Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (session ordinaire 2005-2006)

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit

Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

1ère séance du jeudi 18 mai 2006

Séance de 9 heures 30
95ème jour de séance, 225ème séance

Présidence de M. Jean-Louis Debré

Consulter le sommaire

La séance est ouverte à neuf heures trente.

Retour au haut de la page

pouvoirs du parlement

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle de M. Paul Quilès et plusieurs de ses collègues tendant à modifier l’article 34 de la Constitution afin d’élargir les pouvoirs du Parlement.

M. Paul Quilès, rapporteur de la commission des loisLequel d’entre nous, qu’il se trouve dans la majorité ou dans l’opposition, ne s’est jamais inquiété, voire plaint, de la place réservée au Parlement ? On le fait beaucoup légiférer mais on ne souhaite pas trop qu’il exerce sa mission de contrôle, en tout cas, pas de manière permanente et pressante.

Comment ne pas s’étonner du recours croissant aux ordonnances qui permet de légiférer beaucoup sans que le Parlement exerce un contrôle véritable ? On peut comprendre, à la rigueur, l’utilité d’une telle délégation du pouvoir législatif lorsqu’il s’agit de codifier à droit constant ou de transposer des directives européennes. Dans ce dernier domaine, je rappelle par parenthèse que la France connaît un retard inquiétant.

L’utilisation abusive de cette procédure transforme miraculeusement le Parlement non pas seulement en chambre d'enregistrement, mais en chambre d'enregistrement a priori. En effet, la théorie des ratifications implicites, développée par la juridiction constitutionnelle et administrative, réduit la délégation accordée au Gouvernement sur le fondement de l'article 38 à un simple blanc-seing. Or, si le législateur délègue sa compétence, c'est tout de même sur lui que sera rejetée la responsabilité de « l'intempérance législative », comme l'a souligné récemment le Conseil d'État. Le législateur sera responsable, parce que cette inflation normative résultera indirectement de la multiplication des ordonnances qu'il aura autorisée. Ainsi, en 2004, pour la première fois, le nombre des ordonnances a dépassé celui des lois ; et en 2005, plus de quatre-vingt-cinq ordonnances ont été adoptées pour cinquante lois, abstraction faite des lois autorisant l'approbation d'un accord ou la ratification d'un traité.

On a beaucoup glosé sur les raisons de cet affaiblissement sans s'être jamais vraiment attaqué au mal. On peut s’interroger sur le renforcement, avec l’instauration de la session unique, du tropisme majoritaire qui s'exerce avec plus d'intensité et sur une période plus longue, et a fortiori sur les effets du quinquennat qui a concentré un peu plus le débat politique sur la personne du Président de la République.

Plus profondément, cet affaiblissement résulte d'abord du texte constitutionnel lui-même. Personne ne peut le contester, même si certains ont pu le justifier par volonté de rompre avec les errements de la IVe République. Pour s’en convaincre, il suffit de relire les articles 40 et 49 alinéa 3 de la Constitution. Cet affaiblissement résulte également d'une pratique excessive, celle de l'exécutif lorsqu'il bénéficie d'une majorité large et homogène – je n'exonère aucune majorité en disant cela. Toutes les pressions sont utilisées pour conserver à la majorité son caractère silencieux. Tous les artifices de procédure sont utilisés pour faire échec aux initiatives de l'opposition, qui, elle-même, en est quelquefois réduite à utiliser les souplesses offertes par le Règlement pour exprimer ses revendications – là encore je n'exonère aucune majorité. De par mon expérience parlementaire et ministérielle, je sais que nous pouvons nous retrouver sur ce constat.

Nous pourrions certes lancer un grand débat sur les solutions à mettre en œuvre pour remédier à cette situation. Mais, chaque fois que l'occasion s'en présente, la majorité ne souhaite pas imposer à son gouvernement un changement qui pourrait être interprété comme une remise en cause, tandis que l'opposition n'a guère les moyens d'imposer ses vues ou ne le souhaite pas, pensant qu’elle deviendra bientôt majoritaire. Aujourd'hui, avec l’inscription à l’ordre du jour de cette proposition de loi adoptée par la commission des lois, occasion nous est donnée d'ouvrir la discussion.

Face à l'affaiblissement du Parlement, plusieurs voies sont ouvertes. La première solution, assez théorique, consisterait à changer de République. Cette proposition témoigne d’une méconnaissance de l’histoire constitutionnelle de la France car nous vivons certes une crise institutionnelle, que beaucoup qualifient de crise de régime, mais non une crise nationale.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice - Crise de régime ! Que cette expression m’agace !

M. le Rapporteur – Or, l’histoire montre que nous avons changé de Constitution chaque fois que la nation était en danger ou à la suite de conflits.

La seconde voie consiste à modifier la Constitution, sans en changer, pour fonder ce que j’ai appelé une Ve république bis. C'est le sens du présent texte que j’avais déposé dès octobre 2002. En effet, le Parlement ne peut exercer son métier de législateur que s'il est en mesure de contrôler l'application des lois et, surtout, d’évaluer leurs résultats. Au-delà du simple décompte d'apothicaire des décrets, arrêtés et autres circulaires pris en application des dispositions législatives, il doit être en mesure de savoir si la loi a produit les effets attendus et si sa volonté a été respectée.

Un nombre trop important de lois demeurent inappliquées. C’est ce que montre le rapport du Sénat sur le contrôle de l'application des lois. Si l’on peut se réjouir de la timide inversion de tendance constatée durant la session 2004-2005, les résultats restent insatisfaisants. En effet, pour cette session, le taux d'application des dispositions prévoyant explicitement un suivi réglementaire n'atteint que 16,4 % – contre 14,4 % pour 2003-2004 et 9,7  pour 2002-2003 – et il fallait encore attendre plus de six mois pour qu’un texte réglementaire soit publié. Quant aux textes frappés d'une déclaration d'urgence, leur taux d'application est à peine supérieur à celui des textes adoptés selon le droit commun : 14 % contre 13 %. Par ailleurs, depuis juin 1981, 222 lois sur un total de 1 000 ne sont toujours pas appliquées en totalité. 51,5 % des lois adoptées durant la session 2004-2005 prévoyant des mesures réglementaires n'avaient reçu aucune mesure d'application en septembre 2005. Pour exemple, la plupart des textes nécessaires à l'application de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, n'avaient pas encore été publiés en mai 2006 alors que cette loi est loin d’avoir été préparée dans l’urgence. Bref, en 2004-2005, seulement 9,1 % des lois nécessitant des mesures réglementaires étaient applicables à la fin de la période.

Pour remédier à cette situation consternante, le Gouvernement a multiplié les circulaires, en vain. Le Parlement s'est doté de nombreux instruments, dont les missions d'information et les commissions d'enquête, les offices parlementaires et les missions d'évaluation et de contrôle au sein des commissions des finances et des commissions chargées des affaires sociales. Je pense également à l'excellente initiative de M. Warsmann qui a permis d'accorder au rapporteur d'une loi un « droit de suite » sur le fondement de l'article 86, alinéa 8, du Règlement.

M. Michel Piron - Très bien !

M. le Rapporteur – Je veux aussi saluer l’initiative de la commission des affaires culturelles qui, non contente de porter sur les fonds baptismaux l'Office d'évaluation des politiques de santé et la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, a fait publier un nombre important de rapports d'application des lois depuis l'adoption de la « résolution Warsmann ».

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Merci.

M. le Rapporteur – Cependant, ces instruments ne permettent pas un contrôle systématique, faisant une part importante à l'opposition d'aujourd'hui comme celle de demain. Il faut aussi une véritable évaluation des lois, transparente et objective. Seul ce contrôle renforcé par une véritable évaluation peut permettre au Parlement de légiférer de nouveau sur une même matière de manière pertinente. Sans cela, il sera, tel Sisyphe, condamné à pousser éternellement son rocher, à moins que son sort ressemble à celui de Prométhée. Tel est l'objet de cette proposition de loi. La commission des lois l'a bien compris. Nous n’avons que trop attendu pour créer la mission de contrôle et d'évaluation du Parlement, préconisée dès 1993 par le comité Vedel.

Le titre II de la Constitution détermine les pouvoirs du Président de la République, le titre III les objectifs du Gouvernement. Le titre IV, relatif au Parlement, ne définit pas son rôle et c’est seulement au titre V, portant sur les relations entre le Gouvernement et le Parlement, qu’il est précisé que la loi est votée par le Parlement. Il n’est pas écrit – vous apprécierez cette nuance – que le Parlement vote la loi.

Mais cette inscription solennelle ne suffit pas. Il faut pouvoir en fixer les modalités d'application. C'est pourquoi je propose de renvoyer à une loi organique la fixation de règles contraignantes pour le Gouvernement – s'agissant par exemple de la production d'études d'impact, délaissée officiellement par le précédent gouvernement – et la détermination de nouveaux pouvoirs pour le Parlement. Cette proposition a d'ailleurs été reprise par le Conseil d'État.

Nous devons changer de culture et non pas seulement de discours. Seule une modification de la Constitution peut donner le signal d’un tel changement. Sous l'impulsion du Président de l'Assemblée, notre administration interne a su se réformer en créant des pôles d'évaluation et de contrôle, pour répondre au tournant pris par le Parlement dans l'exercice de ses missions.

Je souhaiterais conclure par ces citations que vous approuverez certainement : « ceux qui votent la loi doivent pouvoir s'assurer de sa bonne application par le Gouvernement et l'administration » ; « la représentation nationale n'épuise pas sa mission au service de la volonté générale quand elle a énoncé le droit » ; il faut que « le Parlement se donne désormais réellement les moyens d'évaluer l'action publique » ; « Vous avez déjà eu le mérite d'adapter vos règlements avec le souci de rechercher une plus grande efficacité. Mais l'effort de rénovation que vous avez entrepris dans vos méthodes de travail a sans doute atteint ses limites. ». Ces propos, tenus par Jacques Chirac en 1995 et en 2002 dans ses messages au Parlement…

M. Jean-Luc Warsmann - Valeur sûre, Monsieur le rapporteur !

M. le Rapporteur - …n'étaient pas dénués de pertinence. Mettons donc nos textes en conformité avec les engagements du chef de l'État, en adoptant cette proposition de loi constitutionnelle (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois – Comme le souhaitait le rapporteur, la commission des lois a étudié avec tout le sérieux nécessaire cette proposition de loi et a souhaité aller jusqu’au bout de l’examen de ce texte. Le président de la commission, M. Houillon, retenu dans sa circonscription, m’a demandé de bien vouloir porter ce message.

La nécessité de faire évoluer notre Règlement en matière de contrôle de l’application des lois ne doit pas apparaître comme une obligation soudaine, car le problème de l'application des lois est récurrent depuis plus de trente ans. Les gouvernements successifs, par le biais de circulaires, ont tenté de le résoudre, tandis que les assemblées s’efforçaient, au travers de groupes de travail ou de l'octroi de prérogatives aux commissions permanentes, de rendre effectives les dispositions législatives votées par la représentation nationale.

Bien que l'exécution de la loi soit une obligation constitutionnelle du Gouvernement, force est de constater que depuis 1981, plus de 200 lois n’ont pas encore été appliquées en totalité, que la moitié des lois votées ne reçoivent aucune mesure d'application dans l'année qui suit leur promulgation et que seules 10 % d’entre elles sont entièrement applicables. Ces chiffres sont sans appel et rendent légitime de dénoncer l’inflation législative, la production de lois bavardes, parfois incompréhensibles et difficiles à mettre en œuvre.

Cette proposition de loi vise à constitutionnaliser la mission de contrôle de l'application des lois dévolue au Parlement. Ce texte ne crée pas une révolution dans la prise de conscience du Parlement de ses obligations, mais s’inscrit dans le prolongement du travail – dont je salue la qualité – engagé par Jean-Luc Warsmann en 2004 au travers de sa proposition de résolution sur l'application des lois. Ce texte, adopté à l’unanimité, instaurait un dispositif de contrôle permanent de l'application des lois, assurant un suivi qualitatif et quantitatif de la parution des textes réglementaires ainsi que le recensement des difficultés apparues lors de la mise en application de la loi.

Cette nouvelle procédure, qui a permis de contrôler plus d'un quart des lois promulguées depuis deux ans, permet une meilleure implication des rapporteurs, leur donnant un droit, et même un devoir de suite. L’examen des rapports d'application en présence des ministres concernés permet aux membres de la commission d'interroger le Gouvernement sur l'application de la loi et le contenu des décrets. En outre, le rapporteur parvient souvent à précipiter la parution, souvent très retardée, des décrets, ce qui a changé quelque peu le rythme des cabinets ministériels. Les rapports, de surcroît, peuvent mettre en lumière les imperfections d'une loi – ce qui permet de la corriger rapidement, comme la loi de 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité – ou proposer l'abrogation de dispositions devenues inutiles. Enfin, au travers des auditions et des déplacements qu'il effectue dans le cadre de l'exercice de son « droit de suite », le rapporteur se livre à une appréciation qualitative de l'application de la loi, sans se limiter à un recensement des décrets.

Certes, tout est loin d'être parfait, l’évolution des esprits sur ce sujet est nécessaire et nous devons faire preuve de pragmatisme. Mais le mieux étant souvent l'ennemi du bien, laissons cette résolution arriver à maturité avant de déclencher l'arme atomique en modifiant la Constitution. Il s’agirait en effet d’une procédure extrêmement lourde, sans doute démesurée ou prématurée par rapport à l'objectif poursuivi. Issue du Parlement, cette proposition de révision, après avoir été votée par les deux assemblées en termes identiques, devrait être approuvée par référendum, seuls les projets de loi pouvant être approuvés par le Congrès. Or la mobilisation de nos concitoyens serait sans doute aléatoire et pourrait avoir des conséquences imprévues.

Aussi la commission des lois a-t-elle estimé que certains amendements, comme celui que j’ai eu l’honneur de proposer avec mon collègue Jean-Luc Warsmann, renvoyant aux règlements des deux assemblées le soin d'encadrer le contrôle de l'application des lois paraissent mieux adaptés.

Outre le dispositif créé par Jean-Luc Warsmann, le Parlement dispose d'un certain nombre d'instruments pour contrôler l'action du Gouvernement. Les commissions d'enquête et les missions d'information créées à l’initiative des commissions se sont progressivement, mais résolument, inscrites dans cette perspective d’évaluation et de contrôle. Ainsi, la commission d'enquête sur l'affaire dite d'Outreau a précisément eu pour objet d'analyser le fonctionnement de notre chaîne pénale et de notre système judiciaire pour rechercher les causes des dysfonctionnements qui ont eu lieu et préparer les mesures qui devraient éviter le renouvellement d’une aussi sinistre affaire. De même, les commissions permanentes peuvent décider la création d'une mission d'information portant sur les conditions d'application d'une législation. Tous ces dispositifs constituent donc des instruments de choix pour l'évaluation des politiques publiques.

Il ne faudrait pas sous-estimer la question qui nous est posée aujourd’hui : après un examen approfondi de cette proposition, la commission ne vous propose donc pas de renoncer à légiférer en la matière, mais plutôt de nous efforcer de progresser ensemble d’une manière plus rapide, plus efficace et mieux proportionnée sur ce chemin qui doit permettre au Parlement non seulement de faire la loi, mais également, au nom de tous nos concitoyens, d’en assurer le suivi et la bonne exécution, et ainsi d’assurer sa fonction essentielle de contrôle du Gouvernement. Ainsi les deux pouvoirs, qui sont certes indépendants, conjugueront plus efficacement leurs talents au service de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président de la commission - Si j’ai demandé la parole, c’est que ce texte entre en résonance avec le travail quotidien de notre commission.

Les questions d’évaluation et de contrôle alimentent régulièrement les réflexions menées sur les prérogatives du Parlement – et j’ai d’ailleurs trouvé vos analyses fort intéressantes sur ce point, Monsieur Quilès – mais il aura fallu près de trente ans pour que l’aspiration exprimée devienne réalité. Il revient en effet à la majorité à laquelle j'appartiens, et plus particulièrement au vice-président Warsmann, d'avoir pris l'initiative de la résolution du 12 février 2004 qui modifie l'article 86 du Règlement.

Ainsi, dans un délai de six mois suivant son entrée en vigueur, toute loi doit désormais faire l'objet, devant la commission saisie au fond lors de son examen, d'un rapport sur sa mise en application faisant état des textes réglementaires publiés. Ajoutons qu’en cas de constat de carence, la commission entend son rapporteur à l'issue d'un nouveau délai de six mois.

Si j'ai souhaité intervenir dans ce débat, c'est parce que j'ai le privilège de présider la commission qui applique le plus activement cette nouvelle disposition. Depuis treize mois en effet, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné pas moins de quinze rapports sur l’application des lois, et elle s'apprête, avant le terme de la session ordinaire et pour la première fois dans son histoire, à examiner l'application de la loi de financement de la sécurité sociale.

Certes, le délai de six mois entre l'entrée en vigueur de la loi et le rapport sur sa mise en application est parfois aménagé pour tenir compte du calendrier des sessions parlementaires ou de l'agenda de la commission, mais toutes les lois examinées par la commission, sans exception, ont été soumises à ce contrôle.

Selon un premier bilan limité à la commission des affaires sociales, le taux de publication moyen des décrets est désormais supérieur à 57 % à la date de la réunion de la commission. Bien qu'imparfait, ce résultat est plus que satisfaisant, si on le compare à la situation antérieure. Dans son rapport, notre collègue Jean-Luc Warsmann faisait en effet état d'un taux moyen d'application des lois de 10 % avant les élections de 2002. Et encore faut-il préciser que ce chiffre prenait en compte l'application à l'échéance d'une année après l'entrée en vigueur de la loi et non de six mois. Chacun mesure donc le chemin parcouru !

La performance est d'autant plus satisfaisante que notre bilan, strictement comptable, est par nature un peu réducteur. Il s’agit en effet d’une moyenne : certaines lois – telles que la réforme de l'assurance maladie ou celles relatives à la formation professionnelle et aux rapatriés – ont vu la quasi-totalité des décrets nécessaires à leur application sortir très rapidement, avant même le délai de six mois.

Il convient d’autre part de replacer le taux actuel de 57 % en perspective. En effet, la préparation des décrets se heurte parfois à des délais incompressibles en raison de leur objet ou parce que l’on veut traduire le plus efficacement et le plus précisément possible les intentions du législateur. Je pense par exemple à la procédure des décrets en Conseil d'État ou aux décrets dont l'élaboration doit nécessairement être précédée d'une large concertation, comme la loi sur le handicap ou celle relative aux assistants maternels, mais aussi à certaines lois qui prévoient elles-mêmes une application différée.

Compte tenu du calendrier des réformes, certains ministères ont enfin été très fortement sollicités sur une très courte période. Ainsi, le ministère de la santé a dû travailler à la mise en application des lois sur la bioéthique, sur la santé publique et sur l'assurance maladie, trois lois promulguées à sept jours d'intervalle en août 2000 !

Certes, tout n'est pas encore parfait, mais les différents ministères ont indéniablement pris conscience du rôle accru de l'Assemblée nationale pour ce qui est du contrôle, et le Gouvernement mesure aujourd’hui la nécessité d’appliquer avec une plus grande célérité les lois votées par le Parlement – le ministre de la santé et des solidarités, Xavier Bertrand, a parlé à ce propos de « service après-vote ». Quelques mois seulement après l’adoption de cette nouvelle procédure, on constate donc déjà une évolution positive.

Cette nouvelle procédure a permis de bousculer l'inertie parfois constatée auparavant, et elle a conduit à une réelle prise de conscience de la nécessité de commencer à rédiger les textes réglementaires dès l'élaboration du projet de loi. J’ajoute que la procédure « Warsmann » a tout naturellement trouvé sa place au sein de la commission, et je crois pouvoir dire qu'elle rencontre l'assentiment de tous des commissaires.

Votre proposition de loi, quoique excellente dans son principe, me semble venir un peu tard en discussion, Monsieur Quilès. En effet, elle a été déposée sur le Bureau de notre assemblée le 2 octobre 2002. Sa rédaction précède donc de deux ans l'adoption de la résolution de notre collègue Warsmann, dont elle n'a pu évidemment tenir compte.

Une modification de la Constitution ne m'apparaît pas nécessaire : mieux vaut une pratique réglementaire réelle qu'une disposition constitutionnelle incantatoire et imprécise dont on peut craindre qu'elle soit suivie de peu d'effets. Et si vous me permettez une remarque incidente, ce raisonnement est également valable pour ce qui est de la répartition des compétences entre les commissions permanentes, qui devrait être plus équitable. Je sais que c’est un sujet qui vous tient à cœur, Monsieur le Président.

Œuvrons donc collectivement à faire vivre les dispositions introduites dans le Règlement, à l'image des efforts déjà menés par l'ensemble des membres de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales – efforts d’ailleurs récompensés, puisque le taux d'application des lois examinées par notre commission est de 57 % pour la session 2004-2005, contre un taux global de 16,4 %.

J’ajoute que la souplesse du dispositif actuel est la garantie de sa pérennité et de son effectivité, et que les réformes récemment adoptées par notre Assemblée répondent, point par point, aux attentes que vous placez dans cette proposition de loi constitutionnelle.

Celle-ci fait mention d’un délai d’un an, alors que nous en sommes déjà à six mois. Selon l’exposé des motif, « la loi organique créerait par ailleurs des organes qui, au sein des assemblées seraient plus particulièrement chargés du suivi de l'application des lois et de l'évaluation de leurs résultats ». Mais c’est oublier le rôle actif de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale et de l’office parlementaire d'évaluation des politiques de santé, que vous avez pourtant eu l’amabilité de citer.

Hier encore, nous avons pris connaissance de l’excellent rapport sur le financement de l’hébergement des personnes âgées, rédigé dans le cadre de la MECSS, coprésidée paritairement par Paulette Guinchard et Pierre Morange, et nous avons mené des débats passionnants sur les accidents vasculaires cérébraux au sein de l’OPEPS. Voyez, Monsieur Quilès, que les organes que vous appelez de vos vœux sont déjà en place !

Enfin, cette proposition de loi concerne le Parlement dans son ensemble et non notre seule assemblée. Nul doute que le succès de nos procédures incitera nos collègues sénateurs à trouver, de leur côté, les moyens de renforcer encore le suivi de l'action du Gouvernement sur laquelle ils exercent d'ores et déjà un contrôle vigilant. Après avoir été quelque peu dubitatifs, les Sénateurs nous ont suivi sur la MECS, et en sont très satisfaits.

Nous partageons les mêmes convictions, Monsieur Quilès, celles-là même que, gardien de notre institution, le Président Jean-Louis Debré, ne cesse de défendre : notre assemblée doit renforcer son rôle de contrôle et d'évaluation. Quelle que soit la majorité au pouvoir, la seule idée que les textes adoptés par la représentation nationale soient inefficaces ou ne trouvent pas à s'appliquer à cause des lenteurs ou des réticences du Gouvernement est insupportable pour tous les démocrates que nous sommes.

Toutefois, je ne peux que constater que cette préoccupation a très largement trouvé satisfaction. Votre proposition me semble donc superfétatoire. Il faut laisser à l'Assemblée nationale et au Sénat le temps d’expérimenter la réforme initiée par M. Warsmann pour vérifier la pertinence de votre dispositif. Plutôt que de faire de nouvelles lois pour dénoncer l’inflation législative, saisissons-nous des moyens constitutionnels et parlementaires dont nous disposons déjà : ils sont souvent plus nombreux que nous feignons de le croire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Garde des Sceaux - La question de l’étendue et de la nature du contrôle que le Parlement doit exercer à l’égard du pouvoir exécutif se pose dans tous les régimes parlementaires. Chaque démocratie a tenté d’y répondre. L’histoire de la Ve République démontre que parlementarisme rationalisé et contrôle effectif de l’exécutif par le Parlement ne sont en rien contradictoires. La France a su trouver un système institutionnel équilibré dans lequel le Parlement légifère et le Gouvernement gouverne, chacun intervenant dans son domaine en respectant les prérogatives de l’autre et de manière complémentaire. Si nos institutions ont leur détracteurs, force est de constater qu’elles durent : elles ont fait la preuve de leur souplesse et ont traversé sans encombres les diverses « cohabitations », pendant lesquelles l’équilibre des pouvoirs s’est toujours maintenu, seules les conditions d’exercice du pouvoir exécutif étant modifiées. Elles ont surtout montré qu’elles n’étaient en rien une atteinte aux droits du Parlement, c’est un ancien parlementaire qui le constate.

Votre proposition, Monsieur Quilès, tend à élargir les pouvoirs du Parlement. Il s’agit de renvoyer à une loi organique le soin de déterminer les conditions dans lesquelles celui-ci doit contrôler l’application et évaluer les résultats des lois qu’il vote. Je partage cet objectif, comme vous tous ici. Le Parlement s’est d’ailleurs engagé dans cette voie depuis des années. Vous proposez de franchir une nouvelle étape en inscrivant ce contrôle et cette évaluation dans la Constitution.

L’autorité de la loi est en crise, comme l’ont d’ailleurs dénoncé les Présidents de l’Assemblée nationale et du Conseil Constitutionnel. Dans son rapport annuel, le Conseil d’État fait également le même constat. L’inflation normative en est la première cause, même si ce phénomène n’est pas nouveau – Montesquieu notait déjà que nous avons en France « plus de lois que le reste du monde ensemble ». Le Conseil d’État rappelle qu’aux 9 000 lois et 120 000 décrets recensés en 2000 sont venus s’ajouter en moyenne 70 lois et 50 ordonnances par an. Cette inflation s’explique par le foisonnement des règles internationales et communautaires qui implique une augmentation corrélative des normes de droit interne, notamment à travers l’obligation de transposition de directives communautaires. La décentralisation est un autre facteur de complexité du droit, tout comme la multiplication des autorités administratives indépendantes aux pouvoirs normatifs étendus. La multiplication des lois s’explique également par l’adoption de textes dont la nécessité et la qualité ne sont pas toujours démontrées. Ce sentiment est partagé par les plus hautes autorités de l’État, qui souhaitent éviter les lois « bavardes » ne répondant pas à la nécessité avérée de traiter une problématique politique ou juridique.

M. Michel Piron - C’est vrai.

M. le Garde des Sceaux  Dans sa décision du 29 juillet 2004, le Conseil constitutionnel a rappelé que sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d’énoncer des règles et doit par la suite être revêtue d’une portée normative. En avril 2005, il a appliqué ce principe en censurant une disposition de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école prévoyant notamment que « l’objectif de l’école est la réussite de tous les élèves ». Les lois sont aussi souvent mal appliquées. Si l’on excepte les lois d’application directe, qui représentent environ un quart des textes votés, il faut en moyenne entre dix et douze mois pour que les décrets d’application paraissent au Journal officiel.

Face à ces difficultés, le Parlement a adopté différentes mesures. Il s'est ainsi engagé dans la création des offices parlementaires d'évaluation, avec tout d'abord l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, créé en 1983, l'Office parlementaire d'évaluation de la législation, créé en 1996, et l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé, créé en 2002. Parallèlement, les commissions permanentes ont mis en place des structures plus légères destinées à les aider dans l'exercice de leur mission de contrôle : la mission d'évaluation et de contrôle, pour la commission des finances, et la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, pour la commission des affaires sociales. Les missions d'informations décidées ponctuellement par les commissions peuvent également avoir pour objet d'examiner « les conditions d'application d'une législation ».

Depuis 2003, elles peuvent être créées par décision de la Conférence des présidents, sur proposition du Président de l'Assemblée, comme ce fut le cas pour les missions d'information sur l'accompagnement de la fin de vie ou sur la famille et les droits de l'enfant. Mais l'avancée la plus significative a été accomplie en 2004, à l'initiative de Jean-Luc Warsmann, grâce à la modification de l'article 86 du Règlement de l'Assemblée nationale. Le Conseil constitutionnel a jugé dans sa décision du 26 février 2004 que l'exercice d'un tel contrôle par le Parlement « était à l'abri de toute critique de constitutionnalité : les mesures qu'il prévoit s'inscrivent dans le cadre des missions du Parlement et vont dans le sens de l'affirmation d'un pouvoir de contrôle qui ne peut pas être considéré comme de nature à orienter l'action gouvernementale au point de contrevenir à l'article 20 de la Constitution ».

Le Gouvernement, quant à lui, n'est pas resté inactif…

M. Michel Piron - Bien sûr !

M. le Garde des Sceaux - …et s'est efforcé d'agir dans un sens identique. La circulaire du Premier ministre en date du 30 septembre 2003 prescrit le recensement et la planification des décrets nécessaires à l'application de chaque loi promulguée et prévoit la désignation dans chaque ministère d'un haut fonctionnaire en charge de la qualité de la réglementation.

M. Bruno Le Roux - Que c’est long !

M. le Garde des Sceaux - À partir des données fournies par chaque département ministériel, le secrétariat général du Gouvernement…

M. Bruno Le Roux - Et ridicule !

M. le Garde des Sceaux - …procède à un suivi régulier et efficace des décrets d'application.

M. Bruno Le Roux - C’est aussi long que pour sortir les décrets !

M. le Garde des Sceaux - Faut-il en rester là ? Je ne le crois pas. Comme vous, je pense qu'il faut aller plus loin.

M. Bruno Le Roux - Et plus vite !

M. le Président – J’ai calculé le temps de parole de chaque orateur depuis mardi et vos critiques, Monsieur Le Roux, valent également pour votre groupe. Peu d’orateurs respectent leur temps de parole !

M. le Garde des Sceaux - Si le renforcement du contrôle parlementaire sur l'application des lois par la constitutionnalisation de son principe est un objectif louable, le renvoi à la loi organique ne me semble pas adéquat. Notre Parlement a développé des instruments de suivi de publication des décrets d'application des lois, avec l'accord du Conseil constitutionnel et sans avoir recours à une loi organique.

Dans ses différentes décisions sur les propositions de modification du Règlement de l’Assemblée, le Conseil constitutionnel a rappelé que les missions parlementaires n’étaient pas contraires à la Constitution dans la mesure où elles permettent à l'Assemblée nationale « d’exercer son contrôle sur la politique du Gouvernement dans les conditions prévues par la Constitution ». Le contrôle exercé à l'Assemblée nationale sur le fondement de l'article 86 de son Règlement pourrait, par exemple, être exercé sans limitation de durée. Rien ne semble s'opposer non plus à la généralisation de la pratique consistant, pour les commissions des lois, à auditionner régulièrement les ministres sur l'application des lois relevant de leur département ministériel. Le partage des informations en la matière, entre le Gouvernement et les assemblées parlementaires, peut également être renforcé, sans devoir adopter une loi organique.

Les moyens de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation pourraient être renforcés et ses missions élargies, là encore, sans recourir à une norme supra législative. Et s'il était décidé de remplacer cet office par des délégations parlementaires, une loi simple suffirait, comme en atteste le fait que les délégations parlementaires à l'Union européenne trouvent leur base légale dans l'article 6 bis de l'ordonnance du 17 novembre 1958 – qui est de niveau législatif.

C'est pourquoi, tout en approuvant l'inscription dans notre loi fondamentale du contrôle de l'exécution des lois par le Parlement, je préfère que les modalités de ce contrôle soient fixées par les règlements des Assemblées, comme le propose MM. Geoffroy et Warsmann, plutôt que par la loi organique. Par ailleurs, je ne souhaite pas, comme semblent le suggérer les auteurs de la proposition de loi, que cette révision constitutionnelle conduise à doter le Parlement d'instruments contraignants à l'égard du Gouvernement, notamment en matière d'évaluation. Ainsi, l'association du Parlement à la réalisation des études d'impact des projets de loi ne saurait être érigée en règle. Le Parlement n'est pas compétent en matière d'élaboration des projets de loi. Il revient au Gouvernement, et à lui seul, de délibérer, en Conseil des ministres, et après avis du Conseil d’État, sur les projets de loi. À ce stade, le Parlement n'a pas à intervenir sur l'élaboration des projets de loi, pas plus que le Gouvernement n'a vocation à intervenir dans l'élaboration des propositions de loi. Ainsi, il ne doit pas revenir aux services ministériels d'établir des études d'impact sur des propositions de loi.

M. Alain Vidalies - Passionnant !

M. le Garde des Sceaux - Pour la même raison, l'idée de permettre à des commissions ou délégations parlementaires d'élaborer des avant-projets de décret d'application des lois ou de leur conférer un pouvoir d'avis n'est pas souhaitable.

M. Frédéric Dutoit - La manœuvre est un peu grossière !

M. Bruno Le Roux - C’est de l’obstruction !

M. le Garde des Sceaux - La détermination des modalités d'application des lois relève, en vertu des dispositions de l'article 21 de la Constitution, de la seule compétence du Gouvernement. Il arrive à ce dernier de présenter, de manière informelle, à l'occasion de l'examen d'un projet de loi, ce que seront les grandes lignes des mesures réglementaires d'application. La répartition des compétences entre le Parlement et le Gouvernement – et l'équilibre qui en découle – fait obstacle à ce que le Parlement soit partie prenante dans l'élaboration des mesures relevant du pouvoir réglementaire.

M. Jean-Luc Warsmann – Absolument.

M. le Garde des Sceaux  Par contre, je ne suis pas hostile à ce que le rôle du Parlement en matière d'évaluation des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale soit reconnu par la Constitution, comme le proposent vos collègues Jérôme Chartier et Guy Geoffroy.

De manière plus générale, il me semble nécessaire de réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour améliorer la qualité de la loi, et le Président de votre assemblée a fait récemment des propositions très intéressantes à ce sujet. Dans son rapport annuel, le Conseil d'État suggère quant à lui de recourir à une loi organique pour fixer de nouvelles obligations de procédure, comme l'évaluation préalable de l'impact de la réforme avant le dépôt d'un projet de loi devant les assemblées. Pour ma part, en tant que Garde des Sceaux, je suis très désireux que nous puissions mener au sein du Gouvernement une réflexion approfondie sur ces questions. La qualité juridique dans la préparation des textes conditionne en effet la qualité future des normes.

Mesdames et Messieurs les députés, nous partageons tous l'objectif poursuivi par la proposition de loi : renforcer le contrôle de l'application des lois par le Parlement. Je ne suis donc pas opposé à la consécration de ce contrôle dans notre loi fondamentale, par la modification de son article 34. Je considère cependant que la formulation retenue par les auteurs de la proposition de loi est ambiguë, et pourrait conduire à adopter des procédures tendant à remettre en cause l'équilibre des pouvoirs et la répartition des compétences entre le Gouvernement et le Parlement. C'est pourquoi je vous demande d'adopter la proposition de loi telle qu’elle sera modifiée par les amendements qui ont été déposés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Alain Vidalies - Au nom du groupe socialiste, je regrette vivement que la proposition de loi sur l’emploi des jeunes, dont nous avons commencé à débattre avant-hier, ne soit pas venue en discussion dès le début de cette séance, afin que nous achevions son examen. Compte tenu des événements auxquels a donné lieu le CPE, le Gouvernement eût été mieux inspiré d’être plus attentif à ce sujet. De même, il est scandaleux que le Gouvernement préempte le maigre temps de parole laissé à l’opposition dans le cadre des trop rares séances d’initiative parlementaire : en parlant, mardi, pendant cinquante minutes, M. Larcher a tenté de s’offrir un oral de rattrapage auquel ses résultats précédents ne lui donnaient pas droit ! Le Parlement s’en trouve, une fois de plus, bafoué et nous tenions à protester contre cet état de fait.

Si notre assemblée approuve la proposition de loi de Paul Quilès, le premier alinéa de l'article 34 de la Constitution sera ainsi rédigé : « Le Parlement vote la loi. Il en contrôle l'application et en évalue les résultats dans les conditions prévues par une loi organique. » L'objectif, apparemment partagé sur tous les bancs, est de sortir l'Assemblée nationale du lien de subordination au pouvoir exécutif, qui, du parlementarisme prétendument rationalisé nous a précipités dans le parlementarisme rationné.

Dans son excellent rapport, M. Quilès cite les propos du Président de la République dans son message au Parlement du 2 juillet 2002 : « Ceux qui votent la loi doivent pouvoir s'assurer de sa bonne application par le Gouvernement et l'administration. La représentation nationale n'épuise pas sa mission au service de la volonté générale quand elle a énoncé le droit. » Comment ne pas souscrire à de tels objectifs ? Et, hélas, comment ne pas constater que nous sommes loin du compte ?

En moyenne, sur la dernière décennie, seulement 25 % des dispositions législatives étaient d'application directe ; c’est dire que l'application de 75 % des textes que nous votons dépend de l'intervention d’actes réglementaires dont seul le Gouvernement maîtrise le rythme, et, souvent, l’opportunité. Et si les 25 % de lois restant d'application directe le sont juridiquement, en réalité, l'administration estime par principe que la mise en œuvre exige au minimum une circulaire d'application ! Le taux d'application des lois nécessitant expressément un texte réglementaire est, au bout d'un an, de 16,4 % pour la session 2004-2005 – ce qui constitue un progrès bien modeste par rapport aux 14,4 % constatés en 2003-2004. Le plus extraordinaire est qu'il n'existe, de ce point de vue, quasiment aucune différence entre les textes adoptés après déclaration d'urgence par le Gouvernement et ceux pris selon le droit commun. Mais il est vrai que, dans cet hémicycle, l'urgence tend à devenir l'ordinaire et le droit commun l'exception.

Nous avons tous à l'esprit des exemples de textes adoptés depuis des mois dont nos concitoyens attendent avec impatience l'entrée en vigueur. Parmi tant d’autres, notre rapporteur cite la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, dont la plupart des textes d’application n’avaient toujours pas été publiés en avril dernier.

Bien entendu, la multiplication des ordonnances justifie plus encore de renforcer le rôle du Parlement. En 2004, pour la première fois, le nombre d'ordonnances a dépassé celui des lois. Or, si, en théorie, notre Assemblée doit être saisie d'une procédure de ratification dans laquelle elle retrouve la plénitude de ses droits, il convient de rappeler que l'article 38 de la Constitution est vidé de son contenu par la théorie de la ratification implicite, élaborée par le juge administratif. Il n'est pas iconoclaste de se demander si le législateur ne devrait pas saisir l’occasion de remettre en cause cette théorie, du reste ignorée par la majorité de nos concitoyens et, sans doute, la plupart des commentateurs. À cause d’elle, le Gouvernement, lorsqu'il a été autorisé à légiférer par ordonnance, dispose en réalité d'une liberté totale et peut agir quasiment sans contrôle.

Au surplus, le refus de publier les textes d'application ne relève pas toujours d'un oubli ou d'une difficulté objective. Tous les gouvernements usent – et parfois abusent – de cette arme pour remettre en cause les concessions tactiques faites dans la procédure parlementaire. Nous en avons maints exemples récents.

Notre assemblée manifeste souvent son souhait d'être informée de la mise en application de la loi en exigeant de l'exécutif un rapport annuel. Las, la plupart du temps, les gouvernements ignorent cette demande, pourtant inscrite dans la loi. Ainsi, au cours de l'année parlementaire 2004-2005, un seul rapport a été remis sur les trente prescrits, et, depuis le début de la législature, 21 rapports ont été déposés alors que 134 avaient été prescrits ! La tentation de s'opposer à la volonté du législateur est parfois aussi manifeste dans certaines décisions judiciaires, qui s'arrogent un pouvoir d'interprétation excessif, en ignorant la réalité du débat parlementaire. Il y a, là encore, un vaste champ de réflexion à explorer.

Face à cette situation, les initiatives n'ont pas manqué, et notre rapporteur rappelle opportunément le rôle positif de la création des offices parlementaires, l'efficacité des missions d'information spécifiques initiées par la Conférence des présidents, ou encore la véritable avancée que représente l'instauration d'un droit de suite sur l’application des lois, exercé par leurs rapporteurs. Mais ces améliorations ne répondent que partiellement à la question posée. Oui, si nous voulons rétablir le rôle du Parlement, il faut préciser l'étendue de notre mission dans la Constitution. Oui, notre rôle est de voter la loi, mais aussi d'en contrôler l'application et d'en évaluer les résultats. C'est l'objet même de notre proposition de loi. Nous espérions qu’elle pourrait acquérir la force particulière d’un vote à l’unanimité, mais j’ai le sentiment que du côté de l’UMP, sur ce sujet, il y a loin de la parole aux actes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Frédéric Dutoit - Cette proposition de loi vise à renforcer les pouvoirs du législatif. Ce souci découle d’un double constat. Le premier porte sur l’exécution des lois et les moyens dont le Parlement dispose pour la contrôler. Le rapport annuel du Sénat sur le contrôle de l’application des lois fournit des données édifiantes sur ce sujet et évoque la complexité de la question, l’évolution des situations de fait ou de l'environnement juridique, les imprécisions ou ambiguïtés des lois ou encore les obstacles politiques empêchant l'application de la mesure votée. Ajoutons-y l'inflation législative, qui perdure malgré quelques efforts sans résultats, et le fait que les moyens de contrôle dont le Parlement s’est doté se sont révélés peu efficaces : offices parlementaire d'évaluation, commissions d'enquête, missions d'information, questions… Le dernier en date, le dispositif de contrôle permanent de l'application des lois, issu de la réforme du Règlement de l'Assemblée du 12 février 2004, ne s’est appliqué qu'à un peu plus d'un quart des lois promulguées. On est donc loin d'un contrôle systématique, sans compter qu'avec le recours de plus en plus fréquent aux ordonnances, dont la ratification n'est que rarement inscrite à l'ordre du jour, des pans entiers de la législation échappent au législateur.

Le deuxième constat est relatif à l'évaluation des lois. Dans ce domaine aussi, les circulaires concernant les études d'impact des projets de loi et des principaux projets de décrets n'ont donné que des résultats décevants. Les études, lorsqu’elles existent, sont insuffisantes et le Parlement légifère souvent sans avoir tiré les enseignements de ses votes passés ni appréhendé toutes les implications du texte. Personne ne saurait contester qu'une connaissance plus exacte de l'état d'application de la législation existante permettrait de mieux légiférer et d’améliorer l'efficacité de l'action publique.

Ces insuffisances sont dues à des mécanismes de contrôle et d’évaluation par le Parlement non contraignants. La proposition de loi propose plusieurs dispositions pour y remédier. Ainsi, obligation pourrait être faite au Gouvernement de soumettre au Parlement un état précis des mesures d'application des lois, un an au plus tard après leur promulgation ; le Parlement pourrait aussi être associé à l'élaboration des études d'impact des projets de loi ou demander une étude d'impact sur des propositions de loi. Sans doute de tels mécanismes pourront-ils améliorer la situation, encore que l'inflation législative et la mauvaise rédaction des lois ne puissent que peser sur les décrets d'application.

Mais surtout, il serait totalement illusoire de penser que cette modification constitutionnelle puisse suffire à remédier à l'affaiblissement du Parlement et au déséquilibre grandissant entre l'exécutif et le législatif, lié à la dérive présidentialiste du régime qui concourt à la faillite institutionnelle actuelle. Cette dérive, qui a dévoyé les institutions de la Ve République, résulte du renforcement des pouvoirs personnels du Président, grâce notamment à l'élargissement du champ référendaire, de l'instauration du quinquennat, de l'inversion du calendrier électoral en 2002 et de la concomitance des élections présidentielles et législatives. Elle entraîne des conséquences dramatiques : la transformation de la République en une monarchie constitutionnelle, avec l’accentuation du fait majoritaire, la réduction du Parlement au rôle de chambre d'enregistrement et le renforcement de la bipolarisation de la vie politique.

L’absence de prise en compte, par l'exécutif, des résultats du référendum de mai 2005, sa gestion de la crise des banlieues et de celle du CPE, l'affaire Clearstream sont les signes du crépuscule d'un régime qui offre un ahurissant spectacle de confusion des rôles, de guerres intestines et de valses-hésitations. De cette crise, nous ne sortirons que par l'avènement d'une nouvelle République et d'un régime véritablement parlementaire, qui aura redonné au législatif sa pleine souveraineté et son rôle de contrôle de l'exécutif. Pour cela, il est impératif de revaloriser ses droits d'initiative législative et de mettre fin à la définition limitative du domaine de la loi et aux mécanismes du « parlementarisme rationalisé » qui ont tant contribué à l'humiliation de la représentation nationale, c’est-à-dire le couperet de l’article 40 et le « braquage » du débat parlementaire qu'organisent les articles 38, 49-3 et 44. Quant au contrôle de l'action gouvernementale, il appelle, outre des compétences de suivi des lois, de véritables droits pour l'opposition parlementaire, incluant la présidence de commissions permanentes.

Enfin, la composition d’autorités indépendantes telles que le Conseil constitutionnel, le Conseil supérieur de la magistrature ou le Conseil supérieur de l'audiovisuel doit être revue – la représentation nationale devrait avoir, au minimum, un droit de regard – sans parler de la nécessité de remédier au caractère non représentatif du Parlement en instaurant un scrutin proportionnel. En bref, la restauration du rôle du Parlement n’implique rien moins qu'une VIe République, celle d'un nouvel âge démocratique. En attendant, toute mesure positive est bienvenue. C’est la raison pour laquelle nous voterons cette proposition de loi constitutionnelle.

M. Jean-Luc Warsmann – Je dois d’abord dire à M. Quilès et aux membres du groupe socialiste combien je suis heureux de leur initiative. Je les félicite d’avoir mis à notre ordre du jour ce problème récurrent de notre démocratie qu’est l’application des lois que nous votons. Pour avoir travaillé avec le président Debré sur le sujet, nous savons que ce problème touche plus la France que les autres démocraties européennes. Il contribue à l’affaiblissement de la parole du Gouvernement et du respect de la loi. Soyons conscients que nos concitoyens ont la sensation, lorsqu’ils entendent les médias parler d’un conseil des ministres, que le projet de loi est déjà élaboré alors qu’il nous faut plusieurs mois pour en débattre. La loi définitivement votée, les médias en font de nouveau état, mais il faut des années pour que les textes viennent à s‘appliquer !

Par ailleurs, votre proposition de loi est représentative d’un enjeu fondamental de l’évolution du rôle du Parlement.

M. Guy Geoffroy - Il faut le rappeler.

M. Jean-Luc Warsmann - Dans les années à venir, les parlementaires devront consacrer moins de temps à l’élaboration de nouvelles lois et beaucoup plus au contrôle de leur application et à leur évaluation. Il me semble donc parfaitement normal de franchir les limites des clivages politiques et de dire au groupe socialiste combien son initiative est positive. La seule limite est posée par l’article 89 de la Constitution, car le texte ne pourrait prospérer que par un référendum. Mais ce n’est pas le moment de faire de la procédure.

M. Guy Geoffroy - Il faut quand même le savoir !

M. Jean-Luc Warsmann – L’évolution actuelle a commencé il y a une trentaine d’années. Beaucoup de solutions ont déjà été expérimentées. En 1979-1980, le Président Chaban-Delmas avait lancé l’examen, en Conférence des présidents, de rapports de chaque commission faisant état des difficultés d’application des lois. La procédure s’est arrêtée avec l’alternance de 1981. Ensuite, plusieurs tentatives n’ont pas abouti, dont celle de 1988, qui visait à désigner dans chaque commission un député pour suivre l’application des textes qu’elle avait examinés. Malgré le travail fourni par ces pionniers – il faut saluer le rapport déposé en 1990 par Didier Migaud pour la commission des lois ou celui d’Alain Richard pour la commission des finances – il n’y a pas eu de suite : il est vrai que la tâche était, pour un seul député par commission, tout simplement démesurée. Ensuite, un groupe de travail mis en place par le Président Séguin a proposé un renforcement du Règlement de l’Assemblée, puis l’Office parlementaire a été créé en 1993.

Puis nous en sommes arrivés au débat de 2004 sur la modification de notre Règlement. L’idée était d’utiliser le travail du parlementaire qui est le plus impliqué dans l’élaboration d’une loi : le rapporteur, qui pratique toutes les auditions, y compris celles de toutes les organisations professionnelles et des spécialistes amenés à appliquer le texte. Le rapporteur est donc parfaitement au courant non seulement des détails du texte, mais de ses faiblesses. Nous avons donc voulu tirer profit de son engagement – ce qui permet en outre, contrairement à 1988, de répartir la charge de travail entre les membres de la commission – et de ses connaissances – nous avons même prévu le cas où le rapporteur quitterait la commission en question. Nous avions prévu un délai de six mois, car l’essentiel du travail d’application devrait être fait par le Gouvernement dans cette période, et laissé les manières de travailler du rapporteur très ouvertes. Dans notre esprit, il y avait deux objectifs : un contrôle quantitatif – savoir où en sont les décrets prévus six mois après la promulgation – et une évaluation qualitative – car c’est bien là l’objectif final. Dans cette dernière optique, le rapporteur peut auditionner de nouveau les mêmes personnes que lors de l’examen du projet de loi. C‘est d’un intérêt évident pour son travail et cela contribue à revaloriser le rôle du Parlement.

La modification du Règlement du 12 février 2004, qui avait été votée à l’unanimité, donne donc au Parlement des moyens d’approfondir considérablement sa mission de contrôle. Dans sa décision du 26 février 2004, le Conseil constitutionnel a d’ailleurs confirmé qu’elle permettait à l’Assemblée d’exercer son contrôle de la politique gouvernementale dans le respect de la Constitution, et n’a émis qu’une seule réserve – relative au caractère non injonctif des rapports de commissions d’enquête.

Depuis la réforme, un quart des textes ont fait l’objet d’une évaluation. Permettez-moi de tirer un bilan de ma propre expérience, puisque le hasard m’a amené à rapporter la loi du 9 mars 2004, dite Perben II, à laquelle la modification du Règlement s’appliquait. Le délai d’application est trop long : pour les textes exclusivement pilotés par le ministère qui en est l’auteur, il est de six mois à un an. Sur les textes de portée interministérielle, certains comportements des administrations centrales confinent à la désinvolture : il a fallu un an et demi pour que le texte d’application d’une disposition pourtant simple de réduction forfaitaire du montant des amendes pénales réglées avant un délai d’un mois soit effectif. Il en va de même pour le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles, que l’actualité récente a malheureusement remis à l’ordre du jour. Cette mesure fondamentale et consensuelle de la loi du 9 mars 2004 n’a reçu son décret d’application que le 30 mai 2005 ! Je ne soupçonne aucun ministère en particulier, mais le fonctionnement de l’appareil d’État n’est pas satisfaisant.

En outre, certains engagements pris devant l'Assemblée nationale ne sont pas respectés : il en est ainsi de la création, toujours par la loi Perben II, de juridictions interrégionales. Elles sont un outil essentiel à la répression de la criminalité organisée et internationale.

M. le Garde des Sceaux  Ce n’est plus contesté !

M. Jean-Luc Warsmann - En effet. Mais les services de police judiciaire devaient subir une réorganisation en conséquence. Or, leur répartition géographique ne correspond toujours pas aux juridictions administratives, avec lesquelles ils travaillent pourtant quotidiennement. La parole n’a pas été tenue – peut-être pour une raison que je n’ose avouer à cette tribune… Nous devons nous opposer à ces dysfonctionnements inadmissibles.

Au-delà des questions juridiques, il faut provoquer de véritables changements de comportement. Tout d’abord, lorsqu’il présente un projet de loi, le Gouvernement doit également présenter des avant-projets de textes d’application, mettant à profit à cette fin la durée des travaux parlementaires.

Quant aux députés, ils doivent avoir plus de colonne vertébrale et user d’une certaine liberté de ton. Ma loyauté de rapporteur à l’égard de M. Perben ne m’a pas empêché de faire état des dysfonctionnements que comportait le texte.

M. Guy Geoffroy - Absolument !

M. Jean-Luc Warsmann - Il faut en avoir le courage, au-delà du fait majoritaire. Dissimuler ces dysfonctionnements pour ne pas gêner le Gouvernement est un mauvais calcul dont nos concitoyens s’aperçoivent – les majorités autistes ou légères ne vivent généralement pas longtemps… La loyauté d’une majorité est de dire ce qui va et ce qui ne va pas en toute transparence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Piron - Remarquable !

M. Jean-Luc Warsmann – Sous réserve de l’adoption de certains amendements, je suis très ouvert à cette heureuse proposition de loi, dont la commission des lois a accepté de débattre intégralement aujourd’hui. À l’initiative du groupe socialiste, qui a choisi de passer l’essentiel de la matinée à discuter de ce texte utile, nous pouvons montrer notre détermination à renforcer le contrôle parlementaire de l’application des textes législatifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – Poursuivons notre débat, dont l’organisation serait facilitée si chacun respectait son temps de parole.

M. Guy Geoffroy - Il faut en effet que ce débat arrive à son terme ; la commission souhaite d’ailleurs passer à l’examen des articles. Mais il faut également prendre toute la mesure de cette proposition de loi : il s’agit tout bonnement de réviser la Constitution ! Ce ne peut être fait à la sauvette. Certains collègues socialistes qui ont manifesté leur impatience ne réagiraient certainement pas de la même manière pour un projet de loi…

M. Bruno Le Roux - Nous avons une autre proposition de loi à examiner ensuite !

M. Guy Geoffroy – Restons mesurés : nous savons qu’il y a, depuis mardi, plusieurs textes à débattre – peut-être même trop. La représentation nationale ne s’honorerait pas en traitant trop vite un texte aussi important. Or, il s’agit de la question essentielle dans notre République de la relation entre pouvoirs exécutif et législatif. Le titre V de notre Constitution est en jeu !

Je suis, comme beaucoup d’entre vous, très désireux d’appliquer à la lettre ce qui fonde notre engagement au service de la nation. À chaque fois que nous recevons des visiteurs à l’Assemblée – notamment des enfants – nous assistons à la projection d’un petit film qui rappelle les fondements de notre institution. Le député doit représenter ses concitoyens sans se sentir tenu par un mandat impératif qu’interdit d’ailleurs la Constitution.

M. Eric Raoult - Très bien !

M. Guy Geoffroy - Il fait la loi, et contrôle l’action du Gouvernement – non seulement l’utilisation de ses pouvoirs règlementaires, mais aussi l’application des textes de loi par les pouvoirs publics.

Sans animosité aucune, je veux dire que nous n’avons pas attendu 2006 pour prendre la mesure de ces questions. D’ailleurs, pourquoi la majorité précédente n’a-t-elle pas profité des cinq ans durant lesquels elle était au pouvoir pour proposer de modifier la Constitution selon la procédure prévue à l’article 89 de la loi fondamentale ? Cela aurait été plus judicieux. Cette proposition de loi s’appuie sur une réflexion menée depuis de nombreuses années, je remercie le rapporteur de l’avoir rappelé. La « résolution Warsmann » a représenté une avancée fondamentale en donnant à l’Assemblée la capacité, par l’intermédiaire du rapporteur, de suivre l’application des textes législatifs.

Inscrire aujourd’hui des dispositions spécifiques dans la Constitution n’est probablement pas inutile. C’est la raison pour laquelle les membres de la commission des lois ont souhaité unanimement que l’on passe à la discussion de l’article unique. En revanche, la sagesse veut que l’on limite la portée de ce texte afin qu’il soit efficace et pertinent. Pour être efficace, le texte doit pouvoir être appliqué rapidement. Pour être pertinent, il faut qu’il soit adapté au problème posé. Or, lier l’application de ce texte à l’adoption d’une loi organique, qui pourrait se révéler un véritable parcours du combattant en raison du calendrier législatif, semble être une fausse bonne idée. Aussi, j’ai pris l’initiative avec M. Warsmann de déposer un amendement, prolongé par d’autres amendements tendant à créer un article additionnel (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). En tant que vice-président et membre de la commission des lois ainsi que simple parlementaire, je mesure depuis 2002 la complexité de notre tâche. Il faut être à la fois au four et au moulin (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – C’est long ! Vous faites tout pour éviter que l’on aborde le sujet qui occupe tout le monde !

M. Guy Geoffroy - Il faut être présent là où il le faut et quand il le faut, ce qui n’est pas toujours facile (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Martine David - Ça suffit !

M. Guy Geoffroy - Je souhaite que notre Assemblée puisse se mettre d’accord sur cette proposition de loi afin que nos institutions soient enfin plus efficaces et l’action du Gouvernement mieux contrôlée.

M. le Président – La parole est à Mme Marland-Militello.

Mme Martine David – C’est scandaleux ! Nous voulons parler du génocide arménien !

M. le Président – Madame, vous ne pouvez pas interdire aux députés de s’exprimer ! (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Vous vous livrez à une manipulation de l’ordre du jour !

M. Éric Raoult - Pourquoi n’avez-vous rien fait pendant vingt ans ?

M. le Président – Calmez-vous, sinon je serai contraint de suspendre la séance ! Si vous vouliez que l’Assemblée prenne la proposition de loi sur le génocide arménien en premier, il fallait l’indiquer !

M. René Rouquet - Nous l’avons fait, vous vous y êtes refusé !

M. le Président – C’est faux ! La séance est suspendue. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste)

La séance, suspendue à 11 heures 20, est reprise à 11 heures 30.

M. Jean-Luc Warsmann – Rappel au Règlement. Le climat est paradoxal ! Le groupe socialiste disposait de deux séances d’initiative parlementaire cette semaine. Il a fait le choix de demander l’inscription de trois propositions de loi à l’ordre du jour de mardi, ce qui ne se fait jamais. La matinée de mardi n’a pas permis l’examen de ces trois textes et le groupe socialiste prend aujourd’hui à parti le Président et des députés de la majorité en les accusant de faire de l’obstruction !

Mme Martine David - Mais le ministre a parlé durant une heure !

M. Jean-Luc Warsmann – C’est de l’hypocrisie, car si le groupe socialiste voulait que la proposition de loi sur le génocide arménien soit examinée en son entier, il lui suffisait de l’inscrire en premier !

Mme Martine David - Nous l’avons demandé, mais le Président l’a refusé !

M. Jean-Luc Warsmann – Les radios annonçaient ce matin que l’Assemblée allait examiner cette proposition de loi, alors que les députés socialistes faisaient tout pour que nous disposions du moins de temps possible !

M. le Président – La proposition de résolution relative au contrôle du Parlement est un texte important. Toutefois, pour que nos débats retrouvent un peu de sérénité, je propose à M. Quilès la retirer (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Rapporteur – Les conditions dans lesquelles ce débat a lieu n’honorent pas notre assemblée. Nous sommes en train de discuter d’un texte qui rejoint la volonté de députés sur tous les bancs. Il s’agit de revaloriser le rôle du Parlement, nécessité que reconnaît le Garde des Sceaux. Il n’est pas question de retirer ce texte. Je propose, en revanche, que chacun fasse un effort afin que le débat s’accélère. Pour ma part, je m’y efforcerai.

M. Jean-Marc Ayrault - Nous devons tout faire pour défendre la dignité de l'Assemblée nationale.

M. le Président – Ma proposition allait dans ce sens.

M. Jean-Marc Ayrault - Nous n’avons pas encore terminé la discussion générale sur ce texte et il existe des amendements à l’article unique. Cet examen risque donc de se prolonger au-delà de 12 heures 30.

M. le Président – Le rapporteur n’appartient-il pas à votre groupe ? (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Marc Ayrault - J’essaie d’expliquer le contexte. Même en faisant un effort, la discussion générale de la proposition de loi sur le génocide arménien ne débutera pas avant 12 heures 45 et elle doit durer 50 minutes. Le risque est de la voir interrompue. Quels que soient les débats qui existent à l’intérieur de notre groupe – et ils existent dans tous les autres groupes – nous avons voulu qu’une discussion en séance permette aux points de vue de s’exprimer dans la sérénité, et devant les Français. C’est le rôle du Parlement.

Monsieur Warsmann, votre intervention s’appuie sur des faits inexacts. J’ai écrit hier au Président de l'Assemblée nationale pour lui demander de commencer la séance de ce matin par la discussion du texte sur le génocide arménien. Cela m’a été refusé. La proposition du Président arrive un peu tard. Je préfère donc que l’on reporte le débat sur le génocide arménien à la prochaine niche parlementaire, en novembre.

M. le Président – L’ordre du jour n’est pas fixé par le Président, mais par la Conférence des présidents. Vous avez demandé de repousser la discussion du texte sur l’emploi et l’insertion des jeunes, ce que nous vous avons accordé. Par ailleurs, tous les orateurs ont dépassé leur temps de parole. Je n’ai pas voulu les interrompre – on me reproche d’habitude de le faire – car j’estime que chacun doit pouvoir s’exprimer sur cette question essentielle qu’est le rôle du Parlement (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Blazy - Chirac ne veut pas de cette proposition ! Vous jouez la montre !

M. le Président – Ce n’est pas mon habitude !

M. Frédéric Dutoit - Rappel au Règlement. Effectivement, nous ne sortons pas grandis de ces événements. Si nous voulons que les citoyens s’investissent dans la vie publique, il nous faut donner l’exemple, et ne pas jouer de la procédure. Monsieur Warsmann, le groupe communiste a fait inscrire trois textes de loi à l’ordre du jour de sa niche parlementaire : les trois textes ont été discutés et il a été procédé à leur vote.

M. Jean-Luc Warsmann - Il s’agit d’une proposition de loi constitutionnelle. On ne peut changer la Constitution en deux heures !

M. Richard Mallié - Ne perdons pas notre temps !

M. Frédéric Dutoit - Tout le monde connaît le débat sur le négationnisme du génocide arménien. Beaucoup, au Gouvernement, au groupe UMP et dans d’autres groupes, n’osent pas assumer leur positionnement. Ne trichons pas avec la démocratie ! Le groupe communiste – qui a, dans son ensemble, signé cette proposition de loi – sera présent lors du débat, s’il est repoussé à la prochaine niche parlementaire du groupe socialiste. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste)

M. François Rochebloine - Rappel au Règlement. Nous donnons en effet une très mauvaise image du Parlement, au moment, d’ailleurs, où nous discutons de ses prérogatives. Les événements qui se sont déroulés à Lyon ou à Berlin ces derniers mois ont été vivement condamnés.

M. le Président – Sur quel fondement faites-vous ce rappel au Règlement ?

M. François Rochebloine - Sur le fondement de l’article 48-2.

M. le Président – Vous ne pouvez pas mettre en cause le fonctionnement de l’Assemblée, car vous étiez absent de l’hémicycle ce matin.

M. François Rochebloine - Les télévisions installées dans les bureaux des députés leur permettent de suivre la séance tout en travaillant. Nous ne pouvons pas être toujours présents ! Si l’on avait voulu que cette proposition de loi vienne en discussion, on l’aurait inscrite en première position ce matin.

M. le Président – Cela est du ressort de la Conférence des présidents, où votre groupe est représenté.

M. François Rochebloine - Ce matin, nous avons entendu le rapporteur et le ministre, qui d’habitude parle vite, mais qui, cette fois, semblait avoir des difficultés d’élocution…

M. le Président – Ce sont des attaques personnelles inadmissibles !

M. François Rochebloine - M. le Garde des Sceaux est mon ami et le président du conseil général auquel j’appartiens. Le vice-président de la commission des lois est intervenu également, de manière un peu surprenante. Manifestement, on avait la volonté de faire traîner les débats. Je le dénonce, au nom du groupe et de mon collègue et ami ici présent, André Santini (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. Guy Geoffroy, vice président de la commission - Nos débats doivent se poursuivre dans la sérénité. Si chacun l’accepte, nous pouvons passer au vote définitif de cette proposition de résolution dans les vingt minutes qui viennent : je renonce, ainsi que mes collègues inscrits à l’article unique, à prendre la parole.

M. le Président – Je pense que M. Le Garde des Sceaux fera preuve de bonne volonté et ne répondra pas aux députés.

M. Guy Geoffroy, vice président de la commission - La discussion générale s’achèvera très prochainement, nous pourrons passer très brièvement à l’examen des amendements et nous devrions procéder au vote du texte dans les vingt minutes.

M. Jean-Marc Ayrault - L’intervention de M. Rochebloine me donne le sentiment que nous sommes en train de déraper. Il serait indigne d’aborder la difficile question du génocide arménien en vingt minutes. La discussion générale devrait durer 50 à 60 minutes. Or il est déjà 11 heures 45 et la séance sera levée vers 13 heures 15.

Je préfèrerais donc que ce texte soit reporté à la prochaine séance d’initiative parlementaire qui reviendra au groupe socialiste (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

En effet, conscient de la gravité d’un tel sujet, qui est pendant depuis des années, je ne voudrais pas que le débat soit tronqué : il faut que les différents points de vue puissent s’exprimer, même s’il y a des divergences – c’est cela la démocratie. J’en prends l’engagement au nom du groupe socialiste (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président – Vous voulez donc reporter ce texte ?

M. Bruno Le Roux - Mais oui !

M. le Président – Ce n’est pas à vous, mais à M. Ayrault que je pose la question ! (M. Bruno Le Roux se lève en protestant vivement)

M. le Président – Je suspends la séance afin de m’entretenir avec le président Ayrault.

La séance, suspendue à 11 heures 45, est reprise à 11 heures 55.

M. Jean-Marc Ayrault - Rappel au Règlement. Pour la dignité de nos débats, je fais la proposition suivante : puisque M. Geoffroy nous a assurés que l’on pouvait rapidement conclure l’examen du texte rapporté par M. Quilès, je propose à nos collègues de la majorité de passer au vote dans un quart d’heure, ce qui est possible si chacun fait un effort, pour en arriver ensuite à la discussion générale sur la proposition de loi relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915.

Tel est notre souhait. Mais si l’engagement mutuel n’était pas tenu, nous retirerions notre proposition de loi pour que le débat puisse avoir lieu à l’occasion d’une prochaine séance d’initiative parlementaire à l’automne. Je ne le souhaite pas, car je voudrais que ce débat, qui a été annoncé, puisse se tenir aujourd’hui. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste)

M. Bernard Accoyer - Le groupe UMP prend acte de la décision de M. Ayrault, tout en regrettant l’attitude de M. Quilès, qui a tout à l’heure refusé de retirer le texte en cours d’examen. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste) Sans cela, nous aurions pu consacrer plus de temps à cet important débat sur la reconnaissance du génocide arménien, débat auquel nous prendrons bien évidemment part, car c’est pour nous une des priorités de cette matinée.

M. le Président – Je vous informe que trois orateurs sont inscrits dans la discussion générale.

M. René Rouquet – Trois députés UMP !

M. le Président – Voudriez-vous empêcher un parlementaire de s’exprimer quand il n’est pas de votre tendance politique ? C’est invraisemblable !

Je suis tenu par le Règlement ! La parole est à Mme Muriel Marland-Militello.

Mme Muriel Marland-Militello – En réponse au procès d’intention dressé par l’opposition, je tiens à dire que je suis venue ici pour voter la loi sur le génocide arménien. En rien, nous ne souhaitons la retarder, et pour le démontrer, je renonce à mon temps de parole.

M. Michel Piron - Ayant beaucoup apprécié le rapport de M. Quilès sur un sujet aussi important, je souhaite m’exprimer.

M. le Président – Eh bien, exprimez-vous !

M. Michel Piron – Félicitons-nous qu’un vrai sujet retienne aujourd’hui toute notre attention : celui du pouvoir réel du Parlement dans l’élaboration de la loi, mais également son suivi et son application.

Qu’on me permette donc d’extraire un chiffre de l’excellent constat dressé par M. Quilès : pour la session 2004-2005, et malgré des progrès notables, le taux d’application des lois plafonne à 16,4 %. C’est dire l’importance du problème et ses conséquences désastreuses sur le respect du droit. Que l’inflation législative explique pour partie cet état de fait est certain – Montesquieu a été évoqué, et nous aurions pu remonter à l’empire romain ! Mais que des réticences administratives y concourent également n’est pas moins inquiétant.

Parce que les lois demeurent trop souvent inappliquées faute d’être applicables, c’est-à-dire déclinées au plan réglementaire, il nous est proposé d’élargir les pouvoirs du Parlement en renforçant son pouvoir de contrôle et de suivi. Qui pourrait s’en étonner ? Et qui pourrait s’en offusquer, étant donné que le recours aux ordonnances risque de nous conduire à une confusion entre la délégation de pouvoir et son abandon pur et simple ? Enfin, comment ne pas être attentif aux arguments relatifs aux études d’impact, trop souvent absentes, alors qu’elles devraient être à la loi ce que la lampe est au législateur ?

J’ai bien entendu vos arguments et la sagesse de vos constatations, Monsieur le Garde des Sceaux, mais chaque fois qu’il s’agit de renforcer l’efficience de la loi, condition même de son respect, je préfère le « il n’est jamais trop tard pour bien faire » à un « il n’est jamais trop tôt pour attendre ». (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Émile Blessig – Je suis très déçu par l’organisation de nos débats. Les objectifs de la proposition de M. Quilès étaient largement partagés car il est de l’honneur de notre Assemblée d’œuvrer à un meilleur équilibre de nos institutions. Or, comment rendre nos travaux crédibles avec le spectacle que nous donnons ? Je renonce à m’exprimer, tout en précisant néanmoins trois points essentiels : le rôle du Parlement se transforme en raison du partage de l’initiative législative avec les institutions européennes ; le contrôle sera de plus en plus au cœur de l’activité de tous les parlements nationaux – nous avons beaucoup de progrès à faire en la matière ; enfin, étant pris, sous la pression médiatique, entre des impératifs de plus en plus difficilement maîtrisables comme nous le constatons encore ce matin, il convient de mieux adapter le temps de notre institution au temps de la société. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Jérôme Chartier – Cela me coûte d’autant plus de ne pas intervenir sur cette proposition que j’œuvre depuis des années en faveur de la modernisation du Parlement, mais nos débats doivent avancer, en particulier concernant le génocide arménien, texte auquel je suis profondément attaché. J’enverrai à mes collègues le résumé de mon intervention sur la proposition.

M. Blessig a raison : nous sommes ridicules. Notre ordre du jour prévoit l’examen de deux textes fondateurs en une seule matinée. M. Quilès souhaite que le débat sur sa proposition aille jusqu’au bout. M. Ayrault a, quant à lui, demandé hier à M. le Président de l'Assemblée nationale que l’ordre du jour soit modifié alors que la Conférence des présidents avait eu lieu la veille. Pourquoi, sinon, cédant à la pression de son groupe, afin de « repasser le bébé » au Président ? Nous sommes ridicules aux yeux de ceux qui nous regardent, et dans l’hémicycle, et à l’extérieur. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Le Parlement, ce n’est pas cela ! À l’avenir, que M. Ayrault fasse en sorte d’inscrire la discussion de propositions d’une telle importance sur deux séances, afin que nous ayons un vrai débat ! Je m’apprêtais à voter ce texte, mais je quitte l’hémicycle car je n’accepte pas le ridicule. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – La discussion générale est close.

ARTICLE UNIQUE

M. le Président – J’appelle l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission.

Je prie MM. Geoffroy, Warsmann et Laffineur, inscrits sur l’article, de bien vouloir renoncer à leur temps de parole.

M. le Rapporteur – Il était difficile de passer à la trappe une réflexion du Parlement sur ses propres pouvoirs. Pour le reste, je préfère ne pas me prononcer.

L’amendement 5 vise à rééquilibrer la rédaction de la Constitution en rajoutant un article 24 A disposant que le Parlement vote la loi, qu’il en contrôle l’application et en évalue les résultats, une loi organique déterminant les conditions d’applications du présent article. En effet, si le titre II définit les missions du Président de la République et le titre III celles du Gouvernement, l’article 24 ne dit rien des missions du Parlement.

J’ajoute que le texte que nous allons examiner dans un instant complète la loi du 29 janvier 2001. Si la présente proposition avait été votée plus tôt – une étude d’impact aurait montré que les sanctions pour non respect de cette loi n’étaient pas prévues – nous aurions évité un débat qui, en effet, n’honore pas vraiment notre Parlement.

M. le Président – Tout débat honore le Parlement. S’il est un endroit ou l’on doit discuter librement, c’est bien ici.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission – La commission n’a pas retenu cet amendement au profit de l’amendement 1 que je défendrai dans un instant.

M. le Garde des Sceaux  La modification constitutionnelle est en la matière inutile, la modification des règlements étant suffisante, comme le propose l’amendement 1, auquel je suis favorable.

L'amendement 5, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Guy Geoffroy, vice président de la commission - L’article 34 de la Constitution ne concerne pas le Parlement mais la loi. Il dispose donc que la loi est votée par le Parlement, or, la proposition de loi dispose, elle, que le Parlement vote la loi. L’amendement 1 vise en l’occurrence à en rester au texte actuel. En outre, le dispositif préconisé par la proposition est complexe. Nous ignorons la loi organique à laquelle il renvoie. Nous proposons, par cet amendement, de nous en remettre aux règlements des deux assemblées. J’ajoute que, conformément à l’article 61, alinéa 1, de la Constitution, les règlements de nos assemblées sont soumis avant leur application au contrôle du Conseil constitutionnel. L’article 34 ainsi rédigé sera pleinement efficace tout en respectant les dispositions actuelles.

M. le Rapporteur – Cet amendement, auquel je suis défavorable, ne change rien à un état du droit insuffisant malgré les progrès institués par la procédure Warsmann. Il n’obligera pas le Gouvernement non plus qu’il ne conférera de nouveaux pouvoirs aux rapporteurs. J’ajoute que le renvoi aux règlements des deux assemblées serait une première : le vote d’une loi organique est plus fréquent.

M. le Garde des Sceaux  Ce n’est pas une première. Le dernier alinéa de l’article 28 de la Constitution dispose que les jours et les horaires des séances sont déterminés par le règlement de chaque assemblée.

L'amendement 1, mis aux voix, est adopté.
L'article unique ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ARTicle unique

M. Guy Geoffroy, vice président de la commission - L’amendement 2 est défendu.

L'amendement 2, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Georges Tron – L’amendement 3 vise à compléter l’article 47 de la Constitution de manière à ce que le rapport de la Cour des comptes fasse l’objet d’un débat en séance publique dans les deux assemblées. L’article 58 de la LOLF prévoit une telle possibilité, le rapport de MM. Dumont et Jego précise également qu’il devrait en être ainsi. Nous devons mieux encore témoigner de la valeur que nous accordons à un tel travail.

M. Guy Geoffroy, vice président de la commission - Avis défavorable.

M. le Garde des Sceaux  Sagesse.

L'amendement 3, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commissionL’amendement 4 est défendu.

L'amendement 4, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

TITRE

M. le Rapporteur – Par coordination, l’amendement 6 tend à intituler le présent texte : « loi constitutionnelle tendant à élargir les pouvoirs du Parlement ».

L'amendement 6, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté et le titre est ainsi rédigé.
L'ensemble de la proposition de loi constitutionnelle, mis aux voix, est adopté.

Retour au haut de la page

arménie

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Didier Migaud et plusieurs de ses collègues complétant la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915.

M. Christophe Masse, rapporteur de la commission des lois J'ai l'honneur de vous présenter la proposition de loi, déposée le 12 avril dernier par le groupe socialiste, pour compléter la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 en y insérant un nouvel article créant le délit de contestation du génocide arménien. L’inscription du présent texte à l'ordre du jour de nos travaux intervient après l'inauguration du mémorial du génocide arménien, à Lyon, le 24 avril dernier, cet événement ayant donné lieu à des manifestations de nature négationniste.

Ce texte s'ajoute aux six propositions de loi antérieures tendant à sanctionner la négation des crimes contre l'humanité, déposées par des députés de tous les groupes politiques. Deux autres propositions de loi relatives au génocide arménien, présentées respectivement par MM. Raoult, Blum et Mallié ont également été enregistrées depuis. La multiplicité des initiatives parlementaires montre que cette préoccupation transcende les clivages partisans et confirme le relatif consensus qui avait présidé à l'adoption de la loi de 2001.

En reconnaissant le génocide arménien, la France ne réalise pas un acte isolé, mais s'inscrit dans la logique des institutions internationales et européennes et rejoint plusieurs États déjà engagés dans cette voie. Le 18 janvier 2001, jour de l'adoption définitive par l'Assemblée nationale, députés et Gouvernement étaient animés par deux sentiments : contribuer à la réconciliation entre la Turquie et l’Arménie et rendre justice aux victimes du génocide. Force est de constater que la Turquie et l'Arménie n'ont guère progressé sur la voie de la réconciliation.

En juillet 2002, intervenant lors d'un colloque sur la lutte contre le négationnisme, M. Pierre Truche distinguait trois manières de répondre aux victimes de drames historiques : la repentance – qui peut se traduire par une reconnaissance officielle, que nous attendons d’ailleurs –, les actions en justice contre les auteurs complices, ainsi que les actions en justice contre ceux qui nient la souffrance des victimes. À cette aune, la loi de 2001 a apporté au génocide arménien la reconnaissance officielle ; par contre, la sanction de la négation reste en suspens.

Si la loi de 2001 représente une victoire, acquise de haute lutte, elle n'en demeure pas moins une avancée symbolique. Le caractère déclaratif de la loi la prive en effet de toute effectivité et elle ne peut connaître aucune application en l'absence d'un complément de valeur normative. La proposition de loi que j’ai l’honneur de rapporter est donc justifiée par la nécessité de rendre applicable la loi de 2001, pour combler ainsi une lacune de notre législation.

En effet, les instruments juridiques actuels ne permettent pas de sanctionner les propos niant l'existence du génocide arménien : ni l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, ni l’apologie de crimes contre l'humanité, dont la sanction est prévue au titre du même texte, ni l’action civile sur le fondement de l'article 1382 du code civil ne revêtent le caractère exemplaire et préventif de la sanction pénale. En conséquence, la présente proposition de loi consiste à compléter par un nouvel article la loi de 2001.

L'article unique du texte ne justifiant pas une présentation approfondie, je préfère m’attarder sur les objections que son dépôt a soulevées. Je pense ne pas être le seul à avoir été alerté sur les conséquences de l'adoption de cette proposition de loi du point de vue de la Turquie. Il me semble néanmoins que nous devons l’ encourager à faire la lumière sur son passé. Alors que la polémique sur les lois mémorielles n'est pas éteinte, cette initiative parlementaire peut paraître audacieuse. Cependant, si la légitimité du Parlement à écrire l'histoire peut être contestée, elle ne peut l'être lorsqu'il entend défendre les valeurs de la République, au premier rang desquelles figure la dignité humaine. D’autre part, le vote de la loi de 2001 a d'ores et déjà tranché le débat sur l'histoire et la mémoire, pour ce qui concerne le génocide arménien.

M. François Rochebloine - Absolument !

M. le Rapporteur - L'absence de reconnaissance du génocide arménien par une juridiction internationale interdirait de prévoir une sanction mettant en jeu la liberté d'expression. Cependant, le génocide a eu lieu il y a plus d'un siècle alors que ni la justice internationale ni la notion même de génocide n'existaient.

M. Richard Mallié - Très juste.

M. le Rapporteur - Dès lors, comment exiger que les conditions fixées après la seconde guerre mondiale s'appliquent à ce crime contre l'humanité ? En vertu des principes du règlement des différends, l'Arménie ne peut, au surplus, soumettre la reconnaissance du génocide à la Cour internationale de justice sans le consentement de la Turquie à cette procédure.

De même que la loi Gayssot a provoqué l'ire de certains historiens et défenseurs des droits de l'homme au titre de son caractère prétendument attentatoire à la liberté d'expression, cette proposition risque de provoquer des réactions analogues. Je tiens à préciser que la Cour de cassation a, depuis, réfuté l'atteinte à la liberté d'expression, au motif que l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme prévoit des dérogations lorsqu'il s'agit de sanctionner des comportements attentatoires à l'ordre public et aux droits des individus.

Enfin, certaines propositions de loi visent à étendre le dispositif de la loi Gayssot à tous les crimes contre l'humanité. Bien que favorable à une telle évolution, celle-ci me semble prématurée au regard du débat sur « histoire et mémoire ». En outre, le génocide arménien est le seul à avoir fait l'objet d'une reconnaissance législative.

Pour conclure, je crois que la sanction du négationnisme peut également être un instrument pour combattre la tentation du communautarisme. Cette affirmation, pour paradoxale qu'elle puisse paraître, trouve son fondement dans les événements les plus récents, lesquels marquent un durcissement de la confrontation entre les communautés turque et arménienne. La lutte contre le communautarisme impose de garantir à chacun le respect auquel il a droit en tant qu'être humain. Le négationnisme, en ce qu'il porte atteinte à l'identité arménienne, interdit la reconnaissance de l'autre et favorise le repli sur soi.

En adoptant cette proposition de loi, l'Assemblée nationale confirmera son attachement à la justice et à la démocratie. Par ce geste fort, elle contribuera à atténuer une concurrence malsaine entre les victimes de génocides, qu'entretient leur « inégalité » au regard de la loi. (Vifs applaudissements sur tous les bancs)

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères  Permettez-moi, tout d’abord, d’exprimer à mon tour ma sympathie la plus profonde à l’adresse de nos compatriotes d’origine arménienne, marqués par le souvenir des massacres commis en 1915…

M. Patrick Devedjian - Le génocide, Monsieur le ministre.

M. le Ministre - …dans l’ancien empire Ottoman. Ces événements tragiques ont laissé une empreinte douloureuse dans l’histoire du XXe siècle. Ils font partie de la mémoire collective de tous les Arméniens, que notre pays, fidèle à sa tradition d’asile, s’honore d’avoir accueillis. La République doit veiller à perpétuer le souvenir et à témoigner de sa solidarité à l’égard des Français d’origine arménienne. C’est pourquoi le génocide arménien a été reconnu dans la loi du 29 janvier 2001. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Vous envisagez aujourd’hui d’adopter une proposition de loi tendant à sanctionner pénalement la négation du génocide arménien. Je n’entends pas m’appesantir sur la question de la constitutionnalité de ce texte ; votre rapporteur a eu l’occasion de se pencher sur ce sujet, qui mérite certainement de retenir l’attention. Il suffit, à ce stade, d’observer qu’un doute existe et qu’il sera sans doute nécessaire, si cette proposition de loi va de l’avant, de le lever, le moment venu.

Permettez-moi cependant de rappeler qu’il y a quelques mois, à l’occasion du débat sur l’article 4 de la loi du 23 février 2005, un consensus s’était dégagé au sein de cette Assemblée quant au rôle du Parlement face à l’histoire. Vous étiez alors convenus qu’il revenait aux historiens, et à eux seuls, d’établir la réalité des événements du passé et de façonner notre mémoire collective… (Murmures)

M. François Rochebloine - Allons ! Il ne s’agit pas de refaire l’histoire !

M. Richard Mallié - Venons en à l’essentiel.

M. le Ministre – Il me semble qu’à vouloir s’éloigner de cette règle de bon sens, votre Assemblée prend le risque, une nouvelle fois, d’intervenir dans l’écriture de l’histoire nationale…

M. Jean-Christophe Lagarde - Mais non !

M. Richard Mallié - Cela a été fait en 2001.

M. le Ministre - Nombre d’historiens de renom ont rappelé le danger qui pouvait découler d’une confusion entre l’élaboration de la loi et le travail historique. Soyons-en conscients et prenons garde de ne pas verser de nouveau dans ce travers. Reconnaissons plutôt qu’entre ces deux grandes nations que sont l’Arménie et la Turquie, seul le travail patient et constructif des historiens, fondé sur la réflexion et le dialogue, permettra d’élaborer une mémoire commune, acceptée et reconnue par tous ; une mémoire qui sera, à n’en pas douter, la meilleure garantie de relations sereines et apaisées. (Murmures)

Ce travail s’engage actuellement en Arménie et en Turquie…

M. François Rochebloine - Mensonge.

M. le Ministre – Il faut s’en féliciter, et ne pas ménager notre soutien aux efforts en cours pour parvenir à une meilleure prise en compte des sensibilités de chacun.

M. Jean-Christophe Lagarde - Il ne faut pas se laisser endormir par du vent !

M. le Ministre – L’adoption de la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui, outre qu’elle contredirait la volonté exprimée par le Parlement de ne plus légiférer sur l’histoire (Protestations sur tous les bancs) pourrait compromettre ces efforts et ce processus. N’ayez pas de doute : j’ai toujours pris position pour le respect de la mémoire arménienne. Et, comme beaucoup d’entre vous, j’ai eu l’occasion de faire part à mes interlocuteurs turcs de la nécessité d’accomplir un travail exigeant sur l’histoire et d’œuvrer à la recherche d’une authentique réconciliation. Mais mon souci, aujourd’hui, est d’attirer votre attention sur les conséquences que pourrait avoir l’adoption d’un tel texte…

M. Jean-Pierre Blazy - Lesquelles ?

M. le Ministre - …non seulement pour ce qui concerne la réconciliation turco-arménienne…

M. Richard Mallié – Non au chantage !

M. le Ministre - …mais aussi pour les intérêts de la France et au-delà. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Nous ne devons pas ignorer les risques encourus.

M. Jean-Pierre Blazy - Combien de millions d’euros en jeu ?

M. le Ministre – Chaque nation, un jour ou l’autre, a été confrontée à des événements dramatiques, à des zones d’ombre, à une part de tragédie léguée par l’histoire. Il s’agit alors de faire face à son passé et de mener l’indispensable travail de mémoire pour s’engager vers l’avenir.

M. Richard Mallié - La France l’a fait, pourquoi pas la Turquie ?

M. le Ministre – C’est une tâche longue et difficile, qui requiert beaucoup de temps et de courage. Assumer les épisodes douloureux du passé, tel est le travail que doit accomplir la Turquie, même si la Turquie d’aujourd’hui ne saurait être tenue pour responsable des faits intervenus dans les convulsions de la fin de l’Empire Ottoman.

M. le Rapporteur – Là-dessus, nous sommes bien d’accord.

M. le Ministre - Ce travail de mémoire, reconnaissons que les Turcs l’ont déjà entrepris (Exclamations sur tous les bancs). Il faut l’encourager.

Plusieurs députés de divers bancs – Après un siècle !

M. le Ministre – Ainsi les autorités turques ont-elles récemment assoupli l’accès aux archives, ouvrant la voie à un travail conjoint des historiens pour la recherche de la vérité.

Mme Maryse Joissains Masini - Ça suffit, on ne peut pas laisser dire cela !

M. le Ministre – En septembre, une conférence a rassemblé des historiens et des intellectuels d’horizons variés, qui se sont efforcés de poser les bases d’un examen objectif des événements effroyables de 1915 et 1916. Beaucoup considèrent que cette conférence, soutenue par Ankara, représente un véritable tournant dans la lente appropriation par le peuple truc de cette partie tragique de son histoire.

Mme Maryse Joissains Masini – Nous parlons des Arméniens, pas des Turcs !

M. le Ministre – C’est à la Turquie qu’il appartient de mener le débat et de se réconcilier avec son passé – mais pour se réconcilier, il faut être deux. Or, une nouvelle dynamique semble se créer depuis peu, en faveur du dialogue avec l’Arménie. Il faut donc encourager les contacts entre les deux pays pour favoriser le règlement des différends. Les autorités turques ont d’ailleurs proposé l’an dernier de mener un travail conjoint avec l’Arménie. Sachons appuyer ces efforts, face à la résurgence du nationalisme et à la tentation d’imposer sa loi. Gardons-nous d’agir de façon unilatérale car, quelle que soit la grandeur de la cause que l’on défend, ce n’est pas toujours le meilleur moyen de la servir.

Mme Martine David - Ce n’est vraiment pas crédible !

M. le Ministre - La France est l’amie fidèle et loyale de l’Arménie. Elle est l’une des premières nations à l’avoir reconnue comme État et entretient avec elle des rapports denses et nourris. Elle a concouru de toutes ses forces à la stabilité de cette jeune république. Mais la France est aussi l’amie de la Turquie, à laquelle elle a servi d’inspiratrice au moment de l’instauration de la République et avec laquelle elle entretient depuis longtemps des relations fortes, étroites et suivies. Sur le plan diplomatique, nous partageons avec la Turquie le même point de vue sur de nombreux dossiers. Nos relations économiques, culturelles et scientifiques, sans oublier les liens humains tissés au fil des ans, puisque la France accueille plus de 300 000 ressortissants turcs, ont permis d’établir un partenariat durable.

Devant cette double amitié, et alors que le souvenir du génocide arménien continue de nous hanter, la France doit conduire une politique de paix et de réconciliation. Elle entretient au demeurant des relations de confiance avec l’ensemble des pays de la région et participe activement au règlement des conflits – je pense en particulier à son rôle de médiation dans le cadre du groupe de Minsk sur le Haut-Karabakh. C’est cet esprit qui doit prévaloir pour encourager les efforts de rapprochement des États. Soyons lucides : le dialogue est à un tournant, mais il reste fragile. Il est important d’en avoir conscience en examinant cette proposition de loi. Nous devons tous nous mobiliser pour soutenir les efforts de modernisation et de dialogue entrepris depuis peu par la Turquie. Nous devons tous avoir à cœur de ne pas encourager le repli sur soi, le nationalisme autoritaire et le rejet des valeurs de progrès et d’ouverture auxquelles nous sommes tous attachés (Exclamations sur tous les bancs). La communauté arménienne de Turquie, tout comme les autres acteurs, l’ont d’ailleurs bien compris.

Plusieurs députés sur divers bancs – Ce n’est pas le sujet !

M. le Ministre – Tous soulignent la nécessité d’éviter toute interférence dans ce dialogue, qui doit trouver son rythme et sa force propre.

M. Patrick Devedjian - Vous n’allez tout de même pas oser faire parler les otages ?

M. le Ministre - La cause arménienne est juste.

Plusieurs députés sur divers bancs – Justement !

M. le Ministre – Elle doit être défendue et respectée. Mais la représentation nationale doit tenir compte de l’intérêt de la France dans le choix des moyens qu’elle emploie (Interruptions). Or, le texte qui vous est soumis serait considéré, qu’on le veuille ou non, comme un geste inamical par la très grande majorité du peuple turc (Vives exclamations sur tous les bancs).

M. Richard Mallié - Non ! Vous ne pouvez pas faire du chantage !

M. le Ministre – Cela ne pourrait manquer d’avoir des conséquences politiques sérieuses…

M. François Brottes - C’est inacceptable !

M. le Ministre - …et d’affaiblir notre influence non seulement en Turquie, mais dans l’ensemble de la région (Exclamations sur l’ensemble des bancs). La Turquie, qui a connu en 2005 un taux de croissance supérieur à 7 %, est pour la France un partenaire de premier plan (Interruptions).

M. le Président – Je vous en prie…

M. le Ministre - De nombreux groupes français y sont installés. Ne nous y trompons pas : nous ne pouvons pas accepter cette proposition de loi. La proximité culturelle, scientifique et artistique qui marque l’histoire de nos deux pays est elle aussi en cause. Pour qui connaît la tradition francophile des universités turques, en particulier à Galatasaray, il n’y a pas de doute à nourrir sur le rayonnement de la France dans ce pays.

Promouvoir les valeurs de la France, c’est aussi savoir faire prévaloir l’esprit de responsabilité. C’est la raison pour laquelle, pour rester fidèle aux principes et aux valeurs qui n’ont jamais cessé de guider l’action de la France depuis des siècles et qui font d’elle aujourd’hui une formidable puissance de paix et de réconciliation, je vous propose de refuser cette proposition de loi (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. le Président – Nous allons aborder la discussion générale. Pour permettre à chaque groupe de faire intervenir au moins deux orateurs, je demande à chacun de réduire son temps de parole à cinq minutes. (M. François Rochebloine proteste) Si vous voulez parler plus longtemps, Monsieur Rochebloine, tout le monde ne pourra pas s’exprimer. C’est pourquoi j’ai pris cette décision (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Didier Migaud – Je ne peux que regretter d’avoir entendu une fois de plus le traditionnel discours du Quai d’Orsay qui nous est resservi à chaque circonstance. En 2001, nous avons reconnu le génocide arménien. Le Statut de Rome, acte fondateur de la cour pénale internationale, définit le génocide comme « l'extermination physique, intentionnelle, systématique et programmée d'un groupe ethnique, national, religieux ou racial ». C’est une forme extrême de crime contre l'humanité. De très nombreux documents attestent de sa réalité : ce n'est pas nous qui écrivons l'histoire, elle est le fait des hommes. Les historiens l'analysent, les professeurs l'enseignent, nous ne faisons que la constater.

Il nous apparaît indispensable de garder la mémoire de cette tragédie. Si nous avons reconnu le génocide, comment accepter qu'il soit impunément nié sur notre territoire ? Ne serait-ce pas renoncer à ce devoir de mémoire, se montrer complice d'une censure, accepter tout simplement l'histoire officielle établie par ceux-là même qui ne veulent pas reconnaître la réalité ? Certains craignent que cette proposition n’entrave l'exercice de leur profession. Mais, si la liberté de conscience peut être totale, la liberté en elle-même ne peut pas être absolue. C'est le fondement même d'une démocratie que de limiter la liberté de chacun à celle de l'autre. La reconnaissance de la Shoah a-t-elle empêché les historiens de faire leur travail, entravé leurs recherches ? Certainement pas. Et n'oublions pas, comme l’a rappelé Sévane Garibian dans le Monde, que ce qui importe aux juges n’est pas de savoir si ce que dit l'historien est vrai, mais si ses allégations révèlent une intention de nuire ou répondent au devoir d'objectivité et aux règles de la bonne foi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Par cette proposition de loi, nous n’entendons en aucune façon considérer l'actuelle Turquie comme responsable de ce génocide. Nous voulons dire aux Turcs, sans porter le moindre jugement, qu'une nation ne s'affaiblit pas en reconnaissant son passé. Nous avons nous-même effectué cet exercice à plusieurs reprises, pour des faits bien sûr différents. Notre démarche, comme le disent certains, est-elle de nature à encourager les revendications communautaristes ? Observons que le génocide constitue la plus grande négation de l'humanité. C'est le génocide qui, par essence, est communautariste en ce qu'il distingue des groupes pour mieux les exterminer – ce qui ne veut bien sûr pas dire que toute démarche communautariste entraîne le génocide. Cette démarche provoque-t-elle des difficultés diplomatiques, avec un risque de représailles économiques, se réduit-elle à une opération électoraliste ? Quelle conception de la politique ces critiques révèlent-elles chez leurs auteurs, incapables d'imaginer qu'on puisse agir tout simplement par conviction ou refus du chantage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et quelques bancs du groupe UMP)

Nous avons déjà connu cela en 2001, et décidé unanimement de le dépasser, contre l'avis des deux têtes de l'exécutif de l'époque. Permettez-moi de souhaiter aujourd'hui ce même refus de céder aux pressions, la même adhésion au devoir universel de mémoire (Applaudissements sur tous les bancs).

M. François Rochebloine – Vous avez autorisé deux interventions par groupe, Monsieur le Président. Mon ami André Santini m’ayant laissé son temps de parole, je pourrai donc m’exprimer dix minutes.

M. le Président – Monsieur Rochebloine, j’ai le pouvoir de diriger les débats. Vous n’aurez que cinq minutes, comme tout le monde.

M. François Rochebloine - C'est à l'initiative du groupe socialiste, qui y consacre une de ses niches parlementaires, que nous reprenons ce matin le débat sur la mémoire du génocide arménien, débat qui était resté inachevé après l'adoption de la loi du 29 janvier 2001 dont j'ai eu l'honneur d’être le rapporteur. Je me permets de vous rappeler, Monsieur le ministre, que cette initiative avait eu lieu dans le cadre d’une niche parlementaire du groupe UDF, dont vous étiez à l’époque le président à l'Assemblée nationale (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe socialiste). Au-delà d’un acte politique et juridique, ce texte souligne les liens de solidarité et d'amitié qui unissent de longue date les peuples français et arménien. Cette loi constitue en effet un geste ô combien symbolique envers notre communauté d'origine arménienne. Notre pays, en rendant ainsi publiquement justice au peuple arménien, resté trop longtemps une victime oubliée, s'est honoré et a renoué avec la tradition humaniste qui a fait sa grandeur passée.

Rappelons que la France, amie de l'Arménie de longue date, a su accueillir, dans les moments les plus sombres, les rescapés des terribles massacres perpétrés dans l'Anatolie de 1915. À partir d'avril 1915, le gouvernement Jeune-Turc a en effet déclenché l'horrible processus d'extermination d’un million cinq cents mille Arméniens de l'Empire ottoman, par des massacres organisés visant la destruction des minorités et préfigurant ce que fut deux décennies plus tard la Shoah. Oui, il y a eu génocide : ce fut le premier du XXe siècle. La responsabilité de l'État turc est directement et indiscutablement engagée, tant du point de vue du droit des gens et d'un ordre juridique certes encore balbutiant que, et surtout, devant l'histoire et la morale collective.

La loi de 2001 fut votée grâce à la mobilisation de parlementaires issus de toutes les sensibilités politiques, mais aussi à la détermination sans faille des organisations arméniennes de France.

Le négationnisme sous toutes ses formes doit être sanctionné. Le devoir de mémoire impose des règles écrites. Hélas, les proclamations ne suffisent pas. Notre droit pénal doit être adapté aux exigences d’un monde où les nouvelles techniques de communication facilitent aussi les dérives. À ce titre, le rapporteur a raison de considérer que la loi de 1881 peut servir de fondement à une disposition inspirée de la loi Gayssot, mettant en jeu la liberté d’expression. Tel était d’ailleurs le sens de la proposition de loi que j’avais déposée dès 1995 pour interdire la contestation de tous les génocides et crimes contre l’humanité. Pourtant, aucune majorité n’a souhaité aborder le sujet depuis, alors qu’il eut été facile de le faire.

Cette proposition de loi nous permettra d’adresser un signal fort aux négationnistes de tout poil à condition que nous menions la procédure à son terme en adoptant un dispositif de sanction réellement efficace.

M. Jean-Christophe Lagarde - C’est bien là le sujet !

M. François Rochebloine - L’aspiration légitime du peuple arménien à la liberté, la souveraineté et l’indépendance doit être soutenue. Plus que jamais, le combat pour la vérité continue : menons-le pour défendre nos valeurs humanistes, la démocratie et l’amitié entre les peuples ! Le négationnisme est inadmissible et doit être sanctionné : cette proposition de loi nous en offre l’occasion. Saisissons-la ! (Applaudissements sur divers bancs)

M. le Président – M. Rochebloine a parlé quatre minutes : même avec lui, nous voici dans le droit chemin (Sourires).

M. Frédéric Dutoit - Cette proposition de loi est une avancée incontestable dans le combat incessant à mener pour les libertés et les droits de l’homme. Aujourd’hui, le peuple arménien a recouvré une part de lui-même, perdue il y a quatre-vingt-dix ans. Cette cause me tient particulièrement à cœur. En 1999, quelques mois à peine après la reconnaissance officielle du génocide arménien par l'Assemblée nationale, j’ai d’ailleurs inauguré avec M. Hermier, dans le nord de Marseille, une stèle commémorant l’arrivée des premiers réfugiés arméniens au camp Oddo.

Ce jeudi 18 mai pourrait être historique. Les députés doivent rejeter les pressions inadmissibles, directes et indirectes, dont ils ont été victimes ces derniers temps.

Chacun le sait bien : les génocides, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité sont définis et sanctionnés par des textes de droit national et international. La proposition de loi reconnaissant le génocide arménien – premier génocide du XXe siècle – est enfin devenue loi de la république le 29 janvier dernier. Est-ce un accomplissement ? Je ne le crois pas : si cette loi certes symbolique constitue un progrès pour un peuple martyr, elle n’a hélas aucune incidence juridique et demeurera imparfaite tant que ce crime pourra être impunément contesté.

Grâce à la loi Gayssot, la France sanctionne la négation des crimes contre l’humanité. Or, elle ne peut méconnaître les génocides non reconnus à l’époque : les sanctions doivent également viser leur négation. L’incrimination ne s’applique pourtant pas à des faits commis avant son entrée en vigueur en 1994, et les crimes concernés doivent être attestés par une décision de justice afin que leur contestation puisse être sanctionnée.

L’extension du délit de négationnisme au génocide arménien a ainsi échappé à toute sanction juridictionnelle – d’autant que la Cour internationale de justice et les tribunaux pénaux internationaux sont incompétents en la matière. Actuellement, seule la contestation du génocide juif constitue donc un délit. On entend certaines voix critiquer la loi Gayssot : sa remise en cause est inacceptable alors même que la Shoah continue d’être niée avec morgue par les partisans de l’extrême droite.

Les rescapés d’autres crimes contre l’humanité attendent que nous prenions nos responsabilités pour faire reculer la barbarie. C’est pourquoi l'Assemblée nationale doit élargir la portée de la reconnaissance du génocide arménien en sanctionnant sa négation des mêmes peines qui s’appliquent à la négation de la Shoah. Cette proposition de loi peut être un levier qui renforcera le rôle de la France dans la défense du droit des personnes à leur histoire et du droit des peuples à la justice. Elle lui offrira l’occasion de renouer avec sa vocation universelle à œuvrer pour la vérité et la justice, comme elle l’a fait en votant la loi Taubira à l’origine des récentes commémorations de l’abolition de l’esclavage.

On ne peut nous opposer l’argument selon lequel les hommes politiques ne doivent pas écrire l’histoire : les crimes contre l’humanité sont reconnus comme réalités historiques, et nul historien ne songe aujourd’hui à nier le génocide arménien ou le génocide rwandais.

Plusieurs députés UMP - Et Staline ? Et le Cambodge ?

M. Frédéric Dutoit - N’éludons pas notre responsabilité d’élus de la nation. Nous devons harmoniser la reconnaissance du génocide arménien avec la sanction de sa contestation. Cette avancée doit, dans le respect de la recherche historique, être étendue à tous les génocides et crimes contre l’humanité – y compris ceux qui pourraient encore advenir et que nous espérons prévenir en organisant la riposte démocratique aux discours de haine.

M. François Rochebloine - Très bien !

M. Frédéric Dutoit – La France est souvent à la pointe du combat pour les droits de l’homme. Elle doit accomplir son devoir de mémoire sans en exclure les sombres périodes de la colonisation ou de la collaboration. C’est de l’ensemble de son histoire qu’elle doit se souvenir, et notamment de toutes les victimes de ses actes les plus condamnables. Elle doit également renforcer son action internationale, Monsieur le ministre, afin de favoriser l’émergence de règles communes, sous l’égide des Nations unies, favorisant le respect des libertés et permettant la reconnaissance sans distinction de tous les génocides – cette ultime atteinte aux droits de l’homme – ainsi que la criminalisation du négationnisme. Elle s’honorerait de délivrer un message universel. Puisse ce jour ouvrir une ère de nouvelles conquêtes pour les droits de l’homme ! (Applaudissements sur divers bancs)

M. Marc Laffineur – Cette proposition de loi est le troisième texte de la niche parlementaire socialiste de cette semaine. Une telle accumulation ne permet pas de débattre dans de bonnes conditions.

M. Jean-Pierre Blazy - Nous n’avons que les niches !

M. Marc Laffineur - Nous regrettons que M. Quilès ait refusé de retirer le texte précédent, et que le président du groupe socialiste ait, en de multiples volte-faces, hésité sur le retrait du présent texte.

Plusieurs députés socialistes – Quelle provocation !

M. Marc Laffineur - Le 29 janvier 2001, la France a officiellement reconnu le génocide arménien par la voix de tous les groupes parlementaires.

M. François Rochebloine - A l’unanimité !

M. Marc Laffineur - Chacun est convaincu qu’elle l’a fait avec raison. Nul ne peut nier les atrocités dont a souffert le peuple arménien au début du siècle. Nul ne peut nier le million et demi de victimes de ce génocide.

Tous, ici, nous inclinons devant la souffrance subie par le peuple arménien. La France fut l’un des premiers pays à accueillir les rescapés de ce génocide. Je salue nos compatriotes d’origine arménienne, qui ont tant apporté à notre pays.

Chacun a reconnu, lors du débat sur l’article 4 de la loi du 23 février 2005, que ce n’est pas à la loi d’écrire l’histoire – tentation à laquelle l’Assemblée a souvent cédé au cours des quinze dernières années, généralement à raison.

MM. Jean-Pierre Blazy et Bruno Le Roux – Cela n’a rien à voir !

M. Marc Laffineur - Je regrette que le parti socialiste y cède à nouveau pour des raisons qui lui sont propres, malgré les réticences de nombre de ses députés. En effet, les historiens éprouvent de fortes réticences devant l’immixtion de la loi au sein de la recherche. Certes, la loi peut servir à commémorer ou reconnaître…

MM. François Rochebloine et Jean-Christophe Lagarde – Diriez-vous la même chose s’il s’agissait de la Shoah ?

M. Marc Laffineur - …mais faut-il pour autant que le législateur dise aux historiens ce qu’ils doivent faire ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Je pense à MM. Nora et Chaliand, qui ne souhaitent pas une nouvelle intervention du Parlement dans ce débat.

M. Jean-Pierre Blazy - Ils se trompent !

M. Marc Laffineur - De nombreux historiens craignent que cette proposition de loi ne revienne à judiciariser le champ de la recherche historique.

M. François Rochebloine - Vous auriez dû participer aux manifestations de Lyon !

M. Marc Laffineur - Les poursuites engagées contre des chercheurs pourtant reconnus pour leur objectivité l’ont démontré. L’appel au meurtre d’une communauté et l’apologie du génocide doivent évidemment conduire devant les tribunaux. C’est déjà le cas, y compris pour le génocide arménien : notre code pénal est incontestable sur ce point. Mais débattre de l’ampleur des crimes et discuter leur signification ne devrait entraîner de poursuites à l’égard de personne, et surtout pas des historiens. Les tribunaux ne sont pas habilités à délivrer des vérités historiques. Ce n’est pas en légalisant la vérité et en interdisant leur expression que l’on éradiquera les mauvaises idées, mais en les combattant par un enseignement fondé sur le consensus des historiens.

M. le Rapporteur – Amalgame !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Que sont les mauvaises idées en matière de génocide ?

M. Marc Laffineur - Voilà pourquoi de nombreux députés du groupe UMP sont réservés sur ce texte. Le sujet relève de la conscience de chacun, et chacun sera libre de voter librement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Rochebloine - Provocation !

Mme Martine David – Le 18 janvier 2001, à cette tribune, j’ai fièrement contribué à la reconnaissance officielle du génocide arménien. Je croyais à l’époque que cet acte politique fort permettrait à la mémoire des hommes de donner une sépulture aux victimes qui en furent privées. Résultat d’un long parcours parlementaire, cet acte législatif courageux avait recueilli une unanimité qui fit honneur à notre Assemblée.

Cet acte n'a malheureusement pas empêché certains de poursuivre leur entreprise honteuse de déstabilisation en évoquant une « version arménienne de l'histoire ». Il reste donc à combler un dangereux vide juridique afin que toute négation de la réalité du génocide arménien puisse être justement condamnée. L’actualité récente en a démontré la nécessité. Le 18 mars, s'est déroulée une manifestation à Lyon au cours de laquelle des banderoles et des slogans négationnistes ont été vus et entendus. Avec d’autres, j'avais pourtant mis en garde le préfet de la région Rhône-Alpes contre ces dérapages prévisibles qui ont suscité l'immense indignation de nombre de nos concitoyens. Cet événement montre que les autorités préfectorales ne disposent pas de tous les outils, notamment juridiques, pour intervenir. Un mois plus tard, le 17 avril, le mémorial dédié au génocide de 1915 et à tous les génocides qui devait être inauguré à Lyon a été recouvert de graffitis négationnistes. Cette nouvelle provocation constitue une odieuse injure à la mémoire des victimes et de leurs descendants. Cet acte prouve que l’on ne peut laisser perdurer l’impunité. Dans un État de droit, menaces, invectives et intimidations ne doivent pas empêcher les députés de légiférer.

M. François Hollande - Très bien !

Mme Martine David - Les événements de Lyon illustrent le chemin qui sépare encore certains acteurs du dossier du véritable respect de la démocratie.

Le droit pénal doit être complété afin que le génocide arménien de 1915, reconnu par une loi de la République, ne puisse plus être contesté, de la même manière que les autres crimes contre l’humanité. En tant qu’élue, je ne peux plus me contenter d'exprimer ma profonde indignation après chaque remise en cause des valeurs républicaines et après chaque menée négationniste. La mémoire ne saurait être instrumentalisée. Elle doit reposer sur un socle commun, incontestable et respecté. Par conséquent, je souhaite que l’Assemblée dépasse ses clivages politiques, résiste aux intimidations et voie plus loin que les intérêts économiques de la France en votant cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Roland Blum - Je m’exprimerai au nom de MM. Mallié, Pemezec, Raoult et de tous les membres de l’UMP qui soutiennent cette proposition de loi (Vifs applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP). Son objet est de compléter la loi du 19 janvier 2001 en sanctionnant pénalement ceux qui, à l’avenir, nieront l’existence du génocide arménien.

M. François Rochebloine - Très bien !

M. Roland Blum – Quels sont les arguments qui s’opposent à l’adoption de ce texte ? Tout d’abord, certains objectent qu’il n’appartient pas au Parlement d’écrire l’histoire. En tout état de cause, le génocide arménien répond à la définition de la convention de l’ONU sur le génocide. Du reste, ce débat historique a été clos par la loi du 29 janvier 2001 par laquelle est clairement reconnue la responsabilité de la Turquie dans le génocide arménien de 1915. Ensuite, sur le plan juridique, d’aucuns considèrent que la batterie des textes législatifs est suffisante pour sanctionner le négationnisme. Le rapporteur a parfaitement montré qu’il n’en était rien.

M. Jean-Christophe Lagarde - Très bien !

M. Roland Blum - Enfin, sur un plan politique, cette proposition de loi empêcherait la réconciliation entre Turcs et Arméniens au moment où sont ouvertes des négociations pour l’adhésion de la Turquie à l’Europe et son adoption troublerait les relations diplomatiques et économiques de la France avec ces pays. Chers collègues, nous avons résisté aux États-Unis au moment de la crise irakienne. Ce ne sont pas les Turcs qui vont nous impressionner ! (Vifs applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP, sur les bancs du groupe UDF et du groupe socialiste)

M. Richard Mallié - Très bien !

M. Roland Blum – Ils se sont contentés de créer des commissions de réconciliation qui ont toutes échoué. La réalité, c’est que la Turquie n’a renoncé ni au nationalisme ni à l’idéologie d’épuration ethnique.

Mme Maryse Joissains Masini - Très bien !

M. Roland Blum – En 2005, la faculté de médecine d’Istanbul a demandé le rapatriement des restes du docteur Behaeddine Chakir, idéologue du génocide, pour lui faire des obsèques officielles et l’enterrer aux côtés de l’organisateur du génocide, Talaat Pacha, à la gloire duquel a été construit un mausolée. Pour toutes ces raisons, nous serons nombreux à voter cette proposition de loi ! (Vifs applaudissements sur tous les bancs)

M. le Président – Les représentants de chaque groupe politique s’étant exprimés, la suite de l’examen de cette proposition de loi est reportée à une date qui sera fixée en Conférence des présidents (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe de l’UDF et sur plusieurs bancs du groupe UMP).

Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.
La séance est levée à 13 heures 5

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Catherine MANCY

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.
Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.
www.assemblee-nationale.fr

© Assemblée nationale