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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

1ère séance du vendredi 30 juin 2006

Séance de 10 heures 30
110ème jour de séance, 257ème séance

Présidence de Mme Hélène Mignon
Vice-Présidente

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La séance est ouverte à dix heures trente.

suspension de séance

Mme la Présidente - Les sénateurs n’ayant pas achevé l’examen du projet inscrit à l’ordre du jour de notre Assemblée, je vais suspendre la séance.

La séance, immédiatement suspendue, est reprise à 11 heures 40.

nomination d’un député en mission temporaire

Mme la Présidente - J’ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m’informant de sa décision de charger M. Vincent Rolland, député de la Savoie, d’une mission temporaire auprès du ministre délégué au tourisme.

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droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information (CMP)

L'ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information.

M. Christian Vanneste, rapporteur de la CMP – Cette séance marque l’aboutissement de nos travaux sur le projet de loi relatif au droit d’auteur, qui avait été déposé sur le Bureau de notre assemblée en 2003.

Ce texte a notablement évolué en première lecture, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, puisqu’il comprend désormais une soixantaine d’articles, contre 29 à l’origine.

Sur le fond, notre Assemblée s’est attachée à garantir l’exception aux droits exclusifs des auteurs pour copie privée, tout en s’assurant de l’interopérabilité effective des mesures techniques de protection avec les différents supports matériels de lecture des œuvres, et en adaptant le régime des sanctions appliquées aux internautes qui se livrent à des téléchargements illicites ainsi qu’aux éditeurs de logiciels destinés à favoriser de telles pratiques.

Nous avons ainsi tenté de trouver un équilibre entre la protection de ceux qui participent à la création et à la diffusion des œuvres et celle des internautes…

M. Christian Paul - Certainement pas !

M. le Rapporteur - … et je pense que nous y sommes parvenus.

M. Patrick Bloche - Quelle prétention !

M. le Rapporteur – Le Sénat a adopté 52 amendements et 27 sous-amendements au projet de loi, 23 articles ayant été votés conformes et deux suppressions d’articles validées. Dans bien des cas, les deux assemblées ont exprimé des préoccupations convergentes.

M. Patrick Bloche - Hélas !

M. le Rapporteur – Ainsi, de nombreuses dispositions que nous avions adoptées n’ont en rien été remises en cause : les sanctions contre les téléchargements illicites, par exemple, mais aussi la sécurité des logiciels permettant le contrôle à distance des fonctionnalités des ordinateurs, le droit des auteurs par ailleurs agents publics, ou encore le rôle de l’institut national de l’audiovisuel en matière de dépôt légal et celui du centre national du livre dans la réalisation de supports adaptés aux handicapés.

J’ajoute que le Sénat s’est contenté d’apporter des améliorations rédactionnelles et des corrections matérielles à une petite dizaine d’articles. Restaient donc en discussion 33 articles et suppressions d’articles.

La convocation de la commission mixte paritaire a suscité doutes et parfois critiques, au motif qu’une seconde lecture aurait été garantie par le Gouvernement. Or, le compte rendu de nos débats en fait foi : à aucun moment, le ministre n’a formellement annoncé la tenue d’une seconde lecture.

M. Christian Paul - Quelle soumission !

M. le Rapporteur – Pour couper court aux interprétations de mauvaise foi, je vais vous relire les propos tenus par le ministre le 9 mars dernier : « Si le Gouvernement constate un décalage important entre les positions de l’Assemblée nationale et du Sénat, il ne convoquera pas la commission mixte paritaire et fera en sorte que les positions puissent se rapprocher ».

De fait, le Gouvernement avait renoncé à convoquer la CMP quand nous sommes parvenus, mon homologue du Sénat et moi-même, à dégager des positions communes.

M. Christian Paul - Au forceps !

M. le Rapporteur - Cela s’est fait sans difficulté dans le cadre de 55 propositions de modifications présentées par les rapporteurs des deux assemblées.

M. Guy Geoffroy - C’est exact.

M. le Rapporteur - Certains ont prétendu que ce nombre était trop important alors que la plupart des modifications sont rédactionnelles.

M. Patrick Bloche - C’est faux !

M. le Rapporteur - Deux modifications à peine concernaient des différences en apparence substantielles : l’introduction par le Sénat de l’exception pédagogique - mais l’Assemblée nationale avait soutenu l’application de cette exception par la voie conventionnelle…

M. Patrick Bloche - Quelle honte !

M. le Rapporteur - … et la garantie de l’interopérabilité dont l’Assemblée souhaitait qu’elle soit plus ferme qu’elle ne l’était devenue dans le texte du Sénat.

M. Guy Geoffroy - Nous y sommes parvenus !

M. le Rapporteur - Là encore, il s’agit d’une différence formelle, et c’est pourquoi un accord a été trouvé rapidement.

La célérité des travaux de la CMP a démontré…

M. Christian Paul - Parodie ! Simulacre !

M. le Rapporteur - … la convergence des points de vue, tandis que l’opposition préférait ne pas y participer…

M. Guy Geoffroy - Quel courage !

M. le Rapporteur - … plutôt que de laisser apparaître ses profondes contradictions.

Aux articles 1er bis à 3, la CMP a choisi d’étendre l’exclusion des exceptions aux droits exclusifs des auteurs et aux droits voisins aux partitions de musique et aux œuvres réalisées pour une édition numérique de l’écrit. L’Assemblée a tenu à protéger législativement les secteurs d’édition les plus exposés.

La CMP a également rétabli l’article 4 bis permettant de légaliser la rémunération équitable due par les chaînes télévisées lorsqu’elles diffusent des phonogrammes en bande-son de programmes audiovisuels mais en supprimant la nature directe ou indirecte de la retransmission visée. Elle a aussi rétabli l’article 4 ter relatif aux exceptions au droit d’auteur pour les travaux parlementaires.

En matière de rémunération pour copie privée, sur proposition de notre collègue Dionis du Séjour, la CMP a complété l’article 5 bis pour exclure de l’assiette les actes de copie privée qui ont déjà donné lieu à compensation financière au bénéfice des ayants droit.

S’agissant des mesures techniques de protection et de leur interopérabilité avec tout support de lecture des œuvres, la CMP a réintroduit le principe de l’interopérabilité et de la fourniture des informations essentielles à cette dernière à l’article 7. Elle a également renforcé, à l’article 7 bis, l’application de cette interopérabilité en rendant plus contraignantes les procédures par lesquelles l’autorité de régulation créée par le Sénat pourra imposer la fourniture des informations essentielles. Sur ce point, qui a occupé une grande partie de nos débats en première lecture, nous sommes parvenus à une solution équilibrée : l’autorité de régulation devra garantir l’interopérabilité, au besoin par un pouvoir de sanctions financières encadré. Il s’agit d’une avancée importante par rapport à la version du Sénat qui insistait davantage sur une interopérabilité contractuelle, résultant de la conciliation des parties. La CMP a par ailleurs encadré l’intervention de l’autorité de régulation pour la résolution des différends relatifs à l’interopérabilité dans un délai de deux mois, à l’article 8. A l’article 9, des aménagements importants ont été apportés quant à sa composition. Autorité administrative indépendante qualifiée comme telle, elle comportera désormais six membres : trois magistrats, le président de la commission pour copie privée, dont la voix sera délibérative, un scientifique désigné par le président de l’Académie des technologies et un membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. L’équilibre entre juristes et techniciens sera ainsi garanti.

La CMP a aussi rétabli le champ d’application prévu par l’Assemblée nationale pour la responsabilité pénale et civile des éditeurs et fournisseurs de logiciels de pair à pair, aux articles 12 bis et 14 quater, de manière à conserver son caractère proportionné et à en assurer l’application avec discernement.

La CMP a également procédé à trois suppressions d’articles introduits par le Sénat : l’article 15 bis A relatif à la définition des prestations des artistes-interprètes et dont l’adoption aurait provoqué de nombreux contentieux, l’article 19 bis relatif au droit à l’information des associés de sociétés de perception et de répartition des droits, dont l’adoption aurait certainement conduit à l’effet inverse de celui recherché, et enfin l’article 19 ter dont les répercussions auraient pu être fatales au financement de plusieurs manifestations culturelles populaires.

La CMP a étendu aux droits voisins le dispositif retenu pour l’exonération des syndicats de copropriétaires du versement des droits sur les rediffusions de programmes audiovisuels à partir d’antennes collectives dans des ensembles d’habitations à usage collectif à des fins non commerciales. De même, la CMP a garanti à l’article 25 ter la possibilité pour les artistes-interprètes de conclure eux-mêmes, et non par le truchement d’organisations représentatives, des accords d’entreprise avec l’INA pour l’exploitation des archives les plus anciennes.

A l’article 31, enfin, elle a apporté quelques précisions sur l’objet du rapport remis par le Gouvernement au Parlement, qui désormais embrassera l’application de la loi et également celle d’une plate-forme publique de téléchargement pour les artistes peu connus.

La CMP a beaucoup travaillé et ceux qui, sur les bancs de l’opposition, ont prétendu que tout était verrouillé d’avance pour ne pas y prendre part ont eu bien tort. Non seulement une modification substantielle proposée par M. Dionis du Séjour, membre suppléant de la commission, a pu être adoptée s’agissant de la rémunération pour copie privée à l’article 5 bis…

Mme Claude Greff - Excellent amendement.

M. le Rapporteur - … mais notre commission a largement débattu sur le rétablissement de l’article 4 bis, à la suite des arguments persuasifs de notre collègue Laurent Wauquiez.

M. Patrick Bloche - Justement, où est-il ce matin ?

M. le Rapporteur – Voilà qui montre combien la CMP a voulu trouver l’équilibre entre les droits des auteurs et des artistes-interprètes d’une part, la défense de l’accès du plus grand nombre à la culture d’autre part. Vos deux objectifs, Monsieur le ministre de la culture, sont aujourd’hui atteints dans un texte exemplaire pour toute l’Europe.

Mme Martine Billard – Un exemple de désastre !

M. le Rapporteur – Son adoption signera la fin d’un débat passionnant, souvent passionné et nécessaire au regard de l’obligation pour notre pays de transposer la directive de 2001. Je vous invite donc à voter les conclusions de la CMP avec enthousiasme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication - L'examen de ce projet par l'Assemblée Nationale a suscité un véritable débat de société, riche, passionné et passionnant.

M. Christian Paul - C’est surtout un fiasco législatif !

M. Guy Geoffroy - Affirmation gratuite !

M. le Ministre - Ce débat a été longuement préparé par les travaux de votre commission des lois, dont je remercie le président, les vice-présidents et le rapporteur. La préparation du débat en séance publique a aussi donné lieu à des auditions devant la commission des affaires culturelles et celle des affaires économiques. Ils étaient indispensables tant les enjeux de ce texte sont à la fois juridiques, économiques, sociaux et culturels. Dois-je rappeler les 80 heures de débats en séances publiques, les 417 amendements déposés sans compter les motions ni les 285 amendements déposés au Sénat ? Dois-je rappeler que si le Gouvernement, ces derniers dix-huit mois, a déclaré six fois l’urgence, le gouvernement de Lionel Jospin, dans le même laps de temps, l’avait déclarée dix-huit fois ? Que ceux qui nous font ce reproche aient donc un peu de mémoire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Patrick Bloche - Il n’y avait pas de ministre parjure dans le gouvernement Jospin !

M. le Ministre - Le Parlement a pleinement exercé ses prérogatives constitutionnelles et a fait œuvre utile. Concilier la circulation des œuvres et le respect du droit d'auteur avec la technologie d'Internet constituait un défi difficile à relever. Ceux qui voteront définitivement ce texte pourront en être fiers ! Il fallait en effet avoir le courage de faire comprendre ses enjeux, et ce n’était pas facile !

M. Christian Paul - Cette loi ne s’appliquera jamais !

M. le Ministre – La diversité culturelle est désormais effective, car si l’on n’avait rien fait…

M. Christian Paul - C’est le cas.

M. le Ministre - … ce sont quelques grands groupes mondiaux qui tiendraient seuls le haut du pavé. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Ce texte repose sur deux principes fondamentaux, et tout d’abord le respect du droit d'auteur, droit fondamental et intangible. Celui-ci s'appuie sur un principe simple : chacun doit pouvoir vivre des fruits de son travail.

Mme Claude Greff - Absolument.

M. le Ministre - A l'initiative de votre Assemblée, l'auteur a été remis au centre de la diffusion de la culture… (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Patrick Bloche - Pauvres auteurs !

M. le Ministre - … puisqu'un amendement a rappelé que c'est lui qui choisit la diffusion de ses œuvres, gratuitement s'il le souhaite.

M. Didier Mathus - C’est la loi du fric !

M. le Ministre - Deuxième principe : l'accès le plus large aux œuvres, l'un des facteurs clefs de motivation de l'accès à internet et de l'essor des fournisseurs d'accès. Les acteurs de la distribution des œuvres par Internet ou sur d'autres réseaux numériques participeront donc davantage à l'effort financier de contribution à la création. Tel est le sens de l'accord sur la vidéo à la demande qui a été signé en décembre 2005 avec l'ensemble des organisations professionnelles du cinéma.

Ce texte garantit le respect du droit d'auteur, l'interopérabilité et la copie privée. Oui, ceux qui le voteront auront la paternité de l’interopérabilité...

M. Patrick Bloche - Faux !

M. le Ministre - … et de la défense de la copie privée…

M. Patrick Bloche - Provocation !

M. le Ministre - … au moment où certaines initiatives de la Commission européenne risquent de la menacer. Vous pourrez être fiers d’avoir voulu défendre le travail des artistes et des techniciens ! Ce texte concilie l'avenir de la création musicale et cinématographique française et l'avenir du logiciel libre. En affirmant donc le principe de l’interopérabilité, la France entraîne dans son sillage…

M. Patrick Bloche - Dans son naufrage !

M. le Ministre - … la Suède, le Danemark, la Norvège et le Royaume-Uni. Toute œuvre acquise légalement doit pouvoir être lue sur n'importe quel support numérique. L’affirmation de ce principe doit rassembler l’ensemble de la représentation nationale.

L'interopérabilité est fondamentale pour les consommateurs comme pour les créateurs ; elle permettra une plus grande circulation des œuvres, dans le respect du droit d'auteur. Les fabricants de mesures techniques de protection auront l'obligation de fournir les informations essentielles à sa mise en œuvre effective, afin de favoriser l'innovation et la concurrence.

Par ailleurs, chacun aura le droit de réaliser, en fonction du type de support, pour son usage personnel ou celui de ses proches, un nombre raisonnable de copies d'œuvres acquises légalement. Cette garantie est essentielle, à l'heure où la copie privée fait l'objet de contestations de la part de la Commission européenne.

L'avenir du logiciel libre est pleinement garanti. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Nous avons en effet utilisé toutes les souplesses possibles dans la transposition de la directive. Le projet clarifie la définition des mesures techniques, préserve l'exception de décompilation – alternative aux procédures engagées auprès de l'autorité pour obtenir les informations essentielles à l'interopérabilité – et exclut explicitement de l’interdiction de contournement des mesures techniques les actes réalisés à des fins d'interopérabilité.

En créant l’Autorité de régulation des mesures techniques, nous faisons le choix d'une interopérabilité non pas théorique, mais réelle.

M. Patrick Bloche - C’est faux !

M. Christian Paul - C’est la loi des apparences !

M. le Ministre – Les pouvoirs de l’Autorité ont été étendus pour qu’elle puisse infliger des sanctions pécuniaires lourdes et dissuasives ; et afin d'éviter de figer dans la loi des règles qui pourraient être rendues obsolètes par l'évolution technologique, l'Autorité aura pour mission de déterminer le nombre de copies en fonction du type de support. Les sanctions, graduelles, seront adaptées aux fautes commises ; un internaute qui télécharge illégalement de la musique ou un film pour son usage personnel ne risquera plus la prison : c’est une avancée considérable (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Proportionnées, ces sanctions seront aussi effectives.

Mme Martine Billard - Vous n’avez jamais été capable de nous dire comment cela allait fonctionner !

M. le Ministre - Sur ces sujets, les tenants de l'immobilisme s’opposent aux adeptes de la démagogie la plus extrême, qui me rappellent ce vieux slogan de mai 68 : « cours camarade, le vieux monde est derrière toi ! ». La majorité présidentielle, elle, s’attache à respecter certains principes essentiels tout en tenant compte de l’évolution des technologies (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Le projet instaure deux exceptions nouvelles importantes. La première pour autoriser les associations et certains établissements œuvrant en faveur des personnes handicapées à transcrire et à diffuser les œuvres dans des formats adaptés ; ce sujet mériterait l’unanimité – M. Dionis du Séjour ne me contredira pas sur ce point. La seconde, que la CMP a précisée et qui prendra le relais, début 2009, des accords signés entre les ayants droit et le ministère de l'éducation nationale, pour autoriser les utilisations des œuvres à des fins pédagogiques et de recherche en contrepartie d'une rémunération négociée.

Ce projet donne un avenir à la diversité culturelle, entrée dans le droit international en octobre 2005 avec l'adoption de la convention de l'Unesco. Grâce au texte voté par la CMP, une réflexion sera engagée sur la mise en place d'une plateforme publique de téléchargement de musique, visant notamment la diffusion des œuvres de jeunes créateurs qui ne sont pas disponibles à la vente sur les plateformes légales de téléchargement.

M. Frédéric Dutoit - C’est le seul point positif et il est issu d’une proposition du groupe communiste !

M. le Ministre – Autre avancée majeure : le crédit d'impôt pour la musique, s'adressant aux petites structures indépendantes, qui consolidera la diversité de l'offre. Je ne doute pas qu’il connaîtra un succès comparable à celui du crédit d'impôt pour le cinéma et l'audiovisuel, qui a permis de réaliser en France 35 % de tournages supplémentaires en un an. Défendre la création française et européenne, c’est savoir prendre des mesures courageuses.

M. Didier Mathus - La création, vous l’avez tuée !

M. le Ministre - L'enjeu central de ce texte est l'insertion de la France dans la société de l'information. Plus de la moitié des Français sont internautes, et plus de huit internautes sur dix sont connectés à domicile en haut débit. Une offre légale et diversifiée de musique et de films, lisibles sur tous les supports et à des prix raisonnables, est donc très attendue. A chacun son rôle : au Gouvernement et au Parlement de définir le cadre juridique, aux créateurs et aux techniciens de s’emparer des possibilités qui leur sont offertes.

Ce projet garantit le droit d'auteur, la copie privée, l'innovation technologique et les libertés numériques. Il permettra le développement des offres légales. La rémunération de la création justifie la mise en place de mesures techniques de protection. En adoptant ce texte, soyez fiers de votre action de législateur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Paul – C’est un requiem !

EXCEPTION D’irrecevabilité

Mme la Présidente - J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

Mme Claude Greff - Encore !

M. Patrick Bloche – Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment le Gouvernement et sa majorité ont-ils pu ainsi perdre le sens le plus élémentaire de l’intérêt général ? Et puisque vous avez évoqué mai 68, Monsieur le ministre, comment ne pas vous rappeler ces deux slogans particulièrement adaptés à la situation actuelle : « Il est interdit d’interdire », « Quand c’est insupportable, on ne supporte plus ! »

Depuis six mois jusqu’à ce dernier jour de session, nous aurons dénoncé avec force le scandaleux détournement qui a été fait de la transposition d’une directive communautaire vieille de cinq ans, afin de servir des intérêts particuliers, à commencer par ceux des géants du logiciel qui souhaitent faire main basse sur la culture. Nous en avons eu une ultime illustration avec les cinquante-cinq propositions – pas moins – de réécriture présentées lors de la réunion de la CMP, à laquelle nous avons estimé ne pas avoir notre place. Trop, c’est trop : retard de transposition puis déclaration d’urgence, improvisation, amateurisme, insincérité allant jusqu’à ne pas respecter la parole donnée d’une seconde lecture… Il n’est pas étonnant qu’on aboutisse à un texte bancal, anachronique, inintelligible, qui rend perdants tant nos concitoyens que les entrepreneurs, chercheurs et inventeurs et nos auteurs et artistes.

Beaucoup d’incertitudes demeurent quant à l’application de nombre dispositions. Soit elles entraîneront de graves atteintes aux libertés publiques et à des libertés fondamentales à valeur constitutionnelle, soit elles seront inapplicables tant ce texte paraît déjà obsolète. Dans les deux cas, il appartiendra à une autre majorité de légiférer à nouveau, afin de concilier liberté et responsabilité.

Jusqu’à présent, à chaque crise, le droit d’auteur avait montré ses capacités d’adaptation, et les pouvoirs publics étaient intervenus pour préserver l’équilibre entre les intérêts des titulaires de droit et ceux du public. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, faute d'une analyse suffisante des enjeux et d’une concertation avec l'ensemble des partenaires. Comment ne pas relever qu’à l’issue de la CMP, le consensus obtenu ici à l’extrême fin de la discussion en première lecture sur les garanties de l’interopérabilité a volé en éclats ?

Seules des sociétés pourront saisir l’Autorité des mesures techniques ; dès lors, comment les développeurs bénévoles et les consommateurs feront-ils ?

Par ailleurs, le passage en force du Gouvernement contraint le groupe socialiste à défendre cette exception d’irrecevabilité pour mettre en lumière l’inconstitutionnalité de plusieurs dispositions. Le législateur doit exercer pleinement la compétence que lui confère l’article 34 de la Constitution ; or en effectuant un « copié-collé » de la directive, le Parlement s’est privé de ses capacités à légiférer.

Le projet reproduit des alinéas entiers de la directive, relatifs au régime des exceptions. La directive, pourtant, ne fait que donner aux États un mode d’emploi juridique et indicatif. Les principes de spécialité, d’intégrité de l’exploitation de l’œuvre et d’absence de préjudice pour les titulaires de droits n’obligent que les États, mais le Gouvernement, en n’en précisant pas les modalités d’application, a contraint le Parlement à se détourner des objectifs initiaux de la directive. Dès lors, la responsabilité de vérifier la règle du test en trois parties, qui devrait être à la charge de l’État, revient au destinataire de la loi – nos propres concitoyens ! Insécurité juridique dont ils seront les victimes et que la formulation du texte, contraire au principe d’intelligibilité de la loi, ne fait que renforcer.

Le projet ne contrevient pas seulement à la Constitution : il est contraire au principe de légalité des délits et des peines énoncé par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En effet, les articles 1er bis, 2 et 8 de votre texte soumettent nos concitoyens à des véritables normes de comportement, inspirées par votre obsession du tout-répressif. Chacun sait que la copie privée et le téléchargement sont des pratiques banales. Comment savoir si elles sont illicites, tant l’infraction pénale est qualifiée vaguement ? C’est le règne de l’arbitraire.

Aucune précision non plus sur les principes qu’appliquera la police des communications électroniques : comment garantir qu’elle relève les infractions sans porter atteinte à la liberté de communication et au droit à la vie privée ?

En outre, l’article 12 bis, dont la rédaction manque de clarté, instaure une présomption de culpabilité à l’égard des éditeurs et des créateurs de logiciels, alors qu’il devrait prémunir contre le risque d’arbitraire.

M. Frédéric Dutoit - Très bon argument !

M. Patrick Bloche - C’est une nouvelle atteinte à la liberté de communication. Les fabricants de marteaux sont-ils des criminels parce que l’usage de cet outil peut être abusif ? Les constructeurs automobiles sont-ils coupables des dangers créés par les chauffards ?

Que le Gouvernement profite de la transposition d’une directive pour entamer l’éradication du logiciel libre est scandaleux. Qu’il s’en prenne aux principes constitutionnels de présomption d’innocence et de liberté d’entreprendre est inacceptable.

Enfin, l’article 14 bis instaure une nouvelle contravention dans notre droit pénal, également contraire au principe de légalité des délits et des peines. En effet, les peines n’entraînant pas de privation de liberté relèvent du domaine règlementaire, et non de la loi. De surcroît, cette contravention n’est pas précisément définie : porte-t-elle sur chaque acte de téléchargement, chaque morceau ou l’ensemble ? Une magistrate éminente estimait récemment qu’il en coûterait 38 000 euros pour mille titres téléchargés. Et comment la réalisation d’une faute matérielle est-elle déterminée ? Que dire des droits de la défense, que votre texte ne garantit pas ?

Toutes ces irrégularités constitutionnelles conduisent le groupe socialiste à défendre l’exception d’irrecevabilité. Plutôt que d’écouter nos mises en garde, le Gouvernement, aveuglé, à préférer poursuivre dans son impasse, celle du tout-répressif, en s’affranchissant selon son habitude des règles élémentaires du respect de la démocratie parlementaire. La pitoyable valse procédurale n’a d’ailleurs pas contribué à la sérénité des débats, qu’exigeait pourtant ce sujet complexe.

Le Gouvernement a ainsi retiré l’article 1er déjà amendé. Or, l’article 84 du Règlement de l’Assemblée précise que seul le retrait de l’ensemble d’un texte est possible. Il s’agissait en fait de revenir sur la légalisation du téléchargement en contrepartie de la rémunération des auteurs. L’article 1er a donc été remplacé par l’amendement 272 : grossière manœuvre !

M. Christian Paul – Du jamais vu !

M. Patrick Bloche - Comment discuter d’un amendement portant sur un article retiré ? Le Gouvernement l’a lui-même admis, en décidant le « retrait du retrait » - une procédure qu’aucun texte ne prévoit et qui a bouleversé l’ordre d’examen des amendements.

M. Christian Paul – C’est bien la seule innovation de cette loi !

M. Patrick Bloche - Certes, le Règlement de notre Assemblée n’a pas de valeur constitutionnelle, mais sa violation a nui à la qualité de la discussion en remettant en cause le droit d’amendement parlementaire, alors que la clarté et la sincérité du débat est une exigence rappelée par le Conseil constitutionnel. La confusion qui a marqué le débat sur l’article 1er rejaillit d’ailleurs sur l’ensemble du titre premier.

Telles sont les nombreuses irrégularités constitutionnelles de ce projet de loi, véritable cas d’école. Cette pédagogie de l’erreur a été sciemment orchestrée par le Gouvernement au profit de mesures anticonstitutionnelles.

Voilà qui justifie l’adoption de cette exception d’irrecevabilité : ainsi, Mesdames et Messieurs de la majorité, vous serez libres d’aller déjeuner au musée du quai Branly ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme la Présidente - Le Gouvernement souhaite-t-il s’exprimer ? (M. le ministre fait un signe de dénégation).

M. Christian Paul - Le ministre reste coi !

M. Guy Geoffroy - Je suis d’accord avec M. Bloche sur un point : tout a déjà été dit, et il est inutile de prolonger nos débats.

M. Christian Paul - Attendez la décision du Conseil constitutionnel !

M. Guy Geoffroy - M. le ministre nous l’a rappelé : ce texte clarifie considérablement le régime des sanctions, qui est actuellement injuste et impraticable, et que le travail parlementaire a permis de rendre mesuré, lisible et gradué. Il respecte l’équilibre entre le droit d’auteur, fondamental, et celui de l’internaute.

J’admire les contorsions de l’opposition qui n’a cessé de naviguer sur la vague de démagogie ambiante en essayant de satisfaire tour à tour plusieurs publics. Ce grand écart n’est rien moins qu’un déni de vérité et de démocratie. Le groupe UMP, quant à lui, n’a pas voulu le faire, et a entendu toutes les voix qui s’exprimaient en son sein.

Au fond, ce que cachent les socialistes, ce sont des manœuvres éhontées : on voudrait faire croire que le Gouvernement a trompé l’Assemblée en demandant l’urgence.

M. Frédéric Dutoit - C’est vrai !

M. Guy Geoffroy - Nos débats ont pourtant montré l’entière sincérité qui les a animés, au point que la commission des lois s’est même réunie en pleine nuit pour gagner enfin la partie de l’interopérabilité véritable.

Mme Martine Billard et M. Christian Paul – Vous l’avez supprimée !

M. Guy Geoffroy - Avec ce texte, nous sommes parvenus à un équilibre respectueux de tous les droits fondamentaux inscrits dans notre Constitution, et cet ultime artifice de procédure de l’opposition nous semble pour le moins dérisoire. Bien entendu, le groupe UMP sera fier de voter ce texte, après que nos collègues sénateurs l’ont définitivement adopté, et ne votera pas l’exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Frédéric Dutoit - Vous ne serez pas surpris que nous votions l’exception que vient de défendre mon ami Patrick Bloche…

M. Guy Geoffroy - C’est le bloc conservateur !

M. Frédéric Dutoit – Depuis décembre dernier, toute l’opposition demande au Gouvernement de retirer ce texte parce qu’il porte directement atteinte à nos principes de valeur constitutionnelle. A l’heure où nombre de nos compatriotes – notamment des jeunes – rejettent les jeux politiciens et le double langage, vous démontrez que la démagogie est la pire des politiques…

M. Dominique Richard - Parole d’expert !

M. Frédéric Dutoit – C’est en effet pour donner aux grands groupes et aux magnats de l’industrie culturelle la maîtrise absolue de la lecture des supports que vous multipliez les entraves liberticides à la diffusion de la culture. Tel est votre unique objectif, et vous ne reculez devant aucun sacrifice. Peu vous importe le droit des consommateurs ou les libertés publiques ; seul le marché prime, fût-ce aux dépens du droit à la copie privée ou du respect de la vie privée. Demain, il sera possible à certains opérateurs d’intercepter les échanges confidentiels avec le même degré d’intrusion que celui qui s’attache aujourd’hui aux écoutes téléphoniques. Cela représente un recul pour le moins préoccupant des droits et libertés individuels.

Verrouiller et criminaliser l’internet comme vous entendez le faire…

M. Dominique Richard - Contrevérités !

M. Frédéric Dutoit - … relève d’un conservatisme hors d’âge et fait peu de cas du sens des responsabilités de chacun. Non conforme aux principes républicains élémentaires, votre texte doit être repoussé. C’est pourquoi nous nous honorons de voter l’exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Bayrou - Cette exception d’irrecevabilité a peu de chances d’aboutir. Pourtant, je la voterai, en me référant à des principes qui dépassent encore la norme constitutionnelle puisqu’ils sont inscrits dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Que dit en effet son article 6 ? « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. » Je considère pour ma part que les conditions dans lesquelles ont été discutées ce texte et, à présent, son contenu, ne sont pas conformes à cet article. Je rappelle que rarement – peut-être jamais -, la discussion d’un texte aura été aussi suivie, en particulier par des dizaines de milliers d’internautes, souvent jeunes…

Mme Claude Greff - C’est pour ça que vous êtes là ! (Murmures sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Martine Billard - Intervenez au moins une fois sur le fond, chère collègue !

M. Christian Paul - Sans doute regrette-t-elle de manquer son déjeuner au quai Branly ! (Sourires)

M. François Bayrou - Au mépris de la souveraineté populaire, le Gouvernement présente un texte incompréhensible pour le citoyen…

M. Jean-Marie Geveaux - Demandez aux membres de l’UDF qui ont suivi les travaux de vous éclairer !

M. François Bayrou - Et, entre autres initiatives, la tribune commune de MM. Rocard et Carayon démontre que votre projet ne suscite aucune adhésion. Pour qu’un texte soit conforme à l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme, il faut qu’il soit possible à chaque citoyen de se faire une idée précise de l’ensemble de ses enjeux. En l’espèce, tel n’est manifestement pas le cas, alors que le Gouvernement comme le Parlement se doivent – même sur un texte difficile d’accès – de garantir un débat et un texte parfaitement transparents. C’est pourquoi j’appelle tous ceux qui sont attachés au respect de notre démocratie à voter cette exception. Si, malgré tout, ce texte devait être adopté, il conviendrait évidemment de saisir le Conseil constitutionnel pour faire constater ces manquements graves à nos principes fondamentaux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) .

M. Raoult remplace Mme Mignon au fauteuil présidentiel.
PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT
vice-président

M. Didier Mathus - Nous voici donc au terme d’une aventure parlementaire…

M. Christian Paul - Un véritable fiasco !

M. Didier Mathus - … peu commune, faite de palinodies spectaculaires et de revirements radicaux. L’amateurisme dont a fait preuve le Gouvernement dans cette affaire est proprement stupéfiant ! Sur le fond, il est tout aussi sidérant, à l’heure de la révolution numérique de renier ainsi la philosophie des Lumières, laquelle commande que chacun participe, à la mesure de ses possibilités, à l’avancée globale de la connaissance. Alors qu’internet donne une possibilité formidable d’élargir l’accès à la culture, vous voulez faire obstacle au droit de chacun de progresser.

Ce texte inintelligible va entériner la fin du droit à la copie privée et légaliser l’usage des dangereux DRM, au risque d’introduire une « traçabilité » des communications attentatoire aux libertés publiques. Enfin, il interdit de fait l’interopérabilité.

Mais le plus condamnable dans votre démarche, c’est qu’elle vous a été dictée par des groupes de pression : ce sont les lobbies qui ont écrit la loi, en trouvant dans la majorité parlementaire de zélés supplétifs… (Protestations sur les bancs du groupe UMP ; marques d’approbation sur les bancs du groupe socialiste)

M. Yves Censi - Allons ! Vous insultez la représentation nationale !

M. Guy Geoffroy - Retirez ces propos !

M. Didier Mathus - Au final, ce sont trois siècles d’histoire et d’idéal humaniste que vous allez balayer.

Monsieur le ministre, vous vous êtes plu à répéter que ce texte était historique, et, à certains égards, nous ne pouvons vous donner tort. Vous resterez en effet dans l’histoire, comme le ministre de la culture qui a tenté de cadenasser le net, installé la police de la toile – en particulier contre les jeunes -, porté atteinte aux logiciels libres, et, finalement, pénalisé l’accès à internet. Archaïque et ridicule, votre texte représente une véritable faute contre l’esprit. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains)

L'exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Patrick Bloche - Rappel au Règlement lié à l’organisation et au déroulement de nos travaux…

Mme Claude Greff - Ah ça ! Il sait le faire ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Patrick Bloche - Baissez d’un ton, ou, pour changer un peu de registre, apportez votre contribution au fond du débat ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

Nous étions convoqués à 10 heures 30 ce matin, le Gouvernement ayant fait le pari que le Sénat adopterait le texte de la CMP en une heure. A l’arrivée, il est 12 heures 45 et nous n’avons examiné qu’une motion. Compte tenu de ce débordement, je demande que nous levions la séance dès à présent pour permettre à la discussion de se dérouler normalement à l’ouverture de la séance de l’après-midi.

M. le Président – Nous arrivons à la fin de la session ordinaire et de tels décalages sont habituels. Mme Mignon ayant dû regagner sa circonscription, je suis revenu de mon département, alors que, depuis quelques jours, nous sommes, au Raincy notamment, confrontés à une situation assez délicate, liée aux informations qui ont circulé sur les possibilités de régularisation des sans-papiers…

M. Jean-Marie Le Guen - Il est plus sage que vous restiez parmi nous ! (Sourires)

M. le Président – Je donne la parole à Mme Billard (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Bayrou – Allons-nous continuer jusqu’au terme du débat ?

M. le Président – Nous prenons la question préalable, et nous verrons après les explications de vote. Pour l’instant, nous allons jusqu’au bout.

question préalable

M. le Président - J’ai reçu de Mme Billard une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

Mme Martine Billard - Après bien des péripéties, il aura fallu six mois pour effectuer une seule navette. Cela prouve qu’en décrétant l’urgence en décembre, le Gouvernement voulait seulement se donner une facilité pour faire passer en force ce texte aux conséquences déplorables. Il comptait d’abord sur les fêtes de Noël – en vain. Il tente maintenant, en ce dernier jour de session, d’achever sa mauvaise action à la veille d’une période censée peu propice à la vigilance citoyenne.

Pourtant, Monsieur le ministre, lors de la deuxième séance du mardi 9 mai 2006, vous vous étiez engagé à ne pas convoquer la CMP, mais à laisser la discussion se prolonger entre les assemblées si des divergences fondamentales apparaissaient entre elles.

M. le Rapporteur – C’est qu’il n’y en a pas eu.

Mme Martine Billard - Apparemment, vos promesses n’engagent que ceux qui y ont cru !

Or le Sénat a remis en cause des avancées votées à l’Assemblée sur l’interopérabilité, sur la copie privée…

M. le Rapporteur – Absolument pas !

Mme Martine Billard - ...et les divergences sont importantes sur le statut et la composition de l’autorité de régulation. Mais vous fuyez le débat. Il est vrai que le Gouvernement n’est pas dans une très bonne situation, et que le Premier ministre ne gouverne plus grand-chose. Passer en force, c’est donner l’image d’un Gouvernement dont la parole n’a aucune valeur.

Pourquoi ne pas avoir levé l’urgence ? De toute façon une nouvelle directive européenne doit être examinée à l’automne. Pourquoi transposer un texte qui sera obsolète dans quelques mois ?

Au sortir de la CMP, il ne présente guère d’améliorations par rapport au texte initial. C’est de haute lutte qu’ici même, en première lecture, nous avions rendu moins restrictive l’exception prévue pour les personnes handicapées et pour les bibliothèques, archives et centres de documentation. Quant à l’exception pédagogique, vous l’aviez refusée, arguant d’accords signés sur la question. C’est parce que j’en ai lu des extraits en séance et que la publication sur internet a révélé leur caractère inacceptable, parce que chercheurs et enseignants se sont mobilisés, que les sénateurs ont introduit cette exception. Sinon, le gouvernement voulait tellement limiter la possibilité de faire des copies d’œuvres de l’esprit qu’il serait devenu impossible d’étudier les œuvres françaises.

Sur un plan général, rejeter cette loi, c’est combattre pour le partage des cultures, pour défendre le logiciel libre et pour les droits du Parlement, contre le lobbying sans frein des majors qui se sont invitées dans nos débats.

M. Frédéric Dutoit - Très juste !

Mme Martine Billard - L’examen de ce projet restera dans les annales des dénis des droits du Parlement. Alors qu’il touche à la politique culturelle, il n’a été soumis qu’à la commission des Lois. Par des amendements de dernière minute, le Gouvernement et la Commission ont réécrit entièrement certains articles. Je ne reviens pas sur l’épisode de l’article 1er. Puis, les rapporteurs des deux assemblées ont concocté 55 amendements avant même la tenue de la CMP pour éviter tout débat.

Or ce débat n’oppose pas les partisans du tout gratuit et ceux qui sont favorables à la rémunération des auteurs et des artistes, mais deux conceptions de la culture et de l’informatique.

En effet, rien dans ce texte ne garantit la rémunération des auteurs. Vous privilégiez les majors comme Vivendi, les distributeurs et les sociétés de téléphonie mobile. Vous refusez les propositions de rémunérer les auteurs grâce à la licence globale et à la mise à contribution des fournisseurs d’accès à l’internet à haut débit. Vous mettez à bas le principe de l’exception au droit d’auteur pour copie privée et vous menacez le principe même de la redevance pour copie privée collectée collectivement et redistribuée aux acteurs culturels.

M. Dominique Richard - Il est garanti !

M. le Rapporteur – Lisez le texte !

Mme Martine Billard - S’agissant des ayants droit, la CMP a supprimé l’avancée introduite par le Sénat en ce qui concerne l’information.

Votre objectif principal n’est pas de défendre les auteurs, mais de légaliser les « DRM » que vous appelez « mesures techniques de protection » et qui sont en fait des dispositifs de contrôle des usages. C’est bien en cela que s’opposent deux conceptions différentes de la culture numérique. Sont en jeu tous les supports du multimédia, car les DRM ne visent pas seulement à empêcher une reproduction illimitée des œuvres, mais à limiter le nombre de lectures en instituant des péages permanents. Ils limitent aussi l’accès aux oeuvres tombées dans le domaine public. La culture numérique se réduirait-elle à des consommations individuelles de biens marchands fournis par les majors plutôt qu’à des pratiques partagées ?

De même, votre conception de l’informatique consiste à se jeter dans les bras de Microsoft pour renforcer son monopole..

M. le Rapporteur – Vous n’avez vraiment pas lu le texte ! je vais vous donner un cours particulier.

Mme Martine Billard – Au contraire, nous défendons l’indépendance par l’utilisation de logiciels libres.

Sur l’interopérabilité entre les systèmes, quelle régression ! En première lecture, l’Assemblée avait introduit des garde-fous, le Sénat les a balayés, et le texte de la CMP n’a rien d’équilibré, il est même en retrait par rapport à celui du Sénat ! En effet, elle a bien repris quelques phrases que nous avions introduites pour éviter que les fournisseurs de mesures techniques empêchent l’interopérabilité, mais elle a supprimé tout ce qui pouvait en garantir le respect : ainsi il ne sera plus possible de saisir le tribunal de grande instance en référé, et plus possible pour un consommateur d’exécuter des copies privées sur tout type de matériel lui appartenant.

M. Dominique Richard - Au contraire ! Nous sommes le premier pays à le permettre !

Mme Martine Billard - La CMP vient même de légaliser les formats incompatibles, au rebours de toute l’évolution technologique. Après les abus des fournisseurs d’accès informatique et de téléphonie mobile, nous aurons ceux du téléchargement. Celui qui lira sur les matériels qu’il possède un morceau de musique qu’il a téléchargé encourra 3 750 euros d’amende pour contournement des DRM.

M. Dominique Richard - Vous n’avez rien compris au texte !

Mme Martine Billard - La CMP confirme la possibilité d’interdire la publication du code source et de la documentation technique d’un logiciel indépendant interopérant pour des usages licites, avec garantie de protection d’une œuvre ! Elle a remis les modalités pratiques d’application de cette garantie à l’autorité de régulation des mesures techniques, introduite par le Sénat. C’est remettre en cause l’existence du logiciel libre, et finalement la liberté de création dans le domaine informatique.

Quant aux sanctions, vous avez la main lourde. Quel chef d’entreprise prendra le risque de développer un logiciel si le fait de contourner un DRM l’expose à 3 750 euros d’amende, le fait de proposer à autrui un tel outil à 6 mois d’emprisonnement et 30 00 euros d’amende ?

M. Dominique Richard - Vous confondez tout !

Mme Martine Billard - De ce fait, le texte constitue une menace pour l’économie de notre pays, en particulier des PME. Quant aux auteurs de logiciels libres, ils seront écartés des secteurs du marché les plus porteurs. Tous les petits éditeurs seront soumis à la bonne ou mauvaise volonté des grandes firmes. Vous bridez la liberté d’innovation des ingénieurs et des chercheurs. Pourtant notre pays aurait besoin qu’on encourage la recherche-développement. Vous lui fermez la porte. Ne venez pas ensuite parler de patriotisme économique.

Aussi, parce que le texte adopté par la CMP est une réécriture, notamment des articles 7, 7 bis A et 14 ter A, faisant fi des droits du Parlement ; parce qu’il propose, avec peu de sérieux, une troisième version de la nouvelle autorité ; parce que le Gouvernement a été incapable d’éclairer – comme le veut la tradition – la représentation nationale sur le contenu du décret concernant les sanctions graduées, parce que ce texte rend impossible l’interopérabilité, au lieu de porter sur la transposition d’une directive sur les droits d’auteurs, je vous demande de voter cette question préalable. L’ouverture d’une deuxième lecture permettra alors d’aboutir à un texte plus conforme à la fois aux besoins des auteurs, à la liberté sur internet et au développement des logiciels libres (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois - Je sollicite, en application de l’article 50, alinéa 5 du règlement, la poursuite du débat (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Ministre – Je donne mon accord.

M. Patrick Bloche - Rappel au Règlement !

M. le Président – M. le président de la commission des lois vient de faire référence à l’article 50, alinéa 5, qui précise que l’Assemblée peut décider de prolonger ses séances sur proposition de la commission saisie au fond.

M. Christian Paul - C’est encore un passage en force !

M. le Président – Je vais donc consulter l’Assemblée.

Par un vote à main levée, l’Assemblée se prononce pour la poursuite du débat.

M. Patrick Bloche – Je demande une suspension de séance d’une demi-heure afin que le groupe socialiste puisse se réunir et trouver les forces nécessaires pour affronter cet énième passage en force. Le respect des travaux de l'Assemblée nationale et des parlementaires est de nouveau bafoué par le Gouvernement, qui force sa majorité à continuer de délibérer. Le débat doit encore se poursuivre pendant 1 heure 30, quel sens cela a-t-il donc ?

M. le Président – L’Assemblée a décidé de continuer le débat. La séance est suspendue pour cinq minutes.

La séance, suspendue à 13 heures 05 est reprise à 13 heures 10.

M. le Président – Nous passons aux explications de vote sur la question préalable.

M. Frédéric Dutoit – Rappel au Règlement !

M. le Président – Je viens d’annoncer les explications de vote.

M. Christian Paul - Ça recommence ! Décidément, rien ne se passe correctement !

M. Frédéric Dutoit – Je tiens à protester avec virulence contre la façon dont la représentation nationale est traitée.

M. Christian Paul - Maltraitée !

M. Frédéric Dutoit - Depuis le mois de décembre, nous n’avons eu de cesse de demander du temps pour qu’un débat serein puisse se tenir : les questions soulevées par ce projet de loi auraient pu en effet donner lieu à un accord pour préserver les droits d’auteurs, garantir les libertés individuelles et le développement des logiciels libres. A aucun moment, ces conditions n’ont été réunies. A chaque reprise, le Gouvernement et une partie – seulement – de la majorité ont utilisé des artifices de procédure pour faire passer en force ce texte inacceptable. Je demande donc une suspension de séance d’au moins une demi-heure, afin de rappeler les parlementaires communistes, actuellement dans leurs circonscriptions.

M. le Président – J’aurais aimé vous être agréable. Mais les explications de vote ayant été annoncées, la suspension de séance aura lieu après celles-ci et après le vote sur la question préalable. Je vous rappelle que l’Assemblée a décidé de poursuivre le débat.

M. Dominique Richard - La question préalable signifie qu’il n’y a pas lieu à délibérer. Or la directive a été publiée il y a cinq ans et la France est aujourd’hui en procédure d’avis motivé, ce qui précède les sanctions financières. Le groupe UMP s’opposera à cette manœuvre grossière (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Christian Paul - Avec tout le respect que je vous dois, Monsieur le président, je veux vous dire que vous participez à un passage en force…

… que le Gouvernement emploie depuis décembre 2005, alors que ce texte a suscité un véritable débat dans notre pays…

Mme Claude Greff – Sept mois, est-ce un passage en force ?

M. Christian Paul - ... et une dissidence au sein de l’UMP (Rires sur plusieurs bancs du groupe UMP). Certains étant absents ce matin…

M. Jean Dionis du Séjour - Où sont-il donc ?

M. Christian Paul - … je veux donner un écho aux voix que vous avez muselées : MM. Yves Bur, Bernard Carayon, Richard Cazenave, Georges Colombier, Dominique Dord, Patrick Labaune, Pierre Lasbordes, Lionnel Luca, Jean-Pierre Nicolas, Bernard Pousset, Jacques Remiller, Alain Suguenot, qui ont adressé une lettre de protestations au président de leur groupe. Et je pourrais sans doute citer d’autres députés encore…

M. le Président – Je rappelle que vous intervenez au nom du groupe socialiste.

M. Christian Paul - Certes, mais je conserve toute ma liberté de parole.

M. le Président – Ceux que vous nommez ne sont pas là pour donner leur avis, Monsieur Paul. Il est rare qu’un parlementaire s’exprime au nom d’un groupe politique auquel il n’appartient pas !

M. Christian Paul - Il est tout aussi rare qu’un président de séance s’exprime à la place de l’orateur !

M. le Président – Respectez la courtoisie qui prévaut depuis ce matin !

M. Christian Paul – Si vous teniez tant à la sérénité des débats, vous auriez mieux fait de ne pas prêter la main au passage en force du Gouvernement.

Plusieurs députés du groupe UMP – C’est grave !

M. Christian Paul - Oui, c’est grave : nous attendons du Gouvernement des réponses dont il nous prive depuis six mois.

Nous allons voter la question préalable, car nous regrettons que ce débat sur la culture ait été truffé d’artifices, d’expérimentations de procédure hasardeuses et de méthodes disciplinaires - l’épisode de la CMP l’a tristement montré.

Au total, vos réécritures successives de ce texte n’ont fait qu’assassiner les quelques compromis que nous avions pu adopter. L’article 7 avait été adopté à l’unanimité, ce qui n’est hélas pas si fréquent, mais vous avez piétiné tous nos efforts !

M. Dominique Richard - Il y a deux Chambres au Parlement !

M. Christian Paul - Le bicamérisme n’a jamais empêché de légiférer unanimement en matière culturelle. Or, votre texte a non seulement ouvert des fractures au sein de la majorité, provoqué une division de la communauté artistique et opposé les artistes à leur public, mais il a également été à l’origine d’une véritable révolte civique.

Lisez donc les forums sur internet - cette nouvelle agora où se déroulent les débats ! Un mouvement se lève contre ce texte, qui tente de préserver l’ordre économique ancien en consacrant des intérêts qui ne sont pas ceux des artistes.

M. Yves Censi - La propriété est un droit fondamental !

M. Christian Paul - Telle que vous tentez de la définir, la propriété est un vol ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Rapporteur – Vous en souriez vous-même !

M. Christian Paul - Pas du tout ! Dans un excellent article publié il y a quelques années dans Le Monde, Daniel Cohen titrait : « la propriété intellectuelle, c’est le vol ». Et c’est effectivement vrai quand elle est confiscatoire : n’oubliez pas que c’est Apple qui diffuse la culture sur toute la planète, et que Microsoft contrôle tout !

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste unanime votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Frédéric Dutoit - Nous voterons bien évidemment la question préalable de notre collègue Martine Billard. En ces temps marqués par la confusion et les passages en force, je veux pourtant croire en l’honneur politique.

M. Guy Geoffroy - Quelle emphase !

M. Frédéric Dutoit – C’est pourquoi j’invite les membres de la majorité, y compris M. Geoffroy, à répondre à l’appel que j’ai lancé hier au nom de mon groupe.

Nous avons été nombreux, sur tous les bancs de cet hémicycle, à protester contre la décision prise par le Gouvernement de convoquer la CMP, décision qui prive le Parlement d’une seconde lecture.

M. Jean Dionis du Séjour - C’est vrai !

M. Frédéric Dutoit – Un tel comportement est déloyal, puisque le ministre s’était publiquement engagé à autoriser une seconde lecture dans l’hypothèse où se feraient jour des divergences substantielles entre notre assemblée et le Sénat.

Tel est, à l’évidence, le cas : le texte adopté par la Haute assemblée remet en cause des dispositions adoptées à l’unanimité et touchant à l’exercice des droits et libertés individuels : les mesures relatives à l’interopérabilité, par exemple, ou la répression par voie de contravention des téléchargements illégaux sur internet. Le texte issu de la CMP rétablit certes quelques équilibres, mais il pêche par son insuffisance !

En tout état de cause, il serait injustifiable que la volonté d’obtenir un vote au plus vite fasse obstacle à l’approfondissement de notre réflexion et au débat parlementaire. Nous demandons solennellement le rejet des conclusions de la CMP et un nouvel examen du texte.

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Frédéric Dutoit - Quel manque de courage !

M. Jean Dionis du Séjour - La « lâcheté » est un mot à employer avec précaution en ce moment (Sourires).

M. le Président – Puisqu’il reste encore une heure de discussion générale…

M. Christian Paul – Bien davantage : nous attendons les réponses du Gouvernement !

M. le Président - … je vous propose de suspendre la séance pendant quelques minutes.

La séance, suspendue à 13 heures 25 est reprise à 13 heures 30.

M. le Président – Nous en venons à la discussion générale.

M. Jean Dionis du Séjour - Au terme d’un très long débat, c’est la nouvelle devise de l’UDF, le « parti libre », qui traduit le mieux notre cheminement. Nous avons été parmi les premiers à dire que ce projet ne constituait pas une banale transposition technique d’une directive européenne.

M. Dominique Richard - C’est vrai.

M. Jean Dionis du Séjour – Rapporteur de la loi sur la confiance dans l’économie numérique, j’avais perçu que le début de mobilisation de l’ensemble des professionnels annonçait un grand mouvement d’opinion. Les enjeux sont en l’occurrence considérables. Internet devient le principal vecteur de la diffusion culturelle. Longtemps privilège d’un petit nombre, la culture va devenir accessible à tous et c'est une formidable nouvelle pour notre démocratie si nous inventons le modèle économique permettant aux professionnels de la culture de vivre dignement de leur activité.

M. Pierre-Christophe Baguet - Très bien.

M. Jean Dionis du Séjour – Jusqu’à aujourd’hui même, nos débats ont été douloureux et chaotiques. Or, selon nous, il était possible et souhaitable de faire mieux. Nous avons mal vécu la position du Gouvernement, quelle que soit sa bonne volonté - je me réjouis d’ailleurs de l’écoute que vous nous avez témoignée, Monsieur le ministre, ainsi que de celle de votre cabinet, avec une mention spéciale pour Laurence Franceschini. Le Gouvernement semble avoir vécu ces derniers mois comme un vrai chemin de croix alors que de très nombreux parlementaires, eux, voulaient faire une loi fondatrice.

M. Christian Paul - C’est raté.

M. Jean Dionis du Séjour - Monsieur le Ministre, si vous aimez et respectez le monde de la culture, vous ne connaissez pas suffisamment le milieu des internautes, si dynamique et créatif, même s’il se montre parfois excessif : Internet est leur espace de liberté, leur Far West ! Il fallait les convaincre que droit et liberté marchent l’amble ! Pendant ces débats, l'UDF n'a jamais recouru à la démagogie ni au double langage.

M. Pierre-Christophe Baguet - Exact.

M. Jean Dionis du Séjour - L'urgence était un mauvais choix : inefficace parce que nos travaux ont duré bien longtemps, non démocratique parce que le Parlement a beaucoup moins bien associé la société civile à ses travaux qu’il ne l’a fait dans le cadre de la loi sur la confiance dans l'économie numérique. Oui, il fallait du temps et de la sérénité ! Oui, une deuxième lecture était nécessaire ! Monsieur le Ministre, étions nous prêts à légiférer à l'issue de la première navette parlementaire ? Non. Nous savons que la CMP prend tout son sens en fin de processus, lorsque toutes les divergences fondamentales sont levées. Or, ce n’était pas en l’occurrence le cas, notamment en ce qui concerne l'interopérabilité, concept toujours mal défini.

M. Frédéric Dutoit - Eh oui !

M. Jean Dionis du Séjour - Cet oubli ne sera pas sans conséquence : la jurisprudence sera certainement hésitante, contradictoire et difficile à fixer car il ne suffit pas pour bien légiférer d’obliger à "la fourniture des éléments nécessaires à l'interopérabilité". Nous le réaffirmons : ce texte aurait été meilleur s’il y avait eu une deuxième lecture.

La CMP était-elle pour autant inutile ? Non. Il y a eu même quelques avancées, notamment l’exception pédagogique et la clarification sur le non cumul de rémunération pour copie privée et celle perçue lors de l'achat des biens en ligne. Notre position était là encore équilibrée, la CMP l’a entendue et nous en sommes satisfaits. Enfin, à l'article 7, la CMP a réintroduit l'amendement que j'avais proposé créant une obligation de fourniture d'informations essentielles à l'interopérabilité.

M. Pierre-Christophe Baguet - C’était légitime.

M. Jean Dionis du Séjour - Mais la CMP ne pouvait pas changer fondamentalement le texte.

Monsieur le Ministre, vous avez non sans courage osé dire que la licence globale était une fausse bonne idée et l'UDF vous a soutenu. Le 21 décembre, alors que la confusion et le double langage gagnaient toutes les familles politiques à l'exception de la nôtre…

M. Christian Paul - Et de la nôtre !

M. Jean Dionis du Séjour - …l’UDF s'est prononcée contre la licence globale, refusant les positions démagogiques qui consistaient à "draguer les internautes" au sein de l'Assemblée tout en caressant dans le sens du poil le monde de la culture en dehors (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) .

M. le Rapporteur – Très juste.

M. Jean Dionis du Séjour – Pour le reste, notre position demeure inchangée depuis l'explication du vote du 21 mars dernier. Ce texte visait tout d’abord à transposer une directive européenne réaffirmant le droit d'auteur exclusif, y compris et surtout sur internet. Dans son article 6, celle-ci mentionne les mesures techniques de protection, en effet légitimes pour parer au téléchargement illégal même si leur arrivée suscite une tension avec un autre droit fondamental : le droit à la copie privée. Dans son article 8, enfin, la directive appelle les Etats membres à prévoir des sanctions "efficaces, proportionnées et dissuasives". Le groupe UDF aurait approuvé sa transposition fidèle et modeste, mais le texte qui nous est soumis s'en écarte sur plusieurs points importants.

Et tout d'abord par son article 9, avec l’autorité de régulation chargée d'arbitrer les litiges entre l'application des mesures de protection et le droit à la copie privée. Nous n’aimons pas cette autorité…

M. Dominique Richard - On vous la fera aimer (Sourires).

M. Frédéric Dutoit - Commissaire du peuple (Sourires) !

M. Jean Dionis du Séjour – … que nous jugeons illégitime. Vous prenez le risque d'un conflit avec la commission de la rémunération pour la copie privée : à l'autorité incombera la définition de l'espace de la copie privée, à la commission le type de support éligible, le taux de rémunération et les modalités de versement. Qui ne voit pourtant le lien entre l'espace de la copie privée, le préjudice porté aux auteurs et le financement à lever ? Nous sommes également opposés à l’article 12 bis prévoyant de lourdes sanctions pour les éditeurs de logiciels de pair à pair n'incluant pas la gestion des mesures techniques de protection. Il s'agit là d'un débat important car le logiciel libre constitue, à côté du logiciel propriétaire, l'autre modèle économique du développement de l'industrie du logiciel et il est heureux que ces deux modèles coexistent. Or, il y a un débat au sein de la communauté du logiciel libre. Pour le moment, les éditeurs de ces logiciels travaillent surtout sur des applications bureautiques, de bases de données ou sur des systèmes d'exploitation. Ils commencent à s'intéresser au peer-to-peer

M. Pierre-Christophe Baguet - Eh oui !

M. Jean Dionis du Séjour - … mais ils se demandent s'ils doivent « y aller » et comment « y aller » - en incluant ou non la fonction des DRM. Pour certains d'entre eux, notamment pour le créateur de Linux, l'ajout de cette fonction est légitime. Sachant que ce débat est en cours, fallait-il légiférer ? Selon nous, il est surtout urgent de laisser vivre la communauté du logiciel libre. En outre, nous nous interrogeons sur l'efficacité nationale d'une telle disposition. Compte tenu de la facilité avec laquelle un éditeur peut déplacer son logiciel, nous souhaitons bien du courage à ceux qui voudront le sanctionner ! S’agissant des articles 13 et 14, nous émettons des doutes sur le caractère "efficace, proportionné et dissuasif" des sanctions encourues.

Même si les conditions n'étaient pas satisfaisantes - il était trop tard - vous aviez proposé en décembre, Monsieur le ministre, un concept intéressant : la riposte graduée. Certains éléments étaient inacceptables, telle la fameuse police privée de l'internet condamnée ici même par François Bayrou ; mais la gradation des sanctions, le principe de responsabilisation de l'abonné et la prévention par l'envoi de messages d'avertissement avant sanction méritaient d'être retenus.

Nos débats auront été confus, heurtés, pollués par les hésitations politiques du Gouvernement et des principaux groupes ainsi que par des maladresses procédurales. Dans ce texte qui, même s'il s'inspire en grande partie d'une directive européenne que nous faisons nôtre, s'en écarte sur des points importants, l'UDF ne voit pas la concrétisation des deux objectifs majeurs qu'elle s'était fixés – stimuler la création artistique en inventant un nouveau modèle de rémunération compatible avec internet ; permettre au plus grand nombre l'accès aux trésors de la culture. Le sentiment d'une occasion gâchée, d'un rendez-vous manqué prédomine, même si certains débats fondamentaux ont eu lieu. Aussi la majorité du groupe UDF a-t-elle décidé, derrière François Bayrou et Hervé Morin, de voter contre ce texte. Certains, dont je suis, sensibles aux choix fondamentaux qu'il incarne – notamment le refus de la licence globale – s'abstiendront.

M. Pierre-Christophe Baguet - Très bien. Moi aussi, je m’abstiens !

M. le Président – J’invite chacun à faire en sorte que nous puissions terminer dans des délais raisonnables, d’autres textes étant inscrits à l’ordre du jour de cet après-midi. Au nom de nous tous, je remercie les personnels de l'Assemblée nationale, empêchés d’aller déjeuner à une heure normale.

M. Frédéric Dutoit - En convoquant cette CMP, ce gouvernement a montré une nouvelle fois son autoritarisme et son absence de considération pour le Parlement. Même réduits à la portion congrue, nos débats ont néanmoins permis de montrer combien les enjeux de cette loi sont multiples et dépassent la question – essentielle – de la rémunération des artistes à l'ère du numérique. L'intervention du secrétaire d'État américain au commerce à la suite de l'adoption par les députés français d'un article visant à mettre un terme aux pratiques anti-concurrentielles d'Apple et Microsoft le démontre ; l'adoption d'un article instaurant une possibilité de contrôle des « mesures techniques de protection des œuvres » par le Secrétariat général de la défense nationale, à des fins de prévention de l'espionnage industriel, le confirme. On est loin du droit d'auteur ! Cela mériterait qu'on s'y attarde…

De plus, Monsieur le ministre, vous nous aviez donné au nom du Gouvernement votre parole, à plusieurs reprises, que vous feriez lever l'urgence en cas de divergences fondamentales entre les deux chambres.

Or les positions de l'Assemblée et du Sénat ont été radicalement différentes sur plusieurs dispositions clés, et des députés de la majorité n'ont eux-mêmes pas hésité à parler de positions irréconciliables.

M. Dominique Richard - Nous les avons réconciliées !

M. Frédéric Dutoit - Même si la CMP est revenue sur certaines des dispositions particulièrement choquantes adoptées au Sénat, le fait qu’elle tienne lieu de seconde lecture et qu’elle soit l’occasion d’examiner en catimini divers amendements est une parodie de démocratie, sur un texte qui ne fait nullement consensus au sein de la majorité.

Les motifs avancés pour justifier la procédure d’urgence sont caducs : le risque de poursuites de la Commission européenne a disparu puisque la directive européenne de 2001, que le projet transpose, va être réexaminée dans les prochains mois – tant elle va à l’encontre de ses objectifs d'harmonisation et tant elle est préjudiciable aux consommateurs.

La plupart des États, dont la France, ont conservé ou créé des redevances sur les supports vierges pour « copie privée », alors que celle-ci est rendue impossible par les « mesures techniques »… La Commission européenne, consciente du problème, envisage elle-même de supprimer ces redevances. Cela déclenche des réactions paniquées des organisations d'artistes, mais aussi des élus locaux, qui savent que 25 % de la redevance est utilisée pour financer le spectacle vivant. Ces élus et artistes, par ailleurs, refusent toute mutualisation de la gestion de leurs droits, telle que proposée dans le dispositif certes imparfait, mais novateur, de la licence globale. Ils veulent le beurre et l'argent du beurre !

Les craintes sur le risque d'une disparition à terme de la redevance pour copie privée sont révélatrices des insuffisances de la loi : elles montrent combien les créateurs sont réticents à troquer une rémunération sûre contre une chimère sécuritaire, les mesures techniques, rejetées par le public et qui ne garantissent finalement que les revenus de Microsoft et d'Apple…

M. le Rapporteur – Vous n’avez pas lu le texte !

M. Frédéric Dutoit - Quel élu informé endosserait la responsabilité d’une diminution simultanée des revenus des auteurs, des droits du public et des subventions pour les festivals organisés dans sa circonscription ?

Le Gouvernement oublie son rôle de gardien de l'intérêt général, au profit de quelques lobbies. Les syndicats de musiciens et des sociétés d'artistes comme l'ADAMI ou la SPEDIDAM, les associations de consommateurs telles que l'UFC ou la CLCV, les organisations familiales comme l'UNAF, les internautes et utilisateurs de logiciels libres ont tous dénoncé le déséquilibre de ce texte. Pour les centaines de milliers de Français qui ont suivi le débat, il apparaît évident que ce texte a été rédigé par et pour les industriels et qu’il ne permettra nullement de rémunérer justement les créateurs. Les atteintes aux droits du public et le ridicule de certaines dispositions au regard des évolutions de la technique sont tout aussi évidents.

Pour un gouvernement à bout de souffle, l'adoption de ce projet ne sera qu'une victoire à la Pyrrhus. Démonstration sera bientôt faite de son caractère inapplicable. Je me réjouis néanmoins que ma proposition ait été reprise à l’article 31, en vertu duquel le Gouvernement présentera au Parlement un rapport comportant un chapitre spécifique « sur les conditions de mise en place d’une plateforme publique de téléchargement permettant à tout créateur vivant, qui se trouve absent de l’offre commerciale en ligne, de mettre ses œuvres ou ses interprétations à la disposition du public et d’en obtenir une juste rémunération ».

Il ne me reste qu’à formuler le vœu pieux que, dans un accès de lucidité, la majorité s'oppose avec nous à l'adoption des conclusions de la CMP. Ce serait l'honneur de notre Assemblée que d'affirmer sa volonté de reprendre le débat, afin que l'ère du numérique soit une chance pour la culture.

M. Didier Mathus - Très bien.

M. Dominique Richard – Nous arrivons au terme d'un processus législatif dont je rappelle les principales étapes. 22 mai 2001 : publication de la directive européenne négociée par le gouvernement de Lionel Jospin ; 12 novembre 2003 : dépôt du projet de loi ; 21 mars 2006 : vote à l'Assemblée nationale. J'entends parler de déni de démocratie, de travail bâclé, or nous avons eu plus de 57 heures de débats en séance publique en mars à l'Assemblée nationale – 80 au total – ; c’est le cinquième débat le plus long depuis le début de la législature.

Depuis le vote du Sénat, nous avons eu de nombreuses réunions de travail pour atteindre le résultat d'aujourd'hui.

Comme sur tout sujet de société important, l’UMP n’a pas évité le débat, qui a largement enrichi le texte, notamment grâce à M. le rapporteur, dont le travail fut patient et talentueux.

M. Guy Geoffroy - Et remarquable !

M. Frédéric Dutoit - N’exagérons rien…

M. Dominique Richard - Certains se sont émus de l’absence d’une deuxième lecture, arguant de l’incompatibilité de point de vue entre les deux chambres. Tout en restant fidèles à nos positions, nous sommes pourtant parvenus à un accord le 22 juin. Loin des postures, le groupe UMP a eu le courage d’agir ! Jusqu’à présent, l’internaute encourait une peine de prison pour téléchargement illicite, et les créateurs, livrés à la loi de la jungle, n’étaient ni protégés ni reconnus. Voilà ce que les socialistes voulaient préserver, et ce à quoi la majorité a mis fin !

M. Christian Paul - Quel film d’horreur !

M. Dominique Richard - Internet est désormais une chance pour le public, qui bénéficie d’une meilleure offre artistique, et pour les créateurs qui y trouvent de nouvelles formes de diffusion de leurs œuvres. Les socialistes voulaient diviser ; nous permettons à tous d’être gagnants.

Nos débats ont transformé ce sujet technique en sujet de société. Les principes qui ont guidé l’action du Gouvernement et de la majorité sont clairs, cohérents et réalistes.

Le premier d’entre eux est le respect des droits de l’auteur et de sa juste rémunération. Pour nous, tout travail mérite salaire.

M. Frédéric Dutoit - Mais pour nous aussi, bien sûr !

M. Dominique Richard – Vous avez, Monsieur le ministre, su défendre ce principe contre vents et marées, alors que l’opposition, tout en affichant un soutien incantatoire aux artistes, laisse brader la rémunération de leurs œuvres diffusées sur internet.

M. le Rapporteur – Très bien !

M. Dominique Richard - C’est aux créateurs de décider du mode de diffusion de leur œuvre. Le projet de loi les protège s’ils souhaitent une rémunération, ou au contraire leur permet de diffuser leurs œuvres gratuitement. Dans le même esprit, une réflexion sera engagée sur la mise en place d’une plateforme publique de téléchargement. Le crédit d’impôt musique, bénéficiant essentiellement aux petites structures indépendantes, accroît la diversité de l’offre tout en sécurisant les risques financiers. Pour l’audiovisuel et le cinéma, une disposition semblable a permis une augmentation de 35 % du nombre de tournages en France !

J’invite la communauté artistique à se pencher sur les propositions de nos collègues socialistes. Quelles sont-elles ?

M. Christian Paul - Nous allons vous le dire !

M. Dominique Richard - Hélas, je n’entends que ce double langage que M. Accoyer dénonçait ici même en mars dernier.

M. Christian Paul - C’est votre meilleur expert en la matière !

M. Dominique Richard - La majorité et le Gouvernement ont constamment défendu la rémunération des artistes en écartant la licence globale. Au contraire, tandis que MM. Lang et Hollande…

M. Guy Geoffroy - Où sont-ils ?

M. Dominique Richard – …écartaient la licence globale, les députés socialistes votaient en sa faveur ! Depuis, la ratification de la convention pour la diversité culturelle, le festival de Cannes et la vingt-cinquième fête de la musique ont illustré la diversité artistique. Les socialistes auraient dû en profiter pour accorder leurs violons, mais il n’en fut rien ! La bible de leur parti – le « projet » – évoque la préservation et l’adaptation du financement de la création – c’est précisément ce que nous faisons ! –…

M. Patrick Bloche - Non ! Vous faites le contraire en refusant tout financement supplémentaire pour la culture !

M. Dominique Richard - …et la rémunération des artistes : nous pourrions presque nous réjouir que le futur candidat socialiste défende des convictions qui sont les nôtres ! Pourtant, nous aurions tort de le faire : fidèles à leurs bonnes vieilles habitudes, les socialistes parlent d’accroître le financement de la création, afin de retrouver le niveau du budget de 1981 – joli progrès : c’est moins que le niveau actuel ! – en créant une taxe sur les fournisseurs d’accès, les opérateurs de téléphonie mobile et les fabricants de logiciels et de matériels… Un impôt sur les ordinateurs et les téléphones mobiles : bravo ! Pour couronner le tout, Mme Royal considère que la licence globale est une solution alternative sérieuse !

M. Guy Geoffroy - Cela fera un beau cadeau de mariage !

M. Christian Paul - La diversité vous dérange !

M. Dominique Richard - Et elle déclarait hier qu’elle reviendrait sur ce projet de loi…

M. Christian Paul - Dès 2007 !

M. Guy Geoffroy - Ségolène attrape-tout…

M. Dominique Richard - … au motif qu’il ne faut pas consacrer juridiquement les restrictions numériques ! Mais enfin, qui doit-on croire ? Je rappelle que les mesures techniques de protection existaient avant ce projet de loi. Ne parlons plus de mémoire sélective : il s’agit d’amnésie totale !

M. le Rapporteur – Et de mauvaise foi !

M. Dominique Richard – Au tour de M. Paul : vous avez prétendu que le Gouvernement met en place les mesures techniques de protection pour verrouiller les œuvres au profit de je ne sais quelle multinationale.

M. Christian Paul - Je le maintiens !

M. Dominique Richard – Pourtant, dans le rapport de la commission des lois, vous écrivez que seule une protection juridique adéquate peut garantir la crédibilité de ces mesures !

M. le Rapporteur – Quelle surprise !

M. Dominique Richard - Vous ajoutez même qu’il faut poursuivre l’harmonisation des droits d’auteur et droits voisins à condition de maintenir un niveau élevé permettant de valoriser les contenus…

M. Guy Geoffroy - Il faut donc voter le texte !

M. Dominique Richard - Tel est le double langage qui caractérise le Parti socialiste en matière de droits d’auteur.

M. Guy Geoffroy - Et sur bien d’autres sujets, hélas…

M. Dominique Richard – En matière de protection des œuvres, M. Paul estimait en 1999 qu’il fallait « laver plus blanc que blanc ». Mais en 2006, il nous reproche d’avoir inventé les mesures techniques de protection !

M. Guy Geoffroy - La grande lessiveuse !

M. Dominique Richard - Au contraire, notre position est juste, constante et équilibrée. Outre la défense du droit d’auteur et la juste rémunération des créateurs, nous apportons de nouvelles garanties aux droits des internautes.

L’affirmation du principe d’interopérabilité fait de la France un pays pionnier en Europe.

M. le Rapporteur – Absolument !

M. Dominique Richard - Quatre pays européens envisagent d’ailleurs déjà de suivre notre exemple. En effet, toute œuvre légalement acquise doit pouvoir être lue sur n’importe quel support numérique. Il faut en finir avec les situations de monopole où les consommateurs sont prisonniers d’une marque ou d’une technologie. Le texte de la commission mixte paritaire, fruit de longues et constructives discussions, définit donc un cadre opérationnel précis, auquel le groupe UMP était très attaché, afin que les mesures techniques de protection ne nuisent pas à l’interopérabilité. Les fabricants auront donc l’obligation de fournir les informations pertinentes afin de favoriser l’innovation et la concurrence, et tout manquement sera sanctionné par une autorité administrative indépendante aux pouvoirs renforcés.

En outre, le texte comporte de nombreuses dispositions qui permettront de préserver l’avenir du logiciel libre en clarifiant la définition des mesures techniques de protection, en préservant l’exception de décompilation et en excluant explicitement de l’interdiction de contournement des mesures techniques les actes d’interopérabilité.

Il garantit la consolidation de la copie privée en autorisant les internautes à réaliser un nombre raisonnable de copies d’œuvres acquises légalement pour usage personnel. Au besoin, l’autorité de régulation, saisie par les consommateurs, pourra ordonner la modification des mesures techniques.

J’en viens aux sanctions, proportionnées à la gravité des actes. Le projet de loi met fin à la menace juridique – prison et perquisitions – qui planait sur les internautes. Ces sanctions étaient trop lourdes, d’autant plus que dans le même temps, l’impunité protégeait encore trop souvent certains intermédiaires profiteurs. Outre des mesures de prévention – les fournisseurs d’accès transmettront à leurs abonnés des messages de sensibilisation aux dangers du piratage – le texte prévoit une contravention juste et graduée, dans le respect de la vie privée, pour les échanges d’œuvres. Les sanctions les plus lourdes sont réservées à ceux qui organisent la violation manifeste du droit d’auteur – les éditeurs de certains logiciels, par exemple.

Enfin, le texte comporte des mesures favorables aux personnes handicapées – en autorisant la transcription et la diffusion d’œuvres en formats adaptés tels que le braille – et maintient l’exception pédagogique.

Telles sont les innovations en faveur des créateurs et des internautes dont la majorité et le Gouvernement peuvent être fiers. Ce texte pose des droits nouveaux : il fallait avoir le courage de le faire, sinon, c’est la jungle ! Et ce sera aussi une loi vivante, traitant d’une matière en constante évolution, face à laquelle il faut savoir réagir vite : telle sera la mission de la nouvelle autorité de régulation.

Enfin, je m’adresse aux professionnels du cinéma et de la musique : le législateur a pris ses responsabilités en créant un cadre équilibré et sûr pour le basculement des catalogues sur le numérique. Mais cela ne servira à rien s’ils ne font pas vivre ce socle en développant une offre diversifiée à des tarifs accessibles à tous…

M. le Ministre – Il a raison.

M. Dominique Richard - L’internaute devra pouvoir faire la différence, mesurer la richesse de l’offre et prendre conscience de l’intérêt de télécharger légalement de la musique. C’est à cette condition que le téléchargement illicite et la violation du droit d’auteur seront à ranger parmi les mauvais souvenirs.

Monsieur le ministre, le groupe UMP vous remercie chaleureusement de votre écoute et de votre sens de la conciliation. Quiconque a souhaité prendre part à ce débat a pu le faire et il en ressort un texte juste et équilibré (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Christian Paul - Les échanges de ce matin offrent un nouveau rebondissement de ce feuilleton à la Dumas qui semble ne jamais devoir se terminer…

M. Guy Geoffroy - L’épilogue est proche.

M. Christian Paul – Certes, le Parlement clôt provisoirement le premier grand débat qu'il a consacré à la civilisation numérique. Il le fait sur ordre du Gouvernement, dans la douleur des affrontements, en provoquant l'incompréhension du public et sans satisfaire aucunement les artistes, aujourd'hui amers et divisés. II le fait en légiférant contre la société, qui, en de telles matières, sait bien qu'il faut rechercher l'équilibre plutôt que de passer en force. Et l’on aurait tort de voir dans la controverse entourant ce texte une guérilla entre technophiles initiés ou une nouvelle bataille d'Hernani entre informaticiens : c'est la société de l'information que vous confisquez alors que nous voulons la construire.

II serait tout aussi réducteur de limiter la portée du projet à l'organisation de la répression contre les internautes qui téléchargent la musique et la partagent en dehors de tout commerce. Bien sûr, cette croisade répressive s'est exprimée ici même. Bien sûr, on a vendu, avec maladresse et dans l'improvisation, aux industries culturelles et à une partie des artistes, une illusion sécuritaire sans lendemain, car cette mauvaise loi sera finalement inapplicable.

M. Frédéric Dutoit – Bien sûr !

M. Christian Paul - Ce qui se joue globalement est apparu au fil des semaines et des réécritures successives : il s’agit, ni plus ni moins, du contrôle de la distribution des œuvres culturelles, de la musique d'abord, mais déjà aussi des films, et, bientôt, des textes. La dernière mouture, issue d'une CMP transformée en bataillon disciplinaire (Murmures sur les bancs du groupe UMP), donne une vision de l'avenir qui fait frémir.

Son examen a révélé, ici même et dans le pays, des convictions fortes, qui traversent les lignes de front habituelles de la politique française, et provoqué une franche révolte au sein même de l'UMP. Du coup, ce texte est devenu l’enjeu culturel principal d’une législature qui en compta bien peu, et qui a par ailleurs fort mal traité les intermittents.

Dans ce qui restera donc comme l'un des fiascos de cette législature finissante, le droit des auteurs, détourné et instrumentalisé, aura été, au fond, utilisé comme une mystification, un paravent où les intérêts des artistes cèdent devant l'appétit des ogres de l'industrie informationnelle.

M. le Rapporteur – Prouvez-le !

M. Christian Paul - Derrière la bataille perdue…

M. le Rapporteur – La vôtre !

M. Christian Paul - … pour l'interopérabilité, il faut voir l'influence croissante de puissants opérateurs : ceux qui, tels Microsoft, fabriquent les verrous technologiques censés gérer les droits des artistes ; surtout ceux qui, comme Apple, se sont assurés le contrôle de canaux de diffusion et de vente, en imposant leur format propriétaire. En rendant difficiles – voire impossibles – la lecture et la copie libres de la musique sur les supports librement choisis par chacun, le législateur sanctuarise la rente, et, demain sans doute, le monopole du distributeur. On l’aura compris lorsqu’Apple tousse, c’est la rue de Valois qui éternue !

L’interopérabilité de façade, sans garanties sérieuses, est une coquille vide. En première lecture, nous étions parvenus à un compromis qui suscitait une large adhésion : las, vous avez assassiné cette rédaction équilibrée.

En limitant la communication des codes sources des logiciels pour protéger les verrous technologiques, on renforce les droits des diffuseurs au détriment de tous les autres. Dès lors, le développement du logiciel libre se trouve gravement entravé.

Tout aussi grave, les développeurs de logiciels d'échange P2P – utiles non seulement pour partager les oeuvres musicales, mais aussi pour travailler en commun dans nombre de domaines – se voient menacés d'une épée de Damoclès sur injonction de Vivendi : les voici désormais responsables, le cas échéant, de l'emploi illicite des outils qu'ils ont conçus ! Cela revient à rendre un fabricant de traitement de texte complice du texte diffamatoire qui a été rédigé avec son logiciel...

Les limites apportées à la copie pour usage privé masquent votre volonté de ne pas voir advenir un modèle où cohabiteraient harmonieusement vente en ligne, partage des fichiers culturels à des fins non lucratives et supports traditionnels. Cet accès plus large – et plus libre – à la culture pourrait représenter une conquête majeure de la révolution numérique, n’ayant rien à voir avec l’apologie de la gratuité ou du vol à l'étalage. En procédant à l'adaptation nécessaire de notre droit, un prélèvement généralisé sur l'accès à internet permettrait de répartir équitablement et de soutenir la création musicale.

Dans cette économie, des services offrant une réelle valeur ajoutée ont toute leur place. Encore faut-il les aider, en levant les blocages et en rendant plus accessibles les catalogues et notre patrimoine culturel. Derrière le refus d'une rémunération prélevée sur le net – approuvée par les consommateurs, mais combattue par les fournisseurs d'accès et une partie seulement des sociétés de gestion collective de droits –, il faut surtout voir votre incompréhension d'un mouvement irréversible et d'usages de masse, lesquels ne peuvent être endigués sans attenter à nos libertés.

En attendant, le flou s'installe sur la nature des sanctions réservés aux internautes qui téléchargent chaque jour davantage. Aucune réponse précise ne nous a été apportée sur la qualification, le contenu et la preuve des infractions de téléchargement que vous entendez poursuivre. Je souhaite donc que, devant une telle indifférence à l'égard de principes fondamentaux de notre droit, le Conseil constitutionnel vous prive du plaisir de signer un jour les décrets répressifs que vous fourbissez déjà rue de Valois, nouvelle annexe de la place Vendôme et de la place Beauvau. Vite, rendez-nous Malraux !

S'il l'écarte pour le net, le Gouvernement n’hésite pas à envisager d’étendre de telles rémunérations lorsqu’elles existent, comme en atteste l’extension de la licence légale radio aux télévisions. Comment ne pas y voir une ultime amabilité à l'égard de TF1 avant les élections présidentielles ? Le Gouvernement affiche également une conception bien particulière des accords collectifs, en permettant au ministre de la culture de généraliser – par simple décret – les conventions passées entre un syndicat ou une société de gestion collective et les autres représentants du secteur. La menace de ces accords « super-minoritaires » assombrit encore le futur des auteurs et des artistes.

En abusant du seul registre du maintien du statu quo, les lobbies installés de la culture révèlent une grave myopie stratégique. D'abord, Apple fixe les prix des morceaux de musique diffusés sur iTunes, à l'achat comme à la vente – là est la force du marché. Ensuite, la loi française, en refusant une nouvelle rémunération substantielle, installe un régime de pertes organisées pour les créateurs, les producteurs et les interprètes. Au total, ni les droits des créateurs ni ceux des consommateurs ne se verront renforcer par le présent texte.

M. Frédéric Dutoit - Eh oui ! Tout le monde y perd.

M. Christian Paul - Là où devait naître un nouveau contrat entre les artistes et le public, un nouveau Yalta entre les grands prédateurs de l'industrie et du commerce culturels va désormais s’imposer. Une autre vision émerge néanmoins, malgré tous les conformismes. Nous la défendrons, en proposant, dès 2007, une réécriture complète de cette loi.

Nous défendrons cette vision nouvelle de la culture dans la civilisation numérique, en portant ce débat d’intérêt mondial devant les instances européennes. Notre vision se doit de respecter les valeurs d'un pays qui a défendu sans relâche les droits d'auteurs et, à chaque étape, trouvé les compromis et les équilibres requis entre tous les droits en présence. Pour demain, en lieu et place d'une parodie de démocratie, nous voulons un dialogue exemplaire et un débat lucide sur le financement de la musique et du film, en respectant tous les acteurs de la création, de la production, de la diffusion, en comprenant leurs métiers et leurs contraintes et sans les bercer d’illusions sécuritaires déplacées.

Nous défendrons cette vision en soutenant l'innovation, en tirant, sans frilosité, toutes les conséquences de la révolution numérique. Nous redonnerons tout son sens à une « exception culturelle européenne », fondée sur la promotion de la diversité, le refus de l'hypermarchandisation et l'acceptation de nouveaux modes de financement pour la musique, à partir de l'accès à l'internet à haut débit. En effet, nous ne croyons pas que l'on puisse répondre à la révolution numérique en se contentant de créer un nouveau canal de commercialisation des oeuvres.

Cynisme ou naïveté ? Je ne sais. L’édition du Wall Street Journal du 19 juin permet de lire l'aveu émouvant de Bill Gates, reconnaissant qu'il télécharge des vidéos en les «piratant» et découvrant combien les nouvelles pratiques sont – heureusement – irréversibles… Mais, ajoute-t-il, « voler n'est pas le bon mot. C'est du contenu copyrighté pour lequel le titulaire des droits n'a pas été payé ». A la veille de sa retraite, il semble que Bill Gates veuille donner au Gouvernement une ultime leçon, incomplète mais terriblement lucide.

Oui, nous affirmons qu'est désormais possible un accès plus facile à la culture, en évitant le piège de la gratuité totale – autre illusion – et en refusant le carcan tendant à transposer mécaniquement des formes de diffusion héritées d'un autre âge. Dans la civilisation numérique, ce n'est pas le partage qui détruit la valeur, ce sont les communautés en ligne qui dynamisent l'économie.

A l’avenir, le principe de neutralité doit fonder les régulations nécessaires, et éviter les concentrations qui tuent la diversité de l'offre culturelle, la neutralité de l‘internet et des réseaux, celle des formats informatiques. Tel est bien l'objectif de l'interopérabilité. Or vous la réduisez à une coquille vide.

Ce matin, dans Libération, un grand journaliste français dont nous sommes orphelins écrit :« Le maelstrom de la révolution numérique est en plus intense, en plus violent, en plus rapide ce que furent toutes les révolutions industrielles ». Et Serge July ajoute : « Et dans les révolutions, le temps perdu non seulement ne se rattrape jamais mais devient un facteur violemment hostile. » Vous avez fait perdre cinq années à la France ; c’est plus qu’une erreur, c’est une faute. C’est pourquoi le groupe socialiste votera contre ce texte. (Applaudissements de Mme Billard et sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Martine Billard - Il s’agissait de transposer une directive européenne, et nous voilà avec une loi qui défend des intérêts individuels et des intérêts économiques qui n’ont plus rien à voir avec la culture.

La redevance pour copie privée permet le financement des activités culturelles et une répartition des droits entre un grand nombre d’auteurs. En programmant sa disparition, vous mettez en danger leur rémunération et le financement des activités culturelles autres que celles des grands circuits commerciaux. En contrepartie, vous ne créez aucun revenu nouveau à partir des immenses profits des fournisseurs d’accès internet et des opérateurs de téléphonie mobile. Les auteurs n’en reçoivent que des miettes.

Finalement, vous préférez le statu quo au détriment de l’immense majorité des auteurs et interprètes. Et si ces derniers ne gagnent rien, les internautes non plus. Ils se sont d’ailleurs exprimés massivement depuis le début décembre et continueront certainement à le faire après ce vote au forcing et un débat qui tient de la caricature.

M. Dominique Richard - Vous pouvez le dire !

Mme Martine Billard – Vous prétendez ouvrir la voie à l’interopérabilité. En réalité, vous affirmez le règne des DRM.

Ce texte est donc un désastre pour les auteurs et les ayants droit, pour les consommateurs qui n’ont aucune garantie de pouvoir profiter d’une œuvre acquise légalement, étant donné le maquis des formats, pour le secteur informatique, livré aux majors Microsoft et Apple, pour les libertés individuelle enfin car l’usager d’internet pourra tout à fait être envahi par des logiciels espions à l’occasion d’un téléchargement.

Dans une tribune de Libération le 14 mars 2005, Dominique Barella, président de l’union syndicale des magistrats disait que quand une infraction se généralise dans toute une génération, c’est qu’appliquer un texte à ce domaine particulier est inepte. « Le jour où des milliers de jeunes se retrouveront place de la Bastille pour protester contre le CD téléchargé à un euro, aucun élu ne leur résistera » concluait-il. On peut en discuter mais ce qui est indéniable, c’est que votre loi est déjà totalement dépassée. Il faudra la remettre sur le métier pour faire mieux. En regrettant cette occasion manquée, au nom des députés Verts, je voterai contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. le Ministre - Ceux qui voteront cette loi permettront le développement d’une offre nouvelle, légale et diversifiée pour tous – pas seulement les jeunes. Tout en donnant aux créateurs les moyens de mieux rayonner grâce à internet, nous rappelons un certain nombre de principes. Le droit d’auteur, dont certains ont beau dire qu’il est périmé (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) , reste une conquête essentielle pour la diversité culturelle.

Oui, il y a eu débat, interrogations, même au sein de l’UMP. Si nous nous y sommes pris tard, c’est que nos prédécesseurs ont manqué de courage…

M. Patrick Bloche - Quelle honte ! Vous avez eu des années !

M. Didier Mathus - C’est pitoyable !

M. le Ministre - Il est urgent, au terme de notre travail, que le monde de la création s’empare des nouvelles possibilités que nous lui offrons.

Monsieur Paul, vous prenez comme référence le Wall Street Journal. Mais il symbolise tout ce qui est opposé à notre philosophie, qu’il s’agisse de politique étrangère ou d’économie.

M. Christian Paul - Ce n’était qu’une citation.

M. le Ministre - Par ce texte, comme par toute la politique que je mène, je veux faire en sorte que nous restions des pionniers. Il ne s’agit pas de statu quo, il s’agit d’accompagner le progrès technologique en préservant des valeurs essentielles.

Aujourd’hui, nous ne franchissons qu’une étape, je le sais. Les avancées technologiques seront nombreuses, grâce à l’intelligence française je l’espère, et remettront en cause des équilibres que nous instaurons. Mais cette étape est utile et j’en suis fier, comme j’ai l’humilité de reconnaître qu’il faudra savoir être au rendez-vous du progrès. Aujourd’hui, ceux qui vont voter ce texte sont au rendez vous des exigences du progrès et de la création, de la défense des auteurs et des artistes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Nous en venons au texte de la CMP. Conformément à l’article 113, alinéa 3, du règlement, j’appelle l’Assemblée à statuer sur les amendements dont je suis saisi.

M. le Rapporteur – L’amendement 2 est rédactionnel.

L'amendement 2, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Ministre – Vous avez voté le crédit d’impôt pour le cinéma et l’audiovisuel, avec les résultats que l’on sait, et eu l’excellente idée de faire de même avec un crédit d’impôt phonographique. Par l’amendement 1 à l’article 20 bis, le Gouvernement lève le gage (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Que tous les techniciens, tous ceux qui se produisent dans les cafés comme dans les festivals, sachent que c’est vous qui avez adopté ce crédit d’impôt (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Rapporteur – Avis favorable car cette mesure est très bonne pour l’industrie culturelle : nous avons combattu pour l’emploi comme nous avons défendu les artistes contre la démagogie. Nous allons gagner dans quelques instants (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Christian Paul - Pour apprécier pleinement cette avancée qui vous vaut les applaudissements de quelques parlementaires très disciplinés..

M. Guy Geoffroy - Éclairés.

M. Didier Mathus - Résignés.

M. Christian Paul - …donnez-nous un seul chiffre : quel est le montant estimé de ce crédit d’impôt en faveur de la production phonographique pour 2007 ?

M. le Ministre – Monsieur Paul semble gêné. Pourtant, cette mesure vous l’avez votée. Il s’agit simplement maintenant de lever le gage. D’abord, comme nous voulons favoriser tous les producteurs indépendants, et pas seulement les grandes entreprises, il y a un plafond de 500 000 euros par entreprise et par producteur. Ensuite, je souligne que c’est ce Gouvernement qui a obtenu, au nom de la diversité culturelle, la reconnaissance par les autorités de Bruxelles de tous nos crédits d’impôt, celui pour le cinéma…

M. Patrick Bloche - Ce n’est pas vous qui avez créé le CNC !

M. Christian Paul - Et aussi le cinéma peut-être ?

M. le Ministre - D’autre part, le ministre de la Culture est traditionnellement un ministre dépensier.

Je veux dire à tous que la culture est une chance pour le rayonnement et l’activité économique de notre pays. A chaque fois que sont prises des mesures structurelles, des estimations sont établies : dans ce cas-ci, il s’agirait de 10 millions. Toutefois, je ne veux pas être prisonnier de ce chiffre. Je souhaite seulement que cette mesure soit efficace et profite à l’emploi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Christian Paul - En écoutant le ministre, on a l’impression que c’est le Gouvernement « Lumière », un gouvernement qui aurait inventé le cinéma ! Je vous rappelle quand même que les principales aides au cinéma ont été instituées dans les années 1980 ! Evidemment, le groupe socialiste est favorable à un crédit d’impôt pour l’industrie phonographique. Mais je voudrais savoir si les députés du groupe UMP sont fiers, en regard des quelques milliers d’euros que ce crédit permettra de gagner, des centaines de millions annuels qu’ils ont fait perdre à la filière musicale, en refusant le prélèvement sur internet – quelle que soit sa forme !

L'amendement 1, mis aux voix, est adopté.

explications de vote

M. Frédéric Dutoit - Je me suis pris à rêver… J’ai cru un moment que nous pourrions débattre sincèrement et que les considérations particulières seraient mises au placard…

M. Yves Censi - Au Goulag !

M. Frédéric Dutoit – …pour élaborer un texte d’avenir, prenant en compte l’intérêt général. Nous avons raté cette occasion et je le regrette profondément. Personne n’a voulu mesurer que les nouvelles technologies étaient déjà entrées en pratique, portant en elles une grande possibilité de libération, de démocratisation et de diversité culturelle.

M. Yves Censi - Ça fait déjà cinquante ans !

M. Frédéric Dutoit - Nous devons nous adapter à ce potentiel considérable. Ce texte, qui n’a pour autre objectif que d’imposer les DRM et d’adapter internet au marché privé, attente à l’interopérabilité et ne vise pas à garantir les droits d’auteurs. Il eût pourtant été innovant de faire en sorte que l’ensemble des auteurs et interprètes puissent être justement rémunérés dans le cadre de la société d’information.

Ce projet de loi est déjà obsolète. Les internautes continueront de télécharger et les auteurs, eux, verront leur rémunération devenir de moins en moins juste. Monsieur le ministre, vous avez cédé aux magnats de l’industrie du disque et aux propriétaires de logiciels. Vous marchez à contresens de l’Histoire !

M. Dominique Richard - Depuis le mois de décembre, nous avons eu souvent l’occasion de rappeler tous les bienfaits qu’amène ce texte : droit à la copie privée, dépénalisation des pratiques des internautes, droit à l’interopérabilité, sécurisation des logiciels libres, avancées vis-à-vis des personnes handicapées et exceptions pédagogiques. Ce projet de loi a atteint un point d’équilibre, et sera une référence au-delà de nos frontières. C’est votre honneur, Monsieur le ministre, de l’avoir mené à bien. Le groupe UMP le votera avec enthousiasme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. François Bayrou – Ce n’est jamais bon signe lorsqu’un projet de loi doit être voté lors des dernières heures d’une session parlementaire : on nous a soumis ce texte la veille de Noël, nous voici à la veille des vacances d’été. De ce grand sujet, certes difficile, qu’est la compatibilité entre les droits d’auteurs et internet est née une immense frustration, laquelle tient d’abord à des raisons de forme : vous avez choisi l’urgence, au mépris de toute logique, et le débat a été organisé en dépit du bon sens, le Conseil constitutionnel pourra en juger. Il en ressort un texte dont le moins qu’on puisse dire est que son intelligibilité est sujette à caution. Elle tient aussi à des raisons de fond : à l’article 9, l’absence de définition de l’interopérabilité manquera, et il reviendra à l’autorité de régulation, celle-là même qui devait traiter de la copie privée…

M. Dominique Richard - Ce n’est pas la même !

M. François Bayrou - Nous ne sommes satisfaits ni de l’une ni de l’autre. L’interopérabilité devrait être de droit ! Il devrait y avoir des recours dans le cas où elle ne serait pas respectée !

M. Christian Paul - Absolument !

M. François Bayrou - L’article 12, lui, fait peser une menace sur les logiciels pair à pair tandis que l’article 14 impose un régime de sanctions qui n’ont, contrairement à nos souhaits, rien de proportionné, de dissuasif ou d’efficace : là réside l’un des grands défauts de ce texte. 

Enfin, ce projet de loi consacre l’envahissement de l’espace privé : il suffit que chacun d’entre nous s’aperçoive, en voulant lire un DVD, qu’il lui est impossible d’éviter les publicités. Cela montre combien la marchandisation a déjà gagné notre sphère privée. Le groupe UDF votera contre ce texte, car, outre qu’il est inapplicable sur beaucoup de points, il représente une menace pour les logiciels libres et les copies privées et va à l’encontre du pacte de confiance qui fonde le monde internet (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Patrick Bloche - A cette heure, ö combien tardive…

M. Dominique Richard - Il y a maltraitance !

M. Patrick Bloche - Il est 15 heures et nous avons siégé sans interruption pour ne pas déplaire à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.

M. le Président – Il s’agit simplement d’un texte important.

M. Patrick Bloche – Au vu des images rapportées de Guyane par les télévisions, nous pensions que M. le ministre de l’intérieur voulait conserver sa soirée, et ce pour des raisons très privées.

Mme Claude Greff - N’importe quoi !

M. Patrick Bloche - Jamais vous n’avez essayé d’élever le débat, ni de répondre à nos questions : quelle infraction constatera-t-on demain, par exemple ? L’acte de téléchargement en soi, ou bien le téléchargement de chaque titre ? Vous n’avez même pas été capable de nous répondre alors que vous allez bientôt devoir prendre les décrets d’application !

Et comment pouvez-vous parler de « fierté » face à toutes les occasions que vous avez manquées ? Il aurait fallu adapter le droit d’auteur aux mutations technologiques, mais vous n’avez pas été au rendez-vous.

En effet, vous avez éludé le débat culturel, juridique et économique qui nous aurait permis d’instaurer un véritable financement de la culture par internet à l’image du cinéma, qui bénéficie aujourd’hui de financements télévisuels. Prétendez-vous avoir sauvé le droit d’auteur ? Vous l’avez tué au contraire, et vous avez ouvert la voie au copyright anglo-saxon.

Vous vous êtes contenté de grandes déclarations pompeuses (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Rapporteur – Et c’est un spécialiste qui parle !

M. Patrick Bloche - L’interopérabilité n’est qu’un chiffon de papier, que vous agitez à l’article 7 pour le brûler dès l’article 8. De la même façon, vous avez rendu pénalement responsables les éditeurs de logiciels afin de contenter les géants – Microsoft et Apple - dont vous avez été les serviles porte-parole dans cet hémicycle.

M. Yves Censi - C’est la nation que vous insultez à travers nous !

M. Patrick Bloche – Au terme d’une guerre de tranchées de six mois, un constat s’impose : vous n’avez pas créé le cadre juridique qui aurait permis de faire émerger un nouveau modèle économique, et vous n’avez pas préservé le précieux équilibre qu’avait arraché le Gouvernement de Lionel Jospin à Bruxelles, en 2001. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Plusieurs députés UMP – Jospin, le retour !

M. Patrick Bloche – Vous avez mis quatre ans pour transposer la directive communautaire, et pour finir, vous l’avez détournée de son véritable objet !

Enfin, vous faites le pari des plateformes légales de téléchargement. Or, que titrait Le Figaro mardi dernier ? « La musique en ligne décroche » ! Les ventes de disques dématérialisés ont en effet enregistré un recul inquiétant au cours du dernier trimestre. Bref, vous avez déjà perdu votre pari.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste votera contre ce projet de loi dans l’attente de notre prochain rendez-vous : le Conseil constitutionnel.

L’ensemble du projet de loi, mis aux voix compte tenu du texte de la CMP, modifié par les amendements qui viennent d’être adoptés, est adopté.

M. le Ministre – Je voudrais remercier toutes celles et tous ceux qui ont voté ce projet de loi. Ils ont fait œuvre utile, car nous offrons une chance supplémentaire aux internautes, qui pourront faire le plus de découvertes possibles et ouvrir leur cœur et leur esprit à toutes les formes de création. Je pense également aux artistes, aux auteurs, aux techniciens, à tous ceux dont la culture est le métier et qui pourront en vivre.

Face aux défis qui nous attendent, la majorité présidentielle, hier au rendez-vous de la TNT et aujourd’hui du droit d’auteur et de la société de l’information, sera là pour porter la haute définition et la télévision numérique personnelle.

Je vous remercie d’avoir exprimé avec passion vos convictions, mais aussi vos doutes, et de vous être fait l’écho des attentes de nos concitoyens. A titre personnel, je pense avoir su allier l’énergie et le sens de l’écoute (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Prochaine séance cet après-midi, à 16 heures 15.
La séance est levée à 15 heures 10.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Catherine MANCY

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