Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (session ordinaire 2005-2006)

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit

Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

1ère séance du mercredi 14 juin 2006

Séance de 15 heures
103ème jour de séance, 243ème séance

Présidence de M. Jean-Louis Debré

Consulter le sommaire

La séance est ouverte à quinze heures

Retour au haut de la page

souhaits de bienvenue à une délégation étrangère

M. le Président – L'Assemblée nationale s’est beaucoup investie pour aider la mise en place en Afghanistan d’un parlement démocratique. Celui-ci a pu enfin se réunir à Kaboul le 19 décembre 2005, après trente ans d’absence. Aussi, je suis heureux de souhaiter aujourd’hui en votre nom la bienvenue à une délégation de trente-six députées afghanes (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent longuement). Elles nous ont fait l’honneur de venir en France, remercier l'Assemblée nationale.

Retour au haut de la page

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

suites du Rapport de la commission « outreau »

M. Michel Hunault – La commission d’enquête parlementaire dite d’Outreau a rendu son rapport, voté à l’unanimité. Je veux rendre hommage à son président M. Vallini et à son rapporteur M. Houillon, et me féliciter de la façon dont nous avons travaillé, sous le regard de la presse, dans la transparence et dans un esprit de responsabilité.

Monsieur le Garde des sceaux, nous avons été animés par le souci des victimes, l’écoute des enfants et la volonté que des principes tels que la présomption d’innocence et le caractère exceptionnel de la détention provisoire soient respectés. A l’UDF, nous considérons que les réformes – au travers d’une grande loi de programmation pour la justice et de la ratification des conventions européennes sur les prisons notamment – nécessiteront des moyens financiers.

Des mesures pourraient être prises rapidement. Quelles suites le Gouvernement entend-il donner aux conclusions consensuelles de ce rapport ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice - La commission « Outreau » constitue un événement suffisamment rare pour qu’on le salue. Nos concitoyens ont été choqués par la durée, presque sans précédent, de la détention provisoire – presque 25 ans au total – des prévenus dans cette affaire. La commission d’enquête, dont le président était M. Vallini et le rapporteur, M. le président de la commission des lois, a mené des auditions pendant près de 200 heures, sous le regard des Français. Le rapport aurait pu n’être adopté que par une partie des députés, comme c’est la tradition au Parlement, mais les membres de la commission ont choisi de le voter à l’unanimité : ils ont ainsi recherché le consensus, avec dans l’esprit la ferme volonté de ne plus connaître de nouvel « Outreau ».

De nombreuses propositions ont été formulées. Dans une heure, je réunirai à la Chancellerie les membres de la commission d’enquête afin d’examiner les points sur lesquels nous pouvons nous accorder.

M. Bernard Roman - Annulez les lois Perben !

M. le garde des sceaux – La question est d’ordre politique : faut-il que nous attendions un an ou deux pour mener les réformes qui s’imposent ou devons-nous, d’ores et déjà, prendre un certain nombre de mesures consensuelles, afin d’éviter un Outreau « bis » ? Je poserai cette question aux députés présents à la Chancellerie et j’espère que nous conclurons dans l’intérêt des Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

réduction des effectifs des fonctionnaires

M. Gilbert Biessy - Vous venez d'annoncer la suppression de quelque 15 000 postes de fonctionnaires, dont 8 700 au moins à l'Education nationale, au prétexte de réaliser des économies ( « Ce n’est pas assez ! » sur les bancs du groupe UMP). Cette réduction sans précédent des effectifs témoigne de votre mépris pour la fonction publique et montre le peu de cas que vous faites des services publics et des besoins de nos concitoyens.

Il est scandaleux de faire des fonctionnaires les boucs émissaires de vos choix politiques désastreux (Protestations sur les bancs du groupe UMP) ! Pourquoi supprimer tant de postes à l'Education nationale quand les événements de l’automne dernier devraient inciter à renforcer l'efficacité de notre système éducatif et améliorer l'encadrement scolaire ?

Une fois de plus, vous faites fausse route. Vous consentez des cadeaux fiscaux démesurés aux ménages les plus aisés, aux détenteurs de gros patrimoines, aux entreprises du CAC 40 (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP) ; le tout à fonds perdus, pour venir ensuite nous expliquer qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses et qu’il faut faire des économies. De qui se moque-t-on ?

M. Georges Tron - Arrêtez !

M. Gilbert Biessy – De l’ensemble des Français, qui demandent des services publics toujours plus performants (Interruptions sur les bancs du groupe UMP), ce qui suppose le maintien d’un niveau d’emploi élevé dans la fonction publique. Vous vous moquez tout autant de nos agents publics, auxquels vous continuez de refuser le rattrapage de leur pouvoir d’achat. Il est vrai que vous vous préparez également à ne pas revaloriser le SMIC cette année (Interruptions sur les bancs du groupe UMP), sans doute pour permettre à quelques actionnaires d’accroître encore leurs profits. Quand prendrez-vous la mesure des besoins réels de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste)

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’État - Cet éternel numéro de la gauche, qui consiste à expliquer que le service public marche moins bien si on n’augmente pas tous les ans le nombre des fonctionnaires, est d’un autre temps (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP). La réalité, c’est que notre responsabilité est de mettre les fonctionnaires là où nous en avons besoin pour assurer le meilleur service public (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Comme nous n’entendons pas tomber dans le piège de l’idéologie que vous nous tendez à chaque fois, nous avons trouvé une recette magique : nous avons réalisé des audits dans tous les ministères, qui permettent de documenter à l’emploi près les raisons de nos choix (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), aussi bien là où les effectifs augmentent que là où ils diminuent. Dans l’enseignement primaire, où le nombre d’élèves augmente, nous augmenterons les postes d’enseignants (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste) ; dans le secondaire, où il y a moins d’élèves, nous diminuerons leurs effectifs (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP). C’est le bon sens. Tout le monde est gagnant : les contribuables, les usagers, qui bénéficient d’une modernisation du service public, et les fonctionnaires, qui récupéreront la moitié des gains de productivité réalisés. Regardons ce qui se passe ailleurs : j’ai rencontré la semaine dernière mon nouvel homologue italien, issu comme vous du mouvement communiste, mais chargé de réfléchir à un programme de privatisations. Les temps changent. Je vous le confirme, Karl Marx est vraiment mort ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

allocataires du rmi

M. Jean-Claude Lemoine – Nous nous réjouissons tous, Monsieur le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, de la baisse significative et régulière du chômage en France depuis plusieurs mois. Mais cette baisse s’accompagnerait, comme dans d'autres pays européens, d'une hausse équivalente du nombre des bénéficiaires de minima sociaux. Pourriez-vous nous indiquer l'évolution du nombre des allocataires du RMI au cours des derniers mois ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement - Le nombre de bénéficiaires des minima sociaux, notamment du RMI, n’est en effet pas directement corrélée à la baisse du chômage – 220 000 demandeurs d’emploi en moins. Je vous avais d’ailleurs promis, au moment de l’inversion de tendance des chiffres du chômage, que nous observerions neuf à douze mois plus tard une baisse du nombre des allocataires du RMI. Nous y sommes : pour la première fois depuis de nombreuses années, le nombre des allocataires du RMI a diminué de 1 % ce trimestre. La tendance est donc inversée. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Augustin Bonrepaux - Vous trafiquez les chiffres !

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement - Des efforts importants sont en effet consentis pour les bénéficiaires du RMI. Vous avez voté dans le plan de cohésion sociale une disposition…

M. Augustin Bonrepaux - Tricheur !

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement - … qui permet de leur offrir un contrat d’avenir, c’est-à-dire un travail et une formation rémunérés au SMIC horaire. Ces dispositifs sont mis en place par les départements. Déjà 60 000 des 1,1 million de RMIstes en ont bénéficié en cinq mois. La Creuse, la Corrèze, la Moselle ou le Nord ont un taux de RMIstes bénéficiaires de contrats d’avenir de près de 15%. J’espère que nous atteindrons les 30% en fin d’année, et j’invite les autres départements à offrir aux personnes au RMI, qui ne demandent qu’à retrouver une activité (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), la possibilité de suivre cet exemple ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

privatisation de Gaz De France

M. David Habib - Galvanisé par vos succès de ce printemps, vous engagez aujourd’hui, Monsieur le Premier ministre, la privatisation de Gaz de France, alors que Nicolas Sarkozy assurait ici même, le 15 juin 2004, la main sur le cœur, qu’EDF et Gaz de France ne seraient pas privatisés. Deux ans après, votre gouvernement, où siège le même Nicolas Sarkozy, s'apprête à revenir sur cet engagement. Nous connaissions la valeur de ses promesses ; nous en connaissons désormais la durée. Mais là n'est pas le plus grave. Des élus de toutes tendances mettent en garde contre les conséquences dramatiques de cette privatisation : conséquences tarifaires, conséquences en matière d'approvisionnement, conséquences industrielles, conséquences sociales enfin, puisque vous allez placer 50 000 salariés d'EDF-GDF distribution dans la confusion. Pourquoi tout cela ? Il ne s’agit pas uniquement de reprendre la main, ni de sauver Suez, qui dispose de tous les outils pour rejeter l'OPA inamicale d'ENEL, ni même de constituer un « majeur européen » – tout sépare GDF de Suez. Non : l’objectif, reconnu par les dirigeants de Gaz de France et de Suez eux-mêmes dans le dossier qu’ils ont remis à la Commission européenne, est de créer « un concurrent à EDF », entreprise dont il faut au contraire, en cette période de tension sur les matières énergétiques, favoriser la stabilité et l'efficacité. Plutôt que de remettre en cause une architecture industrielle héritée de la Libération et adaptée aux défis énergétiques présents et à venir, renoncez à cette braderie du patrimoine public, qui choque jusqu’aux élus de votre majorité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l’industrie Il nous faut avoir sur cette question une attitude responsable (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). En matière de politique énergétique, la France n’a manqué aucun tournant important dans les cinquante dernières années. Le Premier ministre a souhaité que la représentation nationale ait cet après-midi un débat de fond sur ces questions. Oui, les temps changent ; et il suffit de lire un journal du soir que vous aimez bien – je vous renvoie à l’éditorial et aux pages 8 et 22 de l’édition de ce soir (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) – pour comprendre pourquoi ! Gaz de France est certes une entreprise forte, mais c’est une entreprise de taille moyenne. Le statu quo n’est plus possible. Vous serez appelés, comme nous le serons, à prendre vos reponsabilités devant les Français. A l’issue du débat que nous allons avoir, nous répondrons bien sûr à vos questions. C’est vous qui au final déciderez si vous voulez laisser Gaz de France seul au bord de la route, sans partenaire et donc sans possibilité de sécuriser ses approvisionnements, et l’avenir de Suez échapper à notre pays. Ce sera votre choix. J’ai fait le mien, convaincu que la fusion de Gaz de France et de Suez est un bon projet pour notre pays et nos entreprises (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Ne perdez jamais de vue qu’un jour nous devrons rendre des comptes à nos électeurs ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur certains bancs du groupe UMP) 

actionnariat salariÉ dans les entreprises privatisÉes

M. Édouard Balladur - Selon certaines informations, la société Alcatel aurait l’intention de mettre fin à la représentation des salariés au sein de son conseil d’administration, au prétexte qu’elle doit en modifier la composition à la suite du rachat de Lucent. Cette décision est extrêmement regrettable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF et sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Pour des raisons de fond tout d’abord. Le développement de l’actionnariat salarié et la désignation d’administrateurs salariés visent à associer les salariés aux décisions essentielles qui les concernent (Mêmes mouvements), toutes dispositions qui ont fait la preuve de leur efficacité. Pour des raisons de forme également. Alcatel est en effet une entreprise privatisée. Or, l’article 8 de la loi de 1986 disposait que deux administrateurs salariés au moins devaient siéger au conseil d’administration des sociétés privatisées, et ce sans limitation de durée. Ces dispositions ont toujours été respectées, même lorsque des sociétés concernées ont été rachetées.

Monsieur le ministre de l’économie et des finances, partagez-vous mon opinion sur le caractère extrêmement regrettable des intentions prêtées à Alcatel et avez-vous l’intention de vous y opposer ? (Applaudissements sur la plupart des bancs du groupe socialiste, du groupe des députés communistes et républicains, du groupe UDF et de nombreux bancs du groupe UMP) Utiliserez-vous tous les moyens de droit en votre possession pour que, même en cas de fusion avec une autre société, la place des administrateurs salariés au sein des sociétés privatisées soit sauvegardée ? Enfin, si les dispositions en vigueur ne vous paraissent pas assez claires, ce qui me surprendrait, prendrez-vous lors de l’examen du projet de loi relatif à la participation que nous devons bientôt examiner, les mesures qui permettraient de mieux protéger les droits reconnus aux salariés par les lois de privatisation ? Je compte sur le Gouvernement pour s’opposer à ce qui constitue, à mes yeux, une régression (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l’industrie – Je constate avec une certaine satisfaction que votre question, vous qui avez été l’artisan des privatisations et du remodelage des grandes entreprises françaises, suscite l’approbation sur tous les bancs de l’Assemblée.

Je partage votre intérêt pour l’actionnariat salarié, qui constitue l’un des atouts de nos entreprises. Le Gouvernement, en concertation avec l’ensemble de la majorité et des partenaires sociaux, a élaboré sur le sujet un texte qui sera prochainement soumis au Parlement et répondra à vos interrogations légitimes, notamment sur la représentation des actionnaires salariés au sein des conseils d’administration.

Plusieurs députés socialistes – Ce n’est pas la question !

M. le Ministre – Nous souhaitons que cette représentation soit obligatoire dès lors que les salariés possèdent plus d’un certain seuil du capital, par exemple 3 %. De ce seuil, nous pourrons débattre.

Vous m’interrogez par ailleurs sur la fusion entre Alcatel et Lucent, dont je rappelle qu’elle a pour vocation de faire naître un leader mondial dans le domaine des télécommunications. Je pense, comme vous, qu’il est important de maintenir la représentation des salariés au conseil d’administration car il y va notamment de l’intérêt de l’entreprise. Je m’en entretiendrai avec le président et le directeur général dès que j’en aurai l’occasion. Pour le reste, je vous donne rendez-vous pour affiner encore le texte auquel nous avons travaillé, notamment avec Franck Borotra, et qui répondra à l’ensemble de vos préoccupations (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP).

Égalité des chances et baccalaurÉat

M. Jean-Pierre Le Ridant – Lundi 12 juin, l’épreuve de philosophie a marqué le coup d’envoi de la session 2006 du baccalauréat pour quelque 517 000 candidats. Je tiens ici à saluer l’excellente organisation de cet examen par les services, qui n’a rien d’évident avec quatre mille sujets, quatorze mille correcteurs et examinateurs, quatre millions de copies, plus d’un million d’épreuves orales – ces chiffres parlent d’eux-mêmes !

Le Gouvernement a fait de l’égalité des chances l’une de ses priorités. Dans cette perspective, pouvez-vous nous dire, Monsieur le ministre de l’éducation nationale, ce qui a été fait pour faciliter le passage des épreuves aux élèves handicapés ? Quelles dispositions ont par ailleurs été prises pour favoriser l’accès aux formations supérieures d’excellence aux bacheliers issus de milieux modestes ? Enfin, la plupart des rectorats mettant en ligne les résultats du bac, pouvez-vous assurer que tous les candidats y auront accès gratuitement dès la fin de la session ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche - Je vous remercie d’avoir souligné que les épreuves du bac se passent dans les meilleures conditions possibles. C’est l’occasion pour nous d’exprimer notre gratitude aux 140 000 personnels de l’Éducation nationale qui, depuis des mois, se préparent eux aussi à l’épreuve.

Pour la première fois cette année, dans toutes les académies, les résultats seront disponibles en ligne gratuitement pour l’ensemble des candidats.

Pour ce qui est des élèves handicapés, nous avons veillé à ce qu’ils puissent passer les épreuves comme tous les autres élèves. Des textes ont ainsi été transcrits en braille, des ordinateurs spécifiques mis à la disposition de ceux qui en avaient besoin, une aide au secrétariat apportée lorsque nécessaire. Nous avons également prévu une majoration d’un tiers du temps accordé pour les épreuves (« Ce n’est pas nouveau ! sur les bancs du groupe socialiste). Nous avons également cette année donné la possibilité aux candidats handicapés d’étaler les épreuves sur plusieurs sessions et de conserver pour la session 2007 le bénéfice des notes obtenues en 2006.

S’agissant des élèves de milieu modeste, le Président de la République a fixé comme objectif que 30 % des élèves boursiers accèdent aux classes préparatoires. On en est encore loin aujourd’hui, même si le nombre d’inscriptions a augmenté de 6,8 %. J’ai donc demandé que, dans toutes les académies, dès que les résultats du bac seront connus, on prenne contact individuellement avec tous les élèves ayant obtenu une mention « très bien » ou « bien » pour les informer des possibilités d’entrée en classe préparatoire.

Avec l’accès en ligne gratuit, les mesures pour les handicapés et celles en direction des élèves boursiers, c’est l’égalité des chances qui est en marche ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

gAZ DE fRANCE

M. Henri Emmanuelli - Monsieur le Premier ministre, le principe élémentaire de la démocratie est celui de la responsabilité politique. Or, vous vous acharnez à le fouler aux pieds, puisqu’à l’évidence vous ne vous sentez responsable que devant le Président de la République, qui, lui, ne se sent responsable devant personne (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). A défaut de pouvoir vérifier votre légitimité dans cette assemblée, ce que je vous mets au défi de faire, vous accumulez les aventures. Après le CNE, dont on apprend aujourd’hui qu’il n’a créé qu’un emploi sur dix, après le CPE, vous vous apprêtez à une nouvelle aventure : celle de la privatisation de Gaz de France.

Nous n’allons pas accepter que vous entraîniez le pays vers une situation où le pouvoir d’achat des ménages et des entreprises serait pris en otage par des actionnaires privés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Croyez-moi, Monsieur Breton, si on demande aux Français s’ils sont satisfaits des 30 % d’augmentation du gaz constatés depuis 2002 et s’ils veulent que ce soient des actionnaires privés qui décident de ces hausses, le résultat sera édifiant.

Allez-vous, oui ou non, Monsieur le Premier ministre, renoncer à cette nouvelle aventure et nous épargner d’avoir à mener des combats que nous nous passerions de mener ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Dominique de Villepin, Premier ministre - Une nouvelle fois, vous vous illustrez par votre sens des nuances et des réalités ! Vous parlez d’aventure. Parlons de la bataille pour l’emploi ! 210 000 chômeurs en moins en quelques mois (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), est-ce une aventure ? Et le Contrat Nouvelle Embauche, dont l’INSEE dit clairement qu’il crée entre 40 000 et 80 000 emplois nouveaux dans notre pays ?

Oui, nous traversons une crise énergétique majeure. Le prix de toutes les matières premières – gaz, pétrole, électricité – augmente et la sécurité des approvisionnements doit être consolidée. Toutes les grandes entreprises du secteur de l’énergie cherchent donc des alliances pour être plus fortes. Mais vous, vous dites : « et alors ? » Et que proposez-vous ? Rien. On ne touche à rien et même on revient en arrière en renationalisant EDF !

Nous avons une autre conception de la politique énergétique. Elle vise à garantir aux Français un approvisionnement sûr au meilleur coût. Je le fais sans complexes, en fidèle du général de Gaulle, qui a donné à la France l’indépendance et la sécurité énergétique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Nous avons un champion mondial pour le pétrole : Total. Nous avons un champion mondial pour l’électricité : EDF. Nous avons un champion mondial pour le nucléaire : AREVA. Et nous avons pris toutes les mesures nécessaires pour développer les énergies renouvelables et celles du futur. Ce n’est pas vous qui l’avez fait, ni les Verts, mais nous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Reste la question difficile du gaz. Difficile, mais il faut parfois en politique un peu de courage (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Nous avons une échéance incontournable en juillet 2007 avec l’ouverture complète des marchés de l’énergie. Il faudra être prêts. C’est pourquoi nous avons besoin d’un texte législatif qui transpose la directive européenne en protégeant les tarifs et les prérogatives de l’État.

La France a aujourd’hui l’opportunité de créer un nouveau champion mondial dans le domaine du gaz, capable de diversifier et de renforcer notre approvisionnement, capable aussi de peser sur les prix (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). C’est tout le sens du rapprochement entre GDF et Suez. Je sais qu’il y a des interrogations. C’est bien normal. Le Gouvernement prendra le temps d’y répondre, une par une, comme il l’a fait depuis plusieurs mois. Thierry Breton a ainsi reçu à trente-sept reprises les organisations syndicales.

Je sais qu’il y aussi une inquiétude légitime sur les prix du gaz. Nous y répondrons. Le tarif réglementé, tel qu’il existe aujourd’hui, sera maintenu au-delà du 1er juillet 2007. Il est hors de question que les ménages français soient exposés à des hausses brutales de tarifs dont l’État n’aurait pas la maîtrise. Il y a aussi une inquiétude sur les statuts des personnels. Il n’a jamais été question de les modifier. Tout cela figurera dans le projet de texte (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Nous sommes aujourd’hui dans le temps de l’explication. Thierry Breton et François Loos répondront cet après-midi même à vos questions. Ce débat essentiel permettra d’éclairer les choix de chacun. Le Gouvernement sera très attentif aux différentes propositions qui seront formulées par votre assemblée. Je souhaite qu’ensemble nous puissions faire entrer la France dans une nouvelle ère énergétique, celle de l’après-pétrole, où notre pays a pris plusieurs longueurs d’avance. Le Gouvernement se prononcera sur ce dossier en fonction du seul intérêt général, qui est ma seule préoccupation depuis le premier jour (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

réforme de la justice

M. Jacques Remiller - Monsieur le Garde des Sceaux, la semaine dernière, la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire dite d'Outreau a adopté à l'unanimité quatre-vingt propositions de réforme de la justice, fruit de deux cents heures d'auditions des acteurs de ce fiasco judiciaire. De même, l'Inspection générale des services judiciaires vient de rendre ses conclusions.

Que dit le rapport de notre commission ? Que notre justice a mal fonctionné et que treize innocents ont été privés de liberté pendant de long mois: à eux tous, les acquittés ont cumulé plus de 25 ans de prison. Au moment de l'acquittement de ces derniers, tout un chacun se disait que la même chose aurait peut-être pu lui arriver. Nos concitoyens veulent donc savoir si nous allons véritablement tirer les leçons de cette affaire, afin que pareil drame ne se reproduise plus, ou si ces rapports vont rester dans un tiroir.

Monsieur le Garde des Sceaux, alors que vous allez recevoir les membres de la commission d’Outreau dans une demi-heure, pouvez-vous indiquer à la représentation nationale quelles propositions, parmi celles du rapport qu’ils vous ont remis sont susceptibles d’être reprises dans un projet de loi ? Que compte faire le Gouvernement pour que les Français retrouvent confiance en la justice ? Enfin je veux à mon tour rendre hommage au président et au rapporteur de la commission Outreau (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Garde des Sceaux  Je vous remercie de cette question qui me permet, à mon tour, de saluer l’excellence des travaux menés par la commission d’enquête parlementaire et l’inspection générale des services. Ceux-ci ont permis de mettre en évidence de graves dysfonctionnements concernant le procureur de la république et le juge d’instruction. Le Conseil supérieur de la magistrature dira s’il y a eu, oui ou non, faute disciplinaire et je prendrai les décisions qui s’imposent en conséquence.

Ensuite, j’ai l’accord du Premier ministre et du Président de la République pour présenter un projet de loi au Parlement. Il n’est pas question de proposer ce que d’aucuns appellent la « grande réforme » – je ne sais ce que ce terme recouvre – mais de prendre les dispositions nécessaires pour empêcher un Outreau bis. Il faudra notamment développer l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires et prévoir le réexamen de la détention provisoire par la chambre de l’instruction, cette dernière ayant la possibilité de modifier totalement la décision initiale. S’agissant du recueil de la parole de l’enfant, l’une des raisons du fiasco judiciaire d’Outreau, il faudra l’entourer de conditions particulières et faire intervenir des professionnels. Enfin, il faudra renforcer les droits de la défense et définir plus clairement les responsabilités de chacun. Voilà ce que je proposerai dans quelques instants aux membres de la commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Soutien au secteur de la pêche

M. Léonce Deprez – Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture. Les artisans marins, qui contribuent à faire vivre le littoral français, ont perdu entre 25 et 35% de leur rémunération en 2005. La survie de leurs exploitations est menacée puisque l’année 2006 s’annonce également difficile. Le Gouvernement est-il capable de convaincre Bruxelles que la réglementation européenne asphyxie la pêche artisanale ? Pour vivre, les marins doivent avoir le droit de pêcher plusieurs espèces (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Hier, à Nantes, vous avez déclaré vous battre pour la pêche. Pouvez-vous aujourd’hui redonner un peu d’espoir à ceux qui désirent le maintien de la pêche artisanale sur tout le littoral français ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche  Tout d’abord, permettez-moi d’annoncer une mesure importante attendue par de nombreux députés : le Gouvernement vient d’obtenir de l’Union européenne la possibilité de pâturer les jachères dans une trentaine de départements (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

S’agissant de la pêche, elle traverse effectivement une crise qui s’explique par une réglementation européenne parfois trop contraignante et la hausse inouïe du prix de l’énergie qui représente 30 à 40% des coûts de revient. Aussi, Mme Tanguy a-t-elle remis avant-hier au Premier ministre un rapport sur la situation de la pêche contenant cinquante-neuf propositions dont le Gouvernement s’inspirera. Par ailleurs, comme vous l’avez rappelé, j’ai présenté hier à Nantes, en présence de MM. Priou et Guédon, un plan pour l’avenir de la pêche qui comprend une série de mesures destinées à soutenir ce secteur : gestion collective des quotas, réserve nationale de quotas, création d’une interprofession, aide au gazole. De plus, le Premier ministre a débloqué 80 millions d’euros de crédits supplémentaires pour aider la flotte française à faire face à la hausse du prix du gazole.

Enfin, il faut renforcer la sécurité des marins pêcheurs. Les Français ont été choqués par les récents accidents de pêche – le chalutier Gwel Vo au large du cap Antifer non loin du Havre et la disparition de MM. Edouard Michelin et Guillaume Normant en mer au large d’Audierne. La pêche paye chaque année son tribut à la mer, ce qui est inacceptable. Nous rendrons donc obligatoire la mise en place d’un dispositif anti-collision sur tous les navires de plus de quinze mètres et le port d’un vêtement de flottabilité intégrée dans les circonstances de pêche difficile. Je n’ignore pas que ces vêtements posent parfois des difficultés, nous en discuterons avec les marins pêcheurs, mais ils auraient permis à de nombreux marins de survivre.

Bref, nous allons prendre des mesures économiques pour redonner espoir aux artisans – Monsieur Deprez, je les présenterai à Étaples comme vous l’avez souhaité – et des mesures de sécurité car les marins ont besoin de sécurité et de dignité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

gaz de France

M. René Rouquet – Monsieur le Premier ministre, la hausse des prix de l’énergie amoindrit de plus en plus le pouvoir d’achat des familles, particulièrement des plus modestes. Un chiffre le démontre clairement : les dépenses liées au gaz, à l’électricité et au carburant ont augmenté en 2005 de 200 euros en moyenne par ménage. Les Français n’en peuvent plus ! Ils nous le font savoir dans les permanences. Certains députés de la majorité ont eu le courage de vous le rapporter, vous avez préféré les mettre en cause en répondant à M. Emmanuelli.

L’augmentation du prix de l’énergie n’est pas propre à la France. Mais vous aggravez la situation par votre refus de rétablir la TIPP flottante et votre volonté de privatiser Gaz de France. On a vu que de telles démarches, lorsqu’elles ont été initiées en Europe, ont entraîné des augmentations excessives des tarifs pour les usagers.

Face à ces hausses de prix, le groupe socialiste a réaffirmé sa volonté que l’État reste le premier acteur de la politique énergétique en France et a déposé une proposition de loi visant à soutenir le pouvoir d’achat des Français tout en favorisant la préservation de l’environnement.

Êtes-vous capable d’entendre l’inquiétude des Français et des chefs d’entreprise ? Allez-vous renoncer à présenter ce projet de loi préparant la privatisation de Gaz de France si contesté, y compris dans votre majorité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie  Certes, nous traversons une crise énergétique mondiale. La forte augmentation du prix du pétrole ces dernières années a eu des conséquences sur le coût de l’essence (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste; ceux du fioul et du gaz. Face à cette situation, le Gouvernement a eu à cœur de préserver et de développer le pouvoir d’achat des Français et la compétitivité des entreprises.

Pour cela, nous agissons sur tous les fronts. En ce qui concerne le pétrole, nous avons engagé des investissements spectaculaires – 4 milliards dans les raffineries ! – pour réduire la tension entre l’offre et la demande. Ces investissements n’ont pas de résultat immédiat mais un effet structurel indéniable. Concernant le gaz, l’État dispose de moyens d’intervention importants. La meilleure preuve en est qu’alors que Gaz de France nous demandait une augmentation de 8 % en début d’année, nous ne lui avons accordé que 5,75 %.

Plusieurs députés communistes et républicains – Combien de fois le coût de la vie ?

M. le Ministre délégué – C’est un effort extrêmement important que nous avons demandé à Gaz de France. Quant au prix de l’électricité, le contrat de service public d’EDF interdit toute augmentation supérieure à l’inflation et prévoit que les demandes d’augmentation sont soumises à l’accord du Gouvernement. Ainsi, nous n’avons permis aucune augmentation depuis le début de l’année. Cette condition de maintien des tarifs figurera dans le projet de loi que vous allez examiner et sera donc valable au-delà du 1er juillet 2007, date de l’ouverture des marchés. Ces avancées ont été permises grâce au travail réalisé par le conseil supérieur de l’électricité et du gaz, qui réunit tous les partenaires concernés.

En ce qui concerne les entreprises « électro-intensives », un millier de sites industriels en France pourront avoir accès à des tarifs de « très gros » s’ils prennent une participation dans le consortium qui s’est engagé à acheter de l’électricité nucléaire à EDF pour vingt ans. Nos amis finlandais ont choisi de construire une centrale nucléaire pour les industriels : ils n’en auront les premiers bénéfices que dans sept ans. Avec cette solution, nous obtenons des résultats dès cette année.

C’est donc un véritable plan d’action qui est à l’œuvre pour protéger la compétitivité de nos entreprises et le pouvoir d’achat de nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

budget pour 2007

M. André Schneider - Depuis quatre ans, le Gouvernement poursuit une politique de maîtrise des dépenses connue sous le nom de « zéro volume » : les dépenses n'augmentent pas plus que l'inflation. Le rapport Pébereau a souligné l'urgente nécessité de résorber la dette publique afin de ne pas faire peser sur les générations futures un poids excessif. Les orientations budgétaires présentées hier au Parlement marquent votre volonté d'emprunter résolument le chemin du retour à l'équilibre. Pour la première fois depuis de nombreuses années, les dépenses baissent en volume. C'est une décision historique, dans un pays qui s'était habitué à dépenser toujours plus. Vous avez ainsi tenu les engagements pris lors de la première conférence nationale des finances publiques en janvier dernier, alors que le nouveau cadre budgétaire tracé par la LOLF place désormais la performance au cœur du pilotage des politiques publiques. Quels sont donc les axes majeurs de ce budget pour 2007, placé sous le signe d'un meilleur service pour le meilleur coût ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’État - Le budget pour 2007 sera établi, conformément à la feuille de route que nous avons reçue du Premier ministre, dans des conditions complètement nouvelles : alors qu’une nouvelle Constitution budgétaire s’applique, la LOLF, qui se focalise sur les résultats et non sur les moyens, le regroupement des ministères du budget et de la réforme de l’État accélère les gains de productivité et la modernisation de l’administration. Tout cela nous permet de faire baisser, pour la première fois, la dépense publique et le nombre des fonctionnaires tout en faisant en sorte, je vous le garantis, que le service public continue de s’améliorer. La totalité des priorités qui ont été définies et sur lesquelles les Français attendent des résultats seront financées. Il n’y a pas de gagnants et de perdants : tous les ministères ont fait un effort significatif, grâce notamment à la pratique des audits.

Par ailleurs, ce budget nous permet de prendre date avec la gauche : le parti socialiste a fait toute une série de propositions ambiance 1936-1981 – renationalisations, généralisation des 35 heures, abrogation de la réforme des retraites… – qui se chiffrent entre cinquante et cent milliards. Ne reste qu’une question : va-t-il les financer avec plus de dettes ou avec des augmentations d’impôts ? Rendez-vous tout au long de l’année ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

primes d’aménagement du territoire

M. Jean Proriol - La Commission européenne a donné, le 21 décembre, ses directives concernant les aides économiques aux entreprises que les États et collectivités territoriales pourront accorder pendant la période 2007-2013. Le Gouvernement, qui a obtenu le maintien d’un dispositif menacé pour la France, a établi les cartes des territoires retenus dans chaque région, sachant que les zonages ont été réduits des deux tiers par rapport à la période 2000-2006. Les préfets de région ont dû se transformer en géographes-cartographes, remettant cent fois sur le métier leur ouvrage. Au final, l’Auvergne par exemple se trouve ramenée à 17 % de sa population zonée.

Plusieurs députés – C’est scandaleux !

M. Jean Proriol – Cette situation a suscité de nombreux débats, alimentés par la complexité de ces cartes aux logiques tantôt axiales, tantôt spatiales. Des territoires exclus du dispositif se sentent fragilisés, même si quelques uns bénéficieront d’un zonage transitoire pendant deux ans. Comment compenser cette perte, comment leur assurer des aides à l’emploi lorsqu’ils auront des projets ? On entend parler d’une réserve, ou de porter les aides de minimis à 150 000 euros… Par ailleurs, c’est Bruxelles qui aura le dernier mot et qui validera vos propositions.

M. Jacques Myard - C’est scandaleux !

M. Jean Proriol – Mais l’Europe se soucie-t-elle de la solidarité entre les territoires ruraux et les zones très attractives ? Les zonages de la prime à l’aménagement du territoire ne sont-ils pas une espèce en voie de disparition ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l’aménagement du territoire - La prime d’aménagement du territoire est attribuée à des entreprises qui ont un projet d’implantation ou de développement sur des territoires en difficulté. Entre 2000 et 2006, elle aura permis à l’État et aux collectivités territoriales d’engager 640 millions qui, par effet de levier, auront aidé 1300 projets d’entreprises, pérennisé 11 000 emplois et généré près de 25 milliards d’euros d’investissements dans les territoires.

Il y a un an, avec dix nouveaux pays entrants, la Commission européenne avait décidé que la France, comme d’autres pays de l’Union, ne bénéficierait plus de la prime à l’aménagement du territoire pour la période 2007-2013. Un an après, c’est un immense succès pour le gouvernement de Dominique de Villepin que de l’avoir fait revenir sur cette position inacceptable. Avec Nicolas Sarkozy, nous avons engagé un rapport de force avec la Commission et nous avons gagné. Nous avons obtenu de conserver 9,3 millions d‘habitants de territoires difficiles dans le dispositif, de manière permanente. Nous avons aussi obtenu de la souplesse par rapport au dispositif précédent. Alors que l’on raisonnait sur de grands bassins d’emploi, de l’ordre de 400 000 à 500 000 actifs, le ciblage beaucoup plus fin qui a été retenu – 20 000 à 30 000 habitants – permet d’aider beaucoup plus de territoires fragilisés ou en situation de difficulté économique. Enfin, en vue de traiter les situations de crise qui ne manqueront pas de survenir, nous avons conservé, pour les sept ans, une réserve démographique de 430 000 habitants, que nous utiliserons chaque fois que cela sera nécessaire. Telle est, Monsieur le député, notre politique d’équité entre les territoires. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 15.

Retour au haut de la page

achèvement d’une mission temporaire

M. le Président – M. Le Premier ministre m’a informé de l’achèvement de la mission temporaire confiée à Mme Hélène Tanguy.

rappel au règlement

M. Daniel Paul – Je souhaite faire un rappel au Règlement, fondé sur l’article 52. Notre collègue Edouard Balladur, Premier ministre, a posé au Gouvernement une question portant sur la décision du groupe Alcatel, privatisé, de revenir sur la représentation des salariés au sein du conseil d’administration. Dans sa réponse, M. le ministre de l’économie et des finances a traité de la représentation des salariés actionnaires, se gardant bien d’évoquer le cas des salariés…

M. le Président – C’est l’article 58 qu’il fallait invoquer. Et les rappels au Règlement ne concernent pas la teneur des réponses du Gouvernement.

M. Daniel Paul - Dans la mesure où le débat qui va s’ouvrir porte sur le même sujet, je voulais appeler votre attention sur ce point.

M. le Président – Peut-être le ministre apportera-t-il des précisions, mais veillons à respecter le Règlement !

Retour au haut de la page

déclaration du Gouvernement sur la politique énergétique

L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement sur la politique énergétique de la France et le débat sur cette déclaration.

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l’industrie Comme le Premier ministre s'y est engagé, nous voici réunis pour débattre de l'un des enjeux essentiels pour la France et l'Europe : notre politique de l'énergie.

Face à la croissance de nos besoins en énergie, et surtout de ceux des pays émergents, le caractère limité de nos ressources apparaît avec force : la fin de l'ère du tout pétrole est une réalité, les approvisionnements en gaz naturel deviennent un enjeu géostratégique, et une politique ambitieuse d'investissements dans des installations de production électrique est désormais nécessaire pour accompagner l'augmentation de la consommation. Certains évoquent le chiffre de 700 milliards d’euros d’investissements nécessaires pour satisfaire ces besoins.

Notre débat, même s’il intervient à la veille de l’été, est décisif. Il revient à chacun, dans cet hémicycle, de se poser ces questions et de décider en son âme et conscience. Personne, en la matière, n’a la science infuse. Mais il nous appartiendra d’assumer nos responsabilités collectives, et avant tout, celles qui concernent l’avenir de Gaz de France.

Je suis venu, en effet, vous parler de cette entreprise, dont l’État est le principal actionnaire, une entreprise forte de son histoire et de ses compétences, mais qui n’apparaît plus au niveau mondial que comme un acteur de petite taille. Les temps ont changé et nous devons lui donner les moyens de nouer des partenariats et des alliances. C’est la conviction que je me suis forgée après que le Premier ministre m’a demandé d’instruire, dans la concertation, ce dossier.

M. François Brottes – Pompier pyromane !

M. le Ministre - Ces cinquante dernières années, la France n'a manqué aucun des grands rendez-vous de l’énergie, même les plus difficiles politiquement : qu'il s'agisse de l'hydraulique ou du nucléaire, les dirigeants ont su apprécier les défis à leur vraie mesure et prendre des décisions courageuses et visionnaires. Grâce à eux, la France dispose de substantiels atouts.

Nous sommes aujourd'hui face à des questions aussi décisives et le statu quo est moins que jamais une option. En fonction des décisions qui seront prises à l'issue de nos discussions, nous nous serons donné – ou non – la possibilité de prendre en main l'avenir de Gaz de France, de peser davantage sur les rapports de force industriels et commerciaux en Europe et dans le Monde et de mieux maîtriser notre futur.

Chacun devra faire la part de ce qui est décisif et stratégique pour notre pays, pour l'entreprise, ses salariés et ses consommateurs. Chacun devra juger sur pièces la réalité des défis et des menaces de notre monde, la qualité des réponses que les entreprises proposent d'y apporter et le sérieux des garanties dont le Gouvernement a décidé d'entourer ce grand projet. Chacun ici est conscient de ces enjeux et convaincu de l'importance de nos échanges : nous devons apprécier le poids de notre responsabilité.

Les évolutions géostratégiques et économiques dans le domaine de l'énergie se sont encore accélérées depuis 2004. Le monde a pris conscience de l'épuisement des ressources fossiles. Simultanément, la demande a explosé avec le dynamisme des nouvelles économies asiatiques, alors même que l'instabilité politique des zones de production ne cessait de croître. La quasi-disparition durable des surcapacités de production en matière d'hydrocarbures a conduit à une forte hausse des prix du pétrole – problème sur lequel François Loos et moi-même nous penchons quotidiennement – et au renforcement des enjeux liés à la sécurité d'approvisionnement en gaz de l'Europe. La ressource gazière, à l’image du pétrole, est devenue une arme, assumée sans états d'âme. A l’endurcissement de ces rapports de force internationaux répond une puissante vague de consolidation et de concentration dans les pays consommateurs.

Pour peser face aux besoins croissants de la population mondiale – qui augmentera de 50 % dans les vingt-cinq prochaines années – il faudra avoir la taille nécessaire. Nous sommes peut-être à la veille d’une bulle, semblable à celle que nous avons connue à la fin des années 1990 dans le domaine des technologies de l’information. Les concentrations vont s’accélérer, et c'est aujourd'hui que se constituent les acteurs majeurs de l'énergie de demain. Cette évolution est beaucoup plus rapide que ce qui pouvait être envisagé il y a encore quelques mois : les décisions importantes ne peuvent attendre.

La politique énergétique n'a en effet tout son sens que si elle peut s'appuyer sur des entreprises puissantes. C'est le cas d’EDF. La question est plus délicate pour Gaz de France et pour Suez. Tous les énergéticiens européens cherchent à disposer d'une taille critique qui leur permette d’investir, de renforcer leur pouvoir de négociation avec les producteurs, tels que la Russie ou l’Algérie, de présenter une offre duale de gaz et d’électricité, et de satisfaire la demande de leurs clients. Les acteurs de l’énergie sont donc engagés dans une course à la taille, qui est un élément déterminant pour s’assurer l’indispensable capacité d’investissement en amont, mais aussi la capacité d’approvisionnement ou de production. Les montants en jeu se chiffrent en milliards d’euros, ce qui laisse peu de place aux acteurs de second rang. Il faut en effet disposer à la fois d'une capacité financière de premier rang et d'une capacité de distribution très forte. Nul ne connaît l’issue de cette course. Elle peut prendre, comme j’en suis convaincu, la caractéristique d'une bulle ; elle peut aussi se dérouler sur le long terme. Mais quoi qu’il en soit, nous ne reviendrons pas en arrière : la dimension de ces enjeux est désormais planétaire. C’est pourquoi nous menons de longue date, avec François Loos, une politique ambitieuse et volontaire. Nous avons d’abord engagé un dialogue avec les principaux pays producteurs de pétrole, afin de favoriser les investissements dans les installations de production et de raffinage et d'améliorer la transparence des marchés pour lutter contre les phénomènes spéculatifs. Je mène ce combat, au nom du Gouvernement, dans toutes les enceintes internationales (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP) – à l’ECOFIN, à l’Eurogroupe, au G8.

Pour favoriser les investissements dans les outils de production d'électricité, nous menons une démarche prospective à moyen terme, la programmation pluriannuelle des investissements, dont nous venons de vous transmettre le rapport pour 2005-2015. Elle permet à tous les acteurs de disposer d'une information fiable sur l'évolution des besoins et des ressources en électricité, suscitant ainsi les investissements nécessaires. Par ailleurs, l'augmentation de capital d'EDF, rendue possible par son introduction en Bourse, lui a permis de réaliser un programme d’investissement sans précédent – 40 milliards d’euros d'ici à cinq ans, à la fois dans la production et dans les réseaux.

Relever le défi du prix des hydrocarbures, c'est aussi trouver des sources d'énergie alternatives et limiter la croissance de nos besoins. Le Gouvernement a ainsi engagé un plan biocarburants très ambitieux, afin de porter nos objectifs d'incorporation à 7 % en valeur énergétique en 2010, et 10 % en 2015, ce qui va au-delà des obligations communautaires. Deux appels d'offre ont été lancés sur 2005 et 2006 afin d'agréer les quantités nécessaires et de permettre les investissements. 16 usines seront construites, ce qui représente un investissement supérieur à 2 milliards. J’ai également institué un groupe de travail associant les industries des secteurs pétrolier, automobile et agricole ainsi que les consommateurs, afin de développer d’ici à 2010 le «flex fuel», c’est-à-dire les moteurs qui peuvent être alimentés indifféremment à l’essence et au bioéthanol.

Le soutien aux énergies renouvelables n'a jamais été aussi fort. La France est d’ailleurs le premier producteur européen d'énergie renouvelable, devant la Suède et l'Allemagne. Nous nous sommes fixé des objectifs encore plus ambitieux d'ici à 2010 : plus 50% pour la chaleur renouvelable, 21% de l'électricité d'origine renouvelable - contre 14% en 2004. Pour les atteindre, nous avons mis en place des tarifs de rachat garantis pour l'électricité renouvelable, des crédits d'impôt et des subventions.

L'action exemplaire des gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin dans le domaine énergétique s'est concrétisée par deux lois importantes. La loi du 9 août 2004 a permis à EDF et à Gaz de France de saisir les opportunités stratégiques liées à l'évolution des marchés de l'Europe de l'énergie et de se préparer à la transposition de la directive au plus tard en juillet 2007. Certes, nous aurions pu la transposer alors.

M. Hervé Novelli - Oui !

M. le Ministre – Le Parlement en a décidé autrement : je respecte son choix.

M. Jean-Claude Lenoir - Très bien !

M. le Ministre – Il a voulu se donner un peu de temps. Le rendez-vous est arrivé, et je vous mets en garde : l’absence de transposition conduirait à une application directe de la directive.

Cette loi a permis de doter EDF et Gaz de France des capitaux nécessaires à leur développement, avec les ouvertures de capital de 2005. Ces évolutions s’accompagnaient d'engagements précis sur les investissements nécessaires au développement de ces entreprises et à la sécurité d'approvisionnement national. Les contrats de service public signés la même année avec ces deux entreprises ont conforté leurs missions en matière de sécurité, de qualité de service et de présence territoriale, ainsi que de modération tarifaire.

La loi du 13 juillet 2005 a établi la feuille de route de notre politique énergétique, centrée sur la maîtrise de l'énergie et sur le développement de capacités de production d'énergie nouvelles, notamment avec la décision de construire une nouvelle centrale nucléaire de troisième génération, l'EPR. Nous reprenons ainsi le flambeau de nos prédécesseurs, qui ont su, dans les années 1970, doter notre pays d'un outil de production unique au monde.

La loi sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire, ainsi que le projet de loi sur les déchets radioactifs, qui sera discuté en deuxième lecture cette semaine, renforceront enfin le cadre réglementaire applicable à ce secteur.

Nous menons donc une action volontariste à grande échelle, qui ne néglige aucun des grands leviers de la politique énergétique. Dans ce contexte, la responsabilité de chaque entreprise – Gaz de France, Suez ou tout autre groupe énergétique – est de proposer les évolutions propres à renforcer sa position dans l'intérêt de ses clients, de ses salariés et de ses actionnaires, l’État veillant à la défense de ces intérêts.

Cette analyse stratégique, Gaz de France l'a effectuée, et nous l'avons examinée à l’occasion d’une longue concertation. Le constat est simple : face au mouvement de consolidation des acteurs de l'énergie en Europe, Gaz de France n'est qu'un acteur de taille moyenne…

M. Hervé Novelli et M. Jean-Claude Lenoir - Oui !

M. le Ministre - … par rapport à des géants comme EDF, EON et Enel. Certains proposent de marier Gaz de France avec EDF. Je m’étais posé la même question. C’est impossible pour des raisons de concentration.

M. David Habib - Et en Allemagne ?

M. le Ministre – Je tiens à votre disposition l’analyse juridique de mes services, qui est confortée par ce qui vient de se passer au Portugal. Ce n’est donc que chimère. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Certes, Gaz de France dispose de 7 millions de clients particuliers et de 11 millions de clients au total. Certes, Gaz de France a, avec ses 30 000 salariés, une capacité humaine et des savoir-faire – unanimement reconnus. Certes, Gaz de France dispose de contrats d'approvisionnement à long terme, qui ont été négociés avant la hausse du prix du pétrole et lui assurent à ce stade une sécurité d'approvisionnement. Certes, Gaz de France dispose d'un réseau de transport et d'une image forte auprès des collectivités locales et des Français. Mais Gaz de France ne représente que 14 % des ventes de gaz en Europe, et dans un marché ouvert à l'échelle de l'Europe, il ne sera qu'un acteur de petite taille. Gaz de France n'est que le distributeur d'un gaz qu'il achète. Son activité de production est très faible. Dans un contexte où le rapport de forces est favorable aux producteurs, l’entreprise sera soumise à une forte pression lors de la renégociation de ses contrats. Elle n'est pratiquement pas présente dans l'électricité. Or, dans un marché de l'énergie qui se consolide, il est indispensable de pouvoir offrir le choix entre plusieurs sources.

Gaz de France doit donc rechercher les meilleures alliances, lesquelles ne seront possibles que si l’entreprise dispose d'une liberté suffisante sur son capital. Ce constat, Gaz de France l'a partagé à l'automne dernier avec le groupe Suez, qui parvenait aux mêmes conclusions. Conscientes de ces défis, les deux entités ont amorcé des discussions en vue d'une coopération industrielle, qui ont débouché sur un premier accord portant sur la production dans le sud de la France. Un rapprochement plus étroit avec Suez permettrait cependant à Gaz de France de compenser ses faiblesses stratégiques, tout en conservant la maîtrise de son développement grâce à un mariage entre égaux. Du point de vue de Gaz de France, l'alliance avec Suez est la meilleure perspective stratégique, ce qui a été relevé par la totalité des analystes du secteur, avec une complémentarité géographique et technique et sans destruction d'emplois, les synergies étant supérieures à ce qu’elles pourraient être avec un opérateur britannique ou espagnol.

En devenant le premier fournisseur de gaz en Europe, le nouveau groupe serait incontournable pour les producteurs, ce qui lui offrirait les meilleures perspectives pour acheter du gaz et ainsi mieux servir ses clients. Il serait en mesure de mener une politique d'investissement dans l'amont gazier encore plus volontaire. Il aurait une capacité équilibrée en électricité et en gaz, qui est un atout considérable pour ses clients.

Suez et Gaz de France se connaissent bien, ont des cultures d'entreprise proches et partagent un grand nombre de valeurs, dont celles du service public, fondées sur une activité reposant largement sur des délégations de service public. Toutes les missions de service public de Gaz de France dans l'énergie et de Suez dans l'eau seraient naturellement maintenues et tous les engagements pris dans ce cadre seront tenus.

Les deux entreprises ont donc vite été convaincues que la fusion était le meilleur projet stratégique pour Gaz de France et pour Suez. La démarche du Gouvernement est dictée par le seul esprit de responsabilité : notre objectif est de préparer le meilleur avenir industriel possible pour Gaz de France, pour qu'il continue à contribuer à notre sécurité énergétique. Il est vital pour Gaz de France de disposer de flexibilité sur son capital pour choisir le type d’alliance qu’il pourra conclure…

M. Hervé Novelli - Evidemment !

M. le Ministre - … et être maître de son destin.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire - Bien sûr !

M. le Ministre - J’entends ici ou là formuler des idées d’alliances. Encore faut-il qu’elles soient réalisables et avoir fourni pour ce faire à GDF le cadre juridique indispensable. Il ne vous est pas demandé de vous prononcer sur le projet de fusion avec Suez, mais il est de votre responsabilité de décider si la composition du capital de GDF lui permettra de relever les défis de l’avenir. Il appartiendra ensuite à l’entreprise et à son conseil d’administration de définir la meilleure stratégie. Souvenez-vous de ce qui s’est passé en 2000 où, dans des secteurs stratégiques, des entreprises, parce qu’elles étaient bloquées, ont dû s’endetter pour des montants tels que l’on sait où cela a mené ! Ce sont les entreprises qui définissent elles-mêmes leur stratégie. L’État n’est là que pour contrôler et aider à la mettre en œuvre. Encore faut-il que cela soit possible. Telle est la seule question qui vous est aujourd’hui posée.

M. François Brottes - Bref, vous nous demandez de signer un chèque en blanc.

M. le Ministre – Différer la réponse à cette question, c’est prendre le risque d’isoler GDF et que celui-ci ne puisse plus s’allier à l'avenir.

M. Hervé Novelli - Eh oui !

M. le Ministre - Le projet industriel de rapprochement avec Suez, qui nous a été proposé par GDF avec le soutien de Suez, a été reconnu par tous les experts comme le plus porteur pour l'entreprise. Après l'avoir expertisé pendant trois mois, nous en avons, François Loos et moi, acquis nous aussi la certitude.

Pour agir en toute responsabilité, le Gouvernement devait réunir tous les éléments d'appréciation. C'est pourquoi nous avons engagé une démarche en trois temps.

Premier temps : la concertation. Sociale, tout d’abord. Après plus de trente réunions avec les organisations syndicales, des réponses écrites ont été apportées aux 71 questions qu’elles nous ont posées, toutes pertinentes et légitimes. La qualité de la concertation menée tant à Suez, où les syndicats soutiennent unanimement le projet de rapprochement, qu’à GDF, mérite d’être soulignée. Tous les syndicats ont fait preuve d’un remarquable esprit de responsabilité.

La concertation a également été juridique. Nous avons saisi le Conseil d'État pour examiner les conséquences du projet de fusion sur les missions de GDF. La haute juridiction a confirmé qu’il était possible de privatiser l’entreprise sans que cela ait d’incidence ni sur son périmètre ni sur ses activités actuelles.

Nous avons par ailleurs consulté le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz sur l'adaptation nécessaire du marché de l'énergie en France pour respecter nos engagements européens. Au terme d'un travail remarquable, dont je remercie tout particulièrement Jean-Claude Lenoir, le Conseil a pu orienter nos travaux afin que soient préservés les intérêts des consommateurs.

La concertation enfin devait avoir lieu avec les parlementaires, à l'Assemblée nationale aujourd’hui, au Sénat demain. Nous avons voulu ce premier débat pour permettre à chacun d’apprécier tous les enjeux liés à ce projet et au secteur de l'énergie, afin qu’il puisse ensuite, hors de toute polémique et de toute idéologie, se prononcer en conscience, en fonction des seuls intérêts de la France. Viendra ensuite le temps du débat législatif, si vous souhaitez, comme le Gouvernement, donner à GDF la souplesse nécessaire pour relever les nouveaux défis du secteur énergétique tout en garantissant ses approvisionnements. Le Gouvernement a préparé un projet de loi qui est en cours d'examen au Conseil d'Etat. Je souhaite que le débat d’aujourd'hui nous permette d’en préciser le contenu définitif.

Nous avons bien entendu les interrogations qui émanent de la part des élus, des partenaires sociaux et de l'ensemble des acteurs.

Première de ces questions : quel est le niveau adéquat de contrôle du capital de GDF par l'Etat ? II faut trouver un équilibre entre la flexibilité nécessaire à l’entreprise pour nouer des alliances et le contrôle d'une part suffisante de son capital par l'Etat. Il ne s'agit en aucun cas pour l’État de vendre des actions GDF. Le seul objectif est, quelles que soient les évolutions ultérieures, de donner à l’entreprise le cadre juridique qui lui permettra de nouer des alliances. Nous vous proposerons dans le projet de loi, si vous l’acceptez, que l’État ne puisse diminuer sa participation que dans le cadre d’alliances stratégiques. C’est là une position qu’a très souvent retenue le parti socialiste, lors de la privatisation d’entreprises, et qui me paraît judicieuse.

M. Pierre Ducout - Ce n’était pas du tout la même chose. Il s’agissait de partenariats industriels solides.

M. le Ministre – J’invite la représentation nationale à faire siennes ces règles que vous aviez eu raison de poser, Messieurs les socialistes. Pour GDF, il faudra bien sûr maintenir la minorité de blocage de l’État, de façon à pouvoir s’opposer à tout partenariat stratégique qui desservirait son intérêt d’actionnaire. Des mesures devront être prévues pour garantir le contrôle public sur le nouveau groupe, afin de protéger les intérêts nationaux, notamment la sécurité d'approvisionnement. C'est dans ce but que la mise en place d'une action spécifique pourrait être proposée, notamment sur les terminaux méthaniers ou les réserves stratégiques. Cette gloden share permettrait à l'Etat de s'opposer à toute décision de l'entreprise remettant en cause les intérêts nationaux, dans le respect de nos engagements européens. Le seuil de détention minimal d'un tiers du capital sera prévu dans la loi. Enfin, des commissaires du gouvernement seront placés dans les filiales régulées du nouveau groupe.

Autre question légitime : le nouveau groupe pourrait-il faire l’objet d’une OPA ? Avec plus d'un tiers du capital détenu par l'Etat, les évolutions industrielles ou capitalistiques futures du groupe supposeront nécessairement le soutien de l'Etat.

Autre question : y aura-t-il une incidence sur les missions de service public de GDF et sur les tarifs ? Je le dis de la façon la plus claire : il n'y a aucun lien entre la structure du capital, privé ou public, et les tarifs ou la définition des missions de service public.

M. François Brottes - Alors, pourquoi bloquez-vous aujourd’hui les tarifs de GDF ?

M. le Ministre – C’est la Commission de régulation de l’énergie qui propose au ministre les évolutions tarifaires et c’est celui-ci qui en décide.

M. Pierre Ducout - Et au 1er juillet 2007, que se passera-t-il ?

M. le Ministre - Quand les tarifs du gaz ont augmenté de 30% entre 1999 et 2000, l’État détenait pourtant 100 % du capital de GDF. Je ne veux pas croire, et d’ailleurs je ne crois pas, que vous ayez augmenté les tarifs pour combler le déficit budgétaire. Vous y avez simplement été contraint par la loi qui prévoyait de reporter sur le consommateur l’augmentation des coûts d’approvisionnement

Tous les engagements envers les partenaires sociaux seront respectés : le statut du personnel des industries électriques et gazières sera maintenu…

M. Pierre Ducout - Pendant un certain temps !

M. le Ministre - L'existence d'un service commun entre EDF et GDF pour la distribution sera réaffirmée. Pour les salariés de Suez et de GDF, c'est la chance de participer à l'essor d'un nouveau géant industriel tout en conservant un statut auquel ils sont très attachés et le Gouvernement aussi.

Autre question essentielle : comment assurer la protection du consommateur sur le marché de l'énergie ? La protection du consommateur est une préoccupation première du Gouvernement, mais vous m'accorderez qu’elle se pose indépendamment de toute question sur la composition du capital de GDF. Des choix importants s’imposent pour l'organisation du marché de l'électricité et du gaz en France.

Je veux faire le point précisément pour ce qui concerne les particuliers. Il faut impérativement éviter une situation de vide juridique au 1er juillet 2007 pour nos concitoyens vis-à-vis de leurs fournisseurs de gaz et d'électricité. Il faut pour cela transposer les directives européennes sur le marché de l'énergie, dans des conditions assurant la protection des consommateurs. En effet, les directives de 2003, qui prévoient l'ouverture complète à la concurrence des marchés de l'électricité et du gaz, sont d'application directe sur certains points. Ainsi même sans transposition législative, les consommateurs pourraient se faire démarcher dès le 1er juillet 2007 par des concurrents, français ou étrangers, d'EDF et de GDF, en dehors de tout cadre.

M. Pierre Ducout – C’est vous qui l’avez accepté !

M. le Ministre – Pis, tout notre édifice juridique définissant les tarifs réglementés risquerait de devenir obsolète dès le 2 juillet 2007 et pourrait être annulé en cas de contentieux.

M. François Brottes - Il fallait y penser plus tôt !

M. Jacques Myard - Qui gouverne en France ?

M. le Ministre - Notre responsabilité collective est donc de proposer un cadre cohérent afin de protéger les consommateurs. La date du 1er juillet 2007 doit signifier pour eux des possibilités supplémentaires, et non la fin des tarifs réglementés qui constituent une légitime protection.

En 2004, le Parlement a refusé de transposer la directive et reporté l’examen de cette question. Mais nous y voilà aujourd’hui ! Il ne faut plus perdre de temps, il est de mon devoir de vous le rappeler.

M.  le Président de la commission - Très bien !

M. le Ministre - Il convient de transposer la directive en fixant des règles prémunissant les consommateurs contre toute dérive et en dotant l'existence de ces tarifs d'un fondement juridique adapté.

Il n’est pas envisageable de traiter du projet de rapprochement entre Suez et GDF sans répondre simultanément aux nombreuses questions des partenaires sociaux, des acteurs du secteur et de la représentation nationale sur l'évolution du secteur de l'énergie, en particulier sur la coexistence entre prix et tarifs.

Le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz, que nous avions saisi sur le sujet, nous a remis un rapport qui a orienté nos travaux.

Même si des points de vue divers se sont naturellement exprimés en son sein, plusieurs constats ont pu être dressés. La France a su mettre en œuvre les directives européennes tout en conservant un modèle propre, original et efficace, qui doit être conservé. Il est indispensable de développer les investissements tout en continuant de conduire une politique de maîtrise de l'énergie. Enfin, il faut maintenir l'existence de tarifs réglementés.

M. Warsmann remplace M. Jean-Louis Debré au fauteuil présidentiel.
PRÉSIDENCE de M. Jean-Luc WARSMANN
vice-président

M. le Ministre - Nous privilégierons donc une approche favorisant systématiquement la protection des consommateurs. Le Gouvernement souhaite proposer à tous les consommateurs particuliers qui le souhaitent de pouvoir rester au tarif réglementé. Dans les propositions que nous pourrions vous faire dans un projet de loi, nous veillerions par exemple à ce qu'à chaque déménagement, une personne puisse à nouveau avoir accès à ce tarif. Nous proposerions aussi la création d'un tarif social, similaire à celui existant pour l'électricité, pour les personnes en situation de précarité.

M. François Brottes - Il est temps de s’en préoccuper !

M. le Ministre - La question des prix de marché pour les entreprises est aussi une question sensible. L'évolution récente des prix de l'électricité fournie aux entreprises sur le marché concurrentiel préoccupe le Gouvernement. Mais là aussi, il faut être clair : ce sujet est totalement indépendant de celui des tarifs du gaz ou de l'électricité, comme il est indépendant de la question du capital de Gaz de France.

Confrontée à la forte hausse du prix des hydrocarbures et à la disparition des surcapacités de production en électricité, l'Europe voit les prix de l'électricité augmenter de façon importante et continue depuis 2004. Pas pour les particuliers, puisque nous avons garanti l’évolution tarifaire. Nous sommes le seul pays européen à l’avoir fait, grâce au choix du nucléaire. C’est une fierté. Par contre, les entreprises qui ont choisi entre 2000 et 2003 de faire jouer la concurrence et de bénéficier de prix inférieurs aux tarifs se trouvent parfois aujourd'hui confrontées à des hausses trop importantes. J'entends le mécontentement de certains industriels et je le comprends.

Nous allons y répondre, d’abord de façon structurelle, en assurant une capacité de production suffisante à long terme. C'est tout le sens de l'action gouvernementale en matière d'investissement en France et en Europe. Ensuite en apportant une réponse coordonnée avec d'autres pays européens. Nous avons mis en place un groupe de travail avec quatre autres pays européens, dont l'Allemagne, pour proposer des actions visant à limiter l'impact excessif du marché du CO2 sur la formation des prix de l'électricité et à obtenir une révision de la directive quotas

A plus court terme, un dispositif de consortium a permis aux entreprises électrointensives de se regrouper pour investir indirectement, à travers les producteurs d'électricité, dans des moyens de production et bénéficier en contrepartie, sur de longues périodes, de prix stables. Ce sont plus de soixante entreprises qui sont concernées, PME comme grands groupes, représentant 20% du marché de l'électricité ouvert à la concurrence.

François Loos a d’autre part organisé une table ronde le 15 mai dernier avec les producteurs d'électricité, qui ont pris des engagements de modération des prix à l’égard des entreprises, sachant que certaines d’entre elles se trouvent parfois confrontées à des situations très difficiles.. Ils se sont également engagés à proposer des contrats de plus long terme pour apporter une meilleure visibilité aux clients et ils ont accepté de renégocier certains contrats.

Nous allons suivre l’application de ces engagements. Si cela ne suffisait pas, nous serions prêts à envisager avec vous les dispositions législatives ou réglementaires nécessaires, dans le respect des règles communautaires, pour préserver la compétitivité de notre industrie.

Au terme d'un processus approfondi de préparation, nous entrons dans une phase où chacun devra se déterminer sur ce grand projet industriel, instruit avec soin et dans le souci de la concertation. Nous en mesurons pleinement l'enjeu ; il est à la mesure des défis qui se posent à notre pays et à nos entreprises.

La France se doit de défendre son excellence industrielle dans le domaine de l'énergie. L'action du gouvernement sur la scène nationale, européenne et internationale nous prépare à l'ère du pétrole rare et cher. Cette action doit pouvoir s'appuyer sur des groupes industriels puissants. Avec EDF, la France a le premier électricien nucléaire mondial. Il est hors de question de toucher à son capital. Avec Areva, elle a le numéro 1 mondial du nucléaire. Avec Total, elle a l'un des tout premiers groupes pétroliers au monde. Soyons lucides, GDF ne joue pas dans la même catégorie qu'EDF, AREVA ou Total.

C'est précisément pourquoi la capacité de GDF de nouer des alliances stratégiques est un enjeu vital Aujourd'hui, nous pouvons créer un quatrième leader mondial de l'énergie, basé en France. Devons-nous saisir cette chance ? Gaz de France a-t-il un autre partenaire potentiel ?

M. Pierre Lellouche - Il faut regarder.

M. le Ministre – Oui, il faut regarder avec sérieux, mais je me suis penché sur le dossier sans aucun a priori et je vous livre le résultat de quatre mois de concertation. Il vous appartiendra de décider. La question nous est posée ici et maintenant, car ce qui est possible actuellement ne le sera plus forcément dans quelques mois ou dans quelques années.

Alors ne nous trompons pas de débat. Nous aurions pu les uns ou les autres souhaiter un autre calendrier, je le dis sans fard, pour faire évoluer la loi de 2004. Mais la réalité du monde économique qui nous entoure en a décidé autrement. C'est un fait. La consolidation du secteur de l'énergie est déjà en route en Europe, sans aucune considération pour les échéances électorales ici ou là.

Nous aurions pu souhaiter une étape intermédiaire avant la fusion. J'ai moi-même très sérieusement examiné cette option. Je rappelle toutefois que ce n'était pas la proposition des deux entreprises, qui ont estimé de leur devoir, face aux défis à relever, de proposer une fusion totale immédiatement.

Ces éventuels regrets mis de coté, le débat ne doit porter que sur quatre vraies questions. Faut il ou non autoriser Gaz de France à faire évoluer la structure de son capital pour préserver son avenir et jouer à armes égales dans la consolidation européenne ? Le projet présenté par Gaz de France et soutenu par Suez est-il le meilleur qui puisse être envisagé pour Gaz de France ? L’État conservera-t-il dans cette hypothèse tous les moyens d’exercer un véritable contrôle sur les missions de service public et sur les actifs stratégiques de Gaz de France ? Enfin, les intérêts des consommateurs seront-ils protégés dans le contexte des évolutions à venir des marchés de l'énergie ?

A ces quatre questions décisives, je réponds affirmativement sans aucune hésitation.

Oui, Gaz de France a besoin aujourd'hui et maintenant de pouvoir faire évoluer son capital, à la seule condition que ce soit pour nouer une alliance décisive dans le cadre d'un projet industriel stratégique et pas pour que l’État vende des actions. Oui, nous sommes en situation de créer un leader mondial de l'énergie de plus, enraciné en France et fort dans le domaine ultrasensible du gaz, où nous sommes vulnérables compte tenu de la concentration de la ressource mondiale dans quelques pays. Oui, nous conserverons plus de 33 % du capital du futur groupe, des actions spécifiques sur tous les actifs importants de GDF et une vraie régulation publique, inchangée, des missions de service public. Oui, enfin, les modalités d'ouverture à la concurrence du marché de l'énergie pour les particuliers sont particulièrement protectrices des intérêts des consommateurs.

Notre monde est en profond changement qu'il s'agisse des équilibres économiques internationaux, des tensions sur les matières premières ou de la compétition croissante pour l'accès à l'énergie. C'est pourquoi notre devoir à tous est de procéder dans le dialogue, la concertation et la dignité républicaine à toutes les adaptations utiles. Nos compatriotes sont conscients des défis et attendent légitimement que nous prenions nos responsabilités. J’ai souhaité vous faire partager le résultat de quatre mois de travail approfondi. Je sais que la décision à prendre est difficile et courageuse. Faut-il pour autant l’éluder ? Les vacances parlementaires sont proches, c’est vrai, mais je suis sûr que chacun saura prendre ses responsabilités (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Marie-George Buffet - Moins d’un an après la promulgation de la loi de programme sur l’énergie, l’Assemblée est de nouveau appelée à discuter des orientations de la politique énergétique de la France. Au-delà des motivations internes à la majorité qui ont pu être à l’origine de cette initiative, nous voulons profiter de cette dernière pour contribuer à sortir notre pays de l’impasse dans laquelle le conduisent les choix libéraux.

Le programme du Conseil national de la Résistance appelait à un retour à la nation des sources d’énergie et des ressources du sous-sol. Dès la libération du joug nazi, la France conquit son indépendance énergétique en construisant des services publics porteurs de développement économique, de progrès social et de coopération internationale.

M. le Président de la commission – Il y a soixante ans ! Les temps ont changé !

Mme Marie-George Buffet – C’est vrai, les temps ont changé. À entendre M. Breton, on perçoit combien l’ambition pour la France n’est plus la même : vous préférez brader ces services publics aux dogmes libéraux contre l'intérêt général dans la logique du tout marchand que portent aujourd’hui l'Union européenne et l'OMC. Alors que la question énergétique constitue aujourd'hui un véritable enjeu de civilisation, vous jouez petit, vous jouez profit !

M. Éric Raoult - Oh !

Mme Marie-George Buffet – Dans votre intervention, Monsieur le Ministre, vous n’avez cessé d’expliquer que la taille de GDF rendait sa privatisation nécessaire. Pourquoi n’avoir pas plutôt construit un grand groupe public de l’énergie avec EDF et GDF qui permette des coopérations avec des grands groupes privés ? Vous avez préférer alimenter la course aux OPA et menacer l’avenir de GDF, d’EDF et celui de Suez. M. Paul reviendra sur ce point.

Une telle inconséquence, si elle répond peut-être aux prescriptions de la Commission européenne, n'en reste pas moins une ineptie politique. En effet, les choix énergétiques relèvent de l'intérêt général, donc des peuples et de leurs représentations. L'énergie, c'est d'abord un droit pour chaque individu, un droit de se chauffer, de s'éclairer, de se déplacer. Il figure d'ailleurs dans le préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie intégrante de notre bloc constitutionnel, à l’article 10 : « la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».

Or ce droit n'est pas assuré pour tous en France. Des salariés d'EDF, les « Robin des bois », sont aujourd'hui obligés de pallier les carences de l'action publique en rétablissant le courant aux familles les plus démunies de notre pays. La privatisation d'EDF a entraîné des hausses de tarifs de 48 % dans le secteur dérégulé pour les entreprises.

M. le Président de la commission – EDF n’est pas privatisée !

Mme Marie-George Buffet – Si le Gouvernement accepte la libéralisation totale des marchés d'ici à juillet 2007, les familles subiront bientôt le même sort.

L'énergie, c'est aussi le droit au développement. 2,6 milliards de personnes sont aujourd'hui privées d'un accès à l'énergie dans le monde et les ressources énergétiques sont sources de conflits. Devant l'épuisement progressif des ressources fossiles et le réchauffement climatique, les tenants de l'ordre établi sont incapables d'apporter une réponse collective.

Parce que toute la société est concernée par la question énergétique, les députés communistes proposent de faire reposer la politique énergétique sur des choix démocratiques et de revenir à une maîtrise publique totale de ce secteur. Nous proposons la création d'une véritable Europe de l'énergie…

M. Jean Dionis du Séjour - Très bien ! C’est le chemin de Damas !

Mme Marie-George Buffet - …reposant sur le respect de l'indépendance énergétique des États membres, sur la coopération et les échanges, et un fort engagement à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Pour ce faire, une remise à plat de l'esprit de la construction européenne est nécessaire…

M. Jean Dionis du Séjour – Ça se gâte !

Mme Marie-George Buffet - Il faut imposer d’autres logiques politiques, solidaires et humanistes.

Dans ce cadre, outre la renationalisation d’EDF et GDF, nous souhaitons la création d'un véritable pôle public de l'énergie, regroupant tous les acteurs de la filière, qui aurait pour mission de mener la politique énergétique décidée au Parlement et d'influencer les choix économiques. Celui-ci serait chapeauté par une Haute autorité – composée d'élus de la nation, de représentants de l'État, des salariés et des usagers -, qui aurait la charge de veiller au respect de la transparence et du caractère démocratique des décisions. Ce pôle pourrait être en partie financé par un prélèvement opéré sur les profits exorbitants réalisés par Total : plus de 21 milliards d'euros pour les années 2004 et 2005 ! Les opérations d'acquisitions externes d'EDF ont été sources de gâchis. Un véritable service public, émancipé des logiques financières, aurait donc pleine capacité à investir dans la recherche tout en maintenant un coût d'accès à l'énergie acceptable.

Ce pôle cherchera à satisfaire les besoins énergétiques dans le respect de l’environnement, notamment en développant des énergies propres, durables et renouvelables. Il est urgent de repenser notre conception du développement économique : on ne peut discourir sur le développement durable et cautionner le capitalisme, système économique à l'origine de la destruction progressive de l'environnement. Il en va de l'avenir de la Terre et des générations futures.

La fonction de ce pôle public de l'énergie sera donc essentielle. En matière d'aménagement du territoire, il pourra préconiser une nouvelle politique d’urbanisme dans laquelle les espaces d’habitation seraient plus proches des centres-villes afin d’éviter le recours excessif à la voiture. Il aurait également pour tâche d'orienter et de financer la recherche sur les futures énergies.

Le projet ITER est d’un intérêt considérable mais ne donnera pas des résultats avant des décennies. Pour satisfaire nos besoins, tous les projets d'investissement dignes d'intérêt doivent être soutenus, notamment pour améliorer les performances des énergies renouvelables – biomasse, méthanisation, production d'hydrogène – ainsi que les recherches sur les centrales de quatrième génération et la gestion des déchets, question qui inquiète légitimement les Français. Pour satisfaire les besoins en énergie, nous soutenons également la construction d'un réacteur de type EPR à Flamanville dont la maîtrise devra être totalement publique pour garantir la sûreté des installations. Enfin, il faudra s'engager de façon déterminée dans la diversification des sources d’énergie en promouvant les énergies renouvelables, notamment solaire et éolienne. De la même façon, nous attendons un réel engagement des pouvoirs publics en faveur du ferroutage et du transport fluvial, ce qui suppose la préservation d’un grand service public du transport. Par ailleurs, il faut investir davantage dans la recherche sur le charbon propre en privilégiant les coopérations avec les pays qui fondent aujourd’hui leur développement sur cette ressource. Toutes les énergies propres seront utiles pour compenser l'épuisement des ressources pétrolières et préserver l'indépendance énergétique.

Les conditions de vie des générations futures, l'avenir de la France et de la planète dépendent des choix énergétiques. Rien ne serait plus grave que de les laisser dominer par les logiques du marché. Après ce débat, que va-t-il se passer ? Allez-vous chercher à faire passer en force une loi sur la privatisation de GDF en juillet ou opterez vous pour le statu quo ? Nous vous proposons plutôt l’ouverture d’un grand débat populaire sur la politique énergétique de la France débouchant sur un véritable acte souverain, l'organisation d'un référendum. L'énergie n'est pas une question réservée aux spécialistes, encore moins aux affairistes, elle est propriété des habitants de la planète ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Serge Poignant – Ce débat sur l'énergie au Parlement, souhaité par le Premier ministre, est organisé alors que l’on évoque une éventuelle fusion entre GDF et Suez et que le secteur de l’énergie sera complètement ouvert à la concurrence au plan européen le 1er juillet 2007.

Pour commencer, je veux dresser un rapide bilan de l'action du Gouvernement depuis 2002. De 1997 à 2002, le gouvernement Jospin a fait preuve d’un immobilisme complet.

M. le Président de la commission – Très bien !

M. Daniel Paul - N’importe quoi !

M. Serge Poignant – La France n’a pas respecté les engagements qu’elles avait pris au Conseil européen de Barcelone en mars 2002. Ainsi, le Gouvernement Raffarin a-t-il dû déposer en urgence en octobre 2002 un projet de loi de transposition de la directive gaz suite au lancement de procédures contentieuses, loi promulguée le 3 janvier 2003. Puis la loi du 9 août 2004 a donné les moyens juridiques et financiers à EDF et GDF d'évoluer dans le nouveau contexte de l'ouverture à la concurrence des marchés européens de l'électricité et du gaz. Contestée par l'opposition, la transformation de ces entreprises en sociétés anonymes était nécessaire et souhaitée par plusieurs responsables socialistes avant 2002.

Parallèlement, une large réflexion sur l'avenir de la politique énergétique de la France a été engagée avec le lancement d’un grand débat national sur les énergies début 2003 souhaité par le Président de la République. Celui-ci a fait l’objet d’une synthèse à partir de laquelle un livre blanc sur les énergies a été présenté en novembre 2003 par Mme Fontaine, alors ministre de l'Industrie. Ensuite, le Gouvernement a fait une déclaration en avril 2004, suivie d’un débat.

Une loi fixant les orientations de la politique énergétique française a marqué en juillet 2005 l’aboutissement de ce long et, je pense pouvoir le dire, exemplaire processus démocratique. J’ai eu l’honneur de la rapporter.

J’étais conscient qu’il s’agissait d’une première, les orientations de la politique énergétique n’ayant jamais auparavant été fixées par le Parlement. Quatre objectifs ont été définis : la sécurité d’approvisionnement, la protection de l’environnement, la compétitivité des prix et la garantie de l’accès de tous les Français à l’énergie.

Pour atteindre ces objectifs, il fallait d’abord maîtriser la demande. Des mesures d’économie d’énergie ont été instaurées, mais il faudra aller beaucoup plus loin dans le changement des comportements, avec une législation plus incitative, mais aussi plus contraignante. Le rapport présenté par Nathalie Kosciusko-Morizet à la suite de la mission d'information présidée par Jean Yves Le Déaut nous a tous convaincus qu'il y a urgence à mener une politique drastique – qui dépasse les engagements pris à Kyoto – en matière d’effet de serre et de changement climatique. Des propositions sont d’ailleurs avancées, tant sur le plan français qu’européen ou mondial. Nous avons donc eu raison de nous orienter vers la diversification de notre bouquet énergétique et le recours aux énergies renouvelables pour réduire l'utilisation des énergies fossiles. Dans le domaine des transports, l'objectif annoncé par le Premier Ministre en matière de biocarburants dépasse celui de Kyoto. Je prépare actuellement avec Antoine Herth un rapport d'information sur l'avancement de cette politique. Pour ce qui concerne la consommation dans les autres secteurs, priorité me semble devoir être donnée à l'habitat et au tertiaire, qui sont très consommateurs d’énergie.

Nous avons également eu raison, dans la loi d’orientation, de maintenir ouverte l'option nucléaire et d'affirmer la nécessité de la construction de l'EPR. Depuis, plusieurs collègues ont travaillé ardemment sur deux projets de loi, qui concernent l'un la transparence et la sécurité en matière nucléaire – il a été définitivement adopté en deuxième lecture au Sénat le 1er juin – et l'autre la gestion durable des matières et déchets nucléaires – qui sera examiné ici en deuxième lecture cette semaine même. Pour la première fois, le secteur nucléaire se verra ainsi doté d'un cadre législatif incluant l'aval du cycle et confortant la sûreté, grâce à la création d'une autorité indépendante. Enfin, n'oublions pas la nécessité d'une recherche performante, privée et publique, tant en matière de fusion nucléaire – et nous nous félicitons du choix de Cadarache pour le projet ITER – que de stockage de l'électricité, de séquestration du carbone ou encore de développement de la technologie hydrogène ou des carburants de synthèse.

Ce sont donc de nombreux députés qui ont contribué à la richesse de la réflexion sur ce sujet, appartenant aux commissions des affaires économiques, des finances, ou des affaires étrangères, à la délégation aux affaires européennes ou à l’office des choix scientifiques, mais il faut maintenant aborder les questions de GDF et de Suez et de l’ouverture complète des marchés. J'entends vos arguments, Monsieur le ministre, comme j'entends les questions des membres de mon groupe.

Plusieurs députés socialistes – Ah ?

M. Serge Poignant - Vous dites que le monde de l'énergie change rapidement et que nous devons relever un triple défi : la quasi disparition des surcapacités de production d'hydrocarbures, qui a conduit à une forte hausse des prix, le renforcement de l'enjeu géostratégique de l'approvisionnement en gaz en Europe et le mouvement considérable de consolidation des acteurs européens de l'énergie. J’ajoute que, comme vous l’avez rappelé, la population planétaire va passer de 6 à 9 milliards en quelques décennies et que les pays en voie de développement sont extrêmement demandeurs d’énergie. Ce sont les velléités d’ENEL quant à Suez qui vous ont conduit à engager une concertation, tant avec les acteurs directement concernés qu’avec le conseil supérieur de l’électricité et du gaz, avant de venir devant le Parlement – mais vous concèderez que c’est un peu tardivement dans la session.

Alors oui, la réflexion doit se situer dans le prolongement des objectifs de la loi d’orientation de 2005 comme dans celui de la loi d'août 2004 qui a mis EDF et GDF en mesure de saisir les opportunités offertes par l'évolution des marchés en Europe, en les dotant d'un statut adapté et en assurant la pérennité de leur régime de retraites. Oui, nous devons considérer la capacité de négociation que pourrait avoir ce groupe. Oui, nous devons nous poser la question de l'avenir de GDF si elle devait rester seule après une OPA d'ENEL sur Suez, de la délégation de service public dans le domaine de l'eau dans le cas de n’importe quelle OPA sur Suez, du devenir des 80 000 emplois français de Suez. Mais si tous mes collègues sont convaincus de l'enjeu, tous ne sont pas convaincus par la solution qui leur est proposée. Alors, Monsieur le ministre, vous devrez faire preuve d’une pédagogie constante et d’une grande écoute, car ils vous poseront beaucoup de questions.

Je rappelle les deux objectifs de votre avant-projet de loi : privatisation de GDF, pour permettre sa fusion avec Suez – donc organisation du contrôle public et des missions de service public de la nouvelle entité – et adaptation du droit français à l’ouverture complète à la concurrence au 1er juillet 2007. Ces deux questions pourraient n'apparaître que peu liées si le Conseil d'Etat n’avait pas estimé que la constitutionnalité de la privatisation de GDF était conditionnée par la transposition de la directive gazière et si l'ensemble de nos collègues ne s’interrogeaient pas sur la question des tarifs de l’énergie. Outre le projet industriel, il faut en effet également considérer la situation des consommateurs, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises. Vous allez me répondre que le projet industriel améliore la protection des consommateurs en accroissant la sécurité d'approvisionnement et en permettant l'obtention de prix concurrentiels, mais le 1er juillet 2007 c'est demain ! Je sais que vous êtes attaché au maintien des tarifs : pouvez-vous confirmer votre volonté de l’inscrire dans la loi, y compris pour les nouveaux consommateurs professionnels, et d’instaurer un tarif social pour le gaz comme cela a été fait pour l'électricité ?

De façon générale, nous devons traiter de la spécificité française concernant les prix de l'électricité : comment expliquer en effet qu'avec 80 % de nucléaire et en rejetant beaucoup moins de gaz carbonique que d'autres pays dans l'atmosphère, nous atteignions les prix actuels ?

M. François Brottes - Le ministre a dit que c’était à cause des prix du pétrole !

M. Serge Poignant - Comment expliquer aux PME-PMI qui ont vu le coût de leur énergie augmenter de plus de 60 % qu'elles ne peuvent revenir au tarif après avoir fait jouer leur éligibilité ? Il faut réfléchir à un tarif de retour spécifique pour ces cas (M. le Président de la commission - « Très bien ! ») – et je le dis en toute connaissance des besoins en investissements d'un opérateur comme EDF.

Si le projet de loi devait être déposé, la grande majorité du groupe demanderait que plus du tiers des actions demeurent détenues par l'Etat avec des golden share, c'est-à-dire des actions spécifiques qui lui garantissent le rôle auquel sont attachés les parlementaires. D'aucuns pensent toutefois qu’il faut se donner du temps pour explorer toutes les pistes et peut-être trouver des solutions négociées. Tous vont s'exprimer, et vous voyez que je me suis fait le porte-parole de chacun d‘eux.

M. François Brottes - Cela tien plus du résumé que de la synthèse !

M. Serge Poignant - Merci d'avoir organisé ce débat sur un enjeu si important. Je souhaite, dans l'intérêt de la France, de ses entreprises, de ses emplois et de ses consommateurs, que vous trouviez la solution la plus efficace (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. François Brottes – Ce n'est pas la première fois que cette majorité nous invite à débattre de la question de l'énergie. Plus on débat, plus les prix montent, d’ailleurs, et plus les entreprises publiques sont bradées. C'est comme si le fait d'en parler avec solennité vous dédouanait de vos mauvaises actions. Le rituel se déroule souvent selon le même scénario : une provocation suivie d’un débat – sans véritable concertation, puis d’un 49-3 et d’une grève ...et advienne que pourra !

M. Éric Raoult - Et d’une obstruction.

M. François Brottes - Chaque fois, on réécrit l'histoire du CPE qui succède au CNE ou celle de l’engagement pris par Nicolas Sarkozy de ne pas privatiser, engagement trahi avec délectation par Dominique de Villepin – mais M. Sarkozy étant complice… Allez comprendre !

Quel est donc le bilan énergétique de ce gouvernement ? Sûrement beaucoup d'énergie perdue, ce qui n'est pas bon pour l'effet de serre. Il y a eu quatre lois sur l'énergie. La première était la loi d'orientation, pour faire semblant d'avoir une stratégie : celle du fameux « bouquet énergétique » qui n’a qu'une seule fleur, le nucléaire... Mais rien sur les économies d’énergie dans l'habitat ou dans les transports en commun : simplement des crédits en moins et du biocarburant à dose homéopathique. Là-dessus comme sur le reste, nous n'avons pas les mêmes ambitions. Cette loi visait surtout à faire passer le pilule de la suivante, celle sur l'amorce de privatisation d'EDF et de GDF, marquée par le cynisme de Nicolas Sarkozy qui peut s'engager sur tout et son contraire. Pourquoi, Monsieur Breton, votre émotion n’a-t-elle pas transpiré à l’époque ? M. Sarkozy n’avait-il pas alors la capacité d’analyse et la perspicacité que vous avez montrées tout à l’heure ? La troisième loi a dû corriger dans la loi de finances les effets catastrophiques de l'ouverture du marché en bricolant un dispositif de groupement d'achat, véritable usine à gaz pour les industriels « électro-intensifs » asphyxiés par l'évolution des prix. La quatrième doit venir pour rattraper l'occasion perdue de la première en matière de transposition des directives européennes, concernant notamment la question cruciale, c’est vrai, des tarifs réglementés, et pour trahir votre engagement de 2004 sur la privatisation de Gaz de France.

Pendant ce temps, les entreprises et les ménages font la connaissance des effets du démantèlement : double facturation – bravo la simplification ! – course aux dividendes – le président de GDF en veut toujours plus : Monsieur le ministre, si vous avez pu bloquer les prix, c’est parce que vous êtes toujours majoritaire dans le capital ! – et prix du marché qui n'a plus grand-chose a voir avec les coûts. Pendant ce temps les entreprises découvrent le bonheur d'être éligibles à la liberté des prix, un bonheur auquel Mme Fontaine, alors ministre de l'industrie, tenait, puisqu’elle se réjouissait d’avoir obtenu le droit de rendre éligibles à l'augmentation des tarifs l'ensemble des ménages à partir du 1er juillet 2007 ! Si vous arrêtiez de vouloir faire le bonheur des Français malgré eux…

À force de considérer que les lois du marché vont tout régler, sans régulation propre à préserver la péréquation des tarifs et à garantir la sécurité des installations et la qualité du service plutôt que le cours de l'action, c'est le pouvoir d'achat des familles qui est affecté ; avec vos choix, souvent idéologiques, parfois improvisés, ce sont les entreprises qui voient les charges de l'énergie dépasser le poste des salaires.

Cette situation est extrêmement grave et nous avons tous en tête, sur tous les bancs, des exemples significatifs. Je pense à notre collègue de l’UMP, qui, dans sa question écrite n° 79430, alerte le Gouvernement sur l’augmentation de plus de 450 000 euros par an de la facture d’électricité de l’hôpital de Besançon, suite à l’abandon du tarif régulé. Mais peut-être allez-vous lui répondre que la situation va s’améliorer une fois Gaz de France totalement privatisé ? Et n’est-il pas tout de même un peu paradoxal que je sois obligé de faire référence aux élus de l’UMP pour tenter de vous faire entendre raison ?

Du reste – et je parle sous le contrôle du président Ollier -, j’aurais tout aussi bien pu citer le patron d’Arcelor qui, pas plus tard qu’hier, en commission des affaires économiques, déclarait qu’il y avait beaucoup plus de fournisseurs en Allemagne qu’en France, mais que le prix du gaz y était encore plus élevé que chez nous…

M. le Ministre – Et pourtant, ce n’est pas privatisé !

M. François Brottes - Combien d’exemples devrai-je égrener pour tenter de vous convaincre que vous allez aggraver la situation ? Pouvez-vous ignorer que le pouvoir d’achat des ménages – en particulier des plus modestes – n’a cessé de se dégrader du fait du renchérissement des prix du pétrole et du gaz ? Las, les réponses du Gouvernement relèvent de la cécité ou de l’inconséquence. En témoigne votre refus obstiné de rétablir la TIPP flottante, au seul motif que ce mécanisme de compensation a été inventé par les socialistes.

Votre action est politiquement, juridiquement, industriellement, économiquement et socialement condamnable…

M. Hervé Novelli - Bigre ! Cela fait beaucoup.

M. François Brottes - Eh oui, mais est-ce notre faute si votre attitude demeure obstinément suicidaire en terme d’emploi et de politique économique ? Au demeurant, il existe des alternatives pour sauver le service public de l’énergie…

M. le Ministre – Dites-nous lesquelles.

M. François Brottes - Il convient notamment, plutôt que de s’en remettre aux seules lois du marché, de réguler les échanges au niveau communautaire…

M. le Ministre – Vous rêvez !

M. François Brottes - Et de favoriser les interconnections entre partenaires européens.

M. le Ministre – Ce n’est pas en votant non au référendum du 29 mai que l’on a aidé à ces rapprochements !

M. François Brottes - Il faut avoir le courage de remettre en cause le modèle de régulation ultralibéral qui reste en vigueur faute de volonté politique. L’électricité ou le gaz ne sont pas des biens ordinaires, dont l’on dispose facilement. Pourtant, la France est forte d’un bon réseau, que même les pays les plus libéraux lui envient. Les Californiens connaissent bien les effets d’une dérégulation débridée…

M. Hervé Novelli - Allons, ils ne s’éclairent tout de même pas à la bougie !

M. François Brottes - Et la France peut continuer à se distinguer par l’efficacité de son service public de l’énergie. Renoncez à prendre part au concours de bêtise consistant à savoir qui sera le plus libéral… (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - C’est petit !

M. le Ministre – Vous nous avez habitués à mieux !

M. François Brottes – Cessez de vouloir faire croire au mirage selon lequel l’ouverture à la concurrence fait baisser les prix. Aux termes des rapports les plus récents, il ressort que nos importations de gaz sont acquises auprès de fournisseurs – tels que la Russie ou la Norvège – à un prix dépendant pour l’essentiel du cours du baril de pétrole. L’ouverture à la concurrence ne peut donc en aucun cas l’affecter. Pour un consommateur domestique, 92 % des coûts hors taxes sont indépendants de l’ouverture à la concurrence du marché : vos arguments pour démanteler EDF et Gaz de France ne sont donc que gesticulations idéologiques.

M. le Ministre – C’est « le monde selon Brottes » !

M. François Brottes - Nous combattons votre projet parce qu’il est aussi politiquement condamnable. En effet, la politique ne sort pas grandie lorsque le Gouvernement renie ses engagements publics les plus formels au moindre bruissement de la Corbeille. Le 22 février dernier, l’annonce du président d’Enel, Fulvio Conti, selon laquelle son groupe n’excluait pas de lancer une OPA sur Suez, vous a fourni une occasion rêvée, puisque, trois jours plus tard, le Premier ministre en personne annonçait que le Gouvernement avait décidé de fusionner Gaz de France et Suez. Improvisation, opportunisme, mensonge délibéré devant l’opinion ? Seule la commission d’enquête sur les conditions de cette annonce que nous avons demandée permettrait d’y voir clair.

M. Jean-Marc Ayrault - Elle nous a été refusée !

M. François Brottes - Cela permet, en tout cas, de se faire une idée précise du poids de la parole de Nicolas Sarkozy, lequel déclarait ici-même il y a tout juste deux ans : « Je l’affirme parce que c’est un engagement du Gouvernement : EDF et Gaz de France ne seront pas privatisées ; le Président de la République l’a rappelé solennellement lors du Conseil des ministres . » Si le Président de la République l’a dit et que Nicolas Sarkozy l’a fait, c’est du solide ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Marc Ayrault - Un ange passe !

M. François Brottes - Cette décision politique d'une « fusion absorption » de Gaz de France, nullement imposée par une quelconque directive, est condamnable parce que, au nom du patriotisme économique, vous décidez de la disparition d'une entreprise publique – Gaz de France – pour en fragiliser une seconde : EDF. Ce jeu de domino vous tient lieu de politique industrielle, au risque de remettre en cause la pérennité du service public de l'énergie et notre indépendance énergétique. Notre sécurité d'approvisionnement repose en effet sur la capacité de la puissance publique à l'assurer en négociant avec des vendeurs monopolistiques. Or, dans ce cadre, on ne voit pas ce que l'absence d'investissement de Suez dans l'amont gazier peut apporter en matière de sécurité d'approvisionnement.

Au plan économique, votre projet est tout aussi condamnable. Votre parti pris de privatisation des opérateurs historiques et d'ouverture des marchés énergétiques est en complet décalage avec les nombreux dysfonctionnements du marché que constatent les observateurs et la Commission européenne elle-même. On peut aussi s'interroger sur le silence de l'Agence des participations de l'État au regard de ce projet…

M. le Ministre – C’est trop tôt. Vous allez trop vite.

M. François Brottes - Cette agence a pourtant pour mission d'incarner la fonction d'actionnaire de l'État, Gaz de France et EDF faisant explicitement partie de son champ de compétence. Cette fonction est censée être assurée en toute transparence vis-à-vis de l'ensemble des ministères, du Parlement et des citoyens.

Plus grave, la fusion entraînera la constitution d'un groupe concurrent direct d'EDF. Le projet fragiliserait ainsi le seul opérateur de l'énergie qui, pour le moment, demeure public.

Juridiquement, votre projet est également inacceptable : dans son avis du 11 mai 2006, le Conseil d’État a considéré que certaines missions confiées au seul opérateur Gaz de France sont de nature à maintenir à cette entreprise le caractère d'un service public national, ainsi que l'a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 5 août 2004. Il s'agit notamment du monopole de la fourniture de gaz aux clients non éligibles. Dés lors, pour mettre fin à la participation majoritaire de l'Etat dans le capital de Gaz de France, le Gouvernement doit déposer un projet de loi, afin d'ouvrir à la concurrence l'activité de fourniture de gaz aux clients non éligibles – au plus tard au 1er juillet 2007 – et de préciser les obligations de service public s'imposant à tous les opérateurs gaziers au titre de la péréquation des coûts de distribution.

Il est parfaitement inadmissible d'ouvrir totalement le marché alors que le préalable posé à Barcelone par Lionel Jospin - soit l'adoption une directive cadre sur les services d'intérêt général - n'est toujours pas rempli. Cet acquis majeur du sommet de Barcelone, vous omettez systématiquement de le rappeler, et, surtout, vous n'avez en rien essayé de le faire respecter. Les « avantages considérables qui peuvent découler du marché intérieur en termes de gains d'efficacité, de baisses de prix, d'amélioration de la qualité du service et d'accroissement de la compétitivité » – tels quels les annoncent les préambules les deux directives adoptées en 2003 – n'étant à ce jour pas démontrés, il est à nos yeux pleinement justifié d'exiger l'abandon du rendez-vous de 2007.

Votre projet est industriellement inacceptable.

Depuis 2002, vous avez adopté trois lois sur l'énergie et libéralisé ses marchés. La menace d'une OPA hostile, réelle ou supposée, vous aura permis de sacrifier Gaz de France à la construction d'un acteur énergétique important sur le Benelux, sans aucune réflexion stratégique sur l'impact pour l'ensemble de nos entreprises. Mais l'urgence est-elle toujours de mise quatre mois après ? Le prétexte semble de moins en moins convaincant. Enel paraît revenue à des intentions plus pacifiques et constructives. La mise en place par le conseil d'administration de Suez, le 5 mai 2006, de bons de souscription d'action – présentée par le ministre de l'économie et des finances comme une arme anti-OPA hostile – ne serait-elle pas suffisante pour écarter définitivement ce risque ?

Au surplus, votre projet est socialement inacceptable pour les personnels, puisqu’il apparaît qu'aucune information préalable à la décision du Premier ministre n’a été fournie aux partenaires sociaux et que les représentants des personnels n'ont pas été consultés. S'agissant d'un projet d'une telle envergure, qui implique la remise en cause d'un engagement solennel du Gouvernement, la privatisation d'un opérateur central d'un secteur jugé stratégique et la redéfinition du statut de ses personnels, ce refus d'information des parties prenantes est particulièrement préoccupant. Votre sens de l'approximation dans les réponses apportées est tout aussi préoccupant. Par exemple, lorsque vous répondez à la question n° 7 « que la situation d'EDF est très différente de celle de Gaz de France, car EDF est notamment en charge du transport de l'électricité dans le cadre d'un monopole national », vous faite l'impasse sur le fait qu'il s'agit de RTE, entité dont les directives vous imposent de renforcer l'indépendance.

La recherche classique de réduction des charges et d'optimisation de ce nouveau groupe, sous la pression de ses actionnaires majoritaires, risque d'être fatale à la qualité du service, et elle entraînera la suppression de nombreux emplois, comme l'a hélas déjà démontré le rachat de la SNET par Endesa. Par ailleurs, le nouvel opérateur Suez-Gaz de France affronterait EDF sur son marché domestique, avec, probablement, des conséquences sur l'emploi.

Socialement inacceptable, votre projet l’est aussi pour les usagers du service.

Comme l'a démontré la concomitance de l'annonce avec de nouvelles augmentations des tarifs du gaz, la privatisation de l'opérateur impliquerait d'évidence une plus grande difficulté pour l'État à imposer une modération volontaire des tarifs et le maintien d'une péréquation nationale. Gaz de France a d'ailleurs annoncé qu'il visait, pour l'année en cours, un bénéfice supérieur à 2 milliards d'euros, grâce, je cite, « à une hausse des tarifs du gaz reflétant les coûts ». Rompant avec le silence du Gouvernement, l'actuel PDG de Suez a du reste déclaré le mois dernier qu'il aurait été aux côtés des actionnaires de Gaz de France - autres que l'État -pour exiger une hausse plus importante lors des précédentes négociations. Cela n'augure rien de bon pour le consommateur ! Vous avez d’ailleurs préféré reporter la prochaine révision tarifaire après les échéances électorales de 2007. En réalité vous vous apprêtez à créer, sur le marché du gaz, le même désordre que celui qui affecte déjà l'électricité.

Pour les industriels qui ont fait le choix du marché – soit environ 30 % des entreprises –, le coût de la facture d'électricité a déjà fortement augmenté. Certains gros consommateurs – comme les hôpitaux ou, dans ma circonscription, cette papeterie dont la facture énergétique représente désormais 15 % des charges fixes au lieu de 7 % il y a quelques mois –, se trouvent aujourd'hui dans des situations financières critiques. Pour ceux qui sont restés au tarif régulé, les menaces s'accumulent. L'ouverture totale du marché à la concurrence au 1er juillet 2007 provoquera inévitablement une augmentation importante des prix, les tarifs régulés venant s'aligner sur les prix du marché (Murmures sur les bancs du groupe UMP).

Cet alignement du prix de l'électricité sur les cours du marché mondial revient à priver les entreprises et les particuliers du bénéfice des choix stratégiques faits par la France depuis quarante ans. Le développement du parc nucléaire a notamment été justifié par une volonté d'assurer l'indépendance énergétique et une électricité à bas coût et il permet aujourd'hui de respecter notre engagement en faveur du protocole de Kyoto. Las, cet avantage comparatif pour les entreprises françaises risque de disparaître après le 1er juillet 2007.

Certes, les industriels à forte consommation peuvent s’organiser en groupement d’achat. Mais les conditions d’adhésion au groupement ne bénéficient qu’à certains sites, créant ainsi des risques de distorsion de concurrence, voire de pratique discriminatoire. En toute hypothèse, l’existence du consortium n’atténuera que partiellement les conséquences de la volatilité des prix sur le marché mondial, sans effet sur les risques de délocalisation, notamment pour les secteurs de la sidérurgie ou de la papeterie.

Pour les familles, la décision d’ouverture du marché de l’électricité aura également une incidence. Le contrat de service public signé le 24 octobre 2005 prévoit une hausse des tarifs correspondant à l’inflation, alors que les contrats précédents organisaient une baisse tendancielle : et vous essayez de nous vendre cela comme une avancée !

Il est indispensable, avant le rendez-vous du 1er juillet 2007, que la représentation nationale soit informée sur les conditions de formation des prix sur le marché de l’électricité, sur leurs conséquences et sur les mécanismes de régulation à mettre en place. C’est pour ces raisons, et parce que vous ne voulez pas demander d’étude d’impact à la Commission, que le groupe socialiste vient de déposer une proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête.

La fusion augmentera la concentration du marché de détail de l’électricité mais soutiendra aussi l’apparition d’un concurrent plus fort face à EDF. Est-il opportun de mettre en concurrence frontale deux opérateurs publics, habitués à collaborer ? Un duopole est-il plus favorable aux consommateurs qu’un monopole ? Est-ce le moment de déstabiliser EDF alors qu’il s’apprête à investir de manière massive dans le nucléaire, qu’il doit faire face à de lourdes charges et se développer en Europe ? Des alternatives existent pour garantir aux usagers la pérennité d’un véritable service public de l’énergie.

Contrairement à ce que vous affirmez, votre approche et la nôtre sont différentes. Rappelons quelques vérités : la première directive ouvrant le marché de l’électricité date

De 1996 et a été validée par le gouvernement Juppé. Le Conseil européen de Barcelone des 15 et 16 mars 2002 nous a invités à adopter dès que possible les propositions concernant la phase finale d’ouverture des marchés énergétiques, qui portaient entre autres sur le libre choix du fournisseur pour tous les consommateurs européens autres que les ménages. Le gouvernement de Lionel Jospin a donné son accord, fort de ce que l’Union avait pris en compte le obligations de services publics, la sécurité d’approvisionnement et la mise en place d’organismes de régulation et de ce que le Conseil européen avait demandé à la Commission de préciser, dans une proposition de directive-cadre, les principes relatifs aux services d’intérêt général.

Mais le 25 novembre 2002 ; au Conseil des ministres de l’énergie, le Gouvernement Raffarin a entériné – avec zèle – la libéralisation intégrale des marchés du gaz et de l’électricité pour les ménages et la fin du monopole d’EDF, à compter du 1er juillet 2007, ce que nous avions toujours refusé. Au Parlement européen, les députés UMP et UDF ont confirmé ce choix et soutenu la libéralisation.

L’énergie est l’un des défis les plus importants du XXIème siècle. Les craintes sur la fin du pétrole sont justifiées, les inquiétudes plus ou moins rationnelles sur le nucléaire prospèrent, l’augmentation des prix de l’énergie handicape nos économies et l’environnement est devenu un sujet majeur de préoccupation. Or, la recherche de nouvelles énergies requiert un volontarisme fort et des investissements qu’aucun État membre ne peut mobiliser individuellement : ce sont donc des questions d’intérêt européen.

On ne peut faire confiance aux seules lois du marché. Les Etats-Unis et d’autres en reviennent : ne faisons pas le chemin à l’envers. Le libre jeu des marchés de l’électricité et du gaz est en effet insuffisant pour assurer les investissements nécessaires.

Nous sommes même persuadés que la recherche de dividendes à tout prix pour les actionnaires ira à l’encontre des investissements pourtant nécessaires.

Au contraire, l’Union européenne doit jouer pleinement son rôle. Comment expliquer aux ménages, mais aussi aux PMI électro-intensives, qui ont financé des centrales nucléaires pour payer l’électricité moins cher à terme, que les prix sont désormais alignés sur ceux du marché européen, sur la base de l’énergie la plus coûteuse à produire et la plus polluante ?

La Commission européenne ne peut se contenter de mettre en demeure dix-sept États membres aux prétexte que leurs tarifs inférieurs constitueraient des obstacles à la concurrence et à la création du marché unique. 2007 ne doit pas être une échéance incontournable : demandons l’étude d’impact et dotons avant tout l’Union de solides compétences en matière énergétique. Le marché unique de l’énergie ne peut être fondé seulement sur des principes de concurrence, mais doit répondre à d’autres objectifs concernant la qualité du service, les prix et la sécurité d’approvisionnement. A terme, il repose sur une régulation à l’échelle du marché européen.

M. Pierre Lellouche - Il a raison !

M. François Brottes - Sur un marché unique ainsi constitué, nous sommes persuadés de la pertinence d’un grand pôle public énergétique qui associerait EDF et GDF. Les questions posées par le respect des règles de la concurrence sont largement ouvertes. Aucun argument n’a permis d’affirmer que le droit communautaire s’opposerait à la fusion EDF-GDF, pas plus, d’ailleurs, que l’Europe n’a imposé de changer le statut des entreprises publiques, encore moins de les privatiser : il s’agit là du seul choix de votre majorité ! Le rapport Roussely-Gadonneix concluait en 2004 que la fusion pouvait être possible au regard de la réglementation européenne et de la jurisprudence de la Commission sur les concentrations. En outre, la plupart des objections à ce projet sont aujourd'hui largement relativisées par les tenants du projet de fusion GDF-Suez.

Le préambule de 1946, qui précise que « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national doit devenir la propriété de la collectivité » s’applique, comme l’a rappelé le Conseil Constitutionnel le 5 août 2004 : « en maintenant aux sociétés nouvellement créées les missions de service public antérieurement dévolues aux personnes morales de droit public EDF et GDF, le législateur a confirmé leur qualité de service public nationaux ; il a garanti, conformément au préambule de la Constitution, la participation majoritaire de l'Etat ou d'autres entités publiques dans le capital de ces sociétés ». Respectons au moins cette décision ! Une fois de plus vous allez brader une entreprise publique, bafouer les missions de service public, mais aussi trahir les principes et les valeurs de notre loi fondamentale.

Pour toutes ces raisons, et beaucoup d'autres, nous refusons la privatisation de GDF. L'urgence n'est pas de jouer au monopoly avec nos entreprises publiques de l'énergie !

M. François-Michel Gonnot - L’urgence est de ne rien faire !

M. François Brottes - L'urgence est de disposer d’une énergie accessible à tous et respectueuse de l'environnement. Les socialistes feront tout pour dénoncer votre funeste projet et pour empêcher qu’il soit mis en œuvre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) !

M. Jean Dionis du Séjour - Le Gouvernement a pris l'initiative d'organiser un débat sur la politique énergétique de la France. Pourquoi pas ? Au groupe UDF, il nous semblait pourtant avoir travaillé sur ce sujet lors de la loi d'orientation sur l'énergie de 2004. Même si le bras de fer entre la Russie et l'Ukraine en matière d'approvisionnement en gaz naturel a pu éclairer notre diagnostic de 2004, le contexte n’a pas réellement changé.

La vérité est que le Gouvernement organise ce débat pour prendre le pouls, la température du Parlement avant d’entrer dans le vif du sujet. Nous sommes face à un problème majeur de politique industrielle et de service global rendu aux usagers. Vous n'avez pas tort, Monsieur le ministre, de vous donner du temps. Mais nous espérons que ce débat ne relève pas de l'alibi et de l'accompagnement psychologique de députés encore meurtris par l'expérience douloureuse du CPE.

Quelle est la position de l’UDF ? Au niveau mondial, le diagnostic est connu et partagé : épuisement prévisible des réserves, croissance mondiale élevée, de 5 % par an, combinée à une offre déclinante. Nous sommes entrés dans la période du pétrole et du gaz rares et très chers : il y a là, c'est vrai, les ingrédients d'un tsunami énergétique.

Le réchauffement climatique doit nous obséder en un siècle où la température de la Terre a augmenté de 0,6 ° C et celle de l'Europe de plus de 0,9 ° C. Agen a connu entre 1946 et aujourd’hui une hausse des températures de l’ordre de 2 ° C ! Ce contexte nouveau et brutal exige que nous changions notre quotidien.

Au niveau européen, il convient de saluer la qualité des travaux et des propositions. Le Conseil européen des 23 et 24 mars a inscrit la politique énergétique à son ordre du jour et s’est lancé, avec la Commission, dans l'élaboration de cette politique, en un processus qui inclut un livre vert et un livre blanc, tout à fait remarquable. Lisez ces documents ! L'Udf est dans son rôle d'avant-garde européenne lorsqu'elle rappelle les directions stratégiques que l'Union entend se donner. Permettez-moi donc de le faire.

Six domaines prioritaires ont été retenus : une énergie au service de la croissance et l'emploi en Europe ; un marché intérieur de l'énergie garantissant la sécurité d'approvisionnement ; sécurité et compétitivité de l'approvisionnement ; approche intégrée pour lutter contre le changement climatique ; encouragement de l’innovation ; politique extérieure cohérente en matière d'énergie.

Voilà des priorités capables de rassembler les peuples européens et de permettre de sortir par le haut de la crise larvée dans laquelle le « non » au référendum nous a plongés. Et tant que nous sommes au niveau européen, constatons les grandes tendances industrielles dans ce secteur d'activité : émergence d'énergéticiens offrant à leurs clients une offre complète ; concentration croissante sur des activités très capitalistiques ; européanisation des acteurs.

Lors de la discussion de la loi d’orientation sur l’énergie, l’UDF avait insisté sur un certain nombre d’enjeux qui restent valables. La santé humaine doit être un objectif de notre politique énergétique. Nous ne pouvons pas penser « énergie » sans penser « impact sur la santé humaine ».

M. le Président de la commission des affaires économiques – Bien sûr !

M. Jean Dionis du Séjour - Je rappelle que la responsabilité des gaz d’échappement automobile dans la survenue de certains cancers est aujourd’hui établie.

Nous devons d’autre part mettre en place une nouvelle gouvernance énergétique. En matière énergétique, l’action publique doit s’exercer à long terme. La France s’est engagée dans le cadre du protocole de Kyoto à l’horizon 2050 ; elle s’est aussi engagée à porter la part des énergies renouvelables à 21 % en 2010 et celle des biocarburants à 5,75 % en 2008. Posons-nous la question d’un grand penseur du Lot-et-Garonne, Francis Cabrel (Sourires): est-ce que ce monde est sérieux ? Avons-nous décidé d'être sérieux quand il s’agit de la parole de la France, d'être sérieux en matière énergétique et environnementale? Si oui, il nous faut une planification à long terme pour honorer nos engagements internationaux. Où est-elle? Il nous faut une articulation entre une telle planification à long terme et notre gestion budgétaire annuelle. Où est-elle? Il nous faut, enfin, un contrôle parlementaire sur le respect de la parole de la France en matière énergétique et environnementale. Où est-il ?

L'UDF propose un dispositif plus ambitieux : instaurons, à l’instar de ce qui a été fait pour la Sécurité sociale, une loi de financement de l'énergie, afin de donner au Parlement les moyens de maîtriser la production et la consommation d'énergie et d'engager un programme d'économies et de développement des énergies renouvelables.

Toujours en matière de gouvernance énergétique, le Groupe UDF défend l'exigence d'un véritable régulateur du secteur de l'énergie. Vos propos devant la commission des finances nous ont certes rassurés, Monsieur le Ministre de l’Industrie. Mais s’il doit y avoir projet de loi, nous déposerons à nouveau une série d'amendements renforçant les pouvoirs de contrôle et d'intervention de la Commission de régulation de l’énergie.

M. Charles de Courson - Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour - J'espère vous convaincre…

J’en viens à l'énergie nucléaire, domaine dans lequel l’UDF a fait entendre une voix différente. Nous avons longuement parlé de l’EPR ; nous considérons quant à nous qu’il aurait fallu commencer par calibrer la demande énergétique, en fixant un objectif ambitieux de réduction de l'intensité énergétique finale. Nous aurions alors pu débattre du « bouquet énergétique » voulu pour la nation et distribuer les rôles entre production électronucléaire, énergies fossiles et énergies renouvelables. Si nous avons approuvé la construction d'un démonstrateur EPR, qui servira de solution de remplacement d'ici à 2015, nous pensons qu’elle ne répond pas à la question de fond. Combien de centrales nucléaires devrons-nous reconstruire pour remplacer le parc actuel, et pour quelle puissance de production ? Il faudra bien répondre un jour à ces questions.

M. François-Michel Gonnot - Nous avons rendez-vous en 2020 !

M. Jean Dionis du Séjour - Tout en reconnaissant le rôle du nucléaire, nous sommes opposés à un renouvellement à l'identique de notre parc. Pour obtenir une réelle diversification du bouquet énergétique français, il faut se fixer une règle simple : la production d'électricité nucléaire doit être recentrée sur la satisfaction de la base de notre demande énergétique ; le gaz naturel et les énergies renouvelables doivent monter en puissance pour satisfaire les besoins exprimés en semi-base et en pointe.

Qu’en est-il de la place des énergies renouvelables ? Les mesures prises jusqu'à ce jour vont dans le bon sens, mais elles restent insuffisantes.

Parmi les énergies alternatives, je m’arrêterai sur un sujet cher à l'UDF, celui des biocarburants. Depuis de nombreuses années, avec mes collègues Charles de Courson et Stéphane Demilly, président du groupe parlementaire sur les biocarburants, nous nous battons pour que soit donné à cette filière tout le soutien dont elle a besoin. Les objectifs sont ambitieux, mais les actes ne suivent pas. Loi après loi, budget après budget, nous faisons des propositions très concrètes : après la TGAP sur les biocarburants, il s'agit maintenant d'aider les producteurs à être compétitifs, d'inciter les consommateurs à préférer les biocarburants. Il faut agir sur tous les maillons de la chaîne. Chaque année, nous proposons des mesures telles que l’extension des avantages fiscaux pour les véhicules flex-fuel ou celle de l'aide fiscale à l'incorporation de biocarburants.

J'ai également défendu, notamment dans le cadre de la loi d'orientation agricole, les huiles végétales pures. Je me suis beaucoup battu pour que cette filière soit reconnue comme un biocarburant à part entière en France, comme elle l’est par l'Union européenne. Pourquoi son utilisation est-elle restreinte aux seuls agriculteurs ? Je voudrais vous appeler à l’audace, Monsieur le ministre : les raisons invoquées ne sont pas valables. Les blocages sont toujours là. Nous avons donc demandé la constitution d’une commission d’enquête. En attendant, notre retard s'accumule : nous sommes désormais loin derrière l'Allemagne, les pays nordiques, le Brésil, les Etats-Unis.

Il faut enfin ériger les économies d'énergie dans secteur du logement ancien en priorité nationale. A cet égard, nous avons manqué une occasion récente. 400 000 logements sont réhabilités chaque année. Nous aurions dû prendre des mesures audacieuses.

M. Daniel Paul - Très juste !

M. Jean Dionis du Séjour - Il n’est pas encore trop tard.

J’en viens au cœur du débat, la fusion Suez-Gaz de France. Vous voulez prendre le pouls de la représentation nationale quant à ce projet de fusion. A l'UDF, nous sommes extrêmement prudents. Nous n'avons pas arrêté notre position, et nous prendrons le temps d'écouter tous les acteurs concernés et d'instruire tous les scénarios possibles. M. Prodi a insisté sur la nécessité d’avoir des règles de marché équilibrées, symétriques et ouvertes. Il est en voyage diplomatique et « énergétique » en France. Sur Suez-GDF plus qu'ailleurs, chi va piano, va sano. Ce débat est déjà un début.

L’annonce de ce projet depuis Matignon, en présence de M. Cirelli et de M. Mestrallet, n’était pas heureuse ; elle avait un petit parfum des années 1960.

M. le Président de la commission des affaires économiques – Qu’avez-vous contre les années 1960 ? C’était de Gaulle ! (Sourires)

M. Jean Dionis du Séjour – Mais nous sommes en 2006 : les temps ont changé !

Cette fusion doit être envisagée sans passion. Vous nous avez affirmé qu’elle répondait à une logique industrielle et permettrait la naissance du deuxième groupe mondial d'électricité et de gaz. C’est donc un choix possible pour la France, et, au-delà, pour l'Europe. Mais il faut aller au-delà de ce scénario idéal. Nous vous posons donc cinq questions.

Première question : peut-on laisser le patriotisme économique, concept sur lequel nous ne refusons pas de réfléchir, guider nos choix en matière de politique énergétique, voire économique ? Ce projet de fusion est en effet moins un choix stratégique qu'une «pilule anti-OPA» destinée à contrer l'offre d'ENEL sur Suez, et ainsi à rassurer les Français devant la mondialisation sauvage. Est-il vraiment positif d'agir en «réaction contre »? Réfléchissons à l’image que nous renvoyons à nos voisins européens. Le patriotisme ne doit pas être synonyme de défiance ou de rejet. Comment peut-on justifier que la France soit le premier pays européen à prendre des participations dans des entreprises européennes, tout en refusant ces procédés lorsqu'il s'agit de nos entreprises? M.Prodi a raison, la France doit mettre un peu de cohérence dans sa position.

M. Charles de Courson - Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour - Elle ne peut pas, dit-il, souhaiter avoir 20 % du marché italien d'électricité, et bloquer toute participation d'ENEL dans les marchés français.

M. le Ministre – On ne l’a pas fait : ENEL est présent en France.

M. Jean Dionis du Séjour – Mon collègue Charles-Amédée de Courson estime pour sa part que bâtir une politique industrielle sur le principe du patriotisme économique n’est pas sérieux, et que la meilleure façon de défendre les intérêts des salariés et des consommateurs français est désormais de créer des champions européens, comme nous l'avons fait avec Airbus.

Deuxième question : si cette fusion peut se justifier, n’était–il pas préférable d'opérer un rapprochement avec EDF, partenaire historique de GDF ? M. le ministre nous a assuré que ce scénario était une chimère.

M. le Ministre – Hélas !

M. Jean Dionis du Séjour - Les Allemands ont pourtant réussi le rapprochement entre Ruhr gas et EON. Certes, les temps ont changé et la Commission européenne nous imposerait des cessions d'actifs importantes. Mais avons-nous seulement étudié ce scénario ? Pourquoi n'a-t-il pas été présenté à la représentation nationale, alors qu’il présente d'importants avantages, y compris en ce qui concerne la maîtrise du capital d'EDF et des tarifs d'électricité ? L'UDF vous demande de mettre ce scénario à notre disposition.

M. le Ministre – Parlez-en à Bruxelles !

M. Jean Dionis du Séjour - Ouvrons au moins le débat ! Quitte à pratiquer le patriotisme économique, autant mener la logique à son terme. Quid, enfin, de l'esprit des deux entreprises ?

Troisième question, celle de la méthodologie. M. Sarkozy avait promis, en 2004, de maintenir à au moins 70 % la part de l'Etat dans le capital d’EDF et de GDF. Dans le projet qui s'annonce, on ne dépasse pas les 40 %, suffisants pour la minorité de blocage. Quel est votre calendrier pour lever ce blocage législatif ?

Quatrième question : est-on certain que l’opération envisagée, qui entraînera une modification des actifs et des compétences de GDF, respecte bien le préambule de la Constitution de 1946 aux termes duquel « tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité » ?

Cinquième question : quelle est la position de la Commission européenne sur cette fusion ? On sait combien elle est pointilleuse dès lors qu’il s’agit de concurrence. Quelles contreparties exigera-t-elle afin que le nouvel ensemble ainsi créé n’entrave pas le libre jeu de la concurrence ? Le vrai problème ne se situe pas en France, mais en Belgique, puisque le nouveau groupe contrôlerait 90% des marchés belges de l’électricité et du gaz. La Commission de régulation de l’électricité et du gaz belge, dont l’avis n’est certes pas contraignant sur le plan juridique mais difficile à ignorer sur le plan politique, recommande l’abandon par GDF de ses 25 % de participation dans la SPE, deuxième électricien belge, la vente par Suez de Distrigas, sa filiale de négoce de gaz en Europe, la cession de ses participations dans Fluxys et Elia, ainsi que de sept réacteurs nucléaires exploités par Electrabel. Voilà des contreparties qui, même si elles demandent à être confirmées, donnent à réfléchir ! Dans ces conditions, le jeu en vaut-il la chandelle ?

Dernière question : quelles seront les conséquences de la fusion sur le statut des 560 000 salariés d’EDF et GDF qui travaillent aujourd’hui ensemble dans la distribution ? Nous souhaitons des réponses très précises sur ce point.

La deuxième partie du projet de loi devrait entériner l’ouverture complète à la concurrence des marchés électrique et gazier à compter du 1er juillet 2007 après la première étape intervenue le 1er juillet 2004 pour les professionnels. Cela figure dans la directive et, comme nous n’avons jamais changé de position à l’UDF sur la nécessité de construire le marché intérieur européen, nous ne vous reprocherons certainement pas de transposer toute la directive. Afin d’apporter des garanties, le Gouvernement a envisagé certains garde-fous comme le maintien de tarifs réglementés inférieurs aux prix du marché, la création d’un tarif social du gaz, à l’instar de celui qui existe pour l’électricité, et même la réversibilité dans certains cas. Dans la mesure où le Gouvernement a annoncé le gel des prix du gaz jusqu’en juillet 2007 et contraint EDF à ne pas augmenter ses tarifs au-delà de l’inflation dans les cinq prochaines années, les particuliers n’auront pas vraiment intérêt à choisir la concurrence pendant cette période. En réalité, nous aimerions savoir ce que contient exactement la deuxième partie du projet de loi. C’est vraiment le moins que l’on puisse demander.

Pour l’UDF, l’énergie n’est pas un secteur d’activité comme les autres, étant donné l’enjeu qu’il représente pour le pays. Face aux turbulences et aux mutations qui s’annoncent, il convient de relever le défi. C’est en quoi l’examen de votre projet de loi est légitime. Face aux enjeux, qui concernent non seulement nos concitoyens mais tous les Européens, je suis persuadé que tous peuvent se mobiliser positivement. A nous de ne pas répéter des erreurs récentes et de prendre le temps de faire de ce débat un vrai temps fort démocratique (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. le président de la commission des affaires économiques - Ce débat présente un caractère particulier alors qu'est envisagée la discussion prochaine d'un projet de loi relatif au secteur énergétique. Celui-ci viendra conclure le travail législatif particulièrement riche conduit par les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin depuis quatre ans.

Sans rappeler l'ensemble du travail accompli, ce que vient de faire Serge Poignant, je tiens à souligner les avancées réalisées sur les quatre chantiers prioritaires de notre politique énergétique. Tout d’abord, la relance de notre politique nucléaire pour préparer le renouvellement du parc existant : la construction de l'EPR à Flamanville est une décision courageuse. En deuxième lieu, la poursuite de notre politique d’économies d'énergie avec la mise en place, enfin, des « certificats blancs ». Ensuite, la promotion des énergies renouvelables, notamment le solaire et le bois, avec l’augmentation massive du crédit d'impôt. Enfin, le développement des biocarburants, pour lequel nous avons fixé des objectifs ambitieux dans la loi d'orientation agricole.

M. François Brottes - On l’a fait d’abord dans l’intérêt de l’agriculture !

M. le président de la commission des affaires économiques - Alors qu'entre 1997 et 2002, la production française de biocarburants n'avait augmenté que de 75 000 tonnes équivalent pétrole, de 2002 à 2005, en trois ans seulement elle a déjà progressé de 113 000 TEP. C’est la marque de notre détermination.

Nous pouvons être fiers du travail considérable accompli en quatre ans en matière de politique énergétique. Nous pouvons aujourd'hui franchir une nouvelle étape avec le projet de fusion entre GDF et Suez.

J’exprimerai ici un avis personnel, néanmoins largement partagé au sein de la commission des affaires économiques et du groupe UMP. Ce projet est, avant tout, un projet industriel nécessaire pour le développement de GDF et dont l'ensemble des consommateurs français bénéficieront. Il est nécessaire parce que nous assistons au niveau européen à une concentration dans le secteur de l'énergie et à une convergence entre les secteurs électrique et gazier. Dans ce contexte, GDF manque de moyens de production d'électricité, malgré quelques projets en la matière, et n’atteint pas la taille critique par rapport aux autres énergéticiens avec un chiffre d'affaires annuel d'environ vingt milliards d'euros alors que celui d’EON, d’EDF ou de RWE dépasse les quarante milliards. GDF est trop petit : voilà une réalité sur laquelle il faut ouvrir les yeux, Monsieur Brottes.

M. François Brottes - Certes, mais sans porter d’œillères.

M. le président de la commission des affaires économiques - GDF risque de ne pas pouvoir proposer d’offres compétitives à ses clients désireux de s'alimenter en gaz et en électricité auprès du même fournisseur, et manque de moyens pour se développer dans l'amont gazier, où les investissements sont considérables.

Une solution, nous a dit M. Brottes, aurait été de fusionner EDF et GDF (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Elle n'aurait que des avantages si elle avait été réalisée lorsqu'elle était possible, c'est-à-dire sous la précédente législature, lorsque la gauche était au pouvoir. A l'époque, en effet, ces entreprises réalisaient plus des deux tiers de leur chiffre d'affaires en France et leur fusion n'aurait pas été soumise au contrôle de la Commission européenne. Aujourd'hui, ce n'est plus cas et chacun sait que les contreparties qu'exigeraient la Commission seraient insupportables.

M. François Brottes - Lesquelles ?

M. le président de la commission des affaires économiques – Il faut avoir le courage de le dire.

Cette option n'est donc plus possible et le seul autre électricien français pouvant fusionner avec GDF est Suez. La fusion de ces deux entreprises, qui est dans l'intérêt de GDF, de ses personnels et de ses actionnaires, servira également les consommateurs.

Notre pays n'ayant quasiment plus de gaz naturel, nous achetons aujourd'hui cette énergie sur des marchés internationaux à un prix sur lequel nous ne pouvons pas peser directement. Or, ce prix d'achat, déterminant dans le prix facturé au consommateur, va augmenter compte tenu du fait qu’il est indexé sur le cours du pétrole et que la demande mondiale d'énergie, notamment de la part des grands pays émergents, ne cesse de croître.

Il n’y a dès lors que trois options. La première est de répercuter la hausse pleine et entière des prix sur pour les ménages – c’est ce qu'a fait la gauche en 2000 et 2001 en augmentant les tarifs de 30 %, ce n'est pas ce que je souhaite. La deuxième est que GDF vende à perte ou que la consommation de gaz soit subventionnée par les contribuables – ce n'est pas non plus mon souhait. La troisième est d’essayer de peser sur le prix international d’achat afin de limiter la hausse pour les consommateurs. C’est évidemment la solution que nous souhaitons.

Sur un marché libre, seul le fait d’accroître ses volumes d'achat peut permettre à GDF de s’approvisionner à meilleur coût, en renforçant sa position par rapport à ses fournisseurs. C'est l'objet même de sa fusion avec Suez, le nouvel ensemble représentant le premier acheteur européen de gaz naturel avec 20 % du marché.

Cela ne suffira bien sûr pas à garantir une stabilité des prix pour les consommateurs, l’honnêteté commande de dire que le prix du gaz continuera d’augmenter, mais cette fusion est un moyen de modérer la hausse, d’autant que le Gouvernement fixera toujours des tarifs réglementés.

Qui peut s'opposer à ce projet mais surtout qui peut ici proposer une solution aussi efficace pour maîtriser l'évolution des prix du gaz ? Je suis, pour ma part, favorable au projet du Gouvernement qui répond à une logique industrielle de développement de GDF et à l'intérêt des consommateurs. Il se trouve qu’il a été accéléré par les menaces d'OPA d'Enel sur Suez et qu'il permettrait de protéger Suez d’une OPA hostile.

M. François Brottes - C’est un autre sujet !

M. le président de la commission des affaires économiques - On entend du coup dire que ce projet serait anti-européen. Je reviens un instant sur cet argument. Être européen, ce n’est pas être naïf. Un vaste mouvement de concentration est en cours dans le secteur énergétique et de nombreux Etats, dont l'Espagne et tout récemment l'Autriche, essaient de constituer des champions nationaux. Pourquoi pas la France ? La seconde raison, plus importante encore, est qu’Enel, entreprise énergétique, a clairement indiqué que seules les activités de Suez dans l’énergie l'intéressaient. Enel souhaite surtout s’emparer d’Electrabel en Belgique, mais il vendrait les activités de Suez liées à l'environnement, notamment la distribution d'eau en France, le risque étant alors que ce secteur soit vendu « par appartements ». General Electric et des fonds de pension américains ont d’ores et déjà fait savoir qu’ils étaient intéressés ! Pour ma part, je ne souhaite pas voir notre eau passer sous le contrôle de ce type d’acteurs, et je suis sûr que les collectivités qui ont signé des délégations de service public pour leur distribution d’eau préfèrent que cette activité soit contrôlée par des champions nationaux que par des fonds de pension américains (« Très bien ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP).

Pour toutes ces raisons, je suis favorable au projet de loi du Gouvernement qui permettra aussi d’éviter le démantèlement de Suez. Mais il est nécessaire que le Gouvernement apporte plusieurs garanties qui, pour l’instant, ne figurent pas dans son texte, mais sont à nos yeux indispensables.

La première est que soit préservée l’identité de GDF -la fusion doit pour cela s’effectuer à parité. La deuxième est que soient pérennisées les missions de service public de GDF et que soit créé un tarif social du gaz, à l’instar de celui créé pour l'électricité. La troisième est que soit maintenu le statut des personnels, lequel n’est d’ailleurs pas en cause puisqu’il s’agit d’un statut de branche. La quatrième, enfin, est que puisse être assuré un contrôle public efficace sur le nouvel ensemble, ce qui exige que l’État détienne, avec 34% du capital, une minorité de blocage.

M. François Brottes - Tout et son contraire !

M. le président de la commission des affaires économiques – Non, Monsieur Brottes, tout cela n’est pas incompatible. Une golden share pourrait également être mise en place, qui permettrait à l’État, dans le respect du droit européen, de s’opposer à d’éventuelles OPA sur le nouvel ensemble.

Ce projet de loi est enfin l'occasion de proposer des mesures pour préparer l'ouverture totale à la concurrence des marchés du gaz et surtout de l'électricité en juillet 2007. Il est essentiel de prendre rapidement des mesures fortes en ce domaine. La spécificité nucléaire française, qui garantit des tarifs bas pour les consommateurs français, doit être protégée, et je ne vois pas pourquoi il serait anti-européen de le souhaiter. Tant qu’il n’y aura pas de véritable politique énergétique européenne, cette spécificité française doit absolument être préservée.

Il faut trouver une solution pour les entreprises qui sont dans le dérégulé et qui subissent des augmentations de 60 à 80 %. Nous proposons donc qu’un prix de retour au régulé puisse être discuté et être intégré dans le texte. En 2007, les consommateurs risquent d’être également confrontés à des dérégulations. Nous disons non et je sais, Monsieur le ministre, que vous partagez cette conviction. Si l’Europe ne revoit pas les conditions de mise en œuvre de la directive de 2003, nous aurons un problème avec l’Europe. Il faut que nous soyons d’une grande vigilance. Le texte que vous déposerez, Monsieur le ministre, devra dire que les tarifs des consommateurs ne seront pas dérégulés en 2007 mais protégés.

Telles sont les conditions à remplir pour que le texte paraisse tout à fait acceptable à notre majorité. Bien sûr, il y a des débats entre nous. Les interrogations de mes collègues du groupe UMP sur le calendrier sont légitimes, mais nous sommes à un moment important de notre vie politique, qui impose d’aller au bout d’une certaine logique. Pour ma part, j’y suis prêt. Si vous envisagez, Monsieur le ministre, des évolutions industrielles qui permettraient dans les jours qui viennent d’aboutir au même projet industriel sous une forme juridique différente, nous sommes preneurs. Mais je ne vois pas les pistes qui pourraient être sérieusement explorées.

La voie est étroite. J’aborde le problème avec modestie mais avec la conviction de défendre les consommateurs contre les hausses insupportables qui risquent de leur être imposées. Le pire serait de ne rien faire. Vous êtes maîtres du projet, Messieurs les ministres, en même temps que du temps parlementaire. Alors, après nous avoir écoutés, proposez-nous une stratégie courageuse qui permette de mener à bien un projet industriel et de répondre à nos exigences. Mais je le répète, le pire serait de rester immobiles. La France a besoin que l’on avance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - Je remercie tout d’abord le Gouvernement d’avoir choisi le débat avant d’opérer des choix difficiles.

Je reconnais que le projet Gaz de France-Suez a une pertinence industrielle probablement meilleure que l’alliance avec Enel, du moins au vu des informations dont nous disposons actuellement. Mais si j’approuve la détermination du Gouvernement à défendre les intérêts français, je pense qu’il y a un temps pour la pédagogie, les auditions publiques, la recherche des alternatives. Et qu’il n’y a pas qu’une seule solution qu’il faudrait voter en quinze jours ! D’autant que le rapport de force avec les producteurs a plus de chance de nous être favorables au niveau européen qu’au seul niveau national.

Au-delà, d’autres questions se posent. Je ne parle pas de l’engagement de conserver 70 %. Pour changer de position, il faudra donner des explications au pays et le convaincre. Quelle garantie avons-nous que le nouvel ensemble ne sera pas demain à son tour à la merci d’une OPA ? Pouvez-nous nous assurer, Messieurs les ministres, que le nouvel ensemble ne va pas se spécialiser dans les activités énergétiques et vendre l’eau à d’autres partenaires ? Comment être certains que les conditions posées par la Belgique et par la Commission européenne ne remettront pas en cause le projet que nous aurons voté ? Et quelle sera la capacité de l’État à maîtriser les prix de l’énergie avec une minorité de 33 % dans le capital ?

Il est aujourd’hui permis de douter du bon fonctionnement des marchés énergétiques. Pendant longtemps, l’énergie nucléaire et les prix compétitifs qu’elle permet ont été un élément d’attractivité de la France. Cette compétitivité des prix reste un objectif. Je suis donc surpris que ce soit le Parlement, et non pas le ministère de l’énergie ou des finances, qui ait abordé la question du prix imposé dans des conditions léonines par EDF et aussi par Suez à nos industries. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Quand je regarde le tableau comparatif des prix de l’énergie sur le marché dérégulé, je suis vraiment stupéfait que nos entreprises se voient proposer, en dépit de notre potentiel nucléaire, des prix supérieurs à ceux de l’Allemagne, de l’Espagne, des Etats-Unis, de la Finlande, de la Suède ! Stupéfait également que ces prix aient augmenté de 75 % sur cinq ans, dont 48 % sur une seule année. Le contrôle gouvernemental ne s’est peut-être pas suffisamment exercé. Je sais qu’EDF dit qu’il faut compenser les prix accordés aux foyers, mais entre une augmentation qui aurait pu être de 25 et une de 70 %, il y avait tout de même une marge !

Certains faits nous prouvent que la concurrence ne fonctionne pas bien sur le marché de l’électricité et qu’il y a des ententes entre les fournisseurs, au détriment des PMI. C’est pourquoi nous devons être très prudents à l’avenir. La réversibilité va-t-elle être leur être accordée ? Pourront-elles revenir sur le marché régulé, comme cela se fait dans certains pays ? Si ce n’est pas possible, peut-on envisager pour elles, par la négociation, un plafonnement des prix ? Et dans quels délais ? Sans cela, beaucoup de ces grosses PMI ne pourront pas survivre. Or, elles sont un élément essentiel de notre stratégie industrielle. De leur côté, les entreprises électrointensives ne savent pas si le prix sera de 25, 27 ou 40 euros.

Sur un débat aussi difficile, il faut se donner le temps de convaincre, prendre le temps de la pédagogie et de l’explication. Par ailleurs, il faut prendre le temps d’examiner s’il n’existe pas des options européennes qui garantiraient de meilleures conditions de compétitivité.

Si aucune solution n’est trouvée d’ici trois mois, vous parviendrez à convaincre plus aisément les Français de l’opportunité de ce projet, et les députés de l’opposition de ne pas s’engager dans l’obstruction (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Pierre Lequiller, président de la Délégation pour l’Union européenne  J’insisterai sur la grave crise énergétique que notre continent traverse. Face à la coupure de gaz opérée par la société russe Gazprom lors du dernier réveillon, les dirigeants européens, après des décennies de discours sans suite sur la nécessité de construire une Europe de l’énergie, ont pris conscience de la vulnérabilité de l’Union européenne et se sont engagés dans le développement d’une politique extérieure commune de l’énergie dont nous parlerons lors du conseil européen de demain.

Plusieurs conclusions peuvent déjà être tirées du rapport de M. Solana sur l’énergie.

Tout d’abord, l’énergie ne doit pas dépendre des seules règles du marché. Un dialogue politique au plus haut niveau est nécessaire avec les pays producteurs et de transit pour sécuriser les approvisionnements à des prix abordables ainsi que les investissements dans des zones politiquement instables.

Ensuite, face à un fournisseur russe qui tente de constituer un oligopole du gaz avec d’autres fournisseurs tels que l’Algérie, l’Union doit parler d’une seule voix.

En raison du rejet du traité constitutionnel, l’énergie ne peut aujourd’hui faire l’objet que d’une approche intergouvernementale. Pour autant, il ne faut pas attendre le développement du marché intérieur de l'énergie pour mener une politique extérieure commune. La négociation du partenariat énergétique avec la Russie va s'engager dans un climat de tensions : l'Union veut obtenir le droit d'acheter directement auprès des producteurs russes indépendants en utilisant le réseau dont Gazprom détient le monopole. La question est de savoir jusqu’où peut aller une complémentarité avantageuse et où commence la perte de contrôle. Gazprom n'est pas une entreprise comme les autres, c’est l’État russe sous sa forme industrielle. Le très libéral gouvernement britannique a exprimé l'intention d'adopter une loi pour empêcher un éventuel achat de Centrica par Gazprom. La Russie menace de réorienter ses échanges gaziers vers la Chine, mais il lui faudra du temps et de lourds investissements avant de construire un réseau vers l'Asie. L’Union pourrait, en s’associant avec l'Ukraine, l'Algérie, la Turquie et d'autres voisins pour construire un espace énergétique et de sécurité paneuropéen et euro-méditerranéen.

En attendant, la constitution de grands groupes de l'énergie est normalement souhaitable. Il en va de la souveraineté nationale et de l'avenir de l'Europe. Les exemples récents de fusion acquisition sont nombreux : Suez avec le belge Tractebel/Electrabel, EDF avec En BW, E.ON avec Ruhrgas et Endesa avec E.ON. Tous les pays sont concernés, notamment l’Espagne, l’Allemagne et le Portugal. Néanmoins, ce regroupement des forces industrielles doit se faire de manière concertée et acceptée. ENEL a lancé contre Suez une offensive qui n’avait rien d’amical et ses intentions n'étaient pas claires : l'objectif était de s'emparer des seuls actifs d’Electrabel et de céder immédiatement l'ensemble des activités dans l'eau et l'environnement auxquelles le président de General Electric a ouvertement indiqué mercredi dernier s'intéresser. En revanche, l'alliance amicale et concertée entre les groupes Suez, groupe franco-belge, et GDF représenterait une synergie entre la base française et les marchés européens. Ainsi, cette entreprise serait le premier groupe en matière de gaz et deuxième pour l’électricité dans la zone France-Bénélux, ce qui consoliderait sa position en matière de gaz naturel liquéfié et de cinquième énergéticien en Europe centrale et orientale. Elle pourrait ensuite envisager de nouvelles alliances, mais cette fois-ci en position de force.

Nous n'avons pas le choix entre faire et ne rien faire. Nous ne pouvons pas laisser GDF conserver sa taille actuelle et exposer Suez à des attaques. Il faut impérativement créer un groupe qui pèse sur la scène européenne et mondiale. La France et l'Europe doivent avoir des acteurs de dimension mondiale dans le secteur de l’énergie pour négocier des prix d'achat, pour assurer l'emploi, le développement des investissements et protéger la sécurité des approvisionnements. La France a fait, en son temps, le choix visionnaire de l’énergie nucléaire que beaucoup nous envient aujourd’hui. De la même manière, nous avons la responsabilité historique de créer aujourd’hui de grands groupes publics de taille mondiale. Je serai donc favorable au texte qui nous sera présenté (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Daniel Paul – Il y a quelques mois seulement, M. Sarkozy, alors ministre de l’économie, prenait l'engagement de ne pas baisser la participation de l’État dans le capital de GDF au-dessous de 70 %. Nous avions combattu et nous continuerons de dénoncer ces ouvertures de capital qui visent à soumettre le secteur de l'énergie aux seules règles des marchés. Vous voulez revenir aujourd’hui au forcing sur cette loi contre l’avis des acteurs de l’énergie. Après le CPE, c'est une nouvelle fuite en avant.

En effet, ce qui est en jeu, c'est la privatisation de GDF par la réduction de la part de l’État à 34 %, voire moins ! Ce qui est en jeu, c'est l'existence même d'une entreprise nationale, menacée par la libéralisation. Ce qui est en jeu, c'est l'augmentation des tarifs pour servir les intérêts des actionnaires.

Pour défendre le projet de fusion entre GDF et Suez, vous avez tenté de jouer la carte du « patriotisme économique » en évoquant la menace d'une OPA du groupe italien ENEL sur Suez ! Mais faut-il, pour préserver Suez, accepter la disparition de GDF ? Ne pourrait-on pas imaginer que des acteurs publics, présents ou non dans le capital de Suez, mettent ce groupe à l'abri d'OPA hostiles ?

Selon certains, l'opération de fusion ne serait pas liée à la menace d’OPA, mais correspondrait à un véritable projet industriel. Est-ce à dire qu’au moment où M. Sarkozy prenait des engagements devant la représentation nationale, un petit comité s’employait déjà en catimini à le contredire ? Faut-il croire que le ministère de l'économie n'était pas au courant de cette perspective ? Ce serait bien naïf ! D’autre part, Suez, entreprise dotée d'un chiffre d'affaire presque équivalent au double de celui de GDF, serait majoritaire dans le capital du nouveau groupe. Oeuvrera-t-il dans le sens des intérêts économiques de la France ? Rien n’est moins sûr. Faut-il rappeler le comportement du groupe EADS, issu d’une fusion entre Aérospatiale et Matra, dans l’affaire récente de la Sogerma ? De plus, ce nouveau groupe serait en concurrence directe avec EDF qui n'aurait d'autre alternative que de rechercher, lui aussi, un partenariat.

M. Hervé Novelli - Ce sera son intérêt !

M. Daniel Paul - En revanche, les actionnaires seraient gagnants ! Chez GDF, on annonce une augmentation des dividendes de 48 % par rapport à 2004. Quant à l'Etat, la première ouverture du capital de GDF lui a rapporté 2,5 milliards d'euros, celle d'EDF 1 milliard.

Votre acharnement à imposer des réponses libérales vous rend aveugles et sourds aux avertissements que vous lancent les syndicats, de nombreux acteurs économiques et une grande partie de votre majorité. Pourtant, l'énergie est vitale. Source de froid, de lumière et de chaleur, elle permet de se déplacer, de travailler, de se nourrir, de s'éclairer et de se chauffer. De l'accès à l'énergie dépend l'accès à la santé, à l'hygiène, à l'éducation. En ce sens, elle est pleinement constitutive du droit au logement et elle est un facteur essentiel de cohésion sociale. En outre, elle contribue à la vitalité économique du pays et à l’aménagement du territoire et elle est créatrice d'emplois et de richesses. Elle a donc vocation à relever du service public.

En livrant à la concurrence et aux intérêts financiers privés cette ressource collective, vous faites fi de l’intérêt général. Vous niez bien sûr fermement le caractère idéologique de cette privatisation, en vous prétendant guidés par le pragmatisme. Pourtant, vous butez sur les réalités économiques et financières du secteur – et c’est sans doute pour cela que vous refusez obstinément de dresser un bilan sérieux de l’ouverture à la concurrence, dont l’évolution des prix montre de façon flagrante qu’elle est contradictoire avec l’intérêt du plus grand nombre.

M. Hervé Novelli - Mais non !

M. Daniel Paul - C’est d’ailleurs la crainte de nombre de membres de la majorité que nos concitoyens fassent le lien entre ouverture du capital, concurrence et augmentation des prix. Comptez sur nous pour le mettre en évidence. La facture énergétique de la France a augmenté de 35% en 2005, alors que la consommation stagnait pratiquement. C'est dans le secteur gazier que les hausses sont les plus fortes : 30% en 18 mois pour les particuliers, soit dix fois l'inflation ! Pour les ménages modestes, les conséquences sont dramatiques. On nous dit que cette hausse s'explique par celle des matières premières : cela mérite examen. L'achat du gaz se fait dans le cadre de contrats de long terme, ce qui devrait sécuriser les approvisionnements et réduire l’influence des variations de court terme des prix des matières premières sur les tarifs. Par ailleurs, ces hausses n'empêchent pas GDF d'engranger des bénéfices historiques – et l’action se porte bien, merci. Alors, comment soutenir que l'organisation capitalistique du secteur n'est pas source d'injustices et d'inégalités ?

En ce qui concerne l'électricité, c'est le secteur industriel qui a subi de plein fouet l'ouverture à la concurrence : Ies prix du marché dit « libre » ont crû de 48% en un an, ce qui compromet le maintien de nombreux emplois en France. Chacun connaît des PME favorables à la concurrence qui avaient accepté de passer au tarif dérégulé et se retrouvent écrasées entre les donneurs d'ordre qui exigent des prix toujours plus bas et les hausses des tarifs de l’énergie. Les plus gros industriels en sont même arrivés à s'unir, sous forme de consortium, pour négocier des tarifs préférentiels. Comment comprendre que la France, qui produit avec son parc nucléaire et hydroélectrique une électricité à des prix très compétitifs, ait des tarifs dérégulés parmi les plus élevés d'Europe ? Alignement sur les tarifs gaziers et recherche des profits : c’est cela, votre bilan.

Alors, face à la fronde et à la perspective de la libéralisation complète au 1er juillet, vous promettez… de ne rien faire. Vous pliez devant les marchés. Certains proposent que l’on puisse revenir au service régulé en cas d’insatisfaction – mais vous n’ignorez pas que ce tarif régulé est dans le collimateur de la Commission européenne ! Et dans votre projet, pour revenir au tarif réglementé, un particulier serait obligé de déménager. Mais l’ouverture à la concurrence ne se traduit pas que par des conséquences pécuniaires : les entreprises énergétiques se sont lancées, comme dans les autres secteurs livrés à la concurrence, dans des logiques de retour rapide sur investissement et dans une gestion plus axée sur les profits à court terme que sur les investissements de long terme. Ce sont alors l'emploi, la sécurité et l'aménagement du territoire qui en pâtissent, sans parler de la continuité d'approvisionnement, qui devraient pourtant être au cœur du service public de l'énergie.

Ainsi, de nombreuses communes se voient refuser d’être raccordées au réseau de distribution du gaz car ce ne serait pas assez rentable. Quant à la sécurité, les audits réalisés en 2004 sur les installations extérieures ont révélé 6% de défaillances. Faut-il rappeler qu’un choix financier d’EDF, à Dijon, a coûté la vie à de nombreuses personnes ? En ce qui concerne l'électricité, on sait les problèmes qu’ont connus différents pays européens du fait de sous-investissements. En France, les déficits de production menacent : il manquera, selon vos propres chiffres, plus de 4000 mégawatts/heure à l’horizon 2012, qui ne pourront être couverts que par l'installation de centres de production thermique à gaz, au fuel ou au charbon. C'est sans doute ce qui motive l'éclosion de tant de projets en ce moment.

Je terminerai par les conséquences sociales de cette lame de fond : on n’a jamais vu de fusion et de privatisation entraîner une hausse de l'emploi et l’amélioration des conditions de travail ! Aujourd’hui, 56 000 salariés du secteur ont des raisons majeures de s’inquiéter. EDF et GDF se sont caractérisées, dans les dernières années, par une baisse des investissements dans la formation et un recours aux intérimaires pour éviter des embauches sous statut, comme ce fut le cas pour les ouvriers de Porcheville. Il faut donc cesser cette fuite en avant libérale, qui sera lourde de conséquences pour notre pays, notre économie et nos concitoyens. L'énergie est un important enjeu de société, avec des implications sociales, économiques et environnementales. Les responsables de l'État l’avaient déjà dit à la Libération, et avaient compris qu'il fallait préserver ce secteur des intérêts privés. Vous vous apprêtez à rompre avec cette tradition et à vendre une partie supplémentaire du patrimoine national, constitué depuis 1946, sans débat public et sans entendre ni les protestations des salariés, ni le front uni des syndicats, ni les responsables économiques inquiets. Vous évoquez les 71 questions posées par les organisations syndicales, mais ayant vu vos réponses, je peux vous dire qu’elles ne les satisferont pas !

M. le Ministre – Ce n’est pas vrai !

M. Daniel Paul - Vous choisissez d'ignorer le mécontentement des Français devant des situations qu’ils subissent au quotidien. Il est vrai qu'une concertation réelle ferait certainement obstacle à une politique qui se contente, en répondant aux appétits financiers au détriment de l'intérêt général, de suivre aveuglément le dogme de l'efficacité du marché. Vous restez dans la logique du CPE : pour servir la logique financière, vous vouliez casser le code du travail ; ce sera cette fois une entreprise publique ! On ne peut ainsi jouer avec l'approvisionnement énergétique d'une des principales puissances économiques du monde. Soixante ans après la constitution d'un système public qui a grandement participé à la reconstruction de notre pays, changer deux fois en deux ans les règles fondamentales de fonctionnement des entreprises nationales ne peut que les fragiliser. Ce n'est pas acceptable. Si vous persistiez dans vos intentions, une telle question mériterait à tout le moins un référendum.

Soyez persuadés de notre détermination à faire valoir d'autres solutions, plus conformes au rôle économique et social de l'énergie dans notre société. Nous sommes pour une maîtrise publique du secteur, pour qu'EDF et GDF réunis soient l'outil de notre indépendance énergétique, pour exclure cette activité de la domination financière, pour que l'Etat joue pleinement son rôle, pour une politique européenne et des coopérations afin que chaque pays de l’Union puisse assurer son autosuffisance. C'est tout cela qui motivera notre opposition à votre fuite en avant et au bradage de notre secteur énergétique (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Patrick Devedjian - Il n’est pas raisonnable d’entretenir la confusion entre le prix des énergies et la politique industrielle, même si celle-ci est dépendante du prix mondial des énergies et a aussi pour but d’assurer l’indépendance énergétique d’un pays. Pourtant, le prix du gaz est indiscutablement en hausse forte et constante : les cours mondiaux se sont envolés en même temps que ceux du pétrole. Sur le marché spot de Zeebrugge, le plus significatif, le prix du gaz pour les industriels a doublé depuis janvier 2002 : 30 euros le mégawatt/heure contre 15 ! Mais ces fluctuations sont lissées par la commission de régulation de l’énergie, qui établit pour l’industrie un cours de vente de 20 euros. Or, Gaz de France est une entreprise qui achète et vend du gaz : elle produit très peu. Pour l’achat, elle dépend des cours mondiaux et pour la vente de la commission de régulation de l’énergie. Le prix du gaz en France est donc indépendant du statut de Gaz de France !

Plusieurs députés UMP - Eh oui !

M. François Brottes - Et de la concurrence !

M. Patrick Devedjian – Il suffit d’ailleurs de dire cela pour comprendre la fragilité de Gaz de France, prisonnière des cours mondiaux pour l’achat, des prix de vente établis par une commission de régulation et qui gère essentiellement le transport. C’est pourquoi il me paraît raisonnable de l’adosser à une entreprise complémentaire.

M. Hervé Novelli - Très bien !

M. Patrick Devedjian - Beaucoup auraient rêvé d’une fusion avec EDF. Industriellement, l’idée se défend.

M. Michel Piron - Oui !

M. Patrick Devedjian - Mais juridiquement, c’est impossible, car cela créerait un monopole complet dans le marché français, que la réglementation européenne nous interdit. Si nous la bravions, Bruxelles nous obligerait, pour instaurer la concurrence, à vendre une partie de nos centrales nucléaires. C’est impossible. C’est la conclusion à laquelle était arrivée la commission Roulet en 2004.

M. Daniel Paul - Elle n’a jamais montré cela !

M. Patrick Devedjian – Elle a envisagé cette solution et l’a abandonnée.

Quel est l’intérêt de Suez pour la politique industrielle française ? D’abord, je voudrais rappeler que cette entreprise exploite sept réacteurs nucléaires en Belgique et détient des droits de tirage sur deux centrales nucléaires d’EDF, en France. A qui veut-on abandonner ces neuf centrales ?

M. François-Michel Gonnot - C’est le fond du problème !

M. Patrick Devedjian - C’est la raison pour laquelle Suez suscite beaucoup de convoitises, en particulier de la part de pays qui se sont interdit de construire de nouvelles centrales nucléaires sur leur territoire. C’est d’ailleurs très commode d’être écologistes à la maison et nucléaires à l’étranger… (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. François Brottes - Belle formule.

M. Patrick Devedjian - … et c’est ce que font certains. Ne nous y trompons pas : Suez ne restera pas seul. Si l’opération avec Gaz de France ne se fait pas, elle fera l’objet soit d’une OPA amicale en provenance de son propre actionnariat, et je rappelle au passage qu’il s’agit d’une entreprise à majorité belge…

M. François Brottes - Patrick Ollier a dit et répété que c’était une entreprise française ! Il faut choisir !

M. Patrick Devedjian - Je vous explique que c’est une entreprise étrangère – et la nationalité importe peu - pour vous dire que le Gouvernement n’a pas prise sur l’actionnariat de cette société. C’est tout ce que je dis. Elle fera l’objet, disais-je, soit d’une OPA amicale, soit d’une OPA hostile, et on peut, sans être exhaustif, imaginer que seront intéressés Enel – entreprise d’État italienne –, EON ou RWE – entreprises allemandes, General Electric – entreprise américaine, ou même, et je sais que cela dérange, l’entreprise russe Gazprom. On ne peut absolument pas savoir ce que souhaitera faire l’actionnariat belge. S’il advenait – ce que je ne souhaite pas – que Gazprom prenne le contrôle de Suez, ici, on cherchera avec une loupe ceux qui se sont opposés à la constitution d’un nouveau champion mondial français ! (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Pierre Lellouche - En quoi la fusion pourrait-elle l’empêcher ? (Murmures)

M. Daniel Paul - Allons, ce n’est pas une réunion interne de l’UMP !

M. François Brottes - Nous pouvons vous laisser ! (Sourires)

M. Patrick Devedjian - Je veux bien répondre à M. Lellouche, d’autant que nous sommes assez nombreux pour faire la majorité et l’opposition sans vous !

L’existence de ce nouveau champion mondial français conforterait le leadership français en matière nucléaire. Celui-ci existe déjà, mais il ne pourrait que se confirmer si nous récupérions les neuf centrales que pilote Suez.

M. François Brottes - Pourquoi le ministre de l’industrie de 2004 ne s’y est pas intéressé ?

M. Patrick Devedjian - J’y viendrai. En second lieu, le nouveau groupe assurerait 20% de la distribution gazière en Europe, ce qui permettrait de résister à Gazprom – lequel essaie d’imposer sa loi en matière de distribution – et de négocier les prix avec les fournisseurs dans le cadre d’un rapport de forces plus favorable. Enfin, cela offrirait de larges perspectives en matière d’emploi et – même si, pour moi, le patriotisme économique est surtout à rechercher dans le pouvoir d’attraction de notre territoire –Suez, en fusionnant avec Gaz de France, deviendrait une entreprise française. Sans faire de cocorico, je le relève pour mémoire.

Nous disposerions ainsi, sur le marché français, d’un deuxième opérateur mondial en matière d’électricité et cela créerait, Monsieur le Président Méhaignerie, une concurrence stimulante, laquelle constitue le meilleur moyen de contenir les prix.

Plusieurs députés socialistes et communistes – Faux !

M. Patrick Devedjian - Il est bien vrai, Monsieur Brottes, que le Gouvernement, en 2004, avait choisi de maintenir à 70 % la part de l’État dans le capital. Mais permettez-moi de vous rappeler que la mondialisation n’attend pas : en 2004, le baril de brut était à 28 dollars ; en 2006, il est monté à 73 dollars. Vous admettrez tout de même que la donne a changé.

Je reconnais aussi que nous avons pris des engagements avec les partenaires sociaux, mais beaucoup se demandent aujourd’hui s’ils justifient que nous laissions passer une occasion historique, cependant que certains syndicats de Suez – dont la CGT – sont favorables à la fusion ! Revient-il au Parlement d’arbitrer entre deux fédérations de la CGT, une qui veut et une qui veut pas ? (Rires sur les bancs du groupe UMP)

Comme Nicolas Sarkozy, je crois que tout doit être fait pour trouver, sans être idéologues, un compromis à même de rassurer tout le monde et de permettre à la France de ne pas – une fois de plus ! – faire une politique contraire à ses intérêts (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. François Dosé - Sans préjuger d’autres défis, ce siècle sera assurément marqué par trois enjeux majeurs déjà parfaitement identifiés : l’évolution démographique, la gestion de l’eau et le réchauffement climatique – lequel crée une nouvelle donne énergétique. Dès lors, il est patent que les collectivités humaines seront confrontées à ces problématiques et il reste à souhaiter qu’elles ne s’affrontent pas à leur sujet. L’eau du Golan, le gaz de Russie ou le pétrole du Moyen Orient sont déjà convoités avec violence et il y a tout lieu de craindre que d’autres conflits ne surgissent pour la maîtrise des ressources énergétiques. Au reste, l’option de la Finlande en faveur de l’EPR ne témoigne pas d’une fascination particulière pour notre filière nucléaire civile, mais de la crainte du diktat de la Russie en matière de fourniture du gaz.

Il est donc juste que le Parlement aborde régulièrement la question énergétique et l’invitation à en débattre est pertinente. Cependant, pourquoi tant de réticences s’expriment-elles, au sein de tous nos groupes, au sein du Gouvernement, dans les entreprises concernées ou dans l’opinion ? Pourquoi nos tribunes ne sont-elles pas garnies des centaines de personnes auditionnées dans le cadre de la mission d’information sur le changement climatique ? Pourquoi ? Parce qu’il ne faut pas être bien futé pour comprendre que ce débat, ouvert à 16 heures 15 et clos – sans vote – aux environs de 21 heures, n’a pas vocation à traiter des enjeux de fond. En réalité, il ne s’agit pas de débattre de la politique énergétique de la France mais, pour céder à la précipitation, de vérifier la faisabilité politique d’un engagement du Premier ministre : Gaz de France peut-il être privatisé au profit de Suez ?

Ma conviction ne témoigne pas d’une défiance particulière à l’endroit des ministres actuels mais de plusieurs constats récents. En 2003, M. Raffarin avait lancé les assises décentralisées de l’énergie : la perspective de l’EPR fut tracée explicitement par Mme Fontaine dès le mois de décembre 2002 ! Le 8 octobre 2003, l’un de nos collègues rendait un excellent rapport sur la stratégie énergétique de la France alors que quelques semaines auparavant – et sans consulter le Parlement – le Gouvernement prolongeait de dix ans l’amortissement technique et financier de toutes nos centrales civiles. Enfin, au premier semestre 2004, une loi d’orientation sur les énergies nous était soumise, alors que le choix du site de l’EPR était déjà fait !

Monsieur le ministre, acceptez au moins la proposition de M. Méhaignerie : avant le dépôt du projet de loi annoncé, examinez avec nous en commission les avantages et inconvénients de plusieurs hypothèses – un pôle public, des sociétés mixtes, des regroupements privés… Au fil des mois, l’Union européenne ébauche une politique énergétique à la hauteur des enjeux, esquisse des programmes – comme celui sur les biocarburants – et rédige des directives. Tant mieux ! Mais il revient encore aux autorités nationales de maîtriser, d’orienter et d’infléchir la politique énergétique, sauf à admettre que l’essentiel des pouvoirs appartiennent désormais aux actionnaires d’entreprises privées, ce à quoi nous ne pouvons en aucun cas nous résoudre.

Il faut poser des objectifs clairs, qui ne soient pas seulement économiques et financiers mais aussi sanitaires et environnementaux. Il nous faut des moyens et des méthodes à la hauteur des défis. Faisons confiance, pour cela, à la puissance publique, sans contester pour autant la nécessité de tracer un nouveau périmètre entrepreunarial.

Pensez-vous vraiment, Monsieur le ministre, que la privatisation de Gaz de France relève de l’intérêt général ? Pensez-vous vraiment qu’elle nous offrira un socle vertueux et efficace pour mener une politique énergétique pertinente à l’échelle de l’Europe ? Pensez-vous vraiment que la nouvelle alliance que vous suggérez offre des garanties pour répondre aux objectifs que nous pouvons partager : l’efficacité économique, la pertinence financière, les solidarités territoriales et sociales, les obligations environnementales, la suffisance nationale ?

D’autre solutions existent, comme l’alliance entre Edf et Gaz de France. Prouvez-nous, Monsieur le ministre, que l’ébauche envisagée représente autre chose qu’une riposte de l’État français à une compétition boursière. Prouvez-nous que cette mutation là ne traduit pas votre soumission aux exigences de la Corbeille. Prouvez-nous que les obligations territoriales seront maintenues. Prouvez-nous que les nécessités écologiques seront demain mieux respectées. Prouvez-nous que les consommateurs ne seront pas sacrifiés aux actionnaires. Prouvez-nous que cette alliance ne sera pas ensevelie, demain, dans une alliance de type planétaire, comme nous l’avons vu avec Arcelor…

M. le Ministre – Qui a vendu les actions Arcelor ? Le parti socialiste !

M. François Dosé - Sans argumentaire crédible, cette opération ne semble être qu’une conjugaison médiocre entre les intérêt privés de ceux qui n’ont de cesse de fustiger les entreprises publiques – mais qui ne négligent pas d’en tirer profit – et la volonté de certains de mettre nos fleurons nationaux les plus prestigieux dans les mains du privé.

M. le Président de la commission – C’est faux !

M. François Dosé - Ne lâchons pas, ni pour des raisons partisanes, ni pour des opportunités de circonstances, des outils économiques performants. Ils identifient l’État nation. Avant l’inéluctable mise en œuvre de l’architecture européenne, EDF et GDF peuvent contribuer à cette alliance que nous appelons tous de nos vœux.

M. le président de la commission des affaires économiques – Comment ? C’est impossible !

M. François Dosé - Ensemble, ils peuvent encore amortir les chocs énergétiques prévisibles (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François-Michel Gonnot - Jamais des gouvernements se sont autant mobilisés sur les grands enjeux énergétiques que les gouvernements de MM. Raffarin et Villepin. Nous devons aujourd’hui trancher trois questions difficiles. Que faire pour éviter qu’un prédateur, fût-il italien, ne prenne le contrôle du deuxième électricien français et ne dépèce, au profit de fonds de pension américains le pôle environnement de Suez ? Que faire pour aider GDF à sortir de l’impasse stratégique dans laquelle elle se trouve ? Que faire pour éviter aux ménages français le doublement de leur facture, conséquence de l’ouverture des marchés ?

Nous avons écouté les députés socialistes et communistes s’exprimer pendant soixante-dix minutes en tout, et nous n’avons rien entendu ! Les socialistes optant pour la solution qui consiste à ne rien faire, les communistes voudraient revenir à la France de 1946. Nous tenons une liste des déclarations des dirigeants socialistes demandant l’ouverture du capital d’EDF et de GDF: M. Strauss-Kahn souhaitait ainsi que l’on descende au-dessous de 50 % pour GDF !

Le débat existe au sein du groupe UMP. Il faut s’en réjouir, même si nous devons aborder ces discussions sereinement. Nous avons accepté qu’il ait fallu quatre mois à GDF et Suez pour se mettre d’accord et que vous ayez réuni, Monsieur le ministre, les partenaires sociaux à trente-sept reprises. Mais nous devons désormais disposer de quelques jours pour trouver les réponses à nos questions. Si le groupe UMP n’est pas encore en mesure de dire unanimement ce qu’il veut, il peut en revanche exprimer ce qu’il ne veut pas.

Nous avons un pôle public électricien qui occupe 80 % du marché et un pôle concurrent privé qui reste à constituer. Nous préférerions qu’il soit français. Beaucoup se demandent si la fusion est la seule solution : les entreprises, qui sont les mieux placées, répondent « oui », le Gouvernement , « certainement ». Toutes les pistes doivent être explorées : s’il est politiquement impossible de faire accepter par le Parlement le projet de fusion, il faudra bien qu’il y ait un plan B.

Y aurait-il eu une autre approche si l’OPA d’Enel avait été amicale ? Si nous voulons qu’EDF et GDF, voire Suez, s’implantent en Grande-Bretagne, en Italie ou en Allemagne, il nous faut accepter l’idée qu’un grand européen s’installe sur le sol français.

M. Pierre Lellouche - Très bien !

M. François-Michel Gonnot - Le problème est que nous ne pouvons accepter que l’OPA consiste à amener dans les bagages les fonds de pension, voire des grands opérateurs américains, avec pour seule ambition de s’emparer d’un certain nombre d’activités qui relèvent de services publics.

Comment aborder l’échéance de 2007 ? Je fais partie de ceux qui réclament un bilan. La France l’avait exigé de ses 14 partenaires au sommet de Barcelone en 2000. Je dois dire que j’accepte mal les conditions dans lesquelles la Commission dresse le bilan de l’ouverture du marché aux professionnels. Il n’est pas normal que le bilan de l’Union prenne la forme de papiers bleus et de perquisitions dans un certain nombre d’entreprises européennes.

M. François Brottes - Très bien !

M. François-Michel Gonnot - Il aurait fallu que la France entreprenne un bilan pédagogique, qui aurait mis à plat le système des prix et nous aurait permis de réfléchir à ces opérations de prédateurs que nous voyions se dessiner en Allemagne, en Italie ou en Espagne.

Il est essentiel que figurent dans le prochain projet de loi des articles permettant de protéger les consommateurs des conséquences de l’ouverture en 2007. Il nous faudra être très attentifs, les moins libéraux et les plus protecteurs possible. Nous devrons parvenir à un consensus afin de régler politiquement cette question qui nous préoccupe tous. Enfin, nous devrons veiller à régler la question de la police des prix, dont personne n’a la compétence, puisque cela a été, et je le regrette, refusé à la Commission de régulation de l’énergie (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Claude Lenoir – L’occasion nous est rarement donnée de porter notre regard sur le très long terme. Le Gouvernement nous invite aujourd’hui à un vrai exercice de politique.

Une bonne politique de l’énergie repose sur quatre piliers : s’assurer de la sécurité de nos approvisionnements ; garantir nos capacités de production ; protéger les consommateurs ; soutenir la croissance et l’emploi. Pour ce faire, nous devons disposer d’entreprises de taille suffisante pour conquérir les marchés étrangers : EDF vend déjà 18 % de son électricité en dehors de l’hexagone.

J’entends souvent dire que GDF vole au secours de Suez. Quelle erreur ! Les deux entreprises ont partie liée, elles doivent se protéger des raids hostiles. Mais qu’est-ce que GDF ? C’est une entreprise dont les actifs sont constitués par des contrats d’approvisionnement et de fourniture. GDF est en charge du transport et de la distribution. Si rien n’est fait, GDF sera tout simplement chargée de gérer, pour le compte de ses concurrents, des tuyaux.

M. Hervé Novelli - Quelle ambition !

M. Jean-Claude Lenoir - Le projet – que je soutiens fermement – ne consiste pas à privatiser GDF, mais à la rendre privatisable. Avec la loi de 2004, il ne s’agissait pas de dire qu’EDF et GDF étaient privatisées à hauteur de 30 % mais de prévoir qu’une commission, en l’occurrence la commission Roulet, déterminerait le montant et les conditions de l’ouverture du capital. J’espère que nous adopterons une semblable démarche lors de l’examen du prochain projet de loi.

GDF doit être privatisable, avec des garanties. L’État doit disposer d’une minorité de blocage pour empêcher toute construction qui ne serait pas conforme à l’intérêt général. Rapporteur de la loi en 2004, je rappelle que le sort fait à GDF aurait pu être différent. Nous avons failli dissocier EDF et GDF, ce qui n’aurait posé aucun problème. Ne faisons pas des 70 % un débat théologique !

Le projet industriel dont il est question sera rendu possible par la privatisation de Gaz de France. Selon un récent sondage, il serait soutenu par 54 % des Français. Le personnel de Suez, dont j’ai rencontré les représentants aux portes du Palais-Bourbon, y est très attaché : tous les syndicats ont pris position en faveur de cette opération ; ils demandent au Parlement de prendre ses responsabilités.

Cette politique suppose également des tarifs qui soient à la mesure des besoins des entreprises, c’est-à-dire des investissements à consentir. Car 34 des 58 centrales nucléaires françaises devront être renouvelées d’ici à 2030. Si les tarifs pratiqués ne permettent pas de financer les investissements, nous courons à la catastrophe industrielle. Ne l’oublions pas !

M. le Président de la commission des affaires économiques – Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir - Il faut d’autre part des garde-fous vis-à-vis des particuliers. Vous avez, Messieurs les ministres, demandé au Conseil supérieur de l’énergie de réfléchir avec l’ensemble des acteurs concernés aux conditions dans lesquelles l’ouverture des marchés pourrait se faire au 1er juillet 2007. Nous avons proposé un dispositif « euro-compatible » qui permet aux particuliers de conserver le bénéfice du tarif, en jouant sur le couple site-personne : quelqu’un qui déménage n’est pas obligé de sortir du tarif ; quelqu’un qui est sorti du tarif et déménage peut le retrouver.

Nous avons également proposé la mise en place d’un médiateur pour l’ensemble du secteur, ainsi que d’un tarif social du gaz. Reste le problème des prix, notamment pour les entreprises industrielles. Nous avons tous eu connaissance de dysfonctionnements. Il nous semble que la Commission de régulation de l’énergie pourrait jouer un rôle de gendarme. Il ne s’agirait pas de fixer les prix, mais de définir une procédure d’agrément, tout en prévoyant que les contrats soient conclus sur le long terme.

Vous m’aviez également confié le soin de faire un bilan. Ce rapport, très complet, est à la disposition de tous.

Je ne puis quitter cette tribune sans répondre à nos collègues socialistes, qui vont décidément un peu loin. M. Jospin s’est engagé en 2002 à Barcelone sur l’ouverture des marchés (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe UMP). Nous n’avons fait qu’appliquer les réformes qu’il avait engagées (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Brottes - Pas pour les ménages !

M. Jean-Claude Lenoir – Les dirigeants socialistes de l’époque, qui pensaient remporter les élections, estimaient d’ailleurs qu’il fallait privatiser et EDF et Gaz de France. Ils avaient donc donné leur accord à Barcelone. Aujourd’hui, le parti socialiste propose de re-nationaliser EDF ! Je préfère l’attitude responsable de ceux qui savent le poids qui pèse sur leurs épaules. Ce poids, nous continuerons de l’assumer, et bien au-delà du printemps 2007 ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – Si j’ai bien compris, la majorité d’entre vous souhaitent prolonger la séance. J’attire votre attention sur le fait qu’il reste plus d’une heure d’interventions, puis la réponse des ministres. J’invite donc chacun à respecter son temps de parole.

M. Jacques Masdeu-Arus – Ce débat est destiné à trancher entre deux options : ou bien nous permettons la constitution d'un grand groupe électro-gazier européen, GDF-Suez, capable de faire face à la concurrence grandissante sur le marché de l'énergie ; ou bien nous décidons le statu quo, et nous subirons le marché, avec le risque permanent d'un raid hostile, comme nous l'a montré l'exemple de l'italien ENEL.

L’ouverture du marché de l'énergie est chaque jour plus grande ; elle atteindra son paroxysme le 1er juillet 2007. Nous devons d’autre part répondre à l'offre publique d'achat sur Suez envisagée par ENEL, qui aurait pour conséquence de marginaliser un peu plus GDF sur la scène énergétique européenne. Le rapprochement de Suez et de GDF n'est donc pas seulement défensif : il vise à faire émerger un nouvel acteur majeur de l'énergie en Europe. Cette fusion est une chance pour notre pays, mais aussi et surtout une nécessité vitale dans un contexte de forte compétition européenne et mondiale.

L’ouverture des marchés européens de l'électricité et du gaz sera achevée en 2007. Le simple particulier pourra choisir librement son fournisseur, faisant ainsi jouer la concurrence. C'est d'ailleurs l'une des trois priorités que s'est fixé la Commission européenne en matière d'énergie, les deux autres étant d’assurer la sécurité des approvisionnements et de favoriser des investissements durables et respectueux de l'environnement.

La récente crise gazière, avec la décision russe de couper le gaz à l'Ukraine, souligne l’urgence d’assurer la sécurité de l’approvisionnement. Le quart du gaz naturel consommé par l'Union européenne provient de Russie, et 80 % de ce gaz emprunte les gazoducs ukrainiens. Notre dépendance énergétique risque même d’atteindre près de 80 % à l'horizon 2030.

Le rapprochement entre GDF et SUEZ offrirait à la France une garantie exceptionnelle, grâce à la sécurisation et à la diversification de ses approvisionnements, ainsi qu’un accroissement des capacités d'investissement. Suez et GDF mettraient en commun des moyens qui leur permettent de devenir le numéro un mondial du gaz naturel liquéfié, disposant ainsi d'un plus grand poids pour négocier avec les gros fournisseurs comme Gazprom en Russie, ou d'autres en Algérie, en Egypte et au Qatar. De nouveaux développements dans l'exploration-production en Russie ou au Moyen-Orient pourraient également se réaliser. Les investissements à consentir sont colossaux.

La question des prix des fournitures d'énergie est tout aussi capitale pour nos entreprises et nos concitoyens. Pourtant, nous n'aurons sans doute jamais la pleine maîtrise de notre facture énergétique, laquelle est définie pour l’essentiel par les cours du brut.

Bien sûr, il nous reste quelques leviers d'intervention, notamment la responsabilisation des consommateurs par une meilleure maîtrise de leur consommation. Le système des certificats d'économie d'énergie défini par la loi de programme permettra d'avancer dans ce domaine.

La consommation d’électricité représente toutefois une part importante de notre consommation d'énergie. La France est dans une situation particulière : avec 90 à 95 % de notre production d'origine nucléaire et hydraulique, le coût de revient est indépendant du prix des hydrocarbures.

Compte tenu de notre parc de production, la fixation des prix du marché européen par rapport au prix du gaz et du charbon pose un problème majeur et remet en cause l'avantage compétitif que notre économie tire de choix courageux. Nos tarifs régulés par les pouvoirs publics sont bien inférieurs aux prix du marché, et figurent parmi les plus bas d'Europe. Il est donc quasiment impossible aux fournisseurs concurrents d'EDF et de GDF de proposer des conditions tarifaires compétitives. Dois-je rappeler que la Commission européenne, comme la Commission de régulation de l'énergie, appelle de ses vœux l'abrogation de ces tarifs régulés ?

Cette question est sensible, surtout à l'approche d'échéances électorales. Nous sommes en prise avec deux volontés légitimes mais contradictoires : maintenir un tarif raisonnable pour le consommateur tout en garantissant à nos entreprises, EDF comme GDF, des capacités de financement suffisantes pour survivre dans un marché à forte compétition et relever le défi du démantèlement et du remplacement de nos réacteurs nucléaires.

Entre la suppression pure et simple des tarifs régulés et leur maintien aux conditions actuelles, il existe sûrement une voie médiane : à nous de la trouver. Si le temps presse, il ne faut pas sacrifier celui de la discussion. Je suggère donc que le Parlement se saisisse dès cet été du projet de loi portant adaptation du secteur de l'énergie, tout en laissant la discussion se poursuivre entre les deux assemblées. Laissons un peu de temps au temps. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Jean Gaubert - Lors du débat de 2004, qui se tenait avec un ministre qui vient de quitter l’hémicycle, nous avions insisté sur le fait que GDF, privatisée, devenait une proie pour les entreprises privées. Le ministre et la majorité nous avaient répliqué que l’entreprise était très peu endettée et sûre de ses approvisionnements. Nous découvrons pourtant aujourd’hui que les négociations pour l’adosser à un groupe privé ont commencé dès cette époque. Il fallait avoir le courage de le dire.

M. François Brottes - Cela aurait été honnête !

M. Jean-Pierre Soisson - C’est vrai !

M. Jean Gaubert - On a donc négocié. Avec un groupe à majorité publique ? Certainement pas ! On ne l’a pas fait parce que l’Union européenne ne l’aurait sans doute pas permis, mais surtout parce qu’on n’a pas voulu poser la question. Avec une entreprise française ? Non. Vous nous parlez, Monsieur le ministre, d’un champion français. Votre prédécesseur, M. Devedjian, lui parlait de champion belge. M. Mestrallet a mis tout le monde d’accord il y a quelques mois en disant que Suez n’était pas une entreprise française mais européenne. Voilà donc que cette entreprise qui s’affirmait européenne veut redevenir française pour s’adosser à Gaz de France.

Votre politique, Monsieur le ministre, consiste à dire non au monopole public mais oui au monopole privé, non à l’entreprise intégrée verticalement mais oui à l’entreprise intégrée horizontalement. Car enfin l’eau, l’assainissement, les entretiens divers, le traitement des déchets, le chauffage urbain, plus le gaz et l’électricité, cela fera beaucoup et je peux vous dire que dans beaucoup de municipalités, le maire pourra se demander de quel côté du bureau il devra se mettre pour parler à la société qui s’occupera de tous ces services !

Que va devenir l’entité EDF-GDF Services, créée suite aux lois de 2004 et qui doit, en principe, être l’entreprise de services de Gaz de France et d’EDF, quand demain Suez- Gaz de France, groupe intégré, aura ses propres équipes ? Bien évidemment, le patron de cette entreprise donnera priorité aux équipes qui dépendent de lui.

Autre question : à qui appartiennent les réseaux publics de gaz ? Ce bien public sera-t-il transféré à une entreprise privée ? Que deviennent les concessions ? Si elles sont passées par pertes et profits, il faudrait au moins le dire.

Par ailleurs, à qui fera-t-on croire qu’une minorité de blocage sert à diriger une entreprise ? Non, elle peut tout au plus servir à empêcher une entreprise de travailler. Vous ne pourrez donc pas vous en servir.

Je voudrais aussi revenir sur la question des prix. Les heureux clients…

M. Jacques Myard - Les euro-clients !

M. Jean Gaubert - … dits éligibles ont eu la bonne surprise de subir une hausse de 48 % en 2005 ! Tout le monde semble s’en étonner, mais les libéraux n’auraient-ils pas compris qu’en marché libéral, le prix n’a rien à voir avec le prix de revient ? Il dépend du rapport entre l’offre et la demande. Si les prix de l’électricité ont augmenté alors que la France a le nucléaire, c’est parce que le marché organise la rareté. En Norvège, premier pays à avoir dérégulé, les prix ont baissé la première année parce qu’il y avait des excédents mais ont ensuite monté parce que les industriels ont éliminé les excédents.

Tout le monde se demande ce que va devenir le prix régulé, mais pour le savoir, il suffit de se référer au rapport de M. Lenoir : « LA CRE, rejointe par certains opérateurs, a souligné la difficulté de coexistence à moyen terme des tarifs et des prix de marché, souhaitant que les premiers se rapprochent des seconds. » On gardera donc peut-être des tarifs régulés, mais on les alignera sur les prix de marché et en 2007, ce seront les particuliers qui subiront, après les entrepreneurs, une hausse de 48 % !

Voilà la situation que vous avez créée avec la loi de 2004. Ce ne sera pas l’essai de bureaucratie libérale que vous essayez de mettre en place qui y changera quelque chose ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Hervé Novelli - Je me réjouis tout d’abord de la tenue de ce débat, qui doit permettre de clarifier un certain nombre de défis, d'éviter les confusions et les procès d'intention.

Il faut en finir avec l'hypocrisie qui consiste à feindre de découvrir qu'il existe un marché commun de l'énergie, alors que ce marché commun de l'énergie a été voulu dès le début de la construction européenne et que les directives européennes l’établissant ont été prises en 1996 pour l'électricité et en 1998 pour le gaz, cette dernière ayant été validée par le gouvernement Jospin. Ces directives ont elles-mêmes été remplacées par celles du 26 juin 2003, qui fixent un objectif d'ouverture complète des marchés au 1er juillet 2007. C'est dans ce cadre qu'il faut inscrire notre réflexion.

Remarquons déjà que la transposition française est incomplète et nécessite donc une intervention législative. La dernière étape, celle de l'ouverture du marché à tous les clients, c'est-à-dire les particuliers, reste en effet à faire. Et le plus tôt sera le mieux, Monsieur le Ministre.

J’évoquais les procès d’intention. Le premier consiste à dire que l’ouverture du marché serait responsable de la hausse des prix de l'électricité et du gaz. Ce serait tellement pratique si c'était vrai, car cela permettrait de renvoyer dans la même opprobre l'Europe, la libéralisation, l'ouverture à la concurrence ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Mais il n'en rien.

M. Jacques Myard - Si.

M. Hervé Novelli - Il est en effet incontestable que l'ouverture des marchés a précédé, et de loin, le début de l’augmentation des prix de gros de l'électricité. Cette ouverture s'est faite dès 1990 en Grande-Bretagne, dès 1998 en Allemagne, dès 2000 en France. Or, l’augmentation des prix n’a commencé qu’en septembre 2003. Il n’y a donc pas de corrélation entre les deux . En fait l'augmentation des prix de l'énergie résulte presque uniquement de l'augmentation des prix du pétrole (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) .

M. François Brottes - Pas pour l’électricité, enfin !

M. Hervé Novelli – La nécessité de disposer d'un marché transparent pour la partie prix n’en demeure pas moins. Je souhaite à ce propos, Monsieur le Ministre, que vous confortiez le rôle de la CRE. Tout marché a besoin d’un régulateur avec de vrais pouvoirs d’investigation et de contrôle, ce qui n’est pas actuellement le cas de la CRE.

M. Jean-Pierre Soisson – Il lui faut aussi des moyens indépendants.

M. Hervé Novelli - Deuxième procès : le consommateur final serait livré aux appétits privés et à la hausse des prix. Je souhaite que dans la transposition de la directive de juin 2003, des garanties concernant le tarif final soient prévues pour les consommateurs tant pour le gaz que pour l'électricité. Cela doit être aussi transcrit dans la loi. Comme l’a dit M. Lenoir, il faut maintenir, sous condition et pour une certaine période, pas pour l’éternité, le bénéfice des tarifs régulés.

J'en viens maintenant à la fusion Gaz de France-Suez.

L'ouverture des marchés change la donne pour GDF, dont près de 80 % de l'activité sera, après celle-ci, constituée par le transport et la distribution de gaz, partie régulée. Sur ce marché européen, GDF doit se marier, car dans ce contexte, le célibat se confondrait avec une perspective de déclin et de marginalisation. Or, une part de l’Etat de 70% empêche les augmentations de capital nécessaires pour cette stratégie et contraint à l'endettement. Rappelons nous l'exemple de France Télécom, qui a failli être emporté par l'obstination mise à garder à la puissance publique, mauvaise actionnaire, une part prépondérante. Les partisans du statu quo sont, ici comme ailleurs, ceux du déclin. Et l'option du rapprochement GDF- Suez apparaît opportune.

Cette opportunité ne date pas d'hier et cela fait des années que ce rapprochement est souhaité et étudié par les différents responsables des deux entreprises.

Plusieurs démarches sont aujourd'hui nécessaires. Une information complète sur les marchés de gros de l'électricité et du gaz – via par exemple la création d'une mission d'information de quelques semaines - serait de nature à faire toute la clarté nécessaire.

Je regrette que le rapprochement de Gaz de France et de Suez ait été vu comme une opération de patriotisme économique face à l'intérêt d'ENEL pour le groupe franco-belge. Les Italiens ne sont pas nos ennemis, bien au contraire, et l'opération a elle aussi du sens. En matière d'électricité, les Italiens sont même nos alliés, comme en témoignent les participations qu'ils s'apprêtent à prendre dans le futur EPR français. Serions-nous donc incapables d'imaginer la naissance d'un ensemble européen associant Gaz de France, Suez et ENEL pour faire émerger le groupe européen de l'énergie dont nous avons besoin ? Sacha Guitry disait que les mariages heureux se font souvent à trois.

Le rapprochement Suez - Gaz de France doit se faire pour donner toutes ses chances à Gaz de France. Il faut sauver le soldat Gaz de France ! Mais on doit aussi intégrer la réflexion stratégique portée par ENEL. Cela ne se fera pas en un jour, Monsieur le Ministre, et je vous demande donc de prendre votre temps, et le nôtre, pour que, dans ce beau défi de la construction européenne, le marché fournisse aux consommateurs l'énergie dont ils ont besoin dans les meilleurs conditions de sécurité et de prix (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Hervé Mariton – Chacun aura pu constater ici que les positions au sein du groupe UMP sont largement convergentes sur le fond.

Ce débat sur la politique énergétique est opportun. Il ne fait pas doublon avec celui que nous avons eu lors de l’examen de la loi d’orientation sur l’énergie. En effet, dans un contexte de mutations rapides, il est nécessaire de revenir sur un sujet qui intéresse au plus haut point l’opinion et la représentation nationale.

La libéralisation du secteur de l’énergie est un processus engagé depuis longtemps au niveau européen, et confirmé par toutes les majorités. Ainsi avons-nous à transposer maintenant des directives adoptées en 2000 et 2003, alors que M. Jospin était Premier ministre. Serait-il responsable et de bonne gestion publique d’attendre juin 2007 pour procéder à cette transposition ? Je ne le pense pas, pour des raisons de fond bien sûr mais aussi de calendrier. Il me semble préférable d’essayer de convaincre l’opinion aujourd’hui plutôt qu’à la veille des échéances électorales de 2007, où la question interférerait nécessairement dans les campagnes, avec en outre le risque de ne pouvoir mener à bien le projet avant le 1er juillet 2007. Il est donc responsable, tant sur le plan économique que sur le plan politique, d’ouvrir ce débat aujourd’hui.

La libéralisation du secteur de l’énergie suscite des inquiétudes, notamment de la part des industriels qui, ayant fait jouer leur droit d’option, doivent faire face à de fortes hausses du prix de l’électricité. Mais, il ne faut pas cesser de le répéter, ce n’est pas la libéralisation qui explique ces hausses – ceux qui le prétendent savent qu’ils mentent ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), mais l’insuffisance de l’offre électrique en Europe. A cet égard, il est bienvenu que la loi d’orientation et le programme d’investissements qui nous ont été proposés prévoient de renforcer l’offre en France – il faudrait que le mouvement suive en Europe. Dans un marché ouvert, il est inévitable que lorsque l’Allemagne par exemple, en sous-capacité, cherche sans cesse à acheter de l’électricité, les prix augmentent (M. Myard s’exclame). Il faut bien distinguer entre le prix et le coût d’un bien qui, dans une économie de marché, ne coïncident pas nécessairement. Mais rien n’interdit bien sûr de faciliter l’organisation de la demande – c’était tout le sens de l’amendement dit « électro-intensifs » adopté dans le collectif budgétaire – ni d’encourager le développement de l’offre, c’est même indispensable.

L’expérience vécue avec l’électricité risque-t-elle de l’être de nouveau avec le gaz ? Non, car l’élément-clé pour la détermination du prix du gaz n’est pas l’insuffisance de l’offre, mais la nature même du marché où il s’établit qui est un marché de négoce. Nous avons ici l’opportunité d’expliquer à nos concitoyens que la libéralisation du marché du gaz ne doit pas leur faire peur, et qu’au contraire la fusion GDF-Suez permettra à la fois d’accroître l’offre électrique et d’améliorer nos conditions d’approvisionnement en gaz.

La libéralisation n’est certes pas la panacée ni une voie facile. Mais il est évident que l’alliance GDF-Suez y constitue une bonne réponse, même si elle n’est pas nécessairement la seule.

Comme le ministre l’a rappelé, la structure du capital de GDF n’influe en rien sur la détermination des prix du gaz. L’évolution qui en est proposée est en revanche indispensable à la réalisation de la fusion avec Suez, solution la plus rassurante. Dans cette opération, nous ne devons toutefois jamais perdre de vue l’intérêt des consommateurs, dont nous sommes aussi les porte-parole – le ministre l’a bien compris. Le Gouvernement apportera dans les jours ou les semaines qui viennent des réponses aux interrogations sur le sujet.

Il nous faut, conformément à nos engagements européens, libéraliser notre marché de l’énergie, en même temps que nous avons l’occasion, avec la fusion GDF-Suez, de mener à bien un excellent projet industriel. La nécessité et l’opportunité ici se rejoignent. Un débat s’est ouvert depuis quelques semaines dans l’opinion, nous avons aujourd’hui un débat à l’Assemblée. Les conditions sont, me semble-t-il, réunies pour avancer (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet – La politique énergétique, voilà un grand sujet qui mériterait de bien plus longs développements que ceux auxquels je pourrai me livrer dans le temps qui m’est imparti. Heureusement, le sujet d'actualité, la fusion GDF-Suez, est assez complexe pour évoquer et, je l'espère, éclairer tous les aspects.

Ce projet industriel est bon, et je ne m'y attarde pas car, précisément, le problème n'est pas là. Il est plutôt dans la présentation que l’on en a faite. Contrairement à ce qui a pu être dit dans la presse, la logique de ce projet n’est pas purement capitalistique. Il ne vise pas non plus à servir le dessein de quelques-uns. Il s'agit de notre capacité, à nous, consommateurs français d'eau et de gaz, de rester maîtres de nos approvisionnements, ou du moins, puisque nous ne produisons plus de gaz, d’en choisir les maîtres. Ce n'est pas d'ailleurs une question de nationalité, mais de structure de l'actionnariat. La perspective de laisser Suez, notamment son activité de distribution d'eau et les délégations de service public de nos communes, à des fonds de pension américains, pose un vrai problème.

Nous n'avons pas assez rappelé que GDF n'était pas un producteur de gaz, mais seulement un distributeur, tributaire du prix des marchés internationaux sur lesquels il se fournit, et donc de son pouvoir de négociation sur ces marchés. Le rapprochement avec Suez, qui a négocié en 2005 8 % des quantités totales en Europe, là où GDF en a négocié 14%, trouve ici tout son sens. Nous espérons du rapprochement GDF-Suez un prix du gaz mieux maîtrisé, mais aussi que des entreprises qui nous sont chères et nous concernent tous ne tombent pas aux mains de fonds de pension. Voilà de vrais arguments, meilleurs que ceux entendus au cours des semaines passées.

Au-delà des arguments, le fond du dossier mérite lui aussi d’être examiné. Ainsi le nouvel ensemble pourrait-il faire l’objet d’une OPA, question souvent posée ? L’État peut-il envisager une golden share ?

M. Jacques Myard - On parle français ici ! Dites une action spécifique.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet - Le nouvel ensemble formé de Suez et de GDF pourrait-il être à son tour menacé, par exemple par Gazprom, dans quelques mois ou quelques années ? Auquel cas nous n'aurions pas gagné grand-chose.... Il faut une réponse claire à cette question.

Enfin, tout ce débat a lieu sur fond de polémique au sujet des prix de l'électricité. Il n'est pas acceptable que la rente nucléaire se retrouve perdue pour les entreprises et les consommateurs français. Depuis des décennies, les Français ont accepté et soutenu une politique nucléaire audacieuse. La France est allée dans ce domaine plus loin que tous les autres pays. Elle doit en retirer les dividendes.

M. le président de la commission des affaires économiques – Tout à fait.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet - Toute initiative du Gouvernement sur ce sujet sera la bienvenue.

Aurait-on répondu à toutes ces questions que l'on n'aurait pas encore abordé la plus importante ! En effet, en ce début de XXIème siècle, alors que l'horizon du peak oil (M. Myard s’exclame) se rapproche et que la lutte contre le changement climatique représente un enjeu majeur, aucune politique énergétique ne peut faire l'économie d'une réflexion sur ce sujet. La seule véritable assurance énergétique, c'est aujourd’hui de prendre la mesure du défi que constitue l'effet de serre. La mission d’information parlementaire, à laquelle j’ai participé, avec M. Poignant notamment, a fait avancer la réflexion. Le plan Biocarburants lancé par le Gouvernement témoigne que l’on a pris conscience de l’enjeu. II mériterait d’être complété par des dispositions concernant les huiles végétales pures.

Mais il faut maintenant aller plus loin encore et y trouver les sources d'une nouvelle compétitivité. L'Europe doit nous y aider. Nous nous plaignons parfois, à juste titre, qu’elle s’occupe de sujets que nous préférerions traiter directement. Mais s'il est un domaine où elle n’est pas assez intervenue jusqu’à présent, c’est bien celui de la politique énergétique, la mission d'information sur l'effet de serre l’a déploré. Une politique énergétique européenne a été annoncée. Sachons saisir cette opportunité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. David Habib – Depuis des décennies, la politique énergétique fait consensus en France. Nous avons, quelle que soit notre appartenance politique, assumé avec ambition les décisions prises par nos prédécesseurs. Les nombreux débats sur l’énergie qui ont été organisés sous cette législature ont prouvé la convergence entre la majorité et l’opposition sur bien des points de la politique énergétique. Je pourrais aisément souscrire à ce qu’a dit Mme Kosciusko-Morizet et je reconnais que les gouvernements Villepin et Raffarin ont fait évoluer positivement certains problèmes, notamment celui des biocarburants. De plus, nous partageons une même vision du nucléaire et nous avons admis la nécessité de faire de plus grandes économies d’énergie.

Or, Messieurs les ministres, vous prenez aujourd’hui le risque de briser ce consensus en traitant de manière anodine l’énergie et la place de l’État dans sa gestion, questions qui doivent être envisagées dans le long terme. La fusion entre GDF et Suez fait débat entre les députés de l’UMP eux-mêmes – ce qui ne dépayse pas le membre du Parti socialiste que je suis (Sourires).

M. le Président de la commission – Pas sur le fond !

M. David Habib - Après M. Méhaignerie, je veux dire que ce projet n’est pas encore mûr. S’agissant du seuil, comment expliquer que M. Devedjian soit aujourd’hui favorable à son abaissement alors qu’il déclarait en 2004 que le fixer à 70% permettrait à EDF et GDF de se développer sans s’adosser sur d’autres entreprises ? S’agissant de Suez, M. Breton a défendu il y a peu une loi anti-OPA. Considérez-vous aujourd’hui qu’elle est inopérante ? De plus, le conseil d’administration de Suez a adopté des outils pour se mettre à l’abri d’une OPA hostile d’ENEL. Ensuite, comme l’a rappelé Mme Kosciusko-Morizet, la fusion ne protègera pas le nouveau groupe d’OPA futures menées par des opérateurs étrangers. S’agissant de la procédure d’action spécifique, en tant qu’élu d’un bassin qui produit encore du gaz, je me souviens de celle associée à la privatisation d’Elf-Aquitaine. On l’a mise en avant, jusqu’au jour où on y a renoncé pour permettre l’OPE entre Elf et Total.

Par conséquent, il faut dire clairement que ce projet de fusion ne met ni le secteur énergétique ni le secteur de l’eau à l’abri de futures OPA. Or la solution consistant à adosser GDF à EDF permettrait de répondre à une demande de plus en plus forte, qui tend à ce qu’on prenne en compte la dimension publique de la gestion de la ressource en eau. Monsieur Loos, vous inaugurez lundi dans mon département une nouvelle liaison gazière, preuve s’il en est que la puissance publique peut œuvrer dans le sens de l’intérêt général. Il est possible de trouver une autre hypothèse que celle de la fusion entre Suez et GDF ; Laurent Fabius a notamment fait des propositions, notamment celle d’une intervention de GDF permettant d’éviter l’OPA de ENEL sur Suez ; il y a aussi des solution du côté d’EDF. Nous avons besoin de temps pour les expertiser. Cette question pourrait être traitée avec davantage de sérénité si vous renonciez à déposer un projet de loi dans quelques semaines (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jacques Myard – Je me félicite de l’organisation d’un débat sur la politique énergétique car celle-ci est au coeur de la prospérité économique nationale. Jadis, le charbon était considéré comme le pain de l’industrie. L’énergie, parce qu’elle est géostratégique, ne peut être laissée entre les mains des seuls marchés, parfois versatiles et guidés par l’intérêt immédiat. Jusqu’à présent, le système français était monopolistique. Il était certes critiquable, et je ne serai pas le défenseur des privilèges éhontés du comité d’entreprise d’EDF, auxquels il faudra mettre un terme. Cependant, ce système a permis d’assurer l’indépendance énergétique et de garantir à la communauté nationale un coût de l’énergie, notamment de l’électricité, parmi les moins chers d’Europe.

Mais, sa structure juridique ne plaisait guère aux idéologues bruxellois. La Commission a donc imposé une déréglementation totale qui a eu pour conséquence un renchérissement du prix de l’électricité. En effet, EDF, fournissant de l’électricité à l’Allemagne, a aligné ses prix sur ceux pratiqués outre-Rhin. Qu’elle gagne de l’argent est une bonne chose, mais est-ce bien son rôle ? N’a-telle pas pour première mission d’assurer notre indépendance énergétique, plutôt que de faire à leur place le travail des Allemands ? L’électricité est chère en Allemagne parce que les Allemands n’ont pas consenti les investissements nécessaires.

La concurrence est une bonne chose, si elle est loyale, et si elle se déploie sur un vrai marché. Or, en matière d’électricité, il n’existe pas à proprement parler de marché mondial puisqu’on ne peut pas vendre de l’électricité au Japon, tout au plus une centrale. La concurrence ne peut donc s’exercer correctement et ne doit pas l’emporter sur les choix stratégiques de la nation. Les pouvoirs politiques doivent mettre en place un service public de l’énergie.

En revanche, pour le gaz, il existe un marché mondial, bientôt dominé par Gazprom, ce qui n’est pas sans poser problème. La Russie, après la dissuasion nucléaire, brandit la dissuasion énergétique.

M. Pierre Lellouche - Juste !

M. Jacques Myard - La déréglementation du gaz risque de faire entrer le renard Gazprom dans le poulailler français et européen ! En Allemagne, la stratégie du groupe russe a été de créer ses propres entreprises plutôt que de s’allier avec les distributeurs et les producteurs historiques. La fusion proposée entre Suez et GDF est parfaitement défendable au point de vue industriel mais ce nouveau groupe n’aurait pas un poids significatif puisqu’il n’est pas producteur de gaz. Par ailleurs, il ne serait pas à l’abri d’une OPA hostile que le Gouvernement ne pourrait contrer par une action spécifique privilégiée à laquelle la Commission, toujours elle, est opposée.

La dérégulation n’est pas adaptée au secteur de l’énergie. L’implication de l’État est nécessaire. Au nom de l’indépendance énergétique et de la sécurité des approvisionnements, nous ne devons pas laisser les intérêts français dans le « bingo » actuel du casino spéculatif mondial. Monsieur le Ministre, vous devez refuser le « tout concurrence » et obtenir la modification des règles à Bruxelles.

M. Gilles Carrez – La question industrielle de la fusion entre EDF et GDF doit être disjointe de celle, politique, de l'évolution des tarifs de l'électricité et du gaz. La difficulté est que nous connaissons actuellement la concomitance de plusieurs phénomènes : l'envolée du prix de revient du gaz en raison de son indexation sur le pétrole ; l'ouverture du capital de GDF et EDF dans lequel l’État conserve une participation de 70 % – je rappelle que l’ouverture du capital de GDF avait été envisagée dès 1999 par Dominique Strauss-Kahn et Christian Pierret.

M. David Habib - Ils ne l’ont pas fait !

M. Gilles Carrez - Il y a aussi l’ouverture du marché de l’énergie, qui a été mise en œuvre par étapes successives et sera totale au 1er juillet 2007.

M. Jacques Myard - Grave erreur !

M. Gilles Carrez – Quatrième phénomène, à l’effet perturbateur regrettable : la forte augmentation du prix de l'électricité pour des entreprises éligibles qui avaient choisi la concurrence il y a deux ans et qui, revenant chez EDF, se voient imposer des tarifs liés non pas au prix de revient de l'entreprise, mais à l'évolution du cours du baril. Tout cela entretient une grande confusion et facilite un discours simpliste et trompeur : ouverture du marché, ouverture du capital et privatisation seraient synonymes de dérive tarifaire et de perte de contrôle du prix de l'énergie en France, au détriment des ménages et des entreprises. Nous perdrions ainsi l’avantage comparatif que nous possédons en matière de prix de l’énergie grâce à l’ambitieuse politique nucléaire conduite avec constance par les majorités gaullistes – à comparer aux décisions irresponsables prises par la majorité socialiste et surtout verte à l’automne 1997.

Ces questions appellent des réponses claires et il me semble que le Gouvernement devrait pouvoir prendre des engagements précis. Les tarifs de l'électricité peuvent-ils continuer d'être régulés, et dans quelles conditions ? La concurrence implique que l'industriel qui a les prix de revient les plus faibles pratique aussi des prix de vente faibles, car il ne se livre pas au dumping. II n'y a donc aucune raison, qu’elle soit économique ou de droit européen, Monsieur Myard, à ce que le consommateur français ne soit pas assuré du maintien de tarifs d'électricité avantageux. C'est au Gouvernement d'imposer ces obligations à EDF.

M. le Président de la commission des affaires économiques – Très bien !

M. Gilles Carrez – La nature de l'actionnariat, public ou privé, n'a rien à voir avec cela : ce n’est pas parce qu’on a privatisé les sociétés d'autoroutes que l'État a abandonné son pouvoir de contrôle des péages !

M. Jacques Myard - Mais il n’a plus les moyens de l’exercer !

M. Gilles Carrez - Messieurs les Ministres, nous attendons des engagements clairs sur ce sujet. La question du gaz est différente. En effet, il est évident qu’il faut maintenir une régulation, d’abord pour garantir une tarification sociale mais aussi parce que le prix du gaz dépend du prix du pétrole et que les grands producteurs de gaz sont très concentrés : Russie, Quatar, Iran. Il est peut-être possible d’oublier les réalités économiques pour des raisons idéologiques, mais nous ne le ferons pas.

Le projet de rapprochement entre GDF et Suez n’a rien de neuf : il était envisagé par chacune des entreprises depuis des années, pour la simple raison qu’il a beaucoup de sens. Il est reproché à Gaz de France d’être trop petit, trop spécialisé, trop hexagonal. Suez, lui, est électricien, avec Electrabel et la Compagnie du Rhône, mais aussi très présent dans les métiers de l'environnement, aux côtés, comme GDF, des collectivités locales. Les synergies sont donc évidentes et nécessaires.

Si cette opération ne se fait pas, des questions difficiles se poseront dans les jours qui viennent. On sait que l’OPA d’ENEL est prête : le financement de 50 milliards est bouclé et je crains que les récentes ouvertures italiennes ne visent qu’à nous pousser à baisser la garde. En cas donc d’OPA, Suez sera vendu par morceaux, avec les conséquences qui s’ensuivront pour les 60 000 salariés français et pour nos collectivités locales. Quant à Gaz de France, elle reste une entreprise isolée, qui manque de capacités d’investissements et d’approvisionnement – et donc une entreprise vulnérable. L’issue est jouée d’avance : ce sera la reconstitution d’un grand monopole public EDF-GDF, comme au bon vieux temps, mais qui ne correspond absolument pas aux idées que nous nous faisons de l’économie de marché et du fonctionnement des entreprises dans notre pays. C’est toujours le contribuable qui paie les effets déplaisants du monopole public, dont le régime spécial des retraites est une des illustrations les plus emblématiques, mais pas la seule. Il est tout de même préférable que la France soit dotée de deux grands acteurs de l’énergie, l’un public et l’autre privé, tous deux de capital et de culture à prédominance française. C’est la garantie d’un approvisionnement aussi sûr que possible et d’une grande capacité d’investissement, c’est l’intérêt du consommateur et c’est un enjeu majeur pour l’emploi dans note pays.

Comme tout le monde, je regrette le calendrier et la forme qui nous sont imposés, mais je reste persuadé que nous ne pouvons pas laisser passer une chance qui risque de ne pas se reproduire de sitôt (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Pierre Lellouche – Je vous convie à la suite du débat intra-UMP… Le projet de fusion entre GDF et le groupe Suez peut en effet être interprété très différemment selon que l'on se place du point de vue des actionnaires, des analystes financiers, des dirigeants des entreprises ou des synergies industrielles. La seule question qui doit intéresser les représentants de la nation est la pertinence de ce projet dans la politique énergétique d’ensemble de la République.

Trois objectifs fondamentaux doivent fonder cette politique : l’indépendance énergétique, dans toute la mesure du possible pour un pays qui ne dispose quasiment d'aucune réserve d'énergie fossile, la sécurité des approvisionnements, mission régalienne de l’État, et la nécessité économique et sociale de maintenir les prix les plus bas possibles pour les consommateurs. Je laisserai donc toute considération politicienne de côté, comme l’organisation de ce débat à la fin de la session parlementaire et à dix mois des élections, car c’est uniquement à l’aune de ces objectifs qu’il faut évaluer ce qui nous est proposé.

Il est impensable d'isoler le projet de fusion du contexte international de brusque flambée des prix du pétrole et du gaz, due, entre autres facteurs géopolitiques, à l'irruption sur le marché de très grands consommateurs comme la Chine et l'Inde. Ainsi, la dépendance de l'Europe en matière d'énergies fossiles va passer de 50 % aujourd'hui à 70 % en 2020. Elle concernera de plus en plus le gaz, plutôt que le pétrole, et nous dépendrons donc de plus en plus de l'Algérie, de la Norvège et de la Russie, et à terme de l’Iran et du Qatar. La Russie s’est d’ailleurs dotée d’un instrument politique et stratégique majeur avec cette immense entreprise étatique – la première capitalisation boursière au monde ! – qu’est Gazprom, qui intervient d’ailleurs dans bien d’autres domaines, comme celui des médias.

À quelques jours du sommet de Saint-Pétersbourg, ironiquement consacré à la « sécurité énergétique », ce sont ces questions qui doivent être au cœur de nos décisions, et j'avoue ne pas très bien comprendre votre vision de notre politique gazière. En 1973, il y a déjà trente-trois ans, à la suite du premier choc pétrolier, notre pays avait lancé un programme électronucléaire unique au monde, piloté par l'Etat et dont nous tirons aujourd'hui tous les bénéfices. Nous avons non seulement constitué la première industrie nucléaire au monde – et, pour avoir eu l’honneur de négocier l’implantation d’ITER à Cadarache, je sais que cela a été un argument majeur aux yeux de nos partenaires – mais aussi atteint l’indépendance énergétique, avec 80 % de notre production d’électricité d’origine nucléaire. J’attendais donc beaucoup du Gouvernement : j’aurais aimé des orientations stratégiques plus nettes, s’agissant notamment du renouvellement de notre parc de centrales – un seul EPR, et décidé bien tardivement –, de la stratégie d’EDF et de l'indispensable ouverture de capital d'AREVA, qu’il a pourtant bloquée.

Sur le plan pétrolier, la fusion réussie Total-Fina-Elf a donné à la France l'une des premières majors mondiales, riche de ressources stratégiques importantes et réparties intelligemment sur la planète. S'agissant du gaz, il y a deux ans, EDF et GDF ont été priées de suivre deux logiques distinctes. Une société a été créée, Gaz de France, détenue à 70 % par l'Etat. Elle est de taille modeste, héritière d'un réseau de distribution et de stockage mais dépourvue de réserves et de stratégie propre d'approvisionnement. Il est donc normal de se préoccuper de son développement. Mais à la suite – quatre jours seulement ! – de l'annonce des intentions d’ENEL, la fusion avec Suez a soudainement été présentée comme la panacée ! Que cette fusion fasse sens d’un point de vue patrimonial, y compris d'ailleurs pour l'État actionnaire, qu’elle soit intéressante sur le plan des synergies industrielles – on connaît l'expérience de Suez en matière de transport de gaz liquéfié – et qu'elle serve certains intérêts des actionnaires belges, je veux bien l'admettre. Ce que je ne saisis pas, c'est la cohérence de cette solution avec notre stratégie gazière.

Après nous avoir fait voter la séparation d’EDF et de GDF par la loi du 9 août 2004, on nous explique aujourd’hui qu'il est urgent de remarier le gaz avec l'électricité, mais de Suez cette fois. Avec ou sans golden share, le groupe ainsi constitué ne serait-il pas susceptible d’être l’objet d’une OPA, de la part de Gazprom par exemple, qui n'a pas caché sa volonté de contrôler l'ensemble du marché gazier en Europe ? – et M. Miller, le patron de Gazprom, a convoqué les Européens à Moscou pour le leur dire ! Ce nouveau groupe permettrait-il à l'État français de mieux garantir ses approvisionnements, sachant que Suez ne possède pas de réserves propres en matière gazière et qu’il s’agit de négociations éminemment politiques, d’État à État ? La baisse sensible de la participation étatique dans GDF serait-elle un avantage ? Il est vrai, Monsieur Breton que « la stratégie des entreprises leur appartient », mais dans de tels secteurs, cette stratégie est d'abord une stratégie politique et l'Etat doit y conserver toute sa place.

M. Jacques Myard - Bien sûr !

M. Pierre Lellouche - Enfin, en quoi l'existence du groupe ainsi fusionné aurait-elle un impact positif sur l'évolution des prix à la consommation ? Et comment convaincre les citoyens français que la privatisation de GDF ne sera pas la cause de l'augmentation, demain, des prix à la consommation, alors qu’on a déjà pu constater l’évolution de la politique de prix menée par EDF depuis sa privatisation partielle ?

En dernier lieu, se pose une question européenne : comment expliquer à nos amis italiens, chez qui de grands groupes français ont d'ores et déjà pris des parts considérables sur le marché de l'énergie, que nous leur interdisons a priori de prendre pied sur le marché de la production d'électricité... en Belgique ?

Monsieur le ministre, puisque vous avez pris le temps de recevoir les syndicats trente-sept fois, pourquoi ne pas prendre celui d’élaborer une véritable stratégie européenne en matière gazière et énergétique, au lieu de laisser perdurer l’émiettement des réseaux de distribution et de gazoducs placés en concurrence les uns avec les autres, au bénéfice principal de Gazprom ?

Telles sont les questions que je me pose au sujet de l'opportunité économique et stratégique de cette fusion, dans le contexte international extrêmement tendu que je viens de rappeler. Je n’en fais pas une affaire politicienne ou idéologique et je voudrais, au moins, que l’on prenne le temps de discuter de tous ces enjeux.

M. François Dosé - Très bien.

M. Pierre Lellouche - Las, Monsieur le ministre, pour vous avoir écouté très attentivement, je suis au regret de dire que je n’ai guère entendu de réponses et que les conditions dans lesquelles il est envisagé de débattre du projet de loi annoncé, dans les délais très resserrés qui nous séparent de la fin de la session parlementaire, ne me conviennent pas. Je considère en effet qu'il est de l'intérêt du pays de prendre le temps de la réflexion sur l'ensemble de notre politique énergétique et gazière – je veux remercier le Gouvernement de l'avoir ouverte aujourd'hui mais il ne faudrait pas la conclure le même jour ! Et d'examiner, en particulier, s'il n'existe pas, avec nos partenaires européens, des solutions alternatives plus convaincantes pour ce qui concerne la sécurité des approvisionnements et la politique de prix. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Christian Bataille – Alors que notre pays disposait d’un système énergétique fondé sur des entreprises publiques, régulé au plus haut niveau par l’État, le Gouvernement s’applique à le détricoter maille après maille. Il était pourtant issu de la volonté politique des gouvernements qui se sont succédé depuis plus de soixante ans : pourquoi détruire ce qui fonctionnait bien ? Comment en est-on arrivé à la logique mondialisée qui veut que le prix du kWh nucléaire produit en France se trouve indexé sur le prix du baril de brut du Proche Orient ?

Contrairement à ce qu’affirment les théoriciens du marché libéralisé, l’énergie n’est pas une marchandise ordinaire. Elle recouvre des notions qui échappent aux considérations purement commerciales, puisqu’elle est avant tout un bien nécessaire à la vie. Par ailleurs, du fait de l’effet de serre, on ne peut la consommer n’importe comment. Enfin, elle est aussi stratégique que la défense nationale pour garantir notre indépendance.

Le gaz est une énergie de première nécessité qui requiert l’intervention de la puissance publique. Comme l’a dit M. Lellouche, le gaz joue un rôle prépondérant dans notre approvisionnement énergétique. En France, le gaz naturel représente une ressource croissante : en 2005, la consommation de gaz naturel en tant qu’énergie primaire a représenté 41 millions de TEP, soit près de 15 % du total, et doublé depuis 1973. La consommation de gaz naturel s’effectue à hauteur de près de 40 % dans le secteur résidentiel, de 38 % dans l’industrie et de 16 % dans le tertiaire. C’est dire si le prix du gaz naturel a une influence sur le niveau de vie de nos concitoyens et sur la compétitivité de notre économie.

Les pressions sur les prix internationaux du gaz demeurent très vives. Dans le cadre des contrats d’approvisionnement de long terme, les prix, entre mars 2005 et mars 2006, ont augmenté de 76 % ; sur le marché spot de Londres, l’augmentation a été, dans la même période, de 90 % . Il faut savoir que les prix du gaz naturel dans le cadre de contrats d’approvisionnement à long terme suivent ceux des produits pétroliers avec un retard de trois à six mois seulement ; 95 % du gaz consommé dans notre pays étant acheté dans ce cadre, le marché national est ouvert à 70 % à la concurrence.

Ces constats démontrent que le contrôle de Gaz de France par l’État permet la modération des tarifs. Fin 2005, la composition de l’actionnariat de l’entreprise était la suivante : 80 % à l’État et 11 % aux institutionnels. Gaz de France a signé un contrat de service public avec l’État, qui prévoit des obligations de service public, et, en contrepartie, des ajustements de ses tarifs tous les trois mois. C’est le contrôle par l’État du capital de Gaz de France qui permet de limiter la hausse de ses tarifs, comme le montre l’épisode de la fin de l’année dernière. En novembre 2005, Gaz de France demande une hausse de 12 % ; en contrepartie, il est décidé de diminuer de 45 % le tarif d’abonnement, ce qui n’est pas rien pour les 7 millions de clients particuliers qui se chauffent au tarif grand public. Dès lors, la facture ne devrait pas augmenter de plus de 3,8 %. En l’espèce, le Gouvernement a bien négocié, pour le plus grand profit des consommateurs.

Tributaire de ses fournisseurs, qui appliquent tous l’indexation des prix du gaz naturel sur ceux du pétrole, Gaz de France conserve toutefois une marge de manœuvre dans le temps pour répercuter les variations des cours du brut. En outre, l’entreprise s’attache à juste raison à développer sa production de gaz naturel, laquelle reste très faible puisqu’elle ne représente que 3 % des volumes qu’elle commercialise.

La privatisation de Gaz de France est donc dangereuse pour l’évolution des prix du gaz naturel. Elle rendrait en effet impossible le type de modération arraché par l’État, les actionnaires privés privilégiant à l’évidence la maximisation des profits de l’entreprise. Aucune menace d’OPA inamicale ne pèse sur un Gaz de France contrôlé à 80 % par l’État. Il représente par contre une proie intéressante pour d’autres groupes, en raison de l’excellence de son réseau de distribution – dont je rappelle qu’il est issu de l’effort national – et des débouchés offerts à la production de gaz.

Enfin, penser que Gaz de France, allié à un autre grand groupe, serait en mesure de peser sur les tarifs mondiaux est un leurre qui ne trompe personne, et je n’ai rien à retirer sur ce qui a été dit à propos de Gazprom.

J’en viens à l’électricité. La dérive injustifiable des prix de l’électricité ne doit pas remettre en cause le socle nucléaire. La dérégulation du marché a été un échec. En France, d’après les résultats maintes fois évoqués à cette tribune de Nus Consulting sur les coûts de l’électricité, le prix au 1er avril 2006 était de 86 euros par MWh sur le marché dérégulé, en augmentation de 48 % en un an et de 76 % sur cinq ans. Sur le marché régulé, le prix, à la même date, était de 52 euros, stable sur un an et en augmentation de seulement 10 % sur cinq ans.

Comment justifier la hausse sur le marché dérégulé ? Seulement par un alignement sur les prix du marché ; en aucun cas par l’incidence du coût du CO2, ni par celui du coût du remplacement du parc de production. Au contraire, l’augmentation de la durée de vie des réacteurs de trente à quarante ans a constitué un effet d’aubaine pour EDF, le président Roussely ayant réétalé la dette. Aux Etats-Unis, les centrales nucléaires sont appelées des « cash cows »… De son côté, EDF profite aujourd’hui des choix clairvoyants effectués par la collectivité nationale dans le passé et de l’effort collectif. En réalité, la dérégulation imposée par Bruxelles est un échec total.

Dans quelle mesure les clients industriels sont-ils intéressés par un changement de fournisseur ? L’enquête de la CRE fournit des réponses : le prix est la motivation essentielle du changement de fournisseur et 4 clients sur 10 pensent que l’ouverture des marchés est synonyme de baisse des prix ; un client sur cinq est capable de citer un fournisseur autre que son opérateur habituel ; 6 % des clients changent finalement de fournisseur. Pour l’avenir de notre industrie, il faut impérativement que celles de nos entreprises qui ont quitté EDF puissent revenir sans tarder dans le marché régulé.

Un dernier mot, à propos de la rente nucléaire, laquelle est la propriété de la nation. Le coût de production du MWH par EDF constitue l’un des secrets industriels les mieux gardés. Le parc électronucléaire étant pour partie amorti, on peut estimer qu’il se situe entre 30 et 35 euros, à rapprocher des 52 euros que j’ai cités tout à l’heure sur le marché régulé. On peut donc parler de rente, laquelle ne saurait bénéficier aux actionnaires privés d’EDF. La volonté des dirigeants de l’entreprise de rémunérer ses actionnaires privés – certes très minoritaires – tire le MWH vers des prix spéculatifs qui n’ont plus rien à voir avec le tarif raisonnable que devraient acquitter les clients. Dès 1999, dans un rapport pour l’OPECST, j’ai appelé l’attention des pouvoirs publics sur le risque d’appropriation de cette rente au détriment de la nation. Elle doit en effet faire l’objet d’un partage équitable entre tous.

La rente doit d’abord permettre de rembourser la dette contractée par l’entreprise, de manière à lui permettre d’investir. Elle doit ensuite contribuer à la rémunération de l’État actionnaire et des autres actionnaires. Puis elle doit permettre d’investir dans le parc de production, en particulier pour le renouvellement des centrales. Enfin, elle doit permettre de maintenir un prix très raisonnable sur le marché régulé, afin que les consommateurs, qui ont payé le parc d’EDF, bénéficient de leur investissement et que la France demeure une terre d’élection pour les industries électro-intensives.

Monsieur le ministre, votre Gouvernement a pris des décisions tout à fait positives en faveur de l’énergie nucléaire, dont celle – et je le dis à titre personnel – de réaliser le premier EPR. Demain, nous allons sortir de l’impasse pour ce qui concerne le traitement des déchets nucléaires.

Mais tous ces efforts risquent d’être réduits à néant et nous aurons à faire face à une crise de confiance de l’opinion envers l’énergie nucléaire. Ce que les militants anti-nucléaire n’ont pas réussi à faire, vous y parviendrez par une politique absurde qui, en gommant l’avantage compétitif de l’énergie nucléaire, n’incitera pas les citoyens à défendre celle-ci.

L’ouverture libérale est un fantasme de banquiers , qui entraîne la remise en cause de service public, l’abandon d’un prix stable et l’ignorance des préoccupations environnementales. Songeons enfin à la prétention de la CRE, organisme non démocratique, qui a confisqué le rôle des pouvoirs publics et fixé le niveau des prix en fonction de l’offre et de la demande. Les consommateurs et les entreprises ont besoin d’un service public de l’énergie et de prix régulés, d’un État républicain qui joue son rôle et refuse le calcul financier. C’est l’intérêt général qui doit continuer de déterminer la politique énergétique (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) !

M. Claude Birraux – Il est dommage que trop peu de députés socialistes aient entendu le plaidoyer de M. Bataille pour le nucléaire, eux qui n’ont pas voté le lancement de l’EPR et prévoiront peut-être dans leur programme d’arrêter le chantier.

M. François Brottes - Que chacun s’occupe de son programme !

M. Claude Birraux - La politique énergétique du gouvernement Jospin a été marquée par un très fort attentisme, une absence de choix, et des textes en panne, comme celui sur la transparence nucléaire. Son seul exploit a été la fermeture de Super Phénix, sans débat démocratique préalable (« Dix milliards ! » sur les bancs du groupe UMP).

Nous avons beaucoup travaillé depuis 2002 : nous avons adopté la loi d’orientation, fait le choix d’EPR et relancé très fortement les énergies renouvelables, en particulier les biocarburants – ce que les écologistes du gouvernement Jospin n’étaient pas parvenus à faire.

Il nous faut préparer l’avenir. Une politique énergétique à long terme doit prévoir de remplacer les énergies fossiles par des combustibles dépourvus de gaz à effet de serre. L’OPECST a publié un rapport, adopté le 15 mars, dont les auteurs ne sont autres que M. Bataille et moi-même. Les nouveaux objectifs doivent être de travailler pour les biocarburants du futur, à partir des biomasses, de redonner une nouvelle jeunesse au carbone et au charbon et enfin, de lancer le nucléaire des 3e et 4e générations.

La politique énergétique a permis d’assurer notre indépendance et de protéger le consommateur : si le prix de l’uranium double, le prix de l’électricité ne sera affecté que de 10 %. Si le prix du gaz double, celui de l’électricité augmentera de 40 %. L’avantage compétitif du nucléaire, avec des centrales presque amorties, ne se reflète pas sur les prix du marché pour les PME éligibles.

M. le président de la commission des affaires économiques – C’est vrai !

M. Claude Birraux – Pour Bruxelles, le taux d’ouverture est le nombre de clients qui changent de fournisseur : cela ne me paraît pas un critère suffisant. On voit poindre un certains nombre de traders qui demandent à ce qu’EDF cède des centrales amorties. Enfin, il nous faut donner le libre choix au consommateur de sortir ou de revenir dans marché régulé.

Les impératifs de la politique énergétique doivent être de lutter contre l’effet de serre et d’assurer la sécurité de notre approvisionnement. C’est là que se pose la question Suez – Gaz de France. On nous dit que pour peser sur la scène énergétique, il faut être opérateur. Or Gaz de France n'est qu'un distributeur, donc fragile. D'un côté, nous avons les défenseurs du service public, de l’autre, un marché globalisé, avec des pays producteurs plus ou moins stables, avides de profiter de leurs rentes, et une demande croissante des consommateurs, en particulier des pays émergents.

Les prix du pétrole et du gaz augmentent en conséquence et les pays producteurs manipulent les vannes de fourniture : si la Russie nous refait le coup de l'Ukraine, que pèseront les symboles du service public face à des tuyaux vides ?

La fusion Gaz de France - Suez est-elle donc la bonne réponse ? La direction du Trésor a déjà vendu cette idée à MM. Fabius et Strauss-Kahn, sous le Gouvernement Jospin. Je rappelle aussi que le rapport de Mme Bricq, députée socialiste en mission, préconisait la privatisation de Gaz de France.

La question est industrielle : peut-être faut-il d'autres partenaires, comme un pétrolier ? Je l’ignore, mais je regrette que le Gouvernement ait transformé ce dossier industriel en un dossier exclusivement politique. Ce que je sais, c'est qu'ENEL veut acquérir des compétences dans le nucléaire. Dans un monde globalisé et politiquement instable, ne faut-il pas rechercher des synergies européennes et avoir un champion européen ? De ce point de vue, EDF a mené une politique européenne pour disposer d’un marché européen.

Le dossier doit mûrir encore, et je rejoins sur ce point l’avis de MM. Méhaignerie et Lellouche. Pourquoi ne pas le faire examiner par une Commission Roulet et faire voter tout de suite les modalités d'application de la directive pour 2007 d'ouverture des marchés électriques et gaziers ?

La forme de ce débat est particulièrement désagréable pour les parlementaires. Je pensais que le Gouvernement en attendrait l’issue pour annoncer ses conclusions. Il n’en est rien et je crois que cette incompréhension est grave. Il est grand temps de réfléchir pour savoir si la solution que vous nous proposez est la bonne, ou s’il en existe d’autres (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Claude Gatignol - Depuis 2000, et plus encore ces derniers mois, l’énergie est l’objet d’une préoccupation croissante. Elle constituera sans doute l’un des points d’achoppement du sommet du G8 en juillet, sous présidence russe. Deux aspects dominent les commentaires : la disponibilité et le coût. Le Gouvernement a donc l'obligation politique d'engager de véritables choix stratégiques.

Les deux bases impératives de cette politique sont la garantie de l’approvisionnement et la compétitivité, et leurs corollaires, un impact minimal sur la santé et l'environnement, et une optimisation maximale de la consommation.

La France dispose d’un parc nucléaire de 63 000 MW et un parc hydraulique de 25 000 MW – 95 % de la production nationale – assurant ainsi notre indépendance et notre bonne place de faible émetteur de CO2. Toutefois, il convient de s'interroger sur les prix pratiqués puisque, depuis les tentatives bien modestes d'ouverture du marché européen, cohabitent, avec un grand écart, le tarif réglementé et le prix de marché. Quelle réponse pouvez-vous apporter à ce sujet, Messieurs les ministres ?

Les paramètres du prix de revient sont multiples, complexes, mais la baisse du KW enregistrée dans les années 2000 relève plus d'un manque de prévision que du fonctionnement normal de l’offre et de la demande. L'ouverture du marché, très imparfaite, sans effet de concurrence, a certainement limité, plutôt que contribué à la hausse constatée. J'ajoute que la mission de la CRE est bien d'évaluer les coûts et de dire l'évolution des prix. J'ai souhaité que son rôle soit renforcé, fondé sur une indépendance de fonctionnement et une compétence incontestée. L’envisagez-vous enfin, Messieurs les ministres ?

En outre, l’électricité, énergie non stockable, est soumise aux capacités du réseau de transport et aux interconnexions européennes très insuffisantes. Leur renforcement doit être inscrit en priorité pour la fluidité des échanges et la réponse à la consommation de pointe. Nous ne voulons pas des fameux « black outs » !

Quant à la production, il est évident que la filière nucléaire est une bonne réponse : la tranche 3 de Flamanville, l'EPR français numéro 1, y contribuera de toute sa puissance. Nous devons améliorer aussi l'hydraulique : le rapport Dambrine qui vous a été remis dernièrement, Monsieur le ministre, est à cet égard encourageant et les autres énergies renouvelables apporteront leur part. EDF et Areva sont ainsi leaders et occupent une place de choix à l’international.

Quant aux énergies d'origine fossile, la situation est très différente : nous sommes importateurs à 100 %. Le pétrole est devenu l'emblème de la croissance économique, mais aussi des surenchères irraisonnées. Les capacités d'extraction et de raffinage sont insuffisantes pour répondre à la demande mondiale, et le fameux baril dépasse les 75 dollars. Certes nous avons la chance de disposer, avec Total, d’un grand opérateur international, et d’un parc composé à 70 % d’automobiles diesel, ce qui nous préserve de surconsommation excessive. Cependant, nous ne disposons que de peu de moyens pour maîtriser les coûts de carburant, même si l’augmentation de la part des biocarburants votée par les députés permet de limiter nos importations pétrolières.

Le charbon aura sans aucun doute un grand avenir lorsque la recherche nous aura fourni les moyens de l'utiliser en maîtrisant les émissions de CO2 et de radioactivité.

Le gaz, autre produit fossile, devient en conséquence un enjeu démesuré de politique internationale. Les pays bénéficiant de réserves les utilisent comme une arme diplomatique, économique, politique. Mais les réserves sont une chose, les opérateurs en sont une autre : pour être assurée d'une place à la table des négociations, une entreprise gazière doit avoir une dimension reconnue et des moyens d’investissement importants.

Gaz de France est un champion national, très actif dans la recherche de parts dans la production gazière et dans la distribution. Ce n’est malheureusement pas suffisant pour aborder l'avenir avec sérénité, comme nous le montre l'achat manqué il y a quelques jours en Roumanie.

Le projet GDF-Suez, fondé sur la complémentarité, l'élargissement des compétences, le renforcement du transport du gaz naturel liquéfié et la diversification des sources, ne peut donc qu'être soutenu, d’autant que les conclusions des études économiques sont favorables. Suez est un énergéticien sérieux, solide et diversifié. Les services qu’il assure auprès de plus de 5 000 collectivités en font un acteur local reconnu. La complémentarité est réelle entre les deux entreprises, qui ont en commun une culture du service public et une exigence de qualité du service. L’État a un droit de regard régalien sur cette nouvelle entité. C’est possible avec une participation de plus d’un tiers au capital et la fameuse action spécifique qui a déjà été autorisée par Bruxelles sur Fluxys et Distrigaz. Avons-nous toutes les garanties sur ces points ?

II reste à définir comment le consommateur, entrepreneur ou particulier, peut bénéficier de cette évolution et à maintenir la délégation de service public. Le groupe UMP a des propositions à faire ; n’oublions pas que la directive sera de toute façon applicable au 1er juillet 2007.

Le Premier Ministre vient de mettre en place au sein du Conseil d’Analyse Stratégique une commission énergie, chargée de réfléchir sur l'évolution des consommations : c'est la preuve de l'implication du Gouvernement sur ce sujet.

Tous les experts le disent, l'ère de l'énergie à faible coût est derrière nous. L'innovation a donc un large champ d'intervention, et l’immobilisme n’est pas de mise. Notre responsabilité politique est d’apporter les bonnes réponses. Elles se trouvent dans les choix du Gouvernement ; elles passent également par la force des opérateurs énergétiques, dont l'activité ne doit surtout pas être entravée.

L'Europe étant encore à la recherche d'une politique énergétique, c’est à la France de donner des orientations et de veiller à la mise en place d'acteurs industriels sûrs pour en assurer la réussite. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Bouvard – Depuis plusieurs années, je pose la question du devenir d’une partie de la grande industrie, marquée par une forte consommation d’électricité dans les secteurs des aciers spéciaux, de la métallurgie primaire, de l’aluminium, de la chlorochimie, de la pétrochimie, du carton et du papier, des fibres de renforcement et des gaz industriels. Ce sont 60 000 emplois directs et 120 000 emplois indirects qui sont en jeu. Ce secteur a été directement affecté par la hausse des prix de l’énergie, sur laquelle j’avais attiré votre attention il y a deux ans. Une enquête de l’Inspection générale des finances et du Conseil général des mines avait alors évalué les conséquences de l’ouverture du marché. Cette mécanique de hausse des prix n’est d’ailleurs pas terminée : la sortie des contrats à long terme fait peser une épée de Damoclès sur l’existence de nombreux sites industriels.

La mise en place dans le collectif budgétaire de fin d’année, grâce à un amendement adopté le 22 décembre, du consortium des électro-intensifs a marqué une étape importante. La publication des décrets et la signature des statuts d’Exeltium le 15 mai ne règlent cependant pas tout. Le nombre des entreprises éligibles – une cinquantaine – permettra-t-il d’obtenir les volumes d’énergie suffisants aux prix garantis intéressants par le consortium ? Des garanties de prix à long terme seront-elles apportées ? Comment le tarif sera-t-il calculé, notamment pour les capacités électriques nouvelles créées par l’EPR et par les producteurs ? S’agissant d’EDF, quelle sera la part de la rente nucléaire prise en compte pour déterminer un tarif correspondant aux enjeux de rentabilité au regard de la concurrence ?

Pierre Méhaignerie évoquait tout à l’heure un écart tarifaire de 27 à 40 euros, écart dans lequel le positionnement du curseur détermine directement la fermeture d’un site, son transfert à l’étranger ou son développement en France. Le Gouvernement doit rester attentif à ces enjeux : il faut étudier des solutions complémentaires, comme les tarifs de proximité des sites de production d’électricité récemment mis en œuvre en Allemagne, qui permettent de faire des économies d’énergie et d’améliorer les tarifs pour les industriels.

J’en viens au projet de fusion Suez-Gaz de France, présenté comme une solution à la menace que ferait peser sur Suez l’OPA d’ENEL et justifié par la volonté de maintenir Suez sous pavillon français et de favoriser la croissance de Gaz de France. Je ne suis pas convaincu par ce discours. Le patriotisme économique se justifie-t-il face à notre deuxième partenaire économique ? Quelle relation voulons-nous établir avec l’Italie, après qu’EDF ait pris le contrôle d’Edison et la BNP celui de la Banca del Lavoro, après qu’Air France ait passé une alliance avec Alitalia et après avoir empêché la prise de contrôle de SAPRR par Autostrade, pourtant alliée à la Caisse des Dépôts ?

M. François-Michel Gonnot - Très bonne question !

M. Michel Bouvard - Avons-nous quelque chose à gagner avec cette fusion en matière de politique tarifaire pour les consommateurs individuels et industriels ?

M. François Brottes - Rien !

M. Michel Bouvard – Je n’ai pas de réponse positive à cette question.

La montée des prix de l’énergie en Europe est d’abord liée au déficit de production électrique du continent européen, notamment de l’Allemagne et de l’Italie. Ne perd-on pas une occasion d’encourager l’Italie à développer à nouveau sa production électrique, voire à se tourner vers le nucléaire ? Ces interrogations demeurent.

Il est vrai que Gaz de France a besoin de nouer des alliances et de diversifier son offre. Mais pouvons-nous prendre ces décisions dans un contexte aussi controversé et sans avoir étudié toutes les autres solutions ?

Je conclurai sur le respect des engagements pris devant le pays. La commission des finances a souhaité que l’État se maintienne à hauteur de 70% dans le capital de gaz de France. Je fais partie des signataires de l’amendement qui a remonté cette participation par rapport à la proposition initiale. Or les dispositions qui nous sont imposées par Bruxelles ne nous permettent pas de garantir une participation majoritaire dans le futur ensemble. Je ne peux donc souscrire à la proposition qui nous est faite (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Jacques Myard et M. Jean-Charles Taugourdeau - Très bien !

M. le Ministre – Je vous remercie pour la qualité et la tenue de ce débat. Je remercie les cinq orateurs socialistes, les deux orateurs du groupe des députés communistes et républicains, celui du groupe UDF, et surtout les dix-sept orateurs du groupe UMP. L’ensemble de vos interventions témoigne de l’intérêt que vous portez à ce débat essentiel pour notre pays. Je remercie aussi les très nombreux orateurs UMP qui nous ont apporté un soutien sans faille. Il en reste cinq à convaincre. Nous allons nous y atteler.

Je note tout d’abord que le ministre qui avait défendu le projet de 2004, M. Devedjian, a eu le courage de dire clairement qu’il fallait maintenant aller de l’avant, dans l’intérêt de la France, et suivre le projet du Gouvernement. Je l’en remercie, sachant qu’il connaît bien le sujet.

De nombreuses questions ont été posées. Je vais y répondre de façon détaillée, conscient que de la qualité des réponses de François Loos et de moi-même dépendra peut-être la suite que nous donnerons ensemble à ce projet.

Ma conviction est que Gaz de France a besoin de flexibilité pour pouvoir nouer des alliances. Avec une part de l’État à 70 %, ce n’est pas possible. On comprend pourquoi ce seuil avait été fixé à ce niveau il y a quelques années, mais maintenant il faut donner à Gaz de France une marge de manœuvre pour avancer. Il nous reste du travail à accomplir sur les prix faits aux industriels. Nous en reparlerons.

Mme Buffet a décrit la perception qu’a le groupe communiste des questions énergétiques. Je peux la rejoindre sur certains constats tels que la hausse de la demande mondiale ou l’enjeu que représentent les pays en développement. Mais notre convergence s’arrête là !

Mme Buffet m’a interrogé sur la possibilité d’une fusion entre GDF et EDF. Comme je l’ai déjà dit, ses effets anti-concurrentiels ne pourraient que conduire les autorités européennes à exiger des contreparties dramatiques sur l’ensemble de la chaîne du gaz et de l’électricité. L’échec de la fusion tentée au Portugal entre EDP et GDP démontre qu’une telle fusion n’est tout simplement pas possible.

La hausse des prix de l’électricité n’est pas liée à l’ouverture du capital d’EDF, Madame Buffet. Il n’y a aucun lien entre le capital et la régulation des tarifs. Ce sont des raisons structurelles, parmi lesquelles l’absence d’investissements pendant dix ans, qui ont provoqué une tension sur les prix.

Je remercie M. Poignant pour sa présentation très claire des enjeux et la façon dont il a souligné l’intensité de l’action menée par le Gouvernement dans le domaine de l’énergie. Vous m’avez interrogé sur l’action spécifique. Je tiens donc à dire de la façon la plus claire que le projet prévoira une action spécifique, qui donnera au Gouvernement le pouvoir de s’opposer à toute décision qui porterait atteinte aux intérêts nationaux dans le secteur de l’énergie. Le seuil de détention de l’État – un tiers – sera également inscrit dans le projet.

M. le Président de la commission des affaires économiques – Très bien.

M. le Ministre – La possibilité de rester au tarif sera également inscrite dans la loi et un tarif social sera créé.

Les entreprises ayant opté pour le marché concurrentiel pourront-elles revenir à un tarif réglementé ? Nous savons que certaines d’entre elles sont confrontées à de grosses difficultés et nous avons donc déjà pris des mesures significatives. Si celles-ci ne suffisaient pas, nous serions prêts à prendre avec vous des mesures législatives. Soyons cependant conscients des risques de la réversibilité. Il ne faudrait pas que celle-ci dissuade l’investissement – une politique énergétique doit au contraire l’encourager – et mette en difficulté les acteurs du marché, sans parler du fait que la Commission nous interroge déjà sur le maintien des tarifs. Un retour des industriels aux tarifs ne serait pas pérenne et ne répondrait pas à la principale cause de la hausse des prix, à savoir l’insuffisance des moyens de production électrique. Je redis cependant que je suis ouvert à l’examen de toute mesure adaptée, comme l’a souhaité M. Méhaignerie.

Je remercie M. Brottes d’être resté jusqu’à cette heure avancée. Vous vous êtes référé aux engagements de 2004. M. Devedjian vous a répondu lui-même. La loi de 2004 a été une avancée majeure, qui a permis de doter EDF et GDF d’un statut adapté en même temps que des capitaux nécessaires – 40 milliards d’euros d’investissements pour EDF. Mais depuis, le contexte a changé.

Vous avez évoqué à plusieurs reprises des alternatives, Monsieur Brottes, mais on attend toujours de savoir en quoi elles consisteraient. Rien d’étonnant à cela puisqu’il n’y en a pas.

S’agissant des directives, je rappelle tout de même que c’est Lionel Jospin qui a accepté, au Sommet de Barcelone de 2002, le principe de l’ouverture totale des marchés du gaz et de l’électricité. Il n’avait pas du reste la possibilité de faire autrement.

M. François Brottes - Pas totale.

M. le Ministre – Nous devons respecter nos engagements internationaux, même s’ils ont été pris par un autre Premier ministre. La France ne peut remettre en cause seule le principe d’ouverture des marchés, lequel pourrait d’ailleurs s’appliquer même en l’absence de transposition, Monsieur Myard.

Le projet permettra de maintenir en toute sécurité les tarifs après le 1er juillet, Monsieur Brottes. La TIPP flottante ? Vous savez bien que le mécanisme est trop lourd et qu’il n’incite pas aux économies d’énergie. Il n’est donc repris par aucun pays. M. Strauss-Kahn pourra vous le confirmer.

L’intérêt industriel pour Gaz de France ? La fusion lui donnera une puissance d’achat qui lui permettra d’économiser plus de 250 millions d’euros, et ce au bénéfice des consommateurs.

Je vous remercie d’avoir évoqué les BSA, Monsieur Brottes. Ce n’était pas une loi contre les OPA mais un mécanisme de protection des groupes contre les OPA hostiles, un instrument permettant à nos entreprises de se battre à armes égales.

Vous n’avez pas cité jusqu’au bout l’avis du Conseil constitutionnel de 2004, en particulier pas la phrase suivante : « l’abandon de cette participation majoritaire ne pourrait résulter que d’une loi ultérieure. » Le législateur peut donc fort bien statuer sur l’évolution de Gaz de France.

J’ai apprécié le ton constructif de M. Dionis du Séjour. Puisqu’il nous a interrogés sur la politique européenne de l’énergie, je rappelle que le Livre vert reprend une grande partie des propositions du Gouvernement présentées dans le mémorandum que j’ai défendu devant le Conseil Ecofin. Le Gouvernement a ainsi proposé une planification pluriannuelle planification des investissements. La France vient d’ailleurs d’achever des exercices de PPI au niveau de la nation.

M. Dionis du Séjour souhaiterait une loi de financement pluriannuelle de l’énergie. Je rappelle que la loi d’orientation sur l’énergie est une loi pluriannuelle, qui fournit des orientations à moyen terme sur les objectifs de politique énergétique. De son côté, la PPI planifie les investissements, étant entendu que ceux-ci sont financés en premier lieu par les entreprises concurrentielles.

M. Dionis du séjour a ensuite posé plusieurs questions sur la fusion Suez-GDF. Peut-on laisser le patriotisme économique guider nos choix, a-t-il demandé ? Il ne s’agit en l’espèce ni de patriotisme ni de protectionnisme économique. Le rapprochement aura lieu entre une entreprise française et une entreprise franco-belge. C’est clairement un projet européen, qui répond à une demande pressante des deux entreprises. L’un des orateurs a fort bien défini la finalité du projet, expliquant que « chercher à ce que l’une de nos entreprises publiques puisse être forte demain tout en conservant l’enracinement de GDF et de Suez en France, c’est être patriote. » Je reprends volontiers ce propos à mon compte.

Pourquoi ne pas fusionner EDF et GDF ? J’ai déjà répondu, je n’y reviens pas.

En ce qui concerne le calendrier, nous sommes encore, je l’ai dit, dans le temps de la concertation. La fusion entre GDF et Suez exige d’abord le vote d’une loi autorisant la privatisation de GDF, l’aval des autorités de concurrence, puis un vote des actionnaires des deux entreprises en assemblée générale. Les autorités ont été formellement saisies en mai et devraient rendre leurs conclusions d’ici à novembre, mais nous attendons de premiers éléments de réponse dès la semaine prochaine.

Pour ce qui est de la conformité du projet de loi au neuvième alinéa du préambule de la Constitution, le Conseil d’État a indiqué que des adaptations juridiques seraient nécessaires mais qu’il n’existait pas d’obstacle constitutionnel à la réalisation de la fusion.

S’agissant des contreparties que pourrait exiger la Commission européenne au nom de la concurrence, je rappelle que les activités des deux entreprises sont complémentaires et qu’il n’existe quasiment pas de redondance géographique. La Commission européenne a été saisie et devrait, je l’espère, rendre son avis rapidement. Enfin, j’indique que l’avis de la commission de régulation de l’électricité et du gaz belge n’est pas contraignant.

Le statut du personnel, lequel est un statut de branche, sera maintenu.

Enfin, les tarifs réglementés seront préservés. Le projet de loi donnera expressément la possibilité à chaque abonné de choisir entre le maintien de son contrat au tarif réglementé ou le départ chez un concurrent.

Monsieur le président Ollier, je vous remercie d’avoir rappelé le travail considérable accompli depuis quatre ans par les gouvernements successifs dans le domaine de l’énergie –travail auquel, à la tête de votre commission, vous avez largement contribué. Vous vous êtes déclaré favorable au projet du Gouvernement à six conditions. Je vous indique d’emblée que je peux vous apporter les six garanties demandées. L’identité de GDF sera bien entendu préservée, grâce notamment à une fusion entre égaux. Les missions de service public de l’entreprise seront conservées et un tarif social du gaz institué. Le statut du personnel des IEG sera maintenu. L’État pourra contrôler efficacement le nouvel ensemble puisqu’il disposera d’une action spécifique et d’une minorité de blocage, avec un minimum de 34 % du capital.

M. le président de la commission des affaires économiques – Très bien !

M. le Ministre – Au-delà de son pouvoir d’actionnaire, l’État conservera par ailleurs son pouvoir de régulateur, notamment sur les prix. Les tarifs aux particuliers seront maintenus après le 1er juillet 2007 : ce sera l’un des points essentiels du projet de loi. Enfin, pour ce qui est des industriels, nous sommes parfaitement conscients des difficultés qu’ils rencontrent et je l’ai dit, nous sommes prêts à légiférer si nécessaire.

Les garanties que je suis en mesure de vous apporter me paraissent de nature à convaincre les quelques députés de la majorité qui hésitent encore. Je vous remercie d’avance de vous faire auprès d’eux l’écho de mes propos.

Monsieur le président Méhaignerie, vous reconnaissez la pertinence du projet de fusion Suez-GDF mais vous vous interrogez sur la façon de procéder et les délais, au vu notamment du contexte international. S’agissant des prix, j’entends bien le mécontentement de certains industriels confrontés à des hausses inacceptables. Le Gouvernement n’est d’ailleurs pas resté inactif, contrairement à ce qu’on a dit ici ou là. Il a d’abord apporté une réponse structurelle en veillant, par des investissements, à garantir une capacité de production suffisante à long terme. Il est également intervenu de manière plus ponctuelle. Ainsi la constitution d’un consortium des entreprises électro-intensives leur a-t-elle permis d’obtenir des prix plus avantageux. Des engagements ont été obtenus de la part des fournisseurs pour les PME-PMI. Pour ce qui est de la possibilité d’autoriser le retour à un tarif réglementé pour les industriels, rien ne doit être exclu. J’aborde cette question de la réversibilité sans a priori même si, ne nous voilons pas la face, le problème est complexe.

M. le président de la commission des affaires économiques – Nous en sommes conscients.

M. le Ministre – Rien ne serait pire que de faire naître de faux espoirs. Sur le plan industriel, il faut favoriser les investissements dans de nouveaux moyens de production. Sur le plan communautaire, il faut maintenir une concurrence dans le secteur de l’électricité. La Commission européenne s’opposerait certainement à une fermeture totale du marché de l’électricité en cas de retour généralisé aux tarifs réglementés, tous les concurrents d’EDF sur le marché national ayant été évincés par décision de l’État. Sur le plan intérieur, il faut éviter de mettre en difficulté les acteurs du marché. Un retour simple aux tarifs réglementés pour les industriels présenterait de graves inconvénients, conduisant notamment à supprimer toute incitation à investir. Paradoxalement, la réversibilité pourrait aggraver les causes de la hausse des prix qu’elle serait censée combattre. Cela étant, nous sommes prêts à rechercher rapidement des solutions intelligentes, y compris par voie législative si c’est la seule solution pour y parvenir. On pourrait par exemple améliorer la transparence des marchés en étendant les pouvoirs de surveillance de la CRE.

M. Hervé Novelli - Très bien !

M. le Ministre – La CRE devrait notamment s’intéresser de plus près aux opérations de gré à gré. On pourrait également prolonger le bénéfice des tarifs réglementés pour les nouveaux sites au-delà du 31 décembre 2007, date-limite prévue dans la loi de 2005. On pourrait enfin soutenir les entreprises, notamment les PME-PMI, les plus affectées par la hausse de l’électricité afin de renforcer leur pouvoir de négociation vis-à-vis des fournisseurs d’électricité.

Monsieur Lequiller, vous avez eu raison de souligner la dimension européenne des questions énergétiques. Le marché de l’énergie connaît des mutations extrêmement rapides dans toute l’Europe et l’indépendance énergétique de notre pays est un enjeu stratégique. Cette indépendance suppose que nous nous dotions de tous les outils nécessaires, avec en France et en Europe des groupes industriels assez puissants pour pouvoir investir à hauteur suffisante et négocier les meilleurs prix. Le projet de fusion entre Suez et GDF s’inscrit dans cette perspective, déjà tracée dans le mémorandum français sur l’énergie. Le nouvel ensemble Suez-GDF sera le numéro un mondial dans le domaine du gaz naturel liquéfié, secteur où les investissements sont très lourds. Dans le domaine de l’électricité, la mise en commun des moyens de production des deux entreprises fera du nouveau groupe un acteur particulièrement compétitif, doté d’un parc de production diversifié, faible émetteur de gaz carbonique, et qui contrôlera sept réacteurs nucléaires. Cela justifie pleinement que l’État français détienne une action spécifique et possède une minorité de blocage.

Monsieur Lenoir, je vous remercie tout d’abord de la concertation que vous avez conduite avec le Conseil supérieur de l’électricité et du gaz en vue de préparer l’ouverture totale des marchés à la concurrence au 1er juillet 2007, ainsi que du rapport que vous nous avez remis, dont l’ensemble des recommandations sera prise en compte dans le projet de loi. Vous avez eu raison de souligner la nécessité d’encourager les investissements dans les secteurs qui en ont le plus besoin, seuls à même de garantir à terme notre indépendance énergétique. Je partage votre analyse sur les précautions à prendre lors de l’ouverture à la concurrence des marchés pour les particuliers. Le projet de loi disposera qu’une personne qui déménage aura le droit de continuer à bénéficier des tarifs réglementés sur son nouveau lieu d’habitation.

Au terme de cette réponse, je remercie l’ensemble des orateurs pour la qualité de ce débat. J’espère, cher Bernard Accoyer, qu’elle vous permettra de convaincre les cinq ou six orateurs qui souhaitaient encore l’être (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Nous leur aurons démontré que ce projet va dans le bon sens pour GDF et pour Suez, mais aussi pour la France et l’ensemble de nos compatriotes (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. François Brottes - Rappel au Règlement fondé sur l’article 58-1 concernant le déroulement de nos travaux. Je remercie M. Breton d’avoir assisté à l’ensemble de ce débat durant lequel il a dû essuyer des critiques émanant de son propre camp. Il n’a pas modifié son point de vue entre le début et la fin de cette séance.

M. Hervé Novelli – Encore heureux !

M. François Brottes - Quelle suite sera donnée à cette séance ? Le Gouvernement va-t-il déposer un projet de loi ? Si oui, quand sera-t-il discuté au Parlement ?

M. le Président – Je prends acte de votre question.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie  À la suite de M. Breton, je veux répondre aux intervenants.

Je voudrais commencer par rassurer M. Dosé en lui rappelant que ce projet de fusion est dans l’intérêt des consommateurs, particuliers et entreprises, et que le texte que le Gouvernement propose de soumettre à l’Assemblée comportera une disposition sur le maintien des tarifs réglementés pour les consommateurs.

M. Devedjian a fort bien expliqué en quoi la situation actuelle diffère de celle de 2004. Avec l’augmentation du prix du baril - 24 dollars hier, contre 75 aujourd’hui –, certaines entreprises disposent d’importantes capacités d’investissement, ce qui n’est pas le cas de GDF, entreprise de taille modeste. Celle-ci doit être dotée des moyens suffisants pour assurer l’approvisionnement en gaz et développer ses investissements. Le rapprochement de GDF et de Suez répond à cet impératif économique.

Contrairement à ce qu’affirme M. Paul, le service public de l’énergie n’est pas remis en cause. L’État a signé avec EDF et GDF des contrats qui prévoient des obligations de service public et des engagements de modération tarifaire. S’agissant de la sécurité gazière, le Gouvernement a demandé aux opérateurs la résorption des canalisations en fonte grise. Sur la question des investissements, l’État dispose d’un instrument efficace : la programmation pluriannuelle des investissements de production électrique. Par ailleurs, EDF s’est engagé à investir 40 milliards d’euros les cinq prochaines années. Enfin, l’avenir du personnel de l’opérateur commun entre EDF et GDF – 60 000 personnes – sera conforté.

Comme M. Gonnot l’a montré, l’ouverture du marché de l’énergie à l’échelle européenne ne va pas sans quelques difficultés. Au plan européen, la France a donc lancé une démarche pour que tous les pays élaborent une programmation des investissements, pierre angulaire de l’équilibre énergétique, qui tienne compte de celle des autres membres. Pour l’heure, seuls les Pays-Bas et la France se livrent à un tel exercice. Au plan national, le Gouvernement a la volonté de protéger le consommateur individuel après le 1er juillet 2007 et traite les difficultés rencontrées au fur et à mesure de leur apparition. Il n’existe pas de « plan B » au projet de fusion qui a fait l’objet d’une réflexion approfondie des deux entreprises. S’agissant du bilan de l’ouverture des marchés, d’après la CRE, les marchés du gaz et de l’électricité sont ouverts à 70 % et que 15 % de la consommation éligible a changé de fournisseur. La Commission a indiqué qu’elle repoussait la publication du rapport prévu par les directives du 26 juin 2006 à la fin de l’année 2006. Quant à la CRE, ses pouvoirs ont été élargis en 2005 et le Gouvernement est prêt à aller au-delà, notamment sur les marchés de gré à gré.

Monsieur Masdeu-Arus, les tarifs réglementés de l’énergie seront maintenus. S’agissant de la réversibilité des tarifs, le Gouvernement est ouvert à toutes les solutions pourvu qu’elles respectent le cadre prévu par les directives.

Monsieur Gaubert, GDF ne risque pas aujourd’hui, compte tenu de la présence de l’État dans le capital de l’entreprise, une OPA, mais plutôt la marginalisation. En outre, l’État continuera de veiller à la continuité de l’approvisionnement. L’opérateur commun entre GDF et EDF sera conforté. L’alliance des deux entreprises dans la distribution ne concernera que les activités régulées pour lesquelles les deux entreprises ne sont pas en concurrence. Les réseaux publics de distribution de gaz appartiennent aux collectivités locales. Cette propriété n’est nullement remise en cause. Enfin, s’agissant du prix, le Gouvernement a agi pour préserver la compétitivité de nos entreprises.

Je remercie Mme Kosciusko-Morizet de soutenir le projet industriel présenté par le Gouvernement. L’ensemble issu de la fusion sera à l’abri d’éventuelles OPA.

M. Gilles Carrez - Pas si sûr !

M. le Ministre délégué – S’agissant de la lutte contre le réchauffement climatique, le Gouvernement s’est engagé l’année dernière par la loi d’orientation sur l’énergie à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 3 % par an.

Je remercie également M. Mariton de soutenir le Gouvernement. Il a clairement montré que la hausse des prix n’était pas liée à l’ouverture du marché et que la fusion entre GDF et Suez permettra de développer l’offre électrique et d’améliorer les conditions d’approvisionnement gazier. La priorité, c’est effectivement l’intérêt des consommateurs.

M. Novelli a également démontré que l’augmentation des prix de l’énergie n’était pas liée à l’ouverture des marchés.

M. le Ministre – Très bien !

M. le Ministre délégué – Après 2000, les prix de gros de l’électricité ont diminué en France durant plusieurs années. Pour mieux surveiller l’évolution du coût de l’énergie, il serait effectivement souhaitable d’étendre les pouvoirs de la CRE aux marchés de gré à gré.

M. Hervé Novelli - Très bien !

M. le Ministre délégué - Enfin, le projet de fusion permettra de créer un quatrième opérateur énergétique de taille mondiale aux côté de EDF, Total et Areva.

Monsieur Habib, s’il existe effectivement des points de convergence entre la majorité et l’opposition sur la politique énergétique, je ne peux vous suivre sur l’une de vos affirmations : contrairement à vous, nous pensons que GDF ne pourra pas poursuivre son développement sans s’adosser à un partenaire. Le rapprochement avec un opérateur électrique de taille comparable permettra à GDF d’atteindre une taille critique et d’être moins dépendant du marché français.

Par ailleurs, la golden share que propose le Gouvernement est bien différente de celle dont disposait l’État dans Elf : elle vise des actifs précis et des motifs directement liés aux intérêts stratégiques nationaux et est en tous points similaire à celle que la Cour de justice des communautés européennes a déjà validée.

M. Myard souhaite le maintien d’un service public de l’énergie : le Gouvernement propose justement de maintenir des tarifs réglementés pour les consommateurs qui n’exercent pas leur éligibilité.

M. Jacques Myard - Pour combien de temps ?

M. le Ministre délégué - Le bénéfice de la compétitivité des coûts de production du parc nucléaire français sera ainsi conservé. Si l’on ne faisait rien, il n’y aurait tout simplement plus de tarifs au 1er juillet 2007. Il faut une loi pour les conserver. Par ailleurs, le contrat de service public signé entre Gaz de France et l’État maintient toutes les obligations de service public de l’entreprise. Enfin, il va de soi que l’exercice de la concurrence sur le marché de l’énergie doit être suffisamment encadré. Des dispositions pourront être adoptées dans le texte à ce sujet.

M. Carrez a distingué ouverture des marchés, ouverture du capital et augmentation des prix de l’énergie : il est vrai que nous pâtissons de la confusion qui règne autour de ces notions. Le Gouvernement souhaitant maintenir les tarifs réglementés après le 1er juillet 2007, pour que les consommateurs continuent à bénéficier de prix raisonnables, le seul moyen d’y parvenir est une loi. Ainsi que l’a dit M. Carrez, il est important de permettre le développement de deux champions de l’énergie en France et nous ne pouvons pas laisser passer cette chance.

M. Bataille a rappelé que l’énergie est un secteur aussi stratégique que celui de la défense. En anglais d’ailleurs, le mot « power » signifie à la fois puissance et énergie. Peut-être est-ce aussi le cas en russe ? (Sourires) Lorsque les socialistes ont privatisé l’Aérospatiale pour construire un géant européen, ils ont su faire passer l’intérêt industriel avant le dogmatisme.

M. François Brottes - Lorsque le projet est intelligent, il n’y a aucun problème !

M. le Ministre délégué – La situation est pourtant identique : ce sont notre intérêt industriel et nos emplois, à court, moyen et long terme, que nous essayons de défendre. On ne peut pas considérer que la hausse des prix de l’électricité confère une véritable rente à EDF : c’est oublier qu’EDF doit faire des investissements considérables pour renouveler son parc de production. C’est parce qu’elle l’a fait par le passé que la France bénéficie aujourd’hui d’un parc très compétitif. Nous avons demandé à EDF d’investir 40 milliards sur les cinq prochaines années : c’est un bel exemple de « rente » très productive ! Je salue par ailleurs l’engagement de M. Bataille pour une gestion raisonnable de l’énergie nucléaire. Le Gouvernement est très sensible à l’impact de la hausse des prix de l’électricité sur la compétitivité des entreprises et veut trouver les moyens d’alléger les contraintes qu’elles supportent.

M. Lellouche s’interroge sur la pertinence du projet de fusion dans le contexte de la politique énergétique de la France. Il pose comme objectifs l’indépendance énergétique, la sécurité des approvisionnements et des prix bas, rappelle le contexte international et évoque la politique énergétique d’indépendance mise en œuvre en 1973. Or, la fusion permettra de mettre en œuvre une politique gazière intégrée sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement : le nouveau groupe sera le premier opérateur gazier européen en chiffre d’affaires, en volume de gaz acheté et en matière de terminaux méthaniers. Il pourra dégager des synergies d’approvisionnement par mutualisation des portefeuilles d’achat. En outre, il ne sera pas susceptible de faire l’objet d’OPA : l’État a l’intention de jouer tout son rôle pour garantir notre sécurité d’approvisionnement, mais son soutien sera d’autant plus efficace qu’il s’appuiera sur des sociétés de premier ordre. Ce n’est pas l’État qui négocie les contrats, mais il appuie les négociations de l’entreprise. Enfin, le projet que nous vous proposons n’est pas orienté spécifiquement contre ENEL : nous soutenons d’autres projets communs avec les italiens, et ENEL et EDF ont déjà noué des accords substantiels, notamment dans les domaines des satellites et de l’électricité.

M. Birraux appelle de ses vœux une politique énergétique moins dépendante des énergies fossiles. Le Gouvernement attache une importance de premier rang à la compétitivité du parc nucléaire, qui garantit un prix abordable pour le consommateur. C’est tout l’intérêt du maintien des tarifs permis par le projet de loi que nous souhaitons vous soumettre. En ce qui concerne le projet de fusion, il rappelle son attachement au service public de l’électricité et du gaz. Je répète que les obligations de service public imposées à Gaz de France par décret et figurant dans le contrat de service public seront confortées.

M. Gatignol souligne la nécessité de maîtriser la demande d’énergie. En ce qui concerne la coexistence entre tarifs réglementés et prix du marché, comme l’a proposé le conseil supérieur de l’électricité et du gaz, nous voulons maintenir, pour ceux qui le souhaiteront, des tarifs réglementés. Mais pour cela, il faut une loi… Cela permettra l’ouverture complète des marchés de l’électricité prévue par les directives en même temps que la protection des consommateurs. L’ouverture des marchés n’implique pas une disparition des tarifs, car l’éligibilité n’est qu’une faculté, et en aucun cas une obligation. Certes, les prix de marché sont actuellement plus élevés que les tarifs : la réponse se trouve, à long terme, dans l’investissement. C’est en encourageant les opérateurs à investir que nous conserverons des prix compétitifs, et je rappelle qu’EDF doit investir 40 milliards dans les cinq prochaines années. Je remercie M. Gatignol de son soutien au projet de fusion et lui confirme que la golden share que nous envisageons a déjà été validée par la Cour de justice européenne.

Enfin, M. Bouvard a attiré notre attention sur le niveau des prix du marché, après l’action du Gouvernement en faveur des industries électro-intensives. Je me réjouis avec lui de la mise en place de ce dispositif innovant, qui permettra de préserver la compétitivité de ces industries et leurs emplois. Je sais qu’il était absolument indispensable pour certains sites à risques. En ce qui concerne le tarif de proximité pour le transport d’électricité, je mesure tout l’intérêt de cette proposition, qui a été d’ailleurs été adoptée en Allemagne, mais elle présente l’inconvénient de remettre en cause le principe de péréquation des tarifs de l’électricité. Je propose de poursuivre le dialogue sur ce point.

Je vous remercie de votre attention jusqu’à la fin de ces réponses. J’ai pris pour ma part beaucoup d’intérêt à cette discussion, et je vous remercie pour la qualité de vos interventions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Nous sommes donc arrivés au terme de ce débat.

Prochaine séance demain jeudi 15 juin à 9 h 30.
La séance est levée à 22 h 55.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Catherine MANCY

Retour au haut de la page


ordre du jour
du jeuDI 15 juin 2006

NEUF HEURES TRENTE : 1RE SÉANCE PUBLIQUE

Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à accorder une majoration de pension de retraite aux fonctionnaires handicapés (n° 3083).

Rapport (n° 3123) de Mme Geneviève LEVY, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

QUINZE HEURES : 2E SÉANCE PUBLIQUE

Discussion, en deuxième lecture, du projet de loi de programme relatif à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs (n° 3121).

Rapport (n° 3154) de M. Claude BIRRAUX, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

ÉVENTUELLEMENT,
VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3E SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.
Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.
www.assemblee-nationale.fr

© Assemblée nationale