Assemblée nationale - Sénat

Office parlementaire d'évaluation
des choix scientifiques et technologiques (OPECST)

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Compte rendu

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Mardi 21 décembre 2004
Audition de M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche

Présidence de M. Henri Revol, sénateur, président de l'Office

Remerciant le ministre de sa disponibilité, M. Henri Revol, président, sénateur, a rappelé que, dans le contexte de la crise du printemps dernier, l'Office avait été saisi d'une demande d'étude sur « les freins au développement de la recherche » et, qu'à cette occasion, ses membres s'étaient déplacés dans 14 régions pour auditionner les chercheurs dans leurs laboratoires. Près de cinq cents personnes ont été entendues lors de ces visites en régions. M. Henri Revol a également indiqué que, dans ce cadre, l'Office avait aussi mené quatre courtes missions en Europe (Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Royaume-Uni).

En préambule, M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche, a indiqué que l'ampleur du malaise des chercheurs révélée par la crise du printemps exigeait une nouvelle politique se traduisant par de nouveaux objectifs, de nouveaux moyens et de nouveaux instruments.

Selon le ministre, la réforme devra, en premier lieu, concerner le pilotage stratégique de la recherche.

La création d'un Haut conseil de politique scientifique, dont le rattachement ministériel n'est pas encore précisé, sera non seulement l'occasion d'une définition d'objectifs stratégiques, mais également d'une déclinaison précise de ceux-ci, assortie d'un suivi régulier de leur réalisation. Mais cette création, a ajouté le ministre, devra s'accompagner d'un réaménagement du rôle du ministère de la recherche dans des domaines aussi différents que le renforcement des liens avec les universités et le secteur privé de la recherche, le suivi législatif des dossiers, notamment ceux qu'impliquent la mise en œuvre des directives européennes et le renforcement de la participation à la préparation du 7e programme-cadre européen. De plus, a précisé M. François d'Aubert, le ministère devra mener une stratégie plus active de programmation des moyens financiers et humains mis à sa disposition.

M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche, a aussi estimé que, sous une forme qui reste à définir, il serait nécessaire de présenter au Parlement un bilan général annuel de la recherche en France, comme cela se fait dans de nombreux pays.

Concernant le futur projet de loi d'orientation de la recherche, le ministre a donné les précisions suivantes.

L'Agence nationale de la recherche qui a déjà été créée à titre de préfiguration sous forme d'un groupement d'intérêt public - ce qui ne préjuge pas son statut définitif - sera une structure légère, soumise à un régime de comptabilité privée. Son organe dirigeant regroupera des représentants des administrations concernées, des organismes de recherche, des universités et de l'Agence nationale de la recherche technique, avec l'objectif d'en limiter le nombre de membres à une vingtaine, afin de lui donner une réelle efficacité de fonctionnement. Elle aura pour mission principale la mise en place des incitations financières correspondant aux priorités définies par le Gouvernement après avis du Haut conseil de politique scientifique, tout en veillant à assurer une cohérence entre les moyens financiers qu'elle octroiera et les programmes des organismes de recherche. Elle procèdera par appels d'offres, étant précisé que le nombre de ceux-ci permettra d'assurer des financements consistants aux lauréats, ce qui suppose une forte sélectivité des choix. L'évaluation des réponses aux appels d'offres se fera selon les pratiques internationales les plus incontestables.

Les pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) regrouperont, à l'échelon local ou régional, les universités, les organismes de recherche et les grandes écoles sur la base du volontariat, ce qui signifie qu'ils seront à configuration variable ; ils devront aboutir à définir des pôles de recherche qui pourraient, alors, bénéficier de crédits délégués par l'État et les partenaires concernés.

La politique de l'emploi scientifique ne concernera pas que les chercheurs et sera un point important de la future loi d'orientation. Au-delà de la nécessité de faire face aux départs à la retraite à venir, elle pourrait impliquer une revalorisation des rémunérations, en particulier lors des phases d'entrée dans la recherche : revalorisation des allocations de recherche par indexation sur l'inflation, création de postes de chercheurs associés pour les « post-doctorants » - sous réserve d'une étude des conséquences statutaires de ces créations, mise en œuvre d'incitations à l'emploi de docteurs dans la recherche du secteur privé. Il est également envisagé d'établir des décharges partielles d'enseignement pour faciliter l'effort de recherche des jeunes enseignants-chercheurs. M. François d'Aubert a ajouté que la définition d'une politique de l'emploi scientifique comprendra aussi le développement de postes d'accueil destinés à des chercheurs de haut niveau (chercheurs étrangers, chercheurs français expatriés), étant précisé que l'attractivité de ces postes ne dépendra pas uniquement du niveau de salaire qui sera proposé mais également des facilités de recherche offertes à ces occasions.

M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche, a, alors, abordé les problèmes de l'évaluation régulière des enseignants-chercheurs dont chacun reconnaît la nécessité. Il pourrait être envisagé d'encourager celle-ci par le truchement d'une agence d'accréditation qui évaluerait les systèmes et les efforts de recherche de chaque université.

Le volume de recherche du secteur privé est encore très insuffisant en France : à elles seules, les entreprises allemandes accomplissent un effort de recherche de l'ordre de 32 milliards d'euros par an, soit la totalité de l'effort français, public et privé. Atteindre les objectifs fixés à Lisbonne par l'Union européenne suppose de porter à 2 % du PIB l'effort de recherche du secteur privé. Le projet de loi d'orientation comprendra donc une partie consacrée à la recherche privée avec un volet financier visant à favoriser l'investissement en recherche des entreprises, plusieurs pistes pouvant être explorées à cet effet. Afin de transférer en France le modèle allemand des sociétés Fraunhofer, une politique de labellisation des laboratoires répondant aux critères de gestion et aux domaines d'activité des sociétés Fraunhofer pourrait être mise en œuvre. L'incitation des entreprises privées à faire plus de recherche, à recruter plus de docteurs pour des activités de recherche et à mener plus de recherches en liaison avec les laboratoires publics pourrait s'appuyer, mais pas exclusivement, sur un réaménagement du crédit d'impôt-recherche.

M. Claude Birraux, premier vice-président, député, s'est interrogé sur l'échéancier de préparation du projet de loi d'orientation de la recherche et a souligné la nécessité de poursuivre le dialogue avec les chercheurs après la présentation de l'avant-projet de loi.

M. Claude Birraux a, également, posé plusieurs questions au ministre, portant sur la différence entre le futur Haut conseil de politique scientifique et l'actuel Conseil supérieur de la recherche et de la technologie (CSRT), sur les relations futures entre l'Agence nationale de la recherche et le Haut Conseil, sur le maintien d'une enveloppe de « projets blancs » destinés à laisser une part d'initiative aux laboratoires dans la définition de leurs projets, sur la pertinence de la démarche européenne qui a fixé des objectifs à Lisbonne sans prévoir ni les moyens ni le cheminement pour les atteindre, et sur la rénovation indispensable du cadre administratif et financier de la recherche. M. Claude Birraux a, aussi, souligné l'intérêt qu'il y aurait à inclure, dans le crédit d'impôt-recherche, tout ou partie des salaires et des charges consacrés au recrutement de docteurs.

En réponse, M. François d'Aubert a indiqué que le Haut conseil de politique scientifique devait être une instance plus resserrée que le CSRT, dont l'organe dirigeant serait appelé à se réunir plus fréquemment et dont la mission, élargie, serait non seulement de fixer une stratégie générale pour les cinq ans à venir, mais d'en assurer une déclinaison précise, par discipline et interdisciplinaire, ainsi qu'un suivi actif. L'Agence nationale de la recherche aura, pour sa part, vocation à mettre en œuvre des incitations en ligne avec ces objectifs.

M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche, a assuré M. Claude Birraux, premier vice-président, député, que la programmation financière associée à la future loi d'orientation laisserait une place aux « projets blancs ». Il a confirmé que les fondations de recherche créées en 2004 poursuivraient leur action. Concernant le 7e PCRD, le ministre a rappelé que l'enveloppe définitive n'en était pas encore déterminée et qu'il serait probablement nécessaire de faire appel à des financements complémentaires de la Banque européenne d'investissement. Il a confirmé à M. Claude Birraux l'importance qu'il attachait aux recrutements de docteurs par les entreprises pour accomplir des missions de recherche et a annoncé qu'il faciliterait l'ouverture de toute discussion entre les partenaires sociaux pour valoriser le titre de docteur dans les conventions collectives.

M. Pierre Laffitte, vice-président, sénateur, a fait part de son scepticisme sur les procédures d'appels d'offres, comme en témoigne l'exemple des programmes européens caractérisés par des délais de réponse lents et donc peu adaptés à beaucoup de domaines de recherche ; il a émis le vœu que la future Agence nationale de recherche ne fasse pas reposer l'essentiel de son action sur ce type de procédure.

M. Pierre Laffitte, vice-président, sénateur, s'est, ensuite, inquiété du coût extrêmement élevé de la fuite des cerveaux pour notre système universitaire et pour notre économie, alors même que ce mouvement renforce la primauté des États-Unis. Il s'est félicité que des pôles de compétitivité et d'excellence soient prochainement mis en place et a souhaité que leur constitution soit décidée non pas par les structures administratives mais par le monde scientifique. Enfin, il a appelé de ses vœux la poursuite du développement des fondations dont la souplesse de gestion est susceptible de favoriser les initiatives.

M. Claude Saunier, vice-président, sénateur, a regretté que nombre des propositions retenues dans le futur projet de loi d'orientation aient déjà été énoncées au Parlement depuis plusieurs années, sans qu'il y soit donné suite, et a souligné la nécessité, pour le Gouvernement, de rester à l'écoute des citoyens. En effet, la recherche n'est pas l'affaire des seuls chercheurs ou du monde politique mais de la nation dans son ensemble. C'est seulement sous cette condition que le projet gouvernemental recueillera un réel consensus. M. Claude Saunier s'est ensuite inquiété de l'impact de la constitution de pôles de compétitivité sur les agglomérations moyennes et a demandé des précisions sur les moyens financiers qui viendraient à l'appui de cette politique.

M. Jean-Claude Etienne, sénateur, vice-président, a souhaité savoir quelle serait la méthodologie retenue pour présenter un bilan annuel de la recherche en France et quelles étaient les solutions envisagées pour réduire la différence de revenus entre les chercheurs français et étrangers.

En réponse aux intervenants, M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche, a apporté les précisions suivantes :

- les préfets de région ont une mission de coordination et d'accompagnement d'une volonté commune de plusieurs opérateurs de la recherche à travailler ensemble, sous forme de pôle ou de réseau ;

- la mobilisation d'argent public ne peut pas s'effectuer sans appel à projets et sans mise en concurrence. Ceux-ci devront toutefois être plus simples, plus transparents, plus rapides et permettre une réelle concentration des moyens sur les priorités ;

- cette politique sera soutenue par des moyens croissants permettant de respecter l'engagement du gouvernement que 3 % du PIB soient consacrés à la recherche en 2010 ;

- la forme du futur bilan annuel de la recherche n'est pas encore fixée mais ce bilan devra permettre à la fois une meilleure connaissance de l'activité des laboratoires et une information solennelle et régulière du Parlement et de la nation.

Répondant à MM. Christian Cabal, député, et Henri Revol, président, sénateur, qui lui avaient demandé des informations complémentaires sur le calendrier prévisionnel d'élaboration du projet de loi, M. François d'Aubert a indiqué que des consultations étaient en cours avec les partenaires sociaux, que la concertation se poursuivrait avec le CIP et les acteurs institutionnels, tel l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, avec le Conseil économique et social avant examen du projet de loi par le Conseil d'État. Le projet de loi devrait être présenté au printemps et voté d'ici l'été.


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