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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

2ème séance du mardi 7 mars 2006

Séance de 15 heures

69ème jour de séance, 161ème séance

Présidence de M. Jean-Louis Debré

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La séance est ouverte à quinze heures.

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Questions au Gouvernement

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

CPE

Mme Muguette Jacquaint – Savez-vous, Monsieur le Premier ministre, comment les jeunes qualifient le CPE ? De « contrat pour exclure de l'emploi sans motif « !

Votre projet concentre contre lui une large opposition, dont témoignent les 160 manifestations qui se déroulent partout dans notre pays. Ce rejet est fondé, car vous aggravez la précarité de l'emploi en faisant primer le droit d'entreprendre du grand patronat sur le droit au travail de nos jeunes.

La jeunesse de notre pays, soutenue par une majorité de salariés, ne veut pas d'un contrat de travail qui la soumet au droit divin de l'employeur, qui lui impose deux ans de mise à l'essai, sans protection, et qui peut être rompu à tout moment, sans justification ni motivation (Protestations sur plusieurs bancs du groupe UMP). Elle ne peut accepter que ce contrat de travail balaie toutes les recommandations internationales, qui imposent une justification du licenciement et des protections pour les salariés ! Ce contrat ouvre la porte à tous les abus possibles !

Elle rejette, comme nous, un contrat de travail encore plus précaire que le CDD – c'est dire le recul ! – et qui vient sonner le glas du CDI. Si votre plaisir est de satisfaire le Medef (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), notre rôle à nous est de défendre la jeunesse !

600 000 emplois devraient se libérer tous les ans au cours des dix prochaines années en raison des départs à la retraite : profitons-en pour offrir des emplois durables et bien payés aux jeunes, au lieu de satisfaire les appétits du CAC 40 ! (Vives exclamations sur bancs du groupe UMP)

Écoutez donc les jeunes, Monsieur le Premier ministre, et retirez votre projet de CPE ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes Vous avez fait référence à la principale préoccupation des jeunes générations, mais aussi de leurs parents et grands parents : la précarité. Telle est en effet la situation que nous offrons à nos jeunes depuis vingt ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Le taux d’activité des moins de 26 ans est en effet le plus bas d’Europe.

M. Jean Glavany - Depuis quatre ans !

M. le Ministre délégué - Depuis bien plus longtemps !

Aujourd’hui, 70 % des jeunes entrent dans l’emploi avec un CDD, d’une durée inférieure à un mois dans la moitié des cas. Et sur dix jeunes inscrits à l’ANPE, six d’entre eux n’accèderont jamais au régime d’assurance chômage faute d’avoir bénéficié d’un contrat de plus de six mois !

Face à de telles difficultés, le Gouvernement a souhaité offrir une meilleure orientation des jeunes…

Plusieurs députés du groupe UMP – Très bien !

M. le Ministre délégué - …tâche à laquelle je me suis attelé en compagnie de Gilles de Robien : d’ici à 2009, nous devrons ainsi offrir à 800 000 jeunes des contrats d’alternance ou de professionnalisation, dont les titulaires devront représenter 3 % des effectifs des grandes entreprises. Les stages seront également reconnus comme des moments de formation et comme partie intégrante des parcours professionnels. Enfin, le CPE permettra d’entrer dans l’emploi en bénéficiant d’un certain nombre de sécurisations.

J’ajoute que nous donnerons aux jeunes un accompagnement personnalisé, car il ne suffit pas d’avoir trouvé un emploi : encore faudrait-il éviter les taux de rupture de contrats actuels !

Notre objectif unique est donc de rompre avec les vingt dernières années, au cours desquelles aucun traitement de fond n’a été appliqué à ce problème majeur qu’est la précarité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean Glavany - Vous n’avez rien fait depuis quatre ans non plus !

CPE

M. Marc-Philippe Daubresse – La semaine dernière, un grand quotidien de ma région commentait en ces termes les manifestations contre le CPE : « Qu’importe le contrat, pourvu qu’ils bossent ! » Et pourtant, à Lille, une université de 20 000 étudiants est en ce moment occupée.

Chacun sait que, depuis des années, on ne propose rien d’autre aux jeunes que des contrats à durée déterminée. Ils attendent et espèrent autre chose ! Quand ils trouvent un emploi, il s’agit en effet dans 70 % des cas d’un CDD, qui ne donne accès ni au crédit ni au logement. Et bien des jeunes pensent qu’on a tout essayé, à gauche comme à droite, et que nous avons tous échoué.

Mais il n’en est rien ! Si la gauche brille par la vacuité de ses propositions, dont la dernière en date est une allocation évanescente, qui n’a même pas été évaluée financièrement, le Gouvernement propose un contrat à durée indéterminée combinant plus de souplesse pour l’employeur et plus de sécurité pour le salarié.

Il est aujourd’hui temps de répondre à ceux qui mènent depuis plusieurs jours une campagne de désinformation sur le CPE, sans faire aucune autre proposition qu’une plus grande précarité. Que pouvez-vous donc dire aux jeunes qui nous regardent, et qui attendent avec espoir que nous leur donnions les moyens de travailler pour réussir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Dominique de Villepin, Premier ministre - Je respecte les inquiétudes et les peurs qui s’expriment dans notre pays.

M. Jean Glavany - Et elles sont de plus en plus nombreuses !

M. le Premier ministre – J’entends les aspirations de chacun au travail, à la dignité et au respect, et je mesure les difficultés auxquelles sont confrontés trop de jeunes dans notre pays. Cela fait vingt ans qu’ils sont injustement traités comme la variable d’ajustement du marché du travail (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements bancs du groupe UMP). Cela fait vingt ans qu’ils sont les premiers à supporter les conséquences du chômage de masse, et qu’on les met à l’écart de l’avenir !

Face à cela, nous pourrions continuer à fermer les yeux sur les inégalités, et faire une injustice aux jeunes tout en insultant l’avenir de notre pays. Nous pourrions également continuer à nous bercer des mêmes illusions, comme le fait la gauche : de votre part, je n’entends aucune proposition nouvelle (Mêmes mouvements), car vous vous enfermez encore et toujours dans votre logique d’assistance, qui ne relève pas le défi principal – faciliter l’accès à l’emploi. Comment y parvenir ? Personne dans votre camp ne le sait ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Parce que nous avons besoin de solutions nouvelles, le Gouvernement met en place le CPE, véritable contrat anti-précarité : tout d’abord, il donne une première expérience de l’emploi, si importante pour les jeunes ; il permet également une insertion directe dans l’emploi des jeunes qui sont éloignés du marché du travail, parce qu’ils ne répondent pas aux attentes des employeurs et qu’ils ne disposent pas des diplômes et des qualifications nécessaires ; il ouvre enfin le droit à une formation dès le premier mois de travail, ce qui est un atout pour évoluer ensuite dans son parcours professionnel.

Sommes-nous capables de donner une place à chacun et de gagner ensemble la bataille de l’emploi ? Voilà l’enjeu !

Le texte sur l’égalité des chances vient d’être adopté par le Sénat, au terme d’un débat de plus de quatre-vingt dix heures, qui a permis l’adoption de 132 amendements et que je tiens à saluer. Entre l'Assemblée nationale et le Sénat, plus de 135 heures auront ainsi été consacrées à ce débat.

Le contrat première embauche est un outil, mais ce n’est pas le seul. Il s’inscrit dans le cadre d’un véritable parcours d’embauche pour les jeunes : le service public de l’orientation, qui permettra à chacun de choisir sa voie en connaissance de cause ; tous ceux qui s’engagent tôt dans l’apprentissage auront droit à un an de formation dès le mois de septembre ; nous allons ouvrir davantage de postes en alternance, qui sont une vraie garantie pour l’emploi ; les stages – et c’est une première – seront encadrés, obligatoirement rémunérés et insérés dans un cursus professionnel et universitaire. Je suis prêt à enrichir ce parcours de toute proposition nouvelle. Dans le cadre d’une nouvelle étape pour l’emploi, Jean-Louis Borloo et Gérard Larcher ouvriront une large concertation (Exclamations ironiques sur les bancs du groupe socialiste) dès la semaine prochaine. Comme le contrat nouvelles embauches, le contrat première embauche fera l’objet d’une évaluation approfondie – nous nous y sommes engagés avec les partenaires sociaux – et cette évaluation sera présentée au Parlement.

Le véritable défi d’aujourd’hui, c’est d’apporter des réponses concrètes aux difficultés des Français, et en particulier des plus jeunes. Je veux le faire en partant de la réalité quotidienne,…

M. Jean Glavany - Vous ne la voyez pas !

M. le Premier ministre – …la réalité de notre pays, mais aussi la réalité européenne et internationale. Cette réalité exige des choix courageux, responsables, afin de conserver un équilibre entre liberté et protection. Liberté de trouver un emploi rapidement, de construire sa vie professionnelle ; liberté d’entreprendre, de rassembler nos forces pour être mieux armés dans la compétition économique internationale. Mais aussi protection contre les aléas de la vie, contre les inégalités, grâce à des services publics efficaces et modernes (Brouhaha sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) ; contre le risque du chômage, grâce à de nouveaux instruments ; protection contre les risques sanitaires, grâce à nos dispositifs de veille et d’accompagnement. Cette France-là n’est pas un rêve : c’est celle que nous construisons jour après jour, avec le Gouvernement et la majorité, avec tous les Français, à force de lucidité et de justice ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

cPE

M. Jean-Marc Ayrault - Le CPE, Monsieur le Premier ministre, représente un choix de société (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). Depuis quatre ans, le monde du travail, la jeunesse, expriment massivement leur refus du modèle de précarité générale que vous leur imposez. Seul le silence de la continuité leur a répondu. Ce peuple qui marche n’est pas une cohorte de passéistes ou de privilégiés. Les Français qui manifestent aujourd’hui n’ont rien d’autre à demander que la dignité de leur travail, le respect de leurs efforts, la reconnaissance de leur contribution aux résultats de nos entreprises (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Ils ont longuement pesé votre projet, sans œillères, prêts à croire que c’était mieux que rien. Et puis ils ont découvert ces centaines de contentieux autour du contrat nouvelles embauches, ces licenciements au jour le jour sans motif ni préavis, ces remplacements express d’un salarié par un autre dans l’arbitraire le plus complet. Ils ont vu le Gouvernement piétiner la négociation sociale, contraindre le Parlement, ignorer leur propre désarroi. Ils ont compris alors ce que vous vouliez leur cacher : votre politique a une apparence, l’ordre et l’inflexibilité ; mais elle a une réalité, la flexibilité et le désordre. Vous êtes le gouvernement de la régression sociale et de la désunion nationale ! Vous disiez ici même écouter aussi bien la France qui manifeste que celle qui ne manifeste pas. Aujourd’hui, cette France ne fait plus qu’une contre le CPE, qui n’est que le frère du contrat nouvelles embauches (« C’est faux ! » sur les bancs du groupe UMP). Non, on ne gouverne pas seul contre une nation ; non, on ne la change pas sans son consentement. Allez-vous entendre les Français et retirer le CPE ? (« Non ! » sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Premier ministre – La peur n’est pas une politique ; l’illusion n’est pas une politique ; le passé n’est pas une politique. Que proposez-vous aux Français ? (« Rien ! » sur les bancs du groupe UMP) Vous leur proposez l’idéologie là où ils ont besoin de lucidité et de pragmatisme ; vous leur proposez des demi-mesures là où ils réclament de vraies solutions et des résultats. Que voulez-vous leur faire croire ? Que la France peut encore attendre quand tous ses partenaires ont entrepris depuis longtemps des réformes courageuses du marché du travail ? Que la France peut ignorer la réalité d’une Europe qui bouge et d’un monde qui change ? Qu’elle pourra rester elle-même sans consentir un effort de modernisation pour plus d’égalité, pour plus d’ambition, pour plus de justice ? Que reprochez-vous au juste au Gouvernement ? Le dialogue ? Mais où sont vos propositions, que nous pourrions discuter ? La rapidité ? Mais croyez-vous vraiment que les Français veulent attendre ? La précarité ? Mais ouvrez donc les yeux : la précarité, c’est la réalité quotidienne, depuis vingt ans, pour beaucoup de jeunes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Yvan Lachaud - Très bien !

M. le Premier ministre – Mesurons bien l’enjeu : oui ou non, voulons-nous donner à chaque jeune la possibilité d’entrer rapidement sur le marché du travail ?

M. Maxime Gremetz - Arrêtez !

M. le Premier ministre – Oui ou non, voulons-nous préserver l’équilibre entre liberté et protection qui fait la force de notre pays ? Je vous attends, Monsieur Ayrault : j’écouterai avec attention vos propositions d’amélioration du parcours d’embauche des jeunes. Mais je refuse l’immobilisme ! Je suis ouvert (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) à tout ce qui fait progresser notre modèle et notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

arboriculture

M. Jean Dionis du Séjour - Nos arboriculteurs ont longtemps fait bonne figure dans le monde paysan. Employeurs importants, innovants sur le plan technique et commercial, ils avaient une réputation de gens modérés et raisonnables. C’est fini. La violence de la crise arboricole qui secoue tout le sud de la France, mais aussi la vallée de la Loire, accule au désespoir une profession tout entière. En 2005, nos arboriculteurs n’ont pas eu à affronter de catastrophe sanitaire ou météorologique.

Non, ce sont d’abord des dysfonctionnements commerciaux aux frontières de l’Union européenne et à l’intérieur du marché national qui expliquent l’effondrement de leurs revenus. Alors que les accords internationaux prévoyaient l’importation de 800 000 tonnes de pommes dans l’UE, 1 300 000 tonnes sont finalement entrées : pourquoi nos frontières sont-elles devenues de telles passoires ? Est-il si facile de camoufler des conteneurs de fruits ? Qui se rend complice de ces achats ?

Sur notre marché national, les sempiternels rapports de force entre grande distribution et producteurs ont eu une fois encore les mêmes effets. Les fruits représentent l’un des secteurs où les marges de la grande distribution sont les plus importantes. Or, reprenant une revendication très ancienne de la profession, le Parlement a enfin adopté le mécanisme du coefficient multiplicateur qui tend à limiter les marges du distributeur. Las, il n’a été appliqué ni pour la crise de la pêche de juillet dernier, ni pour celle de la poire d’été du mois d’août, ni pour celle de la pomme à l’automne. Force est d’admettre que le coefficient multiplicateur est resté dans les tiroirs de votre ministère.

Que compte faire le Gouvernement pour éviter les importations sauvages de fruits pendant la saison d’été ? La loi instituant le coefficient multiplicateur va-t-elle enfin être appliquée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche  Monsieur le député, vous avez raison d’insister sur la gravité de la crise arboricole, dont la première cause tient à un mauvais fonctionnement de l’Union européenne, qui, l’été dernier, a accepté sans réagir des importations de pommes – et d’autres fruits – qui n’auraient jamais dû avoir lieu. Pour y remédier, nous avons obtenu le rétablissement des certificats préalables et demandé l’application d’une clause de sauvegarde. La gravité de la crise, en particulier dans le Sud et dans les pays de Loire, commande des réponses structurelles. Le Premier ministre a réuni une quarantaine de parlementaires pour évoquer tous les aspects du problème et nous présenterons un plan pour l’ensemble de la filière arboricole avant la fin du mois. Élaboré avec le concours de nombreux parlementaires, il comprendra des mesures en faveur de l’exportation et de la mise sur le marché des produits, ainsi qu’une remise à plat du coefficient multiplicateur, lequel n’a effectivement pas donné, cet été, les résultats attendus. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

agressions antisémites à sarcelles

M. Jérôme Chartier - Monsieur le ministre d’État, je souhaite revenir sur les trois agressions qui ont eu lieu vendredi et samedi derniers et qui présentent deux points communs. Le premier, c’est qu’elles se sont produites à l’encontre de trois personnes, qui, au moment des faits, portaient une kippa ; le second, c’est qu’elles se sont produites à Sarcelles, haut lieu de la communauté israélite, laquelle vit – faut-il le préciser ? – en parfaite intelligence avec tout le monde depuis fort longtemps. Bien entendu, ces agressions ont suscité un vif émoi dans la communauté israélite de Sarcelles et vous en avez pris la mesure puisque, dès dimanche, vous avez bien voulu recevoir les familles des trois victimes et les responsables politiques locaux, auxquels vous avez délivré trois messages…

Plusieurs députés socialistes – La question !

M. Jérôme Chartier - Le premier message, c’est la compassion du Gouvernement envers les victimes…

M. Jean-Marc Ayrault - Ce n’est pas de la compassion que les Français attendent, mais des actes politiques !

M. Jérôme Chartier - Le deuxième, c’est votre détermination à faire en sorte que toute agression raciste ou antisémite soit considérée comme une tache sur le drapeau tricolore, et je vous en remercie. Le troisième message,…

Plusieurs députés socialistes – Ne faites pas aussi la réponse !

M. Jérôme Chartier - …c’est l’annonce de l’arrestation des quatre agresseurs présumés de M. Tomer Lavi, tous mineurs puisqu’âgés de 15 à 17 ans.

Monsieur le ministre d’État, pouvez-vous nous donner des informations sur l’enquête en cours (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) et nous faire part des mesures que vous comptez prendre en vue de réduire le nombre des agressions à caractère raciste et antisémite ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire - Les trois agressions de vendredi et samedi sont parfaitement inadmissibles…

M. Jean-Marc Ayrault - Bien entendu ! Qui dit le contraire ?

M. le Ministre d’État – Et je ne considère pas que le fait donner un coup de poing à un jeune homme parce qu’il porte une kippa peut être apparenté à une simple bousculade : c’est un acte raciste et antisémite, qui doit être puni avec une grande sévérité. Dès dimanche, j’ai réuni les familles des victimes et les représentants de la communauté, et je veux remercier le maire de Sarcelles, ainsi que les députés Chartier et Strauss-Kahn, d’avoir bien voulu participer à une réunion de crise, en comprenant que la gravité des événements commandait de dépasser les oppositions entre majorité et opposition pour se mobiliser ensemble contre la résurgence de faits inadmissibles. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) À Sarcelles, nous avons prévu de renforcer les effectifs et de développer la vidéosurveillance et je sais gré aux élus de toutes tendances d’avoir bien voulu considérer qu’il n’y avait pas lieu de faire de l’usage de la vidéosurveillance un problème idéologique, compte tenu de la contribution de cette technique à l’identification des auteurs d’agressions. Merci d’avoir compris qu’il fallait avant tout faire preuve de pragmatisme, de sorte que dans une ville comme Sarcelles, on puisse aller à la synagogue et en revenir sans être inquiété, ce qui est le moins que l’on puisse attendre d’une République digne de ce nom !

Deux remarques pour conclure. La première, c’est que je trouve inadmissible que l’on ait pu donner la parole à un barbare et à un assassin présumé sur une grande chaîne de télévision… (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Peut-on imaginer que le fait de donner la parole à une personne accusée de crime et d’actes de barbarie soit sans conséquence sur les esprits les plus faibles, certains pouvant y voir une forme de valorisation ? (Mêmes mouvements) Nos chaînes de télévision ont mieux à faire que de donner la parole à un assassin présumé. Nombreux sont du reste les Français qui ont été choqués, et mes propos ne remettent pas en cause la liberté de la presse.

Deuxième remarque : sur les trois agressions, nous n’avons malheureusement retrouvé les auteurs présumés que de l’agression la plus sauvage – même si toutes le sont –, perpétrée contre un jeune homme de vingt-huit ans dont le seul tort était de porter une kippa ! Roué de coups par quatre mineurs, nul ne sait ce qu’il serait advenu de lui si une patrouille de police n’était pas venue à passer. Or ces quatre mineurs ont été placés sous contrôle judiciaire, ce qui veut dire qu’ils sont aujourd’hui en liberté et qu’on se demande bien quand ils vont être convoqués pour rendre compte de leurs actes…

M. Daniel Vaillant - Où est le Garde des Sceaux ?

M. le Ministre d’État – Cela m’amène à redire ma conviction de la nécessité de réformer l’ordonnance de 1945,…

M. Julien Dray - Où en sont les centres fermés ?

M. le Ministre d’État - …de sorte que les mineurs aient à rendre compte de faits que la communauté nationale ne tolère pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Plutôt que de s’invectiver, faisons en sorte qu’aucun délit commis par un mineur ne reste sans réponse et que les plus graves soient punis avec toute la sévérité requise. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Arnaud Montebourg - Ces pressions sur la justice sont scandaleuses !

extradition de youssouf fofana

M. Roland Blum – Dans le cadre de l’enquête sur l’odieux assassinat d’Ilan Halimi, les policiers sont très rapidement parvenus à identifier Youssouf Fofana comme étant le chef du gang qui est présumé avoir enlevé, séquestré et torturé la victime. Puis, ils ont rapidement établi que Fofana s’était enfui en Côte d’Ivoire au lendemain de la découverte du corps.

Les autorités ivoiriennes, informées des soupçons pesant sur cette personne, ont procédé à son interpellation. De son côté, la France a immédiatement émis un mandat d’arrêt international. Dimanche dernier, Youssouf Fofana a été rapatrié en France et sa mise en examen lui a été notifiée.

Sachant que certains s’étaient montrés sceptiques lors de l’émission du mandat d’arrêt, pouvez-vous, Monsieur le ministre, nous informer sur la qualité du processus et sur celle de la coopération entre la France et la Côte d’Ivoire dans cette affaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères - La coopération a été parfaite et s’est opérée dans le plein respect des droits respectifs des deux pays. L’interpellation de Youssouf Fofana a eu lieu le 22 février, son extradition a été décidée le 3 mars par les plus hautes autorités ivoiriennes, avec lesquelles s’était entretenu le Premier ministre, Dominique de Villepin. (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste) Youssouf Fofana a été remis aux officiers de police français le 4 mars.

Je me réjouis de cette action commune, rapide, concrète et menée dans le respect des accords judiciaires entre nos deux pays.

L’extradition étant réalisée, il appartient maintenant à la justice française de reprendre son cours. Nous le devons à la mémoire d’Ilan Halimi, à sa famille et à ses proches. Permettez-moi d’avoir une pensée particulière pour sa famille, aujourd’hui plus que jamais. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

cpe

M. Gaëtan Gorce - Il n’est pire sourd, Monsieur le Premier ministre, que celui qui ne veut entendre ! Entendre le pays qui manifeste et qui condamne votre politique, entendre l’opposition qui veut défendre des propositions alternatives ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Il est vrai que certains préparent la France d’après, dont nous avons bien compris qu’elle ressemblerait à la France d’avant (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), celle d’avant les droits sociaux, celle de la rupture avec notre modèle social !

Vous, vous êtes responsable de la France d’aujourd’hui, une France qui va mal parce qu’elle est mal gouvernée, que la pauvreté y augmente et que vous voulez lui imposer des remèdes inadaptés et décidés sans concertation, comme le CPE. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Nous, nous travaillons pour la France de demain, une France qui redonnera priorité à l’école et à la formation professionnelle, qui agira pour les jeunes sans qualification…

M. Richard Mallié - La question !

M. Gaëtan Gorce - …en associant accompagnement, formation, rémunération et protection sociale, une France qui relancera l’alternance, aujourd’hui très en retard.

Le choix n’est pas entre l’immobilisme et le changement, mais entre la rupture que vous voulez conduire avec votre ministre d’État et un changement qui consisterait à allier progrès économique et social. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Ce sera le sens de la proposition de loi que nous présenterons le 6 mai. (Protestations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe UMP) Serez-vous à nos côtés dans cet hémicycle, Monsieur le Premier ministre, pour reprendre, sur la base de nos propositions le débat que vous avez interrompu avec le 49-3 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité - Il y a malheureusement un point commun entre la France d’aujourd’hui et celle d’hier, celle que vous nous avez laissée : le chômage des jeunes ! Il est de 20 % et même de 40 %, dans les quartiers, pour les filles ! Les jeunes diplômés de ces quartiers attendent huit à neuf mois pour trouver un premier emploi ! C’est cela, la précarité ! C’est à elle que nous voulons nous attaquer. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

On ne peut pas continuer avec les vieilles recettes qui n’ont pas marché, stages parkings, petits boulots ou emplois publics précaires ! Avec le CPE, nous proposons donc un vrai contrat à durée indéterminée, qui donne accès à cette fameuse première expérience professionnelle, celle que tous les jeunes recherchent ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Combien de générations allons-nous sacrifier sans tenter autre chose ?

Le CPE est aussi un contrat qui donne accès au logement. C’est un contrat qui permet l’entrée dans la vie active. Entre un contrat à durée indéterminée comme le CPE et le chômage à durée indéterminée, nous n’hésitons pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

enlèvements d’enfants et procédure d’alerte

M. Dino Cinieri - Le nombre des enlèvements et séquestrations d’enfants demeure très inquiétant – 97 en 2005, 103 en 2004. Depuis la semaine dernière, les Français ont appris que la Chancellerie avait mis en place une procédure d’alerte pour ces affaires. Lors de l’enlèvement de la petite Aurélia Boisseau, dans le Maine-et-Loire en novembre dernier, nous avions pu constater l’efficacité d’une mobilisation rapide et forte de tous, notamment des médias.

Plusieurs pays, dont les États-Unis et le Québec, ont déjà mis en place ce type de procédure, avec des résultats probants. Il est en effet établi que les premières heures sont décisives pour la survie de l’enfant. Pouvez-vous, Monsieur le Garde des Sceaux, nous expliquer en quoi ce dispositif est innovant et comment il fonctionnera en France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice - Depuis 2002, le Gouvernement mène une politique active en faveur des victimes. C’est dans cet esprit qu’a été mis en place, ces jours derniers, un dispositif qui oblige tout un chacun, en cas d’enlèvement d’enfant, à signaler tout élément de nature à intéresser la police et la gendarmerie et à leur permettre de retrouver cet enfant dans les premières heures.

C’est en effet dans les premières heures qu’il faut agir, car l’on sait que les enfants enlevés sont en général assassinés dans les vingt-quatre premières heures. La procédure d’alerte-enlèvement s’inspire de ce qui se pratique au Québec, avec, comme vous l’avez dit, des résultats. Elle consiste à mettre un numéro vert à la disposition des citoyens. La Chancellerie a d’autre part signé des conventions avec les principaux médias ainsi qu’avec la SNCF et la RATP, de façon que tout le monde puisse être en alerte. C’est le Procureur de la République qui décide de mettre en œuvre la procédure d’alerte, en se fondant sur les critères suivants.

D’abord, il doit s’agir d’un enlèvement, et non d’une disparition ; l’enfant doit être mineur ; la victime doit risquer sa vie ; le procureur doit avoir des éléments de localisation de la victime ou du ravisseur ; enfin, l’accord des parents est nécessaire.

Sur cent enlèvements, seuls quatre à six cas réuniront l’ensemble de ces critères. L’opinion publique, par ailleurs, ne doit pas être lassée par la répétition de trop nombreuses affaires. Un tel système permettra de sauver la vie de quelques mineurs et d’empêcher des crimes atroces (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

droit d’auteur

M. Dominique Richard - Depuis toujours, la France, pays de Mirabeau, s’affirme comme le pays qui favorise la création culturelle : la convention de l’Unesco sur la diversité culturelle adoptée à son initiative, son système unique de chronologie des médias, facteur d’une riche création cinématographique, en témoignent.

Nous allons reprendre dans quelques instants l’examen du projet de loi sur le droit d’auteur. Depuis deux mois, Monsieur le ministre, vous avez beaucoup consulté, écouté les uns et les autres pour aboutir à un texte équilibré, gagnant-gagnant pour les créateurs comme pour les internautes.

M. Christian Paul - Escamotage !

M. Dominique Richard – Vous affirmez le droit de tout créateur, notamment parmi les plus jeunes, de voir son travail rémunéré, tout comme celui des artistes-interprètes et des techniciens. Vous garantissez à tout un chacun de bénéficier de copies privées, vous instituez l’interopérabilité, qui permet à l’œuvre de ne pas être l’otage de la technologie et autorise les logiciels libres.

Les députés UMP sont regroupés autour de votre proposition, alors que la cacophonie s’amplifie à gauche.

M. Christian Paul - C’est ce que l’on verra dans une heure !

M. Dominique Richard - Pouvez-vous nous dire en quoi ce projet réécrit est une formidable chance pour la mise en place d’une offre légale diverse, bon marché et respectueuse des droits de chacun ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication - La France est fière d’un capital exceptionnel dans le domaine de l’intelligence…

M. Jean-Marie Le Guen - Pas partout !

M. le Ministre - …de la musique, du cinéma. C’est un magnifique défi de faire en sorte que le travail des créateurs puisse être le plus largement diffusé en France et dans le monde.

Nous aurions pu rester les bras croisés, au risque de voir la création étrangère nous dominer, au risque de pénaliser sans objet l’internaute de base. Au contraire, nous avons voulu réconcilier les deux parties, faire en sorte que le maximum de musique et de cinéma soit accessible sur internet, dans le respect du droit des créateurs. Ceux-ci peuvent souhaiter diffuser gratuitement leurs œuvres pour se faire connaître ; ils ont aussi le droit, et c’est légitime, de vivre de leur travail.

Le projet que vous présente le Gouvernement permettra des avancées considérables, notamment en matière de lecture, quel que soit le support, et de garantie de la copie privée. Il y a ceux qui n’ont pas eu le courage d’agir (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) ; il y a ceux qui veulent opérer une réconciliation. Ce débat a eu lieu dans toutes les familles, dans tous les cafés. Le gouvernement de Dominique de Villepin – auquel je suis fier d’appartenir – a agi : c’est l’action qui crée la confiance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

CPE

M. Dominique Strauss-Kahn - J’adresserais volontiers ma question à M. le Premier ministre, s’il voulait bien m’y répondre autrement qu’en lisant un texte préparé à l’avance. Sinon, je préfère encore m’adresser à M. Larcher ou à Mme Vautrin (Protestations sur les bancs du groupe UMP et claquements de pupitres).

Le CNE, grand frère du CPE, a livré ses secrets : en six mois, 350 000 contrats ont été signés, ce qui est un beau succès. Mais cela ne signifie pas qu’un seul emploi supplémentaire ait été créé.

M. Jean-Marc Roubaud - Prétentieux !

M. Dominique Strauss-Kahn - Il y a eu autant d’emplois nouveaux durant le semestre précédant la création du CNE que pendant le second semestre : 30 000 environ. L’affaire est claire, et tous, nous l’avions annoncé : le CNE ne crée pas d’emplois, il se substitue à l’existant. Il en sera de même avec le CPE (Applaudissements sur quelques bancs du groupe des députés communistes et républicains).

Pas d’emploi, plus de précarité et d’angoisse, moins de confiance : voilà le résultat de la politique menée par le Gouvernement. On ne crée pas de l’emploi avec un contrat, mais avec de la croissance et de la formation ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Ça n’est pas en détruisant le code du travail que vous y parviendrez ! Malheureusement, l’année 2005 est là pour le prouver.

Vous avez dit, Monsieur le Premier ministre, que la gauche n’avait pas de propositions. Elle en a, mais vous ne voulez pas les entendre ! Je vous propose donc un débat sur l’emploi, sur la chaîne de télévision ou de radio de votre choix, à la date que vous fixerez (Exclamations sur les bancs du groupe UMP puis claquements de pupitres). Si toutefois vous êtes capable de le soutenir, autrement qu’en lisant des notes. (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Monsieur le Premier ministre, il faut savoir reconnaître ses erreurs. L’opinion, les jeunes, les syndicats vous disent que vous vous êtes trompé, sur l’emploi, sur la constitutionnalité du texte, sur sa conformité à nos engagements internationaux – l’OIT interdisant les licenciements sans motifs.

Vous faites beaucoup de phrases sur le patriotisme économique, essayez de vous montrer capable de patriotisme social ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement - Avant de faire des propositions de bateleur…

M. Jean Glavany - Ça vous va bien !

M. le Ministre - …je vous recommande de discuter avec vos amis. Vous venez de dire qu’il ne fallait pas créer de contrat pour l’emploi.

M. Jean Le Garrec - Il n’a jamais dit cela !

M. le Ministre – J’observe que dans sa motion de censure, François Hollande a proposé un nouveau contrat emploi-formation pour les jeunes. Le parti socialiste est dans l’embarras, et je le comprends. Je vous propose d’en discuter avec les grands partis socio-démocrates et socialistes européens.

M. Jean Glavany – Vous étiez contre le CPE !

M. le Ministre - J’étais ce matin même à Berlin, où j’examinais avec le vice-chancelier les propositions de la coalition socialiste allemande : le contrat qu’ils soutiennent est le petit frère du CPE et comporte une véritable période d’essai ! Ils savent, eux, que seule une attitude pragmatique peut sauver leur modèle !

M. Julien Dray - Arrêtez de baratiner !

M. le Ministre - Alors avant de venir débattre avec nous, allez donc débattre avec vos amis ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

aides à la filière avicole

M. Jean-Marie Morisset - Le risque d’une pandémie de grippe aviaire a conduit de nombreux états, dont la France, à prendre d’indispensables précautions. Votre vigilance, Monsieur le ministre, est à l’origine des mesures de confinement et de vaccination qui permettront d’éviter l’entrée d’animaux contaminés sur notre territoire.

En faisant chuter la consommation et les exportations de volaille, cette crise a touché de plein fouet la filière avicole. Le 23 février, le Premier Ministre a annoncé une aide de 53 millions, qui s’ajoute aux onze millions dont la mise en paiement sous forme d’avances sur indemnisation doit commencer cette semaine. Face aux difficultés que connaissent les éleveurs, les abatteurs et les entreprises de transformation, et alors que certains polémiquent inutilement sur l’inaction du Gouvernement, pouvez-vous, Monsieur le ministre, préciser les modalités et les délais de versement de ces aides ? Comment accompagnerez-vous cette filière durablement touchée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche  Les mesures de confinement et de vaccination sont un aspect de la politique gouvernementale pour éviter que l’épizootie ne se propage à d’autres élevages que celui qui est seul touché – car les autres oiseaux contaminés sont sauvages.

La filière est en effet affectée par la chute des ventes – à ce titre, je remercie les élus de tous bords qui incitent nos concitoyens à consommer de la volaille. Il faut l’aider en conséquence : les aides de 20 millions annoncées par le Premier Ministre peuvent d’ores et déjà être versées aux aviculteurs, avant leur indemnisation au prorata de leurs pertes. Dans l’Ain – le département le plus touché – nous indemniserons en totalité les éleveurs de quelques trois cents communes après l’évacuation de leur production. Les mesures fiscales, sociales et financières qui concernent les autres professions sont prêtes. Le Premier Ministre recevra l’ensemble de la filière à la fin de la semaine : si ces mesures ne suffisent pas, il en annoncera d’autres. Nous ne laisserons pas tomber la filière de la volaille française ! Le civisme doit pousser nos concitoyens à consommer de la volaille pour contribuer à une sortie de crise rapide. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

politique en faveur des harkis et propos de georges frêche

Mme Arlette Franco - Soucieux du devoir de mémoire, le Gouvernement a, depuis 2002, mené une politique constante de reconnaissance à l’égard des harkis, comme en témoigne l’institution de la journée d’hommage du 25 septembre à l’initiative du Président de la République. Pour la première fois, la reconnaissance de la nation envers l’ensemble des rapatriés est inscrite dans la loi, qui reconnaît les souffrances et les sacrifices qu’ont endurés les harkis – notamment par la revalorisation de leur allocation de reconnaissance, également versée à leurs veuves de plus de soixante ans.

Seule une voix discordante a rompu cette belle unanimité : celle du président de la région Languedoc-Roussillon, dont sont complices les élus de sa majorité qui n’ont pas immédiatement dénoncé ses propos.

Plusieurs députés UMP - Quel scandale !

Mme Arlette Franco - Leur condamnation de ces propos a été tardive et peu convaincante. Peut-être, à l’approche d’échéances électorales, les responsables du parti concerné craignent-ils de réagir contre le dirigeant de l’une des plus grandes fédérations du pays et de s’aliéner ainsi les quelques 5 000 voix qu’elle représente ?

M. Julien Dray - Et le résultat de la cantonale de dimanche dernier ?

Mme Arlette Franco - Les harkis attendaient bien autre chose. Pouvez-vous, Monsieur le ministre, rappeler la reconnaissance de la nation à leur égard ? Vous illustrerez ainsi l’attachement des députés du groupe UMP au souvenir de l’action française outre-mer et leur respect de tous ceux qui y ont donné le meilleur d’eux-mêmes.

M. Hamlaoui Mékachéra, ministre délégué aux anciens combattants - Le Gouvernement comprend votre indignation et partage l’émotion des harkis et de leurs familles.

M. Julien Dray - Les électeurs aussi !

M. le Ministre délégué - Une information judiciaire est ouverte, et la justice tranchera.

Si les harkis méritent avant tout le respect de la nation, ils méritent également une reconnaissance matérielle, notamment lorsqu’ils sont confrontés à des difficultés. Après cinq années d’inaction, l’allocation de reconnaissance a été créée en 2002. Tous les harkis en bénéficient – alors qu’auparavant, seule la moitié d’entre eux percevait la rente viagère. L’article 6 de la loi du 23 février 2005 – masqué par le débat sur l’article 4 – permet aux harkis de sortir de ce dispositif en percevant un capital de 30 000 euros.

Cette loi est la première à concerner tous les rapatriés, et à rendre hommage aux victimes civiles et aux disparus. Elle prolonge les mesures sur le logement et les bourses d’enseignement. En outre, le Gouvernement remettra bientôt au Parlement un rapport sur la situation des enfants de harkis. Depuis 2002, la nation exprime donc concrètement sa reconnaissance des harkis : c’est tout à l’honneur du Gouvernement de M. de Villepin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 20, sous la présidence de M. Leroy.
PRÉSIDENCE de M. Maurice LEROY
vice-président

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recherche (suite)

L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l’ensemble du projet de loi de programme pour la recherche.

M. François Goulard, ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche - Le débat a montré que nul ici ne conteste que la recherche soit une priorité pour notre pays. On sait son importance pour l’environnement, la santé, l’économie : dans la compétition mondiale, il est essentiel d’innover sans cesse. Plus largement, le niveau de la science est un indicateur du degré de civilisation dans une société. Autour de la science et de la recherche, nous pouvons donc nous retrouver.

J’ai également constaté, au-delà de divergences naturelles, des convergences très importantes, d’abord sur la nécessité d’un système d’évaluation homogène et universel de la recherche. La création d’un haut conseil réunissant des personnalités scientifiques pour éclairer les décisions des pouvoirs publics a également fait l’objet d’un large accord, comme l’existence de l’Agence de la recherche chargée de lancer des appels à projet, même si des divergences existent sur le niveau de financement de cette agence et celui des organismes, comme enfin les simplifications administratives que nous avons introduites.

Le débat a permis de clarifier les positions et de dissiper certains malentendus. C’est ainsi, qu’à votre demande, Gilles de Robien et moi-même avons été amenés à dire que la programmation s’entendait en euros constants pour les années 2008 à 2010.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales  Merci.

M. le Ministre délégué – De même, vous avez souhaité des engagements précis en ce qui concerne l’emploi des personnels scientifiques, et le Gouvernement a pris des engagements sur le niveau des allocations de recherche. Tout cela était utile.

Restaient quelques points de discussion. Après un débat de haute tenue sur le protocole de Londres et le droit de la propriété intellectuelle, j’ai été conduit à dire qu’on ne pouvait procéder en la matière par amendement parlementaire et qu’il fallait une initiative gouvernementale. Mais l’essentiel est que nous sommes d’accord sur les grandes priorités et sur le fait qu’il faut apporter un soutien puissant à la recherche. Ce projet y concourt largement, c’est ce qui compte pour le pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche - Depuis quelques années, nous avons parcouru bien du chemin. La concertation, qui s’est accélérée ces derniers mois, a porté ses fruits. Aux tensions a succédé l’observation, puis la concertation, dont le pacte pour la recherche est le fruit. Il fait le choix de la liberté, de la jeunesse et de l’Europe.

Grâce à vous, il a été largement amélioré. Vous avez donné au Conseil de la science et de la technologie une dimension européenne. Pour bâtir un système d’évaluation transparent et cohérent, vous avez permis que l’ensemble des acteurs y soient représentés. Pour rassembler les énergies, nous disposons désormais des PRES, les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, des RTRA, les réseaux thématiques de recherche avancée et, grâce à vous, des centres thématiques de réseau et de soins dans le domaine médical. Pour attirer et retenir les jeunes face aux grands pays étrangers, vous avez apporté des améliorations déterminantes sur les carrières, comme elles l’ont été pour rapprocher recherche publique et privée.

Ce pacte n’est pas un point d’arrivée, mais, créant un nouveau climat dans les relations entre les chercheurs et les pouvoirs publics, un point de départ pour la recherche française. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – Nous en venons aux explications de vote.

M. Jean-Yves Le Déaut – Après trois jours et trois nuits de débat, force est de constater que la recherche n’a rien d’une priorité pour votre gouvernement.

M. le Rapporteur – Allons donc !

M. Jean-Yves Le Déaut - Et vous n’êtes pas parvenu à réconcilier la France avec ses chercheurs et ses universitaires.

M. le Ministre – C’est pourtant chose faite !

M. Jean-Yves Le Déaut – Votre texte tronqué n'aborde pas la question des formations supérieures, alors que chacun constate la grande misère et la paupérisation de nos universités. Les chercheurs étaient également en droit d’attendre une véritable loi de programmation, qui permettrait d’atteindre l’objectif fixé par le Président de la République de consacrer 3 % du PIB à l'effort de recherche et du développement.

Il manquera malheureusement 10 milliards d'euros en 2010 pour y parvenir, et en moins de deux ans, des pans entiers du CNRS seront en cessation de paiement, de même que la plupart des laboratoires universitaires. Leurs crédits de base vont en effet stagner, voire baisser, les moyens nouveaux ne devant profiter qu’aux laboratoires qui se seront pliés aux thématiques à la mode. Il faudrait au contraire trouver un équilibre entre les moyens alloués par l’ANR et les crédits de base accordés aux laboratoires de recherche et aux universités.

Nous sommes également déçus que nos débats n’aient permis aucune véritable avancée. Si ce texte contient quelques bonnes idées – le Haut conseil de la science et de la technologie, ou encore les pôles de recherche et d'enseignement supérieur –, elles ont été ternies par le flou que vous avez entretenu. Les « réseaux thématiques de recherche » introduiront même davantage de complexité, et risquent de déstabiliser les équilibres universitaires locaux et de détourner une partie importante des financements propres.

Après une longue bataille, vous avez accepté la présentation de la loi de programmation en euros constants, mais cet arbitrage rendu par le Premier ministre reste une promesse verbale. Seule serait crédible la proposition faite par le parti socialiste d'augmenter de 10 % par an le budget de la recherche, jusqu'à atteindre 3 % du PIB.

Sans succès, nous avons tenté d'introduire dans la loi une véritable programmation sur cinq ans de l'emploi scientifique. Les 3 000 emplois supplémentaire que vous promettez en 2006 ne sont en effet que les emplois prévus par Lionel Jospin et que vous avez supprimés à votre arrivée au pouvoir en 2002 – bref un simple rattrapage. A l’inverse, nous avons proposé de créer 4 500 emplois par an pendant cinq ans afin de compenser les départs en retraite.

Vous introduisez d’ailleurs une confusion regrettable : une politique efficace d’innovation suppose un bon système de recherche, qui puisse s’appuyer sur la recherche fondamentale.

Nous avons été révoltés par vos atermoiements concernant les jeunes chercheurs et les doctorants. Malgré le manque d’attractivité des métiers de la recherche, la fuite des cerveaux et le manque de reconnaissance des doctorants dans le monde du travail, vous avez tergiversé au lieu de répondre à une question simple : combien d’allocations de recherche comptez-vous attribuer et quel en sera le montant ? Alors que l’unanimité s’était faite au sein des deux commissions pour fixer ces allocations à 1,5 fois le SMIC net, soit 1 500 euros, vous avez refusé de vous engager clairement sur ce point. Et pourtant la situation actuelle de nos doctorants, mais aussi de nos docteurs, est indigne d’un pays développé ! Que penser d’un gouvernement qui demande à Bruxelles une baisse de 2,5 milliards d’euros de TVA pour une catégorie, certes importante, mais refuse de consacrer 25 millions d’euros à la rémunération des doctorants, soit cent fois moins ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Une telle politique est suicidaire, car nous manquerons demain de cadres scientifiques dans ce pays.

Nous avons en outre été interloqués par votre vision du pilotage de la recherche : comment pouvez-vous affirmer que la communauté scientifique ne peut se prononcer que sur la recherche, qui est de son ressort, et non sur les choix de société ? Les grandes orientations scientifiques d'un pays doivent découler des avancées de la science, et non des aléas politiques !

Enfin, vous avez occulté la nécessaire coopération européenne en matière d'enseignement supérieur et de recherche. Il ne faudra pas s'étonner que l'Europe prenne du retard dans la maîtrise des technologies clés, comme l’informatique et les biotechnologies, si notre pays refuse la proposition britannique d'augmenter le budget européen et de consacrer 75 milliards d'euros au septième programme-cadre de recherche et de développement technologique.

Ce texte ne prend pas en compte les grands enjeux scientifiques du XXIe siècle, Messieurs les ministres. Il ne respecte pas les promesses faites par le Président de la République et par le Gouvernement. Il ne donne pas de souffle nouveau à notre système de recherche, et il oublie les universités.

Le groupe socialiste votera contre ce texte, qui n'a pas pris la mesure des défis du futur : notre puissance de demain passe par le pari de l’intelligence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Anne-Marie Comparini – Ce débat était très attendu du groupe UDF, tant la crise du système d’enseignement et de recherche est profonde. Notre pays lui consacre en effet une part trop faible de sa richesse et n’a pas su le rénover. D’où le désintérêt actuel pour les carrières scientifiques, la fuite des cerveaux, mais aussi l’affaiblissement de la compétitivité de nos PME, nos mauvais résultats en matière de création d’emplois et de commerce extérieur. Contrairement à d’autres pays européens, et plus récemment à la Chine et à l’Inde, qui ont investi des sommes colossales dans la recherche et ses applications, nous sommes incapables d’engendrer notre propre croissance.

Ce projet de loi comporte certes des orientations intéressantes, comme le renforcement des organes de pilotage. Hélas, leur rôle restera opaque et leur fonctionnement prévu par décret, malgré nos débats. Ces nouvelles structures risquant de fonctionner comme des cabinets obscurs dépourvus de toute indépendance, l’UDF a demandé en vain que le Parlement fixe leurs principes fondateurs.

La création des pôles ne manquait pas non plus d’intérêt, mais le Gouvernement a décidé d’accepter, contre l’avis du rapporteur, qu’ils puissent être fondés sans participation des universités. Pourquoi le projet de loi évite-t-il également de traiter de leur gouvernance ?

Intéressante encore était l’institution de l’ANR, qui doit être porteuse d’une culture de projets de nature à sortir d’un mode archaïque d’affectation des crédits et à soutenir les jeunes. Cependant, hormis les « projets blancs », rien ne garantit malheureusement le financement des organismes nationaux, précision que nous avons sans succès tenté d’obtenir, car la recherche française ne peut pas être selon nous la seule résultante des projets de l’ANR.

La proposition de porter les allocations de recherche à 1,5 SMIC par mois ne manquait pas non plus de pertinence, tout en étant très loin du compte. La politique des ressources humaines n’est pas assez vigoureuse pour donner aux jeunes chercheurs une visibilité suffisante et assurer leur mobilité vers le privé, où leur formation de haut niveau serait pourtant bien utile.

Par manque d’audace, chacune de vos orientations reste donc au milieu du gué et nous laisse sur un sentiment d’inachèvement. En matière de programmation par exemple, un engagement pluriannuel aurait montré notre volonté de conduire une politique de recherche forte et durable, tout en rassurant les laboratoires et en adressant un signal fort aux jeunes.

C’est que vous manquez d’ambition : l’université est absente de ce texte, ses transformations étant renvoyées à plus tard. Elle est pourtant le creuset de la formation à la recherche. Pourquoi séparer la réforme de l’université de celle de la recherche ? L’argument de la fin de mandat ne tient pas, car il est urgent d’agir sur les facteurs qui commandent notre avenir. La difficulté de la réforme ne justifie pas davantage votre inaction : si le chantier est immense, deux années de discussions confiantes auraient pu déboucher sur un projet qui nous aurait enfin permis de soutenir la comparaison européenne et internationale.

Le projet qui nous a été soumis, et qui n’a guère été modifié en séance, ne contient donc qu’une série d’aménagements du système actuel. Seront-ils suffisants face à la crise actuelle ? Le groupe UDF ne le pense pas, et ce n’est donc pas de gaieté de cœur que nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UDF)

M. Frédéric Dutoit – Ce projet de loi s'inscrit dans un contexte particulier et inédit, car il prétend mettre un terme à la bataille qui a opposé les acteurs de la recherche au Gouvernement.

Certes, la programmation budgétaire est prévue en euros constants, après une dure bataille sur ces bancs, mais c’était bien la moindre des choses ! Certes, l'allocation de recherche sera légèrement supérieure à un SMIC et demi, mais elle demeurera toujours très en deçà des attentes exprimées. Fort heureusement, l'accord de Londres sur les brevets n'a pas été ratifié à la sauvette, mais il faudra y revenir lors d’un prochain débat.

Monsieur le ministre, voter ce projet de loi signifierait accepter une plus grande précarité pour les jeunes chercheurs ; cautionner la concurrence généralisée entre les organismes de recherche, les universités, leurs équipes et leurs personnels ; soutenir le pilotage étatiste de la recherche par les « projets » financés par l'Agence nationale de la recherche et se faire le complice d'instances nommées pour la définition des objectifs de la recherche, pour l'évaluation des projets des équipes et pour les financements. Cela reviendrait également à fermer les yeux sur une concentration élitiste des crédits sur quelques pôles dits d'excellence et sur quelques créneaux à rentabilité immédiate.

J’ajoute, Monsieur le ministre, que le Haut conseil créé par ce projet sera complètement inféodé au Président de la République et au Gouvernement. Celui-ci, et c'est une première, donnera ses grandes orientations à l'Agence nationale de la recherche, qui n'a ni conseil scientifique, ni membres élus. Vous prétendez en effet que c'est à l'État de choisir les grands thèmes de recherche et de décliner les priorités, puisque la détermination de ces dernières ne doit pas être, selon vous, du ressort de la communauté scientifique. Tout cela est d'une gravité sans précédent. Si notre pays est aujourd'hui une grande puissance économique et scientifique, c'est parce qu'il a su se doter de structures de recherche de très haut niveau, indépendantes, réactives, responsables et démocratiques.

Votre nouvelle architecture antidémocratique et opportuniste oublie également combien la recherche scientifique est aléatoire. La plupart des grandes découvertes qui ont eu un impact significatif sur nos sociétés, comme la pénicilline ou la radioactivité, sont en effet le fruit d'une observation fortuite et imprévisible. Comment pouvez-vous donc mépriser à ce point l'impulsion donnée par les chercheurs eux-mêmes ? Une société qui n'a plus confiance en sa communauté scientifique est une société qui se fige, se replie sur elle-même et régresse.

Nos difficultés structurelles sont pourtant bien connues : la France se distingue par sa manie d'accumuler les normes et les réorganisations, plutôt que de travailler avec les outils dont elle dispose déjà. On constate également une difficulté chronique à organiser de façon pérenne et homogène le financement de la recherche et de l'innovation. Hélas, ce projet de loi s’expose aux mêmes critiques.

En mars 2000, pourtant, prenant conscience du retard européen dans le domaine de l’innovation et de la recherche, le Conseil européen de Lisbonne définissait un objectif stratégique sur dix ans – « faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale. » Oui, la richesse économique naît de plus en plus de la recherche et du développement technologique. Vous avez fait le choix d’une réforme dogmatique et inefficace qui méprise les propositions de la communauté scientifique. Nous ne partagerons pas cette responsabilité : nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Pierre Lasbordes – Ce texte très attendu par une communauté scientifique qui s’était fortement mobilisée au printemps 2004 doit permettre à notre pays d’être à la hauteur des enjeux d’un monde où la science est devenue l’un des principaux moteurs de la compétition économique. Après une première lecture au Sénat, près de quatre cents amendements ont été discutés en commission et en séance publique, donnant lieu à des débats nourris, parfois vifs, mais toujours courtois.

Permettez-moi de revenir sur les mesures les plus significatives de ce projet, que notre Assemblée a souhaité préciser. Il traduit d’abord la volonté d’instaurer une véritable culture de confiance. La mise en œuvre du contrôle financier a posteriori, applicable aux EPST, constitue un premier effort en ce sens. Le texte exonère également les EPST et les EPSCP de l’application du code des marchés publics pour leurs achats scientifiques, ce qui était une forte revendication des chercheurs.

Cette confiance ne saurait cependant s’établir sans un meilleur pilotage et des moyens nouveaux. Afin d’assurer la gouvernance de notre système de recherche, le projet de loi crée donc auprès du Président de la République le Haut conseil de la science et de la technologie, instance qui n’est pas sans rappeler celles instituées avec succès par le général de Gaulle. La liberté du Haut conseil a été renforcée en l’autorisant à s’autosaisir des sujets qui lui paraissent essentiels. Quant aux moyens financiers, ils augmenteront de près de 24 milliards d’euros d’ici à 2010, ce qui est sans précédent. Nous remercions le Gouvernement d’avoir accepté d’exprimer cette progression en euros constants. Nombreux sont ceux qui, à gauche, ont réclamé la mise en place d’un plan prévisionnel de gestion des emplois scientifiques, allant jusqu’à exhumer celui préparé en 2001 : il se situe pourtant bien en retrait de la dernière loi de finances, qui prévoit la création de 3 000 postes de chercheurs dans les organismes et les universités cette année ! Nous avons adopté un amendement de notre rapporteur Jean-Michel Dubernard, qui invite le Gouvernement à présenter chaque année un état prévisionnel et indicatif à cinq ans des recrutements de personnels statutaires et non statutaires. Le projet pérennise l’ANR, qui a su faire la preuve de son efficacité. Contrairement à ce qui a été dit, elle ne vide pas de leur substance les moyens destinés à la recherche fondamentale, puisque 30 % de ses crédits lui sont destinés. Une Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur est instaurée. Son conseil d’administration est ouvert à tous les acteurs de la recherche. Plus transparente dans ses procédures et ses résultats, cette agence permettra à l’État d’avoir une vision homogène de l’efficacité de la recherche. Afin d’encourager des coopérations plus étroites entre l’enseignement supérieur et la recherche, d’accroître leur reconnaissance nationale et internationale et de favoriser une approche multidisciplinaire de la recherche, le texte entérine la création des PRES, autre forte demande des chercheurs. Les réseaux thématiques de recherche avancée compléteront le dispositif autour d’un projet scientifique précis. Des mesures s’adressent également aux jeunes chercheurs : nous saluons d’autant plus l’engagement du Gouvernement de porter l’allocation de recherche à une fois et demie le SMIC au 1er janvier 2007 qu’il intervient après une revalorisation de 30 % de son montant depuis 2003 et son indexation sur la grille indiciaire de la fonction publique. Cette initiative témoigne de notre volonté de renforcer l’attractivité des carrières scientifiques. Le doctorat doit au demeurant être reconnu à sa juste valeur par les entreprises.

Il serait souhaitable que ce projet soit complété, à terme, par des mesures fortes en faveur des PME innovantes, comme l’a souhaité la commission des finances. Entre les partisans du statu quo et les réformateurs désargentés, il apporte néanmoins, comme le disait Jean-Marie Lehn, prix Nobel, une bouffée d’oxygène et un outil d’ouverture et de liberté à la communauté scientifique. Il y a deux ans, les chercheurs faisaient entendre leur voix : nous leur tendons aujourd’hui la main. Le groupe UMP votera donc résolument ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – Ne soyez pas surpris que je n’aie pas fait annoncer le scrutin. Un dysfonctionnement informatique (Murmures sur tous les bancs) nous contraint en effet à vérifier l’enregistrement des délégations de certains groupes. Le scrutin n’aura donc lieu que dans quelques instants. Je vais néanmoins le faire annoncer dans le Palais, avant de suspendre la séance.

La séance, suspendue à 16 heures 50, est reprise à 17 heures 10.

M. le Président – Nous allons procéder au scrutin sur l’ensemble du projet de loi de programme pour la recherche.

A la majorité de 320 voix contre 160, sur 486 votants et 480 suffrages exprimés, l’ensemble du projet de loi est adopté.
La séance, suspendue à 17 heures 12, est reprise à 17 heures 15, sous la présidence de M. Jean-Louis Debré.
PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

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droit d’auteur dans la société
de l’information (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information.

M. le Président – J’ai proposé à la Conférence des présidents, qui l’a acceptée, une organisation un peu différente de nos travaux : il s’agit de ne pas reprendre tout de suite la discussion des articles, mais d’avoir d’abord une sorte de discussion générale réduite, dans laquelle je donnerai la parole, pour dix minutes chacun, au ministre, au président de la commission des lois et à un représentant de chaque groupe. Cette organisation n’est pas totalement conforme à notre Règlement, mais dans la mesure où elle a été approuvée par la Conférence des présidents, je considère qu’elle l’est aussi par l’ensemble de l’Assemblée.

M. Frédéric Dutoit - Rappel au Règlement. Nous avons un vrai problème de procédure, puisque le texte de loi qui nous est aujourd’hui soumis n’est pas du tout le même que celui que nous avions commencé à examiner en décembre. Le Gouvernement a en effet décidé, de façon assez autoritaire, d’en ôter l’article premier, marquant par là son refus de poursuivre la discussion avec les artistes, les auteurs, les internautes et la jeunesse de ce pays.

Cette situation nous crée des difficultés, en tant que groupe parlementaire, car nous n’avons pas pu débattre sérieusement en commission des nouvelles propositions du Gouvernement. Je demande une suspension de séance pour voir avec mon groupe comment nous devons réagir à cette situation.

M. le Président – Comme vous êtes tout seul, cela devrait être rapide.

M. Frédéric Dutoit - Les autres sont à côté !

M. Jean-Marc Ayrault - Ce matin, en Conférence des présidents, j’ai déjà émis la plus vive protestation contre les méthodes du Gouvernement. Il y a déjà eu l’affaire du CPE, qui réunit contre lui, aujourd’hui même, des centaines de milliers de manifestants…

Plusieurs députés UMP - Hors sujet !

M. Jean-Marc Ayrault - Si, c’est le même sujet, car c’est le même gouvernement, la même majorité et la même façon de procéder ! Sur le CPE, le Gouvernement avait déclaré l’urgence et a eu recours au 49-3, ce qui fait que la discussion s’est arrêtée après l’article 3 ! Nous avions demandé qu’un vote solennel ait lieu la semaine prochaine, mais comme le Gouvernement est maître de l’ordre du jour, le vote aura lieu demain après-midi – à quelle heure ? On ne sait pas – et ce sera un scrutin public classique.

Quant au projet sur l’internet et le droit d’auteur, le Gouvernement avait pensé le faire passer en catimini, le 21 décembre, à la veille de l’interruption de nos travaux, mais l’initiative des députés socialistes l’a obligé à reculer. Cette initiative – à laquelle se sont joints des députés de la majorité – a d’autre part permis un vrai débat dans le pays. De nombreux articles et de nombreuses émissions ont été consacrés au sujet.

Mais voilà qu’aujourd’hui le Gouvernement veut à nouveau bafouer les droits du Parlement. Il a en effet décidé de retirer l’article premier du projet et a déposé des amendements, que nous étions censés examiner en commission aujourd’hui à 14 heures, soit seulement quelques instants avant le début de la séance publique.

Les droits du Parlement sont de plus en plus bafoués, Monsieur le Président. On ne s’en étonne pas quand on lit dans la presse que Matignon justifie la déclaration d’urgence et le recours au 49-3 par l’argument selon lequel on perdrait du temps avec le Parlement (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), alors qu’il y a urgence à agir ! Je tiens à exprimer solennellement l’indignation du groupe socialiste ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - La question du retrait de l'article premier a été évoquée ce matin en Conférence des présidents et l'est à nouveau cet après-midi. Je souhaiterais donc apporter quelques précisions. L'article 84 de notre Règlement dispose que « les projets de loi peuvent être retirés par le Gouvernement à tout moment jusqu'à leur adoption définitive par le Parlement ».

En vertu du principe selon lequel « qui peut le plus peut le moins », il est de jurisprudence constante que le Gouvernement, qui peut retirer l'ensemble d'un projet de loi, peut également en retirer une partie, c'est-à-dire un ou plusieurs articles.

Il existe de nombreux cas de ce type – le premier remontant à 1960 – et la procédure a d'ailleurs été validée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 26 juillet 1984. La circonstance que l'Assemblée ait commencé l'examen de l'article premier et ait déjà adopté des amendements ne fait pas obstacle à son retrait. Là encore, il existe des précédents à une telle situation.

Parallèlement, le Gouvernement a déposé un amendement portant article additionnel qui propose une solution alternative à ce que l'Assemblée avait adopté dans le cadre de l'article premier. Je tiens à souligner que cette solution ne réduit nullement les droits de l'Assemblée. L'amendement a été examiné tout à l'heure par la commission. Il peut faire l'objet de sous-amendements. Nous venons d’ailleurs d’en recevoir un certain nombre du groupe socialiste.

Plusieurs députés socialistes – Bien obligés !

M. le Président - Bien plus, en application de l'article 99, alinéa 10, le dépôt, hors délai, d'amendements concurrents est possible.

Au-delà de cette analyse strictement réglementaire, je voudrais faire observer que la procédure retenue est sans doute celle qui, pour faire référence à un principe auquel le Conseil constitutionnel reconnaît une valeur constitutionnelle, est la mieux à même d'assurer « la clarté et la sincérité du débat ». Qu’auriez-vous dit, qu’aurais-je dit, si, en décembre, le choix avait été fait d’une seconde délibération, à une heure avancée de la nuit, devant un hémicycle clairsemé ?

Juridiquement, réglementairement comme en termes de clarté du débat, je crois que la procédure qui a été suivie est conforme à notre Constitution et à l’esprit de nos institutions.

M. Jean-Pierre Brard – Mais politiquement, non !

M. Christian Paul - Le groupe socialiste ne méconnaît pas l’article 84 du Règlement. C’est au contraire sur lui qu’il se fonde pour inviter le Gouvernement non pas à un retrait partiel mais total du projet ! Au lieu de retirer un article premier amendé, qui a été adopté par l’Assemblée…

M. Bernard Accoyer - Non !

M. Christian Paul - …dans des circonstances assez exceptionnelles, puisque des voix diverses ont convergé pour ce faire, le Gouvernement serait bien inspiré de tout retirer et de mettre ainsi fin à cette contrefaçon de démocratie (Protestations sur les bancs du groupe UMP), qui n’a pas commencé en décembre. Ce texte a en effet été déposé fin 2003, puis a séjourné – certains disent « moisi » – dans les placards du Gouvernement pendant deux ans. Nous avons demandé dès le mois de novembre 2004 une mission d’information parlementaire, car nous pensions qu’en l’absence de concertation et d’élaboration collective, le Gouvernement courait au fiasco. Il n’a pas suivi notre recommandation et il y a bel et bien eu fiasco.

Nous avons entendu en commission le ministre pour la première fois sur ce texte il y a huit jours ! Quant aux amendements, nous les avons découverts en dernière minute !

M. le Président – L’article premier n’a pas été adopté, Monsieur Paul, mais seulement cinq amendements à cet article.

M. Jean-Pierre Brard - Tout un chacun est d’accord, sinon sur la politique du Gouvernement, du moins sur la qualité de la présidence. Vous avez pris dans le passé, Monsieur le Président, la sage initiative de créer des missions d’information sur des sujets difficiles, qui ont parfois permis de rapprocher les points de vue.

Ce sujet est délicat, chacun en conviendra. D’un côté, nous avons les droits d’auteurs, tout à fait légitimes et indispensables. De l’autre, une immense aspiration se fait jour parmi les jeunes, à communiquer librement et à s’échanger des informations, au sens le plus large du terme. Si vous aviez fait preuve de la sagesse à laquelle vous nous avez habitués…

M. le Président – Ne mélangeons pas tout ! Où est votre rappel au Règlement ?

M. Jean-Pierre Brard - Dans tout ce qui a trait au déroulement de notre séance, Monsieur le Président. Vous avez pris quelques initiatives, mais qu’y a-t-il de commun, Monsieur le Président, entre Costa-Gavras et Johnny Halliday – qui, soit dit en passant, n’a pas de légitimité à intervenir dans le débat national, puisqu’il souhaite s’expatrier, avec ses intérêts, en Belgique – ?

Vous pouvez avoir réglementairement raison, vous ne nous faites pas pour autant sortir de l’ornière. Personne ne peut contester que les droits du Parlement ont été bafoués. Nous savons bien que l’amendement du Gouvernement a vocation à remplacer, dans un tour de bonneteau, l’article premier. Mais nous avons besoin de temps pour consulter les personnes intéressées et trouver des solutions de compromis.

J’ai lu un article signé par Laurent Wauquiez, Dominique Richard et Françoise de Panafieu, dans lequel ils affirment que l’internet est une révolution culturelle d’une ampleur qui rappelle les premiers tâtonnements de l’imprimerie. J’imagine bien Mme de Panafieu discutant avec Gutenberg à la bougie ! Comprenez qu’il nous faille du temps pour trouver notre chemin !

M. le Président – Nous avons organisé ce débat, précisément pour éviter ce qui est en train de se passer. Cela montre au moins que la procédure que j’ai choisie, et qu’a acceptée la Conférence des Présidents, n’est pas sans intérêt. Nous avons tous constaté, en décembre, que l’affaire n’était pas mûre…

M. Christian Paul - Ça, c’est certain !

M. le Président - …et le débat a été suspendu. Le nouvel amendement du Gouvernement permet de reprendre le débat sur le fond, dans de meilleures conditions. Mais je constate que vous multipliez les incidents afin d’éviter de reprendre la discussion sur le fond.

Mme Martine Billard - Nous ne voulons pas éviter le débat, mais avouez qu’il devient très difficile de travailler sur ce texte. Depuis décembre, nous étions en droit d’espérer qu’un travail collectif serait mis en place, mais l’initiative que vous avez prise est la seule dans ce domaine, Monsieur le Président. Certes, la commission des affaires culturelles a auditionné le ministre de la culture le 1er mars, mais le président voulait aller vite et éviter que nous posions trop de questions : heureusement, certains députés ont protesté !

Nos travaux ont repris le 21 février ; ce fameux article premier réécrit – car c’est bien ce dont il s’agit – nous est parvenu hier soir. Nous devons constamment nous tenir prêts à examiner les amendements du Gouvernement : nous devons pour cela bouleverser notre agenda en circonscription, voire remettre d’autres travaux… On ne s’étonnera pas que nos concitoyens trouvent parfois l’hémicycle vide ! Il s’agit d’un texte à la fois politique, économique, culturel et technique : peu d’entre nous connaissent ce sujet sur le bout des doigts et nous devons demander conseil.

Un exemple pour conclure : on s’aperçoit qu’à l’article 9, que réécrivait en décembre un amendement du Gouvernement, est désormais proposé un amendement du rapporteur. Est-ce à dire qu’il remplace le précédent amendement gouvernemental et que nous en reviendrions à la version d’origine modifiée par l’amendement du rapporteur ? Cela devient très compliqué à suivre ! (Approbation sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

M. Bernard Accoyer - Je souhaite dire quelques mots seulement, afin de ne pas prolonger nos débats et aggraver cette perte de temps.

M. Christian Paul - Déjà trois ans de perdus !

M. Bernard Accoyer – Nos collègues pratiquent le déni de démocratie et une opposition frontale. Le texte sur l’égalité des chances a été discuté pendant une matinée entière sans que le moindre sous-amendement ait été adopté…

M. Henri Emmanuelli – Et vous avez demandé le quorum !

M. Bernard Accoyer – Il s’agit d’une situation exceptionnelle, qui intervenait après quarante-trois heures de débat, un vote démocratique, en l’absence des socialistes – peu nombreux dans l’hémicycle.

Mme Martine Billard - Ce n’est pas le sujet !

M. Bernard Accoyer – Pour y répondre, le Gouvernement a décidé d’employer la procédure constitutionnelle prévue pour de telles situations. Le Sénat a débattu pendant plus de quatre-vingt-dix heures, puis voté démocratiquement le texte. On entend l’opposition dire aujourd’hui que le travail parlementaire a été inexistant, alors que c’est elle qui le bloque, en diffusant de fausses informations et en surfant sur la peur (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Je viens d’apprendre qu’au moins une permanence de l’UMP aurait été saccagée…

M. Christian Paul - Par des internautes ? C’est de la provocation !

M. Bernard Accoyer – …je vous appelle donc à une certaine responsabilité. On sait quand commence ce genre de dérive, mais on ne sait pas où elle s’arrête.

Pour en revenir aux droits d’auteurs, le Gouvernement a conduit un travail de concertation formidable…

MM. Patrick Bloche et Christian Paul - C’est faux ! Avec qui ?

M. Bernard Accoyer - …qui a permis de résoudre tous les problèmes, portant sur les droits d’auteurs, la liberté des internautes, l’interopérabilité, les logiciels libres. Nous aurons l’occasion d’y revenir. Le fruit de cette concertation est la réécriture de l’article premier, qui répond précisément aux demandes de l’opposition.

M. Christian Paul - Mascarade !

M. Bernard Accoyer – Auriez-vous préféré que nous adoptions les 28 amendements qui restaient en discussion pour ensuite voter contre l’article ?

M. Christian Paul - Que l’on respecte le Parlement !

M. Bernard Accoyer – Auriez-vous préféré que le Gouvernement demande une deuxième délibération ? En réalité, votre opposition n’est que posture et le parti socialiste pratique le double langage.

M. Henri Emmanuelli – Vous ne vous renouvelez pas beaucoup !

M. Bernard Accoyer – Vous n’avez pas de position unanime. Je n’aperçois sur ces bancs, ni les anciens ministres de la culture, comme Jack Lang ou Catherine Tasca, ni les responsables socialistes, comme Anne Hidalgo, qui se sont tous prononcés contre la licence globale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Henri Emmanuelli – On ne vous dit pas qui est absent sur les vôtres !

M. Bernard Accoyer – Je ne vois ici que ceux qui sont pour. Voilà votre manière de faire de la politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Marc Ayrault – Je ne cherche pas à prolonger cette première partie de séance en multipliant les rappels au Règlement. Mais je voudrais simplement répondre à M. Accoyer qu’il s’agit d’un débat difficile, qui anime chaque groupe. Vous êtes mal placé pour nous donner des leçons !

Par ailleurs, Catherine Tasca ne peut pas être présente : elle est sénatrice. Quant à Anne Hidalgo, elle n’est pas membre de l'Assemblée nationale ; peut-être le deviendra-t-elle un jour ? (Sourires)

Patrick Bloche interviendra sur le fond au nom du groupe socialiste. Vous le constaterez alors, Monsieur Accoyer, nous avons des convictions, mais elles sont forgées par la concertation avec l’ensemble des personnes concernées ; nous avons rencontré toutes les parties prenantes au débat afin de trouver la meilleure réponse à cette question complexe.

Vous auriez dû nous écouter, car nous avons, dès novembre 2004, demandé une mission d’information afin d’étudier les conditions de transposition de la directive européenne sur les droits d’auteurs. Celle-ci date du mois d’août 2001 : qu’avez-vous fait en quatre ans ? Rien ! Vous avez seulement proposé un texte à la va-vite en décembre. Vous portez la responsabilité de cette confusion ! Nous devons rechercher les conditions d’un consensus. C’est bien pourquoi nous souhaitions cette mission d’information. Or, vous nous l’avez refusée. Nous en avons réitéré la demande après l’interruption du débat en décembre, et vous l’avez de nouveau refusée. Plutôt que d’avoir profité du temps qui s’est écoulé depuis pour créer les conditions d’un dialogue, vous agissez, une fois encore, au dernier moment.

Les droits du Parlement sont essentiels. Je ne comprends pas que les députés de la majorité ne cessent de se coucher devant le diktat de l’exécutif ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Plusieurs députés UMP - Démagogue !

M. Jean-Marc Ayrault - Malgré la propagande qu’il organise, la confiance fuit le Premier ministre.

Vous avez, Monsieur le Président, expliqué que le retrait d’un article en cours d’examen par l'Assemblée nationale est constitutionnel, et c’est votre droit de le dire, mais c’est au Conseil constitutionnel d’en juger. Nous déposerons un recours à cette fin, et je souhaiterais pour cela disposer des éléments de jurisprudence que vous avez mentionnés.

M. Laurent Wauquiez - Ils sont sur le site du Conseil constitutionnel !

M. Jean-Marc Ayrault - Ne confondons pas le retrait d’un article avant et pendant l’examen du projet par l’Assemblée. La liberté d’amender des parlementaires est un droit imprescriptible, et c’est notre devoir de la défendre ! C’est pourquoi je souhaite disposer de toutes les informations nécessaires pour étayer le recours que nous déposerons, tant sur le fond que sur la procédure.

Plusieurs députés UMP - Le débat !

M. Jean-Marc Ayrault - Nous agirons de même pour le CPE, parce qu’il faut que la démocratie vive dans notre pays !

M. le Président – Je tiens à votre disposition un grand nombre de cas de retrait d’articles pendant la discussion, et je vous renvoie à la décision du Conseil constitutionnel en date du 26 juillet 1984, qui est très claire. Il y a également eu des cas de retrait d’article alors que certains amendements avaient été adoptés ; or, en l’occurrence, contrairement à ce que disait M. Paul, l’article premier n’a pas été voté – seuls cinq amendements l’ont été.

M. Frédéric Dutoit - Le débat sur la procédure est certes secondaire face à l’enjeu du débat, mais il est tout de même essentiel au respect du Parlement.

Ne faites pas croire à nos concitoyens, Monsieur Accoyer, que ce texte fait l’objet d’un combat entre la droite et la gauche !

Plusieurs députés UMP - Mais si !

M. Frédéric Dutoit – Le débat parlementaire de décembre et le débat en cours chez les auteurs – bien au-delà des 1 200 pétitionnaires de la SACEM –, les interprètes, les jeunes et les internautes – dont, à ma connaissance, pas un ne demande la gratuité – le montrent bien.

Afin de mieux étudier l’amendement que le Gouvernement présente à brûle-pourpoint, je réitère ma demande de suspension.

M. le Président – J’ai bien entendu : je ne suis pas sourd !

M. Alain Joyandet - Je ne peux pas laisser dire que certains députés se couchent quand d’autres restent debout ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Et encore moins de la part d’un président de groupe qui doit téléphoner au premier secrétaire de son parti pour savoir comment conduire l’opposition !

M. Jean-Pierre Brard - Vous voyez les autres à votre image !

M. Alain Joyandet - L’opposition ne peut pas demander tout et son contraire. Lors du débat sur le CPE, elle a tout fait pour pousser le Gouvernement à faire ce qu’il a fait, pour mieux le lui reprocher ensuite. Aujourd’hui, nous revenons à un débat transversal où tous, pour ou contre la licence globale, nous sommes restés debout ! Certes, il faut régler certaines questions, mais c’est précisément pourquoi le Gouvernement prend la précaution de retirer un article et de donner le temps au débat sans passer en force (Rires sur les bancs du groupe socialiste). Je remercie le Président de l’Assemblée d’avoir organisé des rencontres avec le monde de la culture, qui ont achevé d’en convaincre certains.

M. Jean-Claude Viollet - Ce n’était pas le monde de la culture, mais les lobbies !

M. Alain Joyandet - Vous nous disiez, Monsieur Ayrault, que vous nous livreriez bataille sur le CPE. Nous aussi, nous avons livré bataille, et nous l’avons gagnée démocratiquement, car le CPE a été voté !

M. Jean-Pierre Brard - C’est faux ! Demandez donc aux 400 000 personnes qui manifestent en ce moment !

M. Alain Joyandet - De même, nous voterons pour le droit d’auteur individuel, dans le respect de nos convictions et sans faire de démagogie. Quoi qu’il en soit, Monsieur Ayrault, soyez bien sûr que si nous nous couchons un jour devant quelqu’un, ce ne sera pas devant vous ! a (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La séance, suspendue à 17 heures 55, est reprise à 18 heures.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication - Je tiens d’abord à affirmer que par principe et par conviction, j’ai le plus grand respect pour le Parlement et que je suis en permanence à la disposition des commissions, ou des uns et des autres, pour dialoguer. Je vous remercie, Monsieur le Président, de vos propos d’ouverture.

La présentation de ce projet a ouvert un véritable débat de société sur le droit d’auteur, l’accès aux œuvres et à la culture, leur prix, le financement de la création, la diversité culturelle et l’innovation à l’ère d’internet. Ce débat a eu un fort retentissement car, surtout pour les plus jeunes, l’enjeu est majeur. Plus d’un Français sur deux est désormais un internaute grâce en particulier à la politique résolue menée par ce Gouvernement pour résorber la fracture numérique ; la plupart le deviendront.

J’ai toujours écouté chacun, respecté toutes les opinions. Le débat, qui traverse toutes les familles politiques, a largement débordé l’hémicycle, et je m’en réjouis.

M. Didier Mathus - Grâce à qui ?

M. le Ministre - Maintenant, c’est ici qu’il se poursuit et doit se conclure.

J’ai écouté vos interrogations, vos doutes, tous légitimes. Je vous ai entendus. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) Qui peut dire que nous avons refusé de travailler en commun ? Depuis la suspension du débat en séance publique, nous avons poursuivi la concertation, approfondi la réflexion, travaillé avec le rapporteur et les commissions. J’ai été auditionné trois fois de suite. J’en suis heureux car c’était nécessaire.

M. Christian Paul - Session de rattrapage !

M. le Ministre – Les nombreux amendements traduisent ce travail collectif pour parvenir au juste équilibre souhaité par le Président de la République. Deux principes simples doivent nous guider pour y parvenir.

D’abord, le droit d’auteur est un droit fondamental et intangible. Pour le ministre de la culture et de la communication, c’est une mission magnifique que de favoriser l’alliance féconde entre la création et la technologie. Ce droit s’est adapté à l’invention du disque et de la vidéo. Adaptons-le à internet. Ensuite, l’accès à la culture et aux œuvres grâce à l’univers numérique est, à mes yeux, essentiel.

Tout l’objet de notre débat est de construire, sur la base de ces deux principes, un internet équitable. Les amendements du Gouvernement, et d’autres, notamment du rapporteur de la commission des lois, y concourent. L’internet équitable, c’est d’abord la liberté de création des auteurs, la liberté d’accès aux œuvres pour le public, la liberté pour les créateurs de choisir les conditions d’accès à leurs œuvres et même de rémunération – la gratuité, s’ils le désirent, comme le souhaitent certains d’entre vous.

C’est dans cet esprit que j’ai poursuivi la concertation, pour rapprocher les points de vue et faire valoir l’intérêt général. Tel est le sens des amendements du Gouvernement examinés en commission des lois il y a une dizaine de jours et, pour le dernier d’entre eux, aujourd’hui même. Tel est aussi le sens des accords pour l’utilisation des œuvres à des fins pédagogiques et de recherche, que j’avais annoncés en décembre et qui ont été conclus la semaine dernière entre le ministre de l’Éducation nationale et les différents secteurs concernés.

M. Christian Paul - Conclus ou signés ?

M. le Ministre - Quant à la licence globale, elle créerait un système inéquitable. Cette taxation des abonnements sur internet ne suffirait pas à financer la musique et le cinéma français. L’imposer par la loi, ce n’est pas ouvrir une autoroute vers un monde idéal, mais conduire la création française et la diversité culturelle dans une impasse. Le débat qui a eu lieu à la suite de son adoption l’a montré.

Les attentes sont diverses et chacun doit pouvoir trouver sur internet ce qui lui convient. Il s’agit aujourd’hui de développer les offres culturelles en ligne pour y répondre : par exemple l’écoute en ligne pour un concert en direct, la location en ligne d’un film qu’on pourra regarder chez soi pendant 24 heures, les offres de découverte gratuite d’un artiste. Le projet crée les conditions pour que se multiplient ces offres de qualité sécurisées et à des prix raisonnables sur tous les supports, tout en garantissant au consommateur le droit à la copie privée et en donnant aux créateurs la sécurité permettant de faire basculer leur catalogue vers ces nouvelles offres. Le dynamisme, le rayonnement de la création française, et 250 00 emplois, en dépendent. Cette diversité est un atout essentiel à la fois pour la France dans la mondialisation et pour l’épanouissement des talents. Le développement des offres légales en ligne la favorisera, apportera des recettes à la création et améliorera la qualité du son et de l’image.

Pourquoi l’emploi et la rémunération du travail auraient-ils une valeur différente parce qu’il s’agit d’art ? C’est pour moi l’enjeu central de ce texte. Il est au cœur des négociations interprofessionnelles en cours sur l’emploi et sur l’assurance chômage des artistes et des techniciens du cinéma, et demain a lieu un rendez-vous décisif. Il est aussi au cœur de la politique culturelle que je mène depuis deux ans.

L’internet équitable sera favorisé par les nouveaux engagements pris par les acteurs de la musique et du cinéma, sous l’égide du Gouvernement. Depuis la signature de la charte « Musique et internet » en juillet 2004, les initiatives foisonnent. La signature, au ministère, le 20 décembre dernier, d’un accord sur le cinéma, marque un tournant pour l’essor des offres de vidéo à la demande, comme on le verra bientôt avec le « printemps de la VOD »

M. Christian Paul - C’est Publicis qui l’organise ?

M. le Ministre - En transposant la directive européenne, ce projet offre une protection juridique aux mesures techniques de gestion des droits mises en place par leurs titulaires, en même temps qu’il encadre cette mise en place. Au-delà de la directive, il garantit l’interopérabilité pour que chacun puisse utiliser le support de son choix, et un logiciel libre ou propriétaire. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Il favorise ainsi la concurrence et l’innovation et préserve les intérêts de la recherche. C’est un texte de patriotisme pour les entreprises de logiciels libres et les industries culturelles (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Le droit à la copie privée n’est pas remis en cause. Les amendements de la commission des lois aux articles 8 et 9 le garantit explicitement. D’autres amendements améliorent l’exception prévue en faveur des personnes handicapées. Cette priorité nationale dépasse les clivages politiques. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

Au cours du débat, est apparu combien le téléchargement illicite est un phénomène dangereux, et nul ne conteste l’ampleur du préjudice causé. Il faut cependant bien distinguer entre l’internaute qui télécharge un morceau de musique pour son usage personnel, les personnes physiques ou morales qui incitent à ce téléchargement illicite et celles qui tirent profit d’œuvres mises en lignes illégalement. À ce propos, je rappelle que la surveillance des échanges illégaux concerne les œuvres et non les internautes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; rires sur les bancs du groupe socialiste) On ne concevrait pas qu’un internaute qui télécharge illégalement un morceau de musique pour son usage personnel risque la prison. Les amendements du Gouvernement aux articles 13, 14 et après l’article 14 adaptent donc les sanctions de façon graduée à la gravité des actes. Pour mieux sensibiliser les internautes à ces dangers, les fournisseurs d’accès doivent, par messages électroniques, prévenir leurs abonnés des dangers du piratage pour la création artistique. C’est l’objet d’un amendement du Gouvernement après l’article 14.

Ce texte donnera lieu à une évaluation régulière afin que nous puissions en mesurer toutes les conséquences. Un rapport au Parlement sera ainsi présenté dès la première année d’application de la loi, comme le propose l’un de vos amendements.

Je ne reviendrai pas maintenant sur le droit de suite, que j’avais déjà présenté en ouvrant la discussion générale : la discussion des articles placés avant l’article 28 en sera l’occasion.

Grâce à ce texte de liberté, d’équilibre et de responsabilité, nous pourrons construire un internet équitable, en adaptant aux évolutions technologiques le droit d’auteur, dont la conquête a permis l’émancipation essentielle de nos créateurs, sans remettre en cause notre objectif commun de défendre la création française.

Faisons donc ensemble de ce texte une garantie pour l’avenir du cinéma et de la musique française à l’ère numérique ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois – Comme l’a montré le débat engagé en décembre dernier, ce projet de loi dépasse de loin l’objectif de transposer la directive du 22 mai 2001. Il touche en effet à un phénomène de société : le développement d'internet, spécialement chez les jeunes ; à des intérêts économiques : la rémunération de la création culturelle ; et à des problèmes juridiques essentiels : le droit d'auteur et les droits voisins. Il concerne donc très directement la vie quotidienne de beaucoup de nos concitoyens.

N'oublions pas non plus, en ces temps de mobilisation générale dans la bataille pour l'emploi, que la culture offre un travail à plusieurs dizaines de milliers de personnes en France, réalité que nous devons garder présente à notre esprit au moment de légiférer.

C’est un équilibre que nous devons rechercher entre la protection de la création culturelle, à laquelle nous sommes tous attachés, et le développement d'internet notamment chez les jeunes, qui voient en ce nouveau média un formidable moyen d'accès à la culture et à l'information. Concilier ces deux impératifs est indispensable, car si la richesse et la diversité culturelles participent au rayonnement de notre pays, la généralisation de l'usage d'internet est également une réalité sociale incontestable et un atout pour l'avenir.

Les solutions initialement proposées pour parvenir à cet équilibre étaient manifestement trop binaires : une licence globale aurait imposé une redevance indifférenciée selon les œuvres téléchargées, au mépris des principes personnalistes qui ont toujours structuré le droit d'auteur ; quant à l'exclusion du droit à la copie privée sur internet, assortie de peines relevant du délit de contrefaçon, elle aurait pénalisé à l'excès et de manière anachronique toute une génération de Français habitués à rechercher gratuitement des informations et des données sur internet.

À la suite des interrogations soulevées en décembre, le Gouvernement a décidé avec sagesse de reporter la suite de notre débat, afin d’organiser la plus franche, la plus complète et la plus constructive des consultations. Celle-ci a effectivement eu lieu : vous avez accepté, Monsieur le ministre, d’être entendu à trois reprises, respectivement par nos commissions des lois, des affaires économiques et des affaires culturelles ; le Président de l’Assemblée a par ailleurs organisé plusieurs réunions de concertation qui ont été fort riches et instructives ; et enfin, l'interruption de nos travaux a permis d’élargir le débat démocratique à nos concitoyens, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.

Il faut donc se féliciter que du temps supplémentaire ait été laissé à la réflexion, et que le Parlement ait pu faire valoir certaines de ses idées, avant de les faire partager au Gouvernement. Je pense donc que nous sommes aujourd’hui parvenus à un texte en phase avec les aspirations des milieux culturels, mais aussi avec les exigences du public, que l'on ne saurait ignorer par pur juridisme.

Je reviendrai brièvement sur les améliorations notables auxquelles nous sommes parvenus. Tout d’abord, le maintien en l'état de l'article premier du projet de loi aurait gravement nui à la logique du texte, pour ne pas dire à sa raison d'être. La sagesse et le bon sens commandaient donc son retrait. Aussi le Gouvernement a-t-il présenté un amendement après l'article premier, qui reprend globalement sa rédaction initiale, enrichie toutefois par l’apport de plusieurs amendements de la commission. Cette rédaction retient également l'élargissement de l'accès aux sources numériques des œuvres imprimées au bénéfice des personnes handicapées, comme l’avait souhaité initialement notre rapporteur. Par ailleurs, le texte reprend, en la précisant, l'exception nouvelle prévue par la commission en matière d’œuvres exposées sur le domaine public.

En toute logique, la commission des lois a accepté cette nouvelle rédaction de l’article premier, estimant que son examen redonnera à notre débat la lisibilité qu'il n'aurait pas dû perdre.

La commission a également apporté des modifications substantielles au projet afin de garantir le bénéfice de l'exception pour copie privée. Deux amendements de notre rapporteur permettront de le réaffirmer et d'en confier la mise en œuvre au collège des médiateurs, autorité administrative indépendante, neutre et arbitrale, placée sous le contrôle de la Cour d'appel. Un autre amendement accepté par la commission vise à garantir l’interopérabilité des mesures techniques de protection avec les différents supports de lecture des œuvres. Voilà des dispositions de nature à rassurer les internautes qui craignent que la toile ne devienne un bastion où la copie privée ne serait plus admise.

La commission s'est enfin attachée à mieux équilibrer les sanctions prévues par le projet de loi, en distinguant clairement le cas des fournisseurs d'accès et des acteurs économiques de celui des internautes qui effectueraient des reproductions non autorisées à des fins personnelles ou non commerciales.

S'agissant des premiers, la commission a accepté un amendement de M. Thierry Mariani et du rapporteur, qui prévoit une réponse pénale de bon sens contre tous ceux qui mettent sciemment à la disposition du public un dispositif manifestement destiné à permettre un accès non autorisé à des œuvres ou des objets protégés, ou incitent à son usage. Les atteintes et les modifications essentielles aux mesures techniques de protection des œuvres numériques feront par ailleurs l'objet d'une gradation des peines plus appropriée que l'assimilation, initialement envisagée, au délit de contrefaçon.

S'agissant des internautes, toute copie non autorisée à des fins personnelles ou non commerciales relèvera d'un simple régime contraventionnel. Si l’on peut encore nourrir quelques interrogations sur les faits visés, des éclaircissements ne manqueront pas d’être apportés au cours du débat. En tout état de cause, une évaluation de cette mesure un an après son entrée en vigueur apparaît indispensable, et c’est pourquoi la commission a accepté un amendement en ce sens, présenté par notre collègue Laurent Wauquiez.

Pour conclure, je souhaiterais souligner la grande qualité du travail de la commission des lois et de son rapporteur. Dès le dépôt du projet de loi, plus de 90 personnalités ont ainsi été auditionnées. Depuis la présentation des conclusions de la commission, le 31 mai 2005…

M. Patrick Bloche - Il y a bien longtemps !

M. le Président de la commission - …un dialogue étroit a été maintenu avec les représentants des auteurs, des interprètes, des industries culturelles et des fournisseurs d'accès à internet, mais aussi avec des juristes spécialisés.

Grâce à votre souci du dialogue, Monsieur le ministre, grâce à votre prise en compte de l'enjeu de société sous-jacent et à la discussion établie entre le Gouvernement et le Parlement, grâce enfin à la concertation avec les publics intéressés, nous avons vécu un moment fructueux de démocratie, qui a permis d'aboutir à un texte d'équilibre, garantissant les droits des créateurs sans ignorer la réalité nouvelle issue de cette forme de révolution culturelle qu’est l'utilisation d'internet.

Ainsi amélioré, ce projet de loi garantira en effet la juste rémunération des auteurs et le respect de la liberté d'accès des jeunes internautes aux œuvres de l'esprit, tout en confortant le droit à la copie privée. Au nom de la commission des lois, je vous invite donc, mes chers collègues à voter les amendements et les sous-amendements que nous avons acceptés, ainsi que le texte dans son ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Patrick Bloche – Sans revenir sur le retrait brutal de l’article premier, je regrette au nom de mon groupe que le Gouvernement ne soit pas allé jusqu’au bout de sa démarche, en retirant purement et simplement la totalité d'un texte devenu incohérent.

M. Christian Paul - Voilà ce qu’il fallait faire !

M. Patrick Bloche - Vous avez donc décidé d'occulter le vote, intervenu en décembre, d'un amendement qui remettait radicalement en cause le dispositif de transposition de la directive que vous aviez choisi, et qui cassait une logique funeste : celle du tout-répressif sur internet, grosse d’effets désastreux sur l'accès du public aux œuvres, sur l'exercice des missions des bibliothèques à l'ère numérique et sur la diversité de la culture et du logiciel.

Inutile également de rappeler que ce texte a mobilisé et continue de mobiliser contre lui beaucoup de monde et tout particulièrement nos dix millions de concitoyens qui pratiquent le peer-to-peer, et qui, à ce titre, ont été considérés comme autant de délinquants potentiels hier, et de contrevenants potentiels aujourd'hui.

Par ailleurs, l'urgence sur ce texte s'est finalement retournée contre le Gouvernement, car elle a mis à nu toute l’improvisation et tout l'amateurisme dont il a fait preuve sur ce dossier. J’ajoute que nous sommes appelés à transposer un traité international dit « OMPI », vieux très exactement de dix ans…

M. Christian Paul - Un texte préhistorique !

M. Patrick Bloche - …comme si les technologies et les pratiques culturelles de nos concitoyens n’avaient pas changé au cours de cette décennie.

Félicitons-nous, en revanche, d'avoir suscité un débat public sur cette question qui intéresse toute la société. D'un point de vue démocratique, n'est-il pas satisfaisant en effet d'avoir libéré le droit d'auteur de l'emprise des spécialistes et des techniciens habituels de la propriété littéraire et artistique, qui savent si bien entretenir un climat aussi passionnel que confidentiel ? Rappelons également que de puissants lobbies sont à l'œuvre : ils ont activement contribué à rompre l'équilibre – certes fragile – que la directive ménageait entre une logique de contrôle des usages des œuvres et la préservation de la copie privée. Dès lors, rien d’étonnant à ce que la présidente du Medef, oubliant le sort que son organisation réserve aux intermittents, se soit déclarée soudainement « aux côtés des artistes » contre les députés !

Durant trois jours de débat, nous avons cherché la voie de l'intérêt général : celle qui devrait concilier la liberté et la responsabilité, l'accès de tous à la connaissance, au savoir et à la culture, et l'impérieuse nécessité de rémunérer les auteurs et les artistes. Rétablissons donc la vérité : aux antipodes d'une logique de gratuité que nous rejetons, et qui perdurera dans si ce projet de loi est voté, nous n'avons nullement voulu retarder l’adaptation du droit d'auteur aux évolutions technologiques. Et c'est en fidèles héritiers de Beaumarchais que nous avons fait voter – avec une certaine surprise, reconnaissons-le – un amendement inscrivant l'échange de fichiers musicaux dans le code de la propriété intellectuelle. Car c'est en contrepartie de l'identification à une exception pour copie privée d'un téléchargement sur internet pour un usage limité et non commercial que nous avons pu inscrire dans la loi le principe de la légitime rémunération des auteurs.

M. Christian Paul - Très bien !

M. Patrick Bloche – Cette sécurité juridique, qui respecte la directive et répond à une demande de nature jurisprudentielle – ayons à l'esprit le récent jugement du tribunal de grande instance de Paris – vaut tout autant pour les artistes que pour les internautes. Comment, en effet, interdire sans sanctionner ? Ne vaut-il pas mieux autoriser pour rémunérer ? (« Très bien ! » sur divers bancs) C'est à partir de cette problématique que nous avons pris comme modèle la licence globale, qui fonctionne déjà à la radio et à la télévision.

Est-elle adaptable à internet ? Pour répondre à cette question, le groupe socialiste a beaucoup écouté durant ces deux mois et demi. Le cinéma, nous l’avons dit, ne saurait être concerné, en raison de la chronologie des médias et de son financement spécifique. Par ailleurs, la licence globale ne peut avoir qu'un caractère obligatoire…

M. Jean Dionis du Séjour - Ah ! Voilà qui change !

M. Patrick Bloche - …si nous voulons satisfaire deux objectifs majeurs, le respect des libertés publiques et la protection de la vie privée des internautes. Nous avons enfin été sensibles aux interrogations des labels indépendants de la filière musicale sur le caractère équitable de la répartition du forfait perçu en supplément de l'abonnement auprès du fournisseur d'accès. C'est la raison pour laquelle nous défendrons avec conviction un amendement que nous avions déposé dès le mois de juin en commission, qui vise à taxer les fournisseurs d'accès à internet. Nous refusons de nous laisser enfermer dans le débat manichéen du pour ou contre la licence globale : le débat qui s'est ouvert a d’ailleurs permis d’envisager plusieurs possibilités de troisième voie qui préservent à la fois les droits des créateurs et la liberté fondamentale du public d'accéder à la culture. Les idées ont foisonné. On aurait donc pu espérer que le Gouvernement tire profit de l’interruption de l’examen du projet.

M. Michel Herbillon - C’est ce qu’il a fait !

M. Patrick Bloche - Las, il s’est d’abord soucié de reculer en bon ordre. Il a donc revu sa copie, sans pour autant changer de pied, d'où de nouvelles inquiétudes. Certes, nous quittons le champ de la contrefaçon – et c'est le bénéfice direct de la discussion parlementaire de décembre. Dans la mesure où le régime contraventionnel sera fixé par décret, il est cependant essentiel, comme l'a déjà souligné le président de la commission des lois, que l'infraction soit définie précisément. Sera-t-elle constituée pour chaque acte de téléchargement ou pour chaque morceau téléchargé ? Qui fera les constatations ? Qui contrôlera ? Qui établira le lien entre l'adresse IP et l'identité de l'internaute ?

M. Christian Paul - Personne ne le sait, pas même le ministre !

M. Patrick Bloche - Comment le Gouvernement entend-il garantir l'interopérabilité, puisqu'il n'a encore déposé aucun amendement à l'article 7 ? Le collège des médiateurs, déjà chargé de réguler les mesures de protection technique afin de garantir l'exercice de l'exception pour copie privée, se voit désormais confier par l’article 8 le soin de fixer les modalités de cet exercice, et notamment le nombre de copies autorisées. Pourra-t-il être à la fois régulateur et arbitre des litiges ? Les députés socialistes renouvellent donc leurs exigences, à défaut d'obtenir – ce qui serait pourtant le plus sage – le retrait pur et simple d'un texte devenu incohérent. Nous demandons d'abord un strict encadrement des mesures techniques de protection, afin de préserver l'exercice de la copie privée et des usages normaux d'une œuvre légalement acquise, de garantir l'interopérabilité, d'associer les auteurs et les artistes à la décision d'installer des mesures techniques de protection sur leurs œuvres, et d'éviter les effets collatéraux sur le développement du logiciel libre. Ensuite, l'abandon de la riposte graduée qui, même dans sa version « allégée », suppose la mise en place d'une véritable « police privée » de l'internet. En perdant sa capacité de dissuasion, ce dispositif banalise du reste la gratuité et étatise le droit d'auteur, puisque les amendes versées par les contrevenants ne rémunéreront pas les auteurs. Enfin, l'abandon des sanctions prévues à l’encontre des éditeurs de logiciels d'échange susceptibles de permettre la mise à disposition non autorisée d'œuvres protégées. Cette disposition briderait en effet l'innovation et la recherche dans un domaine, le peer to peer, qui constitue une puissante architecture pour la circulation des œuvres et des savoirs.

Nous réclamons également la préservation de la gestion collective, qui protège les droits des créateurs isolés face aux opérateurs économiques. Nous sommes donc vigilants sur les initiatives de la Commission européenne : l’ouverture à la concurrence de ce secteur fragiliserait la position des auteurs et des artistes et conduirait à un « moins-disant culturel ».

Parce qu'ils ont toujours été du côté des artistes et sont viscéralement attachés au droit d'auteur, parce qu'ils considèrent qu'il faut légiférer prudemment et seulement pour trois ans, les députés socialistes abordent cette discussion avec le souci de contribuer à l'émergence d'un nouveau modèle de rémunération qui, à partir de la reconnaissance du téléchargement dans le code de la propriété intellectuelle, assure un financement supplémentaire à une filière musicale en difficulté. N'est-il pas temps qu'internet, qui doit tant à la circulation et à l'échange des œuvres de l'esprit, contribue au financement de la culture ? Cela s'appelle tout simplement de la redistribution. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. François Bayrou - La manière dont ce débat est organisé ne fait pas honneur à notre démocratie.

M. Jean-Pierre Soisson - Pas de leçons !

M. François Bayrou - Sur ce texte, l’un des plus difficiles que notre assemblée ait eu à examiner, le Gouvernement a déclaré l’urgence. C'était déjà cocasse à l’automne, puisque ce texte traîne depuis des années : son rapporteur a été désigné il y a deux ans ! Il a été « casé » juste avant les vacances de Noël, sans doute dans l'espoir que le débat passerait inaperçu. Nous avons alors découvert la partie substantielle du texte, sous la forme d'un amendement du Gouvernement, qui n’avait donc été examiné ni par le Conseil d'État, ni par la commission compétente. Amendement surprise plus urgence : le Gouvernement imaginait que le Parlement lui ferait aveuglément confiance et qu'il pourrait éviter le débat dans le pays. Cette approche est stupide : il faut au contraire que les deux assemblées prennent le temps de l’échange pour que le pays tout entier s’investisse dans la réflexion. Pire, maintenir l’urgence aujourd’hui est une vraie dérision : le débat a été interrompu pendant deux mois et demi, et on nous refait le coup de l’amendement surprise déposé dans la nuit !

Où sont les droits du Parlement ? Où sont ses devoirs ? C'est en effet un devoir du Parlement que de faire la loi et de représenter le pays. Je demande donc au Gouvernement, solennellement, de lever l'urgence et de laisser la navette suivre son cours. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe socialiste)

Ce texte entend à bon droit consacrer le droit moral et les droits plus matériels des auteurs, des interprètes, des producteurs et des éditeurs sur les œuvres audio-visuelles. C'est d'ailleurs un débat aussi vieux que le siècle : les photocopies, enregistrements sur cassettes, puis magnétoscopes et supports numériques ont fait l’objet des mêmes débats. Le cheminement est d’ailleurs le même : indifférence d'abord, volonté de restriction, voire d'interdiction ensuite, et finalement, devant l'impossibilité d'empêcher, recherche d'un compromis, y compris de dédommagement. Nous sommes d'accord pour que soient réaffirmés les droits d'auteur et les droits voisins, mais nous n'acceptons pas les conséquences collatérales qui porteraient atteinte à des droits tout aussi essentiels.

Le premier de ces enjeux essentiels, c'est le logiciel libre. L'imposition de mesures techniques de protection, de DRM, exclusivement compatibles avec tel logiciel ou tel matériel constituerait une prise de contrôle subreptice de la chaîne informatique.

M. Bernard Carayon - C’est réglé !

M. François Bayrou - Nous en connaissons mille exemples. Ajoutons-en un : beaucoup des ordinateurs portables qui ont fait l'objet du programme « ordinateur à 1 € par jour » sont sous Linux. Si ces ordinateurs ne peuvent plus lire les programmes audiovisuels protégés, c'est un manquement au contrat moral passé avec ces jeunes.

MM. Bernard Carayon et Patrice Martin-Lalande – C’est réglé !

M. François Bayrou - Ayez l’amabilité de nous transmettre à temps les textes qui vous permettent de l’affirmer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Bernard Carayon - Il ne suffit pas de faire des discours, il faut travailler !

M. François Bayrou - Il s’agit d’un enjeu industriel, de recherche et de société. Les logiciels libres constituent un mode de développement coopératif, innovant et ouvert, dans un monde – par ailleurs légitime – de monopoles tournés vers le profit immédiat. Ils constituent de plus un facteur essentiel d'indépendance et d'équilibre industriel et politique pour l'humanité. Autrement, pourquoi les gouvernements successifs auraient-ils choisi de faire passer des pans entiers de notre défense nationale sous logiciels libres ?

L’égalité des logiciels libres et des logiciels propriétaires devant d'éventuelles mesures de protection est une donnée cruciale de leur développement et de la recherche appliquée à ces logiciels. C’est pourquoi nous soutiendrons des amendements explicites en ce sens, à la fois dans le domaine de la communication des données et de la facturation – qui doit être légère et raisonnable – de cette communication.

Le deuxième de ces enjeux, c'est la copie privée, essentielle à nos yeux. La copie privée, pour un usage personnel, familial ou amical, est un droit pour le consommateur et pour le citoyen cultivé. En matière numérique, ce droit se traduit d'abord par l'interopérabilité, soit la possibilité de faire passer l'œuvre que l'on a reçue à bon droit d'un support à un autre et le droit de la faire partager dans ce cercle privé. À nos yeux, ce droit doit être garanti par la loi. Et c'est à la loi seule de le faire. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UDF) Cette protection ne doit pas être déléguée à un cercle d'experts – ou réputés tels –, de « médiateurs » professionnels qui seraient investis du pouvoir de déterminer le droit de tout un chacun, et même de refuser ce droit. Car tel est bien ce qu’a indiqué implicitement le rapporteur en déclarant qu’il serait loisible aux médiateurs de décréter que dans l'exercice de ce droit à la copie, le droit pouvait être défini à zéro. C’est ouvrir la porte à tous les abus. Pour nous, il n'est nul besoin de médiateur pour garantir le plein exercice du droit des citoyens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur plusieurs bancs des groupes UMP et socialiste)

Nous nous sommes battus pendant les premières séances contre l'instauration de ce que nous avions appelé une « police privée sur internet ». Le Gouvernement semble avoir entendu cet avertissement et c’est tant mieux. Nous pensons cependant que le répressif, même exercé par l’État, ne suffit pas : il faut de l'éducatif. Il ne faut pas transformer a priori des millions de personnes en délinquants. Aussi, l'idée d'avertissements, délivrés par une autorité administrative, obéissant aux règles légales, nous paraît mieux adaptée que la contravention automatique, et sans doute plus dissuasive….

M. le Ministre – Nous le proposions dès le mois de décembre !

M. François Bayrou - J’ai bien dit que ces avertissements devaient être donnés par l’État, et non par l’organisme privé que vous aviez initialement investi de cette responsabilité. Et nous déposerons des amendements à ce sujet.

Il reste à parler du modèle économique auquel obéira la diffusion culturelle sur internet. Nous croyons à l'offre légale : elle va se développer, son prix va baisser, et même son prix doit baisser…

Mme Christine Boutin - Il baissera !

M. François Bayrou - Il est vital que ce soit le cas car il y a là, dans cette baisse des prix, dans cette accessibilité et dans la convivialité des sites, un gisement de ressources pour le monde de la création et de l’édition. Nous sommes très favorables au développement de l'offre légale et nous nous réjouissons, par exemple, du succès de l'offre de Free en matière de cinéma.

Dès l'instant où la facilité et le prix sont au rendez-vous, le succès est assuré ! Toutefois – et j’exprime là une opinion personnelle qui n’est pas encore celle de tout mon groupe – j’estime que cette copie privée, dont le droit doit être reconnu, mérite une compensation équitable. Je considère par conséquent qu'une indemnisation modérée de la copie privée constituerait une voie intéressante et juste, à condition que ne change pas la définition de la copie privée – usage personnel, cercle de proximité. Au reste, les voies de cette indemnisation ont été trouvées pour tous les autres modes de reproduction et il serait anormal qu’on les néglige dans le domaine du numérique, ne serait-ce qu’au regard de l’impératif de dégager des ressources au profit des créateurs.

M. Christian Paul - Très bien !

M. François Bayrou - Il faut d'ailleurs que l'Assemblée – et c'est une raison de plus de demander au Gouvernement de lever l'urgence – mesure le risque encouru par les acteurs de la création audiovisuelle, dans le cas où le droit à la copie privée serait par trop restreint. Sur les supports vierges, on applique actuellement une taxe de compensation de la copie, laquelle constitue une source de financement considérable pour les auteurs, les interprètes, les maisons d'édition et de production, ainsi que pour le spectacle vivant. Si le droit à la copie n'est plus assuré, qu'est-ce qui justifiera le prélèvement de cette taxe ? Ce serait une menace immédiate !

Au cours de ces derniers mois, le Gouvernement a pu mesurer l'extrême sensibilité du dossier. Il faut qu'il en tienne compte, notamment en levant l'urgence. Le groupe UDF fera en sorte que la transparence soit établie, que le logiciel libre soit défendu et garanti, que le droit à la copie privée soit consacré, que le financement de la culture soit assuré et les droits moraux des créateurs confortés. Cela doit se faire en comprenant qu’il y a dans internet non pas seulement un marché, non pas seulement un média, non pas seulement un moyen de transmission – et donc de soutien à la création culturelle – mais un modèle de société et de développement humain. C’est ce qui justifie sans doute la passion qu’a fait naître ce projet. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

Mme Christine Boutin - Très bien !

M. Frédéric Dutoit – Monsieur le ministre, lors de la première lecture de ce projet de loi, en décembre dernier, j’avais formulé plusieurs propositions. La première – et la plus essentielle – consistait à vous demander de surseoir à l'examen de ce texte, lequel, s’il avait été adopté en l'état, aurait emporté des conséquences graves pour la vie quotidienne de millions de nos concitoyens et les nombreux utilisateurs de données numériques. Sortez par le haut de ce débat : retirez ce texte de l’ordre du jour de nos travaux ou, au moins, levez l’urgence que vous avez déclarée ! Nous avions aussi demandé que soit organisé un large débat démocratique, pour prendre toute la mesure des enjeux très divers que soulève l'avènement de la société de l'information. Susceptible d’intéresser un très large public, ce débat aurait permis de mieux tenir compte du point de vue des partisans d'une refonte plus radicale de notre droit, eu égard à la révolution des usages culturels à laquelle nous assistons Vous n'avez pas jugé la démarche opportune, préférant demeurer « droit dans vos bottes ». Vous revenez donc devant nous en ayant opéré quelques aménagements marginaux qui ne règlent rien, tant pour ce qui concerne le droit à la copie privée que les logiciels libres ou la régulation des échanges sur internet, au sujet desquels vous continuez de défendre une logique répressive.

S’agissant de la copie privée, vous n'avez eu de cesse, Monsieur le ministre, de donner des assurances au grand public sur votre volonté de faire respecter ce droit. Mais vous n'offrez aucune garantie sérieuse, et pour cause ! Dois-je rappeler que votre objectif est de légaliser les DRM, et donc le principe selon lequel les éditeurs de contenus auraient toute latitude pour contrôler les usages privés des œuvres?

M. Henri Emmanuelli - C’est du sarkozysme !

M. Frédéric Dutoit - Ce contrôle donnera une nouvelle occasion aux éditeurs d’engranger des profits, mais il attente aux droits des usagers ayant acquis les œuvres en toute légalité. Vous prétendez défendre le droit à la copie privée, mais c'est faux : demain, si j'achète un DVD, je ne pourrai pas en faire de copie pour mon usage personnel, je ne pourrai pas davantage réaliser une compilation des titres répartis sur différents CD.

Ce que vous voulez légaliser, c'est la pratique – jusqu'alors interdite aux éditeurs et qui n'est rendue possible que par le progrès technologique – qui consiste à contrôler les usages privés des œuvres. Cela, nous le refusons par principe. Notre droit évolue dangereusement vers une moindre reconnaissance des droits d'usage des œuvres et des droits des consommateurs, au profit exclusif des éditeurs de contenu. Ce qui était possible hier avec le vinyle ou le CD, ne le sera plus demain. Au nom de quoi ? Au nom du risque que certains utilisateurs proposent ces contenus gratuitement sur internet, me direz-vous... Mais, puisque vous proposez de réprimer les échanges de fichiers sur internet, en quoi cette position est-elle cohérente ? Et si ce risque existe, est-ce une raison suffisante pour faire peser sur tous les utilisateurs le soupçon de la fraude ? C'est inacceptable. En droit, c'est la bonne foi qui se présume et vous ne pouvez imposer à tous les consommateurs de bonne foi des restrictions sur leurs droits d'usage au nom des risques de fraude.

Alors, nous vous demandons solennellement, Monsieur le ministre, de mettre vos actes en cohérence avec vos paroles et de nous proposer, dans le cours du débat, un article réaffirmant le droit à la copie, sans en soumettre les modalités à un collège de médiateurs. Il revient à la loi de définir le champ de cette exception car il s'agit de l'exercice de libertés publiques. Nous ne pouvons souscrire au principe de la compétence d'un quelconque collège.

S'agissant de la question des téléchargements sur internet, nous avons assisté, depuis décembre, à une campagne de désinformation éhontée, tendant à assimiler licence globale et gratuité.

M. Nicolas Dupont-Aignan – C’est vrai !

M. Frédéric Dutoit - Nous avons fait part de nos réserves à l'égard de la licence globale, mais n'oublions pas qu'elle est issue d’une proposition des artistes eux-mêmes et non des associations d'internautes que vous vous plaisez à montrer du doigt.

Cette précision étant apportée, nous estimons que le projet de licence globale souffre de plusieurs défauts : les difficultés techniques attachées à la répartition du produit de la taxe, mais aussi le fait qu’il ne prévoit aucune contribution des fournisseurs d’accès à internet. Pour ma part, je vous propose aujourd'hui d'examiner une troisième voie, la mise en place d'une plateforme publique de téléchargement, qui pourrait être à la fois financée par les FAI et par une taxe sur les énormes profit que génère le développement de l’e-commerce. Une contribution forfaitaire pourrait être également demandée aux internautes. Un tel système permettrait une rémunération juste et équitable des auteurs et artistes tout en participant à la démocratisation de la culture. Il ne s'agit pas d'une proposition « clef en main », mais d'une piste de réflexion prometteuse, ouverte par l'Union nationale des syndicats d'auteurs et musiciens.

Vous ne proposez, Monsieur le ministre, que de bâtir une ligne Maginot. Votre projet de loi est non seulement obsolète, et donc inefficace, mais aussi dangereux, car il légalise des pratiques prédatrices fortement préjudiciables au droit des consommateurs.

Retirez donc votre projet, Monsieur le ministre, et organisez une concertation qui permettre d’arriver à une loi conciliant les préoccupations légitimes du monde de la création et le droit, non moins essentiel, des utilisateurs et des consommateurs. Je soulignerai pour finir qu'une grande majorité de nos concitoyens sont hostiles à votre projet de loi. L'opération publicitaire que vous avez menée à grand fracas avec la création du site « Les telechargements.com » est là pour l'illustrer, puisqu’à peine 5 % des internautes ayant laissé des commentaires sur ce site se sont déclarés favorables à votre texte. Ne nous engagez donc pas à nouveau, Monsieur le ministre, dans l'examen de mesures hasardeuses. Il faut que la sagesse l’emporte enfin.

MM. Émile Zuccarelli et Marc Dolez - Très bien !

M. Bernard Accoyer - Nous reprenons ce soir un débat important, passionnant et passionné, qui est au cœur des préoccupations concrètes et quotidiennes de beaucoup de nos concitoyens, en particulier les plus jeunes, comme il est au cœur de celles des artistes, mais aussi des industriels, des concepteurs et éditeurs de logiciels.

M. Henri Emmanuelli - Et de Vivendi !

M. Bernard Accoyer - Deux idées ont guidé notre réflexion depuis deux mois. Oui, nos auteurs, artistes, interprètes doivent recevoir la juste rémunération de leur travail et de leur talent. Non, nos enfants et petits-enfants qui, occasionnellement, téléchargent une chanson sur internet ne sont pas des voyous, ni des délinquants qu’il conviendrait de traquer et de sanctionner.

Mme Christine Boutin – Très bien.

M. Bernard Accoyer - La France est confrontée à suffisamment de violence pour que nous ne trompions ni de cible, ni de combat.

Le débat de décembre a conduit à une solution qui peut apparaître séduisante mais qui, à la réflexion, mérite d’être amendée. Le principe de la licence globale, le forfait ouvrant droit à un nombre illimité de téléchargements ne nous paraît plus constituer une réponse adéquate et économiquement viable. C’est le point de vue de la quasi-totalité des députés UMP. C’est aussi celui de M. Hollande, des anciens ministres de la culture Jack Lang et Catherine Tasca, de Mme Hidalgo, responsable de la culture au parti socialiste.

M. Henri Emmanuelli - Occupez-vous de votre groupe !

M. Bernard Accoyer - Avec la licence globale, comment déterminer les droits des artistes ? Comment répartir le produit de la taxe ? Sur quelles bases ? Avec quel contrôle ?

La rédaction initiale de votre projet, Monsieur le ministre, était quelque peu brutale, sur la forme, vis-à-vis des internautes, mais pas sur le fond. Rappelons en effet qu’aujourd’hui, un téléchargement illégal est assimilé au délit de contrefaçon, et donc passible de trois ans de prison et de 300 000 euros d’amende. Votre projet de réponse graduée était beaucoup plus indulgent.

Mais puisqu’il y a eu incompréhension et inquiétude, il nous fallait remettre l’ouvrage sur le métier. Je tiens à souligner la qualité du travail que vous avez accompli, Monsieur le ministre, vous qui n’avez ménagé ni votre temps, ni votre peine pour écouter et convaincre. Un large débat a été conduit à la fois par les partis politiques, par la commission et par les parlementaires. Grâce à ce travail, nous allons aboutir à une solution d’équilibre et de liberté.

Puisqu’à l’évidence, télécharger ponctuellement, pour son usage personnel, un morceau de musique sur internet ne relève pas de la grande délinquance, nous devons nous situer dans une démarche éducative plutôt que répressive. A nous, parents et grands-parents, de faire comprendre à nos enfants et petits-enfants que, pour créer, l’artiste doit vivre ; et que télécharger massivement des œuvres protégées est illégitime et spoliateur. Équilibre, donc.

Et liberté. Rien n’empêchera des plateformes forfaitaires de voir le jour, avec l’accord des auteurs. Les jeunes artistes seront probablement intéressés par un système leur permettant de se faire connaître du grand public et de percevoir à ce titre une rémunération. Et les artistes confirmés seront sans doute heureux de mettre à disposition de ces plateformes leurs œuvres moins connues. L’auteur sera donc libre de choisir son mode de rémunération.

Face au développement technologique, il ne faut fermer aucune porte. A trop vouloir encadrer, nous risquerions de créer un appel d’air en faveur du détournement. L’offre technologique aura toujours un train d’avance sur toutes les barrières que nous pourrons ériger.

Il est donc sage de retirer l’article premier et de reprendre sereinement le cours de nos travaux.

Le temps de la concertation nous a permis d’avancer sur de nombreux points, qu’il s’agisse du logiciel libre, de l’interopérabilité ou de la copie privée. Merci encore, Monsieur le ministre, pour votre esprit d’ouverture et votre qualité d’écoute. Je vous assure du soutien du groupe UMP et de notre volonté de parvenir à un texte d’équilibre, de liberté et de respect des droits de chacun, afin que ce formidable vecteur qu’est l’internet soit mis au service de tous, artistes, auteurs et consommateurs, et participe ainsi au rayonnement culturel de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – Nous allons maintenant aborder les articles additionnels après l’article premier. Je constate que cet article premier, retiré par le Gouvernement conformément à l’article 84 de notre Règlement, n’a pas été repris par voie d’amendement, non plus que les amendements adoptés à l’article premier. Si l’article premier avait été repris, cette initiative aurait fait l’objet d’une discussion commune avec l’amendement 272 du Gouvernement, et l’Assemblée aurait eu l’occasion de se prononcer sur les dispositions retirées. Je ne peux que constater que ce n’est pas le cas.

M. Patrick Bloche - Je souhaite faire un rappel au Règlement sur l’organisation de nos débats, notamment en réaction à ce que vous venez de dire, Monsieur le Président, sur le retrait de l’article premier.

M. le Président – Je n’ai fait que constater.

M. Patrick Bloche - L’article premier – qui certes n’avait pas été voté, mais avait été amendé dans un sens qui lui avait donné une toute autre orientation – ayant été retiré, nous constatons que le Gouvernement n’a pas souhaité affronter, comme il l’avait annoncé, notre assemblée pour une seconde délibération. Le groupe socialiste considère donc que le vote, ici même le 21 décembre, d’un amendement faisant du téléchargement une exception pour copie privée et créant en contrepartie une rémunération, garde toute sa légitimité démocratique.

M. le Président – Je constate simplement que le Gouvernement a retiré l’article premier, lequel n’a pas été repris par un amendement.

M. Christian Paul - Le Conseil Constitutionnel sera saisi !

M. le Président – Je fais un simple constat.

M. Henri Emmanuelli – Oui, mais…

M. le Président – Il n’y a pas de « Oui, mais » !

M. Henri Emmanuelli - J’ai quand même le droit de dire « Oui, mais » ! (« Emmanuelli devient Giscardien ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Frédéric Dutoit – J’avoue que la procédure est compliquée puisque nous avons désormais à débattre d’amendements qui sont inscrits après l’article premier, lequel n’existe plus !

Mais je voulais aborder un autre sujet. Le 28 février, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu l’arrêt « Mulholland drive », cassant le jugement rendu par la cour d’appel de Paris dans une affaire opposant l’acheteur d’un DVD, soutenu par UFC-Que choisir, et la société Studio-Canal. Ce dernier arrêt estimait qu’un système anti-copie de DVD…

M. le Président – Vous devez faire un rappel au Règlement sur la procédure.

M. Frédéric Dutoit - Je voulais obtenir une réponse du ministre.

M. le Président – Vous reprendrez la parole tout à l’heure, lors de la discussion générale.

M. Henri Emmanuelli – Je souhaite faire un rappel au Règlement. Je constate que depuis un certain temps, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du Parlement, on utilise beaucoup la procédure, sur des problèmes hautement politiques. Je voudrais comprendre comment il peut exister un article additionnel après un article qui n’existe plus !

M. le Président – Vous avez été à cette place et savez que tant que le texte n’est pas définitivement voté, c’est l’ancienne numérotation qui prévaut. Il en est ainsi depuis le début de la Ve République.

M. Didier Mathus - Je voudrais évoquer l’organisation de nos débats en faisant un rappel au Règlement. Je souhaite que nous fassions mentir ce qu’écrit l’un des plus grands spécialistes du droit d’auteur, Emmanuel Pierrat, dans son excellent ouvrage paru la semaine dernière, La Guerre des copyrights. Il est dit, page 148, que la guerre des copyrights a lieu dans une enceinte démocratique, le Parlement, alors qu’en coulisses, les lobbies ont déjà truqué le résultat du match.

Nous avons tous intérêt à avoir un débat qui soit irréprochable dans la forme. Nous sommes saisis d’un amendement 272 du Gouvernement, annoncé hier soir et déposé aujourd’hui, avec toute une série de sous-amendements. Il ne me paraît pas logique de débattre à 19 heures 25 de ce texte qui réécrit l’article premier – même s’il vient bizarrement après un article premier qui n’existe plus – et de sous-amendements tout à fait centraux.

M. le Président – J’ai souhaité préciser les choses avant d’aborder la discussion générale sur l’amendement 272. N’en déplaise à M. Emmanuelli, je suis forcé de reprendre cette numérotation.

Mme Muriel Marland-Militello - Je voudrais simplement dire, avant de présenter le sous-amendement 302, que la nouvelle rédaction de cet article est le fruit d’une concertation. Ça n’est pas parce que l’on finit par s’entendre que les uns se couchent et que les autres l’emportent. Cela signifie simplement que des personnes de bonne volonté veulent faire avancer ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Nous poursuivions le même but, mais n’étions pas d’accord sur la manière de l’atteindre. Le but, c’est l’équilibre entre le droit des auteurs et la liberté des internautes.

M. Didier Migaud - Ça n’est pas un rappel au Règlement !

M. le Président – C’est la discussion générale sur les articles additionnels !

Mme Muriel Marland-Militello - Lorsque nous présenterons nos sous-amendements, nous verrons que le droit des artistes est sauvegardé, et que l’interopérabilité garantit la liberté des internautes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean Dionis du Séjour – Le groupe UDF prend acte du retrait de l’article premier, qui ne nous a pas surpris puisque les deux amendements adoptés dans la nuit du 21 décembre faisaient s’effondrer la cohérence du texte. Le Gouvernement n’avait pas d’autre choix. Pour ce qui est de la procédure, nous faisons confiance à l’administration de l'Assemblée nationale.

M. Christian Paul - Monsieur le Président, je n’exclus pas que vous soyez vous-même victime de l’accélération de la procédure. L’amendement 272, qui est, de l’aveu même du Gouvernement, la clé de voûte du projet, introduit pas moins de six exceptions au droit d’auteur. Nous avons dû, dans un temps record, depuis la réunion à 14 heures de la commission des lois où nous l’avons découvert, l’expertiser et y apporter un certain nombre de sous-amendements.

Vous avez considéré tout à l’heure que le groupe socialiste avait émis un point de vue différent de celui du mois de décembre : je vous invite à lire avec une grande attention les sous-amendements que nous avons déposés en urgence et vous constaterez qu’au contraire, il y a une grande constance dans la position du groupe socialiste, sur la nécessité de trouver à la fois un équilibre entre les droits et une nouvelle rémunération pour les artistes.

Ce texte a créé de nombreuses fractures entre les artistes et les internautes, les auteurs et les interprètes, les professionnels de la musique et les défenseurs du logiciel libre. C’est un texte qui divise, et c’est la raison pour laquelle nous souhaitons l’examiner sereinement.

M. le Président – Je n’ai fait aucune remarque de fond, mais une simple remarque de procédure. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit !

Mme Christine Boutin - La vie d’un parlementaire n’est pas un long fleuve tranquille. Pourtant, certains débats de fond, comme celui du 21 décembre dernier, valent les quelques désagréments qu’ils provoquent.

Alors que nos enfants et petits-enfants manient internet avec dextérité, la société de l’information qui se profile reste étrangère à beaucoup d’entre nous. On parle même de fracture des générations.

Les députés qui ont voté la licence globale en décembre ont, au fond, levé un lièvre que beaucoup voulaient dissimuler. En effet, il ne s’agit pas seulement de la rémunération des auteurs et interprètes dont les œuvres étaient jusqu’à présent téléchargées en toute illégalité – à preuve, les lourdes amendes et les peines de prison prononcées contre les auteurs de ces méfaits. Là où le législateur ne croyait qu’adapter le code de la propriété intellectuelle aux nouvelles technologies, il ébranlait à son insu des intérêts économiques colossaux et plaçait au cœur du débat les principes fondamentaux de notre République : liberté individuelle, respect de la vie privée, intelligence économique voire souveraineté de l’État. Seule la violence des passions et des pressions déchaînée par l’adoption surprise de la licence globale a permis de lever ce voile.

Mais laissons là ces enjeux, dont l’ampleur justifierait à elle seule la création d’une mission d’information parlementaire, et tenons-nous en aux droits d’auteur. Stupeur dans l’Assemblée ! Voici que des artistes reconnus et protégés par leur « major » utilisent soudain leur influence pour défendre leurs intérêts à force d’arguments exhumés du feu XXe siècle, tandis que d’autres, moins connus et plus vulnérables, soutiennent la licence globale. Dans leur élan de communication tous azimuts, les puissants nous caricaturent en nous faisant les défenseurs de la gratuité totale. Les internautes seraient des voleurs et la redistribution des droits impossible.

Que d’arguments fallacieux ! Que de mensonges ! La licence globale est précisément une rémunération ! On entend qu’elle permettrait aux consommateurs de se servir gratuitement comme des voleurs dans une boulangerie. Mais en fait de boulangers, ce sont les maisons d’édition qui veulent contraindre les consommateurs à n’acheter que certaines sortes de pain !

La licence globale, qui exclut le cinéma, permet une juste rémunération des artistes en garantissant la répartition des sommes collectées selon l’audience des œuvres – elle-même déterminée par l’observation des flux et le sondage d’internautes volontaires. Le débat n’ayant pas vraiment eu lieu, les positions de chacun se sont d’emblée envenimées – de quoi justifier son report pour aborder l’examen de ce projet de loi dans le calme. En effet, derrière nos échanges sur le droit d’auteur, c’est notre modèle de société qui est en jeu.

Comme le dit M. de Rosnay, spécialiste des nouvelles technologies, nous devons passer du temps des mass media à celui des médias de masse. Notre politique culturelle numérique doit fonder le rapport des Français à la culture non sur la contrainte, mais sur la pluralité de l’offre, l’adhésion volontaire et la reconnaissance des talents. Envisagerons-nous ce changement avec les lunettes d’hier – les supports matériels – ou celles de demain – l’immatériel ? Heureusement, nombreux sont ceux qui, des institutions aux associations et aux consommateurs, regardent vers l’avenir. Construirons-nous une société de la liberté et de la responsabilité, de la diversité française et d’une identité toujours rebelle et prophétique, ou au contraire celle de l’inquisition et de la mise sous verrou ? Pour ma part, je choisis la liberté !

Mme Martine Billard - Sommes-nous donc dans un débat sur l’amendement dans lequel chacun peut s’inscrire ?

M. le Président – La réponse se trouve dans l’article 95, alinéa 2, de notre Règlement : la discussion porte sur un amendement comme elle porterait sur un article.

M. Didier Migaud - Que nous ne connaissons pas…

M. le Président – Mais si !

M. Didier Migaud - Il est discuté avant même d’être présenté…

M. le Président – Il est discuté comme tout article ! Voulez-vous une édition spéciale du Règlement (Rires) ?

M. Christian Paul - Vous serez sensible, Monsieur le Président, à ce rappel au Règlement qui porte sur l’organisation de nos travaux. Alors que nous nous penchons au-dessus du vide béant qu’a laissé l’abandon de l’article premier, le groupe socialiste vient de procéder à l’inventaire des précédents : de toute l’histoire de la Ve République, il n’y en a qu’un seul. C’est en 1961, lors de l’examen du projet de loi sur les prix agricoles, que le Gouvernement retira un article déjà amendé. Voilà donc 45 ans qu’il n’a pas agi de la sorte ! C’est bien d’un simulacre de démocratie qu’il s’agit !

M. Nicolas Dupont-Aignan – Je ne doute pas un instant que M. le ministre souhaite sincèrement concilier la liberté des internautes et le droit des créateurs, mais je crois que ce projet fait fausse route. Nous nous trouvons dans la situation du Parlement britannique qui, lors de la création de l’automobile, vota une loi prévoyant que l’on agiterait des drapeaux devant les véhicules pour éviter les accidents.

M. Didier Migaud - Le Parlement britannique est moins soumis !

M. Nicolas Dupont-Aignan – Je regrette l’abandon de la licence globale. On ne prend pas toute la mesure de la révolution numérique en cours – qui fait de la copie un nouvel original – et du développement du haut débit qui l’accompagne. C’est pourtant une chance extraordinaire d’élargir l’accès à la culture en diminuant les coûts de production et de distribution des œuvres. Cette révolution n’en est d’ailleurs qu’à ses débuts : nous n’avons encore rien vu, par exemple, de ce que permettront les échanges entre téléphones. Prenons garde à ne pas légiférer avec un train de retard ! N’édifions pas une nouvelle ligne Maginot ! Ne nous arc-boutons pas sur une directive européenne datée ! Ne nous conduisons pas comme les moines copistes dépités par l’invention de l’imprimerie, les éditeurs de partition qui voulaient interdire le disque, ou les disquaires qui s’opposaient à la radio.

D’autre part, on évalue mal les conséquences de ce projet : je mets au défi les prochains gouvernements d’envoyer les millions de contraventions aux internautes qui téléchargeront. Mission impossible ! Une loi, pour être légitime, doit se fonder sur un consensus social.

Enfin, il faut réconcilier les internautes et les créateurs qui ont été opposés à tort. Nous sommes tous contre la gratuité de l’offre culturelle ! Mais nous sommes pour un dispositif de rémunération compatible avec les nouveaux usages d’internet, faute de quoi on laissera quelques entreprises verrouiller le système et priver les internautes de la formidable baisse des coûts que permet le développement technologique.

Il serait si simple de ne pas faire jouer l’urgence, de réunir créateurs et internautes et de convoquer une mission d’information, plutôt que de voter à la va-vite une loi qui ira à l’encontre des intérêts et des usages de millions de nos concitoyens !

M. Dominique Richard – Après ces interventions à titre personnel (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) qui illustrent la diversité d’un groupe, je tiens, en tant que porte-parole du groupe UMP, à souligner combien l’écriture de ce nouvel article premier…

M. Didier Migaud - Mais enfin, est-ce l’article premier ou un article additionnel ?

M. Dominique Richard - …consacre deux mois de dialogue avec les créateurs, les éditeurs et les internautes. L’article prévoit l’exception pour copie privée qui bénéficie autant aux créateurs qu’aux internautes, et ouvre la voie à une offre légale élargie et bon marché. En outre, il reconnaît l’exception pour les fichiers-source à destination des handicapés et l’exception pédagogique pour le monde enseignant.

Avec lui, nous entrons dans le vif du débat : les créateurs comme les internautes vont enfin pouvoir disposer de l’offre qu’ils attendent !

M. Jean Dionis du Séjour - Alors que s’engage la deuxième mi-temps, l’UDF est tranquille. Forte de quelques convictions stables, le 21 décembre, elle n’avait pas été emportée par un vent de folie. Elle avait dit et démontré alors que la licence globale optionnelle est une supercherie. Les socialistes en ont pris acte. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; « Bien ! » sur les bancs du groupe UMP) Si vous êtes toujours pour, dites-le !

M. Christian Paul - Encore une victime de la confusion !

M. Jean Dionis du Séjour - En revanche, s’est ouvert un vrai débat, légitime, sur la licence globale obligatoire. A nos yeux, elle présente deux avantages : elle légalise le téléchargement illégal et apporte des recettes aux créateurs. Mais, dès le 21 décembre, nous en soulignions aussi quatre inconvénients. D’abord, elle est fondamentalement injuste. Pourquoi les 60 % d’internautes qui ne téléchargent pas paieraient-ils pour les 40 % qui le font, et ceux qui y recourent occasionnellement pour ceux qui se constituent des bibliothèques entières ? (Murmures sur quelques bancs du groupe UMP)

Mme Christine Boutin - C’est idiot !

M. Jean Dionis du Séjour - Ensuite, faire passer l’abonnement de 7 à 10 euros, soit 30 % d’augmentation, freinerait de façon mécanique la diffusion de l’internet surtout chez les plus modestes.

Puis, la répartition proposée entre les auteurs est archaïque. Quand j’entends Christine Boutin parler de « mesurer les flux », en tant que professionnel, je peux vous dire que c’est du rêve. Enfin, cette solution est contraire à tous les engagements internationaux de la France.

Nous voyons donc beaucoup plus d’inconvénients que d’avantages à la licence globale. Pour autant la situation actuelle est-elle satisfaisante ? Non, il faut faire moins cher, plus pratique, plus souple en ce qui concerne les catalogues. Il y a là des obstacles dont certains, nous l’espérons, pourront être levés par le débat.

Nous saluons certaines avancées majeures, notamment pour les handicapés visuels puisqu’il existe désormais des logiciels efficaces pour transformer en son un fichier numérique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Soisson - Je veux d’abord faire observer au groupe socialiste qu’on ne peut défendre les droits du Parlement et dire sans cesse qu’on va s’adresser au Conseil constitutionnel.

M. Marc Le Fur – Très bien.

M. Jean-Pierre Soisson - En faisant sans cesse intervenir celui-ci, vous réduisez le droit d’initiative du Parlement (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Je m’élève contre cette pratique.

M. Didier Migaud - Dans ce cas, le Parlement avait voté !

M. Jean-Pierre Soisson - D’autre part, sous la Ve République, le Gouvernement a tout a fait le droit de retirer ou de réécrire un article, et je considère qu’il a bien agi en faisant ainsi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Bernard Carayon - Depuis décembre, le Parlement a pleinement joué son rôle et ceux qui s’étaient exprimé avec force ont été écoutés avec attention par le ministre. Le débat transcende les clivages partisans. Il n’y a pas longtemps, Monsieur Paul, aux assises du logiciel libre à Dijon, nous partagions les mêmes sentiments et prenions les mêmes engagements.

M. Christian Paul - Ce n’est pas une question de sentiment !

M. Bernard Carayon - Avec un peu de bon sens, nous pourrons nous rassembler.

Internet a véhiculé le mythe de la gratuité culturelle et occulté le droit légitime des auteurs en toute impunité derrière les nouvelles technologies. Ce débat touche donc très directement aux évolutions culturelles, scientifiques, et technologiques. Le droit peine à encadrer les progrès scientifiques. Il se doit d’être souple, créatif et clair. Ce n’était pas tout à fait le cas avec le texte présenté en décembre, même s’il s’y manifestait le souci légitime de protéger les auteurs. Mais des progrès formidables ont été faits depuis quelques semaines : la reconnaissance du droit à la copie privée, l’interopérabilité et le sauvetage des logiciels libres, la diminution très forte des sanctions, la soumission des mesures techniques de protection aux nécessités de la sécurité nationale et de la protection de la vie privée – on se souvient que Sony avait caché des programmes espions dans ses CD.

Ce texte réconcilie les droits des auteurs, ceux des consommateurs, les intérêts nationaux, les droits et les intérêts des entreprises. Il assure l’équilibre entre le marché et la création. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Richard Cazenave - Il serait dommage de reprendre le débat comme s’il ne s’était rien passé, …

M. Christian Paul - La situation s’est aggravée !

M. Richard Cazenave - …alors que depuis deux mois et demi chacun a réfléchi. D’ailleurs, j’ai entendu M. Bloche expliquer que la licence globale ne pouvait être qu’obligatoire. La réflexion a mûri. Sur la licence globale, la réponse a été apportée par la concertation, y compris lorsque le Président a fait venir des artistes qui nous ont expliqué que la rémunération proposée dans ce cadre équivalait à rien. Ce n’était donc pas une réponse sérieuse, et il est naturel que le ministre nous propose une autre voie.

Je reprends volontiers les propos de M. Carayon, notamment sur l’interopérabilité, les logiciels libres, la sécurité informatique, et nous y reviendrons à propos de quelques amendements, pour nous assurer que les mesures techniques de protection ne doivent pas verrouiller la lecture des œuvres sur tout support ou la recherche sur les logiciels libres.

Déjà les avancées sont importantes : l’auteur va choisir son mode de rémunération, et les exceptions pédagogiques qui ont fait l’objet d’un accord nous mettent enfin au niveau des autres pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Didier Mathus - Il est regrettable que le débat se déroule dans d’aussi mauvaises conditions. L’échec du Gouvernement en décembre a provoqué une prise de conscience de l’enjeu de société que constitue le téléchargement. Mais nous avons assisté à un lobbying comme nous n’en avions jamais connu, à une pression directe sur le Parlement et en fait d’argument, on a souvent entendu le lamento déchirant des comptes en banque le soir au fond des bois numériques ! On aurait préféré un vrai débat sur cette révolution numérique face à laquelle les modèles anciens des industriels de la culture sont aujourd’hui inopérants. Là est le débat, entre l’accroissement du bien être collectif par l’échange de fichiers peer to peer, et des industriels de la culture qui tentent d’imposer leur rente de situation aux nouvelles générations. Le Parlement, lui, ne devrait être guidé que par l’intérêt général, mais c’est difficile dans un tel climat de pressions.

Si le ministre de la culture entre dans l’histoire, c’est probablement parce qu’il aura été le premier depuis 45 ans à retirer un article d’un projet de loi en cours de débat. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Richard Cazenave - Un peu de mémoire !

M. Didier Mathus – Sur le fond, il n’y a rien de changé. Au centre de ce texte, il y a l’imposition des mesures techniques de protection partout…

Mme Christine Boutin - Absolument !

M. Didier Mathus – L’exemple des logiciels espions de Sony qu’on a cité montre pourtant le peu d’éthique des industriels de la culture dans cette affaire.

Le corps du texte n’a donc pas changé : il instaurera une surveillance généralisée des échanges, et placera des DRM partout, avec pour résultat une marchandisation d’internet et des atteintes aux libertés individuelles.

M. Alain Suguenot – Mon amendement 153, né pendant la nuit du 21 décembre, est mort la nuit dernière. Mais je voudrais dire que le rôle du Parlement n’est pas d’entrer en conflit de personnes avec les membres du Gouvernement, mais bien plutôt d’amender les textes qui lui sont soumis, afin de les améliorer.

Aujourd’hui, notre tâche est de concilier l’inconciliable aux yeux de certains, c’est-à-dire les droits d’auteur avec les droits des internautes. Vous savez bien, Monsieur le ministre, que notre but n’est pas de remettre en cause le droit d’auteur, mais d’éviter que nous ne protégions le droit de la protection lui-même ! Nous risquons en effet d’enclencher une véritable escalade, et les DRM peuvent entrer en conflit avec les droits des internautes.

Ne donnons pas non plus l’impression que les auteurs et les industries culturelles ont exercé des pressions sur nous, et ainsi fait la loi. Les trois jours qui viennent nous donnent l’occasion de prouver le contraire.

Pour avoir écouté les différents orateurs, il me semble que la volonté de tous les groupes politiques est d’aboutir, mais il reste bien des précisions à apporter s’agissant du droit à copie privée. En effet, ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : un téléchargement revient de fait à une mise à disposition.

Je ne suis pas un défenseur fanatique de la licence globale, mais elle offrait une vision médiane conciliant des intérêts prétendument inconciliables. Faisons maintenant en sorte que les auteurs sortent gagnants de ce débat : au moment où vous avez l’occasion d’inscrire votre nom dans l’histoire du droit d’auteur, Monsieur le ministre, assurons-nous que les amendements tombés hier soir soient remplacés par d’autres solutions, même si la licence globale n’est pas retenue.

Si le terme fait peur, trouvons-en d’autres, pourvu que nous luttions contre le piratage. Pour cela, nous ne pouvons pas nous en remettre à la seule technique, et c’est d’ailleurs heureux, car quelques uns, comme Microsoft ou Sony, bénéficieraient alors d’un véritable monopole, ce qui signerait la fin de l’offre légale.

M. le Président – Je vais laisser ce débat se dérouler en donnant la parole à tous ceux qui le demandent.

M. Alain Joyandet – Nos deux sous-amendements sur la presse sont tombés, mais je me réjouis de leur intégration dans le nouvel alinéa 9. Trans-courants et trans-partis, puisqu’ils étaient cosignés par nos collègues Françaix, Sauvadet et Baguet, ils ouvraient de nouvelles libertés pour la presse en lui accordant des exceptions au droit d’auteur.

La presse écrite éprouve en effet de grandes difficultés dès lors qu’il s’agit de reproduire des œuvres originales pour rendre compte de l’actualité, de nombreux procès lui étant intentés.

S’agissant maintenant du corps principal du texte, je me réjouis que le débat organisé depuis plusieurs semaines, à l’initiative notamment du Président de l’Assemblée, nous ait permis de nous diriger vers une solution qui privilégie la responsabilité personnelle et le droit d’auteur individuel. Les méthodes de responsabilité – voire d’irresponsabilité – globale ont été en effet trop décriées dans le passé pour que nous ne nous félicitions pas des orientations retenues !

Il est également bon que nous adoptions une démarche pédagogique s’adressant aux jeunes internautes, qui comprennent mal de devoir payer une somme modique pour chaque œuvre téléchargée…

Mme Christine Boutin - C’est vous qui ne comprenez rien !

M. Alain Joyandet - …pour un montant bien inférieur à celui qu’il paierait pour un CD. Ils ne comprennent pas non plus qu’ils pourront ensuite copier cette œuvre sur tous les supports à destination de leur famille et de leurs amis.

Mme Martine Billard - C’est faux !

M. Alain Joyandet - Par cette solution, nous allons permettre au droit d’auteur à la française, auquel nous devons la survivance de notre culture, de résister aux évolutions technologiques.

Même si la licence globale a pu sembler la meilleure option à un moment donné, j’ai été convaincu par les explications que nous ont données les artistes. Merci donc, Monsieur le Président, d’avoir organisé ces rencontres avec eux.

M. Pierre-Christophe Baguet – S’il faut dénoncer la forme et les conditions d’examen de cet amendement, je tiens à en souligner les avancées sur trois points, qui avaient d’ailleurs fait l’objet d’amendements déposés par l’UDF : tout d’abord, l’extension de l’exemption accordée aux bibliothèques et aux services d’archives accessibles au public, que nous avions votée à l’unanimité le 21 décembre dernier ; ensuite, l’exception dont bénéficiera la presse pour la présentation d’une œuvre dans un contexte lié à l’actualité ; enfin, les exemptions accordées aux personnes handicapées, notamment par l’organisation d’un dépôt légal numérique.

Je me félicite également du rejet de la licence globale, car je suis plus que jamais attaché au développement de plateformes légales payantes, pourvu qu’elles soient réellement concurrentielles et garantissent ainsi le plus de diversité et d’accessibilité possible.

Il reste toutefois à répondre à de nombreuses attentes de l’UDF, concernant notamment la copie privée, l’interopérabilité et les mesures techniques de protection, et il nous semble nécessaire d’organiser avant toute sanction un véritable travail de pédagogie.

M. Frédéric Dutoit - Il ne faudrait pas croire que notre vote du 21 décembre dernier visait à faire prévaloir la gratuité du téléchargement et à spolier les auteurs.

Il me semblait à l’époque que le ministre se servait des droits d’auteur comme d’un épouvantail, mais je m’aperçois il s’agissait en fait d’un cheval de Troie, destiné à imposer la logique des DRM en vue de réguler les flux sur les internet.

La question est de savoir si nous sommes capables de franchir le pas, en garantissant effectivement les droits des auteurs. Qu’on le veuille ou non, internet est en effet une réalité : 24 millions de Français y sont connectés, ainsi qu’un milliard de personnes sur notre planète, et il nous faut veiller à ce que la conception française des droits d’auteur ne soit pas remise à cause.

Nous devons donc inventer un nouveau mode de rémunération de la création artistique, faute de quoi nous nous dirigeons tout droit vers la copie privée à l’américaine, le copyright, dont Microsoft, Apple ou Sony seraient les seuls bénéficiaires !

M. Michel Herbillon – Selon un collègue de l’opposition, ce texte nous diviserait.

M. le Président – Je rappelle que nous en sommes à l’amendement 272 !

M. Michel Herbillon - Oui, c’est de cela que je vais parler. Je pense au contraire qu’après la concertation organisée par le ministre de la culture, c’est le rassemblement qui doit désormais prévaloir. Comme le rappelle l’amendement 272, le monde de la création et celui des internautes ne doivent en effet pas s’opposer, et c’est un enjeu de société fondamental.

Un deuxième principe devrait également nous rassembler : l’auteur et le créateur doivent se trouver au cœur du dispositif, et c’est à lui qu’il revient de déterminer la stratégie qu’il souhaite pour la diffusion de son œuvre.

Le nouvel article premier opère de notables avancées par rapport au texte du mois de décembre, sur l’interopérabilité, la copie privée, le logiciel libre, ou les possibilités offertes aux personnes handicapées. Il réaffirme également notre détermination à lutter contre la piraterie, sans céder à la tentation du « flicage » de l’internaute. Ce sont les œuvres qui sont surveillées, non les internautes.

L’objectif est de permettre une véritable floraison d’offres accessibles au plus grand nombre et une large diffusion de musiques et de films sur internet, dans le respect de la création. Ce texte, qui autorise des libertés nouvelles, doit être considéré comme un point de départ plus que comme un point d’arrivée : nous ne légiférons que pour un moment, et nous serons inévitablement amenés à revoir ce dispositif en fonction de l’évolution de la technologie.

Ce texte illustre finalement fort bien la définition qu’André Malraux donnait de la culture : permettre au plus grand nombre d’hommes d’avoir accès au plus grand nombre d’œuvres.

Mme Martine Billard - Nos collègues de la majorité s’enthousiasment pour cet amendement 272. Je pense plutôt que le ministre devrait nous remercier de lui avoir évité des erreurs irréparables, notamment sur le logiciel libre.

Permettez-moi de faire observer que la transposition de la directive que nous envisageons est notablement plus stricte que celle opérée dans d’autres États. La nouvelle rédaction du Gouvernement fait tomber l’amendement qui étendait la copie privée au « déchargement » individuel à usage privé. Il reste cependant bien des incertitudes sur la copie privée : le texte n’en dit rien de précis, renvoyant ce soin à un collège de médiateurs. Plus grave, il soulève des problèmes d’interprétation. Le « préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur » devient ainsi pour la Cour de cassation, s’agissant de la copie privée de DVD, « l’importance économique de l’exploitation de l’œuvre pour l’amortissement des coûts de production cinématographique » : le moins que l’on puisse dire est qu’il y a un glissement sémantique… Il ne serait donc pas inutile qu’une loi sur les droits d’auteur précise que les intérêts légitimes de l’auteur ne se confondent pas avec l’amortissement des coûts de production cinématographique.

Pourquoi est-ce un combat d’arrière-garde ? Parce qu’en vérité, rien ne pourra arrêter les téléchargements par peer to peer. Vous pouvez toujours interdire les sites : ils iront s’installer ailleurs ! Quant aux DRM, ils seront inévitablement contournés. On nous expliquait tout à l’heure qu’ils permettaient de limiter le nombre de lectures ou le temps de lecture. Achetez une œuvre et interrompez-vous un instant de la regarder : quand vous reviendrez, elle aura disparu ! Voilà comment on nous propose de transposer la directive !

M. le Président – Et si je vous arrête, disparaîtrez-vous ? (Rires)

Mme Martine Billard – Une précision technique pour conclure : si l’on peut surveiller les téléchargements en peer to peer, on peut aussi compter les téléchargements. Ne venez pas nous dire le contraire !

M. Christian Paul - Si nous sommes en désaccord avec cet amendement – cet article premier bis que vous ramenez par la fenêtre après que nous lui avons fermé la porte –, c’est surtout à cause de ce qu’il ne dit pas. Nous aurions en effet voulu que le téléchargement soit explicitement rangé parmi les exceptions pour copie privée. Au-delà de son aspect répressif, le texte que vous avez défendu au mois de décembre avait au moins le mérite de la cohérence. Celui que vous nous présentez aujourd’hui n’a plus de cohérence.

M. Michel Herbillon - C’est totalement faux ! Lisez-le !

M. Christian Paul – Cette « contredanse pour la musique » que vous voulez instaurer – une amende de 38 euros – n’aura pas d’effet dissuasif. Après la riposte graduée, vous nous parlez d’internet équitable : il y a peut-être un progrès du vocabulaire, mais il n’y en a pas sur le fond. C’est une stratégie « perdant-perdant » que vous nous proposez : non seulement les internautes n’y trouveront pas plus de sécurité juridique, mais les artistes n’y trouveront pas un euro de plus ! Je me réjouis donc qu’en dépit des appels à la discipline que l’on perçoit ici ou là, il y ait sur tous les bancs de cette Assemblée des hommes et des femmes libres. Le groupe socialiste proposera pour sa part une stratégie « gagnant-gagnant » à notre pays, sous la forme d’un contrat culturel.

M. Patrick Bloche – Je ne voudrais pas que la forêt d’exceptions que le Gouvernement crée avec cet article additionnel cache l’arbre qui était au cœur de nos débats du mois de décembre. Qui peut être contre une exception au droit de reproduction pour certains actes techniques de reproduction provisoire ? Qui peut être contre une nouvelle exception permettant un accès élargi aux œuvres aux personnes affectées d’un handicap ?

M. Christian Paul - Enfin !

M. Patrick Bloche – Qui peut être contre une exception créée en faveur des bibliothèques et services d’archives accessibles au public ? Qui peut être contre une exception encadrée créée en faveur de la presse et liée à l’inclusion d’œuvres dans ses reportages ? Personne ! Notre débat porte cependant d’abord sur la question suivante : faut-il considérer le téléchargement comme une exception à la copie privée ? Certains de nos collègues de l’UMP ont innové en créant, dans un article paru dans la presse, un droit à la copie privée. Si ce droit existe, il faut prendre en compte l’évolution jurisprudentielle dont témoigne le récent jugement du TGI de Paris – d’où les sous-amendements qui viseront à ce que le téléchargement soit l’expression d’un droit à la copie privée, ou une exception copie privée. C’est le seul moyen de sortir de l’illégalité et de rémunérer les auteurs et les artistes. Certains – le ministre le premier – font le pari que les internautes qui pratiquent le peer to peer migreront vers les offres légales payantes. Nous préférons pour notre part inscrire dans la loi une exception pour copie privée qui rémunère les auteurs et les artistes.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 22 heures.
La séance est levée à 20 heures 30.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Catherine MANCY

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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