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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mardi 3 octobre 2006

Séance de 15 heures
1er jour de séance, 1ère séance

Présidence de M. Jean-Louis Debré

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La séance est ouverte à quinze heures.

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démission d’un député

M. le Président – J’ai reçu de M. René André, député de la deuxième circonscription de la Manche, une lettre m’informant qu’il se démettait de son mandat de député.

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souhaits de bienvenue à une délégation étrangère

M. le Président - Je suis heureux de souhaiter en votre nom la bienvenue à une délégation de la chambre des représentants de la Nouvelle-Zélande conduite par la présidente du groupe d’amitié, Madame Mackey. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent)

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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

pouvoir d’achat

M. Jean Leonetti – L’augmentation du pouvoir d’achat mesuré par l’INSEE se situera cette année à 2,2 % environ. Pourtant, nombre de Français ont l’impression que leur niveau de vie stagne ; l’augmentation des prix de l’énergie et de l’immobilier, ainsi que le passage à l’euro, sont venus accréditer cette idée. Certains, en créant les 35 heures, pensaient que les Français voulaient travailler moins alors qu’ils veulent gagner plus (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). De surcroît, pendant que le Gouvernement baissait les impôts de l’État, certaines collectivités territoriales, et en particulier les régions de gauche, ont augmenté de manière massive leurs impôts (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Monsieur le Premier ministre, quelles sont les mesures prises pour que le travail paie plus que l’assistance, pour que le fruit du travail ne soit pas confisqué et pour que, grâce à la baisse du chômage et à l’augmentation de la croissance, les bons chiffres officiels aient une signification réelle pour les Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Dominique de Villepin, Premier ministre - Je suis heureux d’ouvrir la première séance de cette session ordinaire. Je remercie de façon très républicaine l’ensemble de la représentation nationale, qui a beaucoup siégé et travaillé durant le mois de septembre.

Monsieur Leonetti, votre question nous entraîne de plain pied dans la vie quotidienne des Français, ce dont je vous remercie. Le pouvoir d’achat ne se mesure pas simplement de façon statistique : c’est un problème économique, mais aussi social et politique. Le passage à l’euro a été vécu difficilement ; le logement, le transport, toutes les dépenses obligatoires pèsent de plus en plus lourd dans le budget des ménages, sans compter qu’il faut s’équiper de produits de haute technologie – ordinateurs, téléphones portables, accès à l’internet à haut débit – dans un contexte où l’on a en effet voulu faire croire aux Français qu’ils pouvaient travailler moins et gagner plus. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste) Nous avons pris les mesures urgentes qui s’imposaient : baisse de l’impôt sur le revenu en faveur des classes moyennes et augmentation du salaire minimum de manière continue depuis 2002 – celui-ci dépasse aujourd’hui 15 000 euros par an. Nous avons également aidé ceux qui en ont le plus besoin : prime pour l’emploi multipliée par deux en deux ans ; allocation d’installation étudiante de 300 euros ; chèque transport.

Mais nous avons besoin d’une politique plus ambitieuse. Le projet de loi sur la participation et l’intéressement nous permettra de franchir une nouvelle étape : lorsque les entreprises gagnent de l’argent, tous les salariés doivent eux aussi en gagner (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). J’ai également demandé au conseil d’analyse économique présidé par M. Christian de Boissieu de me proposer de nouveaux indicateurs plus transparents et plus fiables en matière de pouvoir d’achat. Enfin, au mois de décembre, je tiendrai avec tous les partenaires sociaux une conférence sur les revenus et l’emploi de façon à clarifier le diagnostic et à préciser les nouvelles pistes d’action. Mais nous le savons : la meilleure garantie d’un pouvoir d’achat durable, c’est encore l’emploi, la croissance et le désendettement ! C’est précisément pour cela que nous menons une politique ambitieuse et volontaire au service des Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

privatisation de gAZ DE FRANCE

M. le Président – La parole est à M. François Brottes (Applaudissements nourris sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Brottes – Monsieur Nicolas Sarkozy, Monsieur le ministre d’État, pendant toutes ces semaines, lors des débats sur la privatisation de GDF, nous avons beaucoup parlé de vous. Je ne dis pas que vous nous avez manqué, mais le fait que vous ayez, vous, manqué à votre parole, nous a amené à souhaiter vous entendre. Or, en 143 heures de débat, nous n’avons pas eu cet honneur. Pourtant, le reniement de votre engagement de 2004 de ne pas privatiser EDF et GDF est assez grave, compte tenu de vos ambitions, pour que la nation vous entende enfin sur ce sujet. Je vous pose donc une question qui intéresse directement le ministre d’État, ministre de l’intérieur, en charge des collectivités locales et de l’aménagement du territoire que vous êtes.

Outre le cadeau fait aux actionnaires privés de Suez par l’inéluctable augmentation des tarifs, outre le fait que vous semez la zizanie dans le nucléaire belge, dont GDF devra financer le démantèlement des centrales, outre le renoncement de l’État à conserver sous maîtrise publique une entreprise stratégique distribuant un bien de première nécessité, vous allez mettre en péril toutes les concessions de service public de distribution d’énergie attribuées par les communes conformément à l’édifice bâti depuis 1946 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Une fois le régime de concession privatisé, rien n’empêchera un géant international comme Gazprom de faire main basse dessus, et s’il y a un recours contre le texte, la Cour européenne de justice lui apportera même son concours au nom de l’exigence de mise en concurrence lors de tout passage du public au privé. Quelle garantie pouvez-vous donner à nos communes ?

M. Maxime Gremetz - Aucune !

M. François Brottes - Vous les obligez à placer leur concession de service public sous monopole privé et dès lors, de quelles garanties disposeront-elles afin de garantir le service public, coincées qu’elle seront entre l’eau de Suez, le gaz de Suez, l’électricité de Suez ? Quelles garanties, également, face à la menace d’une OPA d’un Gazprom sur Suez–GDF ?

Sur la privatisation de GDF, Monsieur le ministre d’État, vous étiez en 2004 lucide et sentencieux ; vous êtes en 2006 perfide et silencieux. C’est sans doute cela que vous appelez « la rupture ». (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – La parole est à M. Breton. (Très vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l’industrie Je suis heureux de retrouver M. Brottes qui pendant plus de trois semaines et avec 134 000 amendements a répété nuit et jour la même chose. Pour la 134 001e fois, je vais donc à mon tour répéter la même chose, mais je rends tout d’abord hommage à la majorité, qui a été très présente pendant nos discussions, et qui va bientôt émettre un vote solennel sur un texte de loi qui permettra, tout en transposant la directive sur l’énergie, de préserver les tarifs régulés et de donner à Gaz de France les moyens d’affronter la guerre énergétique, qui a changé la donne depuis 2004. C’est l’honneur de la majorité (De très vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains couvrent les propos de l’orateur) de s’être saisie du dossier, sans remettre au lendemain les décisions qu’il convient de prendre aujourd’hui (Mêmes mouvements). Dans le débat certes répétitif mais républicain que nous avons eu, chacun a pu s’exprimer. Dans le vote solennel qui aura lieu tout à l’heure, chacun assumera ses responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; huées sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Affaire Nathalie gettliffe

M. Olivier Jardé - Ma question s’adresse au ministre des affaires étrangères. Nous avons créé cette année une commission d’enquête parlementaire sur les dérives sectaires et depuis 2002, le Parlement a adopté trois textes visant à protéger nos enfants de celles-ci. Or, une Française, Nathalie Gettliffe, dont la seule faute est d’avoir voulu soustraire ses enfants à son ex-mari, membre d’une église à caractère sectaire, l’Église internationale du Christ, est incarcérée depuis six mois au Canada. Cette jeune femme a accouché récemment et son fils de sept jours, Martin, est maintenu en détention.

Que compte faire le Gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes M. Douste-Blazy, retenu à Brazzaville, me charge de vous répondre que le Gouvernement ne ménage pas ses efforts pour qu’une solution soit trouvée à cette délicate affaire, dans le respect du droit ainsi que dans celui du principe d’humanité.

Nous apportons tout le soutien possible à Mme Gettliffe. Le consul général de France à Vancouver lui a rendu plusieurs visites et a rencontré les responsables de la prison pour obtenir de ces derniers qu’une attention médicale particulière soit portée à Mme Gettlifffe et à son fils. Il est également intervenu pour que des facilités lui soient accordées concernant ses communications téléphoniques avec ses proches.

Le transfert de Mme Gettliffe, le 24 mai dernier, dans un nouvel établissement pénitentiaire situé à une soixantaine de kilomètres de Vancouver lui a apporté de meilleures garanties sur le plan médical et l’accouchement a pu avoir lieu à l’hôpital, en dehors de la prison.

La situation de notre compatriote a été évoquée par le Président de la République auprès du Premier ministre du Canada, lors de la visite de celui-ci à Paris en juillet dernier. M. Douste-Blazy a également parlé du dossier, en août dernier, avec son homologue canadien, afin que Mme Gettliffe reçoive tous les soins nécessaires. Pour le reste, une procédure est en cours au Canada. Il faut attendre qu’elle aille jusqu’à son terme. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

privatisation de gaz de france

M. Daniel Paul - Pour privatiser GDF et ouvrir l'électricité et le gaz à la concurrence, vous n'aurez reculé, Monsieur le ministre de l’économie, devant aucun moyen. C’est ainsi que vous n’avez pas hésité à renier l'engagement pris solennellement par M. Sarkozy en 2004 de ne pas privatiser GDF. Mensonge d’État, donc.

Vous n’avez pas hésité non plus à vous soumettre triplement aux exigences de la Commission européenne et des marchés financiers : vous êtes de connivence avec la Commission sur la casse des entreprises publiques ; vous généralisez la concurrence, en sachant que les prix vont exploser au seul bénéfice des actionnaires et que les tarifs régulés vont disparaître ; vous avez plié devant la Commission européenne, qui a censuré les documents nécessaires aux députés !

Vous vous êtes également rendu coupable de deux dénis de démocratie, qui sont aussi des abandons de souveraineté : vous avez méprisé l'opposition de tous les syndicats de GDF et de Suez, méprisé l’inquiétude de la majorité des Français et sacrifié l'intérêt national ; vous rejetez, par dogmatisme, l'idée d'une fusion EDF-GDF, mais vous acceptez, aveuglément, à l'avance, les conditions qu’imposera la Commission européenne et les prétentions des actionnaires de Suez !

Vous refusez qu'un bilan soit dressé des conséquences de la libéralisation de l'énergie. À l'augmentation des prix, en France, de 50, 60 % et même plus, vous répondez par la légalisation d'une hausse de 30 % ! Avec la concurrence, vous instituez donc une arnaque légale sans espoir de retour. Vous le savez, alors dites-le !

Mais ce n'est pas la fin de l'histoire ! Les députés communistes ont lancé une pétition à travers le pays, refusant la privatisation (plusieurs députés communistes et républicains se lèvent et brandissent des pétitions) et demandant une maîtrise publique de l'énergie, avec EDF et GDF 100 % publics. Nous avons ici des dizaines de milliers de signatures…

M. le Président – Je demande aux huissiers d’aller chercher ces pétitions.

M. Daniel Paul - …et nous allons continuer.

Alors, allez-vous renoncer à privatiser GDF, Monsieur le ministre ? Allez-vous cacher aux Français les risques qu'ils prendraient à appliquer la loi que vous allez voter ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l’industrie Après M. Brottes, M. Paul ! Très heureux de vous retrouver ! Il ne manque que M. Bataille et M. Cohen pour avoir l’ensemble des membres de l’opposition qui ont pris part au débat que nous avons eu pendant quatre semaines, M. Loos et moi-même répondant inlassablement, jour et nuit, aux mêmes questions.

Je tiens à associer à l’hommage que je viens implicitement de vous rendre, Monsieur Paul, le président de la commission des affaires économiques, M. Patrick Ollier (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), qui a accompli un travail exceptionnel, ainsi que notre remarquable rapporteur, M. Jean-Claude Lenoir, et M. Novelli, rapporteur pour avis (Même mouvement).

Je rappelle qu’il s’agissait d’une part de transposer la directive énergie, qui trouve son origine, qu’on le veuille ou non, dans le sommet de Barcelone, lequel a eu lieu alors que M. Jospin était Premier ministre (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), d’autre part de donner à Gaz de France la possibilité de nouer les alliances qu’il convient pour répondre aux nouveaux défis du marché de l’énergie. Notre seule volonté dans cette affaire est de répondre aux besoins des consommateurs français, tant en ce qui concerne la sécurité de l’approvisionnement que les tarifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

OCCUPATION DU GYMNASE DE CACHAN

M. Michel Herbillon – Ma question s’adresse à M. Sarkozy. Depuis six semaines, dans mon département du Val-de-Marne, le maire socialiste de Cachan (« Hou ! » sur quelques bancs du groupe UMP) et le président communiste du conseil général (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) organisent la présence d’environ 200 personnes dans un gymnase municipal, aux frais des contribuables locaux (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). C’est bien parce que ça vous gêne que vous m’empêchez de parler !

Ces élus ont même été jusqu’à proposer de délocaliser le squat en réquisitionnant les anciens locaux du CEA de Limeil-Brévannes, avant que la justice ne les en empêche. Des vedettes du show-business, en mal de publicité,… (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Noël Mamère - Vous êtes nul !

M. Michel Herbillon - …et des personnalités politiques se rendent sur place, pour donner des leçons de générosité et montrer leur grand cœur. Même si on ne peut rester insensible aux situations humaines difficiles que révèle cette affaire, les Français, j’en suis sûr, désapprouvent l’attitude opportuniste qui consiste à profiter du malheur des gens. Il ne saurait être question de céder aux pressions de ceux qui voudraient régulariser tous les étrangers. Ce serait envoyer un bien mauvais signal aux candidats à l’émigration illégale, qui, trop souvent, viennent s’échouer sur les rivages des Îles Canaries.

Monsieur le ministre d’État, pouvez-vous préciser à la représentation nationale l’action de l’État à Cachan ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire J’ai fait évacuer le squat de Cachan parce qu’il y avait une décision de justice et que ne pas exécuter une décision de justice, c’est ne pas respecter l’indépendance de la justice, ce que je ne puis accepter… (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Ce sont du reste les mêmes parlementaires qui défilaient hier, toute hypocrisie affichée, pour défendre l’indépendance de la justice, et qui nous demandent aujourd’hui de ne pas exécuter une décision de justice ! (Mêmes mouvements) Ensuite, ce n’est pas l’État, ni le Gouvernement qui, au mépris des règles d’hygiène élémentaires, ont décidé d’installer ces malheureux dans un gymnase : c’est le maire socialiste de Cachan, pour faire un coup politique en utilisant la misère de ceux à qui le Gouvernement proposait un hébergement ! (Mêmes mouvements) C’est une attitude irresponsable.

Nous avons maintenant des hommes et des femmes qui souffrent. Nous sommes extrêmement attentifs à l’évolution de la situation sanitaire et je maintiens la proposition que nous avons faite avec le Premier ministre : pour ceux qui sortiront du gymnase, nous trouverons une solution d’hébergement. Mais je veux mettre chacun devant ses responsabilités. Il existe des associations politisées, irresponsables, qui utilisent la misère de malheureux en leur conseillant de rester dans un gymnase pour provoquer des problèmes politiques et non pour soulager une misère dont chacun est solidaire… (Très vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP) En ce moment même, le dialogue semble avoir repris et la raison devrait triompher : toute personne légitimement émue par la situation de ces malheureux doit admettre que la solution d’hébergement que nous proposons avec Jean-Louis Borloo est raisonnable.

Mais les Français ne comprendraient pas qu’au prétexte qu’on occupe un gymnase, on passe devant des dizaines de milliers de personnes en difficulté, qui, elles aussi, attendent depuis longtemps une solution de logement. Du côté du Gouvernement, nous voulons soulager la misère, pas l’exploiter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDF ; de nombreux députés du groupe socialiste se lèvent et protestent vivement ; protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

MM. Jean-Marc Ayrault et Jean-Yves Le Bouillonnec – Rappel au Règlement !

M. le Président – Monsieur Le Bouillonnec, il n’y a pas de rappel au Règlement pendant les questions au Gouvernement. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

PARTICIPATION ET ACTIONNARIAT SALARIé

M. François Cornut-Gentille – En fin d’après-midi, nous allons commencer à examiner un projet de loi ambitieux, relatif au développement de la participation et de l’actionnariat salarié. Dans le cadre d’un rapport au Premier ministre, Jacques Godfrain et moi-même avions formulé un certain nombre de propositions à ce sujet et je souhaite appeler l’attention du Gouvernement sur deux points. D’abord, s’agissant des PME de moins de cinquante salariés, s’il est essentiel de faire progresser la participation, il faut éviter toute mesure brutale et dirigiste. Pouvez-vous, Monsieur Borloo, m’assurer que l’on fera évoluer les choses par l’incitation plutôt que par la contrainte ?

Ensuite, on sait bien que l’idée gaullienne de la participation a été mise en œuvre en 1967, qu’une étape importante a été franchie en 1994 avec l’installation du Conseil supérieur de la participation et que la gauche a fait un pas dans le même sens avec le rapport Balligand, en 2000. L’idée de participation fait donc aujourd’hui consensus dans le monde politique et syndical et il est indispensable de préserver cet état d’esprit pour avancer. Pouvez-vous nous assurer que telle est bien la philosophie du Gouvernement et que le projet de loi encourage bien au consensus ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. le Président – Monsieur Le Bouillonnec, je vous répète qu’il n’y a pas de rappel au Règlement ou de fait personnel dans les séances de questions au Gouvernement. J’applique le Règlement.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement  Il est exact que, dans quelques heures, avec Gérard Larcher et Thierry Breton, nous défendrons un texte qui doit beaucoup au rapport que vous avez présenté avec M. Godfrain et aux contributions des présidents Ollier et Dubernard. Ce projet concerne les 8 millions de salariés qui bénéficient déjà de la participation et de l’intéressement, en vue d’augmenter considérablement les possibilités qui leur sont offertes dans ce cadre. Mais son ambition est aussi de s’adresser aux 8 millions de salariés qui n’en profitent pas encore ; à ce titre, les PME pourront disposer d’un mécanisme d’incitation simplifié, fondé sur des communautés de projets regroupant plusieurs entreprises ou sous-traitants sur des objectifs communs. Par ailleurs, nous souhaitons développer les dividendes du travail et la distribution d’actions gratuites, à tous les salariés et en toute transparence.

La participation procède d’une intuition géniale du général de Gaulle. Par la suite, son développement a marqué toute l’histoire de la Ve République et suscité un assez large consensus républicain. Grand texte financier, social et fiscal, ce texte, s’il est voté, dotera notre pays du dispositif le plus avancé au monde en matière d’intéressement et de participation. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

évacuation du squat de cachan

M. le Président – La parole est à M. Le Bouillonnec (Les députés du groupe socialiste se lèvent et applaudissent vivement ; huées sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Un bâtiment du campus universitaire de Cachan a été occupé durant trois ans et demi. Son évacuation, qui n’a été ordonnée que récemment, n’a été ni préparée, ni contrôlée par l’État. Le soir même, deux cent cinquante hommes, femmes et enfants étaient dans la rue, sous la pluie (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Plusieurs députés socialistes – Eh oui !

Plusieurs députés UMP - Mensonge !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Le lendemain, j’ai accepté, avec l’accord du représentant local de l’État, la demande des médiateurs et des réfugiés que ceux-ci s’abritent dans un gymnase (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). C’est en conscience que j’ai pris cette décision responsable afin que des femmes et des enfants ne soient pas livrés à la rue ! (Même mouvement) Je ne pouvais laisser l’État disperser ces gens aux quatre coins de ma commune : telle était ma responsabilité ! Est-il normal, Monsieur le ministre, que l’État résolve ses problèmes sur le dos des élus locaux et, in fine, des citoyens –ceux-là même qui, depuis près de quatre ans, œuvrent sans relâche pour sortir ces gens des conditions de vie inacceptables où ils se trouvent ? (Les députés du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains se lèvent et applaudissent vivement)

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire Avec tout le respect que je dois à votre fonction, j’affirme que vos déclarations sont entièrement fausses, et je vais vous le prouver ! (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Plusieurs députés socialistes – Menteur !

M. le Ministre d’État – Tout d’abord, en tant que ministre de l’intérieur, je ne peux vous laisser mettre en cause le travail remarquable de notre police : l’évacuation s’est faite sans brutalité, conformément aux lois de la République française (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; huées sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Je ne vous permets pas ces critiques injustes à l’endroit de fonctionnaires qui ont mérité notre respect pour avoir accompli leur devoir ! (Mêmes mouvements)

Plusieurs députés socialistes – C’est faux !

M. le Ministre d’État – D’autre part, ce n’est pas une, mais deux expulsions que j’ai ordonnées : celle du squat de Cachan d’abord, conformément aux décisions de justice que vous bafouez, Monsieur le député (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste), puis celle de l’insalubre campement de fortune installé sur le trottoir à l’initiative d’une minorité d’associations voulant forcer la main des autorités démocratiques de notre pays.

Plusieurs députés socialistes – Cet homme est dangereux !

M. le Ministre d’État – Ensuite, M. Borloo et moi-même avons proposé une solution d’hébergement à la totalité des expulsés de Cachan, et ce n’est que pour des raisons politiciennes que vous leur avez conseillé de la refuser ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; huées sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Dernier mensonge enfin : votre véritable objectif était de faire pression sur le Gouvernement afin qu’il régularise l’ensemble des clandestins. Que les choses soient claires : j’assume pleinement mon refus ! La possession de papiers délivrés par la République française a un sens ; ceux qui n’en ont pas n’ont pas vocation à demeurer sur notre territoire ! (Les députés du groupe UMP se lèvent et applaudissent longuement)

Plusieurs députés socialistes – Mensonges ! Cet homme est dangereux !

désendettement de l’État

M. Gilles Carrez – La France a, depuis 1981, pris la mauvaise habitude de vivre à crédit. Aujourd’hui, la dette publique approche les 1 200 milliards, soit 17 000 euros par habitant, et le seul paiement des intérêts de la dette absorbe les deux tiers de l’impôt sur le revenu. Cette situation est intenable. Or, pour diminuer la dette, pas de mystère : il faut diminuer les déficits. C’est la priorité du Gouvernement et de la majorité depuis trois ans.

M. Henri Emmanuelli - Et pourtant, ça monte !

M. Gilles Carrez - Chaque année depuis 2004, l’ensemble des surplus fiscaux – plusieurs dizaines de milliards en tout – sont affectés au désendettement. Les résultats sont au rendez-vous : en 2005, la France est passée sous le seuil de 3 % de déficit fixé par Bruxelles, et nous ferons sûrement mieux encore en 2006 !

Monsieur le ministre, nous aborderons bientôt la discussion du projet de loi de finances pour 2007. Pouvez-vous nous confirmer que le désendettement de la France reste une priorité incontournable ? Il en va de l’avenir de nos enfants ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l’industrie Avec la bataille pour l’emploi, le désendettement de la France est l’axe majeur de notre politique économique.

M. François Hollande - C’est faux !

M. le Ministre – Nous avons pris un engagement sans précédent dans notre histoire économique : diminuer l’endettement de 2 % dès cette année.

Plusieurs députés socialistes – Et comment allez-vous faire ?

M. le Ministre - D’après les premiers résultats, le ratio d’endettement a baissé de 1,1 % au cours du premier semestre, ce qui ne s’était jamais vu ! Je peux donc vous confirmer que nous respecterons l’objectif de réduire notre endettement de 2 % en 2006.

S’agissant de 2007, l’examen du projet de loi de finances nous donnera amplement l’occasion de débattre dans quelques jours. Sachez que nous avons inscrit dans ce projet, à la demande du Premier ministre, la poursuite du désendettement : 1 % de moins l’an prochain, soit 3 % en deux ans. La dette passera ainsi de 66,6 % à 63,6 % du PIB et je peux comprendre que cela paraisse nouveau pour certains !

Conformément aux souhaits de la commission des finances et dans le respect de la LOLF, nous avons souhaité que tous les surplus fiscaux soient affectés au désendettement – il s’agit de plus de 5 milliards d’euros, comme nous l’avons annoncé à l’occasion du deuxième acompte de l’impôt sur les sociétés. Voilà la politique du Gouvernement. Les actes sont conformes à l’esprit dans lequel nous travaillons : rebâtir un avenir crédible pour nos enfants ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

affaire Redeker

Mme Patricia Burckhart-Vandevelde – Ma question s’adresse à M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. À l’occasion de l’inauguration de l’atelier culturel : « Europe, Méditerranée, Golfe », le Président de la République a défendu l’idée « d’une charte du dialogue entre les cultures, qui fixerait les règles du vivre-ensemble dans la mondialisation ». Or, moins d’une semaine après cette déclaration, un enseignant était victime de menaces de mort en raison d’une tribune publiée dans Le Figaro et intitulée : « Face aux intimidations islamistes, que doit faire le monde libre » ?

En ma qualité de députée, je dois relayer l’inquiétude d’une partie de la communauté éducative de la ville de Seichamps, dans la Meurthe-et-Moselle, qui s’inquiète devant les menaces de mort qui pèsent sur un enseignant – menaces que rien ne saurait justifier. Il est aussi de mon devoir de rappeler que, non seulement le droit à la libre expression, mais aussi les principes de tolérance et de respect de toutes les croyances, se trouvent au fondement de notre République, et que ces valeurs revêtent toutes la même importance.

Puisque la question se pose pour un enseignant – mais elle vaudrait pour tout autre individu – j’aimerais que vous nous indiquiez, Monsieur le ministre, de quelle manière le principe de liberté d’expression doit trouver à s’appliquer dans le cas d’une telle tribune. Pourriez-vous également nous préciser quelles formes prend le soutien matériel dont le professeur concerné a besoin ? (Applaudissements sur quelques bancs UMP et UDF)

M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche - Ceux qui condamnent à mort l’auteur d’un écrit se condamnent eux-mêmes à la réprobation universelle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Plusieurs députés socialistes – Il était temps de le dire !

M. le Ministre – Le droit à la libre expression est un droit essentiel, inscrit dans notre Constitution. Dans un État de droit, on ne peut accepter la violence ni les menaces et il est inadmissible que certains s’arrogent le droit de rétablir la censure ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Dans un État de droit, on peut exercer un droit de réponse ou faire appel à la justice.

Dès que nous avons eu connaissance des menaces qui ont été proférées, nous avons placé M. Redeker sous la protection des services compétents – et c’était notre premier souci. Par ailleurs, le recteur de l’académie de Toulouse a fait part à M. Redeker de son soutien, ainsi que le proviseur du lycée où enseigne ce dernier, et j’ai personnellement appelé M. Redeker. Cet enseignant est bien évidemment déchargé de ses cours, sans préjudice financier et il reprendra son activité le moment venu.

Quand on attaque la liberté d’expression, c’est la démocratie qu’on attaque. En tant que ministre de l’éducation nationale, j’ai pour mission de veiller à la transmission des valeurs de la République, et je ferai en sorte qu’elles soient infatigablement promues, partagées et inculquées à l’école : grâce à l’Éducation nationale, elles doivent être appliquées le mieux possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

privatisation de Gaz de france

M. Christian Bataille – Le manque de franchise et de sincérité, Monsieur Sarkozy, (Protestations sur les bancs du groupe UMP) se trouve chez celui qui, interpellé sur un sujet des plus graves, ne daigne même pas regarder dans la direction de celui qui a posé la question, c’est-à-dire M. Le Bouillonnec. Et le reniement est chez celui qui avait déclaré haut et fort que GDF ne serait jamais privatisé, et qui s’apprête à voter sans vergogne le contraire ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Pendant tout le long du mois de septembre, les socialistes ont âprement défendu GDF, comme les y autorisait la tenue d’une session extraordinaire convoquée par le Gouvernement lui-même ! La majorité de droite va voter ce texte…

Plusieurs députés UMP – Eh oui !

M. Christian Bataille - …pudiquement intitulé « Secteur de l’énergie », alors qu’il va en réalité privatiser GDF, entreprise publique créée en 1946 par le Gouvernement issu de la Résistance et composé des socialistes, des communistes, des centristes et des gaullistes !

Cette privatisation aura une influence néfaste sur le porte-monnaie de la ménagère car elle fera augmenter les prix, contrairement à ce qu’affirment les théoriciens libéraux. En effet, la concurrence et la privatisation ont fait augmenter les prix dans tous les pays où votre idéologie a été appliquée – les exemples britanniques et américains en témoignent comme nombre d’autres.

L’État avait jusqu’alors les outils pour empêcher GDF d’augmenter ses tarifs et disposait de moyens pour protéger le consommateur ; puisque vous ne voulez plus que cette entreprise soit contrôlée conformément aux intérêts de la nation, comment empêcherez-vous la hausse des prix du gaz et de l’énergie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie J’en profite pour remercier tous ceux qui ont participé à ce débat – les parlementaires de la majorité pour leur présence constante mais aussi nos collègues de l’opposition pour avoir débattu vigoureusement : ces 120 heures de débat nous auront permis de répondre avec précision à toutes les questions que vous vous posiez. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

Nous allons ainsi disposer des moyens de conserver la maîtrise des prix du gaz, et c’est d’ailleurs dans ce but que nous avons transposé la directive européenne : si nous n’avions pas pris nos responsabilités, l’ensemble des tarifs régulés aurait disparu ! C’est à la « française » que nous avons transposé la directive, en permettant à nos consommateurs et aux entreprises nouvelles de conserver le bénéfice des tarifs réglementés, et en accordant aux entreprises qui ne souhaitent plus aller sur le marché libre des conditions de retour satisfaisantes.

De même, la décision d’ouvrir le capital de Gaz de France permettra à cette entreprise d’assurer la sécurité d’approvisionnement de notre pays dans un contexte de crise énergétique internationale – le prix du gaz a été multiplié par 2,5 dans les deux dernières années. Nous n’avons pas seulement besoin d’un opérateur qui soit titulaire des contrats de concession des communes, ce qu’il restera, mais aussi d’un opérateur qui soit capable d’accéder à l’amont gazier dans une compétition internationale acharnée. C’est tout cela que nous faisons pour assurer la sécurité de l’approvisionnement et des prix ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

fièvre catarrhale ovine

M. Jean-Luc Warsmann - Depuis quelques mois, la fièvre catarrhale ovine, maladie qui touche principalement les bovins et les ovins, sévit en Belgique et aux Pays-Bas. Ces deux pays n’ont pas su empêcher la propagation de la maladie, si bien qu’elle touche désormais certaines zones frontalières de notre pays. Cette maladie est inoffensive pour l’homme ; elle n’est pas contagieuse entre les animaux, puisqu’il faut une piqûre d’insecte pour qu’elle soit transmise. Pour garantir une qualité optimale de nos troupeaux, les services vétérinaires français ont cependant imposé des mesures drastiques aux éleveurs de quatorze départements, en instituant des périmètres dans lesquels les transferts d’animaux sont soit interdits, soit strictement réglementés. Ma question ne porte donc pas sur une crise sanitaire, mais sur la crise économique que subissent les éleveurs. Ils ne peuvent en effet plus vendre leurs animaux, sinon à un prix très inférieur à leur valeur. D’ici la fin de l’année, les seuls éleveurs du département des Ardennes devaient vendre 10 000 jeunes bovins en dehors du département, notamment à l’étranger. La quasi-totalité de ces ventes est aujourd’hui bloquée. Est-on bien certain de la nécessité impérieuse de chacune des interdictions décidées ? Peut-on, le cas échéant, espérer des assouplissements ? Les éleveurs concernés peuvent-ils compter sur la solidarité nationale et sur un soutien financier pour faire face à la gravité de la situation ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Émile Zuccarelli - Très bien !

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche  Je vous remercie d’avoir attiré l’attention de l’Assemblée sur cette crise sanitaire et – surtout – économique. La fièvre catarrhale ovine, ou maladie de la langue bleue, venue des Pays-Bas, d’Allemagne et de Belgique, touche aujourd’hui un certain nombre de nos départements via la délimitation de zones de protection ou de surveillance. Notre objectif est d’éviter que la maladie se diffuse à l’ensemble du territoire national, voire de l’Union européenne, car il s’agirait alors d’une crise majeure pour notre filière bovine et pour notre agriculture. C’est pourquoi nous avons mis en place les mesures que vous avez rappelées. Conformément au droit communautaire, nous avons cependant prévu des dérogations pour tenir compte des besoins des éleveurs. Nous avons également mis en place, comme nous l’avaient demandé les parlementaires de l’Est et du Nord, des mesures de soutien pour les éleveurs de veaux de huit jours et pour les broutards, ainsi que, dès cette semaine, des mesures d’indemnisation. Une mission évalue sur le terrain l’ensemble des conséquences économiques et réfléchit à des mesures de solidarité économique – mesures sur les cotisations de mutualité sociale agricole, indemnisation éventuelle de chômages partiels… Le Gouvernement a deux objectifs : assurer la sécurité sanitaire de nos cheptels bovins et faire jouer la solidarité avec les éleveurs des zones concernées. Le Premier ministre a donné instruction de prendre toutes les mesures nécessaires : cette solidarité nationale ne fera pas défaut aux éleveurs des zones concernées. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

décristallisation des pensions

M. Jean-Claude Mathis - Près d’un million de combattants issus de ce qui constituait alors l’empire colonial français – Maghreb, Afrique noire, Madagascar, Asie - ont servi dans l’armée française au cours du XXe siècle. Cent mille d’entre eux ont payé cet engagement de leur vie. Honorés au lendemain de combats et de victoires auxquels ils avaient vaillamment contribué, ces hommes ont vu leurs droits gelés après l’indépendance de leurs pays. Il a fallu attendre 2002 pour que le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin et la majorité procèdent à la décristallisation progressive des prestations versées à ces anciens combattants. La loi de finances rectificative pour 2002 a réévalué les droits des anciens combattants concernés, en se fondant sur la grille de parité du pouvoir d’achat élaborée par l’ONU, méthode validée par le Conseil d’État. Depuis lors, le montant des prestations perçues assure à ces anciens combattants un pouvoir d’achat identique à celui de leurs frères d’armes français. Entrée en vigueur en 2003, cette mesure s’est traduite la première année par un coût budgétaire de 130 millions d’euros, correspondant à la revalorisation au titre de l’année 2003, à laquelle s’ajoutait le versement de quatre années d’arriérés. Depuis 2004, 30 millions d’euros ont été consacrés chaque année à la décristallisation. Face à la persistance d’un sentiment d’injustice, le Président de la République a demandé une accélération du processus le 14 juillet. Le Gouvernement a donc annoncé le 27 septembre la décristallisation totale de la retraite du combattant et des pensions militaires et d’invalidité. Pouvez-vous nous en dire plus sur les modalités et le calendrier de mise en œuvre de cette mesure ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Hamlaoui Mékachéra, ministre délégué aux anciens combattants - Après l’indépendance de leurs pays respectifs, les anciens combattants de l’armée française ressortissants de pays ayant vécu sous souveraineté française ont vu leur retraite du combattant cristallisée. Il a fallu attendre plus de quarante ans pour qu’une réponse favorable soit donnée à leurs revendications. C’est l’honneur du Gouvernement et de sa majorité d’avoir pris cette décision, car le dossier, maintes fois ouvert, n’avait jamais été traité. En nous fondant sur la parité du pouvoir d’achat, nous avons préservé une certaine équité. Mais la comparaison entre les montants des prestations versées faisait toujours apparaître une différence, d’où la persistance d’un sentiment d’injustice. Dans son intervention du 14 juillet, le Président de la République a donc exprimé le souhait d’aller plus loin. Les associations françaises d’anciens combattants ont également demandé une décristallisation complète, tandis que le film Indigènes se faisait avec talent l’écho de cette revendication. Mercredi dernier, le Premier ministre a décidé que le montant des retraites du combattant et des pensions militaires d’invalidité serait désormais égal pour tous, et ceci en euros. Cette réforme sera soumise au Parlement lors de l’examen du budget 2007 et mise en œuvre au 1er janvier prochain. Nous rendons ainsi pleinement justice, honneur et dignité à ces combattants qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes, allant parfois jusqu’au sacrifice suprême. C’est pourquoi nous avons répondu à leur souhait d’être égaux aux autres combattants, comme ils l’ont été devant le feu. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 15.

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énergie (suite)

L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l’ensemble du projet de loi relatif au secteur de l’énergie.

M. le Président – La parole est à M. François Brottes, qui s’exprimera au nom du groupe socialiste.

M. François Brottes – Mais de quel pays est ce gouvernement qui démantèle une entreprise qui fonctionne bien depuis toujours et que le monde entier nous envie ? De quel pays est ce gouvernement qui renonce au contrôle de nos grandes entreprises nationales de l'énergie alors que, dans ce secteur, les négociations se font toujours d’État à État ? De quel pays est ce gouvernement qui favorise la transformation d’un monopole public en monopole privé pour enrichir durablement, et sans qu’ils payent d'impôts au passage, une minorité d'actionnaires au détriment de nos concitoyens et au mépris des acquis fondamentaux de la République ? De quel pays est ce gouvernement qui, alors qu’il s’agit de la distribution d’un bien de première nécessité, abandonne ses habitants à la jungle des tarifs les plus fous, les plus incompréhensibles, et bientôt les plus chers, pour satisfaire l'appétit des actionnaires ?

Mais quel est ce Président de la République, si fier d’avoir, le 16 mars 2002, à Barcelone, aux côtés de Lionel Jospin, réussi à freiner la dérégulation du marché de l’énergie, expliquant à l’époque que, du point de vue de la France, « il n’était pas acceptable d’aller plus loin » ? Lors de ce sommet, Lionel Jospin précisait pour sa part que si cette ouverture se faisait, on pouvait craindre de la dérégulation des hausses de tarifs bien davantage qu’en espérer des réductions de prix pour les consommateurs. Quel est ce même Président qui, juste après la victoire de la droite, et quelques mois seulement après le sommet de Barcelone, laisse, le 25 novembre 2002, Mme Nicole Fontaine, ministre de M. Raffarin, lâcher prise, et se réjouir d'imposer la libéralisation des marchés de l'électricité et du gaz au 1er juillet 2007, pour tous les consommateurs, et donc pour toutes les familles ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Hervé Novelli - Jospin l’avait voulu ! (Brouhaha sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. François Brottes - Ils ont cédé sans condition, en fustigeant ce qu'ils appelaient « l'archaïsme de la gauche », et sans exiger l'élaboration, prévue à Barcelone, d'une directive cadre pour garantir les prix et la qualité de nos services publics. Nous avons d'ailleurs appris la semaine dernière, que la droite – avec, en son sein, les parlementaires européens de l’UMP – venait de voter l’abandon de toute directive cadre sur les services d'intérêt général…

M. Hervé Novelli - Elle ne servait à rien !

M. François Brottes - …ce qui nous donne encore plus de raisons de lutter contre la privatisation pour préserver nos services publics.

Quel est ce Président qui ne respecte pas la Constitution, laquelle dispose que « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a, ou acquiert, les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité » – et donc le rester ?

M. Hervé Novelli - C’est faux ! Le Conseil d’État a dit ce qu’il fallait en penser.

M. François Brottes - Pour privatiser, il vous faudra déclasser du patrimoine public, et de son statut de service public national, le grand réseau gazier. Nous demanderons au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ce point, et sur quelques autres. Il est proprement scandaleux de mettre dans la corbeille de mariage de GDF avec Suez ce réseau de transport qui appartient à la nation, et dont la volonté de la Commission européenne est qu’il soit détaché de l'activité de fourniture de gaz, comme la Commissaire Kroes l’a indiqué le 28 septembre dernier.

Mais quel est ce ministre, dont la rumeur nous dit qu'il voudrait devenir Président, et qui déclarait, il y a quelques mois, ici même, avec la fougue, mais aussi le sens de la « rupture » qu'on lui connaît : « Je l'affirme, parce que c'est un engagement du Gouvernement : EDF et GDF ne seront pas privatisés. Le Président de la République l’a rappelé solennellement lors du Conseil des ministres au cours duquel fut adopté le projet » ?

Mais quel est cet autre ancien ministre, très proche du précédent, qui faisait adopter, six mois seulement avant l'annonce de la privatisation de Gaz de France, une loi d'orientation sur l'énergie précisant, dans son titre premier, que « seules les entreprises publiques nationales de l'énergie étaient garantes du service public de l'énergie » ?

Mais quel est ce troisième ministre – je crois qu'il est ici aujourd'hui… –, qui a signé avec GDF, en juin 2005, le contrat de service public dans lequel il est expressément stipulé « que l'État et Gaz de France conviennent de rechercher à l’occasion de chaque mouvement tarifaire, la convergence entre les tarifs réglementés et les prix de vente en marché ouvert, et ce pour chaque type de client » ? Ce qui signifie, en clair, qu'à chaque augmentation du tarif du gaz décidée par le ministre, on se rapprochera au plus vite des prix du marché, même pour les ménages.

C’est un aveu : ainsi était scellée la première pierre de la privatisation de GDF. D’une part, cette disposition consacre la fin des tarifs réglementés par leur alignement sur les prix du marché ; d'autre part, elle donne des gages d'augmentation de prix aux futurs actionnaires du groupe GDF–Suez, en permettant de dégager de meilleurs dividendes au détriment des usagers. En bref, MM. Cirelli, Mestrallet et Albert Frère en rêvaient, et M. Breton l'avait déjà fait pour eux ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Mais quels sont ces députés qui vont voter en faveur de la privatisation de GDF et, ce faisant, signer un chèque en blanc au Gouvernement ? Ces députés ne savent pas encore si Bruxelles donnera son accord à la fusion avec Suez, ni à quel prix ; ils ne connaissent pas encore les conditions définitives de la réduction d'activité de GDF qu’imposera la Commission européenne ; ils n'ont aucune certitude sur les exigences finales des actionnaires de Suez dont, chaque jour, la presse nous annonce qu'ils sont de plus en plus gourmands voire, pour certains, opposés à la fusion.

M. Hervé Novelli - Blabla !

M. François Brottes - Mais quels sont ces députés qui sont restés stoïques et silencieux pendant les 142 heures de discussion ? À cet égard, il est heureux que le débat ait duré, sinon nous n'aurions jamais eu connaissance ni de la lettre de griefs, même caviardée, ni de la missive du Commissaire McCreevy, ni de la liste des premiers actifs cédés par GDF ! Nos collègues ne se doutaient pas non plus que même le ministre reconnaîtrait au cours du débat qu'il n'avait jamais parlé de la privatisation de GDF avec les syndicats lors de leurs rencontres préalables à nos travaux ! Mais quels sont ces députés qui demandaient en coulisse au Gouvernement de les bâillonner par le recours à l’article 49–3 de la Constitution pour leur éviter de devoir se prononcer ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Mais quelle est cette majorité qui se laisse aveugler par des arguments aussi grossiers que démagogiques ? Ainsi, on ne pourrait reconstituer EDF–GDF car il faudrait vendre des centrales nucléaires ; c’est un argument fallacieux, agité pour effrayer, et que nous contestons. Comment prétendre, d’autre part, que constituer Suez–GDF c’est créer le plus grand groupe gazier d'Europe, ce qui fera baisser les prix d'achat du gaz ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire – Parce que c’est vrai !

M. François Brottes - Mais GDF est déjà la première entreprise gazière européenne ! De plus, la réduction du périmètre d'activité imposée par Bruxelles aux deux entreprises va conduire finalement à ce que GDF plus Suez égalent GDF, ou à peu près ! Cherchez l'erreur ! Quant à la baisse invoquée des prix d'approvisionnement, même si M. Ollier y croit, elle est illusoire, le débat l’a montré, en raison de l'indexation du prix du gaz sur celui du pétrole et aussi parce que la négociation se mène d'État à État, comme les Russes nous l’ont récemment rappelé.

Enfin, vous voulez laisser croire qu'avec le maintien des tarifs, « on est tranquille » car le ministre décidera. Cet argument n’est pas des plus honnêtes, car les tarifs administrés vont rapidement disparaître pour l'électricité comme pour le gaz, puisque tout a été fait pour qu’ils s'alignent rapidement sur les prix élevés du marché.

Pour le gaz, je l’ai dit, le ministre lui-même a pris cet engagement auprès de GDF – dont, incidemment, le bénéfice a déjà augmenté de près de 44 % en six mois – pour permettre à la fiancée d’être encore plus belle. Mais ce sont les consommateurs qui payent cette facture quand arrive leur note de chauffage !

Pour l'électricité, nous ne sommes pas dupes : la formule du tarif transitoire dit « tarif de retour »…

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiquesContre lequel vous avez voté !

M. François Brottes - Oui, car il consiste à faire baisser artificiellement les prix du marché pour les entreprises, et il aura en réalité pour effet d'augmenter mécaniquement le tarif administré de l'électricité. Autrement dit, on financera la baisse des prix pour les industriels par la hausse des tarifs appliqués aux familles – comme EDF devra rembourser la différence, l'opérateur historique exigera une augmentation du tarif administré pour compenser cette remise. Cela étant, ce tarif « de retour » risque d'avoir le même succès auprès de nos partenaires européens que la baisse de la TVA sur la restauration… (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Mais quels sont ces députés qui se sont laissés rassurer par des arguments aussi légers qu'incertains ? L’État, nous a-t-il été dit, conservera la minorité de blocage. Mais si vous aviez été là lorsque M. Novelli a démontré avec brio que l'entité fusionnée GDF–Suez restait opéable, vous auriez compris à quel point cet argument n'est pas sérieux. De plus, vous allez voter en faveur d’une participation minoritaire de l’État dans le capital de GDF, mais rien ne vous dit que, finalement, l'État conservera bien 34 % du nouvel ensemble.

L'État, a-t-on expliqué aussi, détiendra une action spécifique, ce qui lui permettra d’empêcher toute cession d'actifs stratégiques. Cet argument ne tient pas davantage. Non seulement on a constaté à l’époque de la fusion Elf–Total l'inefficacité du dispositif, mais la Commission européenne confirme que les actions spécifiques sont contraires au traité de Rome car elles entravent la concurrence. D'ailleurs, vendredi dernier, la Cour de justice des Communautés européennes a rendu un arrêt défavorable à ce mécanisme, pratiqué aux Pays-Bas. Voilà donc encore un filet de sécurité qui ne tiendra pas !

Et, enfin, la fameuse présence, à titre purement consultatif, d'un commissaire du Gouvernement au conseil d'administration de l'entreprise fusionnée. Une fois de plus, on se moque de nous ! Les administrateurs de GDF–Suez doivent en trembler ! Malgré tout, je conçois que mes collègues de la majorité se soient laissés convaincre par les centaines de millions de pages publiées dans les journaux depuis des mois. Publicité institutionnelle ou pour vanter les mérites de la fusion, cette campagne de communication peut avoir un double impact : donner le sentiment qu'il n'y a pas d'alternative à ce projet et diluer l'esprit critique de la presse qui a bien besoin de ressources publicitaires en ce moment.

Mais quels sont ces députés pourtant avertis et compétents qui vont mettre en difficulté les collectivités locales ? Ils refusent de voir arriver la fin du monopole des concessions de service public de distribution de gaz naturel, alors que celui-ci repose depuis 1946 sur le caractère public de l'unique concessionnaire – GDF – et que sa privatisation offre ce monopole à une entreprise privée. Les ambitions de Gazprom, d'une part, dont les managers prétendent qu'ils n'ont pas assez de doigts pour compter les sociétés qui les intéressent, la jurisprudence européenne récente, d'autre part, laissent peu de doutes sur la durée de vie de ce monopole au regard de la libre concurrence. Il y a fort à parier qu’un recours cassera ce monopole en exigeant une mise en concurrence préalable et là, c'est l'ensemble de notre dispositif qui s'écroulera. Vous aurez été prévenus !

Mais où sont ces députés de la majorité qui n'acceptent pas cette fusion, qui prônent une alternative à l'extérieur de l’hémicycle et qui restent muets à l'intérieur? Cette rupture annoncée avec ce funeste projet relève-t-elle de la posture, de l'imposture, ou de la séance de rattrapage ?

Les arguments ne manquent pas pour dénoncer les dangers, les incohérences, l'inconséquence de votre projet de privatisation. Et encore, je n’évoque pas les questions de morale : usage des stock options – pour lesquelles vous avez refusé, Monsieur Loos, de nous dire si vous utiliserez votre droit de veto – ou usage de l'optimisation fiscale qui permettra à Suez, avec la fusion, d’économiser plus de trois milliards d'impôts. Je n’évoque pas non plus l'attitude du Premier ministre qui semble déjà avoir vendu à Enel les dépouilles de GDF après la fusion ni du flou qui est maintenu par vos soins, Monsieur le ministre, sur ce qui sera cédé, filialisé, partagé ou supprimé chez GDF : terminaux méthaniers, kilomètres d'infrastructures de réseau, activités de service, 21 % de l'approvisionnement de gaz et 20 000 emplois en moins selon les syndicats !

Tous les députés socialistes voteront contre la privatisation d'une entreprise stratégique. Nous voterons contre la remise officielle des fichiers clients d'EDF à un groupe privé, contre l'organisation d'une guerre fratricide entre EDF et GDF dont les Français feront les frais avec de fortes augmentations de tarifs, contre le démantèlement d'une entreprise historique qui, depuis longtemps, a fait ses preuves, contre l'accaparement d'un bien national et public par des intérêts privés, contre le fait, enfin, que c'est GDF qui financera le démantèlement des centrales nucléaires belges. Nous continuerons à exiger la mise en perspective d'une véritable alliance entre EDF et GDF au sein d'un pôle public de l'énergie. Oui, nous affirmons que le meilleur rempart contre toutes les dérives que je viens de dénoncer c'est de garder GDF comme entreprise publique et que la meilleure solution pour notre avenir énergétique, c'est de conforter l'entité EDF–GDF, fusionnée ou bien rassemblée stratégiquement dans une holding dédiée. Nous continuerons à dénoncer le scandale que constitue le fait de vous donner un « chèque en blanc » pour brader un bien public majeur, à quelques mois d'une consultation démocratique capitale pour l'avenir du pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean Dionis du Séjour - Commencé le 7 septembre, notre débat se termine aujourd'hui 3 octobre, un mois plus tard, ce qui en fait, avec 158 heures de débat en séance plénière, un des plus longs de la mandature. Oui, nous venons de vivre un vrai moment de vie parlementaire et la privatisation de GDF, si elle est décidée à l'issue de ce vote, est une décision lourde qui marquera l'histoire économique de notre pays ! Mais au terme de ce débat marathon, l'UDF ne veut pas parler la langue de bois et se joindre au concert de ceux qui se réjouissent d’un débat de grande qualité. Le bilan est beaucoup plus contrasté : il y eut de bonnes et de très mauvais choses.

De très mauvaises tout d'abord. Ce débat a commencé avec plus d'une semaine d’obstruction. Assumez cette réalité, mes chers collègues socialistes et communistes ! Nous pensons quant à nous que cela n'a pas servi la cause du Parlement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Nos débats, en effet, ont été dévalorisés, jugés vides et ridicules par l'opinion publique et les médias. Il est urgent d'en tirer les enseignements qui s'imposent pour réformer notre Règlement et obtenir un véritable consensus entre tous les groupes parlementaires.

M. Maxime Gremetz - Ne prenez pas exemple sur M. Sarkozy !

M. Jean Dionis du Séjour - Le débat parlementaire fut ensuite de qualité, c’est exact. Chaque groupe a exposé ses convictions et le Gouvernement, par la voix de MM. Thierry Breton et François Loos, a choisi de se montrer patient plutôt que de passer en force.

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l’industrie Je vous remercie.

M. Jean Dionis du Séjour - Nos deux rapporteurs, Jean-Claude Lenoir et Hervé Novelli ont été à la hauteur de l'événement. Bref, cette « deuxième mi-temps » est plutôt à l'honneur de notre démocratie parlementaire, même si elle appelle de notre part deux remarques importantes.

M. Patrick Roy - Gare à la troisième mi-temps !

M. Jean Dionis du Séjour - Ce projet a mis en lumière la pauvreté du travail en commun entre la Commission européenne et le Parlement : transmettre aux parlementaires une lettre de griefs caviardée est humiliant, d'autant plus que c’est une entreprise publique qui est en jeu. Nous exigeons qu'à l'avenir, lorsqu'il s'agira d'une entreprise nationale, l'ensemble des documents échangés entre l'Union européenne et les sociétés concernées puisse être consultable in extenso par la représentation nationale. Messieurs les ministres, Monsieur le président de la délégation de l'Assemblée nationale auprès de l'Union européenne, vous devez faire aboutir cette revendication à Bruxelles ! C'est peu dire que nous avons mal vécu cet épisode et l'UDF n'accepte pas le rôle de bouc émissaire qu'une nouvelle fois on fait jouer aux institutions européennes.

Nous regrettons également la discrétion des parlementaires minoritaires de l'UMP : pourquoi certaines voix contestataires si promptes à réagir dans les médias ne se sont pas davantage exprimées pendant notre débat ? La liberté est dans cet hémicycle le bien le plus précieux. À l'UDF, nous continuerons à tracer notre sillon. Si, en conscience, nous trouvons le projet bon, nous le disons et nous le votons. Sinon, comme c’est en l’occurrence le cas, nous le disons tout aussi fortement et nous votons contre.

Ce texte transpose tout d'abord deux directives et c’est pourquoi nous avons soutenu les articles premier à 9. Pour l'UDF, qui se veut à l'avant-garde de la construction européenne, ce n'est pas un objectif politique mineur que de construire, transposition après transposition, directive après directive, un espace juridique commun à tous les citoyens européens. Ce n'est pas non plus un objectif politique mineur que de construire un véritable marché intérieur où la concurrence, jour après jour, est de plus en plus loyale. Mais que de progrès il nous reste à faire dans ce domaine ! Il faut transposer mieux, plus vite, plus juste en s'inspirant du bel exemple de lisibilité démocratique des directives qui ringardise notre manière de légiférer avec nos lois illisibles et nos codes monumentaux jamais à jour !

Nous nous réjouissons du débat qui a eu lieu sur les tarifs réglementés, notamment sur le fameux tarif de retour. L'Assemblée nationale a adopté un amendement sous-amendé par notre collègue Charles de Courson et moi-même rendant le dispositif pérenne. Nous demandons à MM. les ministres d'être vigilants lors de la discussion au Sénat afin que cette disposition soit conservée. Dans le cas contraire, la CMP risque d'être agitée. En effet, la direction voulue par le Parlement sur l’affaire centrale de la rente nucléaire doit être très claire. Le Parlement veut un partage équitable de celle-ci entre les deux objectifs majeurs que sont le renouvellement de notre parc nucléaire et la compétitivité énergétique de nos entreprises. Nous approuvons certes cette transposition, mais nous la jugeons frileuse. Où sont donc les dispositions relatives au service universel en électricité, véritable avancée pour les consommateurs et les PME ? Plus grave, notre assemblée n'a pas été inspirée lorsqu'elle a légiféré sur la CRE. Or, le modèle européen est clair : l'ouverture à la concurrence appelle la mise en place d'un régulateur fort alors que le texte est sur ce point confus : d'un côté, nous avons élargi les pouvoirs de la CRE mais de l'autre, nous avons affaibli les commissaires : diminution de leur disponibilité avec la suppression de leur rémunération, problèmes de disponibilité inévitables pour les commissaires parlementaires, confusion des tâches – médiation des problèmes de consommation au lieu de surveillance et régulation des activités de transport et de distribution. Sur ce point, notre recommandation est exactement l'inverse de celles faites sur le tarif de retour. Nous appelons de nos vœux la mise en place d'un régulateur fort et nous souhaitons que le Sénat et la CMP corrigent le texte sans ambiguïté.

Venons-en enfin à l'article 10, qui organise la privatisation de GDF. Le projet propose de réduire la participation de l'État dans le capital de GDF de 70 % à 34 %. Comment en sommes-nous arrivés là, alors que, par deux fois, en août 2004, dans la loi sur le service public de l'électricité, et en juillet 2005, dans la loi portant sur les orientations énergétiques, nous avons inscrit dans le marbre l'importance stratégique du caractère public de GDF ?

M. Maxime Gremetz - Sarkozy !

M. Jean Dionis du Séjour - La réponse tient en un seul mot : Suez. C'est pour cette raison, Messieurs les ministres, que l'UDF ne vous suit pas lorsque vous organisez le débat sur la privatisation de GDF en dehors du contexte du projet de fusion entre cette entreprise et Suez. Les 34 %, c'est la fusion Suez–GDF ! La privatisation de GDF, c'est la fusion GDF–Suez ! Prenons-en acte ensemble et posons-nous la question : qui est gagnant …

M. Patrick Roy - Pas les consommateurs !

M. Jean Dionis du Séjour - …et qui est perdant ? Le gagnant, c'est Suez, sa direction et ses actionnaires. C'est en effet parce qu'il y eut, au début de 2006, l'OPA hostile d'Enel sur Suez que Gérard Mestrallet et le management de Suez ont décidé d'accélérer l'étude puis la mise en œuvre du rapprochement. Le choix de ramener à 34 % la participation de l'État dans le capital de GDF est d'abord le projet d’une direction, celle de Suez, qui, elle, a une vision stratégique forte. La ligne force de son projet, de votre projet, n'est pas industrielle – nous avons en effet des doutes quant à l'intérêt de faire cohabiter dans le même groupe un pôle énergie et un pôle environnement. Ce modèle économique des utilités urbaines date des années 1980 et nous n'avons plus trouvé grand monde pour le défendre sur le fond. Non, la ligne force de votre projet est financière : c'est la protection du capital de Suez, et celle de son périmètre actuel. En effet, à ce jour, le groupe Suez fonctionne bien avec des pôles environnement et énergie qui gagnent de l'argent mais il a une faiblesse majeure, mise en évidence par l'OPA d'Enel : son capital est émietté. Bref, il lui manque un actionnaire stable, qui sera donc GDF. Rien à dire en ce qui concerne Suez et M. Mestrallet : nous saluons même la virtuosité de quelqu'un dont le groupe se fait absorber et qui devient numéro un de celui qui absorbe ! Au passage, il aura su convaincre le Premier ministre et le Gouvernement en lui parlant comme il fallait : nous allons faire un grand champion national et c'est notre devoir de le faire par patriotisme économique. Au final, il y a certes constitution d'un champion économique mais sur un modèle économique très contestable où l'on additionne deux secteurs de plus en plus divergents : l'environnement et l'énergie. À terme, la cession du pôle environnement est probable.

Regardons maintenant du côté de Gaz de France. Le bilan est déjà beaucoup plus contrasté. Gaz de France trouvera certes dans la fusion un intérêt industriel, mais la note est quand même sacrement salée !

Elle l’est à Bruxelles, qui recommande la cession de Distrigaz, de la participation de GDF dans la Société de production d’électricité – SPE – et de volumes de gaz aux concurrents. Et ce n'est pas fini, puisque nous apprenons aujourd'hui que le gouvernement belge aurait obtenu de la Commission qu'elle impose au futur groupe la cession partielle de ses actifs dans le nucléaire.

Elle risque de l’être également lors de l'assemblée générale extraordinaire par laquelle les actionnaires de Suez devront approuver ou non la fusion. On nous annonçait un échange d'une action de Suez pour une du nouveau groupe, mais un tel accord semble aujourd'hui compromis, sauf à y ajouter une compensation non négligeable. Quel sera le montant de cette compensation ? Trois euros par action ? Quatre ? L’addition pour Gaz de France sera au moins de trois à quatre milliards d'euros, que GDF paiera, car, politiquement vous ne pourrez pas faire machine arrière.

Mais il y a plus grave, car dans cette affaire, il y a un perdant indiscutable : l'État, qui passe du statut d’actionnaire « patron » à celui d’actionnaire minoritaire. Franchement, que diable va-t-il faire dans cette galère ?

Que l'on ne nous dise pas qu'il s'agit de faire un grand opérateur gazier, car si tel était l'objectif, pourquoi n’a-t-on pas sérieusement envisagé la possibilité d’une fusion entre GDF et le seul pôle énergétique de Suez, c'est-à-dire ses trois filiales majeures que sont Electrabel, Fluxys et Distrigaz ? Les solutions alternatives existent, qui pourraient à la fois satisfaire les actionnaires et servir les objectifs stratégiques de GDF, et surtout l'intérêt national. Si elles n’ont pas été envisagées, c’est parce que l'objectif politique de votre fusion n'est pas de garder la majorité de gestion dans Gaz de France, mais de protéger Suez tel qu'il est aujourd'hui.

Nous considérons que la privatisation de GDF est une faute vis-à-vis de l'intérêt national, non que la privatisation soit pour le groupe UDF un gros mot – nous avons soutenu celle de France Télécom – mais parce qu’une telle décision doit être le fruit d'une évaluation secteur par secteur et que celui de l'énergie a sa spécificité.

Les investissements dans ce secteur, hautement capitalistiques, exigent en effet le long terme, de même que les contrats d'approvisionnement. L'impact environnemental du secteur exige lui aussi une gouvernance à long terme, que seul l’État peut assurer, car il est le seul acteur à ne pas être guidé à court terme par la recherche d'une rémunération élevée de ses actionnaires.

Dans un tel contexte, nous considérons donc que la privatisation de GDF est une faute. Une faute, car nous sommes, dans le secteur énergétique, non devant une crise mais devant une révolution ; une faute, car l'importance du gaz ira croissant ; une faute enfin parce que c'est à l'État de tenir, par sa politique de l'énergie, les engagements français en matière d'environnement et de lutte contre le réchauffement climatique.

La privatisation de Gaz de France privera l'État d'un levier d'action majeur et ce au moment même où le gaz devient de plus en plus stratégique, où les énergies fossiles disparaissent, où la demande augmente et où les considérations environnementales prennent une importance croissante.

Le groupe UDF ne retrouve pas, dans la privatisation de Gaz de France, l'intérêt national. En conséquence, il votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

Mme Marie-George Buffet – Après vingt-et-un jours de débat, notre assemblée est invitée solennellement à accepter ou refuser de sacrifier notre indépendance énergétique aux appétits des marchés financiers.

Les députés communistes et républicains vous ont parlé de droit à l'énergie. Combien de fois Daniel Paul vous a-t-il dit que l'énergie était la condition même du développement économique et social ? Combien de fois avons-nous rappelé qu'il n'y a pas de vie sociale sans éclairage, sans chauffage, sans droit à se déplacer ? M. Sarkozy nous a parlé tout à l'heure des « malheureux » avec le mépris de la grande bourgeoisie des siècles passés, (Protestations sur les bancs du groupe UMP) mais ce sont sa politique et le reniement de sa parole qui génèrent la pauvreté dans notre pays !

Nous, nous demandons une véritable reconnaissance de ce droit. À cette exigence fondamentale, vous n'avez pas répondu. Ce ne sont pas les quelques avancées, floues, en matière de tarification sociale qui pourront garantir ce droit à l'énergie, lequel sera remis en cause par les augmentations de tarifs, inéluctables si ce projet est voté.

Avec ce projet, vous choisissez donc de poursuivre la déréglementation du secteur de l'énergie et d'occulter le bilan terrible de cette libéralisation. Combien d'entreprises, qui avaient fait le choix du marché, cherchent aujourd'hui, par tous les moyens, à revenir dans le secteur réglementé ? Et combien de milliards d'euros auront-ils été gaspillés dans toutes ces fusions-acquisitions ?

Monsieur le ministre, il faut avoir l'honnêteté de dire aux Français que les prix du gaz vont augmenter, car les actionnaires du groupe issu de la fusion Suez–GDF vont exiger de fortes rémunérations. Ils vont augmenter aussi parce qu'au nom de la concurrence, la Commission européenne veut remettre en cause l'existence de contrats d'approvisionnement à long terme. Le modèle de régulation du secteur énergétique de la Commission européenne est celui d'Enron ! Le nôtre, celui du service public.

Avec cette privatisation, c'est bien notre indépendance énergétique qui est menacée, cette indépendance construite par les forces de la résistance à la Libération. Toute la maîtrise de notre politique énergétique sera bientôt transférée à des groupes privés, dont l'objectif n'est pas de garantir le droit à l'énergie, mais bien de faire des profits. Le ralliement tardif d'Albert Frère, actionnaire de Suez, à la fusion, ne peut à cet égard que nous inquiéter : quelles promesses de dividendes et de plus-values, avec les suppressions d'emplois et les compressions de dépenses d'investissement que cela implique, lui a-t-on faites ?

Privé de partenaire gazier, EDF sera fragilisé par son nouveau concurrent. En fusionnant avec GDF, Suez met la main sur un portefeuille de onze millions de clients, auxquels le nouveau groupe pourra proposer une offre duale – gaz et électricité – au détriment d'EDF. La compétition poussera également ces groupes à rogner sur leurs dépenses de sécurité et leurs investissements. À cet égard, l'annonce de la cession par Suez d'une partie de son parc nucléaire belge ne peut que susciter les plus vives inquiétudes. Dans quelles conditions de sécurité ces centrales seront-elles exploitées, après leur cession à d'autres multinationales ?

Le réchauffement climatique ou la fin du pétrole sont des questions qui, loin d’être mineures, interpellent toute notre société et qui ne peuvent assurément pas être résolues par des groupes contraints de privilégier leur rentabilité financière.

Finalement, le seul argument du Gouvernement est que l’on ne peut pas faire autrement, que telles sont les lois du marché, que cette fusion nous est imposée par le fonctionnement des marchés financiers et les directives communautaires. Bien sûr, personne ne conteste que le démantèlement de nos services publics satisfasse les ultralibéraux de la Commission ou d'ailleurs. Bien sûr, nous savons pourquoi ils ne veulent pas d'un grand pôle public de l'énergie qui réunisse EDF et GDF. Mais parce qu'ils n'en veulent pas, l'État français devrait céder et la République devrait se soumettre, alors que c'est notre avenir et celui de nos enfants, qui est en jeu ?

Face à de tels enjeux, le courage consiste à résister et à mener la bataille au sein des institutions européennes pour faire respecter le « non » des Français à l'Europe telle qu'elle est organisée aujourd'hui. Le rejet franc de ce projet de constitution libérale n'a-t-il pour vous aucune signification ? Le courage consiste à faire cesser le déferlement de ces directives, ou plutôt de ces lettres de requête, toutes aussi libérales les unes que les autres. Le courage suppose de se battre avec fermeté à Bruxelles pour imposer un nouveau traité respectueux des droits des peuples européens et de l'intérêt général. Il est temps de défendre pied à pied, à Bruxelles, le seul projet propre à garantir à long terme notre souveraineté énergétique : la fusion entre EDF et GDF.

J'en appelle, Monsieur le ministre, mes chers collègues, à votre sens des responsabilités. À vous mettre ainsi dans le sens du vent, vous donnez à la France l'avenir d'une feuille morte ! Ouvrez donc les yeux et prenez conscience que les services publics ont de l'avenir. Pas par dogmatisme ! Mais parce que ce modèle économique a fait ses preuves et répond parfaitement aux enjeux de demain.

On nous dit que seuls les marchés financiers peuvent donner à nos grandes entreprises les moyens de se développer. Non, cela serait parfaitement possible en constituant un pôle financier public, dont l’une des missions serait précisément de financer l'activité et les investissements nécessaires.

Trop d'arguments dans ce débat ont dissimulé les enjeux les plus profonds. L'histoire ne retiendra pas le nombre d'amendements déposés par l'opposition. Elle ne se souviendra pas des querelles intestines de la majorité. Elle retiendra qu'aujourd'hui, si ce texte est voté, la France aura, par pur dogmatisme, choisi de mettre en péril son indépendance énergétique. Elle retiendra que la France a ce jour-là handicapé pour des années son développement économique et social en faisant le choix du renchérissement durable du coût de l'énergie.

La bataille pour le droit à l'énergie que nous avons menée pendant ces longues semaines ne s'achèvera pas ce soir. L'enjeu est trop grave. Oui, je fais confiance à nos collègues du Sénat pour continuer le débat. Peut-être réussirons-nous, avec le temps, à vous ouvrir les yeux !

Je sais aussi que les gaziers ne sont pas résignés au démantèlement de leur entreprise. Ils ont d’ailleurs annoncé, forts déjà du soutien de l’opinion, une nouvelle journée de mobilisation le 14 octobre prochain. Je leur fais confiance, je fais confiance à notre peuple pour relayer les parlementaires et, je l'espère, pour vous arrêter. Il en va de l'avenir de notre pays.

Bien évidemment, les députés communistes et républicains voteront contre ce texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Serge Poignant - Le débat qui a commencé le 7 septembre dernier aura été long et complet. Long, parce qu’avec 137 000 amendements et 180 rappels au Règlement, nous avons vu les limites dudit Règlement. L’image de notre démocratie n’en sort pas grandie (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). D’ailleurs, nos collègues de l’opposition ont bien compris en cours de discussion qu’ils avaient fait une erreur. Je leur donne acte du fait qu’ils ont finalement permis que le débat aille à son terme.

Complet, car toutes les questions ont été abordées et parce que ministres, présidents de commissions et rapporteurs y ont inlassablement apporté des réponses pertinentes. Au reste, l’importance du texte n’a pas été entamée par les divergences de point de vue qui ont pu s’exprimer. Au nom du président Accoyer, j’ai demandé, au début de l’été, qu’un temps d’analyse et de réflexion soit ménagé.

M. Jean-Pierre Brard - Le temps d’avaler les couleuvres !

M. Serge Poignant - Messieurs les ministres, vous avez bien voulu nous donner ce temps et je vous en sais gré. Le président Ollier l’a judicieusement utilisé pour organiser d’instructives auditions, avec un rapport d’étape, le 26 juillet, qui a bien éclairé les moins spécialistes d’entre nous. Notre rapporteur, Jean-Claude Lenoir, a lui aussi longuement travaillé, allant jusqu’à proposer une solution alternative qui n’a finalement pas été retenue. Notre rapporteur pour avis, Hervé Novelli, a lui aussi formulé une proposition personnelle, puis s’est finalement rangé à l’avis du président Méhaignerie, favorable au texte.

À l’heure où chacun doit se prononcer, je tiens à dire que la très grande majorité des députés de l’UMP votera ce texte.

Considérant l'ouverture complète des marchés européens de l'énergie au 1er juillet 2007 et l'augmentation des prix, il serait irresponsable de ne pas légiférer. Nous avons souhaité que les nouveaux consommateurs, professionnels et domestiques, puissent demeurer aux tarifs réglementés s'ils le demandent. Nous avons par ailleurs souhaité que les entreprises qui auraient subi d'importantes hausses de prix de l'électricité après avoir fait jouer leur éligibilité puissent bénéficier d’un tarif de retour – dit « tarif transitoire d'ajustement » –, compatible avec les règles européennes. Vous avez, Messieurs les ministres, accepté en ce sens nos amendements conjoints avec le président Ollier et notre rapporteur et nous en sommes satisfaits.

Considérant l'enjeu géostratégique lié à la sécurité d'approvisionnement, l'accélération, ces derniers mois, de la concentration des grands acteurs européens de l'énergie et la possibilité de constituer un groupe Gaz de France–Suez, susceptible de devenir le premier gazier européen, le leader mondial en GNL et un grand électricien, nous estimons qu'il faut donner à Gaz de France les moyens de nouer des alliances et de ne pas demeurer dans l'immobilisme. À cette fin, il faut transposer la directive gazière et, comme vous le proposez, Messieurs les ministres, privatiser Gaz de France .

Le travail des mois de juillet et août nous a convaincus que les participations croisées n'étaient pas à la hauteur des enjeux européens et mondiaux, qu'une séparation des activités de Gaz de France n'y répondrait pas davantage et qu'une fusion – ou un rapprochement – EDF–Gaz de France entraînerait de lourdes exigences de compensations de la part de la Commission européenne, notamment dans le domaine de la production nucléaire à la maîtrise de laquelle nous sommes attachés, tout autant que nos collègues de l'opposition. L'échec de la fusion au Portugal entre EDP et GDP conforte notre analyse.

M. François Brottes - C’est faux !

M. Serge Poignant - Je tiens par ailleurs à rappeler la différence que font les élus de l'UMP entre EDF, entreprise publique et qui doit le rester en raison de la spécificité de son activité de production d'électricité nucléaire, et Gaz de France, qui achète et revend du gaz.

Pour autant les élus du groupe UMP ont insisté sur un certain nombre de points, tels que la nécessité d'une minorité de blocage – avec plus du tiers du capital détenu par l'État – ou l’instauration d'une action spécifique dite golden share. Ces mesures figurent dans le projet de loi et n’ont pas suscité d’opposition de la Commission européenne. Est donnée ainsi à l'État de manière pérenne la possibilité de s'opposer à toute décision qui n'irait pas dans le sens de l'intérêt national – notamment une OPA hostile – ainsi qu’à toute décision du nouveau groupe ou de ses filiales, lesquelles peuvent affecter les actifs relatifs, pour le gaz naturel, aux canalisations de transport, à la distribution, aux stockages souterrains, et, pour le gaz liquéfié, aux installations qui concourent à la continuité et à la sécurité des approvisionnements.

Vous avez, Messieurs les ministres, répondu à toutes nos questions sur le mécanisme de l'action spécifique. Un arrêté après décret en Conseil d'État pourra interdire une éventuelle décision du Conseil d'administration.

A également été prise en compte la nécessité de considérer le savoir-faire de Gaz de France. Le statut des IEG sera garanti pour les activités de l'ensemble des entreprises de la branche et étendu aux commerciaux par décision récente du Conseil de l'énergie.

Nos collègues de l'opposition se sont attachés à essayer de faire croire que le service public de l’énergie ne sera plus. Hélas pour eux, nous réaffirmons haut et fort notre attachement au service public dans le domaine énergétique, lequel demeurera à travers les contrats de service public. Pour nos collègues communistes, les choses sont claires : « nous sommes contre le marché, donc, point de service public sans entreprises purement étatiques ». Pour nos collègues socialistes, les choses sont plus nuancées, mais je veux opposer les termes vifs et accusateurs dont ils ont usé à l’encontre du Gouvernement aux déclarations antérieures de certains des leurs, et non des moindres : « une entreprise investie de missions de service public peut, sans tabou, nouer des partenariats industriels qui se traduisent dans une alliance capitalistique », ou encore, « la part de l'État devra être suffisante pour assurer un ancrage incontestable, sans pour autant graver dans le marbre le seuil de 50 %». Quels sont, Monsieur Brottes, ces collègues de votre groupe qui, je crois le savoir, sont candidats à l’élection présidentielle ?

Je veux aussi souligner que les députés du groupe UMP ont pu avoir accès, comme ceux de chaque groupe, à la lettre de griefs de la Commission européenne (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) laquelle ne soulève aucune opposition formelle aux projets envisagés. En tout état de cause, Messieurs les ministres, nous avons bien noté que vous vous êtes engagés à venir devant notre commission des affaires économiques avant toute évolution du projet industriel de Gaz de France .

Je veux enfin dire à nos collègues de l'UDF, lesquels auraient sans doute accepté une diminution du capital de l'Etat à hauteur de 51 %, que cette hypothèse n’aurait pas permis à Gaz de France de nouer des alliances déterminantes.

Quant à l'augmentation des prix de l'énergie, arrêtez de dire, chers collègues de l'opposition, qu'en absence d'ouverture à la concurrence, ceux-ci demeureraient stables ; j’en veux pour contre-exemple l'augmentation du prix du gaz de 30 % dans la seule année 2000, sous le gouvernement Jospin, alors que le capital de Gaz de France était intégralement public.

Comme vous, nous sommes attachés à la protection du consommateur et je prends acte, à cet égard, d'une discussion constructive sur les derniers articles du texte, relatifs aux contrats. Comme vous, aussi, nous sommes attachés à l'intérêt final du consommateur et à la vie de nos entreprises, dans un environnement hautement évolutif où les enjeux économiques, géostratégiques et environnementaux s’exacerbent.

Conscients de ces réalités et respectueux des quelques opinions divergentes qui se sont exprimées, les députés du groupe UMP voteront ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

À la majorité de 327 voix contre 212, sur 547 votants et 539 suffrages exprimés, l’ensemble du projet de loi est adopté.
La séance, suspendue à 17 heures 10, est immédiatement reprise.

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éLOGE FUNèBRE DE GéRARD LéONARD

M. le Président - Miné par les effets d'une terrible maladie qu’il a combattue pendant des mois avec discrétion, dignité et courage, le 6 juin dernier, Gérard Léonard nous quittait. Madame, chère Geneviève, cher Maxime, cher Julien, Gérard fut notre collègue ; pour certain d'entre nous, il fut aussi notre compagnon et notre ami.

En prononçant son prénom et son nom, nombreuses sont les images qui reviennent à nos mémoires. Personnalité attachante par la force de conviction qu'il manifestait, sa simplicité quotidienne et sa sincérité permanente, qu'il avait mises très tôt au service d'un engagement politique au sein du mouvement gaulliste, Gérard Léonard incarnait ce que l’un de ses collègues de l'université de Nancy II appelait « l'esprit lorrain », c'est-à-dire des convictions et un engagement déterminé, se nourrissant à la fois d'un attachement sentimental, viscéral même, à la France et à une certaine idée de la France, et d'un humanisme chrétien qui place l'homme au centre de tout projet politique, ce qui lui faisait rechercher en toute chose justice, équité et humanité. Ses interventions sur les questions de sécurité et d'immigration, mais également dans le débat sur la bioéthique, en portent la marque.

Gérard Léonard s'inscrivait dans la lignée d'hommes politiques éminents qui marquèrent l'histoire de la Lorraine et de la France du XXe siècle. Député de la nation, élu de la deuxième circonscription de Meurthe-et-Moselle, Gérard Léonard s'est forgé une solide réputation de technicien du droit, matière qu'il avait enseignée à la faculté de droit et de sciences économiques de Nancy et, surtout, de spécialiste des questions de sécurité, de police et de justice, sans délaisser pour autant les problèmes relatifs à la gestion des collectivités locales.

C'est à la commission des lois, Monsieur le président Houillon, où il siégea à partir de 1990, qu'il donna toute la mesure de son talent. Il rapporta à de nombreuses reprises de grands textes législatifs, comme le projet de loi d'orientation et de programmation sur la sécurité, en 1993 et 1995, le projet relatif au renforcement de la lutte contre le travail clandestin, celui sur l'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ou, plus près de nous, le texte sur le traitement de la récidive des infractions pénales.

Il fut, surtout, depuis 1990, le rapporteur pour avis du budget du ministère de l'intérieur. Il était ainsi devenu, au fil des ans, un parfait connaisseur de toutes les arcanes de ce ministère et fut à ce titre, l’interlocuteur et le conseiller toujours écouté – et parfois redouté – des ministres de l’intérieur successifs. Sa connaissance de ce ministère et de ses directions et sa maîtrise des questions qui en relevaient justifièrent sa nomination à la commission nationale de déontologie de la sécurité et au conseil d’administration de l’Institut national des hautes études de la sécurité, dont il avait été l’auditeur en 1997.

Son activité parlementaire, toutefois, ne peut se réduire à cette seule fonction législative. Gérard Léonard fut aussi le président très actif du groupe d’amitié France-Liban. Les liens personnels qu’il entretenait avec ce pays étaient nombreux, fréquents, étroits et sincères. Il éprouvait pour cette terre francophone une véritable passion. Il en suivait avec attention les péripéties et la violence l’y inquiétait.

Gérard Léonard puisait la force de son engagement et la pertinence de sa réflexion politique dans un véritable enracinement local. Pendant près de vingt ans, maire de Saint-Max, vice-président de la communauté urbaine du grand Nancy, mais également conseiller régional et vice-président du conseil régional de 1992 à 2002, il savait combien, pour un député, l’écoute de ses concitoyens est nécessaire. C’est de la vérité des uns et des autres que l’on se forge sa propre vérité. Gérard Léonard était un authentique élu. Il aimait sa ville de Saint-Max, qu’il voulut sans cesse développer et embellir, en harmonie avec l’agglomération nancéenne toute proche, au cœur de la Lorraine. Pour lui, ses différents mandats au service de ses administrés étaient complémentaires. Écouter, servir, aider, accompagner, développer : telles étaient les missions qu’il s’était assignées dans l’exercice de ses différentes fonctions. Celles et ceux qui, aujourd’hui, cherchent à briguer des suffrages, gagneraient à s’inspirer de son exemple.

Avec Gérard Léonard nous avons perdu un collègue, un compagnon et un ami, Saint-Max et la Lorraine ont perdu un élu local exemplaire, l'Assemblée nationale un parlementaire estimé et respecté.

Je voudrais vous redire à vous Madame, chère Geneviève, à Maxime et à Julien, ses fils, à vous Madame, sa mère, et à toute sa famille, notre peine et notre sympathie, et vous assurer, au nom de l’ensemble des députés, de notre soutien dans l’épreuve que vous traversez et que nous traversons avec vous.

M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement  L’estime et l’amitié que nous portions tous à Gérard Léonard, au-delà des clivages politiques, nous rassemblent aujourd’hui autour de son souvenir. Au cours des mois de maladie et de souffrance, son courage physique et sa force morale nous ont émus. Nous avons reconnu dans l’épreuve qu’il traversait son caractère et ses qualités humaines : faire face et tenir le plus longtemps possible pour ceux que l’on aime, telle fut sa ligne de conduite, et elle lui ressemblait tant. Dans sa vie personnelle et dans sa carrière universitaire comme dans son engagement politique, Gérard Léonard fut un homme droit, fidèle tout au long de sa vie, sans ostentation ni rigidité, à ses convictions les plus profondes.

Humaniste imprégné des grands principes de la foi chrétienne, désireux d’être utile et de servir son pays, il s’engagea tôt dans la vie politique et prit au fil des ans d’importantes responsabilités dans la famille gaulliste, où il se sentait bien. Comme beaucoup de militants et d’élus de sa génération, il eut la chance, pendant plus de vingt ans, de se battre aux côtés de Jacques Chirac auquel il resta, jusqu’au bout, profondément attaché. Dès le début de ses études supérieures, il choisit de devenir juriste et d’enseigner le droit à l’Université de Nancy, où il se révéla un excellent pédagogue aimé de ses étudiants, dont plusieurs siègent aujourd’hui sur les bancs de votre assemblée. Son engagement politique et son combat pour ses idées se sont vite enracinés dans un territoire, chez lui en Lorraine, à Saint-Max, dont il devint le maire en 1983. La confiance de ses concitoyens ne lui a jamais manqué. Il aima passionnément ce mandat où, proche des gens, il put agir concrètement et quotidiennement pour améliorer la vie de tous. Il aimait concevoir des projets pour sa ville et en suivre pas à pas la réalisation. Il mit beaucoup d’énergie et de générosité dans ses responsabilités de maire, qu’il exerça jusqu’au bout de ses forces.

Gérard Léonard était aussi un militant gaulliste que les débats politiques nationaux passionnaient et auxquels il voulut participer activement en se présentant aux élections législatives. En 1986, 1988 et 1993, il fut élu et réélu député de Meurthe-et-Moselle. En 1997, il échoua de peu mais ne renonça pas et resta très présent sur le terrain tout au long de ses cinq années d’opposition. En 2002, il fut heureux de retrouver la confiance de ses électeurs. Pendant ses quinze années de mandats nationaux, Gérard Léonard fut un député qui sut pleinement concilier son travail d’élu local, proche des préoccupations et des espoirs de nos concitoyens, et son véritable goût pour le travail législatif, tant dans le huis clos des commissions qu’en séance publique. Il fut un membre très actif, écouté et respecté de la commission des lois, où il mit avec talent ses compétences juridiques au service de ses convictions politiques. Sur tous les textes où il fut à de nombreuses reprises orateur à titre personnel, orateur de son groupe où rapporteur de la commission, il sut refuser les extrémismes d’où qu’ils viennent ou les attitudes démagogiques, qu’il savait impuissantes à régler les problèmes de notre société.

Qu’il s’exprime et agisse comme député de la majorité ou qu’il bataille dans l’opposition avec pugnacité, usant de son talent oratoire, ses prises de position solidement enracinées dans ses convictions restaient celles d’un homme de mesure. Il savait qu’une législation n’est efficace que si elle est juste et applicable. Fermeté et équilibre : c’est en gardant constamment ces deux principes à l’esprit qu’il rapporta dernièrement avec autorité devant votre assemblée le projet de loi sur la récidive en 2004.

Lorrain, patriote, Gérard Léonard fut aussi un citoyen du monde qui croyait à la solidarité humaine au-delà des frontières. Il découvrit le Liban, pour lequel il se passionna et dont il aima profondément le peuple auquel tant de liens nous unissent, les jours heureux comme dans les épreuves. Sans doute se sentait-il proche de la pensée du général de Gaulle : depuis toujours, le Liban apparaît aux Français comme la porte de l’Orient et, depuis de nombreux siècles, la voix de l’Occident est, pour les Libanais, celle de la France. Président actif du groupe d’amitié France-Liban, nous savons combien les événements de ces derniers mois l’auraient touché.

Toute sa vie, quelles que soient les difficultés, Gérard Léonard fut un homme d’action ouvert aux autres, se dépensant sans compter pour ceux qu’il aimait. Plus que tout, il avait besoin de retrouver les siens dont il se sentait si proche : son épouse Geneviève, ses enfants et ses petites-filles donnaient tout son sens à sa vie. Nous garderons le souvenir d’un homme généreux, d’un collègue souriant et tolérant, d’un élu passionné par le service de ses concitoyens et de son pays.

Mesdames et Messieurs les députés, sur tous les bancs de votre assemblée, l’heure est au recueillement et au souvenir. À son épouse Geneviève, à ses fils et à toute sa famille, à sa maman, à ses collègues, j’exprime au nom du Gouvernement et en mon nom personnel notre profonde tristesse et notre solidarité dans l’épreuve qu’ils traversent.

M. le Président – Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande de respecter un moment de silence à la mémoire de notre collègue et ami, Gérard Léonard. (Mesdames et Messieurs les députés et les membres du Gouvernement observent une minute de silence)

La séance, suspendue à 17 heures 25, est reprise à 17 heures 40, sous la présidence de M. Leroy.
PRÉSIDENCE de M. Maurice LEROY
vice-président

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participation et actionnariat salarié

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié.

M. le Président – Je rappelle que ce texte a fait l’objet d’une lettre rectificative du Gouvernement.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement  Ce texte, que j’ai l’honneur de présenter avec Thierry Breton, Gérard Larcher et Christine Lagarde, revêt une importance fondamentale sans pour autant susciter de polémique, comme si la médiatisation rendait plus vraie encore cette formule de Saint-Exupéry : « l’essentiel est invisible ».

Ce texte est d’importance, disais-je, car il s’inscrit dans la longue histoire sociale et culturelle de notre pays, qui remonte à la fin du XIXe siècle, puis au gaullisme – l’humanisme social, mais aussi les valeurs gaullistes et gaulliennes, …

M. Patrick Ollier, président et rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire - C’est exact !

M. Jean-Louis Borloo, ministre - …qui sont chères à notre famille politique, tout en étant au fondement de notre modèle social et de notre exception culturelle au sein des économies de marché. Cette tradition transcende les clivages politiques – je pense par exemple au rapport de M. Balligand et aux textes publiés par M. Fabius – car la France a toujours cherché à s’engager dans des voies contractuelles nouvelles, des chemins sociaux, économiques et politiques originaux, qui tournent le dos à l’opposition stérile entre le marché et les forces vives du pays.

Voilà pourquoi ce texte tente de s’appuyer sur ce qu’il y a de mieux dans notre législation : l’intéressement des salariés aux fruits de l’entreprise, la participation au processus de décision, la capacité à la transparence sur ce type d’avantages, le dialogue social et la logique de projet collectif.

Ce texte crucial va non seulement améliorer les dispositions qui s’appliquent déjà à 8 millions de nos salariés, mais en étendre le bénéfice à 8 millions d’autres. Il a vocation à modifier en profondeur à la fois le regard porté sur l’économie de marché et le capitalisme français et les relations entre le capital et le travail. Il s’inscrit dans une longue histoire. Le Parlement s’est beaucoup investi dans son élaboration. Je pense bien sûr à Jacques Godfrain et à François Cornut-Gentille, à Hervé Novelli au Conseil supérieur de la participation, mais aussi à la passion des deux présidents de commission, le président Dubernard et le président Ollier. Le processus avait démarré par une déclaration de Jean-Pierre Raffarin au Conseil économique et social – avec les partenaires sociaux. Le texte a fait l’objet de nombreuses discussions formelles et informelles et de débats au Conseil supérieur de la participation présidé, avec Gérard Larcher, par notre excellent ami Franck Borotra. Cela a permis de forger ce concept de dividende du travail, cher à beaucoup d’entre vous. Il s’agit d’un texte fort, à la charnière entre une forme de capitalisme qui, comme le disait Gérard Larcher hier matin, refuse l’anonymat, d’où l’idée d’une appropriation des fruits du travail et du management, et le capitalisme salarial. Les exemples de grands groupes dont les salariés sont actionnaires ne manquent pas – Essilor, Eiffage – avec toutes les conséquences que cela entraîne sur la stratégie de l’entreprise. Bref, nous sommes sur un texte à la fois culturel, social, philosophique et économique.

Je voudrais remercier le ministère des finances et le Premier ministre : aucun vrai changement n’aurait pu se faire sans l’accord solide sur les systèmes incitatifs qu’ils ont permis.

Les grandes modifications introduites par ce texte portent notamment sur l’amélioration du dialogue et sur l’intensité de la participation et de l’intéressement par les dividendes du travail – avec l’extension du périmètre des bénéficiaires. C’est le sujet des PME, la négociation de branche obligatoire…

S’agissant de la participation et de l’intéressement, le texte maintient – comme vous l’avez souhaité – les dispositifs qui fonctionnent, et « met le turbo » en permettant d’aller jusqu’à 15 000 euros, à deux conditions : cinq ans de blocage du plan d’épargne entreprise et la négociation d’entreprise. Vous réclamiez les actions gratuites, à condition qu’elles soient généralisées et transparentes : ce texte le permet. Elles sont offertes à tous dans les mêmes conditions et bloquées pendant cinq ans pour pouvoir en tirer une plus-value.

Pour les petites et moyennes entreprises, la négociation de branche est obligatoire. Le débat est connu. Oui, il faut renforcer ce dispositif. Faut-il pour autant aller jusqu’à une libéralisation totale ? Fallait-il rendre le processus obligatoire ? Fort des résultats de la concertation, le Gouvernement vous propose un dispositif à la fois fortement incitatif et simplifié, avec une négociation obligatoire au niveau de la branche, mais pas directement dans l’entreprise.

J’en viens à quelques sujets complémentaires, parmi lesquels la gouvernance. Nous souhaitons que dès lors que 3 % du capital est détenu par les salariés, ceux-ci puissent être représentés au conseil d’administration. Un sujet majeur était celui de la reprise de l’entreprise par ses salariés. Je suis heureux que le ministère des finances ait accepté – voire souhaité – que l’abattement fiscal par crédit d’impôt se fasse à due proportion du capital détenu par les salariés. C’est un outil dont nous avions absolument besoin. Quant à l’intéressement de projet, qui pourrait passer pour une innovation marginale, nous sommes convaincus que c’est une avancée majeure. Dépassant les règles traditionnelles des personnes morales, du droit social et du droit fiscal, il permettra en effet de définir des projets entre plusieurs personnes morales ou entre sous-groupes d’une personne morale déterminée. Il nous faudra être attentifs au suivi de l’ensemble des administrations ou organisations publiques ou parapubliques pour sécuriser les dispositifs de ce type et éviter toute tentation de contournement du droit.

Ce texte doit être le dernier pour une ou deux décennies : nous avons besoin de stabilité pour que chacun ait le temps de s’approprier le dispositif.

Je passe sur le débat concernant les rapports entre le capital et le travail, que vous connaissez bien. Je m’arrêterai en revanche sur l’attractivité de notre territoire et de nos entreprises. Cet ensemble de règles et de dispositifs nous permet d’aborder dans de bonne conditions la compétition sur le recrutement et les ressources humaines.

L’absence de polémique sur ce texte occulte sa grande importance. La France disposait déjà d’un des dispositifs de participation et d’actionnariat salarié les plus performants au monde. Avec ce texte, nous aurons probablement à n’en point douter le meilleur. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l’industrie Actionnariat salarié et participation sont des notions que notre pays a la chance de compter parmi celles qui font l'objet d'une forte convergence de l'ensemble des acteurs économiques et sociaux. Sur ces bases, le débat que nous engageons est l'aboutissement d'un long travail collectif et coopératif.

Nul ne doute que ce texte fasse consensus dans nombre de ses aspects : il a été conçu comme un moteur – un turbo, pour reprendre l’expression de Jean-Louis Borloo – de cohésion sociale et de dynamisme économique. Nous sommes en effet ici à la croisée de plusieurs aspirations profondes : récompenser le travail, réconcilier les Français avec l'entreprise, développer l'investissement en actions, stabiliser le capital de nos entreprises. Le processus de conception qui a permis d'aboutir à ce résultat est le reflet de cet objectif. Je salue donc tous ceux qui ont apporté leur contribution aux travaux dont ce projet de loi est le fruit.

L'esprit du projet est bien l'essentiel : outre les mesures juridiques et techniques que nous examinerons, c'est bien d'un état d'esprit nouveau que le texte se réclame, mais celui-ci est respectueux de la participation que le général de Gaulle a installée dans notre pays. Comme le dit le président Dubernard dans son rapport, « Le général de Gaulle est à l'origine d'un renouveau théorique et pratique de la participation, et il faudrait presque dire d'une nouvelle naissance de la participation ». Comme le dit le président Ollier, nous parlons ici d'un « projet de société ». Je salue donc le travail de Jean-Michel Dubernard et de Patrick Ollier.

Ce texte, nous l'avons tous abordé avec un état d'esprit résolument moderne, qui adapte et développe la notion de participation dans le cadre d’une économie désormais mondialisée. Je voudrais saluer les instigateurs de cet état d'esprit constructif : Jacques Godfrain et François Cornut-Gentille, dont le rapport fondateur a été le terreau de ce texte, et Patrick Ollier qui, comme cela a été rappelé en commission des affaires économiques, a été à l'origine du processus avec Jean-Pierre Raffarin. Je salue aussi le rapport de la commission des finances, et son rapporteur Alain Joyandet, qui a marqué son adhésion à notre démarche en se saisissant pour avis. Je remercie également Gilles Carrez, rapporteur général de cette commission, d'avoir animé l'amont de ce débat en organisant en juin dernier les rencontres de l'épargne salariale auxquelles j’ai eu l’honneur de participer.

Vos débats en commission témoignent de cet état d'esprit de convergence, comme les nombreux amendements communs entre la commission des affaires sociales et celle des affaires économiques.

Je voudrais à présent vous dire ce que j'ai voulu : que ce texte soit un véritable instrument de réussite économique et sociale pour notre pays. D'abord parce qu'épargner davantage dans le cadre de l'entreprise, c'est aussi un bon signal pour le pouvoir d'achat. Si participation n'est pas salaire – comme l’ont rappelé les réunions du Conseil supérieur de la participation –, la participation reste un élément de rémunération, même si elle est différée. Puisse son développement nous aider à dissiper le sentiment de baisse du pouvoir d'achat des Français, en dépit des chiffres qui montrent le contraire.

Permettez-moi d’être un peu didactique, afin d’éclairer par avance les positions que nous prendrons sur les amendements que vous proposez.

Nous visons en premier lieu à développer la participation et l’actionnariat salarié, outils puissants de la participation des salariés au fonctionnement de la vie économique. Nous souhaitons, en associant les salariés à la marche de l’entreprise, qu’ils deviennent décideurs dans l’entreprise,... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean Le Garrec - Alors là !

M. Thierry Breton, ministre - …ce qui sera le cas puisque les salariés actionnaires seront représentés au conseil d’administration de l’entreprise dès lors qu’ils détiendront plus de 3 % de son capital. C’est une mesure importante et, pour ma part, je me suis toujours félicité de la présence d’actionnaires salariés au sein des conseils d’administration que j’ai eu l’honneur de présider…

M. Jean Le Garrec - Je suis à l’origine de la disposition, et je ne pense vraiment pas que nous ayons de leçons à recevoir à ce sujet !

M. Thierry Breton, ministre Les représentants des salariés actionnaires seront des administrateurs à part entière. Ce sera un moyen de rapprocher les Français des entreprises. Avec ce projet, nous sommes dans le droit fil de l’objectif fixé par le Président de la République lors de son allocution du 14 juillet, renforcer la motivation des salariés et accroître la richesse pour tous. Notre ambition est bien de modifier les comportements, ceux des employeurs comme ceux des salariés, et donc le fonctionnement des entreprises. Nous souhaitons par conséquent que les montants mobilisés dans le cadre de la participation augmentent. Pour susciter cette dynamique nouvelle, le texte propose une mesure novatrice, consistant à accorder un avantage fiscal important aux entreprises qui distribuent des actions gratuites à tous leurs salariés. Outre que ce nouveau mécanisme permettra une diffusion rapide et large de l'actionnariat salarié, c'est aussi une mesure de justice sociale.

D’autre part, les dispositifs existants sont complexes. Aussi nous sommes-nous attachés à les simplifier tout en sécurisant le plus possible l'épargne des salariés. Nous encourageons ainsi le recours plus systématique au plan d’épargne entreprise – PEE –, et nous donnons aux fonds communs de placement entreprise – FCPE – la possibilité de conclure des pactes d'actionnaires pour rendre les placements en actions plus liquides dans les entreprises non cotées.

Nous ne pouvons par ailleurs perdre de vue que nos entreprises oeuvrent dans un contexte international. Or, le développement de l'actionnariat salarié peut, en soi, contribuer à stabiliser leur capital, puisque l’épargne salariale est investie pour 51,6 %, soit près de 40 milliards, en actions. Mais nous devons aussi tirer les conséquences du fait que nos grands groupes ont certes des salariés en France, mais aussi dans de nombreux autres pays. Le texte propose donc d'atténuer les différences de traitement en matière d'actionnariat salarié, différences qui empêchent aujourd'hui les groupes d'attribuer des actions de manière homogène à leurs salariés selon qu’ils travaillent en France ou à l'étranger.

Ce projet doit évidemment être pleinement cohérent avec la politique économique globale dont je suis responsable au sein du Gouvernement. Vous le savez, je ne suis pas favorable à « l'épargne pour l'épargne ». Je considère que la France n’a pas besoin de plus d'épargne, mais d’une meilleure épargne, et je souhaite donc rendre l’épargne plus productive en la réorientant pour en renforcer le contenu en actions. J'y ai déjà travaillé par des mesures facilitant la transformation des contrats d'assurance vie en euros en contrats davantage investis en actions, et je remercie M. Jean-Michel Fourgous de la part qu’il a prise à ces travaux. Dans le même esprit, j’ai décidé l'exonération des plus-values d'actions à partir de la sixième année de détention et la fiscalisation des plans d'épargne logement de plus de douze ans.

Le présent projet est en parfaite cohérence avec cette politique. En particulier, je me félicite que la concertation au sein du Conseil supérieur de la participation ait permis de maintenir la règle du blocage de l'épargne pendant cinq ans, s’agissant des PEE.

Quelques autres points seront abordés au cours de vos débats, et notamment celui des stock-options. La responsabilité des chefs d'entreprise est globale, puisqu’ils ont des obligations envers leurs clients, leurs salariés et leurs actionnaires. Seuls la transparence, le contrôle et une bonne régulation permettent de garantir cet équilibre. Aujourd'hui, les dispositions juridiques pour cela existent : c'est la loi sur la confiance et la modernisation de l'économie, que vous avez votée sur ma proposition à l'été 2005. Nous devons veiller à les utiliser pleinement, car le prix de la liberté de tous, c'est la pleine responsabilité de chacun…

M. Alain Vidalies - …et les bénéfices pour quelques-uns !

M. Thierry Breton, ministre - Le Président de la République m'a demandé de réfléchir à ces questions, en concertation avec les parties prenantes, et M. Édouard Balladur a pris l’initiative de déposer une proposition à laquelle j’adhère. Il faut en premier lieu renforcer le rôle de l’autorité des marchés financiers. Ensuite, on peut effectivement conduire les détenteurs de stocks-options, en particulier les dirigeants, à conserver tout au long de leur carrière une part des actions ainsi acquises. Enfin, il faut renforcer le rôle et la responsabilité des conseils d'administration, qui auront donc à se prononcer sur cette question.

Ces mesures seront débattues en détail, avec l’objectif d’éviter de créer des conditions propices à ce que certains ressentent comme des abus…

M. Alain Vidalies – Il n’y a aucun sentiment là-dedans ! Il y a bel et bien eu des abus !

M. Thierry Breton, ministre - Ainsi, il me paraît indispensable que les actions gratuites détenues uniquement par les dirigeants soient traitées comme le seront les stocks-options, puisque leur attribution est en plein développement, et qu’elles sont en passe de se substituer aux stock-options – ce qui est très bien, mais le souci de cohérence et d’équité doit nous faire éviter pour cet instrument les écueils observés pour les stocks-options. Je vous proposerai au cours du débat des dispositions en ce sens.

Ce débat se déroulera en même temps que le débat sur Gaz de France au Sénat. Aussi Mme Christine Lagarde me remplacera-t-elle auprès de vous à certaines étapes de vos travaux, mais soyez sûrs que si je m’attacherai à participer à ceux-ci autant qu’il me sera possible ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – La parole est à M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes.

M. Jean Le Garrec - Il n’a pas le travail le plus facile, mais il ne manque pas de talent !

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes Depuis soixante ans, notre pays a choisi une voie spécifique, à la croisée du gaullisme, de l’utopie socialiste, du christianisme social et de l’application des principes de Turgot relatifs à la nécessité d’associer les travailleurs à la marche de la fabrique. Ce que nous proposons aujourd’hui, dans la continuité de ce qui a été entrepris, est un mécanisme adapté à une société qui compte 16 millions de salariés dans le secteur privé et qui, confrontée à la mondialisation, doit moderniser sa fonction publique.

Les relations sociales qui prévalent actuellement dans l'entreprise témoignent des mutations du capitalisme. La nouvelle organisation de la production a estompé les cadres traditionnels. La mondialisation et l’ouverture des marchés financiers ne permettent plus aux salariés d’identifier clairement les propriétaires des entreprises et à la figure du patron s’est substituée celle, abstraite et lointaine, car sans réalité humaine perceptible de l’actionnaire. Le capital est devenu la propriété de grands fonds, qui ne donnent pas une cohérence globale au projet commun, et c'est parfois la logique financière qui semble avoir pris le dessus. Entendons-nous bien, je ne juge pas cette transformation. À mes yeux, c'est la preuve que notre économie est dynamique. La mondialisation nous invite à moderniser notre organisation pour l'améliorer, mais aussi à en maîtriser les effets sur la cohésion sociale. Ces évolutions déstabilisent en effet les salariés, qui perdent les repères du projet collectif vers lequel ils tendent. Cela pose de nouvelles questions, auxquelles nous devons répondre dans le respect des déterminants de la compétitivité.

La finalité de la participation est bien de créer ou de recréer des liens entre ceux qui détiennent l'entreprise et ceux qui y travaillent. Aujourd'hui comme hier, la production est une aventure collective. La participation, et c'est en cela qu'elle est d'actualité, est un outil pour construire et pour dépasser les nouvelles tensions qui existent entre les actionnaires, les gestionnaires et les salariés. Le projet tend donc à permettre une meilleure participation de ces derniers aux résultats de leur entreprise et à démocratiser l’accès aux mécanismes de la participation.

Le pouvoir d'achat des salariés, désormais, c'est plus que le salaire, mais il n’est pas question de substituer la participation au mécanisme de négociation salariale, et le comité de suivi sera d’ailleurs installé sous peu, pour dissiper toute confusion.

Le dividende du travail et l’intéressement de projet constituent deux outils nouveaux permettant à l’entreprise de partager avec les salariés des bénéfices exceptionnels. Alors que la concurrence internationale est intense, nombre d’entreprises françaises ont su prendre le tournant de la globalisation mais, malheureusement, elles ne disposaient pas d'outils pour les partager. Aujourd'hui, tout en préservant la compétitivité, nous faisons en sorte que ces bénéfices irriguent les entreprises et profitent à tous.

C’est la totalité et non seulement la moitié des salariés qui, à terme, doivent pouvoir bénéficier de la participation. Cette démocratisation est plus qu'un objectif, c'est une nécessité. Il faut en outre que les salariés soient parties prenantes des choix stratégiques. Les PME dont la vitalité est si essentielle à notre tissu économique doivent évidemment participer de cette démarche. Parce qu’elles ont besoin de clarté et de lisibilité, parce qu’elles ne peuvent pas supporter les mêmes contraintes que les grands groupes, nous avançons de façon pragmatique en prenant en compte leur situation spécifique, mais également en se préoccupant de la sécurisation des accords. Le projet simplifie donc les mécanismes accumulés depuis quarante ans pour faire de la participation un dispositif immédiatement opérationnel. Il demande aux branches professionnelles de conclure d'ici à trois ans des accords types que les petites entreprises pourront transposer afin d'instaurer en leur sein un régime de participation dont le Conseil supérieur de la participation assurera le suivi. Il contribue également à développer le lien et le dialogue social. La façon dont le Gouvernement l’a élaboré constitue peut-être en elle-même un prototype des nouvelles méthodes de dialogue social : une initiative de M. Raffarin devant le Conseil économique et social, une mission confiée à deux parlementaires – MM. Godfrain et Cornut-Gentille – un Conseil supérieur de la participation qui se voit proposer un véritable avant-projet et, à terme, non un consensus mou mais une démarche partagée. Ce texte…

M. le Président de la commission - Excellent.

M. Gérard Larcher, ministre délégué - …comprend d’importants dispositifs mais, au-delà, doit être conçu un appel à conjuguer les exigences de la mondialisation avec la nécessaire cohésion entrepreneuriale et sociale. Tel est le défi de la participation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Michel Dubernard, président et rapporteur de la commission des affaires culturelles Vous l’avez dit, Messieurs les ministres : ce texte doit être une étape politique essentielle pour les salariés et pour les entreprises. Le général de Gaulle aimait dire que la participation serait la « clef de voûte » de la société de demain. Grâce au concours de personnalités comme René Capitant, Marcel Loichot ou Louis Vallon, il proposa au peuple français une réforme prophétique quand le monde industrialisé se contentait de reproduire les vieilles formules libérales ou keynésiennes.

M. Maxime Gremetz - Vous voyez ! Il est antilibéral !

M. le Rapporteur  Je parle du général de Gaulle.

Son projet d'association entre le capital et le travail avait un objectif essentiel : assurer la dignité de l'homme au travail. C'est pourquoi la participation ne pouvait à ses yeux qu’être triple : participation aux résultats, au capital, à la gestion de l'entreprise. Participer à la gestion, qu'est-ce à dire ? Certains, toujours excessifs, agitent l'épouvantail de la cogestion…

M. Maxime Gremetz - Mais elle existe en Allemagne !

M. Jean Le Garrec - L’autogestion !

M. le Rapporteur - D'autres évoquent le management participatif ou la consultation participative. Je retiens quant à moi l'idée de concertation. « Se concerter », selon le Petit Larousse, c’est s'entendre pour agir ensemble. L'ambition gaullienne s'est concrétisée de manière progressive à partir de 1959 pour aboutir à l'intéressement aux résultats, à ce que l'on qualifia ensuite de « participation » aux bénéfices, à l'actionnariat salarié puis, enfin, à la gouvernance d'entreprise. Mais notre pays n'a pas su faire fructifier cet héritage qui heurtait trop de conservatismes, à droite comme à gauche. Ses mécanismes financiers se sont lentement développés mais ses aspects plus humains et novateurs ont été pour l'essentiel oubliés. La France est donc passée à côté de la véritable dimension politique du projet du général de Gaulle, un projet qui, aujourd'hui encore, demeure pour beaucoup l'alternative moderne « au dirigisme qui ne dirige rien et au libéralisme qui ne libère personne ». La famille de pensée à laquelle j'appartiens a toujours eu des préventions à l’encontre du dirigisme économique. Pour autant, elle s'est toujours défiée de l'ultralibéralisme et de ce que Joseph Stiglitz appelle aujourd'hui, le « fanatisme du marché ».

M. Maxime Gremetz - Voilà !

M. le Rapporteur - À mes yeux, l'équilibre entre exigences économiques et attentes sociales est au cœur de l'identité française. Aujourd'hui, l'internationalisation du capital et la globalisation financière peuvent conduire à un divorce entre entreprises et territoires, entreprises et salariés et, parfois, entre actionnaires et salariés. Dans un pays où l'insuffisance relative de dialogue social…

M. Alain Vidalies - Parlons-en !

M. le Rapporteur - …et un certain archaïsme des postures prévalent, la participation reste le projet politique susceptible de répondre aux défis de notre époque : faire comprendre aux salariés les incertitudes des marchés dans une situation de concurrence mondiale accrue ; reconnaître que leurs efforts sont indispensables au succès ; leur permettre d'épargner pour gérer les aléas de leur parcours professionnel ou pour sécuriser leur retraite ; retrouver une certaine indépendance industrielle grâce à la reconquête de nos fonds propres avec l'épargne salariale.

Si nous savons partir « à la recherche de la participation perdue », si nous savons donner à la concertation au sein de l'entreprise sa pleine mesure, cette réforme permettra de faire prévaloir enfin la culture du réformisme social contre celle de la protestation, encore trop prégnante. À gauche, Jean Auroux en convient lorsqu'il déclare que nous devons « quitter une société de conflits pour aller vers une société de contrats ». Selon lui, dans une société qui se transforme de façon considérable et très rapidement dans tous les domaines, notre salut ne peut venir que de notre capacité à dialoguer, c'est-à-dire à partager nos connaissances et à déboucher sur des compromis. Dans la majorité, François Cornut-Gentille et Jacques Godfrain ne disent pas autre chose lorsque, dans leur rapport, ils insistent sur « la double dimension de la participation » – sociale et financière – et lorsqu'ils reprennent l'une des principales conclusions d'une mission parlementaire sur la participation menée en 1993 : « Le partage de l’avoir – participation financière – passe par le partage du savoir et, selon des formes respectueuses de l'unité de décision, par un certain partage du pouvoir ». L'objectif fondamental de la participation est d'aller vers une pacification sociale, facteur de compétitivité. Dans une économie mondialisée, l'entreprise ne peut plus se permettre d'être, pour reprendre les mots de Jean Auroux, « le lieu du bruit des machines et du silence des hommes ». La commission souhaite que ce texte et ce débat soient l'occasion de garder vivante cette intuition, de rappeler qu'à la participation financière et économique s'ajoute la concertation. Bref, il n'y a pas une, mais des participations.

Le projet obéit à cet esprit dans ses deux premiers titres, entièrement consacrés au développement de la participation des salariés et de l'actionnariat salarié. Parce qu'aujourd'hui, dans notre pays, la participation ne concerne qu’environ la moitié des salariés du secteur privé, le projet vise à favoriser son développement. L'objectif est de permettre à tous d’y accéder, en particulier à ceux qui travaillent dans des sociétés non cotées ou de petite taille. Ainsi, le texte tend à assurer un meilleur partage des profits entre tous les salariés, en particulier par l'établissement d'un « dividende du travail », forme de supplément de participation et d’intéressement. Il vise également à mobiliser au mieux l'épargne salariale au profit des entreprises en favorisant le développement des différents plans d'épargne. Il tend aussi à développer l'actionnariat salarié, en particulier en ouvrant la possibilité de placer des actions gratuites dans les plans d'épargne d'entreprise ou en facilitant la reprise d'entreprises. La commission des affaires sociales, en cohésion étroite avec la commission des affaires économiques, a adopté de nombreux amendements tendant à simplifier les dispositifs de participation financière, pour une plus grande cohérence et une plus grande clarté de la législation. Elle a également œuvré au renforcement de la formation des salariés en matière d'épargne salariale, en créant un crédit d'impôt au profit des petites entreprises organisant pour leurs salariés des formations à la vie économique et aux dispositifs d'épargne salariale, et en insérant dans le champ de la formation professionnelle de droit commun les actions de formation à l'épargne salariale.

Le projet – cet effort doit être salué, même s’il reste timide – s'engage aussi sur la voie du développement de la concertation en renforçant l'association des salariés à la vie de l'entreprise, que ce soit par l'instauration d'un « intéressement de projet », par la généralisation des comités de suivi des accords d'intéressement ou encore par le recours à la négociation de branche afin d’encourager la diffusion de la participation dans les PME. La commission des affaires culturelles s'est efforcée d’accentuer encore cette dimension sociale au cours de ses travaux. À cet effet, elle a complété le titre premier d'un nouveau chapitre destiné à « favoriser la concertation dans l'entreprise ». Il est certes très difficile d'arriver à rédiger un texte valable pour toutes les entreprises mais nous avons adopté plusieurs amendements tendant à faire en sorte que les organisations syndicales et patronales contribuent à ce grand dessein qu'est la participation. Celles-ci devraient s'approprier pleinement les mécanismes participatifs dont le succès leur doit beaucoup, et qui n'ont d'autre ambition que de les placer au cœur de la réflexion économique.

Cette invitation ne se limite pas aux organisations du secteur marchand. La fonction publique étant la grande absente de ce texte, nous avons souhaité l’y réintégrer – fût-ce de manière symbolique. L'intéressement est en effet une piste précieuse si nous souhaitons donner un nouvel élan à la modernisation de « l'État » et faire en sorte que l'administration et les services publics passent plus rapidement d'une logique de moyens à une logique de résultats.

Une dimension complémentaire est ajoutée au texte avec les titres III et IV, qui comprennent des mesures intéressantes mais dont l'accumulation nuit à la lisibilité du texte. Aussi la commission a-t-elle préféré supprimer plusieurs d'entre elles, dès lors que ces dernières pouvaient s'intégrer dans un autre texte législatif, PLFSS, PLF ou autre. Elle a en revanche accepté les mesures ajoutées par le Gouvernement dans sa lettre rectificative : la création d'un « chèque transport » et l'abrogation de l'interdiction, pour les sociétés anonymes sportives, de faire appel public à l'épargne.

L'intérêt de l'économie française est de se diriger vers un nouveau mode d'organisation de l'entreprise dans lequel, comme le disait le général de Gaulle, chacun « participe activement à son propre destin ». Nous aurons besoin demain d'être relayés par les organisations professionnelles. J’espère que nous saurons enfin créer avec elles les outils propres au développement et à la transmission de cet héritage politique français qu'est la participation. La concertation doit s’inscrire parmi les données de base de l'économie française.

Une entreprise difficile ? Nul n'en doute. Pourtant, tirant les enseignements de son échec, le général de Gaulle nous invitait encore et toujours à l’optimisme dans ses Mémoires d’espoir. Son projet, disait-il, avait dressé contre lui « l’opposition déterminée de toutes les féodalités, économiques, sociales, politiques, journalistiques, qu’elles soient marxistes, libérales ou immobilistes ». Il n’en demeurait pas moins convaincu que , « par delà les épreuves, les délais, les tombeaux, ce qui est légitime peut, un jour, être légalisé, que ce qui est raisonnable peut finir par avoir raison ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques - Il y a plus d’un an, lorsque je proposai d’instaurer un dividende du travail, le Premier ministre d’alors, M. Raffarin, s’y déclara favorable et M. Borloo se déclara décidé à le mettre en œuvre. Dès lors, je ne peux que me réjouir de ce projet, qui fait avancer l’idée de participation – étant entendu qu’au-delà de dispositions techniques, c’est à un véritable projet de société que nous sommes appelés à travailler.

Car, dans l’esprit du général de Gaulle, la participation n'a jamais été un instrument comptable ni une règle arithmétique de distribution des bénéfices, mais bien une ambition de société : l'ambition de modifier profondément les rapports sociaux au sein de l'entreprise, dans le cadre de l'association capital–travail, afin de faire en sorte que les hommes de l’entreprise deviennent des partenaires.

La participation vise à transcender les réflexes de classes, non pour acheter la paix sociale par une association en trompe l'œil, mais pour favoriser le succès des projets économiques en reconnaissant, à sa juste valeur, la contribution de chacun. Il s'agit, comme le disait le général de Gaulle dans ses Mémoires d'espoir, « d'une brèche ouverte dans le mur qui sépare les classes ». La lutte des classes a certes évolué, mais certains réflexes conservateurs sont toujours là (Rires sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) et on les observe plutôt à gauche !

Nous engager résolument dans cette troisième voie qu'est la participation, entre le libéralisme sauvage et le collectivisme, voilà notre ambition !

La première mise en œuvre de ce « dessein visionnaire », au cœur dès 1946 du projet du Rassemblement du peuple français, s’opéra avec l'ordonnance du 7 janvier 1959. René Capitant, Marcel Loichot et Louis Vallon firent ensuite progresser cette grande idée. Un certain nombre de réformes suivirent, je pense notamment aux ordonnances du 17 août 1967, à la loi du 27 décembre 1973, aux ordonnances d’octobre 1986, à la loi du 25 juillet 1994, qui fut votée dans le prolongement du rapport de M. Jacques Godfrain et qui comprenait un volet « participation aux décisions », ce qui était un vrai progrès. Plus récemment, on peut citer la disposition introduite, à l'initiative d'Édouard Balladur, dans la loi de finances pour 2005, et les mesures prises dans le cadre de la loi du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l'économie.

Si l'ensemble de ces initiatives a permis de développer et d’adapter les mécanismes participatifs, force est cependant de constater qu'un long chemin reste à parcourir pour faire de la participation un vrai projet de société ! Face aux conservatismes de toutes sensibilités, nous n'avons pas su faire aboutir cette grande ambition, qui implique de grands changements de mentalité et de comportement et que l’on peut donc qualifier, comme le faisait déjà le général de Gaulle, de révolutionnaire. Cette ambition peut et doit être portée par notre majorité, qui fera ainsi la démonstration que le progrès social est aujourd’hui de son côté !

Il convient de distinguer trois dimensions. La participation financière consiste à reconnaître la contribution des salariés aux résultats de leur entreprise La participation au capital consacre, avec l’actionnariat salarié, la responsabilité de ceux qui se sentiront ainsi un peu propriétaires de leur outil de travail. La participation à la gestion de l'entreprise fait du salarié, au lieu d’un simple exécutant, un authentique partenaire.

La participation est un projet d'émancipation, un projet visionnaire et porteur d'espoir, qui récuse, selon le mot du général de Gaulle, « le dirigisme qui ne dirige rien et le libéralisme qui ne libère personne » !

Le texte qui nous est soumis comporte bon nombre de dispositions très positives, je pense en particulier à la possibilité pour les entreprises de verser un supplément d'intéressement ou de participation et aux mesures destinées à encourager la distribution d'actions gratuites ou la reprise d'entreprise par les salariés. De même, on ne peut que se féliciter de la création d'un intéressement de projet ainsi que des dispositions qui tendent à favoriser les accords de participation dans les PME.

Pour positives que soient ces mesures, il faut cependant aller plus loin, sans quoi nous n'éviterons pas l'écueil auquel se sont heurtées jusqu'à présent toutes les initiatives en faveur de la participation : elles étaient enfermées dans une conception exclusivement technique et financière. « C'est l'association contractuelle et réelle que nous voulons établir et non pas ses succédanés, primes de productivité, actionnariat ouvrier, intéressement aux bénéfices, par quoi certains, qui se croient habiles, essaient de la détourner », déclarait en 1950 le général de Gaulle !

C'est tout l'objet des amendements que nous proposons, M. Dubernard et moi, au nom de nos commissions respectives, qui ont mené les auditions en commun et déposé les mêmes amendements afin de mieux convaincre le Gouvernement d’aller plus loin. Nous voulons rendre à la participation sa véritable dimension de projet de société, en donnant corps au concept de « dividende du travail ». Il s'agit de reconnaître qu'au-delà de la légitime rémunération du capital par le dividende et de la rémunération non moins légitime du travail par le salaire, les surplus de richesse dégagés grâce à l'action commune des deux peuvent être, à due proportion, répartis entre le capital et les salariés. Notre volonté est de faire tomber les murs qui séparent encore, à cause des mots, le capital et le travail. Pour concrétiser cette volonté, les mots ont autant de force que les actes. Le dividende du travail est un moyen de confirmer l'association capital–travail que nous voulons promouvoir.

Je sais que cela peut choquer, que les syndicats sont contre et que l’on réagit toujours, dans certaines instances, selon des critères hérités du passé. Je voudrais que nous arrivions ensemble à dépasser ces critères et à faire table rase d’oppositions qui ont produit et qui produisent encore des situations conflictuelles, alors qu’au sein des entreprises, les forces et les individus ont naturellement vocation à être partenaires plutôt qu’adversaires. La promotion des dividendes du travail vise à interpeller la conscience collective, à mobiliser ceux qui veulent faire progresser la grande cause de la participation…

M. Jean-Louis Borloo, ministre – Bravo !

M. le Rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques - Il n’est que temps de faire progresser la participation dans tous les secteurs de notre économie. Et pour mettre en conformité nos actes avec nos idées, il convient que toutes les entreprises, y compris les plus petites, puissent choisir l’un des quatre instruments de participation. J’ai compris que l’incitation était sans doute préférable à toute formule obligatoire…

M. Maxime Gremetz - Vous avez tort !

M. le Rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques - Mais il faut inciter toutes les branches à venir à la participation. Au risque de choquer certains, je ne vois d’ailleurs pas ce qui peut justifier que les agents des trois fonctions publiques et des entreprises nationales en soient exclus…

M. Maxime Gremetz - Cela va de soi : l’État devrait montrer l’exemple !

M. le Rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques - En vue de donner plus de force au texte, je souhaiterais que soit aussi étudiée la possibilité d’élire les représentants des salariés actionnaires au conseil d’administration. Il faut aller au bout de la logique. On ne peut pas vouloir une chose et son contraire !

M. Thierry Breton, ministre Nous en reparlerons.

M. le Rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques - Enfin, il est choquant que tous les dispositifs relatifs à la formation et à l’information que nous avons mis en place ne concernent pas les actionnaires salariés.

Aujourd’hui, 8 millions de salariés restent exclus des mécanismes de participation et d’intéressement. Il faut donc, n’en déplaise aux conservateurs de tout bord, faire bouger les lignes et aller de l’avant. Et c’est bien ce que l’UMP propose. Le parti du progrès, aujourd’hui, c’est nous, et les conservateurs, ce sont les socialistes et les communistes !

M. Alain Vidalies - Sans doute est-ce la note humoristique de votre discours ?

M. le Rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques - Entre le capitalisme sauvage et ce qu’il faut bien appeler encore le collectivisme, il y a le beau modèle de la gestion participative, dont Serge Dassault est un ardent promoteur…

M. Alain Vidalies - Quel exemple !

M. Maxime Gremetz - Parlez-nous plutôt de Marcel !

M. le Rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques - Oh ! M. Serge Dassault n’a de leçon à recevoir de personne et, au Sénat, il défendra plusieurs propositions très novatrices.

Alors que les Français sont demandeurs de projets mobilisateurs et de réponses concrètes, la participation et l’actionnariat salarié offrent d’indéniables perspectives de progrès. Ils peuvent contribuer à la relance du pouvoir d’achat, participer du patriotisme économique et concourir à la lutte contre les prises de contrôle hostiles de nos entreprises. Répondant aux vœux de nos concitoyens, ils représentent une belle occasion de partager les fruits de la croissance. Saisissons la chance qui nous est donnée de faire preuve d’audace et d’imagination et faisons, ensemble, aboutir ce beau projet ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – La parole est à M. Joyandet.

M. Alain Vidalies - Trois ministres, trois rapporteurs ! Et l’opposition ?

M. Joyandet, rapporteur pour avis de la commission des finances Je m’en voudrais d’être le seul à ne pas citer de Gaulle… (Sourires) et je crois me souvenir qu’il déclarait qu’entre le collectivisme et le libéralisme, il y avait la voie médiane de la participation.

La commission des finances n’étant saisie que d’une petite partie du texte, je m’en tiendrai à quelques considérations, d’abord pour me réjouir que ce projet soit l’aboutissement d’une longue concertation. Le Conseil supérieur de la participation a beaucoup travaillé,…

M. Maxime Gremetz - Nous serions curieux de connaître son avis sur le texte.

M. le Rapporteur pour avis de la commission des finances - …de même que nos collègues Godfrain et Cornut-Gentille, dans le cadre de leur rapport au Premier ministre.

Bien entendu, la commission des finances salue l’augmentation évidente du périmètre de la participation et se félicite de la possibilité offerte aux salariés de bénéficier de distributions d’actions gratuites, sous réserve que le dispositif s’adresse au plus grand nombre et que les conditions de durée trop restrictives soient levées. L’idée d’intéressement autour de projets ne nous semble pas, Monsieur Borloo, « burlesque », non plus que celle d’étendre les possibilités de reprise des entreprises par leurs salariés.

Puisque le temps me manque pour commenter l’ensemble du texte, je voudrais concentrer mon propos sur le manque criant de ce texte : alors que 8 millions de salariés bénéficient de la participation, au moins 6 millions en restent exclus. Comment le justifier ? L’an dernier, nous sommes une soixantaine de parlementaires à nous être saisis de cette question, nos travaux ayant abouti au dépôt d’une proposition de loi visant à instituer une prime de partage des profits des PME. Dès lors, vous ne serez pas étonnés que nous tendions à réintroduire plusieurs dispositions de cette proposition de loi dans le présent texte.

Entendons-nous : si plus de 6 millions de salariés demeurent privés de tout mécanisme de participation ou d’intéressement, ce n’est pas parce qu’ils ne le souhaitent pas ou parce que les entreprises n’ont pas envie de partager ! L’obstacle majeur à la diffusion de la participation, c’est la complexité des dispositifs existants : blocage pendant cinq ans, engagement pluriannuel, mesures excessivement compliquées… Tout semble parfois fait pour dissuader le salarié de s’engager !

Il ne faut pas attendre de progrès significatifs si les dispositions concernant les entreprises de moins de cinquante salariés n’évoluent pas fortement. Dans cinq ou dix ans, l’on se réjouira peut-être que le taux de personnes concernées ait progressé de 10 ou 15 %, mais le plus grand nombre demeurera privé de toute possibilité…

M. Jean-Jacques Descamps - Tout dépend du niveau de salaire !

M. le Rapporteur pour avis de la commission des finances – Tous ceux qui se sont penchés sur la question sont absolument convaincus de la nécessité de simplifier le système. À cette fin, la commission des finances propose, pour les entreprises de moins de cinquante salaréis, un dispositif souple et facultatif…

M. Maxime Gremetz - Tiens donc !

M. le Rapporteur pour avis de la commission des finances – …tendant à bénéficier aux salariés sans alourdir les charges de l’entreprise.

Mme Christine Boutin - Bravo !

M. le Rapporteur pour avis de la commission des finances – Nous y reviendrons lors de l’examen de l’article 6. Dans l’espoir de convaincre le Gouvernement, je tiens à sa disposition un très récent communiqué de presse de la chambre de commerce et d’industrie de Paris – que m’a signalé notre collègue Michel Raison – duquel il ressort que les patrons de PME ne sont pas du tout hostiles à l’extension de la participation, sous réserve que l’on ne procède pas par simple transposition de mécanismes conçus pour des grands groupes et reposant sur des formules de calcul illisibles. Cette CCI plaide pour des méthodes souples, incitatives et non obligatoires. Pour autant, lorsque les situations sont compliquées, il ne faut pas hésiter à prévoir des mesures élaborées et l’objectif à ne pas perdre de vue, c’est qu’à moyen terme, la part de salariés ne bénéficiant d’aucun système d’intéressement ou de participation soit très sensiblement réduite.

L’UMP ne souhaite pas donner plus à ceux qui ont déjà, mais quelque chose à ceux qui n’ont rien – quitte à le prendre aux autres. La participation doit être ouverte à tous, afin de réconcilier avec le profit les salariés des petites entreprises, encore trop souvent étrangers au discours économique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Maxime Gremetz – Rappel au Règlement. J’ai posé en vain plusieurs questions : un éclaircissement s’impose pour la bonne tenue de notre débat. MM. les ministres et les rapporteurs ont plusieurs fois évoqué la composition du Conseil supérieur de la participation, présenté comme un indispensable outil de concertation. Je la croyais paritaire – organisations syndicales et patronales, élus de droite et de gauche… Il n’en est rien : les représentants de l'Assemblée nationale sont M. Godfrain et l’ultralibéral M. Novelli ; ceux du Sénat Mme Debré et M. Jégou, pas plus de gauche que les précédents. Un cheval, une alouette ! Les cinq principaux syndicats sont certes représentés, mais le Medef a cinq représentants à lui seul ! Faisons les comptes…

M. le Rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques – À quoi tout cela rime-t-il ? Nous n’avons pas encore commencé le débat !

M. le Rapporteur - Ce n’est pas un rappel au Règlement !

M. Maxime Gremetz - Si : j’aime que l’on débatte dans la clarté, Messieurs les présidents ! Ajoutons à cette liste M. Jean Gautier, du Conseil économique et social, MM. Bruno Catelin et Jean-Claude Mothie, représentants d’associations de salariés actionnaires, et M. Paul Maillard, représentant d’une association œuvrant pour la promotion de la participation – tous gens de droite. Voilà donc la composition de cette haute autorité avec laquelle vous avez tant discuté ! Ne vous étonnez pas que l’ensemble des syndicats soit en désaccord avec votre projet !

M. Jacques Godfrain - Rappel au Règlement. Le Conseil supérieur de la participation, Monsieur Gremetz, procède de la loi votée par l'Assemblée nationale, et nous la respectons. D’autre part, vous envisagez les institutions de la République en termes de conflit. Votre frustration naît-elle du fait que vous concevez partout des antagonismes ? Je regrette que vous ne preniez pas plus souvent connaissance des procès-verbaux du Conseil supérieur de la participation : vous y découvririez l’apport considérable de l’ensemble de ses membres. Ainsi, il y a quelques mois, alors que la France, divisée par le CPE, était en proie à un grave conflit social, il se réunissait au complet pour travailler sur le présent texte dans une sérénité sur laquelle se sont brisées toutes les influences extérieures – dont vous êtes. Même, la qualité des discussions que nous y avons eues, notamment avec les syndicats, a fait évoluer certaines de mes propres idées. N’essayez pas de détruire ce qui fonctionne bien, comme à votre habitude : le Conseil supérieur mérite qu’on lui rende hommage pour la pierre qu’il a apportée à l’édifice ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

exception d’irrecevabilité

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Jean Le Garrec - Le collègue qui devait défendre cette motion étant empêché, je me vois obligé de le suppléer au pied levé. Qu’à cela ne tienne : l’improvisation donnera peut-être plus de force et de sincérité à mon propos.

Vos discours sur la participation, Messieurs les ministres et rapporteurs, étaient beaux comme l’antique. À vous écouter, je me suis même abandonné à rêver d’un monde idéal où tout coulerait de source. Je reconnais au moins un mérite à M. Larcher, mais il en a sûrement d’autres…

Mme Christine Boutin - Il en a beaucoup !

M. Jean Le Garrec - …Il a consenti l’indispensable effort de conceptualiser l’évolution de l’entreprise et du capitalisme. En revanche, Monsieur Ollier, comment pouvez-vous assimiler la lutte des classes à un réflexe conservateur ? Heureusement que ces luttes sociales ont lieu !

M. le Rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques – Conservateur aujourd’hui !

M. Jean Le Garrec - Vous savez bien que les luttes prennent des formes différentes selon les époques, mais conservent toujours un sens et nourrissent le débat social : votre mot était donc déplacé. Existe-t-il un seul projet social qui ne s’appuie sur ces luttes ?

M. le Rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques – La participation…

M. Jean Le Garrec – Ou peut-être le monde cruel de l’entreprise a-t-il fait place à celui, parfait, d’un film de Walt Disney ?

Votre texte est fourre-tout, souvent contradictoire, et ne répond pas au projet de responsabilisation et de droits nouveaux des salariés.

M. Alain Vidalies - Très bien !

M. Jean Le Garrec – Tout d’abord, M. Ollier regrettait lui-même en commission qu’il ne dépasse pas le simple cadre de dispositions techniques et jugeait avec inquiétude que le projet social initial se noierait dans un vaste melting-pot, tant sont nombreux les domaines abordés, du chèque-transport à l’ouverture de clubs de football à la capitalisation boursière – à ce sujet, les joueurs auront-ils droit à des actions gratuites en fonction de leur nombre de buts ou de passes décisives ?

M. Alain Vidalies - Et de coups de boule ?

M. Jean Le Garrec - Vous prétendez que la participation surmonte le clivage entre salariés et dirigeants – j’y reviendrai. Cependant, vous avez raison de regretter – mais vous êtes seul à le faire – que l’on ne considère pas la participation financière seulement pour ce qu’elle est, c’est-à-dire un simple élément du concept général de participation. Il y a donc bien quelque chose qui vous gêne dans ce fourre-tout ! Un projet de société comportant une si grande variété de mesures donne une image pour le moins confuse de vos intentions… À moins que le Gouvernement ne vous ait pas du tout écouté, ce qui arrive souvent…

M. le Rapporteur - La commission des affaires sociales a supprimé quinze articles du texte initial !

M. Jean Le Garrec - Peut-être, mais j’ai tout de même le sentiment que l’on vous fait plaisir pour mieux faire passer un arsenal de dispositions opportunistes.

D’autre part, comment expliquer la contradiction qui existe entre certains articles et la hiérarchie des normes de notre droit du travail ? C’est du jamais vu, pour un texte qui prétend défendre un projet de société ! D’ailleurs, vous l’avez dit : pour la première fois, la commission a dû supprimer quinze articles. C’est tout de même curieux ! Où est la négociation ? Je ne fais pas référence à la consultation des organisations syndicales, que vous n’organisez jamais, mais aux échanges entre le Gouvernement et la commission. Il y avait des énormités invraisemblables parmi les articles qui ont été retirés : il s’agissait par exemple de permettre à un salarié à temps partiel de travailler par intérim ! Le président et rapporteur est allé jusqu’à dénoncer les risques du projet « sur le plan humain »…

M. le Rapporteur - La commission et le Parlement ont donc joué leur rôle à merveille !

M. Jean Le Garrec – Certes, vous avez fait votre devoir, mais nous avons vu ce que le Gouvernement a essayé de faire passer ! Comment peut-on parler de « projet social » ? De qui se moque-t-on ? Nous savons tous que ces articles n’ont pas disparu à jamais, et que nous les retrouverons un jour sur notre chemin, par exemple au détour d’une loi portant diverses dispositions d’ordre social !

Dans ces conditions, qui pourrait croire un seul instant le ministre des finances ? Et je m’interroge : qui dirige ? Qui décide dans ce pays ? Et au terme de quelle concertation ? Je peux comprendre qu’il y ait des désaccords entre le Gouvernement et la commission, ce qui est normal, mais ce que nous avons vu est absolument invraisemblable !

Derrière le paravent dressé par des propos généreux, mais hélas bien généraux, c’est un regard singulier que vous portez sur le droit du travail ! J’en veux pour preuve le sort réservé à l’article 30 du code des marchés publics, qui dispensait de mise en concurrence préalable les marchés de services de nature récréative, culturelle et éducative, ainsi que ceux liés à la formation professionnelle, en application de la directive communautaire du 31 mars 2004 : cette précieuse possibilité a été supprimée par décret, malgré l’opposition de MM. Borloo et Larcher et malgré les nombreuses interrogations formulées de part et d’autre – je suis par exemple intervenu sur ce point en tant que président de l’Alliance « Villes et emploi ». Comment pouvez-vous parler de « projet de société » et agir de la sorte ?

Il existe pourtant un véritable débat, qui a commencé dans les années 1970 et 1980 : quelle place peut-on réserver aux salariés dans les entreprises face au capitalisme financier qui a terrassé le capitalisme patrimonial en vigueur à l’époque du général de Gaulle ? M. Larcher avait raison d’insister sur ce point… Comment pouvons-nous également prendre en compte les PME, aujourd’hui prises en tenailles entre la grande production et les sous-traitants ? Si nous ne nous intéressons pas à elles, nous ignorerons les véritables difficultés !

Face à ces défis, la question financière est tout à fait secondaire, comme l’affirmait à juste titre le président Ollier. Ni la distribution d’actions gratuites, ni des suppléments d’intéressement ne suffiront. Nous savons tous que même les énormes capitalisations boursières actuelles sont de peu de poids puisqu’elles ne permettent pas de résister aux OPA : quand M. Mittal met 40 milliards sur la table, tout est fini !

M. Jean-Pierre Balligand - Quelles que soient les gesticulations politiques !

M. Jean Le Garrec - Relisez Le talon de fer de Jack London si vous voulez avoir une idée des pressions mortelles qui s’exercent ! Si vous vous refusez à admettre de tels faits, ce sont les salariés que vous tromperez, salariés dont le pouvoir d’achat n’a d’ailleurs augmenté que très faiblement dans notre pays d’après les dernières études de l’INSEE. L’intéressement ne fait qu’aggraver les inégalités ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Nous devons donc nous préoccuper des petites et moyennes entreprises – regardez seulement les marges en retour et vous comprendrez les mécanismes destructeurs à l’œuvre ! Puisque vous ne cessez de citer le général de Gaulle, commencez par vous pencher sur les comités d’entreprise ! Aux termes de l’article L. 431-4 du code du travail, ceux-ci œuvrent à « la prise en compte permanente des intérêts des salariés dans les décisions relatives à la gestion, à l'évolution économique et financière de l'entreprise et l’organisation du travail. » Or, comme le demandait déjà le CNPF dans un bulletin du 16 décembre 1946, la loi a malheureusement été utilisée dans un sens restrictif, si bien que les comités d’entreprise n’ont pas pu jouer le rôle qui leur revenait !

Souvenez-vous également de la représentation des salariés dans les conseils d’administration, que j’ai introduite en 1982 afin de glisser un coin dans les systèmes de décision : il aurait fallu poursuivre l’effort en fournissant aux organisations représentatives des salariés les moyens de formation dont elles ont besoin, ou en luttant contre l’opacité persistante des décisions dans l’entreprise. Commençons donc par renforcer les textes existants afin qu’ils produisent tous leurs effets !

J’ajoute que nous ne devons pas limiter notre réflexion aux seuls salariés actionnaires.

M. le Rapporteur - Bien sûr que non !

M. Jean Le Garrec - Qu’ils soient représentés, pourquoi pas ? J’y suis favorable, mais n’opposons pas leur représentation à celle des salariés ! Les deux ne sont pas contradictoires : ils sont différents. Maintenons donc les deux ! Et si vous voulez vraiment qu’il y ait un projet de société, reparlons-en ! Le rôle du comité d’entreprise, qui s’est réduit progressivement à la gestion des colonies de vacances et des arbres de Noël, celui des représentants des salariés au comité d’entreprise, et celui des salariés élus au conseil d’administration : avant de légiférer à nouveau, demandons-nous pourquoi tout cela n’a pas donné les résultats escomptés.

Je suis d’accord avec vous sur un point : les salariés représentent une richesse extraordinaire. Les enquêtes montrent d’ailleurs que, pour les entreprises qui s’y installent, les principaux atouts de notre pays sont – dans l’ordre – la force de travail des salariés, leurs compétences et l’environnement. Ces salariés ne participent pas assez à la direction de l’entreprise. Prenons l’exemple des retards de livraison de l’A 380. Peut-on imaginer un seul instant que personne, dans la chaîne de décision et dans la chaîne technique, n’ait eu conscience des problèmes ? Non. Ont-ils été consultés ? Non. Leur a-t-on demandé les raisons des ratés sur le plan technique ? Non. Total : 2 milliards d’euros de coûts supplémentaires, qui ne remettent pas en cause la qualité de l’A 380. Pour avoir longtemps travaillé en entreprise, je sais que cela se produit fréquemment.

Nul besoin, donc, d’inventer autre chose. Ne mélangeons pas le code du travail avec un projet de société – le Gouvernement s’est discrédité en le faisant. Renégociez avec les organisations syndicales sur les moyens dont elles ont besoin, à côté de l’actionnariat et de l’intéressement, pour tenir une place réelle dans la chaîne de décision. Encore faudrait-il avoir un patronat un peu moins élitiste, qui ait le sens de la négociation et de la discussion.

M. le Rapporteur – Et un PS réellement social !

M. Jean Le Garrec - Cela, je pense l’avoir démontré.

Ces quinze articles ajoutés par le Gouvernement et supprimés par la commission, dont certains sont des cavaliers, justifieront bien sûr la saisine du Conseil constitutionnel. L’important est que le débat s’engage. Mais je vous en conjure, ne vous contentez pas d’en appeler au général de Gaulle ! Partons de l’analyse de ce qu’est aujourd’hui l’entreprise, de ce que sont les chaînes de décision. Ne nous situons pas à l’extérieur de l’entreprise : écoutons les organisations syndicales. Appliquons ce qui existe déjà. Nous pourrons alors progresser vers un véritable engagement des salariés dans l’entreprise (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Rapporteur – Ne changeons rien, tout va bien !

M. Gérard Larcher, ministre délégué - Permettez-moi, après l’intervention de M. Godfrain, d’apporter quelques éclaircissements sur la composition du Conseil supérieur de la participation. Le principe paritaire s’applique lorsqu’on vote, non lorsqu’il s’agit de simples avis. Je vous renvoie sur ce point à un texte de 1982. La Commission nationale de la négociation collective est composée à parité de partenaires sociaux, auxquels s’ajoutent des membres du Gouvernement et du Conseil d’État. C’est la même composition que l’on retrouve au Conseil supérieur de la participation.

Monsieur Le Garrec, la sous-traitance est une question qui devra être abordée tant au niveau européen qu’au niveau national. Il faut réfléchir à la responsabilité sociale des entreprises, mais aussi à la relation entre le donneur d’ordres et l’exécutant. Pour la première fois, les salariés de la grande entreprise et ceux de la sous-traitance sont d’ailleurs mis sur un pied d’égalité, au travers de l’intéressement de projet cher à Jacques Godfrain.

Vous avez également évoqué – avec gentillesse – l’épargne salariale. Ce que l’INSEE retient, c’est la différence liée à l’épargne salariale issue de la loi Fabius plutôt que la réalité de la participation non issue de cette forme de l’épargne salariale. La loi Fabius est un texte d’épargne salariale ; celui que nous vous proposons comme un projet de société s’inscrit dans une autre dimension.

Nous ne touchons pas aux institutions représentatives du personnel. C’est un sujet de dialogue social. Puisque se profile une saisine du Conseil constitutionnel, j’en profite pour rappeler que, sur les pôles de compétitivité, l’emploi des seniors ou la gestion prévisionnelle, une concertation approfondie a été menée avec les partenaires sociaux. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, qui permet d’éviter le drame du licenciement, relève bien de la démarche de sécurisation des parcours professionnels évoquée par le président Dubernard et par le président Ollier. Les dispositions concernées, que la commission nous proposera peut-être de reporter, ont été soumises au conseil supérieur de la prud’homie après le rapport Desclaux. Ce texte a donc bien fait l’objet d’un dialogue préalable.

Nous ne pouvons par conséquent vous suivre. Du reste, les arguments tenant à la constitutionnalité du texte ne m’apparaissent pas fondés. Nous aurons l’occasion de vérifier au cours du débat que ce texte est bien le fruit du dialogue social et d’un travail collectif approfondi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Nous en venons aux explications de vote.

M. Maxime Gremetz - Le groupe communiste et républicain soutiendra cette exception d’irrecevabilité. Il faut toujours avoir de bonnes lectures, Madame la ministre. J’ai ici un tableau établi par le CERC. Il nous indique que la part des salaires nets dans les revenus nets d’activité est passée de 50,7 % en 1978 à 43,6 % en 2003. Dans le même temps, celle du patrimoine financier est passée de 10,9 % à 19,1 %. Il y aurait beaucoup à dire !

M. Jacques Godfrain - L’incohérence de M. le Garrec me surprend. Alors qu’il reproche à M. Ollier le terme de conservatisme, il nous dit finalement qu’il faut se contenter de la situation actuelle, que tout va bien !

Je ne peux non plus laisser passer ses propos sur l’A 380 : il en va de l’industrie européenne, et tout ce qui est dit sur cet avion est soigneusement noté par les concurrents. Dans un contexte de bataille mondiale de l’aéronautique, nous ne pouvons accepter dans cet hémicycle le moindre propos susceptible de discréditer la chaîne industrielle de l’A 380 ! C’est un péché grave que cette critique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Je puis vous citer l’exemple d’une entreprise détenue à 25 % par 95 % de ses salariés : Eiffage, qui a construit le viaduc de Millau. Je l’ai vue fonctionner à merveille et tenir ses délais dans un climat humain remarquable. Rien ne se décidait en effet sans que la direction consulte les salariés actionnaires. Le groupe UMP rejettera donc cette exception d’irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) !

M. Alain Vidalies – M. Borloo s’est dit étonné du faible écho médiatique rencontré par ce projet. Il y a à cela une réponse très simple : personne n’y croit ! La contradiction est flagrante entre votre discours, tout entier axé sur l’alliance entre le capital et le travail et sur la nouvelle répartition des richesses, et les graves difficultés que connaît la population, dont ni le salaire ni le pouvoir d’achat n’augmente. Dans un tel contexte, c’est un scandale éhonté que de voir des gens s’attribuer des sommes énormes sous forme de stock-options, mais rien, dans votre texte, n’indique que la répartition des richesses devrait être modifiée.

Ce projet a été adopté par le Gouvernement et il est approuvé par la majorité UMP qui le soutient. Ce n’est pas le groupe socialiste qui a procédé à la manœuvre extravagante consistant à adjoindre à ce texte théoriquement consacré à l’épargne salariale une quinzaine d’articles qui modifient les règles du travail ! La commission, ayant pris conscience de cette anomalie, a supprimé ces dispositions mais, à cet instant du débat, le Gouvernement, pourtant venu en force, s’est limité à faire savoir qu’il avait « pris note » des « propositions » de la commission, sans s’engager à retirer ces articles. On ne peut tenir pour acquise une velléité de suppression ! Or, les dispositions en cause sont tout sauf anodines, puisqu’il s’agit, une nouvelle fois, de tout faire pour extraire le plus grand nombre de salariés du calcul des effectifs, et de limiter au maximum le rôle des institutions représentatives du personnel. Voilà, Monsieur le ministre, pourquoi personne ne s’intéresse à ce projet : parce que personne n’y croit !

Mme Anne-Marie Comparini - Le groupe UDF ne votera pas l’exception d’irrecevabilité (Murmures sur les bancs du groupe UMP), ce qui ne signifie pas que j’ai été insensible à certains arguments de M. Le Garrec. J’observe que les ministres, comme la presse, ont fortement insisté sur les dispositions relatives à la participation. Je sais que l’affaire est d’importance, mais le contenu de ce texte ne se limite pas à cela. Or, seuls les rapporteurs ont évoqué les dispositions sociales qui, toutes, ont un lien avec le code du travail. Nous préférons donc en parler, et rompre ainsi un silence assourdissant, tout en approuvant la sage décision prise par la commission de supprimer ces articles.

L'exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n’est pas adoptée.

question préalable

M. le Président - J’ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des députés communistes et républicains une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

Je propose à l’Assemblée d’entendre M. Maxime Gremetz défendre cette motion maintenant. Ainsi, comme le souhaitent la commission et du Gouvernement, la séance de ce soir pourrait être supprimée.

M. Maxime Gremetz – Non seulement le projet qui nous est soumis en ce début de la session ordinaire augure bien mal des derniers mois de la douzième législature, mais il relève de la schizophrénie.

À la question pressante de l'augmentation des salaires et du pouvoir d'achat, vous répondez par l’épargne salariale, et par l’actionnariat salarié, dont le caractère aléatoire ne garantit en rien une augmentation du pouvoir d'achat des salaires, et vous faites passer la rémunération du travail après le profit des dirigeants et des actionnaires.

D’autre part, si, au titre premier, est affichée la volonté d'améliorer la participation des salariés à la vie de l'entreprise, on découvre au titre III un arsenal législatif conçu pour saper encore un peu plus les fondations de notre législation sociale et le code du travail, en privant les salariés de leurs droits, notamment en matière de représentation, de négociation et de défense. La dernière partie de ce projet, qui n’est rien d’autre qu’un fourre-tout législatif uniquement destiné à achever les basses œuvres en détricotant définitivement le code du travail, est inacceptable et sur la forme et sur le fond. C'est sans doute pourquoi le rapporteur a proposé la suppression de ces dispositions – mais pour mieux les intégrer dans d'autres projets.

Que dire de la première partie du texte ? (Brouhaha sur les bancs du groupe UMP) Si vous parlez, je m’arrête ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – Monsieur Gremetz, poursuivez, je vous prie.

M. Maxime Gremetz – Ces apartés me perturbent… (Rires sur les bancs du groupe UMP) La question des salaires et du pouvoir d'achat marque très fortement cette rentrée. Comment pourrait-il en être autrement ? Alors que les dépenses incompressibles des ménages ne cessent d'augmenter, le pouvoir d'achat a diminué. Tout est à la hausse : les loyers, prohibitifs, ont augmenté de 28 % en quatre ans, le prix du gaz a flambé de 23,5 % en un an, l'essence de 15 % et le fioul de 10 %. Tout augmente, sauf les salaires ! Tous les syndicats évoquent une dégradation du pouvoir d'achat des salaires, de 5 à 7,5 % entre 2000 et 2005. Le surendettement des ménages a augmenté de près de 10 % en un an et les expulsions locatives, que vous refusez d’interdire, ont bondi de 37 % en cinq ans, avec le concours systématique de la force publique. En France, plus de trois millions de personnes vivent encore avec moins de 1 500 euros par mois pour un travail à temps plein, et quelques centaines de milliers de femmes et d'hommes, employés à temps partiel, survivent avec moitié moins.

Cette situation est inacceptable, au regard de la bonne santé financière des grandes entreprises que vous avez contribué à conforter avec les différentes lois de finances, qui se sont traduites par 70 milliards de cadeaux fiscaux au patronat en quatre ans, le tout en pure perte.

Même la Banque de France, dans son bulletin d'août, tirait la sonnette d'alarme, soulignant qu’il n'y a plus d'investissement productif alors que, dans de nombreux pays, les profits des entreprises, dépassant 10 % du PIB, sont à leur plus haut niveau depuis des décennies. Le fameux « théorème » d’Helmut Schmidt selon lequel « les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain » est sérieusement écorné quand le ratio investissement/PIB se situe à son plus faible niveau depuis des dizaines d'années dans l'ensemble des pays du G7 !

La Banque de France poursuit en indiquant que « les cent premières sociétés cotées au CAC 40 disposent de plus de 1 100 milliards de dollars de liquidités, un niveau sans précédent, et les actifs liquides représentent 9 % du total de leur bilan. » Elle ajoute que « les entreprises ne savent pas quoi faire de leur argent et privilégient les placements financiers plutôt que les investissements physiques. »

Où est la justice, quand Gouvernement et patronat refusent toute revalorisation significative des salaires alors que les dividendes versés aux actionnaires ont augmenté de 50 % en 2005 et d'encore autant pour le seul premier semestre 2006 ?

On ne peut tolérer que se perpétue le scandale de l'appauvrissement de l'immense majorité de nos concitoyens pendant que les classes possédantes vivent dans une opulence inouïe. Comme vous ne pouvez plus cacher cette situation, vous volez au secours du capitalisme financier avec ce projet et en prévoyant une future conférence – sur les revenus et non sur les salaires ! Tout est fait pour briser le mécanisme salarial et pour lui substituer des formes flexibles d'intéressement, de participation et d'actionnariat, quand ce ne sont pas des subventions publiques, telle la prime pour l'emploi.

Dans ce contexte, votre projet est une escroquerie intellectuelle (Protestations sur les bancs du groupe UMP) car on ne peut répondre sérieusement à l'impérieuse nécessité d'augmenter les salaires en parlant d’« épargne salariale » ou d’« actionnariat ». L'INSEE l'a d'ailleurs démontré dans une étude qui souligne combien l'épargne salariale accroît les discriminations entre les salariés, en fonction de leur statut, de leur secteur d'activité et la taille de l'entreprise dans laquelle ils travaillent. Or, ces compléments de rémunération ne cessent de se développer, souvent au détriment des salaires. Entre 2000 et 2004, l’épargne salariale a bondi de 6,7 % par an alors que les salaires n’ont presque pas progressé – de 0,6 % seulement pour les ouvriers en moyenne annuelle, et de 0,5 % pour les cadres.

Pourquoi serait-il possible de distribuer du revenu sous forme de dividende alors que ce serait exclu sous forme de salaire ? Aujourd’hui, seuls les travailleurs des entreprises de plus de cinquante salariés peuvent bénéficier de ce dispositif – ce qui représente seulement 8,5 millions de salariés, soit un peu plus de 50 % d’entre eux ; un salarié sur sept est quant à lui actionnaire de son entreprise. Or, j’ai été moi aussi actionnaire de mon entreprise et je me croyais donc propriétaire. Mais dès que j’ai organisé un syndicat et appelé à faire grève, j’ai été mis à la porte, oui, expulsé de ma propre maison ! Et vous dites « actionnaire ! ». On ne m’y reprendra pas !

Tout est fait pour contourner la véritable question qui est celle de l’augmentation des salaires, au motif que la compétitivité des entreprises serait en jeu. Mais qu’est-ce qui différencie cette épargne du salaire ? Son caractère variable et son exonération de cotisation sociale et d’impôt. Une augmentation de salaire est pérenne, pas la participation ! Quels avantages, dans ces conditions, pour nos comptes sociaux ? Les inégalités s’accroîtront également entre les salariés modestes et ceux qui sont plus aisés : les premiers sont en effet contraints de toucher immédiatement leur intéressement car ils n’ont pas les moyens de le placer pendant cinq ans ou d’effectuer des versements volontaires sur un PEE.

Il est un principe intangible : la participation financière doit venir en plus des salaires et ne peut en aucun cas s’y substituer. Nous proposerons par nos amendements que tout système de participation ou d’intéressement soit subordonné à un accord sur une augmentation des salaires.

De plus, les placements effectués par l’épargne salariale ou l’actionnariat ne sont pas sans risque. Au moment de l’ouverture du capital de France Télécom, les salariés ont massivement souscrit aux actions, mais la chute a été rude. En 1997, un salarié qui aurait investi 15 000 euros aurait vu son portefeuille s’envoler à 23 087 euros en 2000, puis retomber à 11 070 euros en 2002, à l’issue de la durée de blocage.

L’actionnariat constitue également une arme économique pour le patronat. À Air France, une baisse des salaires des pilotes a ainsi été organisée en échange d’une distribution d’actions.

M. Jacques Godfrain - M. Gayssot était alors ministre !

M. Maxime Gremetz – Il ne s’agit ni plus ni moins que de faire passer la rémunération salariale après le profit. Nous ne voulons pas d’une société qui érige comme modèle la prédation actionnariale au détriment des salaires et de l’emploi.

Il faut en outre en finir avec les stock-options. Elles valent aux dirigeants des sociétés du CAC 40 un gain potentiel récemment estimé à 700 millions ! Ce régime, qui incite le PDG à ne prendre que des décisions propres à valoriser l’action de son groupe, alimente la hausse régulière de la rémunération des grands patrons. La moyenne de celle des PDG du CAC 40, en 2005, était de 2,2 millions. Le PDG de L’Oréal était à la même période le mieux payé avec 7,3 millions. Il possède en outre un million de stock-options exerçables à partir de 2010 : 700 000 à 61,37 euros et 300 000 à 62,94 euros. En un mois, le montant de ces stocks-options a représenté le montant de 500 ans de SMIC.

M. Gilles Artigues - Et Zidane !

M. Maxime Gremetz – Par ce mécanisme, Antoine Zacharias a vu son gain potentiel, sur les stocks-options attribuées depuis le 31 décembre 2001, passer de 2,6 millions à 173 millions le 2 mai 2006. À titre de comparaison, une caissière de la grande distribution gagne en moyenne 600 euros par mois, devant se contenter d'un temps partiel de 20 heures par semaine, payé au SMIC. 40 % des salariés, eux, gagnent moins de 1 321 euros. La vraie réponse à ces stocks-options n'est ni la modération, ni une moralisation, mais leur suppression, pour permettre une redistribution des richesses par le salaire direct. C’est ce que nous proposons dès maintenant en demandant que le SMIC soit porté à 1 500 euros en même temps que sera réévaluée la grille de l'ensemble des salaires. Cette augmentation du SMIC ne représente qu'une augmentation de 3 % par an, c'est-à-dire 1 % de plus que l'inflation pour un coût de neuf milliards.

Nous rejetons donc l'amplification de l'actionnariat salarié et de la participation financière. Ce projet ne vise qu’à transformer une partie des salariés en petits rentiers. Mais les gens ont leur dignité et veulent que leur travail soit payé comme il convient ! On a beaucoup parlé du général de Gaulle, mais il n’a pas connu cette situation où l’essentiel des sociétés françaises dépendent de grands groupes internationaux. De plus en plus de salariés, dans de grandes entreprises, nous disent que non seulement les salaires n’augmentent pas mais que le bilan étant déficitaire, il ne peut y avoir d’intéressement !

Les organisations syndicales de salariés ont dénoncé ce projet. Elles ont toutes sévèrement jugé, également, le wagon législatif du titre III portant diverses mesures en matière du droit du travail. Sachant que l'ordre du jour de notre assemblée sera surchargé jusqu’à la fin de la législature, vous profitez de ce texte pour raccrocher toute une série de mesures qui n'ont d'autre objectif que de fragiliser le monde du travail. Certaines d'entre elles ont déjà été introduites dans divers projets mais censurées par le Conseil Constitutionnel. C'est donc, en quelque sorte, une session de rattrapage que vous proposez ! Prêt de main-d'œuvre par dérogation au marchandage, congé de mobilité, suppression de la contribution Delalande, remise en cause des tribunaux de prud'hommes, autorisation du cumul d’un temps partiel et de l’intérim : autant de mesures qui composent ce funeste cortège !

Comment prétendre vouloir améliorer le dialogue social et la participation des salariés à la vie de l'entreprise quand vous précarisez encore le salariat et que vous refusez le principe des accords majoritaires ? Comment rénover les règles sociales quand, mesure après mesure, vous privez de plus en plus de salariés du droit aux institutions représentatives ? Après les ordonnances de juillet 2005 qui excluaient du décompte des effectifs les salariés de moins de 26 ans, l'article 32 vise, lui, à exclure de ce même décompte les salariés intervenant dans l'entreprise en exécution d'un contrat de sous-traitance ou de prestation de service. Vous ne protégez même plus les interlocuteurs du patronat ; dans ce dialogue social que vous prétendez promouvoir !.

Une étude de la DARES de septembre 2005 met en évidence l'augmentation du nombre de licenciement de salariés protégés : « En 2003, 13 400 salariés protégés ont fait l'objet, en France métropolitaine, d'une demande d'autorisation de licenciement, que ce soit pour des raisons économiques ou pour d'autres motifs. Ils étaient 11 000 en 2000, soit une augmentation de 21 %. Après une année de léger recul en 2001, les demandes de licenciement de salariés protégés sont reparties à la hausse en 2002 et 2003 »! La même note précise qu’un peu plus de 85 % de ces demandes donnent lieu à une autorisation et que 7 % des décisions de l’inspection du travail font l’objet d’un recours auprès du ministre. Comment parler de concertation, de participation et de dialogue social dans ces conditions ? Ce dernier est de plus en plus biaisé et déséquilibré, et ce d’autant plus que votre réforme des tribunaux de prud’hommes est faite pour décourager cette juridiction.

J’en viens à votre prétendue « sécurisation des parcours professionnels », qui ne fait que sécuriser les parcours qui mènent à la précarité, au sous-emploi et au chômage ! On ne peut pas prétendre sécuriser quand on est l’auteur du CNE et du CPE ! Vous tenez tellement à casser le contrat de travail que vous allez jusqu’à vous mêler directement des contentieux liés au CNE. Au mépris de l’indépendance de la justice, vous essayez de lui dicter ses décisions !

Quelles sont donc les nouvelles sécurités que vous prétendez apporter ? Le prêt de main-d'œuvre, autrement dit le marchandage légalisé, et le congé de mobilité, mi-droit au reclassement, mi-suspension atypique du contrat de travail. De qui se moque-t-on ?

Si vous voulez vraiment sécuriser les parcours professionnels, soutenez plutôt nos propositions. Nous défendons depuis longtemps l’idée d’un plan de sécurité d’emploi et de formation, passant par l'obligation de négocier des plans de départs à la retraite contre embauches, la création de droits d'intervention des salariés dans la marche de l'entreprise, la consolidation du contrat de travail à durée indéterminée… Nous avons fait en commission un certain nombre d’autres propositions, qui visent à donner réellement aux salariés les moyens de participer pleinement à la vie comme à la gestion des entreprises.

Permettez-moi d’en citer quelques-unes : création d'un droit de saisine du juge par les représentants des salariés ou les organisations syndicales représentatives, pour contrôler le motif économique justifiant les licenciements collectifs, en amont de la rupture des contrats de travail ; introduction du principe majoritaire pour la validation d’un accord d'entreprise, de branche ou interprofessionnel. Actuellement, il suffit qu'une seule organisation signe pour qu'un accord s’applique, un éventuel veto pouvant être mis en recourant au droit d'opposition. C'est un point très important, notamment depuis l'extension des accords de méthode par la loi Larcher et les tentatives de chantage patronal à la délocalisation pour revenir sur les accords instaurant les 35 heures. Je suppose que vous êtes content, Monsieur le ministre, d’avoir une loi à votre nom…

Nous proposons aussi que la responsabilité des entreprises donneuses d'ordres soit engagée lorsque leurs décisions provoquent des restructurations et des licenciements au sein des sociétés sous-traitantes. Nous voulons donner aux représentants des salariés d'une entreprise sous-traitante mise en faillite par l'action ou l'inaction de la maison mère ou de la société donneuse d'ordre la capacité d'obtenir l'extension de la procédure collective, donc la responsabilisation de l'entreprise dominante. Nous l’avons obtenu dans le cas de Flodor. Le tribunal a reconnu la responsabilité du groupe. C’est une décision très importante. Si cette jurisprudence gagne du terrain, elle sera très dissuasive pour les groupes qui veulent délocaliser une partie de leurs activités.

Nous proposons aussi de généraliser la présence de représentants élus des salariés dans les conseils d'administration en la rendant obligatoire pour toute entreprise de plus de dix salariés.

Voilà de vraies propositions capables de rénover le dialogue social et de permettre une vraie participation des salariés à la vie de l'entreprise.

Pour terminer, deux mots sur deux mesures ajoutées à la hâte par lettre rectificative : le chèque transport et la cotation en bourse des clubs sportifs. Nous y reviendrons, mais ne pensez pas que ce chèque solde la question d'une fiscalité plus juste sur l'énergie. Comment aborder un tel sujet sans imaginer de mettre à contribution les groupes pétroliers auxquels la hausse des prix de l'or noir vaut de faire des orgies de profit ? Rappelons aussi que ce chèque reste à la discrétion de l'employeur et qu’il est assorti de larges exonérations sociales et fiscales.

La cotation des clubs sportifs en bourse ne fait pas non plus l'unanimité, y compris dans les plus hautes instances du football professionnel, et risque d'avoir des conséquences graves à l'échelon amateur. Ne laissons pas la finance pourrir les valeurs du sport ! Sur tous ces sujets, nos rapporteurs ont senti le malaise et ont proposé une large série de suppression. Nous en prenons acte.

Enfin, ne pensez pas dépasser la lutte des classes ! Il y a des intérêts objectivement divergents entre les salariés et ceux qui veulent faire des profits sur leur dos. Il est normal que les salariés se défendent. Moi qui suis un bon chrétien, je ne tends pas l’autre joue si on me gifle !

M. le Président de la commission des affaires sociales – Un bon chrétien ?

M. Maxime Gremetz - Peut-être pas, en effet (Sourires ).

En conclusion, ce texte inopportun ne répond pas à la demande pressente de l'augmentation du pouvoir d'achat des salaires, ne sécurise pas les parcours professionnels. Enfin, il poursuit le démantèlement du code du travail. Pour toutes ces raisons, nous vous invitons à adopter cette question préalable.

M. Gérard Larcher, ministre délégué - J’exprime ma gratitude envers M. Gremetz, qui mériterait, après son éloge de la foi chrétienne, d’être appelé Maxime le Baptiste, puisqu’il a bien voulu donner mon nom à un texte. Mais il faut se méfier de ces choses-là, car lorsque l’on a son nom sur une plaque de rue, c’est souvent mauvais signe. (Sourires )

Une précision : en 2002-2003, il y a bien eu, c’est vrai, une augmentation du nombre de licenciements de salariés protégés. Mais en 2004-2005, on observe une diminution !

Quand nous parlons de participation, nous ne parlons pas de politique salariale. Or, vous nous avez fait, Monsieur Gremetz, une démonstration sur celle-ci. J’en profite pour rappeler que les 35 heures se sont soldées par une « modération » salariale et par sept SMIC différents. En organisant la convergence des SMIC, nous avons fait gagner aux salariés payés au SMIC 11 % de pouvoir d’achat, sans parler de la prime pour l’emploi.

Je rappelle aussi qu’en 2004, 137 branches de plus de 5 000 salariés n’avaient pas eu de négociation salariale depuis longtemps – depuis sept ans pour la chimie, par exemple. Qu’avons-nous fait ? Nous avons relancé la politique de négociation salariale. C’est ainsi que nous mettrons en place, dans deux semaines, un comité de suivi destiné à soutenir la négociation entre les partenaires sociaux.

On ne peut évidemment pas être favorable à cette question préalable.

M. le Président – Nous en venons aux explications de vote sur la question préalable.

M. François Cornut-Gentille - C’est toujours un plaisir d’entendre Maxime Gremetz…

Plusieurs députés UMP - N’exagérons rien !

M. François Cornut-Gentille - Même si ses arguments n’ont rien de bouleversant. Que nous dit-il au fond ? Qu’il n’adhère pas à la politique économique que conduit la majorité. Soit, mais le tableau très personnel qu’il en brosse est souvent caricatural…

M. Maxime Gremetz - Pas du tout ! Je m’appuie sur les données de l’INSEE, du CERC et de la Banque de France. Voulez-vous que je vous les transmette ?

M. François Cornut-Gentille - Ce que l’on peut regretter, c’est qu’au-delà de nos divergences d’appréciation, vous refusiez de regarder précisément les dispositions de ce texte et d’en discuter. Nombre d’organisations syndicales – certaines étant proches de vous – ne partagent pas nos options. Pour autant, elles ne refusent pas de discuter des jalons que nous posons et de notre politique. C’est en tout cas plus constructif que la caricature…

M. Maxime Gremetz - Arrêtez ! Moi, j’ai les chiffres de la Banque de France à vous opposer. Vous, vous n’avez rien !

M. François Cornut-Gentille - Je vois que je ne vous convainc pas et croyez bien que je le regrette. Bien entendu, le groupe UMP appelle au rejet de la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Alain Bocquet - Maxime Gremetz a exposé avec conviction l’argumentation qu’il continuera de défendre tout au long du débat. Vous noterez que nous n’avons pas, cette fois, déposé 130 000 amendements, mais seulement 50 ! Cela dit, on peut tenir aussi longtemps avec 50 qu’avec 130 000… (Sourires) Bien entendu, nous voterons la question préalable mais je profite d’avoir la parole pour faire plusieurs remarques.

Le fond du problème, chacun, à sa façon, en convient, c’est le pouvoir d’achat…

Plusieurs députés UMP - Merci les 35 heures !

M. Alain Bocquet - Allons, si vous n’en connaissez pas, je peux vous présenter quelques centaines de milliers de salariés qui font bien plus de 35 heures par semaine pour 6 500 francs par mois !

M. Alain Vidalies - Si c’était les 35 heures le problème, il fallait trouver le courage de les supprimer !

M. Alain Bocquet - Comme l’a démontré Maxime Gremetz, la question de fond, c’est l’insuffisance des salaires de base et le manque de sécurité emploi–formation. Et ce sont de vrais enjeux de société. Lorsque des milliers de gens sont cassés par des choix économiques sur lesquels plus personne n’a de prise, les conséquences sociales sont désastreuses et le coût final pour la collectivité énorme. Dans le Valenciennois, nous n’avons que trop d’exemples de sociétés qui jettent à la rue des centaines de salariés sans se soucier un seul instant des conséquences individuelles et collectives de leurs options stratégiques ! Et je ne parle pas de celles qui font démonter leurs machines pour les envoyer au Pakistan ! Nous ne pouvons nous satisfaire d’une vision de l’économie dans laquelle les entreprises seraient libres de faire la pluie et le mauvais temps sans que la puissance publique puisse intervenir de quelque manière que ce soit. Il faut que les élus puissent agir à temps, pour éviter la casse sociale qui fait tant de dégâts.

La participation n’a de sens que si elle va de pair avec une vision de l’économie où chacun, puissance publique, entreprises, salariés assume ses responsabilités et joue son rôle. Faute d’avoir garanti ce modèle, l’examen de ce texte n’est pas opportun et nous invitons par conséquent notre assemblée à adopter la question préalable.

M. Alain Vidalies – À l’instar des orateurs de la majorité, les ministres s’exonèrent de s’interroger de manière approfondie sur l’échec relatif des différents mécanismes de participation, en se réfugiant derrière l’argument juridique – théoriquement recevable – selon lequel la participation n’a rien à voir avec la politique salariale, les deux sujets devant être traités de façon distincte. En réalité, si vous nous ressortez le thème de la participation en fin de législature et si les dispositifs précédents n’ont pas eu le succès escompté, c’est que vous n’avez pas hésité à les dénaturer, en entretenant à dessein la confusion entre politique salariale et participation. Dès lors qu’existent des incitations financières et une multitude de situations ouvrant droit à des abattements de charges, le choix, en gestion quotidienne, d’affecter telle ou telle somme à l’intéressement ne résulte pas d’un arbitrage entre le capital et le travail mais d’une stratégie financière qui l’emporte sur toute autre considération.

À cet égard, j’ai relevé dans le numéro des Échos du 22 septembre dernier une étude très éclairante : alors qu’entre 2003 et 2004 la masse salariale moyenne n’a progressé que d’environ 3 %, les compléments de rémunération ont augmenté de 6,7 %. Et les disparités entre secteurs d’activité s’apprécient selon un rapport de un à quatre. Je déplore, Messieurs les ministres, que vos services n’aient pas appelé votre attention sur des pratiques qui dénaturent l’esprit même de la participation. Jouer l’actionnariat salarié ou la participation contre les salaires directs en vue de maximiser ses profits financiers me semble assez antinomique avec les visions généreuses que certains ont développées cet après-midi ! Ainsi, dans certaines entreprises, la détention d’actions par les salariés pendant un certain temps fait l’objet d’un marché à terme ; autrement dit, une banque fait du portage et les salariés, s’ils restent nominativement propriétaires de leurs actions, les revendent immédiatement. Or si j’en crois la même étude, les services du Gouvernement se seraient contentés de répondre que, pour regrettables qu’elles soient, de telles pratiques n’étaient pas illégales. Nous considérons pour notre part que ce type de mouvements spéculatifs, sous couvert de participation ou d’actionnariat salarié, montre que le système n’est pas bien maîtrisé et que l’examen du présent texte est donc prématuré. L’adoption de la question préalable est donc pleinement justifiée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu demain, mercredi 4 octobre, à 15 heures.
La séance est levée à 20 heures 45.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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Ordre du jour
du mercredi 4 octobre 2006

QUINZE HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi (nos 3175, 3337) pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié.

Rapport (n° 3339) de M. Jean-Michel Dubernard, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Avis (n° 3334) de M. Patrick Ollier, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

Avis (n° 3340) de M. Alain Joyandet, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l’ordre du jour de la première séance.

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