Assemblée nationale

 

Sénat

 

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Office parlementaire d'évaluation

des politiques de santé

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COMPTE RENDU N° 2

Mercredi 30 mai 2007

(séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président

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SOMMAIRE

 

pages

1 - Présentation des résultats de l'étude sur la prise en charge précoce des AVC

2 - Présentation des propositions du conseil des experts pour l'étude sur le dépistage et le traitement du cancer de la prostate (coordination : M. Claude Le Pen)

3 - Présentation des propositions du conseil des experts pour l'étude sur la prise en charge psychiatrique (coordination : M. Philippe Cléry-Melin)

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L'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (Opeps) s'est réuni à l'Assemblée nationale, sous la présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président de l'Opeps.

Le président Jean-Michel Dubernard, député, a ouvert la séance en rappelant que l'Opeps organisera une table ronde le 6 juin 2007 sur le thème « Les vaccins en France : quels enjeux pour l'industrie pharmaceutique et la recherche ? », dans le cadre de l'étude actuellement menée par l'office sur la politique de vaccination en France, dont M. Paul Blanc, sénateur, est le rapporteur.

M. Robert Launois, directeur scientifique de la société REES-France, a ensuite présenté les conclusions de l'étude sur la prise en charge précoce des personnes victimes d'un accident vasculaire cérébral (AVC). Sachant qu'un accident survient en moyenne toutes les quatre minutes en France, les AVC constituent la troisième cause de décès dans notre pays, après les accidents coronariens et les cancers, ainsi que la première cause de handicap. Il s'agit donc d'un important problème de santé publique, qui ne doit pas être considéré comme une fatalité mais faire l'objet d'une meilleure prise en charge.

On distingue deux principaux types d'AVC, qui sont traités différemment : d'une part, les infarctus cérébraux, résultant de l'obstruction d'un vaisseau sanguin, d'autre part, les hémorragies cérébrales, consécutives à la rupture d'une artère.

L'étude vise, à partir d'un bilan du dispositif actuel de prise en charge des victimes d'AVC et d'une évaluation du besoin sanitaire, à définir les conditions d'amélioration de cette prise en charge et à en estimer le coût pour la collectivité. L'objectif est de mettre en place un dispositif d'accueil permettant de répondre de façon optimale aux besoins sanitaires, dans un cadre géographique cohérent et en tenant compte des surcoûts prévisibles attachés à la mise en place et au fonctionnement des unités hospitalières de prise en charge précoce.

La prise en charge précoce des AVC repose sur des traitements thrombolytiques et sur la création d'unités de soins spécialisées, les unités neurovasculaires, ces deux techniques étant dans les faits complémentaires.

Depuis les premiers essais de traitement des AVC par thrombolyse en 1996, plusieurs études et méta-analyses ont été menées, avec des résultats parfois controversés, ce qui explique que l'autorisation de mise sur le marché des thrombolytiques ait été plus tardive et plus restrictive en France qu'aux États-Unis, par exemple. Aujourd'hui, bien que l'efficacité de cette technique soit unanimement reconnue dans le délai des trois heures suivant l'AVC, on constate que la France pratique peu de thrombolyses : 1 080 en 2005, soit 1 % des cas d'AVC constitués. La faiblesse de ce taux est en partie liée aux contraintes propres à cette technique, difficile à pratiquer et contre-indiquée dans de nombreux cas, mais aussi à des défauts organisationnels.

Quant aux unités neurovasculaires, la littérature internationale en recense plusieurs types : des unités cérébro-vasculaires intensives avec des dispositifs de ventilation assistée, des unités quasi-intensives offrant une surveillance permanente du patient, des unités intégrées assurant à la fois une surveillance rapprochée et des soins de rééducation, ainsi que des unités de médecine physique et de réhabilitation dédiées aux patients victimes d'AVC. Ces unités permettent de réduire le risque de mortalité comme le risque de handicap de 5 % à 6 %, même si on ne sait pas encore précisément l'impact spécifique du traitement précoce, de la surveillance régulière et de la réhabilitation précoce, laquelle peut être engagée parfois dès huit heures après l'accident.

L'ampleur des besoins sanitaires français en matière de prise en charge des AVC est cependant difficile à établir : ainsi, le nombre annuel d'AVC est estimé à 90 000, selon les projections établies à partir des données du registre de Dijon, contre 162 000 selon la Haute autorité de santé en 2002. Les schémas régionaux d'organisation sanitaire de troisième génération (SROS III), pourtant censés procéder à une évaluation des besoins sanitaires à l'échelle du territoire de santé, ne fournissent pas de données plus précises. Au contraire, l'élaboration des volets cérébrovasculaires des SROS a pris du retard dans certaines régions, tandis qu'au ministère de la santé, la synthèse des données relatives aux territoires de santé n'est pas facilement disponible. En outre, les annexes opposables des SROS sont souvent difficiles à comparer, malgré l'unification de la terminologie effectuée par la circulaire du 22 mars 2007. Sous ces réserves, on recense 49 unités neurovasculaires installées et 119 autres dont la création est prévue d'ici 2011.

La société REES-France a utilisé les données du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) à des fins d'identification des besoins. Il faut préciser que l'accès à ces données est d'autant moins facile que la liste des territoires de santé est mal connue. Cette liste a été testée au fur et à mesure des travaux et il a été procédé à une extraction des données par territoire de santé en utilisant les codes signes.

Sur ces bases, on peut estimer que les AVC sont à l'origine de 160 000 hospitalisations en France, sachant que ce chiffre inclut les séquelles de ces accidents ainsi que d'autres pathologies ne relevant pas stricto sensu des unités de soins. En ne retenant que les AVC clairement identifiés en tant que tels, y compris les AVC indéterminés, et les accidents ischémiques transitoires (AIT), on arrive au chiffre de 130 000 hospitalisations annuelles. Ce chiffre, qui est le plus sûr que l'on puisse présenter, se décompose en 94 000 AVC constitués et 36 000 AIT. Il faut préciser que les récidives étant incluses dans ce chiffre, celui-ci ne représente pas le nombre des cas incidents. Ces données permettent cependant d'évaluer les besoins pour chaque territoire de santé.

L'étude confronte ensuite les besoins par territoire de santé aux capacités d'accueil des services de neurologie des établissements. Cependant, l'écart entre ces deux données ne peut véritablement permettre d'évaluer les besoins dès lors que tous les AVC ne sont pas admis dans des services de neurologie et que la répartition des admissions entre les services spécialisés et les autres n'est pas connue. Il a donc été fait l'hypothèse d'un taux d'admission des deux tiers dans des services de neurologie, ce qui est une hypothèse plutôt optimiste. Sur cette base, on peut estimer que 50 000 patients sont pris en charge par des services de neurologie - qui ne disposent d'ailleurs pas tous d'unité neuro-vasculaire (UNV) -et 80 000 dans d'autres services hospitaliers.

S'agissant de la prise en charge précoce des AVC, il faut savoir que l'élément clé du traitement est le délai entre l'accident vasculaire et sa prise en charge : d'une part, le délai de trois heures pour que le patient puisse bénéficier d'une thrombolyse, d'autre part, le délai de prise en charge par une UNV. La société REES-France a donc procédé à une enquête portant sur 61 services d'urgence, dont il résulte que le délai de prise en charge est en moyenne de sept heures lorsque l'heure exacte d'apparition des symptômes est connue, soit dans 34 % des cas. Pour les autres patients, il est en moyenne de dix heures. Ces délais résultent d'une part de la méconnaissance des signes d'alerte par les victimes d'un AVC 
- 50 % de Français ne les connaissent pas - d'autre part, des délais d'obtention des examens d'imagerie : deux heures trente en moyenne. Très peu de patients, 2  % seulement, bénéficient ainsi d'un examen d'imagerie par résonnance magnétique (IRM).

En conclusion, M. Robert Launois a souligné que, quelles que soient les estimations de l'incidence des AVC, le nombre des UNV apparaît clairement insuffisant et qu'il faudrait en créer environ 180.

M. Bernard Garrigues, conseiller de la Fédération hospitalière de France pour les structures hospitalières et partenaire de l'étude, a ensuite précisé les modalités du chiffrage des financements nécessaires à l'augmentation du nombre des UNV.

Le coût actuel de la prise en charge des AVC s'élève à environ 560 millions d'euros et le surcoût des unités neurovasculaires à créer peut être évalué à trois niveaux :

- pour les UNV hors soins intensifs, il serait de l'ordre de 20 % à 25 %, du fait d'une charge en soins plus importante, notamment pour des interventions de kinésithérapie, et s'élèverait au total à 80 millions d'euros ;

- pour les soins intensifs délivrés par les UNV, le surcoût serait de l'ordre de 800 000 à 1,5 million d'euros par unité, soit 100 à 140 millions d'euros au total. Un financement a déjà été introduit à travers un supplément journalier de 419 euros pour les soins intensifs mais les niveaux de financement ne sont pas adaptés aux besoins.

- du point de vue des moyens médico-techniques, le surcoût lié au fonctionnement permanent (jour et nuit) des IRM pourrait atteindre de 100 000 à 150 000 euros par appareil.

Après avoir souligné l'intérêt du travail de la société REES-France, notamment en raison des données nouvelles qu'elle présente sur la prise en charge actuelle des AVC, M. Jean Bardet, député, rapporteur a indiqué que la Société française de neurologie vasculaire (SFNV), associée à la réalisation de l'étude, lui avait fait part d'un certain nombre de réserves et que globalement, l'étude n'était pas encore satisfaisante au regard de ses objectifs.

Il a regretté que la mise en place des instruments de collecte des données - interrogation des bases de données de l'assurance maladie, lancement d'une enquête de terrain auprès des services d'urgence accueillant des AVC -, ait mobilisé plus de temps que prévu.

Il a également souligné que l'accent a été parfois excessivement mis sur les problématiques médicales, au détriment des aspects organisationnels qui intéressent l'Opeps, notamment pour qu'ils puissent être pris en compte dans le cadre de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Ainsi, le traitement de certaines questions essentielles, telles que celle des moyens permettant d'assurer une couverture géographique de l'ensemble de la population, compte tenu des difficultés d'accès liées aux conditions géographiques et démographiques - zone urbanisées, zones rurales, zones de campagne - n'a pas pu être traitée de façon satisfaisante, faute de temps.

La première partie de l'étude, portant sur un état des lieux a recensé, grâce à une interrogation du PMSI, 137 000 séjours hospitaliers, fournissant une première photographie détaillée des causes et des modalités des hospitalisations imputées aux AVC. Toutefois le bilan critique ne transparaît que difficilement du fait de l'abondance des données.

La deuxième partie de l'étude porte sur l'épidémiologie des AVC et conduit à souligner le retard français en la matière. En effet, le modèle épidémiologique jusqu'à présent utilisé pour calculer l'incidence nationale et ses déclinaisons régionales est construit à partir de données européennes et aboutit à des estimations nettement supérieures aux hospitalisations constatées pour les AVC. De son coté, le registre de Dijon, seul registre épidémiologique français portant sur les AVC, fournit des chiffres d'incidence divergents, plus faibles. Il en résulte que l'incidence des AVC en France n'est toujours pas précisément connue. Toutefois, il faut relever que l'estimation de l'impact du vieillissement de la population sur l'incidence des AVC est chiffrée à 13 000 cas supplémentaires annuels à l'horizon 2015.

La troisième partie de l'étude concerne les aspects organisationnels, élément stratégique de l'étude. Toutefois, les hypothèses sur lesquelles s'appuient certains raisonnements doivent être validées, ainsi que l'a relevé la Société française neuro-vasculaire. Les prévisions d'installation d'unités neuro-vasculaires, issues de la synthèse des volets AVC des SROS sont difficiles à vérifier, en raison de l'hétérogénéité des documents initiaux. Par ailleurs, la gradation des unités de soins selon la gravité des AVC, proposée par l'étude pour améliorer la couverture géographique des besoins sanitaires, ne rencontre pas l'assentiment de la Société française neuro-vasculaire.

La quatrième partie de l'étude, relative au coût de l'amélioration de la prise en charge précoce des AVC démontre que les coûts hospitaliers en soins aigus actuellement engagés ne représentent qu'une faible fraction des frais entraînés par les AVC, auxquels il faut ajouter les coûts de prise en charge de leurs séquelles. Ainsi, le coût des soins aigus s'élève à 520 millions d'euros, alors que la prise en charge totale atteint 4 milliards d'euros, selon une estimation de 2003. Les investissements supplémentaires que la collectivité devrait consentir pour améliorer la prise en charge précoce seraient donc largement compensés par les économies réalisées en matière de soins de suite, si les AVC étaient pris en charge de façon plus précoce.

Une première cause du surcoût lié à l'amélioration de la prise charge précoce tient à l'installation des lits de soins intensifs mais la SFNV estime qu'il faut également prendre en compte le coût des personnels supplémentaires nécessaires à ces structures, lesquels ne peuvent résulter de seuls redéploiements au sein de l'hôpital, et en particulier les besoins en médecins neurologues - que la démographie médicale de la spécialité ne semble pas à même de satisfaire.

Enfin, la partie du document relative aux propositions laisse en suspens de nombreuses questions. Comment organiser la prise en charge pour le traitement par thrombolyse, qui suppose notamment un équipement en IRM ? Ceci doit-il conduire à modifier les schémas de prise en charge hospitalière ? Quelle stratégie doit être suivie pour développer les unités de soins neuro vasculaires ? Que faire dans les régions où le nombre de services de neurologie n'est pas suffisant pour assurer une prise en charge géographiquement cohérente de l'ensemble des patients ? Enfin, d'un point de vue général, l'étude s'appuie à l'excès sur des normes sanitaires d'origine réglementaire qui ne sont pas nécessairement appropriées. En particulier, les normes réglementaires relatives aux activités de soins intensifs - une infirmière et une aide soignante pour quatre malades - sont insuffisantes, notamment du fait de la lourdeur des soins de nursing.

En conclusion, le rapporteur a estimé nécessaire d'approfondir certains points pour que l'étude réponde à son objectif qui est de présenter des propositions pour l'amélioration de la prise en charge précoce des AVC.

Le président Jean-Michel Dubernard, député, a souligné l'extrême importance, ainsi que la complexité des problèmes liés à la prise en charge précoce des AVC. En la matière, l'objectif de l'Opeps consiste effectivement à éclairer les travaux du Parlement, notamment en vue de la discussion du PLFSS. De ce point de vue, l'exploitation des données du PMSI ne semble pas constituer la méthode de travail la plus appropriée, car elle a tendance à réduire les problèmes de santé publique à une logique de moyens.

Si la société REES-France a respecté dans la forme le cahier des charges qui lui était imposé, il reste qu'au fond, certaines parties de son étude ne semblent effectivement pas rencontrer l'assentiment de la SFNV. Il est donc nécessaire que l'étude soit approfondie le plus vite possible en tenant compte de la position de la SFNV et de telle sorte que ses conclusions puissent être utilisées pour le prochain PLFSS.

M. Bernard Garrigues a reconnu que les données issues du PMSI ne sont pas d'une précision absolue, mais a souligné qu'il n'existe pas d'autre source de données concernant la prise en charge des AVC dans le système hospitalier français.

S'agissant de l'évaluation du coût d'une meilleure prise en charge, il a tenu à préciser que dans ses calculs, il s'était attaché à recenser les coûts actuels des AVC pour les différents services concernés (neurologie, médecine...), sans négliger les surcoûts en personnels et en équipements supplémentaires. Cette approche est toutefois compliquée par le fait qu'elle repose sur des hypothèses nombreuses qui méritent d'être affinées.

Le président Jean-Michel Dubernard, député, a constaté que les informations disponibles sur la prise en charge des AVC sont rares et incomplètes, ce qui souligne l'intérêt des nouvelles données apportées par l'étude mais renvoie aussi au problème plus large de l'évaluation de l'activité des systèmes hospitaliers publics et privés. Il a également insisté sur la question des délais de prise en charge des patients, particulièrement cruciale dans le cas de patients nécessitant une thrombolyse dans les trois heures suivant la manifestation des symptômes, et qui implique une vision territoriale de l'offre de soins d'urgence.

Les divergences existant entre la SFNV et la société REES-France imposent que ces deux intervenants se rapprochent pour déboucher sur des propositions concrètes, notamment organisationnelles, qui dépassent une simple logique de moyens.

Le rapporteur a rappelé que lors de la discussion du cahier des charges, il avait été finalement décidé d'exploiter les données du programme de médicalisation de ces systèmes d'information (PMSI), qui sont certes imprécises mais constituent le seul élément disponible pour apprécier l'activité hospitalière.

M. Robert Launois a indiqué qu'il partage les objectifs définis par le président et que, depuis le début de cette étude, il avait cherché à chiffrer l'ampleur des efforts nécessaires à une mise à niveau du système. À cette fin, il avait initialement envisagé de réaliser une étude observationnelle entre les unités traditionnelles et les UNV mais, les délais ne permettant pas de la réaliser, il a recouru au PMSI, bien que celui-ci ne permette d'estimer que les coûts tarifaires et non les coûts réels. Il a ajouté que la réalisation de cette étude avait rencontré un certain nombre d'obstacles qui en ont allongé les délais d'exécution, mais s'est déclaré prêt à répondre aux exigences exprimées par les membres de l'Opeps dans les délais requis.

M. Gilbert Barbier, sénateur, a remarqué que l'ampleur de l'étude justifie de distinguer la prise en charge d'urgence et les soins de suite, et que la question prioritaire est celle de la prise en charge immédiate des victimes d'AVC.

M. Jean Bardet, député, rapporteur, a souligné l'importance de prendre en compte le point de vue des sociétés savantes afin que, quelle que soit la position de l'office, celle-ci soit argumentée.

M. Alain Vasselle, sénateur, a rappelé que les lettres de cadrage du PLFSS seront prises dès cet été et qu'ultérieurement, il ne sera possible d'intervenir que par voie d'amendement. De plus, la création d'un ministère des comptes publics va réduire le décalage entre la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale. Enfin, il est indispensable qu'une approche économique justifie le retour sur investissement des mesures d'amélioration proposées.

Présentation des propositions du conseil des experts pour l'étude sur le dépistage et le traitement du cancer de la prostate (sujet proposé par l'Assemblée nationale)

M. Claude Le Pen, membre du conseil d'experts a indiqué que le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent, juste après le cancer du sein. On estime à 40 000 le nombre de nouveaux cas chaque année et il est d'autant plus prévalent que son évolution est lente. Dans un nombre important de cas, il peut rester silencieux jusqu'à la fin de la vie des patients. Si le nombre de décès imputables est en diminution, l'incidence de ce cancer est en forte augmentation. Mais cette évolution semble liée aux progrès de son dépistage. D'un point de vue de santé publique, le cancer de la prostate pose un certain nombre de questions.

D'abord, la question de l'opportunité d'un traitement des lésions cancéreuses à un stade précoce donne lieu à un débat important entre spécialistes, compte tenu de l'évolution lente et asymptomatique d'un grand nombre de cas et des effets secondaires non négligeables des traitements : la stratégie d'attente, le « watchful waiting » peut, en revanche, faire courir le risque d'un traitement trop tardif. Sur ce point il existe, en fait, peu de recommandations collectives mais plutôt des attitudes individuelles.

Ensuite, pour ce qui concerne les stratégies thérapeutiques, la Haute autorité de santé, dans son rapport de 2002, concluait qu'en fait la littérature disponible ne permettait pas d'établir de certitude sur le rapport coût/avantages des différents modes de prise en charge des patients.

Enfin, une troisième incertitude concerne l'intérêt d'un dépistage systématique du cancer de la prostate, à l'image par exemple de ce qui existe pour le cancer du sein et les cancers colorectaux, ce qui constitue un important sujet de santé publique. Les tenants d'un dépistage de masse, notamment aux États-Unis, estiment que la diminution du nombre de cas constatée depuis peu est liée au nombre croissant de dosages de PSA pratiqués. D'autres, notamment en France, estiment au contraire qu'un dépistage généralisé ne réduirait pas efficacement la mortalité liée au cancer de la prostate et aurait évidemment un coût important. Des études scientifiques sont en cours qui devraient apporter des éclairages nouveaux sur ce sujet : il ne semble donc pas opportun que l'Opeps s'en saisisse pour l'heure.

En revanche, le problème de l'information du patient et de sa participation aux décisions le concernant semble susciter un vif intérêt. Les incertitudes sur le dépistage, sur la décision de traiter ou de ne pas traiter au stade précoce et sur le type de traitement à mettre en œuvre en font un sujet extrêmement sensible. Aux États-Unis, cette question a une implication directe en termes de responsabilité médicale et les praticiens associent de plus en plus leurs patients à leurs décisions concernant la prise en charge du problème. En France, des efforts sont également consentis pour que les décisions médicales soient partagées entre patient et praticien, mais trop souvent, on constate la pratique de dépistages « sauvages » intégrant un dosage de PSA parmi d'autres examens sanguins, sans protocole ni recommandation médicale, et parfois à l'insu du patient.

Ainsi, il convient de distinguer entre, d'une part, les questions proprement médicales, auxquelles des réponses ne peuvent être apportées qu'au prix d'investigations scientifiques poussées, d'autre part, les questions de santé publique, qui relèvent des compétences de l'Opeps. Face à la banalisation du dépistage du cancer de la prostate financé par la collectivité, plusieurs questions de santé publique se posent, relatives notamment aux dépistages spontanés, aux filières existantes, à l'orientation des patients, à la nature des examens pratiqués et aux difficultés de prise en charge rencontrées par les patients. Par ailleurs, l'information du patient et son association aux décisions médicales le concernant sont également susceptibles de justifier une étude pour mieux cerner les obstacles culturels et tarifaires.

En conclusion, M. Claude Le Pen a estimé que la question du dépistage spontané du cancer de la prostate et du rôle du patient dans le processus de prise en charge justifient une étude de l'Opeps.

Le président Jean-Michel Dubernard, député, a souligné que la question du cancer de la prostate est plus simple que celle des AVC parce que la littérature scientifique la traite abondamment, parce qu'elle n'implique à titre principal qu'une spécialité médicale et parce que l'Association française d'urologie est une société savante très active.

En matière de dépistage, on constate que les personnes bien informées bénéficient souvent d'un dépistage non seulement par PSA mais aussi par toucher rectal. La question de l'association du patient aux décisions de dépistage et de traitement est effectivement particulièrement importante dans le cadre du cancer de la prostate. Il a également souligné que l'Association nationale des malades du cancer de la prostate accomplit un travail très utile d'accompagnement des malades, ceux-ci étant d'autant plus mobilisés que le cancer de la prostate se guérit.

M. Claude Le Pen a indiqué qu'il a constaté, lors de la réalisation de l'étude de faisabilité, une certaine unité de vue entre les professionnels concernés par le cancer de la prostate, les urologues et les spécialistes du cancer.

M. Paul Blanc, sénateur, a estimé que la décision éclairée et autonome des patients est réservée à ceux issus de certains milieux sociaux et que les autres s'en remettent généralement à leur médecin pour prendre les décisions importantes.

M. Bernard Cassou, membre du conseil d'experts, a expliqué qu'il convient de distinguer deux questions : d'une part, l'opportunité d'un dépistage systématique, d'autre part, l'organisation, voire l'encadrement, des dépistages individuels. Pour trancher la première, il faut attendre les résultats des grandes enquêtes scientifiques en cours, mais on imagine d'ores et déjà ce que serait éventuellement un dispositif de dépistage systématique du cancer de la prostate, à partir de l'expérience tirée de la mise en place de dispositifs analogues, notamment en matière de cancer du sein. En ce qui concerne le dépistage individuel, il faudrait, en effet, procéder à une évaluation des pratiques actuelles, ce qui n'a encore jamais été fait.

Mme Isabelle Durand-Zaleski, membre du conseil d'experts, a estimé que quels que soient les résultats des études relatives à l'opportunité de mettre en place un dispositif de dépistage systématique du cancer de la prostate, il serait intéressant d'étudier les moyens de limiter les inégalités de traitement que l'on constate, tant en termes de survie qu'en termes d'autonomie du patient lorsqu'un cas de cancer a été détecté. En effet, un consensus émerge pour souhaiter que les patients, mieux informés, puissent prendre de façon autonome les décisions concernant leur traitement, sans que cela soit réservé à certaines catégories de patients.

Rappelant qu'il recommandait à l'Opeps de ne pas prendre de position sur l'opportunité d'un dépistage systématique du cancer de la prostate, M. Claude Le Pen, a confirmé qu'il s'agit, selon lui, d'évaluer les pratiques de dépistage individuel et le traitement du cancer de la prostate, pour améliorer les conditions de ce dépistage et éventuellement préparer la mise en œuvre d'un dispositif de dépistage systématique, si l'intérêt de ce dernier est validé par les études épidémiologiques.

Le président Jean-Michel Dubernard, député, ayant estimé, en conséquence, que l'étude de faisabilité justifie l'engagement d'une étude sur le dépistage et le traitement du cancer de la prostate, l'Opeps a décidé de confirmer ce sujet pour la prochaine étude de l'Assemblée nationale.

Présentation des propositions du conseil des experts pour l'étude sur la prise en charge psychiatrique (sujet proposé par le Sénat)

M. Philippe Cléry-Melin, membre du conseil d'experts, a indiqué que ce thème constitue l'un des problèmes majeurs de notre société, qui a pris récemment conscience de l'ampleur des besoins et des difficultés du secteur psychiatrique, comme le montre le plan « psychiatrie et santé mentale 2005-2008 ». Or, la prise en charge psychiatrique est un sujet complexe et sa compréhension se heurte à l'hétérogénéité des points de vue des professionnels.

Le champ de la santé mentale est immense : les études épidémiologiques ont évalué la prévalence des troubles mentaux entre 15 % et 20 % sur un an dans l'ensemble de la population (enfants, adolescents, adultes et personnes âgées). Si un certain nombre de ces troubles demeurent ponctuels, la plupart sont récurrents et nécessitent parfois une aide de longue durée dans un cadre protégé.

La prise en charge psychiatrique s'impose aujourd'hui comme une démarche horizontale, infiltrant de nombreuses pratiques de soins. Outre la psychiatrie biologique, on constate l'essor d'une science recherchant règles et principes psychodynamiques pour mieux comprendre les mécanismes psychologiques agissant sur les plans individuel, psychosocial et socioculturel dans une société en évolution.

La France porte un grand intérêt à la santé mentale, notamment dans le domaine des droits de l'homme. On lui doit des découvertes psychopharmacologiques et, aujourd'hui, des contributions novatrices au développement des sciences psychanalytiques.

Ces avancées sont primordiales car on évalue à dix millions le nombre de personnes concernées en France par un trouble psychiatrique, et notamment à 1 % de la population totale des personnes atteintes de schizophrénie, 1,5 % celles atteintes de troubles maniaco-dépressifs, 4 % de dépression, 6 % de troubles névrotiques et anxieux, 2 % de troubles graves de la personnalité, 2 % de troubles psycho-organiques, ainsi que 6 % de troubles liés aux addictions (alcoolisme et toxicomanie) seules ou associées à d'autres troubles mentaux. Les enfants et les adolescents ne sont pas épargnés : un enfant sur huit souffre d'un trouble psychiatrique qui peut être sévère (autisme, psychose) ou potentiellement handicapant pour sa future insertion scolaire et sociale (hyperactivité, troubles du comportement, dépression, troubles obsessionnels compulsifs, anxiété, troubles du comportement alimentaire).

Ces troubles psychiatriques sont associés à une très forte mortalité. Ils sont responsables de la quasi-totalité des 11 500 décès annuels par suicide, auxquels il convient d'ajouter une part difficilement quantifiable de la mortalité non suicidaire (accidentelle ou associée à la consommation d'alcool, de tabac, de drogue) et de la mortalité cardio-vasculaire en raison de la comorbidité importante de ces troubles avec les troubles anxio-dépressifs.

Pour répondre à ces besoins, l'offre de soins en psychiatrie s'est développée et représente désormais 10 % à 15 % des dépenses de santé, 20 % des lits d'hospitalisation spécialisée - sans compter la part importante de patients hospitalisés pour des problèmes psychiatriques dans des lits non spécialisés -, ainsi que plus des trois quarts des places en hôpital de jour ; on compte 13 000 psychiatres en France, ce qui place notre pays au deuxième rang mondial en termes de densité médicale pour cette spécialité. Toutefois, les moyens humains et les structures de soins restent géographiquement très inégalitaires et certains lieux d'hospitalisation sont distants des lieux de vie ou n'offrent pas de possibilités de prise en charge somatique associée.

M. Philippe Cléry-Melin a indiqué qu'aux pathologies relevant spécifiquement de la psychiatrie, s'ajoute le domaine plus vaste de la souffrance psychique. Le champ de la santé mentale recouvre divers domaines d'intervention au-delà du seul domaine de la santé : éducation, famille, emploi, culture, ville, justice, police, etc. La sollicitation du dispositif de soins est donc forte, dans le cadre d'une prise en charge directe des patients ou en appui des professionnels de l'éducation nationale, de la protection judiciaire de la jeunesse, de l'administration pénitentiaire ou des travailleurs sociaux auprès de publics en situation de précarité.

La demande de prise en charge par le système de soins s'est considérablement modifiée ces dernières années. En effet, la perte du lien social et la crise économique ont fait émerger des problèmes à l'interface du champ psychiatrique et du champ social, avec un recours inadapté aux services d'urgences, au détriment d'un repérage précoce des difficultés et de leur prise en charge adéquate.

L'absence de structures médico-sociales ou sociales adaptées à ces situations affecte l'efficacité du dispositif de soins hospitaliers. Par ailleurs, on estime qu'un tiers des personnes qui consultent en médecine générale présente un trouble psychiatrique (anxiété, dépression, addiction). Cette offre de soins de première ligne est indispensable, mais elle ne dispose pas des moyens de faire face à la demande. La prévention est en outre insuffisamment développée. Enfin, on manque d'instruments de connaissance et de pilotage, tant pour l'évaluation des pratiques professionnelles que pour les aspects médico-économiques et épidémiologiques.

Il en résulte un état peu satisfaisant de la santé mentale des Français : sur onze pays européens, la France est au neuvième rang pour le niveau de santé mentale positive, au troisième rang pour le taux de détresse psychologique élevé et au premier rang pour la fréquence des troubles dépressifs et anxieux, notamment pour les jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans, ce que confirme un taux élevé de prescription et de consommation de psychotropes, tant pour les anxiolytiques que pour les antidépresseurs. Les affections psychiatriques représentent la quatrième cause de classement en affection de longue durée (ALD) avec 900 000 patients concernés en 2004, sur un total de 6,56 millions, et même la première pour les personnes de quinze ans à quarante-quatre ans (33,9 % des ALD chez les hommes et 29,9 % chez les femmes).

M. Philippe Cléry-Melin a fait valoir que ce constat explique la forte sollicitation du système de soins psychiatriques. En 2005, on a enregistré 620 000 entrées et plus de 18 millions de journées d'hospitalisation. Ceci concernait 1,3 million de patients en 2003, soit une progression de 61,7 % depuis 1991, dont 464 000 enfants, en hausse de 82,2 % sur la même période.

Or, le nombre de psychiatres devrait baisser de 36 % entre 2002 et 2025 et l'accès aux structures de soins reste inégal malgré une organisation territoriale en secteurs destinée à assurer une couverture optimale des besoins. Dans certaines zones, on observe également un nombre croissant de professionnels exerçant en secteur libéral. Ces inégalités ont été aggravées par une réduction parfois trop rapide des capacités d'hospitalisation et une allocation insuffisante de moyens pour des prises en charge alternatives et innovantes.

S'ajoute à ces lacunes une formation insuffisante des infirmiers et des médecins généralistes. De fait, ces derniers adressent trop peu fréquemment leurs patients à des psychiatres ou à des psychologues. En outre, la population connaît mal les structures existantes, notamment les centres médico-psychologiques (CMP), qui devraient pourtant constituer la porte d'entrée naturelle dans le dispositif de soins.

Il apparaît donc que le système de prise en charge est en réalité sollicité de façon inappropriée en raison de la psychiatrisation des problèmes de société, liée à la confusion entre santé mentale positive et troubles psychiatriques mais aussi à cause de la prise en charge indue en réinsertion/réadaptation de patients relevant du secteur médico-social, faute d'alternatives adéquates : 15 000 personnes seraient hospitalisées en psychiatrie de manière inadaptée.

L'utilisation détournée du système de prise en charge psychiatrique n'est pas exempte de coût pour la collectivité. En 2002, la part des dépenses de santé (hors prévention) imputable à la catégorie « diagnostic des troubles mentaux » atteint 10,6 % (11,4 milliards d'euros sur un total de 107,6 milliards), derrière les maladies de l'appareil circulatoire (12,6 %) et devant les maladies du système ostéo-articulaire (9 %). Pour les seules dépenses hospitalières, 15,9 % sont rattachés aux troubles mentaux, qui en constituent le premier poste.

M. Philippe Cléry-Melin a estimé qu'une réforme plus profonde du système de prise en charge demeurerait nécessaire, bien qu'on puisse espérer que l'évolution des normes et la valorisation de l'activité en psychiatrie permettent prochainement de limiter le coût du dispositif psychiatrique.

La notion de continuité des soins doit ainsi privilégier les critères fonctionnels au détriment des critères géographiques, qui méritent toutefois d'être conservés afin qu'aucun patient ne soit exclu des soins adaptés.

La politique de secteur a eu une forte influence sur certains services, conduisant à une diminution importante des capacités d'hospitalisation à temps complet, un développement des structures légères en extrahospitalier, un éclatement des structures de prise en charge les plus proches de la population et un renforcement des liens avec les structures et les associations environnantes. Si les lieux de soins ont réussi leur sectorisation, ils demeurent très autocentrés dans leur mode de fonctionnement. La mutation doit désormais se poursuivre dans le sens d'un rapprochement de l'hospitalisation de l'ensemble des lieux de vie et de la prise en charge de l'ensemble des détresses psychologiques, comme l'ont déjà compris certains services.

Une réelle complémentarité entre les pratiques, qu'elles soient libérales, associatives ou publiques, ainsi qu'entre le médical et le médicosocial, doit également être mise en œuvre. À cet égard, la psychiatrie publique ne demeurera pleinement crédible, selon lui, que si elle parvient à mettre en place une articulation forte avec les autres intervenants pour promouvoir une approche globale, une offre intégrée et des actions de proximité, assurer une accessibilité pour tous, rechercher la participation des personnes concernées et définir des indicateurs de qualité de vie et de bien-être.

M. Philippe Cléry-Melin a rappelé que la vocation de la psychiatrie reste d'abord le soin, sans négliger la prévention des effets collatéraux de la pathologie mentale et des facteurs de risques confirmés.

Ainsi, un axe d'étude pour l'Opeps pourrait être de réfléchir à l'utilisation des avancées de la science pour améliorer les pratiques. L'étude devrait alors être confiée à un petit groupe d'experts indépendants (médecins, psychologues, psychanalystes, philosophes, sociologues, économistes), qui travailleraient de manière prospective à construire un programme d'action et de recherche visant à rénover la prise en charge psychiatrique, en réévaluant les méthodologies employées par une confrontation avec les connaissances issues de la psychiatrie psychanalytique et des neurosciences cognitives. Ce groupe aurait ensuite la charge de formuler des recommandations concrètes et de tracer les pistes d'avenir de la psychiatrie.

Il a proposé que l'équipe sélectionnée s'appuie sur une double méthodologie. Il conviendrait d'abord de cerner le sujet par une série d'études et d'évaluations :

- des études descriptives en population permettant un état des lieux par une mesure de la prévalence et des caractéristiques des personnes étudiées (antécédents, facteurs économiques et sociaux, comorbidités, conduites addictives et autres conduites à risque, etc.). À défaut d'études en population générale, difficiles et coûteuses, il s'agit de réaliser des études au sein de populations et dans des lieux spécifiques (hôpitaux psychiatriques, services d'accueil des urgences ou de traumatologie, prisons, populations de sans domicile fixe, centres d'hébergement et de réinsertion sociale, etc.) ;

- des études longitudinales (études de cohorte) de la période anténatale à l'âge adulte permettant d'appréhender les conditions d'apparition des troubles, les facteurs de protection et les facteurs de vulnérabilité, l'influence des événements de la vie et des mesures éventuelles de prévention, ainsi que l'évolution, voire la transformation ou la disparition de ces troubles à l'adolescence ou à l'âge adulte. Si de telles études ne pouvaient être réalisées compte tenu de leur coût, il est recommandé de réaliser au moins des études cas-témoins -permettant de vérifier plus rapidement des hypothèses - en veillant à minimiser les biais méthodologiques ;

- une évaluation des stratégies de repérage, de prévention et de prise en charge sur un territoire donné ;

- des enquêtes permettant de recenser les différentes techniques thérapeutiques mises en œuvre actuellement par les équipes médicales prenant en charge les personnes présentant des troubles psychiques ;

- une évaluation des prises en charge thérapeutiques, idéalement par des études randomisées, sinon par d'autres études comparatives.

M. Philippe Cléry-Melin a proposé, parallèlement, que soit organisée une série d'auditions publiques, sur le modèle de celles menées par la Haute autorité de santé pour élaborer ses recommandations. Cette méthode repose sur le travail d'une commission d'audition qui rédige en toute indépendance un rapport d'orientation et des recommandations à l'occasion d'un débat public sur un problème de santé controversé. Ces documents sont destinés à la fois aux décideurs, aux professionnels de santé et aux usagers.

La réalisation d'une audition publique est une méthode particulièrement adaptée pour des sujets de santé publique concernant tous les acteurs de la société pour lesquels subsistent des incertitudes scientifiques importantes et qui requièrent un débat public pour éclairer les controverses.

M. Alain Milon, sénateur, rapporteur, s'est déclaré favorable à l'organisation d'auditions publiques dans le cadre des travaux de l'Opeps sur la prise en charge psychiatrique.

Le président Jean-Michel Dubernard, député, a souhaité des précisions la façon dont ces auditions publiques pourraient être organisées.

Mme Isabelle Durand-Zaleski a estimé que cette méthode n'est efficiente que si les auditions se limitent à des thèmes précis, à l'instar des auditions de la Haute autorité de santé sur la question du lien éventuel entre le vaccin contre l'hépatite B et la survenance de scléroses en plaques. Il serait en conséquence opportun de choisir une thématique spécifique d'audition publique, par exemple celle des modalités de prise en charge des maladies psychiatriques bipolaires.

Sur le sujet plus général de la prise en charge psychiatrique, un problème majeur réside dans la mauvaise formation des médecins généralistes à ces pathologies, alors que, le plus souvent, les psychiatres hospitaliers leur confient le suivi des patients.

Mme Claudine Blum-Boisgard, membre du conseil d'experts, a cité le travail mené par la Haute autorité de santé sur le traitement hormonal de la ménopause pour illustrer la nécessité de cerner le thème des auditions publiques, en suggérant que des auditions soient organisées, par exemple, sur le nombre de lits en psychiatrie ou le problème des inégalités géographiques dans la prise en charge. Ces thèmes devront en outre permettre à l'Opeps d'étoffer sa réflexion pour émettre des recommandations dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale.

M. Philippe Cléry-Melin a observé que le sujet ici retenu par l'Opeps est plus large que ceux précédemment traités et qu'on pourrait limiter l'étude, par exemple, à un bilan de la prise en charge psychiatrique française au regard des objectifs de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.

Le président Jean-Michel Dubernard, député, a rappelé à cet égard que de nombreux malades psychiatriques sont aujourd'hui dans la rue ou pris en charge dans des hébergements d'urgence et suivi par les médecins bénévoles associatifs.

M. Nicolas About, sénateur, vice-président, a fait valoir que ces malades sont également souvent incarcérés. Il est aujourd'hui indispensable que le secteur médico-social prenne en compte les problèmes psychiatriques. Toutefois, les psychiatres ne sont pas exempts de critiques : leurs querelles internes nuisent trop souvent à l'efficacité de la prise en charge des malades et pourraient utilement être réglées par la diffusion d'un référentiel de bonnes pratiques.

M. Paul Blanc, sénateur, a rappelé que les secteurs psychiatriques avaient justement été créés pour obliger les psychiatres des hôpitaux à suivre les patients après leur sortie.

Il a également fait part des craintes que lui inspire l'intégration des malades psychiques dans la catégorie des personnes handicapées par la loi « handicap » du 11 février 2005. Il est d'ailleurs régulièrement interpellé sur cette question par des responsables de centres d'aide par le travail (CAT), qui accueillent de plus en plus de personnes schizophrènes et de personnes maniaco-dépressives dans leurs structures, au détriment des handicapés mentaux. Une réflexion doit être rapidement engagée sur la frontière entre handicap et maladie psychique.

M. Alain Milon, sénateur, rapporteur, s'est inquiété de la diminution annoncée du nombre de psychiatres et des fermetures de lits dans les établissements pédopsychiatriques, alors que, parallèlement, on constate l'augmentation du nombre de malades. Il s'est demandé si la réouverture de la formation d'infirmiers spécialisés dans ce domaine, aujourd'hui disparue, ne constituerait pas une solution pour améliorer la prise en charge de ces patients.

M. Philippe Cléry-Melin est convenu qu'un des thèmes majeurs de la réflexion de l'Opeps devra porter sur le rôle des professionnels, notamment celui des psychologues et des infirmiers. En effet, la diminution du nombre des psychiatres et le développement de leur activité de psychanalyse rendent indispensable le recours à d'autres acteurs de la prise en charge. Ainsi, en région parisienne, le délai d'attente pour une consultation pédopsychiatrique atteint en moyenne trois à quatre mois.

M. Claude Le Pen a rappelé que l'objet de l'étude est de pointer les dysfonctionnements du système de prise en charge psychiatrique. Pour mener à bien cette évaluation globale, la méthode des auditions publiques semble appropriée, dès lors qu'elles offrent aux membres de l'office une vue d'ensemble, non limitée à certaines pathologies. De fait, les thèmes choisis sont plus organisationnels - comme le bilan des secteurs psychiatriques ou les liens entre la psychiatrie et la justice par exemple - que thérapeutiques.

M. Alain Vasselle, sénateur, s'est interrogé sur le fait de savoir si les malades souffrant d'Alzheimer doivent être traités dans des structures psychiatriques, dont il a estimé qu'elles prennent trop souvent en charge des personnes relevant en réalité du secteur médico-social. Il s'est également interrogé sur l'opportunité de traiter du rôle des psychothérapeutes dans l'étude.

S'appuyant sur son expérience de président d'un établissement de deux mille places, il a remarqué que les psychiatres sont souvent réticents à l'installation de lits psychiatriques dans les hôpitaux généraux et acceptent avec difficulté l'idée que certains de leurs patients puissent relever du secteur médico-social.

M. Gilbert Barbier, sénateur, a fait valoir que la situation est très hétérogène sur le territoire national, citant l'exemple du département du Jura dans lequel le fonctionnement du secteur psychiatrique est satisfaisant.

M. Philippe Cléry-Melin a également rappelé que Paris compte quatre-vingt-huit psychiatres pour 100 000 habitants, contre seulement neuf psychiatres pour 100 000 habitants à Lille et a exprimé la crainte que cette hétérogénéité s'aggrave avec la pénurie annoncée de médecins.

Revenant sur l'organisation d'auditions publiques, il a proposé que les thèmes retenus concernent les lieux de soins, le rôle des différents intervenants et les caractéristiques particulières des malades traités.

M. Nicolas About, sénateur, vice-président, a conclu en souhaitant que ces critères figurent dans le cahier des charges de l'appel d'offres pour l'étude sur la prise en charge psychiatrique.


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