille.

Mme Odile Morilleau a observé que le droit de la famille et du séjour a des effets directs sur les violences à l'encontre des femmes, empêchées de se plaindre parce que la loi leur fait obligation de résidence commune avec leur époux. C'est ce qui a conduit la Cimade à ouvrir une permanence spéciale à destination des femmes.

Les violences vont assez souvent de pair avec la précarité. Or, les femmes qui quittent le domicile conjugal sont confrontées à des difficultés d'accès aux droits. Le rôle des associations est très important pour leur expliquer la loi. Mais elles sont confrontées au manque de centres d'hébergement et de centres d'accueil pour les victimes de violence, qui se retrouvent souvent dans des hôtels payés par les services sociaux, ou au milieu d'autres populations dans les CHRS et les centres d'urgence. Un projet de création de places est engagé, afin au moins de mettre ces femmes à l'abri et de leur permettre de commencer leur travail de reconstruction personnelle.

Enfin, un certain nombre d'associations et d'élues locales des pays du Maghreb, qui ont beaucoup lutté contre les mariages forcés s'étonnent qu'ils se pratiquent encore et soient reconnus en Europe.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a remercié l'ensemble des participantes à cette audition.

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