Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (session ordinaire 2005-2006)

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit

Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

3ème séance du mardi 2 mai 2006

Séance de 21 heures
86ème jour de séance, 203ème séance

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann
Vice-Président

Consulter le sommaire

La séance est ouverte à vingt et une heures.

Retour au haut de la page

immigration et intégration (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration.

question préalable

M. le Président - J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

Je vous rappelle que la Conférence des présidents a fixé à trente minutes la durée maximale de l’intervention.

M. Serge Blisko – C’est avec tristesse et angoisse que nous considérons ce projet. La question préalable vise à savoir s’il y a lieu de délibérer, comment et sur quoi : je pourrais aller droit au but en disant qu’il faut rejeter ce texte dans la mesure où il s’appuie sur des analyses fausses et sur une idéologie troublante, mais je vais essayer de vous en convaincre.

Ce projet vise d’abord à servir vos intérêts électoraux en instrumentalisant la question de l’immigration. Vous manquez d’ailleurs d’imagination, y compris dans les slogans : M. Sarkozy disait récemment que, si certains n’aiment pas la France, ils ne doivent pas se gêner pour la quitter. Ce n’est que la traduction de l’antienne de la vieille droite réactionnaire américaine : « America : love it, or leave it. » Vous n’avez rien inventé, certes, mais vous attisez la xénophobie en développant le mythe de l’étranger délinquant, fraudeur, voire criminel. Or, il n’est rien de pire que de jouer avec les fantasmes et les peurs.

Néanmoins, ce projet marque aussi un changement radical en ce qu’il aggrave la perception que l’on peut avoir de l’immigration et des immigrés. Or, ce n’est pas seulement une carrière ou un score dans les sondages qui sont en jeu, mais la vie de dizaines de milliers de personnes.

Ce texte se caractérise par une obsession du chiffre qui ne repose sur rien : ni bilan, ni études, ni perspectives, ni écoute, alors que ce domaine est particulièrement controversé. Les décrets d’application de la première loi du 26 novembre 2003 ne sont pas encre tous promulgués et vous modifiez déjà votre perspective ! Or, nous n’avons trouvé nulle part d’explication convaincante à cette 71e révision de l’ordonnance de 1945 sur l’entrée et le séjour des étrangers.

Ce projet n’a en outre fait l’objet d’aucune concertation. Le ministère des affaires sociales, bien que premier concerné par la réforme des centres d’accueil pour demandeurs d’asile, n’a ainsi eu son mot à dire que très tardivement. La commission nationale consultative des droits de l’homme, elle non plus, n’a pas été consultée alors que M. Raffarin avait assuré qu’elle serait saisie de tous les projets du Gouvernement dès lors qu’ils auraient une incidence directe sur les droits fondamentaux reconnus par les lois et les traités internationaux ratifiés par la France. En 2003, la CNCDH s’était d’ailleurs autosaisie et avait estimé que « l’on ne saurait borner la politique d’immigration à sa seule dimension policière tant il est vrai que le développement des flux migratoires est naturel dans un monde de plus en plus globalisé ». La commission s’était également interrogée sur la pertinence d’une approche qui tiendrait pour acquise la liberté des échanges commerciaux et financiers tout en astreignant les hommes à résidence dans leurs propre pays. Elle avait enfin relevé la présence d’une « suspicion » trop fréquente à l’égard des étrangers, ainsi qu’un manque criant de moyens administratifs.

Votre projet ne tient pas compte non plus des recommandations du rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur l’immigration clandestine. M. le ministre dira que c’est le 29 mars 2006 que votre texte a été présenté en conseil des ministres et que le rapport est arrivé le 7 avril, mais ne pouvait-on attendre huit jours ? M. le rapporteur, lui, a beaucoup consulté les organisations syndicales et les associations, je le reconnais…

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois Merci.

M. Serge Blisko - …mais le projet n’en a guère été modifié.

Concernant votre obsession comptable, vous prétendez que les résultats en matière de lutte contre l’immigration clandestine sont bien meilleurs depuis 2003 puisque le nombre de reconduites à la frontière a augmenté. Mais ces chiffres sont spécieux car la moitié de ces reconduites se font à partir de départements, territoires ou collectivités d’outre-mer. Les problèmes, en outre, ne se résolvent pas en augmentant le nombre de personnes que l’on met dans un avion. Lors des émeutes urbaines de novembre, vous avez dit que 120 étrangers, en situation régulière ou non, devaient être condamnés pour violence et seraient passibles d’une mesure d’expulsion. Finalement, un seul jeune a été expulsé.

M. Bernard Roman - Nous attendons les explications du Gouvernement !

M. Serge Blisko - Encore un effet d’annonce ! De même, nous n’avons aucune idée de ce qu’est cette fameuse pression migratoire. On parle de 200 000 à 400 000 étrangers en situation irrégulière que la France, selon vous, ne pourrait accueillir. Mais l’irrégularité n’est pas la clandestinité : l’administration a simplement du retard pour convoquer un certain nombre de personnes, la durée de validité de leurs papiers expire alors et elles se retrouvent en situation irrégulière sans avoir rien fait d’irrégulier.

M. René Dosière - Et elles ne sont que 0,5 % !

M. Serge Blisko – J’ajoute que la France compte entre 6 % et 7 % d’étrangers depuis plus de trente ans et que ce chiffre est inchangé. Mais derrière les chiffres, il y a des situations humaines : les individus et les familles ne sont pas des pions ! On bafoue ainsi des principes républicains, on nie le droit d’une famille à vivre ensemble, on multiplie les obstacles ! Derrière le terme de « regroupement familial », il faut voir le mal vivre de familles séparées. On déstabilise la cellule de base de la société ! On expose à la marginalité des enfants déracinés ! Les église chrétiennes ont considéré elles aussi qu’en désignant l’immigration familiale comme une immigration subie, vous faites le malheur de ces familles et vous bafouez les principes humanistes.

Vous êtes également obsédés par la classification des étrangers. Un stagiaire ou un étudiant, par exemple, sont assez bons pour bénéficier de la carte compétences et talents. Mais cette hiérarchisation est inacceptable et absurde ! On tente de concilier les phobies de l’extrême droite et un point de vue libéral qui vise à répondre aux besoins de main-d’œuvre des entreprises françaises.

Pensez-vous vraiment qu’en donnant l’image d’une France refermée sur elle-même, soupçonneuse et bureaucratique, vous allez la rendre attractive ? Soyez assurés que les étrangers talentueux choisiront plutôt le Canada, ou n’importe quelle autre destination riante et sympathique ! En outre, le système que vous mettez en place est totalement stupide. Dans votre liste des professions déficitaires que vous ouvrez aux ressortissants de l’Europe de l’est, on trouve les compétences et talents des ingénieurs atomistes et des médecins de haut niveau, mais aussi des laveurs de carreaux !

M. Jean-Pierre Brard - Pour laver les carreaux de l’UMP ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Serge Blisko – Avec les tours de bureaux qui se construisent, soyez sûrs que nous aurons besoin de laveurs de carreaux. Allez-vous réellement leur délivrer une carte compétences et talents ? Heureusement que le ridicule ne tue pas…

Enfin, que fait-on des compétences et talents qui sont déjà en France, ceux qui ne trouvent pas leur place, ceux qui ont le droit d’être médecin dans nos hôpitaux, sous-payés, mais pas ailleurs, même s’ils ont un diplôme français ? On les déclarera très utiles, mais ils n’auront pas droit à la carte compétences et talents parce qu’ils seront arrivés avant la promulgation de la loi ! Cette distinction crée une situation pernicieuse et inégalitaire.

Cet utilitarisme sans principes est une idéologie dangereuse, qui ne répond en rien à la problématique mondiale de l’immigration. On joue sur les peurs, sur les fantasmes : délinquant, criminel, fraudeur… telle est l’image de l’immigré que vous véhiculez. En particulier, vous ne faites toujours pas de distinction entre demandeur d’asile et immigré. C’est extraordinaire ! Le droit d’asile est reconnu par la Constitution et par la convention de Genève du 28 juillet 1951. Il est imprescriptible et ne peut être en aucun cas soumis à des aléas financiers, ou révisé dans une perspective sécuritaire et répressive. Les dossiers doivent être traités rapidement et avec humanité, pour que les demandeurs soient fixés dans des conditions convenables. Mais arrêtons de penser que nous sommes menacés par une invasion de demandeurs d’asile ! Leur nombre ne cesse de diminuer dans notre pays, et 60 % des demandeurs sont accueillis dans des pays bien plus pauvres que le nôtre. Dans les seuls pays d’accueil européens, la France se classe au dixième rang ! Où est la menace ? Il n’y a pas d’afflux massif, pas de fraudeurs mais simplement des réfugiés qui fuient une situation difficile et dont le dossier est examiné en toute sévérité par l’OFPRA et la commission des recours.

M. le Rapporteur – Et en toute honnêteté.

M. Serge Blisko - J’en suis témoin, quand ils accordent des moyens suffisants à chaque dossier. Mais ne mettez pas la pression sur l’Office pour qu’il fasse du chiffre !

Arrêtez donc de propager le mythe de l’étranger profiteur d’une France trop généreuse : ce discours ne peut provoquer que haine et incompréhension. Ce texte ne marque pas un équilibre entre utopistes et extrême droite : il penche terriblement d’un certain côté !

Vous insistez, à juste titre, sur la nécessité d’une politique d’intégration la meilleure possible. Je crains que cela ne cache un autre dessein. Avant tout, le contrat d’accueil et d’intégration souffre de nombreuses lacunes, à commencer par le nombre insuffisant des plateformes et leur manque de moyens. Le rapporteur estimait, en commission, qu’il existe pratiquement une plateforme par département. Je n’en suis pas si sûr, même si cela peut évoluer dans les mois qui viennent. En tout cas, il est extrêmement difficile de demander à quelqu’un qui travaille toute la journée de faire cinquante kilomètres le soir pour venir apprendre le français ! Beaucoup abandonnent, non par mauvaise volonté mais tout simplement par manque de moyens. Nous ne croirons donc à une politique volontariste d’intégration que le jour où vous y consacrerez des moyens.

Vous restreignez les voies naturelles d'intégration, en remettant en cause la carte de résident de dix ans et, plus encore, en supprimant la régularisation après dix ans passés sur le territoire français. Votre argument est parfaitement démagogique : ce n’est pas parce qu’on a été dans l’irrégularité pendant dix ans qu’on devrait être pardonné la onzième année et qu’on aurait tout à coup des droits… Mais les situations humaines sont plus complexes que cela ! Il n’est pas ici question de crime – et encore : bien rares sont les crimes qui ne sont pas prescrits au bout d’une telle période ! Dix ans sont tout de même quelque chose, dans un processus d’intégration ! Après tout ce temps, direz-vous à quelqu’un qui travaille et qui a fondé une famille qu’étant entré de façon irrégulière, il n’aura jamais de papiers ? Vous allez condamner ces gens à la clandestinité, à l’irrégularité à perpétuité, à des comportements frauduleux et déviants, et avec eux leur descendance ! Vous les condamnerez à ce que le père spirituel de M. Sarkozy a mis en place il y a une quinzaine d’années – je veux parler du ni-ni de M. Pasqua : ni expulsable, ni régularisable !

Il s’agit d’une masse de gens qui n’ont strictement rien d’autre à espérer que la régularisation. Si vous supprimez cet espoir, vous créerez de lourds problèmes qui nous poursuivront longtemps, car ces gens ne partiront pas : ils sont intégrés en France, de facto si ce n’est du point de vue du droit ! Vous vous étonnez que les immigrés – ce ne sont pas des sans-papiers : ils n’ont tout simplement pas les bons papiers au bon moment… (Rires sur les bancs du groupe UMP) C’est la réalité ! Vous les condamnez à la précarité et au travail clandestin, au logement indigne, aux marchands de sommeil, à une existence de fantômes ! (Interruptions sur tous les bancs) Tout à l’heure, M. Sarkozy disait avec émotion son souvenir des incendies d’août 2005 à Paris. Mais cela continue ! Dans le XIIIe arrondissement, dont je suis maire, la préfecture de police a procédé à l’expulsion d’un immeuble qu’elle avait longtemps refusé de reconnaître comme insalubre. Y a-t-il eu une solution de relogement ? Bien sûr que non, ces gens campent dans le jardin d’à côté ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Rien n’a été prévu ! (Interruptions sur tous les bancs)

M. Richard Mallié - Il faut les accueillir dans le jardin de la mairie ! Que fait le maire ?

M. Jean-Marie Le Guen – Quelle autorité a-t-il dans ce domaine ? Vous n’y connaissez rien !

M. Serge Blisko - La mairie a fait des efforts de relogement, mais quand elle demande quelque chose à la préfecture, elle n’obtient jamais rien ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Richard Mallié - Que fait le maire de cette ville ?

M. Serge Blisko - Il reloge. Combien de gens reloge-t-on, dans vos communes ?

M. Jean-Pierre Brard - Et les 20 % à Neuilly ?

M. Serge Blisko – Pour citer à nouveau la commission nationale consultative des droits de l’homme, cette disposition « ouvre la porte à tous les arbitraires, sachant en outre que l'on ne saurait définir l'intégration comme l'assimilation à un mode de vie défini de manière intangible par les autorités publiques ». Rien n'est plus flou, en effet, que la condition d'« intégration dans la société française » que vous allez exiger. Un exemple banal : oublier de payer un PV sera-t-il considéré demain comme la preuve d'un refus de respecter les principes qui régissent la République française ? On en est là ! Voilà comment, parce qu’en restant dans le flou et dans le subjectif, on tombe vite dans l’arbitraire, de prétendues bonnes intentions peuvent mener à précariser des populations entières.

Les fondements idéologiques de ce projet de loi sont caricaturaux. L’immigré, pour vous, n’est qu’un clandestin venu profiter des allocations, sans volonté d'intégration, usant frauduleusement du mariage ou de la paternité de complaisance. Vous voulez donc multiplier les contrôles et mettre en place une véritable gouvernance par l'inquiétude. Ce projet est absurde et inefficace. Il va créer une image de la France extrêmement nuisible, le tout sans aucun résultat – nous prenons date solennellement – sur la maîtrise des flux migratoires, qui ne dépend pas d’un projet de loi, aussi verrouillé soit-il, mais du grand chambardement du monde. Ce n’est ni de votre faute, ni de la nôtre, si le monde d’aujourd’hui connaît la misère, les écarts qui grandissent entre le Nord et le Sud et les guerres civiles. Mais au lieu de travailler sur le co-développement, vous bâtissez un mur, une falaise qui doit protéger la France endormie. Pire, votre co-développement ne consiste qu’à piller les rares élites formées à grands frais dans leurs pays d’origine…

M. Richard Mallié - Vous n’avez même pas lu le texte !

M. Serge Blisko - Vous voulez attirer les médecins et les ingénieurs en leur donnant l’espoir de rester chez nous alors qu’ils manqueront cruellement dans leur pays. La carte compétences et talents va continuer à appauvrir une partie du monde et contribuer à ce que la matière grise devienne une marchandise qui peut s’acheter sur le marché mondial. Il y a là quelque chose de profondément choquant et anti-humaniste.

M. Richard Mallié - C’est scandaleux !

M. Serge Blisko - La circulaire du 21 février 2006, que beaucoup d’associations ont condamnée, montre bien que vous voulez aller chercher les clandestins partout, y compris dans les préfectures, en leur donnant des rendez-vous pièges pour pouvoir les arrêter sur-le-champ, ou dans les hôpitaux, et même en salle d’opération. Jusqu’où ira cette traque, qui rappelle des temps qu’on aurait voulu révolus ? Vous avez encore une chance aujourd’hui de corriger ce projet, où le Front national et Philippe de Villiers retrouveront beaucoup de leurs présupposés – on vous accuse d’ailleurs de plagiat. Si vous ne le pouvez pas, nous vous demandons solennellement de le retirer. Nous vous demandons de le retravailler avec les associations, les syndicats, les forces vives de la nation, les églises, les philosophes, afin d’arriver à quelque chose d’un peu plus présentable. Vous avez dit tout à l’heure que vous en aviez plus qu’assez d’avoir à vous excuser d’être Français. Chacun a les images qu’il veut. Moi, je préfère la belle image d’un pays qui a toujours accueilli les étrangers, lesquels sont devenus fils de France, non par le sang reçu mais par le sang versé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l’aménagement du territoire - Par rapport à l’exception d’irrecevabilité qui a été défendue tout à l’heure, votre discours, Monsieur Blisko, avait un immense mérite : celui d’un engagement politique clairement avoué. Vous ne vous êtes pas caché derrière de prétendus motifs de forme (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), mais vous soutenez franchement des positions politiques qui sont diamétralement opposées à celles que le ministre de l’intérieur et la majorité défendent.

Je ne peux cependant pas laisser sans réponse certaines de vos affirmations. D’abord en ce qui concerne les chiffres. Ceux que le ministre d’État a cités dans son discours…

M. Jean-Marie Le Guen - Il n’est même pas là ce soir !

M. Richard Mallié - Et Ayrault, Hollande ou Fabius ?

M. le Ministre délégué - …sont ceux qui figurent dans le rapport remis au Parlement en février dernier, sur les orientations de la politique de l’immigration. Lors de la précédente législature, il n’y avait pas une telle transparence. Celle-ci vous gêne-t-elle ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Je ne comprends pas non plus que vous n’adhériez pas à la démarche de transparence que suit le ministre de l’intérieur quand il propose de créer une commission qui soit composée, afin de garantir son impartialité, de représentants de l’administration et de la société civile.

Vous nous accusez de renouer avec le mythe de l’étranger fraudeur, délinquant, criminel. Mais depuis 1981, c’est-à-dire depuis un quart de siècle, c’est vous qui entretenez les mêmes obsessions ! Vous ne pensez qu’à une chose – M. Fabius l’a encore prouvé – : régulariser massivement les étrangers en situation irrégulière dans notre pays ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) À force de jouer ainsi aux apprentis sorciers, vous faites monter les extrêmes ! Jeu dangereux mais systématique de votre part. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

L’immigration subie, c’est une folie et une fausse générosité. Nous faisons, nous, le choix d’une politique qui repose sur l’immigration choisie…

M. Jean-Marie Le Guen - Cela ne veut rien dire !

M. Bernard Roman - 6 000 sur 150 000 !

M. le Ministre délégué - …car nous voulons offrir respect et dignité à ceux que nous accueillons sur notre territoire. Un immigré pour nous, ce n’est pas un homme ou une femme que l’on peut impunément « stocker » dans un hôtel insalubre au risque de sa sécurité, comme cela s’est malheureusement passé récemment à Paris. Il est méprisable de remplacer une misère par une autre misère !

M. Jean-Marie Le Guen - Que Neuilly accueille donc les immigrés !

M. le Ministre délégué – De votre intervention, Monsieur Blisko, je retiens cette phrase d’anthologie : « Les sans-papiers sont ceux qui n’ont pas les bons papiers au bon moment ». Autant dire que pour vous, il n’y a ni règle ni loi ! Quelle attitude pour un élu de la République !

Mais je veux vous rendre service, Monsieur Blisko, et éviter par ce texte que les socialistes aient à s’excuser dans quelques années d’avoir été naïfs sur l’immigration, comme ils ont reconnu l’avoir été sur l’insécurité.

Cette question préalable permet la confrontation de deux visions de la politique de l’immigration et de deux visions de la société. J’appelle donc l’Assemblée à faire le choix du respect, de la dignité, de la fermeté et de la justice, et donc à rejeter cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Rapporteur – Je voudrais apporter quelques précisions, car il me semble qu’il y a parfois une certaine incompréhension. Puisqu’il a été question des laveurs de vitres, je fais d’abord observer à l’intention de M. Brard qu’il y a sans doute plus de vitres place du colonel Fabien…

M. Jean-Pierre Brard - Je n’y suis plus !

M. le Rapporteur - …qu’au siège de l’UMP (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Mais au-delà de la boutade, je tiens à préciser que la carte compétences et talents n’a rien à voir avec les laveurs de vitres, car elle est réservée à des talents particuliers – scientifiques, sportifs ou autres.

S’agissant ensuite de l’asile, les chiffres montrent que nous n’avons aucune raison de battre notre coulpe. En 1999, 4 400 titres de séjour ont été accordés à ce titre ; aujourd’hui, 11 000. Cela veut peut-être dire que, contrairement à ce que prétend l’opposition, nous avons, nous, su donner à l’OFPRA les moyens de traiter les très nombreux dossiers et de faire en sorte que les gens qui méritent vraiment l’asile l’obtiennent. La France donne d’ailleurs à elle seule 50 % des titres de séjour pour cause d’asile – au sens de la convention de Genève – de toute l’Europe. Arrêtez donc de dire que les droits de l’homme sont remis en cause !

Troisième point : la circulaire du 21 février 2005 n’a pas apporté d’élément nouveau. Elle n’a fait que récapituler les conditions d’interpellation qui se dégagent du droit existant. Vous savez bien qu’il n’est pas question d’interpeller les gens dans les hôpitaux ! Cela a été précisé par le ministre d’État lui-même.

M. Jean-Marie Le Guen - Si, la circulaire parle des salles d’opération !

M. le Ministre délégué – Dernier point : quand on parle de 20 000 reconduites à la frontière, ce chiffre s’entend hors outre-mer. Il y en a eu à peu près autant outre-mer, ce qui donne un total d’environ 40 000 reconduites à la frontière.

Je trouve moi aussi extraordinaire de dire qu’un sans-papiers est quelqu’un qui n’a pas les bons papiers au bon moment. Je crois, pour ma part, que les sans-papiers sont souvent des gens qui sont entrés dans notre pays régulièrement mais qui s’y sont maintenus irrégulièrement. Nous avons créé dans la loi de 2003 l’obligation de visa biométrique, ce qui devrait contribuer à ce que toutes ces personnes qui n’ont pas la chance d’avoir « les bons papiers au bon moment » retrouvent leurs adresses.

L’opposition, c’est peut-être aussi quand on n’a pas les bons votes au bon moment ! J’appelle en tout cas l’Assemblée à repousser cette question préalable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Bernard Roman - Rappel au Règlement, fondé sur l’article 58, alinéa 1. Dans ce débat, beaucoup trop de chiffres sont un peu trop facilement donnés comme vrais pour ensuite en tirer des conclusions législatives que nous dénonçons. M. Sarkozy a annoncé ici même qu’à la suite des événements d’octobre dans les banlieues, 120 jeunes étrangers avaient fait l’objet de poursuites ; et il a dit qu’il mettrait tout en œuvre pour que ces 120 jeunes soient expulsés. Or, six mois plus tard, il semble que seulement sept jeunes aient fait l’objet de poursuites et qu’un seul ait été expulsé. Vrai ou faux, Monsieur le ministre ? Si c’est vrai, pourquoi le ministre d’État a-t-il menti ? Si c’est faux, pourquoi nous demande-t-on de changer la législation ?

M. le Président – Nous en arrivons aux explications de vote (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Bernard Roman - Le ministre ne répond pas ?

M. Alain Marsaud - Il n'y aurait pas lieu de délibérer sur un phénomène que l'on tente de contrôler, avec le succès que l’on sait, depuis trente ans ? J'en déduis que pour les défenseurs de la question préalable, il n'y pas de problèmes d'immigration en France, ni de difficultés liées à l'intégration, et qu'il n'y a plus qu'à attendre, assis sur son derrière, que les choses se passent, quitte à pleurer demain. Il est vrai que la gauche a tant de fois joué les apprentis sorciers que je comprends qu’elle soit aujourd’hui circonspecte. Mais dans quel monde, dans quel pays, vivez-vous donc pour oser une telle démonstration ?

Je constate d’autre part avec surprise que le parti qui se veut en quelque sorte le parrain de la laïcité en France n'hésite plus à appeler à son secours quelques hommes d’église, avec ou sans leurs « divisions », comme disait Staline. Je vous croyais les défenseurs ardents de la séparation des pouvoirs, au moins du terrestre mais aussi du spirituel. J'allais dire, tant qu'il est encore temps, et si vous me le permettez : rendez à César ce qui est à César, et pour le reste nous y pourvoirons.

Puis-je d’ailleurs demander à nos gens d'église d’y regarder à deux fois avant de solliciter l'évacuation des lieux de culte envahis par les sans-papiers ? On ne saurait en effet vouloir une chose, l'accueil généreux, et son contraire, la liberté d'exercice du culte. Vous nous habituez aux renversements d'alliances les plus surprenants !

Bien évidemment, il nous faut légiférer d’urgence sur un phénomène mondial qui s'aggrave chaque jour un peu plus. Le chantier reste entier malgré la loi de novembre 2003, qui avait pour objet principal de revenir sur les dérives du précédent gouvernement, en particulier dans le domaine de l'asile et du regroupement familial.

Si l’immigration à caractère permanent a augmenté régulièrement, la très faible part de l’immigration permanente pour motif de travail doit conduire à une véritable mobilisation : elle ne concerne que 8 000 personnes environ, pour plus de 110 000 pour motif familial, et 26 000 pour regroupement familial.

En face de cela, il y a l'immigration clandestine, le séjour irrégulier, qui devrait créer des droits si on écoute certains et non des moindres, puisqu'il s'agit de candidats à l'investiture socialiste pour la Présidence de la République. Ils viennent de nous annoncer, dans leur programme, la régularisation de tous les clandestins…

Plusieurs députés du groupe socialiste – C’est faux !

M. Alain Marsaud - …comme si les leçons du passé n'avaient pas suffi et n'avaient pas été suffisamment cruelles pour notre nation.

Ils oublient sans doute l'échec cinglant que constitue l'une des grandes politiques publiques menées à coup de milliards d'euros – votre politique de l'intégration. Une célèbre maxime pourrait à l’inverse s’appliquer au projet de loi qui nous est soumis : « ne plus subir » – ne plus subir une situation migratoire qui nous est imposée par la mondialisation, par la révolution des transports, par notre histoire, par nos pratiques sociales et politiques et bien sûr par notre mauvaise conscience, voilà l’objectif ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Il y a en outre une expression que j'aurais souhaité entendre : souveraineté nationale, car la politique d'immigration et d'intégration constitue, au même titre que la défense et la politique étrangère, un des éléments clés de la souveraineté de la nation.

Plusieurs députés du groupe UMP – Très bien !

M. Alain Marsaud - Choisir notre politique d'immigration et ne plus se la laisser dicter par le fatalisme ou l’absence de projet ou de conviction, voilà le grand chantier que doit mener le Parlement ! Notre responsabilité politique est à l’égard de nos concitoyens, et non du vaste monde.

On peut certes débattre des différentes conceptions de l'organisation mondiale, qui sont en fait au nombre de deux. Vient d’abord, celle de la France ouverte sur le vaste monde, ou plutôt du vaste monde ouvert sur la France. C'est le village planétaire où chacun vote avec ses pieds et va s'installer là où il fait meilleur vivre ! Il est vrai que nous sommes plus attractifs que l'Afghanistan ou le Mali, malgré notre modèle social à la dérive. Ce n'est donc pas le monde qui s'offre à la France, mais la France qui s'offre au monde tant qu'elle a la capacité d'accueillir. Voilà une conception noble et éminemment rousseauiste, mais d’une grande naïveté : son unique conséquence sera le nivellement par le bas de notre organisation sociale.

Plusieurs députés socialistes – Oh la la !

M. Alain Marsaud - Je le dis pour les ardents défenseurs du modèle français, que l'on doit au moins tenter de préserver quand c’est encore possible.

Il existe toutefois une autre conception, généreuse mais réaliste. Nous avons tous un domicile où il fait bon de se retrouver…

M. Jean-Pierre Brard - Vous oubliez les SDF !

M. Alain Marsaud – …un domicile que nous avons souvent mis beaucoup de cœur à concevoir et que nous avons parfois reçu de nos parents, qui l'ont construit de leurs mains. Nous avons plaisir à y recevoir ceux que nous invitons, à y offrir le gîte et le couvert. Mais que dire dès lors de ceux qui s'invitent à notre domicile sans solliciter notre accord, qui sont entrés par effraction pour s'installer ou qui ont décidé de s’installer à demeure, alors qu’ils n’étaient invités que pour quelques jours ?

Voilà exactement la situation de notre pays aujourd'hui (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), à ceci près que la « maison » France est une grande bâtisse qui donne l'impression de pouvoir encore beaucoup accueillir. Le problème reste entier : voulons-nous être maîtres de notre destin et de celui de nos enfants, pour construire la France comme nous le souhaitons ?

Rappelons que fa France a décidé d'ouvrir partiellement son marché du travail aux salariés de Pologne, Hongrie, République tchèque et d’autres autres pays nouvellement européens (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), et ce dans sept secteurs d'activités économiques. Cette prudence à l'égard de nations voisines et amies, membres de l'Union européenne, nous ne devrions pas la pratiquer à l'égard de l'Afrique et de l'Asie, si j’en crois certains ? Nous devrions ainsi ouvrir nos frontières et notre marché de l'emploi sans contrôle ?

En rejetant ces propositions, vous faites le lit de la fraude et vous rejetez dans la précarité ceux qui veulent séjourner en France de bonne foi.

Plusieurs députés du groupe socialiste – C’est vous !

M. Alain Marsaud – Nous avons une conception différente des rapports de force dans le monde, mais aussi du volontarisme en politique. L’association du Parlement, en qualité de partenaire du Gouvernement, dans la détermination des objectifs quantifiés, définis chaque année, de l'immigration, est une avancée démocratique et politique. Et pourtant, vous la rejetez !

Il va bien falloir que les socialistes nous disent enfin le fond de leur pensée : sont-ils pour l'ouverture des frontières et la régularisation de tous les sans-papiers ? Assez de faux-fuyants ! Les Français veulent le savoir !

Il est grand temps que nous donnions à notre pays les moyens de décider de son destin et de la société que nous voulons. Voilà pourquoi je vous propose de rejeter la question préalable (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Gilles Artigues – Le groupe UDF, dont l’intervention sera d’une plus grande sobriété que la précédente, ne votera pas la question préalable, car celle-ci n’a pas de justification à ce stade de notre débat.

On peut certes discuter de l’opportunité de traiter du thème brûlant de l’immigration moins d’un an avant l’élection présidentielle, tant il semble difficile que les décrets d’application soient publiés avant cette échéance. On peut également regretter que chaque nouvelle majorité souhaite faire adopter sa propre réforme de l’immigration, au risque de rendre illisible notre législation sur la résidence et le séjour des étrangers, alors qu’il nous faudrait de la stabilité pour bâtir une politique cohérente et pérenne.

Toutefois, puisque l’ordre du jour nous l’impose – nous n’en avons pas la maîtrise –, abordons cette question sans obstruction stérile. Par la voix de ses porte-parole, Nicolas Perruchot et Jean-Christophe Lagarde, le groupe UDF exprimera au cours de la discussion générale la position équilibrée de notre famille politique, qui s’inspire des cas concrets que nous avons à traiter dans nos mairies et nos permanences.

Plus qu’un simple affichage électoral, ce sont des éléments précis que nous attendons, comme le nombre des sans-papiers en France : la vérité sur les chiffres est en effet un préalable à toute discussion sérieuse !

Au-delà du risque d’appel d’air créé par l’immigration choisie, du risque d’une fuite des élites des pays en voie de développement et de l’incohérence d’une telle mesure dans une France qui compte cinq millions de chômeurs, nous sommes en droit de vous interroger sur les perspectives ouvertes aux hommes et aux femmes aujourd’hui présents sur notre territoire, comme les déboutés du droit d’asile, qui ne peuvent rentrer chez eux mais qui ne sont pas expulsés faute de moyens.

J’ajoute que l’immigration, économique ou politique, est avant tout subie par ceux qui quittent leur domicile, comme nous le rappellent les demandeurs d’asile : on n’est bien que chez soi, mais encore faut-il pouvoir y vivre ! Nous souhaiterions donc vous entendre traiter des causes de l’immigration non maîtrisée avec la même pugnacité que vous traitez de ses conséquences. Quelle est par exemple votre conception de la politique de coopération, qui doit favoriser des régimes réellement démocratiques ? Si l’Union européenne est effectivement plus généreuse que les États-Unis, que représente notre aide par rapport à notre produit intérieur brut ?

Nous souhaitons enfin que vous abordiez des questions moins médiatiques mais tout aussi cruciales, telles que les modalités d’établissement des contrats d’accueil et d’intégration, que nous approuvons, ou encore les dysfonctionnements et les lenteurs de vos services, alors que la sévérité annoncé en matière de regroupement familial va encore complexifier les procédures. Trop souvent hélas, l’obtention de la nationalité française ressemble déjà un parcours du combattant, alors qu’il conviendrait de favoriser ce formidable outil d’intégration, quand les conditions sont remplies – outil qui donne d’ailleurs automatiquement le droit de vote, autre sujet polémique.

Il est donc grand temps d’entrer dans le vif du sujet. Les orateurs socialistes se sont érigés en donneurs de leçons, oubliant qu’ils n’ont pas toujours fait preuve de l’esprit de responsabilité qu’on pouvait attendre d’eux lorsqu’ils étaient au pouvoir.

Cette question préalable ne pouvant que retarder nos travaux, nous la rejetterons donc, et nous souhaitons que nos échanges débouchent sur une loi qui ne se résume pas au texte proposé, qui ne nous convient pas.

N’oublions pas en effet que les étrangers d’hier ont construit notre pays, et que ceux d’aujourd’hui désirent eux aussi y vivre en sécurité et en paix. Les Français attendent certes que la représentation nationale bannisse toute forme de laxisme, mais aussi et surtout qu’elle se montre humaine (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. le Président – Sur la question préalable, je suis saisi par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public.

M. Jean-Pierre Brard – Nous avons écouté avec beaucoup d’attention M. Marsaud…

Plusieurs députés du groupe UMP – Pas vraiment !

M. Jean-Pierre Brard - …un homme du passé qui propose de rétablir le concordat ! Il adresse en effet des injonctions à l’Église catholique (Interruptions sur les bancs du groupe UMP), qu’il n’aime que lorsqu’elle marche au pas de Mgr Lefèvre ! (Même mouvement) Il voudrait la bâillonner quand elle se fait la voix de la solidarité, de la fraternité et de l’humanité (Plusieurs députés du groupe UMP tentent de couvrir la voix de l’orateur).

Mais cessez de hurler ! Vous êtes apeurés, et vous serrez les rangs derrière votre chef de file, comme des poussins derrière une poule (Huées sur les bancs du groupe UMP).

J’ai été aujourd’hui accusé – et c’est bien la première fois – de vulgarité par le ministre d’État. Il est vrai que je m’honore d’être fils d’ouvrier et instituteur de la République, et que je n’appartiens pas au clan des parvenus ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Mais le ministre, qui veut kärcheriser la jeunesse de nos banlieues, et qui porte une part de responsabilité dans les événements d’octobre et de novembre, n’a de leçons à donner à personne (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste). Il nous a certes communiqué cet après-midi des chiffres, mais il lui faudrait une piqûre de sérum de vérité (Huées sur les bancs du groupe UMP) pour ne pas rester au milieu du gué.

Ainsi, il a cité le chiffre de 20 000 reconduites à la frontière, oubliant qu’il se trouve entre 200 000 et 400 000 immigrés clandestins dans notre pays – pourquoi faire une telle affaire pour 5 à 10 % de cette population ? C’est que votre seule préoccupation est de faire prospérer un vieux fonds de commerce nauséabond et électoraliste.

Je vais donc vous faire part des chiffres que M. Patrick Veil a communiqués au ministre d’État : le regroupement familial concerne 0,15 % de la population française, contre 0,21 % en Australie, 0,23 % au Canada – que cite abondamment M. Sarkozy –, 0,25 % en Nouvelle Zélande et 0,51 % en Suisse ! Les chiffres que nous a livrés le ministre cet après-midi ne relèvent donc que de l’affabulation ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

Vous portez préjudice au prestige de la France, celle du général de Gaulle, que vous humiliez ! Vous ne serez crédible, Monsieur le ministre, que lorsque vous refuserez les titres de séjour aux mafieux russes qui s’installent sur les hauteurs de Nice.

Plusieurs députés UMP - Grâce aux socialistes !

M. Jean-Pierre Brard - Vous ignorez où ils habitent ? Demandez à n’importe quel chauffeur de taxi, il vous conduira à leurs résidences ! Est-ce leur personnalité ou le contenu de leur mallette qui vous a conduits à leur accorder un titre de séjour ?

Le clivage est plus complexe que la simple opposition entre gauche et droite. Héritiers d’une vieille tradition française, certains, à droite, vibrent de la fibre patriotique et humaine. Notre collègue Mme Boutin, par exemple, a dit combien ce projet de loi était inacceptable car il ne répond au défi majeur de l’immigration que par des mesures vaines et dangereuses : elle a raison ! Le vrai clivage oppose ceux dont les valeurs sont cotées au CAC 40 et ceux dont les valeurs sont universelles. Mais cela, vous ne le supportez pas ! Quant à M. Pinte, dont on connaît la sérénité et la profondeur de pensée, il admet que vous êtes incapables de mesurer les effets de la dernière loi sur l’immigration, votée il y a deux ans et demi. À quoi bon légiférer si vite, se demande-t-il : serait-ce à cause de l’élection présidentielle ? (Exclamations sur divers bancs) Et s’il avait raison ?

Au fond, comme tout au long de notre histoire, deux France s’affrontent : Coblence face à la Révolution, Reynaud face à Blum, Napoléon et Joséphine face à Toussaint Louverture et Victor Schoelcher, les partisans de Franco, Salazar et Mobutu…

Plusieurs députés UMP - Et Staline !

M. Jean-Pierre Brard - …face à leurs adversaires, et ceux qui ont soutenu les guerres coloniales face à ceux qui sont restés solidaires des peuples opprimés !

C’est avec enthousiasme que nous voterons la question préalable de M. Blisko car elle est parfaitement justifiée, et c’est avec la dernière énergie que nous vous combattrons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur les bancs du groupe socialiste)

M. René Dosière - Il y a désormais un suivi des lois qui sont votées : M. Mariani lui-même signale que, trois ans après l’adoption de la loi sur l’immigration, des décrets en rendent inapplicables certaines dispositions.

M. Thierry Mariani - Trois seulement !

M. René Dosière - Il y en a peut-être peu qui ne sont pas encore pris, mais ce sont les plus importants – c’est vous-mêmes qui le dites ! Vous admettez également qu’il est difficile d’apprécier l’efficacité de ceux qui sont pris, en l’absence de statistiques.

M. Bernard Roman - Alors pourquoi légiférer ?

M. René Dosière - Avant de voter de nouvelles lois, appliquons celles qui existent ! La loi dont nous débattons n’a pas vocation à enrichir notre législation, puisque nous savons tous qu’elle ne sera pas appliquée avant les échéances de 2007…

M. Michel Bouvard – Mais si !

M. René Dosière - …ni même après, si la gauche l’emporte. Les décrets ne seront pas pris à cause des délais, et parce que le ministre de l’intérieur aura quitté ses fonctions pour préparer l’élection. Or, il nous a fait comprendre cet après-midi que lui seul était capable de s’occuper de l’immigration… L’intérêt électoral supplante l’intérêt législatif. M. Sarkozy ne s’en cache d’ailleurs pas : il s’agit de récupérer les électeurs du Front national. Pourtant, vous risquez fort d’obtenir le résultat inverse !

M. Richard Mallié - Et que fait Fabius avec l’extrême gauche ?

M. René Dosière - Le Front national ne cesse d’attiser la peur et la haine de l’étranger. Avec ce texte, vous légitimez le discours de ce parti et renforcez la détermination de ses électeurs. Voilà le plus grave : en parlant comme lui, la droite républicaine rend le Front national respectable aux yeux d’un plus grand nombre.

Cessez de faire peur aux Français avec l’immigration clandestine : elle est marginale.

M. Michel Bouvard - Mais de plus en plus coûteuse !

M. René Dosière - Il y a entre 300 000 et 400 000 clandestins en France, soit moins de 0,5 % de la population : c’est deux fois moins qu’aux Pays-Bas et en Italie, trois fois moins qu’en Espagne et au Portugal et sept fois moins qu’en Grèce !

Ensuite, ces clandestins ne sont pas tous des voyous et des criminels : ce sont des êtres humains qui, souvent, vivent dans un état d’exploitation épouvantable. Le vice-président de la Conférence de évêques de France (Murmures sur divers bancs) reproche d’ailleurs à votre texte de ne pas être assez humain, et de se concentrer sur les dérives plus que sur les personnes.

Enfin, votre texte ne s’attaque pas aux causes de l’immigration, mais à ses conséquences. Ceux qui survivent dans le dénuement voient la France comme une terre de liberté et d’opulence et affrontent parfois les plus grands risques pour l’atteindre. C’est en offrant un espoir chez elles à ces populations que nous agirons sur les causes, notamment outre-mer. Rien de cela dans votre texte.

Je n’ignore pas les sondages qui montrent qu’une part croissante de la population française craint l’avenir, l’Europe, la mondialisation et donc l’étranger. Mais cette peur est liée à la précarité : si la situation de l’économie, de l’emploi et de la sécurité était meilleure, nos compatriotes douteraient moins de leur avenir ! Les hommes politiques doivent combattre les tendances xénophobes, et non les attiser. MM. Roman et Blisko ont expliqué que l’opposition des socialistes à ce texte se fonde sur l’attachement aux valeurs républicaines d’égalité et de fraternité. Le chrétien que je suis (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) n’oublie pas, comme l’a rappelé le vice-président de l’épiscopat, les paroles du Christ qui concernent les étrangers : il y a dans la Bible des pages que l’on ne peut arracher. Pour toutes ces raisons, nous voterons la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

À la majorité de 155 voix contre 60, sur 215 votants et 215 suffrages exprimés, la question préalable n’est pas adoptée.

M. le Ministre délégué – Vous êtes, Monsieur Roman, un parlementaire trop expérimenté pour ne pas ignorer que l’article auquel vous avez fait référence dans votre rappel au Règlement ne m’impose pas de répondre à votre question. Néanmoins, par courtoisie, je le ferai tout de même.

Une centaine d’émeutiers étrangers ont été interpellés à l’automne 2005, mais la législation actuelle protégeait la plupart d’entre eux de l’expulsion, qui n’en a concerné que trois. Pour sept autres, la procédure, hélas parfois assez longue (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), est en cours. Les règles ne sont plus adaptées : il faut agir. C’est pourquoi nous serons très favorables à un amendement de M. Myard après l’article 26, qui permettra de mieux traiter ces situations. Quand on a l’honneur de posséder un titre de séjour, on n’a pas à brûler des voitures dans les rues ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Didier Quentin - En tant que rapporteur pour avis du budget de l’outre-mer, je limiterai mon propos à ces départements où l’immigration subie pose des problèmes dramatiques : elle en freine le développement et crée un risque de violence, tant l’exaspération est à son comble. Il est urgent d’agir efficacement.

Je me félicite que ce projet de loi réponde aux préoccupations de nombreux élus d’outre-mer qui se trouvent confrontés à une forte pression migratoire – sans équivalent ailleurs sur notre territoire. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles : l’outre-mer, notamment Mayotte et la Guyane, représentent près de la moitié des reconduites à la frontière effectuées chaque année sur l’ensemble du territoire.

Ainsi, votre projet de loi prévoit d’étendre à la Guadeloupe le caractère non suspensif des recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière, d’une part, et les dispositions autorisant la visite sommaire des véhicules circulant sur la voie publique, d’autre part. Il permet au procureur de la République d’ordonner en Guyane la destruction immédiate d’embarcations fluviales non immatriculées ayant servi à l’entrée irrégulière d’étrangers sur le territoire national. Il permet enfin de lutter contre les reconnaissances de paternité frauduleuses et l’exploitation des travailleurs clandestins à Mayotte.

Toutes ces mesures vont dans le bon sens. J’insiste sur la situation particulière de Mayotte, ce petit archipel français qui ne peut accueillir toute la misère de l’océan Indien.

M. Mansour Kamardine - Bravo !

M. Didier Quentin - Nous proposerons donc, par amendement, de porter de quatre à huit heures la durée maximale d’immobilisation des véhicules faisant l’objet d’une visite sommaire, et de porter de cent à mille fois le SMIC en vigueur dans l’archipel le montant maximum des amendes administratives pouvant être infligées aux employeurs de travailleurs clandestins.

Mais, il conviendra de prévoir aussi une série de mesures réglementaires tendant, comme nous l'avons recommandé dans notre rapport, à remettre en ordre l'état civil sur l'archipel. Il est notamment indispensable de renforcer sensiblement les moyens de la commission de révision de l'état civil – la CREC. Nous jugeons également nécessaire de verser aux mairies mahoraises une dotation exceptionnelle d'équipement informatique et de confier provisoirement la gestion de l'état civil à des fonctionnaires d'État. De même, nous avons suggéré d'anticiper, à Mayotte, la mise en place de titres d'identité biométriques car les Comoriens – qui constituent la grande majorité des immigrants clandestins – ont acquis un savoir-faire exceptionnel en matière de faux documents. (Mme Christiane Taubira s’exclame)

En vue d’accroître l'efficacité des contrôles terrestres, nous souhaitons que la présence de policiers mahorais se renforce et que les policiers métropolitains expérimentés soient autorisés à prolonger leur séjour à Mayotte. Nous proposons aussi diverses mesures en vue d’améliorer les modalités pratiques des reconduites à la frontière, comme l'agrandissement du centre de rétention administrative ou l'utilisation de navires ou d'avions de grande capacité appartenant à l'État.

Enfin, le complément indispensable de cette politique, c’est la relance de notre coopération avec les Comores, et, en particulier, avec l'île d'Anjouan, notamment dans les domaines prioritaires de l'éducation et de la santé.

Contrairement aux caricatures qui en sont faites, à mille lieues du vide sidéral des contre-propositions ou de l'irresponsabilité de ceux qui proposent de régulariser tous les clandestins, ce projet de loi est équilibré, respectueux de la dignité humaine et conforme à la tradition d'accueil de notre pays. Il devra toutefois s'accompagner d'une campagne d’explication dans les pays d'origine, et j'ai du reste cru comprendre que le ministre d’État avait l'intention de se rendre prochainement dans plusieurs pays africains, ce dont je me réjouis. J'ajoute que notre politique de coopération devra être repensée, mieux ciblée et contractualisée, l’aide apportée devant être proportionnée à l'effort accompli par les pays d'émigration pour mieux utiliser les fonds alloués et réguler les flux migratoires. Puissent nos collectivités d'outre-mer continuer d’évoluer, dans un environnement apaisé, grâce à une immigration acceptée parce que maîtrisée – à une intégration réussie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Arnaud Montebourg – Vouloir choisir politiquement des êtres humains, trier entre des personnes désirables et d’autres qui ne le seraient pas, appliquer à des individus des mécanismes de tri sélectif, cela ne manque pas de rappeler certains souvenirs inquiétants (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste). Faire la part entre les immigrés « subis » et « choisis », c’est mettre en cause toute notre conception de la nation et de la République. Or cette République – notre République –, dans laquelle même les évêques de France reconnaissent les valeurs laïcisées du vivre ensemble – comme en témoigne l'invitation qu'ils vous ont lancée à mieux faire « respecter l'autre et à mieux l'aimer », fût-il un étranger –, elle existe. Et c’est pour la défendre que plus de 500 organisations se dressent et que nombre de parlementaires – y compris de vos bancs – rappellent que la France est d'abord une création politique et culturelle, bâtie grâce aux apports successifs de peuples appartenant au nord et au sud de l'Europe : des Flamands, des Catalans, des Bretons, des Corses, des Alémaniques, des Languedociens… Notre République ne s'est jamais définie par la souche, mais toujours par le désir de vivre ensemble et de bâtir un destin en commun, en refusant résolument de s'enchaîner à la sombre mythologie des origines,

Or, voici qu'en apprenti sorcier, vous prétendez modeler à votre guise le contenu de notre nation. Mais croyez-vous que les itinéraires personnels ou familiaux qui fondent la migration soient modelables ? La construction lente d'un pays, c'est d'abord la rencontre de destinées, le produit de l'histoire et de la géographie, laquelle, qu’on le veuille ou non, place la France à la croisée méditerranéenne des chemins de l'immigration. Un tiers des Français ont un ancêtre étranger. Aussi, maltraiter l'histoire de notre République en prétendant que tous ces Français ne seraient que le produit hasardeux d'une immigration subie, c'est porter atteinte au pacte républicain, à ses symboles essentiels et à sa force extraordinaire de rassemblement.

C'est choisir aussi d'exciter les tensions, de faire reculer la paix entre les hommes sur notre territoire, de disqualifier beaucoup de nos compatriotes et tous les étrangers respectueux de nos lois et de nos coutumes ! Nous sommes nombreux ici, quels que soient nos bancs, à être les enfants de ce que vous appelez l'immigration subie. Je fais partie de ceux qui ont un grand-père maternel algérien. Le mien – un homme dont la langue maternelle était l'arabe, mais qui portait le béret de nos campagnes – aimait tellement la France qu'il voulait que son fils portât l'uniforme français. Et c'est pourquoi il s’établit tout près d'une école militaire, à Autun, en Saône-et-Loire, dont je suis devenu l'un des députés. Nous sommes nombreux, en France, à être les enfants et petits-enfants d'une immigration que vous avez aujourd'hui décidé de maltraiter en faisant resurgir l’idéologie immonde du tri sélectif entre les hommes. (Mme Nadine Morano s’exclame)

Votre projet de restreindre l'immigration légale de famille par tous moyens – y compris les plus déloyaux – et de proposer à l'économie française une immigration de travail, va vous conduire à de fatals excès. Ainsi, vous refusez à toute force l'immigration de regroupement familial, alors que, liée au respect de la vie familiale, elle n'est pas subie. Le respect de la vie familiale est un droit que la France a inscrit dans ses principes fondamentaux, afin que nul ne puisse, au gré de la conjoncture, de ses calculs politiques ou de ses intérêts électoraux, y porter atteinte. Pour servir vos démonstrations hasardeuses, je note du reste que vous avez enjolivé à l'excès la situation des autres pays : dans tous ceux que vous vous plaisez à citer – Canada, Suisse, Nouvelle Zélande, Australie –, les taux d'immigration familiale sont supérieurs au nôtre. Quant aux Etats-Unis, qui fascinent tant le ministre d’État, un demi-million d'autorisations de séjour y sont attribuées chaque année pour des raisons familiales. S’attaquer à cette immigration, d’ailleurs déclinante, c'est brutaliser des valeurs cardinales de la République telles que la famille ou le droit de se marier. Je rappelle que la liberté de choisir son conjoint constitue une liberté fondamentale.

Vous vous plaignez de l'explosion des mariages de nationaux français avec des étrangers car vous avez décidé que cela témoignait d’une intensification de la fraude, via les unions de complaisance. Reconnaissez plutôt que la France s'internationalise et que, pour les Français aussi, le mariage mixte est en voie de banalisation ! Passe encore – en étant sans doute trop indulgent – d’humilier ceux de nos concitoyens qui ont fait le choix de se marier à l'étranger dans le pays de leur conjoint ou conjointe. Mais voici que vous durcissez le contrôle de la validité des mariages en portant à quatre années la durée de vie commune nécessaire à l'acquisition de la nationalité française ! À quand une police chargée de contrôler la sincérité des sentiments maritaux ?

M. Patrick Braouezec - Cela viendra !

M. Arnaud Montebourg - Dans votre loi de 2003, vous aviez déjà tenté de porter atteinte à la liberté du mariage, mais le Conseil constitutionnel vous avait interdit de le faire. Vous récidivez avec ce texte, et cela risque de conduire l'administration préfectorale à répondre à des dizaines de milliers de personnes mariées à des Français qu’elles ne peuvent séjourner sur notre sol que si elles retournent dans leur pays pour faire une demande de visa… qu'on ne pourra d'ailleurs pas leur refuser, au regard de nos engagements internationaux en matière de droits de l'homme, car on ne peut pas accepter qu’un État de droit tel que la France organise la séparation autoritaire des conjoints !

Tout à l'heure, M. Sarkozy a évoqué les choix de l'Union européenne, et je le renvoie, à cet égard, à un arrêt de la CJCE de juillet 2002 ainsi formulé : « Un refus de titre de séjour ou une décision d'éloignement fondés exclusivement sur le non-accomplissement de formalités légales relatives au contrôle des étrangers – telle qu'une entrée sans visa dans un État membre – sont des mesures disproportionnées, et donc contraires aux normes communautaires, lorsque l'intéressé peut apporter la preuve de son identité et de son lien conjugal avec un ressortissant communautaire ». La Belgique et d'autres États membres ont choisi d'appliquer cette jurisprudence à leurs propres ressortissants,

Si votre dispositif est approuvé par le Parlement et validé par le Conseil constitutionnel, des décisions de refus de séjour prises sur son fondement risquent d'être annulées par le juge ; vous créerez ainsi des situations de « ni-ni » – ni régularisables, ni expulsables. Entre un Français et un étranger non européen qui auront décidé de se marier, il y aura désormais la menace permanente des feuilles de chêne préfectorales et la crainte de la police. Et, au bout du compte, vous aurez excité les tensions entre les « bons immigrés », qu'on aurait choisis, et les mauvais, qui ont certes des droits mais dont on ne veut pas.

J’en viens à l'interdiction du regroupement familial.

La France ne peut pas empêcher des enfants ou des conjoints de rejoindre leur famille. Cependant, vous prétendez imposer des conditions drastiques – de ressources, de logement ou de maîtrise de la langue – aux familles désireuses de se regrouper. Toutes ces mesures attentent directement au droit de vivre en famille, alors même que le nombre de personnes concernées est en baisse. Vous connaissez vous-même les conséquences de votre projet. En bafouant un droit fondamental, il entamera le pouvoir d’attraction de la France, dans les pays du Nord – car comment attirer un travailleur américain ou japonais si son droit de faire venir sa famille dépend d'une maîtrise suffisante de la langue française ? – comme dans ceux du Sud, où il développera l’immigration illégale. Parce qu’on ne peut empêcher durablement une famille de se réunir, le regroupement se fera dans l'illégalité et vous serez empêchés de renvoyer chez eux ceux-là mêmes qui auront organisé leur regroupement, car les tribunaux vous condamneront au titre du non-respect de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Comme votre loi empêchera quand même de les régulariser, ce seront autant de nouveaux « ni-ni » que vos successeurs auront à prendre en compte.

Qu’il me soit permis de citer un bel extrait du livre programme de Nicolas Sarkozy, Libre !, paru en 2001 : « L'immigration familiale s'impose tout à la fois pour des raisons humanitaires et par souci d'intégration,…

Mme Nadine Morano - Pas dans n’importe quelles conditions !

M. Arnaud Montebourg - …car comment réussir l’intégration paisible d'un homme vivant à des milliers de kilomètres de sa femme et des enfants ? Les étrangers, voulus et acceptés, devront l'être avec leur famille, au moins au sens de l'épouse et des enfants, car on ne peut vouloir une intégration réussie et penser qu'elle le sera pour un homme privé de sa femme et de ses enfants. Le regroupement familial est l'un des droits de l'homme sur lequel on ne peut transiger, sauf à se renier ! »

Mais que s'est-il passé, entre 2001 et 2006, pour que le ministre d’État remette aujourd'hui en cause cette doctrine apaisée et républicaine ? En 2001, nous avions un Sarkozy libre ; le voici désormais enchaîné… aux menottes du FN ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Nadine Morano - Vous interprétez !

M. Arnaud Montebourg - J'en viens au volet du texte qui organise l'immigration choisie selon des quotas de besoins en main-d'œuvre. En commission, le ministre d’État a indiqué que l'unique objectif du Gouvernement était de permettre aux entreprises, dans les secteurs où persistent des goulets d'étranglement, de trouver la main-d'oeuvre nécessaire au développement de leur activité. Votre approche strictement économique de l'immigration réduit l'être humain à sa seule force de travail et tend à légitimer un tri entre les travailleurs, en vue de proposer certains d’entre eux aux entreprises soucieuses d'économiser le prix du travail. Cela revient à organiser une compétition déloyale entre salariés, plutôt que d’inciter les employeurs à mieux rémunérer les emplois les plus ingrats ou les plus précaires.

Vous offrez aux entreprises la possibilité de piocher dans le supermarché de la mondialisation, où les salaires sont en compétition mondiale, où les normes de travail ne sont plus respectées et où l'être humain, parce qu'il connaît la misère, est corvéable à merci.

Le recruteur préférera le candidat à l'immigration sans famille. Par cette loi, vous organisez la pression à la baisse des salaires. Considéreriez-vous que les trois millions de chômeurs que compte la France sont définitivement inemployables aux tâches que vous semblez réserver aux immigrés « choisis » ? Ces immigrés, par la précarité du de leur statut, seront d’une plus grande docilité encore puisque du contrat de travail dépendra la possibilité de rester sur le territoire. C’est donner un pouvoir considérable à l’employeur et créer une machine Bolkestein en puissance ! C’est adhérer au projet ultralibéral d’un M. Pompidou qui affirmait en son temps : …

M. le Ministre délégué - Excellente référence !

M. Arnaud Montebourg - …« l'immigration est un moyen de créer une certaine détente sur le marché du travail et de résister à la pression sociale ». Vous faites alliance avec Jean-Marie Le Pen en violant les principes régissant l’immigration familiale. Vous faites alliance avec Laurence Parisot en ouvrant les vannes de l'immigration du travail et en renforçant la compétition entre travailleurs.

M. Bernard Roman - Eh oui !

M. Arnaud Montebourg - La politique des quotas s’est soldée partout où elle a été adoptée par un échec cuisant. Certes, elle présente l’avantage de politiser la question de l'immigration : une loi tous les ans, des circulaires, des provocations permanentes et des mensonges publics. Mais elle a pour seul résultat, comme l’ont montré les expériences italiennes et espagnoles, de provoquer des flux massifs d’immigrants clandestins, qui ont dû être régularisés.

M. Jean-Pierre Brard - Ils étaient aussi nombreux que les grains de sable !

M. Arnaud Montebourg - Bref, votre funeste entreprise peut se résumer ainsi : violation des principes généraux de notre droit, piétinement des engagements internationaux de la France, enfermement de nombreuses personnes ne jouissant pas de la nationalité française dans un statut de « ni régularisable ni expulsable » – quelle belle machine à fabriquer des sans-papiers pour vos statistiques électorales ! –, adoption d'un système de quotas que de nombreux pays ont décidé d’abandonner et qui revient à inviter les candidats à l'immigration à tenter leur chance sur notre sol, mise en place d’un mécanisme insidieux de pression à la baisse des salaires. Bref, il se dessine une alliance entre le libéralisme le plus dérégulé et l'autoritarisme antirépublicain car pour de simples considérations électorales, vous avez malheureusement décidé de faire des concessions aux héritiers nostalgiques de Vichy (Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP). Vous aurez donc violé l'esprit et la lettre de la République et vous serez responsables d’avoir gonflé l'immigration irrégulière, et tout cela pour des compromissions indignes, grossières et à courte vue. La République méritait mieux. Elle ne vous donnera pas ses clés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Nicolas Perruchot – En France, l'immigration constitue un sujet extrêmement sensible et particulièrement récurrent. Son actualité est d'autant plus forte que les perspectives démographiques en Europe rendront peut-être nécessaire le recours aux ressources de l'immigration dans un avenir proche. Aussi une analyse régulière et attentive de l'action publique en ce domaine est-elle indispensable. En effet, notre cohésion nationale dépend, pour une large part, de la réussite de la politique d'immigration, et plus particulièrement des actions d'accueil et d'intégration.

D'abord, comme l’a rappelé le ministre d’État, l'immigration en France est une question mal connue. Certes, elle fait l'objet d'un débat public permanent et souvent passionné, mais centré sur la maîtrise des flux migratoires. Ainsi, depuis 1974, l'ordonnance de 1945 a été modifiée à trente-quatre reprises ! Il faut voir là le signe de notre incapacité à mettre en perspective notre politique d'immigration. Par ailleurs, l'immigration ne repose plus sur une demande des employeurs, mais sur la volonté des migrants, ce qui a des implications en matière d’accueil et d’intégration. Or, l’accueil et l’intégration ont trop souvent été négligés, ce qui a créé des décalages, des incompréhensions et des inégalités entre les Français de souche et ceux d'origine étrangère. Pour les réduire, nous devons nous interroger sur les trois piliers de notre tradition républicaine que sont la citoyenneté, la laïcité et l'égalité. Dès 2003, j’avais souhaité la mise en place d'un véritable contrat d'intégration. Je souscris donc pleinement aujourd’hui à l'introduction dans le code de cette disposition. Aux termes de l’article L. 314-10, seul l'étranger était soumis à des obligations d'intégration républicaine. Désormais, l’étranger devra acquérir une formation civique et linguistique, mais, l'État s’engagera de son côté à lui fournir les moyens nécessaires à son intégration républicaine. Cela permettra d’accélérer l'intégration des étrangers et la tradition républicaine de notre pays retrouvera ainsi ses lettres de noblesse. L’État doit financer la mise en mise en place d’un véritable programme d'intégration reposant sur la langue et les valeurs de notre société. Comme beaucoup d’entre nous, je constate que des hommes et des femmes qui vivent en France depuis des années ne connaissent pas un mot de notre langue. Il faut leur donner le moyen d’apprendre le français.

En revanche, je ne peux approuver pleinement que soit abrogée la délivrance de plein droit de la carte de résident à l'étranger qui vit dans notre pays depuis plus de dix ans. Cette mesure, loin de régler les questions d'intégration, risque de jeter dans la clandestinité des étrangers ayant noué des attaches personnelles dans notre pays et vivant une intégration de fait.

Plutôt que « l'immigration choisie » ou « l'immigration concertée », le groupe UDF souhaite favoriser une immigration responsable. Nous proposons un pilotage fort et simplifié de la politique d’immigration, et à terme la création d'un ministère de l'immigration responsable de la sélection et du contrôle à l'entrée de notre territoire, de l'accueil des populations migrantes et de leur intégration. Cinq raisons à ce pilotage fort. Premièrement, la très grande complexité des problèmes rencontrés, leurs dimensions nationale et internationale, administrative et parfois judiciaire. Deuxièmement, le trop grand nombre de ministères et administrations concernés qui contribue à diluer l'efficacité des textes adoptés. En 2003, je vous rappelle que la partie « asile » du projet de loi relevait du Quai d’Orsay, la partie concernant l’intégration, du ministère de l’intérieur, et une autre relevait des affaires sociales. Il est vrai qu’il en va autrement aujourd’hui. Troisièmement, les carences de l'organisation administrative à l’origine des difficultés rencontrées par les préfets et les maires en matière d'information, de suivi des dossiers. D’ailleurs, nous avions voté en 2003 des dispositions qui devaient permettre aux maires d'être informés des dispositions liées aux attestations d'accueil et aux décisions de l’OMI et qui ne sont toujours pas mises en œuvre.

M. Jean-Christophe Lagarde - On se moque de nous !

M. Nicolas Perruchot – Quatrièmement, l'approche trop souvent contradictoire des différents acteurs de notre politique actuelle d'immigration que sont les ministères, les établissements publics et les associations partenaires. Sur le terrain, nous constatons que ces dernières ont parfois une vision de l’immigration fort différente de celle défendue par l’État. Enfin, un État qui, faute de pilotage fort, est amené à déléguer plutôt qu'à agir directement en matière d'immigration et d'intégration.

D’autre part, une réflexion sur l'immigration dans l'espace Schengen est aujourd'hui la condition sine qua non d'une politique d'immigration et d'intégration responsable. Passer de « l'immigration choisie » à « l'immigration subie » ne règlera pas la question, car l’une ne remplacera pas l’autre : elles se superposeront. Les textes précédents permettaient déjà des ajustements en cas de pénurie de main-d'œuvre. Trop souvent, nous réduisons la question de l'immigration à la sphère nationale alors qu'il faudrait mettre en place une politique de développement avec les pays d'origine. Les immigrants fuient la plupart du temps des situations insoutenables sur le plan économique et politique. Aider les pays d'origine à donner à leurs ressortissants les chances de réussir est donc indispensable.

En conclusion, j’exprimerai le vœu qu’à l’avenir puissent participer à nos débats dans cet hémicycle des personnes issues directement de l’immigration. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Jean-Pierre Brard – M. Sarkozy n’est pas là alors qu’il nous a dit cet après-midi qu’un super ministre s’occupait des affaires étrangères, des affaires sociales et des questions de sécurité. Je me demande comment ce gouvernement est organisé : existe-t-il des sous-groupes ? Ce gouvernement n’est-il que la fédération des factions de l’UMP ? Quel rapport, Monsieur Estrosi, entre l’aménagement du territoire et l’immigration ?

M. le Ministre délégué – Il ne vous a pas échappé que je suis le ministre délégué du ministre de l’Intérieur.

M. Jean-Pierre Brard – Certes, mais il me semblait que ce texte était très important pour M. le ministre d’État et que celui-ci devait être mobilisé pendant tout le débat.

M. le Ministre délégué – Il l’est !

M. Jean-Pierre Brard - À peine est-il apparu qu’il disparaît ! Comment, dans ces conditions, répondra-t-il aux orateurs ?

M. le Rapporteur – Il est présent par l’esprit !

M. Jean-Pierre Brard - En tout cas, ce n’est pas l’Esprit-Saint (Sourires)!

À quatorze mois d’élections très importantes, ce projet constitue une nouvelle étape dans l’application de la politique voulue par les idéologues les plus réactionnaires de la majorité. Vous enfermez l’immigration dans une approche utilitariste, sécuritaire et discriminatoire censée correspondre au nouveau credo gouvernemental : stopper l’immigration subie et promouvoir une immigration choisie. Pure provocation ? Pas seulement. Le président de la Fédération protestante de France, Jean-Arnold de Clermont, estime que ce projet fragilisera considérablement les migrants et leurs familles ; il y voit même une « connotation électoraliste ». Olivier de Beranger, évêque de Saint-Denis, considère quant à lui que cette loi est électoraliste : « Nous sommes d'accord, la situation actuelle n'est pas saine, mais ne laissons pas croire que l'on peut la résoudre avec des modifications d'ordre juridique à la marge, alors qu'il faudrait traiter les causes des migrations. » Vous, vous considérez l'immigré comme une force de travail devant alimenter notre machine économique, comme pendant la sinistre période de la Traite. Ainsi nous faudrait-il accepter de donner l'image d’une France qui choisirait ses immigrés, comme on choisissait les esclaves sur l'île de Gorée : les diplômes remplaceraient les belles dents ! L'article 12 créerait une carte portant la mention « compétences et talents » dont les bénéficiaires seraient choisis en prenant en compte leur personnalité et leurs aptitudes. J’ai là un projet de texte sur les questions à poser aux immigrés sur leur personnalité.

M. le Ministre délégué – Quel est-il ?

Mme Nadine Morano - C’est de la rage !

M. Jean-Pierre Brard – Non ! Je ne suis pas comme M. le ministre d’État : la haine des autres ne m’habite pas, (Protestations sur les bancs du groupe UMP) surtout lorsqu’il s’agit des gens modestes.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois – Sortez les mouchoirs ! On va pleurer !

M. Jean-Pierre Brard – Je tiens ce questionnaire à votre disposition.

M. le Ministre délégué – J’y répondrai ! (Sourires)

M. le Rapporteur - D’où sort-il ?

M. Jean-Pierre Brard – Je vais vous le dire.

M. le Vice-président de la commission des lois – De la rue du Colonel Fabien ! (Sourires)

Mme Nadine Morano - Du goulag !

M. Jean-Pierre Brard – Voilà les questions qui seront posées par les fonctionnaires aux candidats à l’immigration : « Vous inquiétez-vous habituellement de la nécessité de protéger votre santé ? », « Achèteriez-vous à crédit dans l’espoir de pouvoir continuer à honorer des paiements ? », « Si nous envahissions un autre pays, ressentiriez-vous de la sympathie pour les objecteurs de conscience de ce pays ? ».

M. le Rapporteur – C’est le questionnaire du PC ?

M. le Ministre délégué – C’est un délire de M. Brard.

M. Jean-Pierre Brard - Non : il s’agit d’un questionnaire auquel adhère un ami proche de M. Sarkozy, qu’il rencontre de temps en temps et avec lequel il discute famille et cinéma. C’est le questionnaire d’une organisation représentée dans votre XVIIe arrondissement, Madame de Panafieu ! C’est le questionnaire auquel adhère Tom Cruise !

M. le Ministre délégué – Il compte quelques amis dans le monde ! C’est un grand artiste !

M. Jean-Pierre Brard - M. Estrosi défend Tom Cruise ! Il ne manquait plus que cela ! Aller chercher des alliés dans une organisation criminelle comme l’église de scientologie ! Je vous ai mis au défi, tout à l’heure, d’établir toute la clarté sur les maffieux russes dans l’arrière pays niçois, et voilà que vous venez au secours des amis de M. Sarkozy !

Mme Nadine Morano - C’est un délire ignoble !

M. Jean-Pierre Brard – Qui jugera de la personnalité des étrangers ? Ce questionnaire ne diffère pas foncièrement de ce à quoi vous croyez.

Votre projet est dangereux car il jette l'opprobre sur les migrants, leurs enfants et petits-enfants que d'aucuns rendent responsables de tous les maux de notre société. En novembre dernier, lors des émeutes, ne vous êtes-vous pas aventurés dans une analyse mensongère pour accroître le sentiment d'insécurité et jouer avec les peurs de nos concitoyens ? Dans ma ville de Montreuil, sur 27 arrestations, il y avait une majorité de descendants de Vercingétorix, si j’ose dire. Pourquoi ne dites-vous pas la vérité, sinon pour exploiter votre fonds de commerce nauséabond ? En quelques phrases prononcées devant les caméras, M. Sarkozy, lui, avait désigné les coupables ; la machine à stigmatiser était en marche pour mieux dissimuler les ravages que votre gouvernement et sa politique infligent au pays, depuis 2002, en se désengageant de nos villes et de nos banlieues, en supprimant les crédits aux associations de terrain, en supprimant la police de proximité. À Montreuil, l’ère Sarkozy, c’est quarante fonctionnaires de la police nationale en moins ! En démolissant les mécanismes de protection sociale et de lutte contre les exclusions, votre gouvernement conjugue et aggrave l'insécurité publique et l'insécurité sociale.

M. Sarkozy prône la rupture et vous essayez de faire croire à nos concitoyens que le Gouvernement ne serait ni responsable ni coupable de la situation dans laquelle sera notre pays. Et tout cela pour satisfaire une ambition personnelle ! Jeudi dernier, plus de 150 Montreuilloises et Montreuillois ont participé à la rencontre publique que j'ai organisée afin de débattre de votre projet. Les personnes présentes ont souhaité, à l'unanimité, que je me fasse le porte-parole de leurs colères, de leurs inquiétudes et de leurs désaccords. Ils m'ont également mandaté pour vous faire savoir que Montreuil a su se montrer jadis solidaire des Allemands antinazis, des Italiens antifascistes, des Espagnols antifranquistes, des Portugais antisalazaristes…

M. le Rapporteur – Des Russes anticommunistes (Sourires)!

M. Jean-Pierre Brard – et qu’elle est aujourd’hui terre de résistance à votre loi scélérate.

Il existe une politique migratoire alternative, fondée sur un dialogue et une coopération renforcée avec les pays qui depuis des décennies sont liés à la France. Le véritable courage politique consisterait à choisir la voie difficile d'une politique de l'immigration respectueuse des étrangers, une vraie politique de coopération fondée sur le respect…

Mme Nadine Morano - C’est ce que nous faisons.

M. Jean-Pierre Brard - …où chaque État compte pour un. Or, plus de deux ans après la loi du 26 novembre 2003 modifiant la législation sur l'immigration et le droit d'asile, vous décidez de procéder à une nouvelle réforme sans même prendre le temps de présenter le moindre bilan de votre politique. De nombreuses organisations qui accompagnent les étrangers et leurs familles dans leurs démarches administratives savent que votre loi a rendu la vie impossible à des dizaines de milliers de personnes, tout en remplissant d’ailleurs les centres de rétention. Aujourd'hui comme hier, la plus grande partie des immigrés sont des réfugiés économiques et des victimes des politiques néo-coloniales que vous avez développées en soutenant les tyranneaux locaux comme Mobutu ou Bokassa (Protestations sur les bancs du groupe UMP) ! Vous voulez vider ces pays de leurs forces vives ! Où est l’intégration, affichée abusivement dans le titre de votre projet ? Nulle part ! Et vous devrez en rendre compte à notre peuple ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Guy Teissier - Ce texte est emblématique puisqu'il est présenté quelques mois seulement après la crise des banlieues et les problèmes d'intégration qu'elle a mis en évidence. Sujet confisqué intellectuellement par la gauche dite bien pensante et ses satellites extrémistes, thème électoralement confisqué par l'extrême droite, l'immigration a toujours constitué une préoccupation importante pour nos concitoyens, qui la vivent trop souvent comme une agression.

Nécessaire pour faire face à la fois à une démographie défaillante et à un besoin de main-d'œuvre, l'immigration économique voulue dans les années 1960 et 1970 s'est transformée, en trois décennies à peine, en une immigration sociale imposée. Des erreurs ont laissé s'installer une immigration familiale sans qualification professionnelle et parfois sans désir réel d’intégration. Elles ont un coût : 36 milliards, selon l’institut de géopolitique des populations, soit 80 % du déficit public ou deux fois le budget de la recherche. Il est évident que nous ne pouvons pas continuer ainsi, parce que nous n’avons plus les moyens de cette générosité et qu’avec un taux de 1,9 enfant pas couple, nos besoins d’ici à 2050 vont évoluer. Le dire, c’est faire preuve de réalisme et assumer la responsabilité collective d’un échec longtemps annoncé. C’est pourquoi je suis favorable à une immigration choisie, pour une France en confiance.

Nous avons besoin d’une immigration : l’immigration zéro est non seulement un mirage, mais un non-sens ! Et aucune société repliée sur elle-même ne peut avoir d’avenir. Ce n’est pas parce que l’on vient de loin que l’on aime moins la France ! Mais nous ne pouvons être le seul pays au monde qui ne puisse pas décider de ce qu’il accepte sur son territoire. Nous avons le droit, comme toutes les démocraties, de choisir notre immigration. Comment n’aurions-nous le droit de choisir personne, mais le devoir d’accueillir tout le monde ? Ce projet de loi propose donc de nombreuses dispositions utiles. Une question est aussi importante que symbolique : celle de la maîtrise de la langue française. Il est évident que toute insertion s'appuie sur la maîtrise des fondamentaux de la langue du pays d'accueil. La langue est la base d'un vivre ensemble dans la perspective d'un avenir commun quelles que soient les mémoires, les religions et les cultures en présence.

À tous ceux qui nous reprochent de manquer de générosité, je réponds qu'ils manquent de lucidité. Ce n'est certainement pas être généreux que de faire entrer des hommes et des femmes auxquels nous n'avons ni emploi, ni logement à proposer. Ce n'est pas être généreux que de tolérer une immigration clandestine qui alimente les filières criminelles et les ateliers illégaux et bénéficie aux marchands de sommeil. Ce n'est pas être généreux que de créer des ghettos sans avenir. Aussi juste, équilibrée et opportune que soit cette réforme, nous devons donc être conscients qu'elle doit s'accompagner d'une impulsion nouvelle donnée à notre aide au développement des pays d'émigration, et plus particulièrement du continent africain. Dans 25 ans, l'Afrique comptera 1,3 milliard d'habitants. Si nous ne sommes pas capables de donner un avenir à ce continent d'ici à 2025, rien n'arrêtera les populations désespérées.

Parce qu'immigration et intégration vont de pair, il faut rétablir un discours positif et proposer un contrat à la fois juste et exigeant. Ce projet de loi y contribue. Il respecte l'histoire de la France et ses traditions et défend les principes fondateurs de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Christophe Caresche – Le texte qui nous est soumis est une sorte de curiosité législative : il est en effet pour le moins surprenant qu'un ministre propose de légiférer deux fois sur un même sujet dans la même législature ! Pourquoi donc présenter, pratiquement à son terme, un texte de 80 articles, considéré comme un texte politique essentiel pour la majorité, alors qu'une loi a été adoptée en 2003 sur le même sujet ? Les explications du ministre de l’intérieur paraissent bien fragiles : il serait désormais en charge de la coordination de la politique de l'immigration, ce qui lui permettrait de « poser les bases d'une nouvelle et ambitieuse politique de l’immigration ». On n'ose imaginer que la politique d'immigration et d'intégration de la France ait tenu durant quatre années à un problème de coordination interministérielle. De la part de qui se présente comme un homme d'action, c’est étonnant !

Le fait est que vous avez les plus grandes difficultés à justifier ce texte. Et pour cause ! S’il est dicté par la volonté de mettre fin à des dispositions que vous jugez trop libérales en matière d’immigration, notamment familiale, on est en droit de se demander pourquoi vous avez attendu quatre ans ! Les flux migratoires n’ont pas brusquement évolué : ils se sont stabilisés à partir de 2003 et ont même légèrement baissé en 2005. L’augmentation sensible du nombre des titres de séjour délivrés dans notre pays était connue depuis plusieurs années. Pourquoi invoquer cette situation seulement aujourd’hui ? La réponse peut paraître paradoxale : le ministre de l’intérieur n’a pas voulu prendre le risque d’être confronté aux situations ingérables qu’impliquent les dispositions restrictives du présent texte ! Bref, vous ne vouliez pas de nouveau Saint-Bernard. C’est pourquoi vous avez maintenu, en 2003, les dispositions de la loi de 1998 permettant une régulation intelligente de l’immigration, notamment les dispositifs de régulation « au fil de l’eau » et d’immigration familiale que, malheureusement, vous nous proposez de supprimer aujourd’hui. Vous avez même utilisé toutes les facilités de la loi de 1998 – vous en avez été les meilleurs ouvriers.

M. Claude Goasguen - Alors il fallait voter la loi de 2003 !

M. Christophe Caresche - C’est sous ce gouvernement que le nombre d’immigrés accueillis sur notre sol aura été le plus élevé ces dix dernières années, c’est lui qui aura procédé au plus grand nombre de régularisations ! Il faut d'ailleurs vous en féliciter : cette politique est conforme aux intérêts de notre pays ; elle maintient un flux migratoire raisonnable, correspondant à nos besoins et a permis d'éviter les crises de sans-papiers que la gauche a dû affronter en 1997. Vous avez été bien inspirés, malgré des méthodes pour le moins contestables : si le nombre d’arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière a crû sensiblement depuis 1997, le nombre d’arrêtés non exécutés – qui traduit le nombre d’étrangers en situation illégale qui restent sur notre territoire – aussi ! Cela signifie clairement que vous connaissez les mêmes difficultés que les autres gouvernements pour faire appliquer les arrêtés d’expulsion. Il y a en effet des limites, en termes de moyens mais aussi d’humanité, qu’il n’est pas possible de franchir.

Vous aurez donc appliqué la loi de 1998 durant toute votre mandature – puisque le texte que vous nous proposez ne sera pas applicable avant fin 2006. Le ministre de l’intérieur aura fait appliquer pendant cinq ans les dispositions prises sous le gouvernement de Lionel Jospin qui permettaient de réguler de façon satisfaisante les flux migratoires. Le président de l'UMP et surtout le candidat à l’élection présidentielle veut les mettre à bas et instrumentaliser le débat sur l'immigration à des fins électorales. Voilà la réalité ! Ce projet est un texte de pure opportunité politique, à la veille des échéances électorales et au moment où le Gouvernement a connu un échec social retentissant.

L'autre justification avancée réside dans la volonté de donner une réponse à la crise de l'intégration que nous connaissons. Mais la responsabilité de la majorité dans ce domaine est engagée ! Ce texte signe l'échec de la politique que vous avez menée depuis quatre ans et qui conduit une partie de la population, française et immigrée, dans l'impasse. Vous voulez répondre par un contrôle des flux migratoires alors que les solutions sont d'abord économiques et sociales. Si des gens sont morts cet été à Paris dans des incendies, ce n'est pas parce qu'ils n'avaient pas à se trouver sur notre territoire ou qu'ils n'avaient pas les moyens d'y être, mais parce la crise du logement confine dans des taudis des milliers de personnes, y compris des travailleurs, employés parfois par nos services publics et socialement intégrés ! Et la remise en cause de la loi SRU, notamment dans vos communes, n'améliorera pas la situation. La cause principale n’en est pas un défaut d’intégration, même si je ne nie pas la nécessité d’aller plus loin dans ce domaine, mais la crise économique et sociale.

Il s’agit bel et bien d’un texte de circonstances : les propos du ministre d’État, reprenant mot pour mot les slogans du Front national, ont achevé de nous en convaincre. Il aura des conséquences graves. D’abord, il rompt l'équilibre qui prévalait entre la nécessaire maîtrise des flux migratoires et l’ouverture de nos frontières – équilibre qui faisait l’objet d’un consensus depuis dix ans, puisque vous ne l’aviez pas remis en cause en 2003. Ce texte excessif marque le retour à la politique restrictive et inconséquente que nous avons connue sous les gouvernements Balladur et Juppé avec Charles Pasqua. Vous opposez l'immigration choisie à l'immigration subie. Cette distinction est malsaine, factice et dangereuse.

Malsaine, car elle stigmatise les immigrés, les présentant comme un fardeau pour la France. Faisant le tri entre les supposés « bons » immigrés et les « mauvais », elle divise la population immigrée et crée au sein de la nation française des boucs émissaires. Cette attitude a d’ailleurs choqué les églises. C'est dire combien le défaut d'humanité de ce texte est contraire non seulement à nos valeurs républicaines, mais aussi au fondement de notre culture.

Factice, parce que l’immigration familiale est aussi une immigration de travail. Vous savez bien par exemple que le secteur de l’aide aux personnes est essentiellement assuré par les femmes immigrées. Il suffit, pour s'en rendre compte, d'aller par exemple à Neuilly, vers 16 heures 30, à la sortie des écoles !

Factice aussi, parce qu’il n’y avait pas besoin d’une loi et d’un trompe-l’œil tel que la carte « compétences et talents » pour favoriser la venue d'étrangers dans certains secteurs. Une simple circulaire aurait pu faire l'affaire, comme cela a été le cas dans le passé.

Ce texte est dangereux, car il est générateur de désordre. Il produit de la précarité et fabrique des clandestins. Pourquoi durcir encore les conditions d'accès des étrangers à ce droit fondamental qu’est celui de vivre en famille ? Actuellement, le regroupement familial peut déjà être refusé si le demandeur ne dispose pas d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable en France.

M. Jean-Christophe Lagarde - Seize mètres carrés pour deux personnes !

M. Christophe Caresche - Vous voulez maintenant rendre le regroupement familial quasiment impossible, dans les faits. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

C’est également ce que vous voulez faire des régularisations. II existe actuellement un dispositif de régularisation individuelle permanente, qui permet la régularisation automatique d'un étranger présent sur notre sol depuis dix ans. Une sorte de prescription, comme il en existe pour d'autres délits, tels que la fraude fiscale. Des mécanismes voisins existent d'ailleurs en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Espagne.

Vous le savez bien, Monsieur le ministre : nos lois ont beau être de plus en plus répressives, « la clandestinité zéro » n'existe pas. Tant que les guerres, les famines, les difficultés économiques, les persécutions politiques feront fuir les misérables de leur pays, il y en aura toujours qui arriveront à se glisser entre les mailles du filet.

Il ne s'agit pas, avec ces régularisations, de donner une « prime à la clandestinité » comme vous le dites, mais de résoudre pragmatiquement un problème qui n'a pas été résolu durant dix ans, puisque la police n'a pas réussi à arrêter ou expulser ces personnes. L'intérêt de ce dispositif permanent de régularisation est d'empêcher le « stock de sans-papiers de s'hypertrophier jusqu'à l'explosion. Au total, avec le regroupement familial, il aboutit à 20 000 régularisations par an.

Nous l'avons créé en 1998 parce que nous étions confrontés à une situation intenable, héritage des lois Pasqua et de la politique d'immigration absurde menée par les gouvernements d'Édouard Balladur et d'Alain Juppé. Nous avons donc procédé à un grand nombre de régularisations mais en fixant des critères précis et en cherchant dans la loi les moyens de ne plus nous retrouver face à des situations de ce type.

Aujourd'hui, après avoir utilisé ces mesures durant cinq ans, vous décidez de les supprimer, au risque de mettre vos successeurs, quels qu'ils soient, en grande difficulté. Votre démarche peut en somme se résumer à une formule : après moi le désordre ! Le désordre, nous l'aurons si ce texte est adopté. Et c'est probablement ce qu'il y a de plus contestable dans votre démarche. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Muguette Jacquaint - Les élections approchent et le Gouvernement souhaite clairement que l’immigration constitue un thème central de la future campagne présidentielle. Par ce projet de loi, le Gouvernement veut séduire les électeurs qui trouvent que les immigrés sont trop nombreux en France. Mais en réalité, loin de réduire le nombre des étrangers, ce texte va plonger dans l’illégalité des centaines de milliers de personnes présentes sur notre sol. Ces « nouveaux prolétaires » n’en seront que plus exploitables par des employeurs sans scrupules, qui en profiteront pour tirer les salaires et les conditions de travail vers le bas, pour ceux qui sont immigrés comme pour ceux qui ne le sont pas.

Vous reprenez, Monsieur le ministre, un slogan véhiculé par l'extrême droite : « La France : aimez-la ou quittez-la ! ». Mais précisément, ces étrangers aiment la France et l'ont choisie comme une terre d’asile. Et parfois leurs parents ou leurs grands-parents ont combattu dans les rangs de l’armée française ; ou ont participé au développement économique du pays et à celui de fleurons de notre industrie. En remerciement, vous voulez les précariser et les appauvrir encore plus !

Car vous ne voulez pas de l’intégration ! Et vous proposez donc de supprimer la possibilité pour les sans-papiers présents en France depuis plus de dix ans d'obtenir un titre de séjour. Cela veut dire que même après trente ans, voire quarante ans de résidence, leur régularisation dépendra du bon vouloir des administrations. Or, en Seine Saint-Denis, il faut parfois attendre huit mois ou un an avant d’obtenir un premier rendez-vous en vue d’une éventuelle régularisation ! Il était déjà compliqué de fournir les preuves de dix ans de résidence. Mais avec le système que vous voulez instaurer, les étrangers concernés sont condamnés à demeurer des clandestins à vie.

Vous direz que la solution est toute trouvée : il suffit de renvoyer les sans-papiers dans leurs pays d'origine. Vous avez ainsi fixé un objectif annuel de 25 000 reconduites à la frontière. Mais la réalisation d’un tel programme n'est pas possible sans porter atteinte aux libertés fondamentales et sans tourner le dos aux valeurs humanistes.

Où est l’humanisme quand la circulaire du 21 février autorise vos services à interpeller les sans-papiers en tous lieux, y compris dans les centres d’hébergement et les hôpitaux ? Et quand il sera possible de piéger les sans-papiers jusque dans les préfectures où ils viennent chercher une régularisation ?

Mais harcèlement n'est pas efficacité. Et démagogie et principe de réalité ne font pas bon ménage. La solution passe au contraire par une régularisation progressive des sans-papiers présents en France. Sortis de l'illégalité, ceux-ci pourront enfin bénéficier des droits fondamentaux que sont la santé, le logement, un travail correctement rémunéré et, je l'espère, bientôt le droit de vote aux élections locales.

Vous nous dites qu’une telle régularisation aurait pour effet un appel d'air sur les populations du Sud. C’est faux. L'afflux existe de toute façon et a pour origine l'extrême pauvreté dans laquelle elles vivent. Je remarque à cet égard que ce gouvernement ne propose aucune solution de co-développement avec le Tiers monde. Il s’évertue au contraire à en piller les intelligences, notamment au travers de la carte « compétences et talents ».

Afin de masquer votre rejet massif des étrangers dans l'illégalité, vous cherchez à donner le change en mettant en avant une « immigration choisie ». Mais cette notion n'est qu'un leurre, puisque vous proposez non pas un accès durable à notre sol mais au contraire l'utilisation ponctuelle d'une main-d'œuvre étrangère dans certaines zones et pour certains métiers. Et de cette main-d'œuvre, l'on se débarrassera bien vite dès que la situation de l'emploi dans ces zones et ces métiers sera rétablie !

Le projet prévoit d’ailleurs que la rupture du contrat de travail entraînera ipso facto le retrait du titre de séjour qui lui était lié. On invente ainsi « l'immigré kleenex » ! Le Gouvernement demeure donc dans la même logique qu’avec le CNE et le CPE, à savoir la précarité généralisée pour les salariés. Au jeune jetable du projet de loi sur l'égalité des chances fait suite l’immigré jetable du présent projet. Nous, députés communistes et républicains, espérons de tout cœur que ce texte subira le même sort que celui sur le CPE ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Véronique Besse - L’immigration sera à n’en pas douter la question centrale de l’élection présidentielle. D’abord, parce que le bilan de la politique d’immigration massive et incontrôlée menée depuis trente ans est catastrophique, porteur de deux grands malheurs. Un grand malheur pour l’Afrique, que cette politique prive de ses élites. C’est ainsi que la moitié des médecins formés sur place ont quitté le continent africain, alors qu’il compte aujourd’hui quarante millions de séropositifs. Un grand malheur pour notre pays : 320 000 entrées en 2005, mais aussi 45 ²000 voitures brûlées dans les banlieues et la désintégration progressive de la France, qui se trouve désormais face à un problème de définition.

En effet, notre pays glisse peu à peu dans le communautarisme. La France a-t-elle vocation à devenir une juxtaposition de communautés ethniques, religieuses, et sexuelles ? Ou bien doit-elle au contraire demeurer une communauté nationale fondée sur les principes républicains de l'unité, de l'égalité et de la citoyenneté ?

Hélas, le ministre d’État a déjà répondu à cette question : « la France d'après », c'est la France d'après les Français, la France du communautarisme. Il propose la discrimination positive, c'est-à-dire la préférence étrangère, le financement public des mosquées, c'est-à-dire la théocratie de l'impôt, et enfin le droit de vote pour les étrangers, c'est-à-dire la dissociation de la citoyenneté et de la nationalité.

Loin de résoudre la situation, ce projet de loi va l’aggraver, car il va accroître les problèmes d'immigration en ajoutant à l'immigration de peuplement une immigration de travail. Il s’agit en outre d’un projet moralement scandaleux : l'immigration choisie consiste à faire venir travailler chez nous des étrangers qualifiés, véritable scandale pour nos millions de compatriotes sans emploi, qui vont voir passer devant eux des ingénieurs chinois, des informaticiens indiens et des infirmières béninoises. Ne ferait-on pas mieux de former nos chômeurs et de les réinsérer par le travail ?

Quel scandale également pour les pays pauvres, dont nous allons piller les forces vives, pourtant si nécessaires au développement du tiers monde ! Alors que nous subissons aujourd'hui la fuite des cerveaux français vers l'Amérique, voilà que nous organisons la fuite des cerveaux africains vers la France !

En vérité, l'immigration subie est un désastre, et l’immigration choisie une imposture. À l’inverse, le Mouvement pour la France préconise une immigration tarie. Une telle immigration zéro repose sur la générosité, sous la forme d’un plan Marshall destiné à enrayer le déracinement africain, mais également sur la fermeté. Elle suppose en effet le rétablissement de nos frontières et l’abolition des privilèges exorbitants accordés aux immigrants illégaux, de même que la suppression du regroupement familial. (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Dernier principe, enfin : la francisation. L'acquisition de la nationalité ne doit plus être automatique, et nous devons imposer une charte républicaine aux mosquées, sans oublier de rendre la France « aimable ». Pour cela, finissons-en avec les repentances, cessons de condamner le peuple français à la pénitence perpétuelle, et retrouvons l'amour de la France !

Plusieurs députés du groupe communiste – Quel désastre!

M. le Président – La parole est à Madame Juliana Rimane.

Plusieurs députés du groupe UMP – Enfin une vraie républicaine !

Mme Juliana Rimane – Par ses conséquences économiques et sociales désastreuses, l'immigration clandestine grandissante ne cesse de plonger la Guyane dans une situation angoissante.

Plus vaste région française, ce territoire est enchâssé dans le continent latino-américain. Ses frontières avec le Surinam et le Brésil, respectivement le Maroni et l'Oyapock, s’étendent en Amazonie sur près de 1 200 kilomètres, et sont les plus longues, mais aussi les plus perméables et les plus difficiles à contrôler de notre pays. Loin d’être des « lignes de démarcation », elles jouent depuis toujours le rôle de «lieux d'échange.»

En trente ans, la population réelle de la Guyane a ainsi été multipliée par quatre – 184 400 habitants selon les chiffres officiels publiés en 2004, dont 42 584 étrangers en situation régulière. Les étrangers en situation irrégulière seraient également beaucoup plus nombreux. Ne possédant aucune existence administrative, ils sont pourtant bel et bien là, et constituent une charge pour l’État, les collectivités locales, tous organismes sociaux et tous les acteurs de la vie économique locale.

En Guyane, le PIB est en effet de quinze à quarante fois supérieur à celui des pays voisins, ce qui fait de cette région un havre de richesses au milieu d'un océan de pauvreté au regard des populations démunies des États voisins, qui cherchent à tout prix à s'y installer pour bénéficier de prestations de haut niveau.

Le Gouvernement a donc pris des mesures très fortes pour lutter contre cette situation qui déstabilise totalement la Guyane. Il a ainsi renforcé l'arsenal de répression et les moyens des forces de l'ordre, ainsi que les reconduites à la frontière et les actions diplomatiques en direction des pays voisins, dont l’efficacité semble toutefois limitée. À cela s’ajoute un contrôle renforcé des organismes compétents sur les situations sociales.

Ces mesures semblent néanmoins avoir montré leurs limites, l'immigration clandestine ne cessant de progresser et atteignant d'une gravité exceptionnelle. Or, toutes les collectivités locales et tous les organismes sociaux sont tenus, par la loi, de satisfaire les besoins de ces populations en situation irrégulière – constructions scolaires, logements et équipements publics, mais également aides sanitaires et sociales. Les clandestins, dépourvus de toute existence administrative, bénéficient cependant d'une exonération fiscale et sociale qui est totale et permanente.

Dans ces conditions, il est inutile de s'interroger sur les déficits de la puissance publique en Guyane, qui se trouve devant un puits sans fond. Les activités économiques pâtissent par ailleurs de cette immigration clandestine, qu’il s’agisse par exemple du secteur aurifère ou de la pêche et des services. Alors que le taux de chômage s’élève à 25 %, le travail dissimulé, source d’une concurrence parfaitement déloyale, se développe à un rythme soutenu. Et l'argent illégalement perçu ne s'investit pas localement, puisqu’il est pour l'essentiel envoyé aux familles des clandestins restées au pays.

La clandestinité entraîne enfin la précarité et renforce l'insécurité, la délinquance et la criminalité. L'institution judiciaire est aujourd’hui débordée, et les établissements pénitentiaires, gravement surpeuplés, sont occupés à près de 60 % par des ressortissants de pays étrangers. Cette insécurité et cette violence pétrifient tous les Guyanais : depuis le début de cette année, trois représentants des forces de l'ordre ont en effet été assassinés, et les funérailles du policier Robinson, qui laisse sa femme seule avec deux jeunes enfants, viennent de se dérouler à Cayenne, il y a quelques jours.

La lutte contre l'immigration clandestine appelle donc des mesures draconiennes, faute de quoi la Guyane sera victime d'une redoutable radicalisation des populations. Pas plus tard que la semaine dernière, nous avons ainsi assisté à des scènes particulièrement inquiétantes.

Alors que le Gouvernement poursuit avec détermination sa volonté de renforcer la lutte contre l'immigration clandestine, les lois appliquées en Guyane demeurent fondées sur le principe d'égalité, comme partout ailleurs dans notre République – accès à l'école, aux services de santé et aux aides sociales de toute nature, par exemple. Elles renforcent donc l'attractivité de la Guyane pour les populations les plus démunies de la région.

Par conséquent, je demande avec force que l’on conduise immédiatement une réflexion de fond sur l'immigration clandestine, mais aussi et surtout que l’on mette en œuvre de toute urgence des mesures législatives propres à supprimer les invraisemblables incohérences actuelles.

Comme le préconise le récent rapport du Sénat, il est également nécessaire d’augmenter les dotations de l'État aux collectivités locales, qui sont confrontées à une lourde pression migratoire. J'ai d'ailleurs déposé, en compagnie de mes collègues de Guadeloupe, un amendement dans ce sens.

Je regrette enfin que la commission composée d'acteurs locaux et chargée d'apprécier les conditions de l'immigration en Guyane et de proposer des solutions adaptées, dont j’ai pris l'initiative, n'ait vu le jour qu'au mois de mars dernier. En effet, ses conclusions auraient été de nature à apporter une contribution utile à ce texte.

Au fil des siècles, la société guyanaise s’est enrichie des apports successifs de populations venant de tous les horizons, et elle est encore capable d'accueillir en son sein ceux arrivés plus récemment et qui sont parfaitement intégrés. Elle n'est toutefois plus en mesure de recevoir tous ceux qui frappent à sa porte, à moins de perdre encore davantage de sa cohésion. Il est aujourd’hui vital, Messieurs les ministres, de trouver un équilibre entre solidarité, fermeté et humanité. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Claude Goasguen – Voilà trente ans que nous tournons autour de la question de l’immigration avec la plus grande hypocrisie. Le plus frappant dans ce texte, c’est donc la volonté de rompre avec cette habitude qui a montré toutes ses limites.

Une telle hypocrisie est multiple. Elle porte d’abord sur les chiffres : existe-t-il un autre domaine où nous ne disposons pas de statistiques fiables ? Et il ne s’agit pas de l’immigration clandestine, mais des étrangers en situation régulière ! Des différents chiffres publiés par les ministères, quel est le bon ?

C’est également en matière d’immigration que nous nous noyons le plus sous les circulaires, inapplicables, et non appliquées par les différents services de l’État, qui ont parfaitement compris l’impossibilité de gérer en pratique une situation aussi complexe.

À cela s’ajoute l’hypocrisie des bons sentiments, dont nous avons encore entendu aujourd’hui de beaux exemples. Il est si facile en effet d’administrer de grandes leçons de morale, dans cette assemblée ou depuis les épiscopats et les associations ! Il est si facile de demander à l’État de vider des églises pleines de sans-papiers pour demander ensuite leur maintien sur le territoire national !

Et qu’il est facile d’exiger, depuis trente ans, la fermeture des frontières, alors qu’aucun pays européen ne les a plus ouvertes que nous ! Nous ne cessons de refuser prétendument l’immigration tout en ouvrant le plus libéralement possible nos frontières !

L’hypocrisie s’étend au monde du travail. Il est impossible de favoriser aujourd’hui l’immigration légale, car c’est interdit, alors que le regroupement familial, le droit d’asile, ou encore le mariage n’ont pas pour objet de faire venir en France ceux qui aiment nos platanes ou notre langue, mais ceux qui ont la volonté d’y travailler – et c’est là fort logique. Le ministre d’État a donc eu le courage de rompre avec les antiennes que répètent inlassablement les gouvernements successifs, de droite comme de gauche.

Nous devons progresser dans la voie de la modernité, mais il faut commencer par endiguer le flux migratoire actuel : il ne peut y avoir d’immigration choisie si l’immigration subie ne diminue pas nettement. C’est pourquoi nous approuvons les dispositions prévues pour mettre un terme aux abus des dispositions légales existantes, en particulier celles du regroupement familial. À moins de réguler l’immigration subie, source de toutes les fraudes, nous ne ferions qu’y ajouter l’immigration choisie, ceux qui le disent ont raison.

Cette loi s’inscrit dans l’évolution fondamentale qui affecte les grandes démocraties, notamment celles qui ont l’habitude de maîtriser d’importants flux d’immigration comme le Canada. Rappelez-vous nos débats sur la calamiteuse loi Chevènement, ce véritable panier percé pour l’immigration clandestine. Nous avions réussi à imposer au ministère de l’intérieur socialiste de publier chaque année un rapport sur la base de statistiques fiables : on l’attend toujours !

M. Bernard Roman - C’est trop tard…

M. Claude Goasguen - Il a fallu le changement de majorité en 2002 pour obtenir le premier rapport, certes aléatoire, sur les chiffres de la maîtrise des flux migratoires. Ce premier pas permettait au moins à l'Assemblée nationale de mesurer quantitativement l’immigration. Or, donner au Parlement le pouvoir de décider et d’analyser en matière d’immigration est essentiel dans une démocratie moderne. La politique de l’immigration réclame autant notre intérêt que celle de l’emploi, du logement ou de l’agriculture. Ne laissons pas à des fonctionnaires, quelle que soit leur qualité, la maîtrise de circulaires incompréhensibles ! Ce texte a donc au moins le mérite de nous proposer, dans quelques mois, un rapport quantifié sur les flux migratoires, qui donnera lieu à un débat. J’aurais préféré donner à celui-ci un caractère normatif par le biais d’une loi d’orientation, et je vous conseille, Monsieur le ministre, d’avancer dans cette voie lors de la campagne présidentielle, afin que ce rapport nous permette d’analyser nos véritables besoins en matière sociale – et, pourquoi pas, de quotas, car je ne suis pas homme à m’effrayer des mots pour cacher de dures réalités.

Nous devons voter ce texte courageux, rigoureux, qui prend les risques de l’application de la loi. Il incarne une politique d’avenir. L’immigration choisie doit être la politique de demain en France et en Europe. Elle déplaît peut-être aux bonnes âmes, mais elle vaut mieux que l’immigration frauduleuse et clandestine. Je voterai donc ce texte en espérant l’adoption de nos amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Patrick Delnatte – Pays d’immigration depuis le XIXe siècle, ce n’est qu’en 1945 que la France s’est dotée d’une politique d’immigration respectueuse des droits de l’homme, des libertés publiques et des normes internationales. Au cours des Trente Glorieuses, le besoin de main-d’œuvre l’a poussée à recourir aux travailleurs immigrés et à instaurer le mécanisme du regroupement familial.

Aujourd’hui, alors que les transports et les communications se développent, mais que les écarts entre riches et pauvres se creusent, l’immigration est sans rapport avec les besoins économiques du pays. Trop de familles d’immigrés, voire de familles françaises d’origine immigrée, vivent dans des conditions déplorables : pauvreté, chômage, logement précaire, racisme.

Laisser la fraude gouverner l’immigration, c’est provoquer le délitement du lien social et la perte des valeurs qui fondent la citoyenneté républicaine. Il faut pourtant répondre aux aspirations légitimes de tout homme vivant sur notre territoire : la France doit donc adopter une nouvelle politique migratoire juste, cohérente et rigoureuse. Elle doit être capable de réguler l’immigration, de lutter contre les détournements de procédure et de promouvoir une intégration réussie.

La majorité et le Gouvernement ont le mérite d’avoir introduit dans le débat public ce thème trop longtemps resté tabou et instrumentalisé par la surenchère xénophobe. Le projet de loi, quant à lui, a le mérite d’aborder toutes les facettes du problème. Grâce à lui, l’attractivité de la France pour les travailleurs qualifiés et les étudiants de haut niveau sera renforcée, dans le cadre d’échanges favorables au co-développement. On pourra réguler les flux migratoires en fonction des besoins économiques et appliquer, comme dans tous les pays développés, le principe d’une immigration choisie. De nouveaux outils législatifs vont enfin permettre la mise en place d’une véritable politique d’accueil des immigrés : trop longtemps, on a cru que l’intégration se ferait toute seule. En liant le regroupement familial à des conditions de ressources, on renforce la lutte contre la fraude et l’immigration illégale ; en renforçant les obstacles au détournement du mariage, on crée les conditions d’une immigration maîtrisée.

Enfin, fidèle à nos traditions de défense des droits de l’homme, le projet de loi conforte et encadre l’immigration pour des motifs humanitaires ou politiques. Deux exemples illustrent ce souci : tout d’abord, il transpose une directive communautaire de 2004 qui prévoit la délivrance d’un titre de séjour aux ressortissants d’un pays tiers victime du proxénétisme ou d’autres atteintes à la dignité humaine. D’autre part, il prévoit d’étendre le bénéfice de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » à un mineur étranger isolé confié dès 16 ans au service d’aide sociale à l’enfance et qui suit un parcours d’insertion. Soutenus par les conseils généraux, ces jeunes, n’ayant pas atteint les trois années de résidence requises pour acquérir la nationalité, pourront toutefois demeurer légalement sur le territoire. Aujourd’hui, la crainte de l’expulsion pousse trop de jeunes à la veille de leur majorité à quitter leur foyer d’accueil pour entrer dans la clandestinité. Leurs éducateurs dénoncent d’ailleurs un véritable gâchis : ce projet de loi y mettra un terme.

Vous avez souhaité, Monsieur le ministre d’État, que ce projet s’enrichisse des propositions faites au cours du débat parlementaire pour atteindre un équilibre représentatif des différentes familles de pensée de notre pays. C’est en effet de cette manière que l’on parviendra à ouvrir la voie d’une immigration réussie et assumée. Je soutiens donc ce projet équilibré, responsable et respectueux du droit de la personne à vivre dans la dignité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Christine Boutin - Face à la multiplication des mouvements de population dans le monde, la question de l’immigration reste incontournable. Fallait-il pour autant l’évoquer aujourd’hui, alors que le calendrier est pour le moins chargé ? Je me le demande…

M. Bernard Roman - Nous aussi !

Mme Christine Boutin – Vous savez, Monsieur le ministre, ce que je pense de ce texte : il faudra l’amender fortement pour qu’il soit accepté non seulement par les immigrés eux-mêmes, mais aussi par les Français issus de l’immigration et une grande majorité de nos concitoyens fidèles au principe républicain de l’accueil.

L’examen de ce texte soulève de nombreuses questions de société. Tout d’abord, quel regard portons-nous sur l’étranger : sa différence est-elle source de richesse ou faut-il la repousser ? De la réponse donnée par ce projet de loi dépend une grande part de notre cohésion sociale : celui qui n’accepte pas l’étranger finira par ne plus accepter son voisin. Certes, nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde, mais il ne faut pas pour autant fragiliser nos principes fondamentaux.

Il est impossible de légiférer sur l’immigration sans proposer des actions de co-développement. L’urgence, aujourd’hui, c’est le partage des richesses entre le Nord et le Sud. Certains risquent leur vie sous des trains d’atterrissage pour vivre chez nous dans des conditions qui nous font horreur, mais qui sont pourtant bien meilleures que chez eux : ce ne sont ni les lois ni la police qui les arrêteront. Il est de notre devoir de responsables politiques de le confirmer à nos concitoyens.

Ce sont les principes qui ont fait de la France la patrie des droits de l’homme qui doivent guider nos travaux, et notamment le principe de la dignité humaine. L’efficacité d’une politique se mesure à l’aune de ses effets sur les plus fragiles, et la solidité d’une chaîne ne vaut que par la résistance de chacun de ses maillons, notamment les plus faibles.

Les défis actuels de l’immigration et de l’intégration nous renvoient à nous-mêmes : le repli des Français sur eux-mêmes révèle une crise identitaire. Or, l’intégration ne sera réussie que si l’on surmonte cette crise. J’appelle, à cette fin, les Français à rompre avec la peur afin que la France redevienne un pays fort, juste et accueillant.

Pour garantir l’intégration de tous, deux voies divergentes s’offrent à notre pays : la voie de la discrimination positive et des quotas, qui mène au communautarisme et que je récuse, ou celle, plus longue et plus difficile, du dialogue et de l’unité, que je choisis.

L’immigration est une chance : elle nous apprend la diversité et le respect des autres. C’est pourquoi j’ai déposé de nombreux amendements visant à intégrer au projet le droit des personnes, notamment le droit à la vie privée et familiale, moteur d’intégration. C’est grâce à l’intégration proposée aux populations immigrées que nous retrouverons notre force.

Celles-ci, de leur côté, ont le devoir de respecter nos lois et notre culture – je me félicite à ce titre de la prohibition de la polygamie, et j’approuve la création du contrat d’accueil et d’intégration qui concrétise une démarche volontaire et solennelle de la part de l’immigrant.

Votre volonté de réforme est louable, Monsieur le ministre, mais, pour une fois, osons nous attaquer à la cause essentielle du problème en mettant en place une véritable politique de co-développement.

Enfin, comment atteindre l’objectif d’intégration et d’équilibre de la personne quand on rend instable l’ensemble de sa situation juridique et morale et difficiles les conditions de vie de sa famille ? Il s’agit donc d’appréhender la question de l’immigration avec cœur et raison, en mesurant de manière responsable l’étendue des conséquences que ces mesures pourront avoir sur la vie quotidienne de ces gens, que l’on ose appeler « immigrés » mais qui restent d’abord des personnes. Cette responsabilité est la nôtre : le débat confirmera l’exigence qu’elle représente.

M. Mansour Kamardine – Je suis heureux de participer à ce débat. Ne disposant que de cinq minutes, je concentrerai mon propos sur l’incidence de l’immigration clandestine sur le développement de Mayotte. Peuplée de 160 000 habitants concentrés sur 375 kilomètres carrés, cette petite collectivité française doit faire face à la présence de quelque 60 000 étrangers clandestins, dont l’immense majorité aspire à se rendre en métropole en utilisant tous les moyens : faux papiers, mariages blancs, reconnaissances de complaisance d’enfants – parfois dans des conditions innommables. Près de 50 % de la population urbaine, dans les deux principales villes, est d’origine clandestine. Si la proportion de clandestins par rapport à la population totale était la même en France métropolitaine et à Mayotte, c’est à 18 millions d’étrangers en situation irrégulière que vous seriez confrontés et non à 400 000 ! Je vous laisse imaginer les réactions dans vos circonscriptions ! C’est dire combien nous autres Mahorais sommes qualifiés pour parler des conséquences de l’immigration clandestine, sans risque d’être taxés de xénophobie car nous avons fait la preuve de notre générosité.

Cette situation explique la crise d'une exceptionnelle gravité qu'a connue l'île en septembre et octobre derniers, laquelle a justifié la mise en place d'une mission d'information dont l'excellent rapport, présenté par notre collègue Didier Quentin, a été adopté à la quasi-unanimité. Je tiens également à exprimer ma reconnaissance au président Dosière pour le sérieux que, sous sa présidence, la mission a mis à l’accomplissement de sa tâche. Son rapport propose 36 mesures pour un archipel rasséréné et une part notable de ces propositions sont d'ores et déjà prises en compte dans le présent projet, qui autorise les visites domiciliaires et des véhicules dans le cadre de la lutte contre le travail et le séjour des immigrés clandestins.

C'est une très bonne orientation, mais je considère que nous pouvons aller plus loin encore, en donnant au représentant de l'État sur place les moyens juridiques pour lutter efficacement contre le mitage, prévenir le détournement des procédures de demandes d'asiles et mieux encadrer le droit du sol local. Tel est le sens des premiers amendements que j'aurai l'honneur de défendre, cependant qu’un autre amendement proposera de favoriser la mobilité des étrangers en situation régulière qui souhaitent s'installer en métropole.

Non, Mayotte n'entend pas s'isoler au milieu de l'océan Indien ! C'est tout le contraire de la politique que ses élus mènent, aux côtés de l'État, pour développer des relations de coopération avec tous les pays de la zone. Mais l’immigration, telle qu'elle est décrite dans le rapport de Didier Quentin, annihile tous les efforts de développement engagés au plan local. C'est pourquoi, au-delà des mesures législatives et réglementaires que je préconise, c'est un véritable plan d'ensemble de lutte contre l'immigration clandestine qu'il convient de mettre en place.

Dans cet esprit, je suis heureux de saluer les premières mesures d'urgence que vous avez annoncées au plus fort de la crise, à l’automne dernier. Les moyens déjà assez conséquents alloués au préfet ont donné leurs premiers résultats. A ce jour, plus de 4 000 clandestins ont été reconduits à la frontière, une trentaine de « kwassa-kwassas » – les petites embarcations utilisées pour déjouer la surveillance – ont été saisis et les passeurs multirécidivistes se sont vus lourdement sanctionner par la justice. C'est aux forces de police et de gendarmerie que nous devons ce bilan : acceptez que je leur adresse, à travers vous, l'expression mahoraise de notre gratitude.

La mission d'information propose à juste titre que soit déployé un troisième radar, qui pourrait être positionné sur la côte Est afin de prévenir les tentatives de contournement de l'île par le Sud et un débarquement sur la côte Est à l'abri de tout contrôle. Bien entendu, un renforcement des moyens humains et nautiques sera également nécessaire.

Si une immigration non maîtrisée pose de graves problèmes en métropole, elle est un véritable drame pour l'avenir de l'outre-mer français, et singulièrement de Mayotte. C’est pourquoi je voterai d’enthousiasme le présent texte. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Christiane Taubira – Il y a moins de deux semaines, un éducateur venant de l’hexagone et exerçant en Guyane depuis deux ans dans un foyer pour enfants, était soupçonné d’avoir séquestré, violé et tué par asphyxie une enfant de six ans, déjà malmenée par la vie, puisque vivant dans un foyer à l’âge où d’autres enfants s’endorment sous le regard attendri d’une maman ou bercés par la voix du papa qui leur raconte une histoire. Comme vous le supposez, l’émoi fut immense en Guyane. Et si j’ai dit que l’éducateur était soupçonné, c’est pour respecter la présomption d’innocence puisqu’il a fourni, par la voix de son avocat, des explications à son geste.

Imaginez que sous l’empire de l’émotion, tous les éducateurs venant de France métropolitaine – et peut-être les enseignants – soient désormais regardés comme des pédo-criminels. Imaginez que l’on en soit venu à considérer que les faits ne se suffisaient pas à eux-mêmes et que seules les origines de leur auteur pouvaient les expliquer. C’eût été dévastateur et misérable. Pourtant, que faites-vous d’autre, lorsque, par des slogans à l’emporte-pièce, vous considérez que tout étranger est suspect de polygamie, de fraude aux allocations, de mariage camouflé, de demande abusive d’asile ou de reconnaissance de paternité de complaisance ?

Pendant des siècles, on a raconté au monde entier que le français était la langue des amoureux et des poètes. Il faudra désormais expliquer que l’amour est, en France, systématiquement suspect. Quant aux conditions de ressources, les niveaux exigés sont tels qu’il est permis de penser que le Gouvernement a enfin compris qu’il fallait revaloriser sensiblement les minima sociaux et les salaires versés aux travailleurs pauvres !

René Char disait que les mots savent de nous plus que nous en savons nous-mêmes. Ils sont révélateurs, vos mots, qui disent votre manque de confiance dans la France et le mépris des hommes. En parlant d’immigration subie, vous ravalez la France au niveau des pays impuissants, où le pouvoir est aux mains de factions. Pis, vous présentez le regroupement familial comme le pire des dangers, digne du Cheval de Troie et marque de nouvelles ruses barbares. Or cela ne concerne que 25 000 personnes sur une population de 62 millions ! Dès lors, vos alarmes sont pitoyables.

Quant au concept d’immigration choisie, il n’est pas plus glorieux. Choisir parmi les hommes, c’est délégitimer les racines, inciter à la discrimination et sublimer l’exclusion. Loin d’être par trop théoriques, ces considérations éthiques sont absolument nécessaires. Avec la mondialisation, tout circule, des armes aux animaux protégés en passant par les œuvres d’art, les services, les médicaments ou les moustiques ! Pour ce qui concerne les hommes, seule une action de fond, concertée entre tous les pays, permettrait de dégager des pistes d’action efficaces. Mais peut-être n’est-ce pas l’efficacité que vous recherchez ?

Ce qui vous croient novateurs se trompent. Il y a des précédents. Il y avait même des marchés, où le prix d’adjudication dépendait de la denture, de la musculature ou de la fertilité supposée. Par la suite, il est vrai que certains ont choisi de servir sous le drapeau français et, aujourd’hui, la cristallisation des pensions de guerre rappelle que ces anciens combattants, dont les arrière-petits-enfants sont parfois déclarés indésirables, ont été victimes d’une injustice d’État, fomentée en connivence avec leurs propres gouvernements.

Quant aux outre-mer, ils font l’objet, dans ce texte, de toutes les sollicitations : dérogations, exemptions, exceptions, au motif que « leur relative prospérité les soumet à une pression migratoire exceptionnelle ». Je puis vous dire qu’en Guyane, ceux qui ne trouvent pas de places pour leurs enfants, ceux qui découvrent le taux de chômage, ceux qui attendent un logement depuis six ans et ceux qui mesurent l’état sinistré des services publics seront sensibles à cette « relative prospérité ».

On nous dit que l’immigration est dangereuse pour la Guyane. Alors, bien sûr, vous trouverez des élus pour vous soutenir dans votre exercice d’illusionnisme : ceux qui ont oublié d’où ils viennent, ceux qui oublient que les ressortissants ultramarins ressemblent beaucoup à un gibier pourchassé, ceux qui oublient que, lorsque la situation se dégrade, les ultramarins sont soumis à maintes humiliations et subissent la discrimination, ceux qui croient que seuls les enfants des autres y seront exposés, ceux qui sont pressés d’absoudre l’État de ses fautes, ceux qui sont prêts à l’exempter de toute évaluation des politiques répressives demeurées sans résultat, ceux qui l’exonèrent de ses responsabilités dans le développement de l’économie, et dans la valorisation du patrimoine forestier, minier, hydrographique et maritime. Ceux-là se contenteront de vos projections statistiques tout en sachant pertinemment que les reconduites à la frontière sont surestimées. En effet, une même personne est souvent reconduite à la frontière trois fois durant la même année. Et il n’est pas rare qu’à l’approche des fêtes de Noël, certains clandestins se livrent spontanément à la gendarmerie pour passer les fêtes chez eux ! L’objectif de 7 5000 reconduites à la frontière en 2006 est donc dérisoire.

Chaque fois que vous avez voulu étouffer des revendications politiques et territoriales, vous avez organisé l’immigration. Lorsqu’il aurait fallu plutôt former des hommes, en période de surchauffe économique, à l’époque des grands chantiers dont celui de l’activité spatiale, vous avez organisé l’immigration. Aujourd’hui, la machine tourne folle. Pour autant, les entreprises continueront à recruter des travailleurs clandestins qui, grâce à certaines accointances, disparaîtront à l’approche d’une mission de contrôle…

L’efficacité, nous le savons, passe par des actions concertées et pérennes avec les pays voisins. Malheureusement, vous ne voulez pas renoncer au chiffon rouge… Par ailleurs, depuis quatre ans, l’image déplorable que vous donnez de la France…

M. Mansour Kamardine – Oh !

Mme Christiane Taubira - …incite à moins de respect envers cette belle puissance provisoirement éteinte. Les pays voisins sont de moins en moins enclins à la traiter comme un partenaire loyal. René Char pour qualifier ces variations de parcours, ces ambitions à géométrie variable, avait eu cette phrase : « Monter, grimper, oui ! Mais se hisser, oh, comme c’est difficile ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Michel Piron – Le sujet que nous traitons aujourd’hui est grave car il touche au statut de la personne, au rapport entre l’État et le citoyen au plan politique, et entre le citoyen et l’homme au plan philosophique.

Monsieur le ministre, en abordant cette question difficile, vous convoquez la rumeur du monde. Les mouvements de population s’amplifient à mesure de l’accélération planétaire des moyens d’échange, de circulation et de communication. En saisissant le Parlement d’un sujet qui touche la plupart des pays – les États-Unis accueilleraient plus de onze millions d’immigrés clandestins –, vous me permettez de rappeler que la régulation de la marche chaotique du monde dépend des États qui structurent nos sociétés, des nations qui portent leur culture et des citoyens qui en rendent compte en droit et en devoir.

Le cœur de ce projet de loi, c’est la relation entre politique de l’immigration et politique de l’intégration comme en témoigne son intitulé. En effet, la simple constatation statistique des migrations ne saurait suffire. Quelles sont les conditions d’une véritable politique d’intégration ? Tout d’abord, ce sont des conditions matérielles, celles de l’emploi et du logement qui rendront possible le regroupement familial. Ensuite, ce sont des conditions intellectuelles avec la connaissance de la langue française et des principes qui régissent notre république. Qui pourrait contester le bien-fondé de telles exigences ? L’intégration présuppose, en effet, le dialogue des cultures et procède d’une double assimilation : celle de la société qui accueille l’autre avec sa culture et celle de l’étranger qui s’approprie la culture de la société qui l’accueille. D’où l’importance capitale du chapitre consacré à l’apprentissage de notre langue magnifiée par un Césaire ou un Senghor. Évoquer ces grands noms me permet de rappeler qu’on ne peut ouvrir un dialogue sans connaître sa propre culture.

Parce que l’histoire des migrations est celle des eaux mêlées, cette question appelle des réponses à l’échelle de l’Europe – c’est évident quand il s’agit de la Méditerranée et de l’Europe de l’Est – et, compte tenu de la permanence des inégalités de développement, à l’échelle du monde. Ainsi, ce projet de loi nous invite à ouvrir les yeux sur une réalité trop longtemps méconnue. Je suis de ceux pour qui le monde n’est pas seulement à transformer, comme le disait Marx, mais aussi à regarder. Et j’apprécie le regard que l’on nous propose aujourd’hui de porter sur ces questions : un regard ouvert et lucide, généreux et responsable ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. René-Paul Victoria – Évoquer la question de l'immigration à la tribune de cette assemblée constitue un exercice délicat pour un parlementaire d'outre-mer. Le département de La Réunion a été créé, il y a soixante ans, à partir de la volonté unanime de femmes et d'hommes, héritiers d'ancêtres venus d'horizons variés et aux croyances multiples, de vivre une expérience humaine inédite dans le cadre de la République. Monsieur le ministre d'État a pu constater, lors de son récent voyage, combien ce lien entre immigration et intégration s'exprime de manière harmonieuse sur notre île.

Ce projet de loi est à la fois ferme, juste et équilibré. Il permettra à notre pays de se rapprocher des grandes démocraties du monde, particulièrement de celles de l'Union européenne dans lesquelles aucune formation politique sérieuse n’envisage aujourd’hui d'ouvrir les frontières. Une loi ferme parce qu’il est nécessaire d’intensifier la lutte contre l'immigration clandestine organisée par des réseaux mafieux, marchands d'esclaves des temps modernes. Une loi juste parce qu’il faut tenir compte des réalités humaines, comme cette majorité l’a fait en supprimant la double peine. Enfin, une loi équilibrée pour dialoguer avec les pays d'émigration souvent pauvres et en quête d’un développement durable. La détermination annuelle d'objectifs quantifiés en concertation avec le Parlement est également une bonne chose. Un ancien premier ministre de gauche disait que « la France n'avait pas vocation à accueillir toute la misère du monde ». Si elle le voulait aujourd'hui, elle ne le pourrait pas.

Outre-mer, en particulier en Guyane, dans les Antilles et à Mayotte, la question de l’immigration se pose évidemment. L'île de La Réunion, quant à elle, a toujours été et restera une terre d'accueil. Néanmoins, nos compatriotes s'interrogent à juste titre sur les conditions actuelles d'entrée dans le département et s'inquiètent de l'apparition de véritables filières d'immigration clandestine. Chaque jour, les élus locaux sont confrontés à des situations humaines difficiles, et souvent dramatiques, en termes de logement, d'emploi, de santé, d'éducation. Pour résoudre la question de l’immigration à la Réunion, il faut aider Mayotte et donc les Comores.

Dans son rapport intitulé « Vers une immigration maîtrisée à la Réunion », M. Didier Quentin écrit : « La Réunion compte environ 9 000 étrangers en situation régulière et près de 600 étrangers en situation irrégulière, principalement des Malgaches, Mauriciens et Comoriens. En outre, près de 20 000 à 40 000 Mahorais sont présents dans l'île. Ces derniers sont attirés par la qualité des infrastructures publiques réunionnaises, un niveau de vie supérieur de 33 % à celui de Mayotte et surtout des garanties sociales supérieures. Ils peinent à s'intégrer dans la société réunionnaise, malgré la tradition d'accueil de l’île. Concentrée dans des quartiers défavorisés, à l'habitat insalubre, et dans des logements sociaux surchargés, notamment dans la commune de Saint-Denis, cette population, dont la natalité est beaucoup plus dynamique que celle de la majorité des Réunionnais, maîtrise souvent mal la langue française et souffre d'un niveau d'instruction insuffisant. Ces spécificités, ajoutées à un mode de vie et à des tenues vestimentaires qui diffèrent de celles des Réunionnais, créent quelquefois dans les couches populaires de l’île, elles-mêmes en situation de précarité, un sentiment de malaise, voire de rejet. » Il importe donc que la France élabore, en direction des pays de la zone de l’océan Indien, une politique de coopération fondée sur une démarche de co-développement, sur une logique de partenariat, conçue et validée par la Commission de l'océan Indien et soutenue plus fortement par l’Europe, la France servant de locomotive au nom de la francophonie. Cette politique doit également s’appuyer sur un projet dont la formation, l'apport d'une assistance sanitaire de pointe et l'amélioration des conditions de vie devront être les éléments indispensables afin d’assurer la promotion sociale de chaque candidat à l'immigration.

La grandeur de la France dans notre région doit être renforcée, défendue et soutenue. La création d'un contrat d'intégration va dans ce sens. Celui qui choisit de travailler et de vivre dans notre pays devra en accepter les règles. Je suis également sensible à l’engagement que le ministre d’État a pris d'étudier les dossiers au cas par cas, notamment en ce qui concerne le regroupement familial et les jeunes non majeurs qui souhaitent acquérir la nationalité française. La grandeur de la France doit être partout où flotte notre drapeau national, partout où est inscrite notre chère devise, « Liberté, Égalité, Fraternité ». La liberté, c'est l'immigration choisie. L'égalité, c'est le partage des valeurs de la République, des droits et des devoirs. La fraternité, c’est l’intégration réussie. Je suis convaincu que ce projet nous aidera à éviter que ces problèmes ne génèrent des comportements excessifs qui ne sont pas dans nos traditions d’accueil et de tolérance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Étienne Pinte – Lorsque vous avez proposé un nouveau projet sur la maîtrise de l’immigration deux ans et demi après avoir adopté une loi ayant à beaucoup d’égards les mêmes objectifs, je me suis demandé si c’était bien raisonnable. La loi de 2003 est trop récente pour en évaluer tous les résultats alors même que tous les décrets d’application ne sont pas publiés et que les articles sur la réforme de la double peine ne sont pas encore appliqués, dans certains cas, par certains préfets, magistrats ou diplomates. En outre, l'arsenal juridique et réglementaire dont nous disposons est en grande partie suffisant pour lutter contre les mariages de complaisance ou l'immigration clandestine, mais encore faut-il se donner les moyens de vérifier les situations et avoir la volonté politique de mettre en œuvre les procédures adéquates pour que le droit soit appliqué sans renier notre devoir d'humanité. Je n'ai pas eu besoin de lois nouvelles pour démanteler des filières kazakhes et congolaises de mariages de complaisance, non plus que pour lutter contre l'immigration clandestine : il suffit d'être vigilant, de recouper les informations, de vérifier les déclarations ou les attestations d’accueil. Ne nous donnons donc pas bonne conscience en légiférant à tour de bras : appliquons plutôt les lois existantes !

Je ne suis pas hostile à la notion d'accueil responsable des étrangers, que je préfère à celle d'immigration choisie, à condition que cet accueil ne se substitue pas à l'immigration familiale et au droit d'asile. L'exemple canadien est très instructif puisqu'à côté du rapprochement familial et du droit d'asile, les autorités instillent 50 % à 55 % d'accueil responsable des étrangers. Il convient d’ailleurs de se demander, depuis l'ouverture du marché du travail à huit de nos nouveaux partenaires européens, comment nous allons appliquer cet accueil responsable à des ressortissants de pays extra-européens. Il serait aussi judicieux de laisser au Parlement le soin de décider, chaque année, à partir du rapport annuel du Gouvernement, du nombre d'immigrants que nous sommes prêts à accueillir sur notre territoire, comme le font les Canadiens.

Les aspects les plus controversés de ce texte concernent les mesures touchant à la famille, au mariage et à la naturalisation. Encadrer l'immigration implique un traitement humain de chaque situation. Le respect du droit de chacun au mariage et à la vie familiale doit guider en permanence ceux qui sont chargés d'élaborer la loi et de la faire appliquer. Il faut certes lutter contre les mariages de complaisance mais ne risque-t-on pas, en allant trop loin dans l'interprétation des textes, de porter atteinte au droit et à la liberté de chacun ? Un Français ou une Française qui épouse aujourd'hui une personne d'origine extra-européenne doit déjà effectuer un véritable parcours du combattant pour pouvoir la faire venir en France. Nous nous trouvons dans cette situation paradoxale où il est plus facile à un membre de la Communauté européenne installé dans notre pays d'épouser une personne extra-européenne et de la faire venir en France puisque les textes européens nous obligent de l’accepter. Enfin, quid du nombre de ces mariages de complaisance ? Où sont les chiffres? Combien d'entre eux sont sanctionnés par la justice à partir du moment où ils ont été signalés par les maires ? Retirer une carte de séjour ou de résident à un étranger sous prétexte que son mariage est dissous avant quatre ans ne me semble pas une mesure adaptée lorsqu'il y a des enfants. Dans ce cas-là, un mariage ne peut être considéré uniquement comme étant de complaisance. Les enfants ont le droit d’être élevés par leurs deux parents même si ceux-ci ne vivent plus ensemble. D'une manière plus générale, il faudra réfléchir au respect du droit des enfants à vivre avec leurs parents. Nous avons signé des conventions internationales comme la Convention des droits de l'enfant et la Convention européenne des droits de l'homme, mais nous ne les respectons pas.

Le traitement des demandes de carte de séjour ou de résident doit lui aussi se faire dans des conditions humaines. Dans le pays des droits de l'homme et du citoyen, il est de notre devoir d'accueillir dignement les étrangers dans nos préfectures. Nous ne pouvons admettre d'obliger des personnes, parfois accompagnées d'enfants, à subir une file d'attente interminable une partie de la nuit, dans le froid et quelquefois plusieurs jours de suite. Nous ne pouvons nous satisfaire du temps de traitement des dossiers, renvoyés de deux mois en deux mois. Certaines personnes, faute d'avoir pu obtenir, le moment voulu, le renouvellement de leur récépissé ou de leur carte de séjour, perdent travail, revenu, allocations et donc logement. Dans certains cas, on s’acharne même contre les étrangers – or, le projet renforce le pouvoir discrétionnaire de l'autorité administrative. Sans complaisance et dans le respect de la loi, il faut inviter tous ceux qui ont la responsabilité du sort des étrangers à la bienveillance et au respect des personnes. Faisons preuve d'imagination, d'organisation, de bonne volonté ! Trop d'étrangers sont désespérés, vivent dans la clandestinité, dans la misère, en proie, pour certains, à l'esclavage.

Lutter contre l'immigration clandestine devrait empêcher ou limiter des situations inadmissibles mais ne résoudra pas tout. Un véritable programme d'aide et d'accompagnement au retour et au développement fait défaut à ce texte. Un certain nombre de communes se sont déjà lancées dans des programmes de co-développement pour maintenir au pays des hommes et des femmes qui manquent de travail, de formation, de nourriture et d'équipements sanitaires. La maîtrise des flux migratoires est un leurre sans une véritable politique de ce type. Je souhaite donc que le Gouvernement propose une politique contractuelle avec les collectivités locales pour aider les pays en voie de développement.

Compte tenu de ces observations, j'espère que vous accepterez, comme vous l'avez annoncé, des améliorations visant à rendre ce texte encore plus juste et plus humain.

M. Bernard Deflesselles - Dans un monde en pleine mutation, au moment où, de concert avec les pays ayant une forte vocation à l'émigration, l'Europe mène une réflexion de fond sur les valeurs qui doivent orienter son action, les Français s'interrogent et nous interpellent : et la France, dans tout cela ? Ne peut-elle décider sereinement de son avenir, de la maîtrise de son sol et de ceux qui vont y vivre et l'enrichir ? Est-elle condamnée à rester prisonnière d'un débat politique balançant entre le concept d'immigration zéro et l'ouverture totale de ses frontières, entre un non-sens, le repli sur soi, qui revient à tourner le dos à notre histoire, et l'angélisme fondé sur l'accueil improbable de toute la misère du monde ? Votre projet répond à ces interrogations.

Le chômage de masse, la panne de l'ascenseur social, la concentration des immigrés et de leurs descendants dans les quartiers périphériques dégradés ont rendu plus difficile le processus d'intégration. La population issue de l'immigration récente, maghrébine et africaine pour l'essentiel, a eu le sentiment d'être rejetée et de ne pas bénéficier d'un pacte républicain dont on ne cesse pourtant de lui vanter les mérites. La réalité des flux migratoires impose de rompre avec les analyses et les schémas politiques qui ont mené à l'échec. La transformation de l'économie mondiale, l'émergence d'une population qualifiée dans les pays du Sud, les évolutions des sociétés post-industrielles dans les pays du Nord, toutes ces réalités conduisent à envisager d'accueillir certains étrangers lorsque ceux-ci représentent un atout pour notre société et notre économie. À tout subir, à ne rien choisir, nous méconnaissons à la fois nos intérêts économiques et nos convictions humanistes. Devons-nous nous résigner ou devons-nous passer d'un modèle d'immigration subie à un modèle d'immigration choisie ? D'autres que nous se sont résolument engagés dans cette dernière voie, n'en déplaise aux adeptes de la pensée unique qui décrivent, sur les bancs de la gauche, une loi liberticide. En répondant aux aspirations de nos concitoyens qui veulent que la France reste elle-même tout en participant à l'évolution du monde, vous avez choisi d'élaborer une politique d'immigration moderne, dynamique, maîtrisée, pour que notre pays garde l'entier contrôle de son avenir. Ce projet se situe dans le prolongement de la loi de 2003 dont les résultats, déjà probants, nous encouragent à emprunter la voie que vous avez tracée. La France, désormais, dispose d'une stratégie migratoire reposant sur cinq priorités.

Premièrement : des flux migratoires organisés et choisis. Le Gouvernement définira chaque année des objectifs prévisionnels s’agissant des visas et des titres de séjour, objectifs qui seront soumis à discussion devant le Parlement. Cette mesure, associée à la fin des régularisations automatiques ainsi qu'à la décision unique de refus de séjour valant obligation de quitter le territoire français, est le meilleur moyen de promouvoir une immigration réussie.

Deuxièmement : une immigration familiale redéfinie. Tout en maintenant bien évidemment le droit au respect de la vie privée, il convenait de durcir les règles du rapprochement familial dont provient aujourd'hui près de la moitié de l'immigration totale et qui constitue la plus grande source d'abus et de fraudes tels que les mariages blancs ou forcés et les fraudes à l'état civil.

Troisièmement : une véritable politique d'immigration professionnelle et étudiante pour un véritable co-développement. La création d'une carte de séjour « talents et compétences » tout comme la simplification des procédures d'installation en France pour certains étudiants permettront d'encourager une immigration de travailleurs qualifiés, susceptibles de contribuer au dynamisme de l'économie française mais aussi au développement de leur pays d'origine.

Quatrièmement : un contrat d'accueil, socle d'une intégration réussie et comportant des engagements des deux parties, l'État devant aider le migrant dans l’étude de la langue française et dans ses démarches pour chercher un emploi ou un logement, et ce migrant s'engageant à respecter les valeurs de la République. Droits et devoirs se trouveront ainsi dans un équilibre renouvelé.

Cinquièmement, enfin : une réponse pragmatique à l'immigration clandestine dans nos départements et territoires d'outre-mer, la Guadeloupe, la Guyane et Mayotte subissant une pression migratoire qui justifie des mesures adaptées. À ce propos, je voudrais dire tout notre gratitude à nos collègues d’outre-mer qui, avec sensibilité et émotion, ont parlé de leurs difficultés et de leurs espérances et nous ont fait vivre un beau moment d’humanité.

Ce texte répond à l'aspiration de nos compatriotes, qui veulent maîtriser leur avenir, leur territoire et surtout leur nation. Avec autorité et pragmatisme, il modernise notre politique d'immigration et d'intégration et la rend plus juste, plus cohérente et plus conforme à l'intérêt de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Joël Beaugendre – Ce projet de loi, seconde étape d’une politique ambitieuse et pragmatique, apporte plusieurs réponses au problème de l’immigration clandestine. Le volet consacré à l’outre-mer en est la preuve, qui répond aux attentes de mes compatriotes. Je vous remercie pour l’intérêt que vous avez porté aux dispositions inscrites dans la proposition de loi sur le renforcement de la régulation des flux migratoires en Guadeloupe, que j’avais déposée en février 2005 avec Mme Louis-Carabin, et que reprennent notamment les articles 67, 71 et 78 du projet : application du dispositif dérogatoire de reconduite immédiate à la frontière, visite sommaire des véhicules pour faire obstacle aux séjours illégaux, élargissement du périmètre de contrôle d’identité, par exemple.

En 2003, lors de la discussion du projet de loi pour la sécurité intérieure, je m’inquiétais du risque de voir se reporter sur la Guadeloupe continentale les flux migratoires maîtrisés à Saint-Martin. La perméabilité de nos frontières maritimes est aujourd’hui confirmée. Par la suite, je n’ai cessé de rappeler à Mme Girardin et à M. Baroin l’urgence d’une politique volontariste en Guadeloupe. Hier, certains s’opposaient systématiquement à une politique sur mesure pour les collectivité d’outre-mer. Ils ont vite été rattrapés par la réalité. Les Guadeloupéens réclament une régulation des flux migratoires des ressortissants des Caraïbes, et c’est cette politique que vous avez le courage d’insuffler. Nous sommes très satisfaits que nos propositions soient au cœur de l’action gouvernementale. Tel était déjà le cas pour l’organisation du vote le samedi dans les département d’outre-mer, qui tend à limiter les effets négatifs du décalage horaire.

Régulière depuis plusieurs années, l’immigration connaît une forte recrudescence vers l’îlot de prospérité qu’est la Guadeloupe dans une région où persistent les poches de pauvreté. Semblant échapper à tout contrôle, elle est perçue comme une agression. Elle engendre travail dissimulé – de 10 à 12 % plus important qu’en métropole ! –, habitat insalubre et fraudes au logement social, sans compter une surcharge considérable pour les services de santé et d’éducation. Ma commune, Capesterre-Belle-Eau, est particulièrement touchée. La pression migratoire y empêche une intégration optimale des migrants réguliers et la charge financière est très importante. C’est pourquoi je propose une réévaluation de la DGF des communes qui tienne compte de la pression migratoire qu'elles subissent.

L'ampleur des conséquences suscite chez mes compatriotes des interrogations auxquelles je ne peux rester sourd, contrairement à certains, qui ne veulent prendre en compte que la logique de leur groupe politique. L'arrêt total de l’immigration est illusoire : les migrants ne viennent pas par plaisir, mais par nécessité. Il faut donc mener une politique de coopération qui aide dans leurs pays nos frères de sang à mener des actions de développement durable, seules aptes à assurer l’efficacité de l’immigration choisie.

La politique sur mesure ne sera parfaitement efficace que si tous les moyens nécessaires sont mis à la disposition des acteurs. Ainsi, la surveillance des côtes de la Guadeloupe est primordiale. Au mois d'avril, vous annonciez son renforcement pour juillet avec une nouvelle vedette sur-motorisée pour la brigade nautique de Saint-François. Ayant attiré l’attention du Gouvernement sur la faiblesse des moyens de surveillance, je ne peux que m’en féliciter. Pour accompagner cette nouvelle politique migratoire, je vous propose de créer en outre en Guadeloupe un observatoire de l’immigration.

Au-delà de ce volet ultramarin, je tiens à affirmer mon entier soutien aux dispositifs destinés à combattre le détournement des procédures d'acquisition de la nationalité française – je pense en particulier à l'augmentation de la durée effective de vie commune exigée. Le durcissement des conditions d’acquisition de la nationalité est un excellent moyen de lutter contre les abus dont souffre une institution qui revêt encore un caractère sacré. Il faut durcir de même les conditions de reconnaissance en paternité ou en maternité, en appliquant les mêmes sanctions que pour les mariages de complaisance. Ces reconnaissances, en dépit de mesures prises en 2003, se banalisent en effet tant outre-mer qu’en métropole.

Je voterai ce projet de loi. Je ne peux qu'approuver votre démarche, qui ne conduit nullement à sombrer dans le trop sécuritaire. Les socialistes avaient, en 1998, supprimé un dispositif dont la réalité justifiait l'existence : peut-être était-elle trop éloignée d'eux pour susciter de leur part un quelconque intérêt (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, mercredi 3 mai, à 15 heures.
La séance est levée à 0 heure 55.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Catherine MANCY

Retour au haut de la page

ordre du jour
du mErCREdi 3 mai 2006

QUINZE HEURES : 1re SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement(1).

2. Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi (n° 2986) relatif à l’immigration et à l’intégration.

Rapport (n° 3058) de M. Thierry MARIANI, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

VINGT ET UNE HEURES TRENTE - 2e SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l’ordre du jour de la première séance.

1 () Les quatre premières questions porteront sur des thèmes européens.

© Assemblée nationale