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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

3ème séance du jeudi 9 mars 2006

Séance de 21 heures 30
71ème jour de séance, 167ème séance

Présidence de M. Yves Bur
Vice-Président

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La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

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droit d’auteur et droits voisins
dans la société de l’information (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information.

avant l'Art. 2

M. le Président – Cet après-midi, l’Assemblée a poursuivi l’examen des articles, s’arrêtant à l’amendement 168 portant article additionnel avant l’article 2.

M. Christian Paul - Les députés socialistes avaient compris qu’une réunion de la commission des lois aurait lieu ce soir pour examiner les amendements qu’ils ont déposés, pour certains aujourd’hui et d’autres plus anciennement, et qui n’ont pas été examinés en commission. C’est dire leur surprise de voir la séance commencer dans ces conditions. Nous vous demandons donc, Monsieur le président, quelle direction vous souhaitez donner aux travaux de la soirée, puisque les choses ne se passent pas comme on nous l’avait annoncé.

M. le Président – À ma connaissance, aucun amendement n’a été déposé. Je vais interroger la commission.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois – Ce matin, nous avons parlé de l’article premier et expliqué comment se déroulerait la suite du débat, particulièrement sur ce qui, dans cet article, n’avait pas fait l’objet d’un vote préalable. J’ai indiqué que si certains députés souhaitaient présenter de nouveaux amendements sur cette partie de l’article premier, la commission avait pris la décision de lever la forclusion.

M. Patrick Bloche - Ça ne s’est pas passé comme ça !

M. Christian Paul - Ça commence bien !

M. le vice-président de la commission – Cela ne peut souffrir de contestation : le compte rendu de nos travaux en fait foi.

M. Patrick Bloche - Ce n’est pas honnête !

M. le Vice-président de la commission – J’avais même indiqué que la commission pourrait se réunir vers 15 heures si des amendements étaient déposés à l’issue de la séance du matin, pour que chacun d’entre eux puisse faire l’objet d’un avis ensuite, en séance publique. Voilà ce que nous avons dit et répété plusieurs fois dans la journée.

M. Christian Paul - C’est scandaleux !

M. Patrick Bloche – Vous croyez gagner du temps ?

M. le Vice-président de la commission – Nous nous étions également laissé la possibilité de réunir la commission à 21 heures, afin que nos travaux puissent reprendre à 21 heures 30, mais aucun amendement n’avait toujours été déposé sur l’article premier. Notre position n’a pas varié : elle est claire et publique, comme le compte rendu en fait foi. Je ne peux pas laisser dire que nous n’avons pas tenu nos engagements. Ceux qui avaient annoncé de nouveaux amendements ne les ont tout simplement pas présentés, mais nous ne changeons pas d’avis : il est essentiel de parler au fond de ce projet de loi, et nous sommes toujours disposés à examiner de nouvelles propositions si elles devaient se faire jour.

M. Christian Paul - Dès le début de cette séance, il apparaît que la majorité, et en particulier le président de la commission des lois, ne tient pas les engagements qui avaient été pris (Exclamations indignées sur les bancs de la commission) pour apaiser la discussion.

M. le Vice-président de la commission – Si vous voulez que la commission se réunisse, il faut déposer des amendements !

M. Christian Paul - Monsieur Geoffroy, vous êtes un très récent vice-président de la commission des lois.

M. le Vice-président de la commission – Et alors ?

M. Michel Herbillon - C’est la technique Emmanuelli ! L’attaque personnelle !

M. le Président – Monsieur Paul, ne mettez pas vos collègues en cause.

M. Christian Paul - Je voudrais pouvoir m’exprimer, Monsieur le président : cela me changerait par rapport à ce qui s’est passé cet après-midi sous votre présidence (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Le débat de cet après-midi s’est déroulé dans des conditions incroyables. Nous avons dû avec des membres de la majorité quitter l’hémicycle tant le Parlement a été traité de façon déplorable. La commission des lois n’a pas examiné plusieurs dizaines d’amendements que nous avions déposés au fur et à mesure que nous avions eu connaissance des amendements du Gouvernement. Ce sont eux que nous souhaitions évoquer. Nous avions retenu de nos échanges particulièrement difficiles d’aujourd’hui que vous souhaitiez, peut-être en guise d’apaisement, permettre à la commission des lois de faire une réunion pour balayer l’ensemble de ces amendements. Cela aurait évité au rapporteur d’avoir à dire à propos de chaque amendement qu’il n’a pas été examiné, ce qui donne de l’Assemblée une image déplorable. La réunion de la commission nous avait été confirmée pendant l’interruption de séance. Cela aurait été une façon beaucoup plus digne de reprendre ce débat qui a été chaotique. Quitter l’hémicycle avait été la seule façon de marquer notre désespoir et notre désapprobation, lorsque le président nous avait refusé tout rappel au Règlement et toute réunion de groupe. Si nous recommençons dans cet esprit, c’est un ajout à la longue liste des maltraitances qui s’exercent à notre encontre (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Monsieur le président, je vous prie d’user de votre influence auprès de M. Geoffroy pour qu’on revienne à plus de raison.

M. le Vice-président de la commission – Il me semble, Monsieur Paul, que j’ai toute ma raison et que je peux continuer à le démontrer. J’ai sous les yeux le compte rendu analytique de la séance de ce matin.

Plusieurs députés socialistes – C’était cet après-midi !

M. le vice-président de la commission – Soyons très clairs : dès ce matin, page 14, en réponse à M. Paul, j’ai dit : « Sur ce texte, la commission des lois s'est réunie au titre de l'article 88 le 20 décembre, puis au moins trois fois au titre de l'article 91 de notre Règlement – le 21 décembre, le 1er mars et avant-hier. C'est donc en toute transparence qu'est rouverte la discussion de l'article premier ». Je poursuivais plus loin : « Quand nous en serons à l'article premier, nous étudierons tous les amendements déjà déposés et il sera possible d'en examiner de nouveaux. Dans ces conditions, je considère, au nom de la commission des lois, que tout risque de forclusion est écarté. Vous pourrez déposer tous les amendements que vous jugerez nécessaires pour enrichir nos débats, et nous réunirons une quatrième fois la commission des lois au titre de l'article 91. Le Parlement pourra ainsi continuer son travail législatif, dans la plénitude de ses pouvoirs ».

Puisqu’il semblait que je n’avais pas été assez clair, j’ai dû me répéter. Reportez-vous à la page 17 : « Si des amendements nouveaux sont déposés, je confirme que la commission se réunira pour les examiner. Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons déjà fait sur l'article premier, mais la commission prend l'engagement qu'il n'y aura pas de forclusion en ce qui concerne la suite ». Voilà ce qui a été dit ce matin, et répété toute l’après-midi. Je n’estime pas nécessaire de répondre une fois de plus à vos attaques injustes.

M. Christian Paul - Forfaiture !

M. le Vice-président de la commission – Vos demandes ont été traitées avec la plus grande honnêteté. Nous avons tenu nos engagements, et ils valent encore. Ce n’est pas de mon fait si vous avez prétendu avoir des amendements et que vous n’en avez pas déposé. C’est la seule raison pour laquelle nous n’avons pas réuni la commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Je voudrais simplement indiquer que le service de la séance n’a pas eu connaissance de nouveaux amendements.

Plusieurs députés UMP - Et voilà !

M. Patrick Bloche - Il y a le Règlement de l'Assemblée nationale, d’une part, …

M. Michel Herbillon - Et celui du parti socialiste !

M. Patrick Bloche – Je vous rappelle ce que la majorité et le Gouvernement nous ont fait subir, la façon honteuse…

Mme Sylvia Bassot - Dont vous êtes sorti !

M. Patrick Bloche - …dont vous avez commencé la discussion de l’article premier, rétabli après avoir été retiré, nous privant de notre droit d’amendement. Il s’est passé des choses scandaleuses, qui nous conduiront à saisir le Conseil constitutionnel. Nos droits ont été bafoués. Et vous vous êtes d’ailleurs retrouvés entre vous…

Mme Sylvia Bassot - Forcément, puisque vous étiez partis !

M. Patrick Bloche - …pour voter contre l’article premier, puis voter, dans un scrutin public qui n’avait plus de sens puisque les groupes UDF, communiste, socialiste et les députés verts n’étaient plus en séance, l’amendement de substitution du Gouvernement. Quelle image de la démocratie ! Quelle image de la délibération parlementaire ! Quelle image du respect de l’opposition ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

Le représentant du président de la commission des lois, M. Geoffroy, a pris l’engagement d’examiner tous les amendements déposés, puisqu’il n’y avait pas forclusion. J’ai là un sous-amendement à l’amendement 225 du Gouvernement à l’article 9, qui traite de la composition du collège des médiateurs. Son examen justifie la réunion de la commission des lois.

Au surplus, nous avions compris que votre esprit de soi-disant ouverture vous conduirait à examiner en commission tous les amendements que nous n’avons pas vus à la dernière réunion, laquelle s’est tenue mardi à 14 heures. Tel était, Monsieur Geoffroy, l’esprit de vos engagements : vous ne les tenez pas ! Qu’est-ce qui vous empêchait, avant le début de cette séance, de réunir la commission pour que nous puissions examiner ces amendements ? Vous l’aviez proposé à l’opposition, et nous avons cru que M. Bur allait, à 21 heures 30, nous annoncer une suspension de séance dès la reprise pour nous permettre de siéger en commission ! Vous ne tenez pas vos engagements au nom de je ne sais quelle argutie de procédure. Moralité : sur des dizaines d’amendements, M. Vanneste sera amené à dire que la commission des lois n’a pas d’avis ; peut-être donnera-t-il alors son avis personnel, ce qui permettra sans doute – comme hier – d’en faire voter certains contre l’avis du Gouvernement ! Nous verrons le moment venu. L’ouverture dont se targuait M. Geoffroy s’est transformée en fermeture. C’est inadmissible, et je demande, au nom de mon groupe, une suspension de séance car la nature du débat qui s’engage s’en trouve modifiée.

M. le Président – Monsieur Bloche, dans la mesure où l’on a parlé de lever la forclusion, il ne pouvait être question que d’amendements nouveaux. Vous parlez d’un sous-amendement à l’amendement 225 mais je vous rappelle que cet amendement du Gouvernement a été retiré hier ! Il ne saurait être question de discuter d’un sous-amendement à un amendement qui a été retiré. Nous avons fait de la procédure pendant près de trois séances…

M. Patrick Bloche – La faute à qui ?

M. le Président – Nous devons à présent en venir au fond et poursuivre notre débat sur l’amendement 168…

M. Patrick Bloche - Accordez-nous au moins cinq minutes de suspension pour nous permettre de faire le point !

La séance, suspendue à 21 heures 50, est reprise à 21 heures 55.

M. Christian Paul - Je voudrais comprendre ce qui s’est passé au sujet de notre sous-amendement à l’amendement 225 : qui l’a retiré ? À quel moment ? Nous sommes en plein brouillard ! Les amendements sont retirés on ne sait par qui et sans que nous en soyons informés. Cela nous rappelle ce qui s’est passé mardi au sujet de l’article premier, un temps retiré pour mieux être réintroduit… La majorité retire ses amendements en catimini et ce nouvel incident de séance n’est pas plus acceptable que les précédents.

Aussi, au nom du groupe socialiste – et je sais que les députés communistes et verts s’associent à cette démarche –, je demande que nous puissions avoir une explication avec le Président Debré sur les conditions dans lesquelles se déroulent nos travaux…

M. Frédéric Dutoit - C’est le minimum que nous puissions obtenir !

M. Christian Paul - Compte tenu des désordres qui s’accumulent, il faudrait vraiment qu’il vous aide, qu’il nous aide à réhabiliter l’image de l’institution parlementaire.

M. le Président – Monsieur Paul, vous devenez désagréable ! Venez-en s’il vous plaît à votre amendement 168.

M. Christian Paul - Puisque, décidemment, Monsieur le président, tous ces désordres ne semblent pas vous atteindre, je vais présenter mon amendement mais je regrette de ne pas avoir de réponse sur l’amendement qui a été retiré.

M. le Président – C’est un amendement un amendement du Gouvernement qui a été retiré à l’initiative du Gouvernement… Et cela a été fait hier. C’est une pratique qui n’a rien d’exceptionnel et à laquelle tous les gouvernements ont recouru.

M. Christian Paul – L’amendement 168 est un amendement de grande sagesse. Nous avons proposé des dispositions audacieuses, notamment une rémunération très substantielle pour les artistes et les ayants droit finançant la création musicale par internet : nous souhaitons qu’elles s’appliquent pendant trois ans, étant donné les mutations du marché et l’évolution des pratiques de téléchargement. Cette expérimentation, loin d’être hasardeuse puisqu’elle serait encadrée dans la durée et ferait l’objet d’une évolution grâce à un bilan annuel, rapporterait dix fois plus à la création musicale que le chiffre d’affaires cumulé des plateformes commerciales en ligne, qui sont actuellement le seul modèle reconnu par le ministre.

M. Jean Dionis du Séjour - Pour le moment !

M. Christian Vanneste, rapporteur de la commission des lois - Avis défavorable. L’amendement est contestable, car il oublie la distinction fondamentale entre téléchargement individuel et copie privée. Il est paradoxal, puisqu’il rendrait transitoires les articles 1 à 4 du projet de loi…

M. Patrick Bloche - Heureusement !

M. le Rapporteur - …et notamment les dispositions en faveur des personnes handicapées. Enfin, il est moins efficace qu’un amendement de M. Wauquiez qui prévoit un rapport d’étape dans un an, sans toutefois rendre le dispositif transitoire.

M. le Président – Sur le vote de l’amendement 168, je suis saisi par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication - Avis défavorable : je me suis déjà suffisamment exprimé sur la licence globale pour ne pas avoir à le refaire.

M. Didier Mathus - Les technologies évoluent vite : les liens RSS, par exemple, apparus il y a quelques mois seulement, vont modifier l’économie générale de l’internet. Ce que vous voterez ces jours-ci sera inopérant dans quelques mois.

Alors que nous transposons une directive vieille de quatre ans, la Commission européenne en élabore déjà une nouvelle version. Pourtant, on veut nous faire croire que ce dispositif, que le Gouvernement défend pour aider les majors du disque, restera gravé dans le marbre de toute éternité : c’est déraisonnable. Nous proposons donc un régime transitoire, adapté à l’évolution rapide des technologies.

Le pari du Gouvernement n’a d’ailleurs aucune chance d’être gagné : comment empêcher des millions de jeunes de télécharger par quelques mesures policières ?

M. le Ministre – Mais non !

M. Didier Mathus - Certes, le Gouvernement est souvent tenté de réprimer la jeunesse par la violence, mais l’exercice a ses limites ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Rapporteur - Quelle caricature !

M. Didier Mathus - On ne peut pas tous les jours déclarer la guerre aux jeunes, comme vous le faites ! Il faut raison garder. Seules quelques sociétés de gestion de droits peuvent rêver d’élever un barrage numérique contre l’évolution de la société : autant élever un barrage contre la mer avec une digue de sable ! Nous vous épargnons le ridicule en vous proposant un régime transitoire jusqu’à la fin de 2008.

M. Richard Cazenave - Ils disent n’importe quoi !

M. Patrick Bloche - Les textes que nous transposons sont déjà anciens, et le Gouvernement, dans sa diligence, a laissé passer trois ans avant de légiférer. Or, la nouvelle version du projet de loi ne résistera ni à la réalité de l’économie culturelle, ni à l’adaptation juridique qu’a entreprise la Commission européenne sans attendre notre transposition. Vous faites le pari, Monsieur le ministre, qu’avec votre projet de loi, dix millions d’internautes qui partagent des fichiers migreront spontanément vers les offres commerciales.

M. le Ministre – Les offres légales !

M. Patrick Bloche - Pour éviter que vous ne perdiez ce pari, il est indispensable de légiférer de manière transitoire jusqu’au 31 décembre 2008. En proposant un système de contravention à 38 euros, vous perdez en dissuasion ; mais dans le même temps, vous maintenez obstinément l’interdiction du partage de fichiers : voilà pourquoi vous perdrez votre pari !

Allons plus loin encore. M. le rapporteur propose un rapport dans un an : pourquoi pas ? Mais il faut surtout prévoir une date butoir pour la législation, contraignant ainsi le gouvernement en place au 31 décembre 2008 à proposer de nouvelles mesures aux assemblées. C’est en fixant un terme raisonnable à la législation que nous accompagnerons la transition numérique de la filière musicale. Sinon, votre pari perdu aura des conséquences désastreuses sur la rémunération des artistes.

Mme Christine Boutin - Je salue notre retour au débat de fond. Sur de tels sujets, nous devons éviter l’opposition partisane et défendre l’intérêt général.

Je suis favorable à cet amendement, car tout ce que nous décidons aujourd’hui sera obsolète dans les mois qui viennent.

M. Christian Paul - Bien sûr ! C’est le ministère de l’obsolescence !

Mme Christine Boutin - L’amendement 168 propose un délai raisonnable pour faire le point. Certains d’entre nous sont bien conscients des enjeux. Il ne s’agit pas d’un débat entre droite et gauche, mais entre anciens et modernes !

À la majorité de 39 voix contre 16, sur 55 votants et 55 suffrages exprimés, l’amendement 168 n’est pas adopté.

Art. 2

M. Henri Emmanuelli - Rappel au Règlement : je constate que nous ne recevons les amendements qu’à dix heures et quart, et encore a-t-il fallu les réclamer ! Je constate également que la majorité a retiré des amendements sans nous prévenir, de sorte que nos sous-amendements sont déclarés irrecevables. Jusqu’à quand ce cirque va-t-il durer ? C’est inadmissible ! Le Gouvernement nous a déjà fait perdre une journée…

M. Bernard Carayon - C’est le comble !

M. Henri Emmanuelli - Il lui suffisait de lever l’urgence ! Ne ricanez pas, Monsieur le ministre : c’est tout ce que nous vous demandions, alors que vous vous preniez les pieds dans le tapis ! Vous pouvez utiliser votre majorité pour continuer à caricaturer les choses et à vous asseoir sur la démocratie, mais ce ne sera pas sans conséquences ! La manière dont notre débat est tenu sera jugée ! Je m’étonne, Monsieur le président, que vous acceptiez de telles choses !

Pour la première fois de ma vie, j’ai vu refuser la parole à un président de groupe, avant que l’on procède à un vote à la sauvette, lorsqu’il ne restait plus en séance que la majorité. Ce n’est pas glorieux, tout cela ! Il faudrait retrouver un peu de sérieux ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Et je dis au « plateau » qu’il y a des limites !

M. le Président – Monsieur Emmanuelli, vous avez été destinataire, comme tous vos collègues, des amendements à l’article 2. Le sous-amendement dont vous avez parlé a été déposé ce soir à 21 heures 10 sur l’amendement 225 du Gouvernement, qui a été retiré.

M. Henri Emmanuelli - On ne pouvait pas le savoir ! C’est inadmissible !

M. le Président – Il n’y a pas de publicité sur les amendements retirés. Ce sont les pratiques habituelles, elles étaient exactement les mêmes lorsque vous étiez Président de l'Assemblée nationale.

M. Henri Emmanuelli - Pas du tout !

Mme Martine Billard - L’amendement 225 était quand même l’un des amendements centraux du Gouvernement !

M. le Président – Nous en venons aux orateurs inscrits sur l’article. Monsieur Dutoit, vous avez la parole.

M. Henri Emmanuelli – C’est une pantalonnade !

M. le Président – C’est vous qui voulez transformer ce débat !

M. Henri Emmanuelli - Quand on préside comme vous le faites, on peut s’abstenir ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Herbillon - Vous insultez vos collègues, vous insultez le président, vous insultez les fonctionnaires de l’Assemblée : cela suffit !

M. le Président – Calmez-vous, chers collègues. Monsieur Dutoit, allez-y.

M. Frédéric Dutoit – À l’occasion de cette intervention sur l’article 2, permettez-moi de dire à mon tour ma stupéfaction devant la manière dont l'Assemblée nationale a été traitée depuis lundi, avec le retrait de l’article premier puis sa réintroduction, l’objectif étant d’éviter la sanction du Conseil constitutionnel. Comme M. Bayrou, j’ai pu constater à la lecture de ma messagerie que le débat que nous avons eu sur la procédure a intéressé nos concitoyens, parce qu’ils ont pu constater que c’était un débat sur la démocratie.

On a assisté à des manœuvres pour les votes sur l’amendement 272 du Gouvernement et sur l’article premier ; les Français jugeront, eux qui sont très largement favorables aux propositions que nous avons développées depuis le mois de décembre, sur tous les bancs de cet hémicycle.

Au regard des pratiques qui existent sur internet, ce texte du Gouvernement est d’ores et déjà dépassé. Vous savez très bien que les internautes, y compris les jeunes, sont tout à fait favorables à une rétribution des auteurs ; il nous faut trouver une solution équilibrée respectant les droits des auteurs, le droit de copie et la liberté des échanges via internet. De ce point de vue, la proposition que j’ai formulée tout à l’heure a recueilli l’unanimité, et je tenais à tous vous en remercier, y compris vous, Monsieur le ministre ; c’est la preuve que nous pouvons avancer. J’ajoute que ma proposition initiale est de travailler à une plateforme publique de téléchargement pour l’ensemble des œuvres culturelles, laquelle permettrait d’assurer aux auteurs et aux interprètes une juste rétribution.

Nous devons maintenant travailler dans la sérénité. Or, Monsieur le président, plus de 350 amendements ou sous-amendements ont été déposés. Allons-nous les examiner au pas de charge pour achever le débat dans la nuit, ou allons- nous au moins prendre le temps de la discussion ?

M. le Président – Je souhaite que le débat puisse se dérouler tout à fait normalement. Nous pourrions donc aller jusque vers deux heures du matin, et le poursuivre lorsque le Gouvernement l’aura décidé. Il n’est pas question de l’achever au pas de charge.

Je souhaite que nous débattions sur le fond, dans le respect mutuel. Je pense que c’est par des échanges approfondis que nous serons à la hauteur des attentes de nos concitoyens, une fois derrière nous le débat sur la procédure. Je vous invite à vous placer dans cet état d’esprit, et je donne la parole à M. Martin-Lalande, inscrit sur l’article.

M. Henri Emmanuelli - On ne vous demande pas de faire un sermon, mais de respecter les droits du Parlement ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – Vous n’avez pas besoin d’être systématiquement désagréable avec la Présidence…

M. Patrice Martin-Lalande – Dans ce contexte, je renonce à mon temps de parole.

M. Didier Mathus - Monsieur le président, vous n’effacerez pas les brutalités du Gouvernement en matière de procédure. Nous avons bien compris que l’UMP était en service commandé, ainsi que vous-même, pour sauver le soldat Donnedieu, mais tout de même, le parlementaire de qualité que vous êtes aurait pu nous épargner certains excès, qui ont conduit à ce spectacle pathétique d’une majorité recroquevillée sur elle-même pour tenter de sortir de ce mauvais pas. Sur un sujet comme celui-ci, l’Assemblée mériterait un autre traitement.

Pour en venir à l’article 2, le Gouvernement va donner à la France la transposition la plus répressive d’Europe de la directive, qui nous placera en matière de développement de l’internet quelque part entre la Chine et la Mongolie (Rires sur les bancs du groupe UMP). C’est pourtant la réalité ! Certains d’entre vous vont présenter tout à l’heure un « amendement Vivendi » visant à interdire les logiciels libres !

M. Bernard Carayon - Mais non ! Vous ne l’avez pas lu !

M. Didier Mathus – L’article 2 concerne les exceptions aux droits voisins. En un autre temps, en 1985, la copie privée avait été votée à l’unanimité à l’Assemblée. Mais il est vrai que nous avions alors un grand ministre de la culture…

M. Dominique Richard - …qui a brillé par son absence durant ce débat !

M. Didier Mathus - Avec la révolution numérique, la copie privée est devenue un droit, comme certains d’entre vous l’ont très justement noté. En effet, elle sanctifie l’élargissement des échanges de matière grise. À travers ce projet de loi, le Gouvernement la remet en cause en en proposant l’interprétation la plus restrictive possible. Depuis 1985, les industriels de la culture tentent d’obtenir la disparition de la copie privée et ils œuvrent en ce sens à Bruxelles alors que se tiennent des négociations sur la nouvelle version de la directive sur les droits d’auteur. Leur prêter main forte n’est pas une bonne action. Pourquoi ? Parce que contrairement à ce qui a été affirmé, point n’est besoin de sauver le marché du disque. Pour preuve, quelques chiffres. De 2003 à 2004, le résultat d’exploitation d’Universal Musique est passé de 70 à 338 millions d’euros. Les bénéfices réalisés par Warner Music se sont élevés à 36 millions de dollars en 2005. La même année, Sony BMG – cette société qui n’a pas hésité à verrouiller ses CD avec des DRM, potentiellement destructeurs pour les PC – a réalisé un bénéfice de 21 millions de dollars. EMI a également eu de bons résultats l’an passé.

M. Jérôme Lambert - Bref, les lobbies ne manquent pas d’argent !

M. Didier Mathus – Notre mission de députés n’est-elle pas de trouver un compromis entre les revendications de ces acteurs et l’intérêt général, celui des internautes ? Je me souviens de la devise romaine debellare superbos et parcere subjectis, combattre les puissants et épargner les faibles. Ce devrait être parfois celle des députés et de l'Assemblée nationale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Christian Paul - Monsieur le ministre, nous ne vous accompagnerons pas dans ce voyage au bout de nulle part que vous nous proposez avec constance depuis le mois de décembre. La voie que vous proposez est une impasse. Pour des raisons de forme et de fond, nous serons amenés à saisir le Conseil constitutionnel et nous réfléchissons à l’abrogation de ce texte dès la prochaine législature.

M. Jean-Charles Taugourdeau - Ah !

M. Christian Paul – Venons-en à la reconnaissance du téléchargement en tant que copie privée. Monsieur le ministre, dans une tribune publiée dans Le Figaro, vous avez déclaré : « Je veux un internet libre pour les consommateurs… » – or, il est furieusement verrouillé et l’est chaque jour davantage – « …et un internet équitable pour les artistes ». Ce que vous appelez ainsi s’apparente, je vais vous le montrer, à un « internet prédateur ». Pour les besoins de la démonstration, j’ai fait réaliser un schéma que je tiens à la disposition de l’Assemblée.

M. Jean-Charles Taugourdeau - J’espère que nous en avons un exemplaire dans chacun de nos casiers !

M. le Président – Vive les nouvelles technologies !

M. Christian Paul – Télécharger un morceau de musique coûte 99 centimes d’euros. Sur cette somme, 6 à 7 centimes sont versés aux auteurs, 3 à 4 vont à l’interprète principal mais rien aux accompagnateurs, 66 centimes au producteur et 16 centimes reviennent à l’État sous forme de la TVA. En effet, vous n’avez pas été capable d’abaisser la TVA à 5,5 % comme cela était demandé par toute la filière musicale…

M. Pierre-Christophe Baguet - Et l’UDF !

M. Christian Paul – 80 % de ce marché sont tenus par les plateformes commerciales, au premier rang desquelles iTunes d’Apple. Et, pour rentabiliser cette activité, Apple a créé l’iPod, le baladeur numérique. Double prédation sur la musique et le marché des baladeurs, qui s’exerce au détriment des artistes et des consommateurs. Vous plaidez avec une parfaite mauvaise foi depuis des mois pour la diversité…

M. le Ministre – Qui a gagné à l’UNESCO ?

M. Christian Paul - En France, ces plateformes musicales ont représenté 20 millions d’euros en 2005. Nous vous proposerons, par un amendement à l’article 2, un mécanisme de financement de la filière musicale par l’internet qui représente dix fois ce chiffre. Voilà le véritable enjeu ! De plus en plus d’artistes se rallient à cette suggestion. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les sociétés de gestion de droit ont intenté des procès ces dernières années aux plateformes.

M. Patrick Bloche – Cet article 2 me plonge dans la plus grande perplexité. Pourquoi ? Son titre, « exceptions aux droits voisins relatives aux dispositifs techniques provisoires ou au bénéfice des personnes handicapées » est la réplique exacte de celui de l’article premier, sauf qu’il concerne les droits voisins et non plus le droit d’auteur. Or, il se trouve que le Gouvernement, par l’amendement 272, a ajouté deux autres exceptions aux deux initialement retenues – l’une pour la reproduction provisoire présentant un caractère transitoire ou accessoire qui n’était pas nouvelle et l’autre en faveur des handicapés. J’en profite pour souligner combien nous regrettons que la France ait retenu l’interprétation la plus restrictive de la directive en Europe avec la Grèce. Le texte communautaire ouvrait la possibilité de dix-sept exceptions…

Mme Martine Billard - Vingt !

M. Patrick Bloche – Bref, vous avez ajouté une exception en faveur des bibliothèques et des services d’archives accessibles au public, utilement précisée par un amendement de l’opposition, et une autre en faveur de la presse dont nous serons amenés à reparler puisqu’elle fait l’objet de contestations en raison d’une concertation insuffisante.

Mais se pose un problème de cohérence entre l’amendement 272 voté cet après-midi qui comporte quatre exceptions et cet article 2 qui n’en comporte que deux – comme c’était le cas de l’article premier du texte dans sa version de décembre. Pourquoi les exceptions seraient-elles plus restrictives pour les droits voisins ? Cette incohérence est bien la preuve qu’il aurait fallu revoir tout le texte de manière approfondie. Quel amateurisme, Monsieur le ministre ! Vous n’avez même pas été capable d’adapter l’article 2 de façon à établir un parallélisme avec la nouvelle version de l’article premier.

M. Jean Dionis du Séjour - Quel nouveau modèle économique souhaitons-nous en matière de diffusion de la culture et de rémunération des créateurs ? Le débat ne se réduit pas à l’alternative caricaturale entre licence globale et plateformes payantes. Même s’il comporte une dimension d’échange gratuit, internet est aussi un espace marchand. Hélas, les plateformes commerciales actuelles sont trop chères et leur catalogue est trop limité. La répartition des droits aussi doit être revue dans le sens d’une plus grande équité. Et c’est tout à fait possible : preuve en est celle intervenue entre producteurs et diffuseurs pour le cinéma, aujourd’hui beaucoup plus équitable. Les frontières peuvent bouger, notamment du fait de la concurrence…

Mme Christine Boutin - Soyez sûr qu’elles bougeront.

M. Jean Dionis du Séjour - Plutôt que d’instituer une nouvelle taxe, on ferait bien de se préoccuper des conditions de concurrence entre les différentes plateformes.

La réponse au piratage réside dans la gestion des droits et les mesures techniques de protection. Il faut donc avancer dans cette voie, tout en garantissant le respect des logiciels libres. Nous y reviendrons. En matière de contrôle et de répression, il convient de prévoir des sanctions graduées tout en préservant les libertés individuelles. C’est tout cet ensemble, solide, de dispositions qui fonde un nouveau modèle économique de diffusion de la culture et auquel je donne, pour ma part, sans hésitation la préférence par rapport à la licence globale.

M. Christian Paul - Les plateformes commerciales actuelles d’internet sont prédatrices car c’est Apple seul qui a en fixé l’économie, alors qu’il se rémunère sur la vente de ses baladeurs numériques.

Mme Christine Boutin - L’amendement 219 substitue dans le premier alinéa de l’article L. 211-3 du code de la propriété intellectuelle le terme « titulaires » au terme « propriétaires ». Plus précise, cette formulation traduit une philosophie selon laquelle le titulaire du droit en est le détenteur et non pas seulement le bénéficiaire indirect.

M. Christian Paul - L’amendement 221 rectifié est identique. La loi doit reconnaître que le téléchargement relève de la copie privée. La jurisprudence tranche d’ailleurs en ce sens. C’est la preuve que les magistrats ont trouvé, eux, le bon point d’équilibre en tenant compte des évolutions de la société, contrairement au Gouvernement qui, aveugle à ces mêmes évolutions, privilégie une hyper-marchandisation de la culture. Internet ne sera demain équitable que si y est garantie une rémunération équitable aussi bien pour les interprètes que pour les auteurs, avec un prélèvement sur les fournisseurs d’accès et une participation des internautes.

M. le Rapporteur – Ces amendements se présentent tels des icebergs. Leur partie émergée n’a rien d’effrayant, avec la reconnaissance du droit à la copie privée – nous y reviendrons à l’article 8 du texte. Mais leur partie immergée est beaucoup plus redoutable, en ce qu’elle assimile le téléchargement à une copie privée, ce qui n’est pas acceptable. En effet, cela ruinerait les droits d’auteur et nuirait à la bonne exploitation des œuvres. Nous y sommes donc défavorables.

M. le Président – Je suis saisi par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public sur l’amendement 221 rectifié.

M. le Ministre – Le 20 octobre 2005, soit trois ans après la déclaration du Président de la République à Johannesburg, était adoptée à l’UNESCO la convention sur la diversité culturelle. Cela a été une grande victoire de faire reconnaître, après trois ans de travail, que les œuvres de l’esprit ne sont pas des marchandises comme les autres. Si dans les semaines à venir, l’Union européenne donne son aval au système d’aide français au cinéma, notamment aux crédits d’impôt prévus pour la production audiovisuelle et demain phonographique, nous le devrons à cette convention.

M. Christian Paul - Un peu de modestie, je vous prie !

M. le Ministre - Le mépris que vous affichez pour toute une partie de l’activité culturelle est édifiant.

M. Patrick Bloche - C’est honteux !

M. le Ministre – Dans l’activité culturelle, une part a trait à la liberté de l’esprit, une autre à l’activité économique. Et il ne faut négliger ni l’une ni l’autre.

S’agissant des nouvelles offres, la querelle n’oppose pas les Anciens et les Modernes. Chacun souhaite ici qu’une offre nouvelle se développe, pas nécessairement commerciale, mais légale. Ne caricaturez pas notre position en prétendant que nous privilégierions les aspects commerciaux. L’offre doit être la plus diversifiée possible. À cet égard, nous pouvons être fiers de l’accord profondément novateur conclu pour la VOD entre les fournisseurs d’accès à internet, le monde du cinéma et le monde de la télévision, qui respecte la chronologie des médias. Nous allons enfin passer d’une offre illégale, attractive de ce seul fait même, à une vaste offre légale, diversifiée et assurant une rémunération équitable des créateurs. Les deux amendements en examen dérivant, eux, du concept de licence globale, je ne peux qu’y être défavorable.

M. Patrick Bloche - Nul ne pourra contester ici que nous nourrissons le débat de fond. Mais pour qu’il y ait un réel débat de fond, encore faudrait-il que nous obtenions des réponses à nos questions. J’ai interrogé tout à l’heure le ministre sur l’incohérence entre l’amendement 272 et l’article 2. Monsieur le ministre, répondez-nous, ne serait-ce que par respect et fût-ce pour nous dire que le problème sera revu au Sénat ou ici en deuxième lecture, puisque vous vous êtes engagé à ce qu’il y en ait une. Répondez-nous, Monsieur le ministre !

M. le Ministre – Il n’y a pas de droits voisins pour les imprimés.

Mme Martine Billard - Je suis tout de même un peu étonnée. Que viennent faire la défense des droits des producteurs et la rémunération de l’ensemble de l’industrie du secteur culturel dans l’article 2 sur les droits voisins ? Et pourquoi ne retrouve-t-on pas en revanche, pour les droits voisins, l’exception dont bénéficient les bibliothèques pour les droits d’auteur ?

M. Patrick Bloche - Cela promet des contentieux !

Mme Christine Boutin - Vous savez tout le respect et toute l’amitié que j’ai pour vous, Monsieur le ministre, mais je dois vous dire que ce débat est pour nous très douloureux. Je vais me taire beaucoup, mais j’aurais beaucoup à dire ! Je n’ai pas compris votre réponse, ni celle du rapporteur. Quant à la querelle des anciens et des modernes, je crains qu’elle ne dure tout au long de ce débat, car les réponses que vous proposez sont adaptées aux règles du jeu du XIXe et du XXe siècles, pas à celles de l’internet et du numérique. Vous pensez contrôler internet ? Fadaises ! Je ne veux pas être complice de cette farce.

À la majorité de 42 voix contre 14, sur 56 votants et 56 suffrages exprimés, les amendements 219 et 221 rectifié ne sont pas adoptés.

Mme Christine Boutin – L’amendement 220 rectifié de M. Suguenot, que je soutiens, porte sur les articles relatifs aux exceptions du droit d'auteur et des droits voisins. Il ajoute, dans le paragraphe consacré à l'exception pour copie privée, une précision importante concernant les copies réalisées pour un usage privé par téléchargement sur internet. En conférant, sans équivoque possible, le bénéfice de l'exception pour copie privée aux copies réalisées par téléchargement sur les services de communication en ligne aux personnes physiques qui se sont acquittées de la rémunération due aux ayants droit, il transpose l'article 5.2.b de la directive du 22 mai 2001 et répond positivement aux critères du test des trois étapes.

Par ailleurs cet amendement entérine la position jurisprudentielle actuelle selon laquelle les copies privées réalisées par téléchargement sur réseaux peer to peer relèvent de l'exception pour copie privée. Il crée ainsi un espace de sécurité juridique pour les utilisateurs des réseaux numériques qui sont amenés à effectuer, volontairement ou involontairement, toutes sortes de reproductions d'œuvres protégées.

M. le Rapporteur – Cet amendement revient, pour les droits voisins, à la licence globale, à laquelle nous nous sommes opposés pour les droits d’auteur, d’une part parce que la licence globale serait en complète contradiction avec l’esprit de la directive, qui s’adapte à l’âge moderne, Madame Boutin, c’est-à-dire à l’âge du numérique, pas celui des mass médias ; d’autre part, parce que la France serait seule à adopter cette mesure ; enfin parce qu’un tel système ne prendrait pas en compte les artistes les moins importants.

M. le Ministre – Même avis défavorable.

M. Didier Mathus – Cet amendement s’inscrit dans une logique consistant à considérer le téléchargement sur internet comme de la copie privée, ce qui n’est rien d’autre que la jurisprudence actuelle. Le président de l’Union syndicale des magistrats disait il y a quelques mois que lorsqu’une partie de la société est hors-la-loi, c’est peut-être qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans la loi. Avec ce texte, le Gouvernement veut durcir le droit et rendre hors-la-loi toute une génération, celle qui découvre la culture sur internet. Ces millions de jeunes, vous voulez les pourchasser et les traiter en délinquants !

En décembre, Monsieur le ministre, vous nous vantiez avec le même lyrisme qu’aujourd’hui les mérites de la riposte graduée, que le monde entier allait nous envier. Deux mois et demi plus tard, elle est tombée aux oubliettes, mais vous revenez avec une variante reposant sur l’idée que les seuls téléchargements licites sont ceux contrôlés par les DRM.

La loi traduit toujours un rapport de forces. Nous voyons aujourd’hui clairement de quel côté penche la balance : du côté des gros industriels de la musique. Mais ce ne sera pas toujours le cas. Un jour ou l’autre, la société gagnera le droit à la connaissance et à la culture. Peut-être pas ce soir, mais peut-être dans un an ou deux. La société a droit au progrès technologique, elle le prendra tôt ou tard !

M. Frédéric Dutoit - Je suis très favorable à cet amendement, qui ouvre la porte à une rémunération des auteurs adaptée à la modernité.

Vous avez fait un effort sur les sanctions, Monsieur le ministre, entre décembre et aujourd’hui, mais votre idée reste toujours de ne pas considérer le téléchargement comme un moyen d’échange libre entre les internautes du monde entier, mais comme quelque chose qu’il convient de faire contrôler par les monopoles actuels. C’est un choix de société que vous faites. Pour autant, les téléchargements ne s’arrêteront pas, car, DRM ou pas, l’intelligence est du côté de la jeunesse. Votre texte est d’emblée obsolète !

Mme Martine Billard - Cet amendement serait utopique ? Mais c’est la transcription de l’article 5.2.b de la directive ! La France serait le seul pays à faire ce choix ? Malheureusement, elle va être le seul pays à ne pas transposer l’exception pédagogique ! Voilà qui n’a rien d’utopique, parce que cela va fragiliser notre enseignement et notre recherche. Enfin, on ne saurait pas sur quoi se fonder pour répartir la redevance perçue ? C’est faux ! Si les sociétés peuvent aujourd’hui savoir quels titres s’échangent en peer to peer, elles peuvent aussi les compter ! Si elles savent que les Bronzés 3 sont téléchargés, elles savent aussi combien de fois !

Je rappelle que ce fameux amendement a été voté le 21 décembre, par 22 membres de l’UMP, alors que 26 votaient contre et un s’abstenait. Ce qui prouve non seulement que ce n’est pas notre groupe qui a un problème d’unité, mais surtout que ce débat est transversal. Le problème est que nous allons être aussi, et c’est loin d’être utopique, l’un des rares pays de l’Union européenne à prévoir explicitement des DRM qui peuvent contrôler l’usage fait des œuvres, c’est-à-dire le nombre et la durée de l’usage. C’est un glissement inquiétant du droit d’auteur et de l’exception pour copie privée, qui jusqu’ici était reconnue dans notre droit. Sous le prétexte de transposer la directive, vous nous faites vivre une régression phénoménale de l’accès à la culture en France.

M. le Président – Pour vous Monsieur Paul, je vais déroger exceptionnellement à la règle des trois orateurs.

M. Christian Paul - Après le test en trois étapes, la règle des trois orateurs !

Le rapporteur a tout à l’heure colporté l’une de ces certitudes paresseuses que l’on entend depuis le mois de décembre sur la répartition du prélèvement : notre système ne permettrait pas de financer les talents émergents ni les producteurs innovants. Mais qu’en savez-vous ? Quand avons-nous eu, dans cet hémicycle ou en commission, s’il en est encore une, de débat sur ce point ? Car il s’agit d’une question essentielle pour tout système de gestion collective adapté à l’ère numérique.

La gestion collective n’est pas une nouveauté : si vous considérez que c’est une régression, il faut demander tout de suite à la Sacem et à la Spedidam de fermer leurs portes ! Nous vivons avec ces systèmes, même si nous savons qu’ils sont toujours perfectibles. Alors, comment pouvez-vous nous répondre ainsi ? C’est ce débat que nous souhaiterions avoir. Nous voudrions pouvoir présenter à l’Assemblée les moyens techniques qui existent, les systèmes des fonds de soutien pour les jeunes artistes ou les nouveaux producteurs. Là, nous parlerions de l’internet équitable.

M. le Rapporteur – Madame Billard, l’article 5.2.b indique que les États membres peuvent prévoir des exceptions aux limitations du droit de reproduction pour des reproductions effectuées sur tout support par une personne physique, pour un usage privé à des fins non commerciales. La copie privée est donc admise, ce qui n’implique nullement qu’elle soit assimilée au téléchargement ! C’est tout le fond du problème : vous essayez de faire croire qu’il y a identité entre téléchargement et copie privée.

Mme Christine Boutin - C’est la jurisprudence !

M. le Rapporteur – Cela ne peut d’ailleurs pas être la même chose, parce que l’on ne peut défendre la liberté des internautes que si l’on pose comme limite la liberté des artistes. Ceux-ci veulent-ils que leur œuvres puissent être utilisées librement ? Ils sont libres de refuser ! Or, le téléchargement illicite ne respecte pas cette liberté. Il n’y a de droit exclusif que lorsque les artistes le souhaitent. Tout à l’heure, nous avons adopté un amendement de Mme Marland-Militello nous rappelant que c’est à l’auteur de décider. Après tout, s’il décide que son œuvre peut être consultée de façon gratuite, libre à lui !

Monsieur Mathus, il n’y a pas deux types de progrès, le bon et le mauvais. Les DRM constituent un progrès, ne les diabolisez pas. Elles permettent une rémunération équitable, juste et personnalisée des droits d’auteur. D’ailleurs, la directive européenne institue en quelque sorte une protection juridique de ces DRM ! Ne gommez pas systématiquement l’objet même de la directive.

Mme Christine Boutin - Mais vous rêvez ! Vous êtes complètement en-dehors de la réalité !

M. le Rapporteur – Enfin, ce projet de loi a aussi pour objectif de mettre fin aux fluctuations de la jurisprudence. Il y a eu des arrêts extrêmement durs, comme ceux de Pontoise et de Vannes, et d’autres qui l’étaient moins, comme celui de Montpellier. Ne retenez pas que le dernier !

L'amendement 220 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Pierre-Christophe Baguet - Nous avions déposé l’amendement 103 avant d’avoir connaissance de l’amendement 272 du Gouvernement, qui traite du même sujet, mais nous le maintenons parce qu’il n’est pas entièrement satisfait. Notre amendement permettra de lever toute ambiguïté : il propose d’ajouter la promotion des expositions publiques d’œuvres, à l’exclusion de toute autre utilisation commerciale. Il permet ainsi de développer la notoriété des artistes et d’assurer la liberté de la presse, sans laquelle il n’y a pas de promotion de la culture. Cet amendement reprend largement la rédaction de la directive européenne.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Ce problème est en grande partie réglé par l’amendement 272. Surtout, nous sommes dans le domaine des droits voisins et je ne vois pas très bien comment une exposition pourrait concerner des droits voisins.

M. le Ministre – L’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle institue une exception au droit d’auteur, très encadrée, au profit des reproductions d’œuvres destinées à figurer dans le catalogue d’une vente judiciaire, dans le seul but de décrire les œuvres mises en vente. Cette exception est justifiée par la qualité d’officiers ministériels des commissaires-priseurs. La situation est tout à fait différente s’agissant de la promotion des expositions publiques, qui ont un but lucratif et mettent en cause les intérêts légitimes des auteurs. Je suis donc défavorable à cet amendement, sachant que tout le volet relatif à la publicité des auteurs a été réglé par l’amendement 272.

M. Jean Dionis du Séjour – Cet amendement ne fait que reprendre un point de la directive, et il ne peut pas être nuisible : il s’agit de faire venir les gens dans les musées ! Il ne s’appliquera que dans des cas isolés. C’est un bon petit amendement, qui ne risque pas de créer de drame pour les ayants droit !

M. le Président – Je vais mettre aux voix ce bon petit amendement. (Sourires)

L'amendement 103, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L’amendement 20 est retiré.

M. Didier Mathus - L’amendement 131 est de conséquence : il visait à supprimer un alinéa, mais il est si difficile d’y voir clair dans l’état actuel du texte, puisque le vice-président de la commission des lois a refusé d’organiser une réunion, que nous ne savons même pas s’il y a encore lieu d’en discuter ou non. Je demande donc une réunion de la commission afin que nous puissions mettre les amendements à plat et travailler efficacement pendant le reste de la nuit.

M. le Rapporteur – Cet amendement, comme vous ne l’avez pas expliqué, vise une fois de plus à remettre en cause le test en trois étapes qui est essentiel au projet de loi et à la directive européenne. Bref, c’est aujourd’hui un élément incontestable de notre droit et le remettre en cause serait hypocrite.

M. Christian Paul - Vous vous plaisez à le répéter mais vous ne l’avez pas démontré.

M. le Ministre – Avis défavorable.

Mme Martine Billard - Sans doute M. le rapporteur fait-il une erreur de lecture ou une confusion entre les alinéas car tout ceci n’a rien à voir avec la transposition de la directive sur le droit d’auteur. Je voterai l’amendement 131.

L'amendement 131, mis aux voix, n'est pas adopté.
L'article 2, mis aux voix, est adopté.

M. le Président – Je rappelle que les articles 3, 4 et 5 ont été adoptés lors de l’examen du texte qui a eu lieu en décembre 2005.

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MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le Président – M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement m’a informé que la discussion du projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information se poursuivrait mardi, mercredi et jeudi prochains, lors des séances de l’après-midi et du soir. La suite de la deuxième lecture du projet de loi relatif aux offres publiques d’acquisition aura lieu jeudi 16 mars après-midi. Bien entendu, le vote solennel sur le présent texte est reporté à une date ultérieure.

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DROIT D’auteur et droits voisins
dans la société de l’information (suite)

M. Christian Paul – Pour tous ceux qui persistent à penser que, même à partir d’un très mauvais projet, il faut faire en sorte que le texte le moins fâcheux possible soit adopté par la majorité, cette respiration dans le travail parlementaire est bienvenue. Puissions-nous mettre à profit les séances supplémentaires qui nous sont ainsi octroyées pour faire évoluer le projet sur les enjeux essentiels, qu’il s’agisse de l’avenir d’internet, du développement des logiciels libres ou des sanctions éventuellement encourues par les internautes – ce dernier point étant, dans la rédaction actuelle, particulièrement incompréhensible. J’espère que nous allons parvenir à des solutions plus sages !

M. le Président – Nous en venons aux amendements après l’article 5.

APRÈS L'ART. 5

M. le Rapporteur – Je défendrai ensemble les amendements 25 et 23 rectifié, le premier étant, par anticipation, de coordination avec le second. En vue de conforter le maintien de la copie privée et de la rémunération qui en constitue la contrepartie, il est souhaitable d’inscrire dans la loi que cette rémunération évoluera pour tenir compte du développement des mesures de protection – visant précisément à limiter les copies – et de leur incidence probable sur le comportement des consommateurs. Tel est l’objet de l’amendement 23 rectifié, lequel – il me semble utile de le préciser – ne tend pas du tout à faire disparaître la rémunération pour copie privée.

J’indique par ailleurs à Mme Billard que les droits voisins entrent dans le champ de la directive.

Mme Martine Billard - Mais non !

M. le Ministre – Avis favorable à l’amendement 25.

M. Didier Mathus - Le rapporteur a évoqué la redevance pour copie privée, qui a rapporté près de 200 millions en 2005 via la taxe sur les supports vierges, ce produit permettant de rémunérer les artistes et de financer le spectacle vivant. En réduisant la possibilité de copier, le présent texte va progressivement assécher cette source de financement, et il faut se demander si le consommateur acceptera, en payant la possibilité d’exercer un droit de plus en plus limité, de perdre sur tous les tableaux !

Mme Christine Boutin - Les consommateurs n’accepteront plus d’acquitter la taxe !

M. Didier Mathus - Dans votre course audacieuse pour suivre les majors du disque, vous allez perdre en chemin le consommateur ! Quelles sont vos véritables intentions ? N’envisagez-vous pas de supprimer la redevance pour copie privée ?

Mme Christine Boutin - Excellente question.

M. Christian Paul - Vous ne pourrez pas tout à la fois consteller l’univers culturel de DRM, appliquer le test des trois étapes qui vous est si cher et maintenir à niveau constant le produit de la redevance pour copie privée. Le jour semble proche où le droit à copie privée sera très restreint, et il est alors évident qu’en dépit de vos grandes déclarations à l’UNESCO sur la diversité culturelle, vous serez pris en flagrant délit de contrefaçon ! Les ressources tirées de la redevance pour copie privée constituaient l’une des dernières sources de financement de la culture échappant partiellement aux lois du marché. En les asséchant, vous ajoutez un manque à gagner de l’ordre de 200 millions au manque à gagner de même montant dû à votre refus obstiné de mettre à contribution les fournisseurs d’accès : au total, vous privez nos industries culturelles de quelque 400 millions. Je souhaite que les chiffres de ce préjudice colossal cheminent dans l’esprit des artistes, à l’endroit desquels vous menez une entreprise de désinformation permanente.

L'amendement 25, mis aux voix, est adopté.

M. Jean Dionis du Séjour – L’amendement 175 transpose intégralement l’article 5.2.b de la directive du 22 mai 2001, afin que la rémunération prenne en compte les incidences éventuelles sur les usages des consommateurs de l’utilisation effective des mesures techniques de protection. S’il convient d’affirmer le droit à copie privée, il serait naturel que l’assiette de la redevance pour copie privée évolue, pour tenir compte notamment de l’émergence des plateformes marchandes. On ne peut pas s’en tenir indéfiniment à des outils qui avaient été créés pour les cassettes audio et pour les VHS des années 1980 !

M. Henri Emmanuelli - Et par quoi les remplace-t-on ?

M. Jean Dionis du Séjour - J’ai évoqué la possibilité de mettre à contribution les plateformes marchandes. Il faut envisager des solutions d’avenir.

M. le Rapporteur – J’ai déjà exposé l’amendement 23 rectifié. Il ne diffère guère sur le fond de l’amendement 175, mais sa rédaction me paraît meilleure : il emploie le terme « mentionner » plutôt que « viser » et se rapporte à l’article 311-4 et non pas au 311-3.

M. le Ministre – Je suis favorable à l’esprit de l’amendement 175, mais la rédaction de l’amendement 23 rectifié répond mieux à ses préoccupations.

M. Jean Dionis du Séjour - S’il est mieux rédigé, je retire donc l’amendement 175.

M. Richard Cazenave - Je rappelle que nous sommes tous favorables à la copie privée. L’exception pour copie privée, ainsi que le droit à la copie privée seront réaffirmés par amendement.

M. le Rapporteur – C’est vrai !

M. Richard Cazenave - La représentation nationale manifestera ainsi sans ambiguïté sa volonté de préserver le droit à la copie privée.

Nous débattrons aussi du collège des médiateurs, car le droit à la copie privée doit être appliqué avec souplesse selon les supports.

M. Christian Paul - C’est si rassurant !

M. Richard Cazenave – Il faudra en tirer les conséquences sur la redevance.

Je constate d’ailleurs que nos collègues socialistes, qui soutenaient une redevance optionnelle sur la licence globale, se sont rendu compte qu’elle supposait le flicage de tous les internautes et l’ont donc transformée en redevance obligatoire – c’est-à-dire un nouvel impôt sur les internautes.

M. Christian Paul - C’est que nous avons réfléchi au cours de ces deux mois et demi !

M. Richard Cazenave – Chacun sait désormais que la licence globale est un leurre sympathique. Cessez donc de critiquer la transposition de la directive qui nous contraint à la mise en place des mesures techniques paritaires – dont nous essayons par ailleurs de limiter les effets – alors que vous ne proposez aucune autre solution crédible !

Mme Christine Boutin - Trouvons autre chose !

M. Richard Cazenave – Oui, autre chose que de simples slogans ! Je tiens à dénoncer la posture de ceux qui refusent de prendre la responsabilité de la transposition d’un texte international !

M. Patrick Bloche - Que les choses soient claires : nous souhaitons transposer cette directive !

M. le Rapporteur – Et la vider de sa substance !

M. Patrick Bloche - Pas du tout ! Nous respectons même mieux que vous l’équilibre fragile qu’elle prévoit entre MTP et copie privée !

M. Richard Cazenave – Avec quelles solutions ?

M. Patrick Bloche - C’est vous qui créez un déséquilibre en limitant le nombre d’exceptions au détriment de la copie privée et au bénéfice des MTP, dont nous demandons pourtant le strict contrôle au nom des libertés publiques ! Nombre d’entre elles sont en effet une intrusion dans notre vie privée.

M. Richard Cazenave – C’est un peu court !

M. Patrick Bloche - Lors de la négociation de la directive à Bruxelles, le gouvernement de M. Jospin s’est battu pour préserver cette copie privée, fondatrice de notre exception culturelle. De même, nous nous battrons longtemps pour la protéger, car elle garantit l’accès du plus grand nombre à la culture et à la connaissance.

Le débat de fond nous a amenés à poser des questions qui sont restées sans réponse. Nous avons évoqué la rémunération pour copie privée provenant de la taxation du support vierge. Or, avec votre dispositif, les consommateurs, pourtant incapables de copier, seront néanmoins taxés sur ces supports ! La rémunération pour copie privée va donc, à terme, s’amenuiser. Ainsi, la Cour de cassation a arrêté l’impossibilité de copier des DVD, alors que les DVD vierges sont taxés : qu’en pense M. le ministre ?

M. Richard Cazenave - Vous ne proposez pas de solution !

Mme Martine Billard - L’amendement 23 remet en cause la rémunération pour copie privée. Celle-ci est pourtant fondamentale, car elle sert non seulement à rémunérer les artistes, mais aussi, pour un quart, à financer le spectacle vivant, et ce alors que le budget de la culture augmente peu !

M. Christian Paul - Il diminue !

M. le Ministre – C’est faux !

M. Christian Paul - Pas pour le spectacle vivant !

Mme Martine Billard – On ne peut pas réduire cette source de financement sans proposer de solution alternative, au risque de menacer le spectacle vivant en France. La commission sur la rémunération pour copie privée s’est d’ailleurs posée la question de ce droit à la rémunération lors de sa dernière réunion. En outre, le représentant de Business Software Alliance rappelle que le législateur a lié les deux mécanismes de dérogation aux droits exclusifs et de rémunération pour copie privée. On ne peut donc pas trancher ce débat de fond au détour d’un amendement, surtout si l’on ne propose rien d’autre !

Le groupe UDF propose de réfléchir à la taxation sur les plateformes payantes – auxquelles on pourrait ajouter les téléphones portables, qui génèrent d’importants revenus sur la musique aujourd’hui.

M. Jean Dionis du Séjour - Oui, pourquoi pas !

Mme Martine Billard - Malheureusement, en l’absence de mission d’information et en l’état actuel du texte, nous en sommes encore loin !

M. Christian Paul - A ma connaissance, Monsieur Cazenave, nous n’avons encore jamais eu de débat sérieux sur la perception de ce prélèvement ! Vous parlez de nouvelle taxe sur le consommateur : pourquoi ne pas envisager un prélèvement sur le fournisseur d’accès, à moins que cela ne soit tabou, et que vous vouliez les en exempter ? Ils ont pourtant largement profité, lors de l’essor du haut débit, de la publicité qu’ils firent pour le téléchargement sans se préoccuper de savoir s’il était légal ou non ! Mais tous les prélèvements semblent pour vous concerner les internautes. Pas pour nous ! Le débat sur le prélèvement, sa perception et sa répartition serait utile à la culture et à la musique – dont le budget décroît cette année. Cette loi nous offre une occasion de débattre du financement de la culture, mais le Gouvernement est gêné par le débat sur les intermittents, gêné encore par la paupérisation de son budget et gêné enfin par son absence de réflexion sur la manière dont l’internet peut financer la musique – à l’exception des sacro-saintes plateformes commerciales !

L'amendement 23 rectifié, mis aux voix, est adopté.

M. le Président – Nous en arrivons à plusieurs amendements pouvant être soumis à discussion commune.

Mme Christine Boutin - Je soutiens l’amendement 185 rectifié de M. Suguenot, qui a pour objectif de rémunérer les ayants droit pour les copies privées sur les réseaux peer to peer.

M. le Président – J’informe l’Assemblée que sur le vote du sous-amendement 323 à cet amendement 185 rectifié, je suis saisi par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public.

M. Didier Mathus - Ce sous-amendement vise à lever toute ambiguïté de rédaction, mais j’ai bien compris que le rapporteur et le ministre émettraient un avis défavorable.

La redevance pour copie privée est un sujet d’une acuité toute particulière, sur lequel les associations de consommateurs se sont exprimées hier. Il était possible de transposer la directive en considérant le téléchargement par internet comme une copie privée. Vous voulez poser une interdiction assortie de contraventions, et paradoxalement continuer à percevoir une taxe sur les supports vierges ! Cela mérite clarification… Quel est l’avenir de la redevance pour copie privée ? Allez-vous faire disparaître cette taxe, avec ce que cela implique pour le financement de la diversité culturelle ? Les consommateurs n’accepteront pas d’être perdants sur tous les fronts à la fois…

M. le Rapporteur – On nous propose d’élargir l’assiette de la rémunération pour copie privée par un prélèvement obligatoire sur les abonnements à internet. Celui-ci s’appliquerait donc aussi à ceux, très nombreux, qui ne téléchargent rien. Cela irait aussi à l’encontre de toutes les mesures qui ont été prises pour développer les plateformes légales. Avis défavorable, donc, tant au sous-amendement qu’à l’amendement.

M. le Ministre – De même. En ce qui concerne le financement, je vous ai déjà cité le cas de l’industrie cinématographique, qui va bénéficier d’un financement novateur par la vidéo à la demande. Ce sont les fournisseurs d’accès à internet qui paieront.

M. Christian Paul - Et pour la musique ?

M. le Président – Nous en venons aux autres amendements en discussion commune.

Mme Christine Boutin - Je défends l’amendement 183 de M. Suguenot. La copie privée par téléchargement ou reproduction, que ce soit à partir de radio en ligne ou d’échanges entre particuliers, n’entraîne actuellement aucune rémunération des ayants droit. Il est de la responsabilité du législateur de mettre fin à cette situation.

M. Patrick Bloche - Notre amendement 187 tend lui aussi à permettre la perception d’une rémunération pour copie privée auprès des fournisseurs d’accès à internet. Nous nous interrogeons sur votre refus insistant qu’internet, qui a tant profité des contenus culturels pour remplir ses tuyaux et ainsi assurer son développement, contribue au financement de la culture – de même que la télévision finance désormais le cinéma…

Dans le dispositif que nous vous proposons par cet amendement, le public peut choisir ou non de bénéficier de l’exception pour copie privée pour les actes de téléchargement d’œuvres qu’il effectue sur les réseaux de communication en ligne. Il en bénéficie s’il accepte de s’acquitter de la rémunération pour copie privée auprès de son fournisseur d’accès. Bien sûr, les personnes n’ayant pas opté pour ce régime qui continuent à télécharger des fichiers protégés s’exposent aux sanctions pour contrefaçon.

M. Christian Paul - Notre amendement 94 rectifié va dans le même sens.

La notion centrale qui a fondé la redevance pour copie privée, lors de sa création il y a une vingtaine d’années, c’est l’existence d’un préjudice. En empêchant la copie privée, on va se priver de moyens qui ont vraiment permis, à hauteur de 200 millions par an, de soutenir la création et la diversité culturelle, notamment dans le domaine musical. Et ce n’est pas, Monsieur le ministre, avec votre budget, dont les crédits d’intervention fondent comme neige au soleil, en particulier dans le domaine du spectacle vivant, que l’on compensera cet assèchement…

Nous considérons qu’une rémunération prélevée auprès des fournisseurs d’accès est une nécessité. Pour l’UMP, c’est visiblement un tabou : on ne touche pas aux fournisseurs d’accès… Vous devrez vous en expliquer devant le pays, mes chers collègues.

M. le Rapporteur – La commission a émis un avis défavorable aux amendements 185 rectifié, 183, 187, 94 rectifié et 184 ainsi qu’au sous-amendement 323 dont la logique est similaire. Ils visent à confondre téléchargement et copie privée et à réintroduire la licence globale, c’est-à-dire une forme de rémunération des artistes à partir de téléchargements illicites.

M. Henri Emmanuelli - Pas illicites !

M. le Rapporteur – La technique permet aujourd’hui une rémunération fondée sur des téléchargements licites à partir des plateformes légales.

Par ailleurs, élargir l’assiette de la rémunération pour copie privée aux abonnements sur internet pose problème. D’une part, parce que vous confondez musique et cinéma. Au risque de me répéter, je rappelle que le délai entre la sortie d’un film en salle et sa disponibilité sous forme de cassette vidéo, de DVD ou de fichier est vital pour l’industrie cinématographie. Piller le film à la source, c’est tuer le cinéma ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Pierre-Christophe Baguet - Exactement !

M. le Rapporteur – D’autre part, parce qu’adopter la licence légale, ce serait remettre en cause l’exception française…

M. Patrick Bloche – Non, c’est vous qui la tuez !

M. le Rapporteur - …c’est-à-dire une conception du droit d’auteur personnaliste, associant le droit moral et le droit patrimonial, au profit du collectivisme ! (Protestations sur les bancs de l’opposition)

Mme Christine Boutin – C’en est trop !

M. le Ministre - À l’instar de M. Cazenave, je tiens à rappeler que nous débattrons du droit à l’exception pour copie privée à l’article 8 ainsi que des questions liées au financement. Monsieur Paul, s’agissant du financement de l’État au spectacle vivant…

M. Christian Paul - Moins 8 % !

M. le Ministre - …il a augmenté de 17 % entre 2001 et 2006.

M. Patrick Bloche - C’est faux ! Il n’y a plus que les collectivités territoriales pour financer le spectacle vivant.

M. le Ministre – C’est encore insuffisant, j’en suis conscient mais les DRAC n’ont pas eu à subir de mise en réserve sur le spectacle vivant.

M. Patrick Bloche - Les DRAC désertent les tables rondes organisées par les collectivités !

M. le Ministre - Par conséquent, avis défavorable aux différents amendements.

M. Hervé Morin - Dans sa sagesse, le Gouvernement a décidé de consacrer les trois jours de la semaine prochaine au débat sur le droit d’auteur. Afin que celui-ci se déroule dans de bonnes conditions, je demande la vérification du quorum sur le vote du sous-amendement 323, conformément à l’article 61 du Règlement.

Mme Christine Boutin - Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour – Revenons un instant au débat. Qu’est-ce que la redevance pour copie privée ? C’est une rémunération complémentaire pour les auteurs et les ayants droit. Selon certains, l’apparition des DRM, qui sont bien des outils de gestion des droits et non des mesures techniques de protection, va entraîner mécaniquement la diminution de cette redevance. Mais quel est le véritable manque à gagner ? Aujourd’hui, 5 % seulement des téléchargements sont réalisés à partir de plateformes commerciales. Nous devons organiser tranquillement le basculement des internautes vers les plateformes commerciales pour mieux rémunérer les artistes.

M. Didier Mathus - Bayrou a dit exactement le contraire !

M. Richard Cazenave - Hollande s’est prononcé contre la licence légale !

M. Jean Dionis du Séjour - Bayrou pense ce qu’il veut ! Quant aux moyens de la culture, nous vous proposerons de porter la part de la rémunération pour copie privée destinée à financer la création de 25 à 30 %.

M. Didier Mathus - Monsieur le rapporteur, tant que cette loi n’est pas votée, il n’y a pas lieu de distinguer entre le téléchargement licite et illicite. Avant l’adoption de cette loi, la question n’est pas tranchée. Vous auriez donc tout intérêt à parler plutôt de téléchargement commercial avant que l’Assemblée ne se sacrifie bientôt avec discipline au veau d’or que sont les nouvelles plateformes commerciales, Virgin, Fnac et iTunes. J’insisterai sur l’importance de l’amendement 94 rectifié. Par votre hostilité brutale à la licence globale, vous interdisez aux internautes de participer au financement de la culture. Nous proposons donc une autre solution : l’extension du financement au titre de la copie privée aux fournisseurs d’accès.

M. Jean Dionis du Séjour - Et pourquoi pas à l’industrie automobile et ferroviaire !

M. Didier Mathus - C’est une grande tradition de l’exception culturelle française que de faire participer les tuyaux au financement du contenu ! Monsieur le ministre, allez-vous sanctuariser tous les opérateurs privés qui tentent de verrouiller internet ? Ou êtes-vous prêt à ce que les nouvelles technologies participent au financement de la culture ?

M. le Ministre – Confer l’accord sur la VOD !

Mme Christine Boutin – Je ne peux accepter que le rapporteur qualifie la licence globale de solution « collectiviste » ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste) J’appartiens au groupe de l’UMP et je sais ce que signifie ce terme. La licence globale est un système de gestion collective. C’est totalement différent. La SACEM, c’est aussi du collectivisme ?

M. le Rapporteur – La sainte alliance est en marche !

M. Richard Cazenave – Le prélèvement sur les fournisseurs d’accès, c’est le retour de la licence globale obligatoire, j’y insiste, car vous n’allez pas demander aux fournisseurs d’accès de « fliquer » les internautes ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Christian Paul - Non, il s’agit de prélever tous les fournisseurs d’accès !

M. Jean Dionis du Séjour - C’est comme la taxe sur les billets d’avion de Chirac !

M. Richard Cazenave – Cette solution, vous êtes seuls à la défendre, même à l’intérieur de votre parti. C’est une rustine…

Mme Christine Boutin - Non !

M. Richard Cazenave - …qui ne permettra pas de protéger le droit d’auteur (Même mouvement)

M. Henri Emmanuelli - Caricature !

M. Richard Cazenave - On ne finance pas la culture avec des aumônes ! (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Christine Boutin – Ça suffit !

M. Patrick Bloche - Je ne veux pas que ce débat se conclue sur les contrevérités que vient d’asséner M. Cazenave. L’amendement 94 rectifié a été déposé en mars, il est donc nouveau, et vise à faire participer internet au financement de la culture. Nous prenons acte que la majorité refuse cette solution !

M. Richard Cazenave – Vous savez comme moi que les fournisseurs répercuteront cette charge sur les consommateurs ! C’est une solution hypocrite !

M. le Président – Je suis donc saisi par le président du groupe UDF d’une demande faite en application d’article 61 du Règlement tendant à vérifier le quorum avant de procéder au vote sur le sous-amendement 323. Je constate que le quorum n’est pas atteint. Compte tenu de l’heure, ce vote est renvoyé à la reprise de la discussion du projet de loi, le mardi 14 mars après-midi.

Prochaine séance, mardi 14 mars, à 9 heures 30.
La séance est levée le vendredi 10 mars à 0 heure 30.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Catherine MANCY

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Ordre du jour
du MARdi 14 mars 2006 (*)

NEUF HEURES TRENTE - 1re SÉANCE PUBLIQUE

Discussion de la proposition de résolution (n° 2923) de M. Alain BOCQUET et plusieurs de ses collègues sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur.

Rapport (n° 2939) de M. Alain BOCQUET au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

QUINZE HEURES - 2e SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi (n° 1206) relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information.

Rapport (n° 2349) de M. Christian VANNESTE, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

VINGT ET UNE HEURES TRENTE - 3e SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

(*) Lettre de M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement en date du jeudi 9 mars 2006.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.
Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.
www.assemblee-nationale.fr

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