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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

1ère séance du lundi 27 novembre 2006

Séance de 15 heures
31ème jour de séance, 67ème séance

Présidence de M. Éric Raoult
Vice-Président

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La séance est ouverte à quinze heures.

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Prévention de la délinquance (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la prévention de la délinquance.

Rappels Au règlement

M. Jean-Marie Le Guen – Lorsque nous avons évoqué, vendredi dernier, les très graves événements qui s’étaient produits la veille, nous avons dû constater l’absence sur ces bancs du ministre de l’intérieur et ministre d’État, M. Sarkozy, qui préférait s’exprimer sur le fond de l’affaire dans les medias, cependant que le Premier ministre suggérait d’adopter de nouvelles mesures législatives contre ces violences inacceptables et dramatiques. Depuis lors, les déclarations et les initiatives n’ont pas cessé de se multiplier, dans la cacophonie la plus totale.

Même si M. Bas n’a sans doute pas été mandaté pour répondre sur cette question, j’apprécierais que le Gouvernement clarifie sa position. J’ignore quel club de football le ministre soutient, mais sa fonction fait de lui un supporter de la République ! (Sourires) Peut-être pourrait-il donc nous répondre.

Comme d’autres parlementaires, je m’étonne également que le ministre de l’intérieur ait reçu différentes associations de supporters samedi dernier. Pourrions-nous au moins savoir ce qu’il leur a dit ? J’avoue également ma perplexité face aux déclarations dont la presse s’est fait écho ce matin : le directeur général de la police nationale souhaiterait, selon Le Parisien, la dissolution de certaines associations de supporters du Paris Saint-Germain, sans doute dans un but préventif. Si j’approuve sans réserve une telle mesure, j’aimerais connaître les intentions exactes du Gouvernement et je suis surpris qu’un fonctionnaire ait compétence pour prendre ce type de décision, de nature éminemment politique, car mettant en cause le fonctionnement des associations. Il me semblerait plus normal que ce type de mesures, touchant à l’ordre public, soit annoncé par le Gouvernement.

J’aimerais savoir la position exacte du ministre d’État et ministre de l’intérieur sur ces dissolutions. Quelles seraient par ailleurs les associations concernées ? Autre interrogation, de quels outils disposons-nous aujourd’hui ? Manquons-nous de moyens juridiques pour agir ? Le cas échant, j’aimerais savoir ce qui fait encore défaut. Enfin, comment le ministre peut-il convoquer dans son bureau des associations dont il a l’intention d’annoncer la dissolution ? J’aimerais comprendre… Voilà autant de questions qui devraient être clarifiées pour que nos débats retrouvent un peu de sérieux.

M. Noël Mamère – Rappel au Règlement. Comme mon collègue Le Guen, je m’étonne que le ministre d’État ait reçu certaines associations, en particulier celles du Paris Saint-Germain, auteurs des faits racistes qui sont aujourd’hui prouvés. Pourquoi le ministre n’applique-t-il pas la loi de juillet 2006, qui fait obligation de dissoudre les associations de supporters coupables de discriminations, d’actes racistes ou d’atteintes aux personnes ? Je ne comprends pas que la dissolution de l’association de supporters du Paris Saint-Germain n’ait pas été évoquée par le ministre de l’intérieur – seuls certains de ses collaborateurs y ont fait référence…

Je décèle une certaine schizophrénie chez le ministre, qui nous explique – quand il nous fait l’honneur rare d’assister à nos séances – qu’il va renforcer les mesures de sécurité en annonçant à toute occasion de nouveaux dispositifs, sans pour autant appliquer la loi que nous avons votée en juillet 2006.

Par ailleurs, le ministre ne donne-t-il pas, en les recevant, une légitimité à des associations coupables d’actes haineux, discriminatoires et antisémites répétés ? Nous pouvons d’autant moins tolérer de tels actes que nous avons désormais les moyens juridiques d’y mettre fin. Le ministre fait preuve d’un grand laxisme dans cette affaire, signe supplémentaire de sa duplicité !

M. Claude Goasguen – J’espère que ma réponse satisfera mes collègues, qui se croient obligés de faire sans cesse des procès d’intention au ministre.

La première interrogation portait sur l’intervention du directeur général de la police. Je rappelle que la loi de juillet 2006 ne fait pas de la dissolution des associations une décision politique, mais administrative. Le directeur de la police nationale fera une proposition en ce sens à la fin de la semaine, une fois adopté un dernier décret en Conseil d’État, tendant à créer la commission prévue par la loi. En effet, contrairement au régime prévu par le décret de 1936, la dissolution au titre de la loi de 2006 n’est pas prononcée en Conseil des ministres, mais après consultation d’une commission quasi juridictionnelle, composée de magistrats et de représentants du monde sportif et devant laquelle les associations mises en cause pourront faire valoir leur défense.

Le ministre de l’intérieur vous répondra demain lors des questions d’actualité. L’Assemblée sera informée de l’étendue et de la nature des dispositions prises : interdictions de stade, responsabilités pénales aggravées en cas d’actes racistes ou antisémites, modalités d’application de la loi de 2006… De tout cela, le ministre s’expliquera demain.

Au-delà de ces mesures, je souhaite, pour ma part, que l’ensemble de la société se mobilise et notamment que la subvention allouée chaque année par le Conseil de Paris au Paris Saint-Germain, qui s’élève tout de même cette année à la bagatelle de 2,6 millions d’euros, soit suspendue. Je souhaite de même que la Fédération nationale et la Ligue nationale de football prennent des sanctions à l’encontre d’un club qui a failli à sa réputation sportive, a sali le Parc des Princes, Paris et la France.

M. Christophe Caresche – Le groupe socialiste ne manquera pas d’interpeller demain le ministre de l’intérieur lors des questions d’actualité. Mais je souhaite d’ores et déjà dénoncer la manière dont il a géré ce dossier. Il a tout d’abord agi dans l’urgence et la précipitation. Ensuite, il a organisé une réunion au ministère avec les seules instances sportives, qui ne sont pourtant pas les seules concernées. Aucun élu, d’aucun bord, ni le procureur de la République n’ont été conviés. Il semble de surcroît qu’assistaient à cette réunion deux personnes représentant les clubs de supporters du kop de Boulogne, elles-mêmes interdites de stade.

M. Jean-Marie Le Guen – On croit rêver !

M. Christophe Caresche – Organiser une réunion sur la sécurisation du Parc des Princes en présence de deux personnes interdites de stade, c’est pour le moins faire preuve de légèreté.

M. Claude Goasguen – Et accorder une subvention de près de trois millions d’euros au PSG ?

M. Christophe Caresche – À l’issue de cette réunion, ont été prises toute une série de mesures, dont certaines sont positives comme les interdictions de stade, mais dont une est tout à fait scandaleuse, puisqu’elle consiste à confier la gestion de la billetterie aux clubs de supporters qui, depuis des années, sont à tout le moins complices, quand ils ne les encouragent pas, des agissements racistes et antisémites de certains de leurs membres. Cela n’est pas acceptable. Comme M. Mamère, nous demandons que la loi que nous avons votée ici, avec vous, Monsieur Goasguen, autorisant la dissolution de certains clubs de supporters, soit rapidement appliquée.

M. Claude Goasguen – Vous avez mal compris les mesures qui ont été annoncées.

M. Jean-Marie Le Guen – Le ministre de l’intérieur invite des voyous racistes dans son bureau ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Michel Dubernard, président et rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles  À l’Olympique lyonnais, nous n’avons pas ces problèmes !

M. Michel Vaxès – Il est consternant de s’entendre dire, par la voix de M. Goasguen, que la dissolution de clubs de supporters relevant maintenant de la décision administrative, il n’y a pas lieu que le ministre de l’intérieur soit là pour tirer avec la représentation nationale les leçons qui s’imposent après les tragiques événements de la semaine dernière. N’est-il pas singulier que des actes de délinquance aussi graves, de surcroît accompagnés de manifestations racistes et antisémites, ne justifient pas un débat avec le ministre de l’intérieur ? Vous ouvrez d’ailleurs vous-même le débat, Monsieur Goasguen, en formulant des propositions allant au-delà de celles annoncées. Le mieux eût donc été de débattre avec le ministre de l’intérieur.

M. Claude Goasguen – Oui, demain.

M. Michel Vaxès – Depuis le début de l’examen de ce projet de loi, le ministre de l’intérieur n’a jamais été là, hormis lors de son intervention liminaire et pour répondre aux quatre porte-parole des groupes. C’est dire le peu de cas qu’il fait de la représentation nationale. Je le regrette vivement et tenais à le dénoncer.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la familleLes événements tragiques qui ont eu lieu la semaine dernière à l’issue d’un match de football n’ont pas de lien direct avec le débat qui nous occupe aujourd’hui, même si un projet de loi relatif à la prévention de la délinquance peut être de quelque utilité pour empêcher que de tels actes puissent se reproduire.

Je regrette d’avoir à vous rappeler que nous vivons dans un État de droit et que dans un État de droit, il y a des lois…

M. Noël Mamère – Qu’il faut appliquer.

M. le Ministre délégué – Toute dissolution d’une association de droit ou de fait ne peut être prononcée qu’à l’issue d’une procédure contradictoire. En démocratie, nous nous honorons de prendre le temps nécessaire pour conduire ces procédures à leur terme, dans le respect des droits de chacun.

Il n’y a pas lieu de tirer prétexte de notre débat de cet après-midi qui portera sur la coordination des interventions des travailleurs sociaux pour prévenir les difficultés des familles pour en ouvrir un autre, sachant que le ministre de l’intérieur est prêt à répondre à vos questions lorsque l’ordre du jour de votre Assemblée le permettra.

M. Jean-Marie Le Guen – Rappel au Règlement.

M. le Président – Non. Nous en venons à l’examen des amendements avant l’article 5.

M. Jean-Marie Le Guen – Nous allons donc demander une suspension de séance.

M. le Président – Nous pouvons nous parler sans nous menacer. Dans un souci de pluralisme, j’ai donné la parole à chacun des groupes pour un rappel au Règlement. Vingt-cinq minutes y ont déjà été consacrées.

Vous aviez demandé vendredi, Monsieur Le Guen, que M. Bas soit présent. Il est là. Nous en venons à l’amendement 673.

Mme Patricia Adam – Je demande une suspension de séance.

M. le Président – Elle est de droit.

La séance, suspendue à 15 heures 25, est reprise à 15 heures 30.

avant l'Art. 5 (amendements précédemment réservés)

Mme Patricia Adam – Je remercie M. Bas d’être présent pour la discussion de l’article 5, l’un des plus contestés de ce projet. En revanche, je suis surprise que M. Sarkozy et M. Estrosi ne soient là ni l’un ni l’autre.

Les trois amendements que nous présentons avant l’article 5 sont une alternative à cet article, dont nous souhaitons la suppression. Il n’est pas raisonnable en effet d’évoquer l’action sociale et la protection de l’enfance dans un texte sur la prévention de la délinquance.

M. Patrick Braouezec – Tout à fait d’accord.

Mme Patricia Adam – C’est également ce que pensent beaucoup de professionnels.

Ces trois amendements font référence au rapport du sénateur Nicolas About, au fameux rapport Bloche-Pecresse sur l’enfance et la famille et au plan de cohésion sociale de M. Borloo, en particulier dans les articles relatifs au contrat de responsabilité parentale et à la délégation de compétences des présidents des conseils généraux et des maires.

Le premier, l’amendement 673, vise à compéter l’article L. 121-1 du code de l’action sociale et des familles en précisant que le département définit et met en œuvre, outre la politique d’action sociale, la politique de prévention spécialisée.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur de la commission des lois – La commission ne l’a pas examiné mais à titre personnel j’y suis défavorable car il est satisfait par l’article L. 121-2, qui évoque déjà cette compétence.

M. le Rapporteur pour avis – Je partage l’avis du président Houillon. À l’article L. 121-1, qui a un caractère synthétique, il n’y a pas lieu de citer la prévention spécialisée, pas plus que d’autres domaines spécifiques d’action tels que l’aide aux handicapés.

M. le Ministre délégué – Avis défavorable pour la même raison. Dans un article général, on ne peut pas commencer une énumération.

M. Noël Mamère – Nous regrettons que M. Bas n’ait pas été présent vendredi car nous avions déjà évoqué la prévention spécialisée. J’avais souligné que ce projet marque une dérive en rattachant la prévention spécialisée à la prévention de la délinquance, en même temps qu’il remet en cause la fonction essentielle des travailleurs sociaux, basée sur la confiance et la confidentialité.

L'amendement 673, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Patricia Adam – Notre amendement 708 est de cohérence avec le projet sur la protection de l’enfance, qui a déjà été débattu au Sénat. Il reprend pour partie son article 5, afin d’organiser l’échange d’informations, en cette matière, entre le président du conseil général et le procureur. C’est cohérent avec les dispositions de ce projet sur la prévention de la délinquance, qui prévoit la transmission d’informations entre le maire et le procureur en matière de sécurité et d’ordre public. Adopter cette disposition éviterait beaucoup de questions relatives au secret professionnel.

M. le Rapporteur – La commission n’a pas examiné cet amendement, mais j’y suis, là encore, défavorable car c’est une disposition qui figure en effet dans le projet sur la protection de l’enfance, déjà adopté par le Sénat. Je demande au ministre de bien vouloir confirmer que ce projet viendra en discussion devant l’Assemblée prochainement.

M. le Rapporteur pour avis – Les membres de la commission des affaires sociales, à commencer par Mme Pecresse, attendent avec impatience cette discussion !

Mme Valérie Pecresse – Eh oui !

M. le Ministre délégué – Je confirme bien volontiers que ce texte, auquel le Gouvernement est particulièrement attaché, sera inscrit prochainement à l’ordre du jour prioritaire de l'Assemblée nationale.

Nous avons veillé avec le ministre de l’intérieur à bien séparer les deux projets car ils n’ont pas le même objet. Nous ne souhaitons donc pas, évidemment, que des dispositions de l’un soient insérées dans l’autre, d’autant plus que la loi spéciale sur la protection de l’enfance déroge à la loi générale sur l’organisation du travail social. Mélanger les deux textes serait source de confusion.

Cela étant, Madame la députée Adam, je vous remercie de l’intérêt que vous portez à la protection de l’enfance ; le fait que vous vouliez reprendre mot pour mot certaines dispositions de mon projet augure bien du soutien que votre groupe lui apportera !

M. Jean-Marie Le Guen – Il y a un consensus chez les professionnels de l’enfance : les textes sur la protection de l’enfance sont la pierre angulaire de toute réflexion en la matière, les mineurs violents ayant eux aussi la plupart du temps subi des violences. C’est pourquoi nous étions tous d’accord pour dire que le texte sur la protection de l’enfance devait être examiné avant celui sur la prévention de la délinquance, qui est en l’occurrence un véritable fourre-tout. Nous assistons en outre à une véritable mascarade. Nos collègues de la majorité ne sont même pas d’accord entre eux et c’est la presse qui nous l’apprend ! Une bataille extraordinaire se livre en coulisse sur certains articles : M. le rapporteur, M. le Garde des Sceaux, M. le ministre de l’intérieur s’étripent dans des réunions d’où les parlementaires sont bien entendu exclus. On nous annonce également que M. Sarkozy daignera passer par l’hémicycle à l’occasion de la discussion de tel ou tel article alors qu’il ne nous honore pas de sa présence quand il s’agit d’en discuter dans sa globalité. Enfin, il prend des positions contradictoires sur des questions d’actualité très graves. M. Goasguen se fait son porte-parole pour expliquer en l’occurrence que la loi sera appliquée, qu’un décret sera pris à la fin de la semaine et qu’une commission se réunira lundi alors que l’on ignore quelles seront les associations de supporters qui seront concernées. On est dans la confusion la plus totale !

M. Pierre Cardo – Pourrait-on travailler ?

M. Noël Mamère – Je suis tout à fait d’accord avec M. Le Guen.

M. Claude Goasguen – Zig et Puce !

M. Noël Mamère – Manifestement, l’action gouvernementale manque de coordination…

M. Claude Goasguen – Laurel et Hardy !

M. Noël Mamère – …en particulier entre MM. Sarkozy et Bas, le présent projet contredisant les orientations de celui relatif à la protection de l’enfance. On comprend d’ailleurs, Monsieur Bas, que vous ayez mis du temps à venir vous expliquer devant nous et que vous ne soyez guère enthousiaste à l’idée de défendre le projet de M. Sarkozy puisqu’il tord le cou à vos propres préconisations ! J’ai de plus le sentiment que M. le ministre de l’intérieur recule dans la foire d’empoigne qui se joue au sein de la majorité sur ce texte électoraliste qui ne sert qu’à monter une partie de la population contre l’autre, à accroître exagérément les responsabilités des maires et à miner le fondement démocratique de notre société. Quant à nous, comme il est de notre devoir, nous discutons, nous réfutons, nous proposons.

Vous serez comptables devant les Français de ce braconnage sur les terres de l’extrême droite. (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Mme Valérie Pecresse – Mais on parle d’une question sociale !

M. Noël Mamère – Pour l’honneur de la République, j’espère que les électeurs feront payer celui qui fait de la sécurité une variable d’ajustement de ses ambitions présidentielles !

Mme Henriette Martinez – Je regrette une telle polémique.

Madame Adam, je suis d’accord avec vous sur le fond et je voterai votre amendement si vous le déposez lors de l’examen du texte sur la protection de l’enfance. Si tel n’est pas le cas, je m’abstiendrai, mais j’espère que vous le retirerez. Monsieur Le Guen, je suis également d’accord avec vous lorsque vous dites que la différence est ténue entre enfants victimes et enfants délinquants, sachant que nombre de détenus sont passés par des institutions de protection de l’enfance – d’où, d’ailleurs, un échec patent. Nous attendons donc impatiemment le texte de M. Bas.

M. Noël Mamère – Je remercie Mme Martinez, mais ce n’est pas d’un échec de la politique de l’enfance qu’il s’agit : c’est d’un manque de moyens ! Voulez-vous que l’on regarde les effectifs de la protection judiciaire de la jeunesse ou des travailleurs sociaux ?

M. Jean-Marie Le Guen – Que le Gouvernement supprime les articles 18 à 24 – M. le président de la commission des affaires sociales a d’ailleurs demandé leur retrait – et que l’on discute de la loi sur la protection de l’enfance ! C’est ainsi que nous gagnerons du temps ! J’attends une réponse de M. le ministre délégué.

L'amendement 708, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Patricia Adam – Je ne peux vous laisser dire, Monsieur le ministre délégué, que ces deux textes n’ont rien à voir. Il est par exemple question du secret professionnel partagé dans ce texte-ci, comme dans votre propre loi. J’ajoute que, si nous sommes ravis de votre présence, nous nous étonnons de l’absence de M. Estrosi, lequel aurait bien aimé vendredi soir que l’article 5 soit examiné sans vous.

L’amendement 709 tend à ce que les informations nominatives détenues par une personne tenue au secret professionnel ne soient transmises qu’à des personnes elles-mêmes soumises au secret professionnel. Tout manquement à cette obligation devra être sanctionné car cette relation de confiance est au fondement de l’action sociale.

M. le Rapporteur – La commission n’a pas examiné cet amendement mais j’y suis, à titre personnel, défavorable pour une question de forme : c’est l’article 5 qui traite en effet des questions liées au secret professionnel et un sous-amendement de Mme Pecresse reprendra votre idée. Ne compliquons donc pas les choses !

M. le Ministre délégué – L’article L. 226-13 du code pénal permet déjà de sanctionner toute personne non soumise au secret professionnel qui viendrait à recevoir une information de la part d’une personne soumise au secret professionnel et la divulguerait. En conséquence, avis défavorable.

L'amendement 709, mis aux voix, n'est pas adopté.

art. 5 (précédemment réservé)

M. Noël Mamère – Le secret professionnel est sérieusement mis à mal par cet article 5, qui est l’épine dorsale du texte. Le débat autour du secret partagé est régulièrement relancé depuis quelques années. Lors de l'examen de la loi du 22 juillet 1992 sur le nouveau code pénal, le Parlement avait refusé de consacrer cette notion.

Une circulaire conjointe des ministères de la justice et de la santé a donné une sorte de mode d'emploi du secret partagé le 21 juin 1996 : « II convient, dans cette hypothèse, de ne transmettre que les éléments nécessaires, de s'assurer que l'usager concerné est d'accord pour cette transmission, ou tout au moins qu'il en a été informé, ainsi que des éventuelles conséquences que pourra avoir cette transmission d'informations, et de s'assurer que les personnes à qui cette transmission est faite sont soumises au secret professionnel et ont vraiment besoin, dans l'intérêt de l'usager, de ces informations. »

L’article 5 paraît fort éloigné de ces préoccupations. Le texte part du principe qu’une bonne politique de prévention de la délinquance passe par une clarification des missions qui vise à assurer la continuité et la cohérence de l'action sociale et éducative. C'est dans ce cadre qu’il autorise le partage d'information, mais sans faire référence à l'accord préalable de la personne concernée. Or si les atteintes à la confidentialité sont possibles, elles doivent, selon nous, être strictement encadrées et compatibles avec le respect de la vie privée.

La confidentialité est un principe fondamental du travail social. Elle est même consubstantielle à son exercice, puisqu’elle permet de travailler en confiance avec les familles. Or le texte soumet la vie privée et familiale des personnes à un contrôle administratif lourd et intrusif.

Dans l’avis qu’elle a rendu le 13 juin 2006 sur votre projet, la CNIL a rappelé que « le partage d'informations relatives à des personnes identifiées entre travailleurs sociaux est légitime, dès lors qu'il est strictement nécessaire à leur prise en charge et est réalisé dans l'intérêt des personnes concernées. » Si la CNIL a considéré que le texte allait dans ce sens, elle a souligné que « demeure la disposition selon laquelle les informations confidentielles nécessaires à l'exercice des compétences dans les domaines sanitaire, social et éducatif peuvent être révélées au maire ou à son représentant par le professionnel intervenant seul et le coordonnateur. »

Ce texte est inefficace, anticonstitutionnel et dangereux. Il repose sur l’idée selon laquelle le secret professionnel serait un obstacle à la protection des personnes. La fin justifierait donc les moyens : la protection des personnes vulnérables vaudrait bien une entorse à la vie privée de chacun. Une meilleure coordination des services sociaux serait un gage d'efficacité et permettrait d'éviter certains drames.

Ce texte est contraire à nos engagements internationaux. L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ne mentionne pas les difficultés sociales, éducatives ou matérielles parmi les exceptions rendant possible la levée du secret professionnel. La formulation vague du texte n'est par ailleurs pas conforme au principe de précision de la loi pénale, qui a valeur constitutionnelle. Ceux qui s'adressent aux services sociaux éprouvent tous « des difficultés sociales, éducatives ou matérielles » nécessitant l'intervention de plusieurs acteurs. Tous seraient donc susceptibles d'être signalés au maire ! Le secret professionnel est un indicateur de la valeur démocratique des sociétés : seuls les États soucieux de tolérance protègent les personnes dans ce qui concerne leur santé, leurs moeurs, leur appartenance ethnique, politique, religieuse ou philosophique. L'agonie du secret professionnel est donc un danger pour nos institutions et pour le citoyen qui se veut libre.

Le texte établit de surcroît un lien dangereux entre difficultés sociales et délinquance. Il obligerait les travailleurs sociaux à signaler au maire les personnes en situation d'irrégularité, qui connaissent des difficultés matérielles, sachant que le maire, en tant qu'officier de police judiciaire, doit signaler les délits au procureur de la République. Les professionnels du secteur social deviendraient ainsi des délateurs obligés. C’est la raison pour laquelle ils n’ont cessé de nous alerter.

M. Jacques-Alain Bénisti – Vous avez une belle opinion des maires !

M. Noël Mamère – En tout cas, ils ne veulent ni devenir destinataires d’informations privées, ni rendre des comptes au procureur de la République. Nous ne sommes ni chez Orwell ni chez Aldous Huxley !

Mme Valérie Pecresse – Je m’explique mal l’ampleur de la polémique suscitée par ce texte. Sans doute l’opposition est-elle heurtée par l’idée que notre politique de lutte contre la délinquance inclue désormais un grand volet préventif, et par le fait qu’un texte défendu par le ministre de l’intérieur la concurrence sur le terrain social.

Cet article 5 est crucial. Il reconnaît – et j’en suis fière – le rôle prééminent de l’action sociale et éducative dans la lutte contre la délinquance. Cela ne devrait pas vous déranger qu’on parle d’action sociale !

Venons-en à la genèse de cet article. Mme Adam a parlé à propos de la mission famille, dont j’étais rapporteure, de rapport Bloche-Pecresse : dois-je lui rappeler que M. Bloche, qui présidait la mission, a voté contre mon rapport (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), même si sur le volet protection de l’enfance, nous avons été unanimes ?

M. Jean-Marie Le Guen – Vous n’êtes pas polémique : c’est bien !

M. le Président – Le temps des femmes est venu, chers collègues ! Cela s’applique à tous ! (Sourires)

Mme Valérie Pecresse – Seules certaines femmes ont le droit de finir de s’exprimer au parti socialiste ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

La mission famille a reconnu unanimement que le cloisonnement des services publics posait problème s’agissant de la protection de l’enfance et de l’action sociale. Entre le conseil général, compétent en matière de protection de l’enfance, et les maires, confrontés chaque jour au problème de la prévention de la délinquance, il n’y a pas toujours de dialogue. Le maire de Drancy ici présent nous en a donné un exemple éclairant s’agissant d’un cas de maltraitance.

Notre mission a donc estimé que, lorsqu’il existe des informations préoccupantes faisant craindre que la vie d’un enfant est en danger, il est nécessaire que les professionnels se parlent, quand bien même la vie privée serait en jeu.

M. Patrick Braouezec – Mais ils parlent déjà !

Mme Valérie Pecresse – C’est pourquoi nous avons proposé la création d’une cellule de signalement unique. Cela évitera que l’irréparable soit commis alors que chacun avait une pièce du puzzle.

S’agissant de la prévention de la délinquance, ce texte confère un rôle central au maire. Là encore se pose la question des informations qui lui sont communiquées. Il faut bien sûr définir les conditions du partage d’informations, de manière cohérente avec le texte. Ces dispositions ne peuvent donc être identiques à celles du projet de loi sur la protection de l’enfance. Des contraintes particulières s’imposent en effet s’agissant de la prévention de la délinquance – sécurité publique, sécurité des personnes.

L’article 5 repose sur cinq principes. La précaution d’abord : les informations communiquées doivent être strictement nécessaires à l’exercice des compétences d’action sociale du maire. Dès lors que ce principe est respecté, il n’y a pas d’atteinte à la vie privée. Pour conforter les travailleurs sociaux dans leur mission de soutien et d’assistance aux familles sans compromettre l’efficacité de notre politique, nous proposons de désigner un coordonnateur en la personne d’un des travailleurs sociaux concernés. C’est une disposition cardinale du texte.

Nous prévoyons également une coopération étroite entre le maire et le président du conseil général – ce qu’il faudra faire aussi dans le projet de loi relatif à la protection de l’enfance.

J’en viens à l’information des familles sur le partage de certaines données qui les concernent. Cette question ne se pose qu’à condition que cette information ne mette en cause ni la sécurité des personnes, ni l’efficacité des politiques menées.

M. Jacques-Alain Bénisti – Très bien !

Mme Valérie Pecresse – Il n’est donc pas question de solliciter l’accord des familles lorsqu’un enfant est en danger ou en matière de prévention de la délinquance : cet accord ne serait pas obtenu.

Il faut enfin soumettre au secret professionnel les maires et les présidents de conseil général qui deviennent détenteurs d’informations. Le Sénat l’a prévu. Un amendement risque de supprimer cette disposition, qui doit à mon sens être maintenue. Dès lors qu’on est détenteur d’une information couverte par le secret professionnel, on doit y être tenu. Cet article 5 est donc cohérent avec le dispositif prévu en matière d’action sociale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Mme Patricia Adam – Nous avons en effet beaucoup discuté de ces questions avec Mme Pecresse. Nous sommes tous d’accord sur la nécessité de la coordination. Mais dans quelles conditions, dans quel texte et à partir de quelles compétences ? Les lois de décentralisation, la loi sur la protection de l’enfance ? Le décret publié en septembre sur le contrat de responsabilité parentale confirme le rôle de chacun. C’est bien le président du conseil général qui est confirmé comme le coordonnateur des politiques d’action sociale.

Dans son rapport, le sénateur Nicolas About, qui n’est pas de ma famille politique, écrit à ce sujet des choses que je pourrais cosigner sans problème. Il souligne ainsi que la coordination de l’action sociale relève, depuis les premières lois de décentralisation, du département et que, malgré quelques imperfections, on ne peut que se féliciter de la façon dont les conseils généraux assument cette mission. Il faut, nous dit-il, éviter une confusion des rôles qui pourrait provoquer des malentendus regrettables : l’action sociale en faveur des familles en difficulté a une vocation beaucoup plus large que la seule prévention de la délinquance. Si le maire, écrit encore M. About, est le mieux placé pour veiller à la sécurité au niveau local, il n’est pas certain qu’il en aille de même en matière d’action sociale…

M. Jacques-Alain Bénisti – Quelle opinion avez-vous donc des maires ?

Mme Patricia Adam – …car la plupart des moyens disponibles en la matière relèvent, non pas de la commune, mais bien du président du conseil général. Il serait donc paradoxal, conclut M. About, de voir le maire coordonner l’intervention de services qui relèvent pour l’essentiel d’autres collectivités, au premier rang desquelles le département.

M. Nicolas About craint d’autre part que le présent projet crée aussi la confusion en ce qui concerne le partage des informations, dans la mesure où il retient une procédure différente de celle retenue pour la protection de l’enfance. Dans ces conditions, il sera difficile aux travailleurs sociaux de savoir s’ils doivent ou non, s’ils peuvent ou non, transmettre les informations relatives à certaines familles.

J’ai entendu l’argument selon lequel le texte sur la protection de l’enfance et celui sur la prévention de la délinquance n’auraient rien à voir, Monsieur le ministre, mais ils se rapportent bien tous deux au même code et concernent les mêmes professionnels. Mieux vaudrait donc qu’ils soient cohérents !

La confusion créée par ce projet est dangereuse, car si les travailleurs sociaux perdent la confiance des familles, c’est le travail social lui-même qui ne sera plus possible, et l’on passera d’une politique d’aide aux famille à une politique purement sécuritaire.

M. Jean-Marie Le Guen – Le débat serait assez différent si nous étions sous mandat unique. Cela éviterait à des collègues de se sentir remis en cause dans certaines de leurs autres fonctions.

Les maires sont confrontés à une énorme demande de sécurité de la part de la population. Cette demande peut susciter chez eux un désir de contrôle total de la situation, désir qui conduit au mieux à la désillusion, car on ne tarde pas à constater l’inefficacité des mesures prises dans cet esprit, au pire à un monde orwellien, où les maires deviendraient dépositaires de toutes les informations concernant leurs administrés – ce qui, à partir d’une certaine taille de la commune, n’est de toute façon pas possible.

M. Jacques-Alain Bénisti – Le maire n’est pas seul.

M. Richard Dell'Agnola – Il y a des services municipaux.

M. Jean-Marie Le Guen – Précisément ! J’entends certains collègues de bonne foi clamer que leur déontologie ferait que les secrets qui seraient portés à leur connaissance seraient entre de bonnes mains, mais vous reconnaissez vous-même que ces secrets seraient confiés aux services municipaux !

Il y a dans ce projet une tension permanente entre protection de l’enfance et prévention de la délinquance. La question que nous devons nous poser est celle-ci : les travailleurs sociaux sont-ils missionnés par la puissance publique au nom de la défense de l’enfance ou au nom de celle de l’ordre public ? Il me semble que toute l’action du travailleur social est légitimée par la défense de l’intérêt de l’enfant. C’est ce qui fonde sa déontologie. Et si le texte sur la protection de l’enfance permet un partage du secret professionnel entre différents intervenants, c’est précisément parce que ces intervenants sont liés par une même déontologie et ont un même objectif de base : la défense de l’intérêt de l’enfant. On ne peut pas demander à ces travailleurs sociaux, sauf à vouloir les plonger dans une sorte de schizophrénie professionnelle, de retourner leur veste et de se mettre à défendre l’ordre public !

L’ordre public doit évidemment être défendu, ce n’est pas moi qui dirai le contraire, mais autrement, pas par ceux qui cherchent toute la journée à gagner la confiance des familles. Ne leur demandez pas, le soir, de trahir leur mandat !

Il est paradoxal de voir le ministre de l’intérieur – qui a longtemps négligé la prévention et qui refusait de tenir compte du contexte social de certains actes, au motif qu’expliquer, ce serait déjà excuser – passer maintenant à un déterminisme social absolu, qui l’amène à considérer qu’il y a des « classes dangereuses », propices à l’épanouissement de la délinquance !

M. le Président – Je rappelle que le temps de parole sur chaque article est limité à cinq minutes par orateur.

M. Pierre Cardo – L’article a le mérite de faire du maire le coordinateur de l’action. Il est vrai que les limites ne sont pas aisées à déterminer. Bien sûr, le secret professionnel ne doit jamais être utilisé au détriment de ceux qui doivent en bénéficier mais, a contrario, le fait de garder par devers soi des informations peut créer des dégâts. Selon moi, il ne s’agit pas de faire du maire le responsable de l’ordre public mais bien le pivot de la paix sociale. Les intervenants sont nombreux, la cohérence de leurs interventions doit être assurée – mais comment peut-elle l’être s’il n’existe ni procédures ni chef d’orchestre ? D’évidence, rien ne peut aboutir dans ces conditions, et la rupture menace. L’objet de la prévention, c’est d’éviter qu’un individu en vienne à un comportement délictueux ou, s’il s’y est engagé, de l’en faire changer. Alors que l’on sait la multiplicité des problèmes qui conduisent à de tels troubles, le drame français est de prétendre qu’un spécialiste pourrait, à lui seul, régler les problèmes des mineurs délinquants et de leurs familles. Cela ne peut être ! Différents intervenants doivent agir et un coordinateur est nécessaire.

J’entends dire que ce devrait être le président du conseil général. Je ne partage pas ce point de vue. Sur le territoire d’une commune, le maire est bien le seul pouvoir exécutif, celui qui peut enclencher une dynamique et harmoniser les initiatives. En quoi serait-il moins digne de confiance que les services du conseil général et que son président lui-même, qui est un politique, n’ayant parfois aucune expérience de ces situations ? Pourquoi diaboliser les maires, alors que le texte insiste sur la prévention ?

Lorsque les premières émeutes ont eu lieu, dans la région parisienne et au-delà, au cours des années 1990, on a recensé, dans ma commune, les gamins qui posaient problème pour voir ce que l’on pouvait faire. Ce recensement a permis de constater que les noms d’une quarantaine de mineurs fauteurs de troubles revenaient régulièrement. Les enseignants, les membres des associations, les services municipaux, la police les connaissaient tous. Mais les services sociaux n’ont cité qu’une seule famille – parce qu’elle avait demandé un secours. Et ils ne savaient rien du mineur signalé par tous les autres acteurs.

Pour des raisons sur lesquelles je ne m’attarderai pas, les institutions sont désormais en retrait, si bien que les services « de première ligne », ceux qui devraient faire la détection précoce des troubles, ne sont pas les mieux informés. Comment, alors, organiser le travail en réseau et permettre que les informations circulent pour éviter qu’un mineur sombre dans la délinquance ? Si l’on veut éviter que les choses ne dégénèrent, si l’on veut mettre le holà avant que l’on en arrive au tribunal pour enfants, le maire doit s’investir personnellement et mobiliser l’ensemble des intervenants. Le rôle que lui assigne le texte est donc très positif et j’estime assez injuste le procès fait à ce projet dans lequel est abordé, pour la première fois, le statut du maire. Ce n’est pas parce que je suis maire que je n’ai pas de compétences pour aider des enfants et des familles en difficulté. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jacques-Alain Bénisti – Bravo !

M. Michel Vaxès – Cet article consacre deux principes. D’abord, le partage d'informations confidentielles entre les professionnels de l'action sociale. Mais ces derniers partagent déjà des informations utiles en bonne intelligence, avec discernement, dans le respect de la vie privée et de l’intérêt des personnes dont ils ont la charge. Ensuite, la communication systématique au maire de ces informations confidentielles – mais aujourd’hui, ces informations ne lui sont révélées que lorsque des cas d'espèce justifient son intervention. Bref, l’essentiel est déjà fait.

Mme Pecresse a expliqué que des conflits peuvent se produire entre travailleurs sociaux d’une collectivité et d’une autre. Sans doute, mais peut-on prétendre régler par la loi, sous la contrainte, des conflits de personnes ? On introduit ainsi subrepticement dans le débat l’idée que des conflits opposeraient les présidents de conseils généraux et certaines collectivités locales et l’on en tire argument pour consacrer la primauté du maire. La question doit être résolue d’une autre manière.

Le Sénat a certes intégré le président du conseil général dans le dispositif, mais cela n’a pas modifié la philosophie qui sous-tend le texte. Quant à la correction apportée, elle fera que les dispositions prévues donneront lieu à autant d'interprétations qu'il y aura de lecteurs, d'intervenants sociaux, de présidents de conseils généraux ou de maires…

On peut légitimement s’interroger sur la compatibilité de cet article avec l'article 9 du code civil relatif au respect de la vie privée, et avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui énonce que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». La CNIL a d’ailleurs estimé, dans son avis du 13 juin, que les dispositions envisagées lui paraissaient disproportionnées au regard des objectifs poursuivis, soulignant que « si le maire a vocation à connaître, de façon ponctuelle, des données sur les personnes sollicitant des aides sociales facultatives qui relèvent traditionnellement de ses compétences, il n'a pas à être rendu systématiquement destinataire des informations que les professionnels de l'action sociale sont conduits à recueillir auprès des personnes et des familles en difficulté dans le cadre des relations de confiance qu'ils nouent avec elles et des garanties de confidentialité qu'ils leur apportent. Le fait que désormais le maire pourrait accéder à ces informations sociales sensibles est de nature à remettre en cause ces relations de confiance et l'efficacité de l'action sociale entreprise ».

Alors, vous nous dites qu’il y aurait des obstacles institutionnels à la coordination des interventions. Mais le texte relatif à la protection de l’enfance, qui a été débattu en première lecture au Sénat, devrait lever les obstacles juridiques – c’est pourquoi il aurait mieux valu en discuter ici avant d’examiner le présent projet.

Dans ces conditions, on est conduit à penser que vous avez pour objectif, en permettant au maire d'accéder à des informations aujourd'hui confidentielles, d’organiser le contrôle social. Mais cela servira-t-il la prévention de la délinquance ? Certes, on constituera des fichiers municipaux des enfants et familles en grande difficulté, mais comment garantir qu’il en sera toujours fait un usage bienveillant ?

Comme le souligne la CNIL, ce partage d'information obligatoire ne manquera pas de rompre le lien de confiance entre le travailleur social et l'usager, si bien que les familles les plus en difficulté deviendront de moins en moins accessibles à l'aide et au soutien des professionnels. Je crains donc que le texte ne se révèle contreproductif.

M. Jean-Christophe Lagarde – Il n’est pas certain que l’article 5 ait sa place dans ce projet, car il ne traite pas de la délinquance. Mais après tout, peu importe le véhicule législatif, et même si nous légiférons dans le désordre, il n’y a pas lieu d’en faire un drame. Ce qui compte, c’est que l’on installe le maire au centre du dispositif de prévention de la délinquance ou, comme ici, de la prévention de détresse sociale. J’appuierai donc cet article.

M. Patrick Braouezec – Quelle prévention ?

M. Jean-Christophe Lagarde – Je considère incohérent de reprocher au maire de ne pas faire de prévention, comme on l’a entendu au début de cette discussion, tandis qu’on lui interdirait d’être informé par les travailleurs sociaux. Comment peut-il agir si les informations ne lui sont pas transmises ? S’il finit, comme c’est le cas actuellement, par être informé par la police, c’est qu’il est déjà trop tard. Tout cela manque de logique !

J’en viens à la question posée par notre collègue Le Bouillonnec à l’occasion d’un rappel au Règlement, il a quelques jours : pourquoi prévoir dans la loi ce qui existe déjà ? On réunit tout le monde – enseignements, assistants sociaux, intervenants du service jeunesse, médecins, représentants du procureur et de la police – mais seulement quand la maison a brûlé, rappelait Pierre Cardo… Pourquoi ne pas agir en amont ? Je le vois aujourd’hui en ma qualité de maire, comme je m’en apercevais déjà il y a quelques années dans mes fonctions d’intervenant social auprès de l’éducation nationale : il n’y a pas assez de coordination autour des jeunes en difficulté.

S’agissant de la déontologie, l’ordre public n’entre pas en contradiction avec l’intérêt de l’enfant, Monsieur Le Guen, bien au contraire : l’intérêt de l’enfant est de ne pas devenir un délinquant, et la société ne s’en portera que mieux ! Je peux comprendre certaines réticences sur ce sujet, mais il ne faudrait pas que le principal obstacle soit l’auteur de ce texte, le ministre d’État, par ailleurs candidat à l’élection présidentielle. (Exclamations sur divers bancs)

À ceux qui nous disent que la coordination prévue par cette loi existe déjà, je rappellerai cet événement choquant, survenu dans ma commune de Drancy, et auquel Mme Pecresse faisait allusion tout à l’heure. Alors qu’un couple avait refusé que la PMI suive ses cinq enfants, l’alerte n’avait pas été donnée ; l’éducation nationale avait repéré des troubles de comportement et des problèmes d’hygiène, puis saisi le tribunal pour enfants, mais il ne s’était rien passé non plus ! Il a fallu qu’une gardienne s’inquiète de voir des enfants aller pieds nus et demande à la police de les raccompagner pour qu’on découvre l’horreur : on a trouvé un cloaque et un bébé de 14 mois pesant seulement 3,4 kilos ! Or, la justice savait qu’il y avait sans doute un problème, de même que la PMI et l’aide sociale à l’enfance. Mais ces services ne s’étaient jamais consultés !

Que s’est-il passé depuis cette date ? J’ai été auditionné par la commission, et le conseil général a lancé des investigations pour régler ces dysfonctionnements. Il reste qu’on a encore refusé récemment de m’informer des suites données à un signalement que j’avais transmis. Traumatisés par les récents événements, plusieurs habitants d’un immeuble m’ont en effet informé qu’une femme, déjà mère de deux enfants confiés à la DDASS, passait ses journées à crier sur son dernier enfant. J’alerte la PMI et je demande au directeur des centres de santé de ma municipalité de s’informer de la situation. Or, le 16 novembre dernier, le directeur de la PMI – pourtant employé de la mairie – m’écrit qu’après avoir évalué la situation, il a fait part de l’affaire à l’inspectrice de l’aide sociale à l’enfance ; toutefois, la responsable de circonscription de la PMI étant seule garante de l’exécution de la convention entre le conseil général et la municipalité, et compte tenu des obligations légales de secret professionnel, les documents ne peuvent m’être transmis.

De son côté, la responsable de la PMI me répond que tous les professionnels de ce secteur sont soumis au secret professionnel, à l’exception des signalements d’enfants en danger aux services du conseil général, en charge de la protection de l’information. Me rappelant que les services municipaux n’ont pas reçu cette compétence, elle me demande pourquoi je cherche à m’informer. Circulez, il n’y a rien à voir ! Après ce qui s’était déjà passé dans ma commune, c’est inacceptable !

Mme Valérie Pecresse – Qui est donc responsable ?

M. Jean-Christophe Lagarde – On aurait pu penser que le directeur des centres de santé, lui-même médecin, pouvait être tenu informé, afin qu’il puisse me transmettre certaines informations, après avoir effectué un tri.

Compte tenu des difficultés que nous éprouvons pour travailler en compagnie des travailleurs sociaux dans des affaires relevant de la simple prévention sociale, vous imaginez les difficultés qui nous attendent en matière de prévention de la délinquance si ce texte n’est pas voté !

M. Jacques-Alain Bénisti – Très bien !

M. Jean-Christophe Lagarde – Je préfère donc un texte qui nous permette d’avancer dans le bon sens. J’aurais toutefois préféré qu’on donne au maire la capacité de réunir autour de la table toutes les instances concernées, au lieu de le rendre responsable de l’intégralité des dossiers.

M. Patrick Braouezec – C’est autre chose !

M. Jean-Christophe Lagarde – J’accepterai toutefois les mesures qui nous sont présentées, car on ne m’enverra plus dans le mur quand je signale des enfants en danger (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président – Vous avez parlé treize minutes – mais c’était particulièrement intéressant.

M. Patrick Braouezec – Voilà qui est sympa pour les autres orateurs !

Mme Martine Billard – J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les propos de M. Lagarde. Il y a effectivement des dysfonctionnements dans la coordination entre certains services – chacun d’entre nous pourrait en donner des exemples ! Il en résulte parfois des drames sociaux, voire des morts.

M. Jacques-Alain Bénisti – C’est bien de le reconnaître !

Mme Martine Billard – C’est la vérité. Le maire doit-il se charger, pour cette raison, de la coordination des services ? Faudra-t-il que nous donnions autorité au maire sur des services qui ne relèvent pas de sa compétence – justice et santé, par exemple ?

M. Jacques-Alain Bénisti – Dans le champ de sa commune, oui !

Mme Martine Billard – Allons-nous faire du maire un shérif qui décide de tout ? Même si vous le souhaitiez, ce serait impossible. On ne peut pas confier la coordination au maire dans les grandes villes, certains d’entre vous l’ont reconnu, mais ce n’est pas non plus souhaitable dans les autres. Certes, le maire doit favoriser la coordination des objectifs et des politiques menées…

M. Jacques-Alain Bénisti – Très bien !

Mme Martine Billard – …mais il n’a pas à s’immiscer dans la situation personnelle des familles.

M. Jacques-Alain Bénisti – Il en serait bien incapable !

Mme Martine Billard – J’ajoute que la tentation de définir des profils de délinquants n’est pas nouvelle. Plusieurs gouvernements de droite y ont déjà succombé au nom de la prévention, mais voilà que vous cherchez à établir un lien inacceptable entre la délinquance et les difficultés sociales, éducatives et matérielles. Allez-vous faire, de nouveau, des classes populaires les « classes dangereuses » ? Certains vont jusqu’à dire que les enfants de mères célibataires ont le profil de délinquants potentiels ! En réalité, il est des jeunes de milieux populaires qui ne posent aucun problème et d’autres de milieux aisés qui deviennent délinquants.

Quand le maire, que vous voulez charger de tout, ne pourra plus faire face, à qui faudra-t-il faire appel ?

M. Jacques-Alain Bénisti - Est-ce un argument pour ne pas agir ?

Mme Martine Billard - Cet article n’a rien à faire dans un texte relatif à la prévention de la délinquance. D’accord pour renforcer la coordination des politiques de prévention – il existe déjà les contrats locaux de sécurité qui pourraient être encore améliorés –, mais il n’y a pas lieu de lever le secret professionnel en faveur du maire, s’agissant des familles en difficulté dans sa commune.

M. Jacques-Alain Bénisti – À vous écouter les uns et les autres, on mesure tout ce qui sépare un député d’un député-maire, M. Le Guen et M. Lagarde par exemple (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Lorsque le ministre de l’intérieur a souhaité en 2003 que soit créée une commission « prévention » au sein du groupe d’études parlementaires sur la sécurité intérieure, il a voulu que des députés de tous bords y participent, et surtout des députés-maires, confrontés quotidiennement à ces difficultés. Il ne se doutait peut-être pas alors que nous formulerions des propositions aussi concrètes, issues précisément de notre expérience de terrain. Prétendre comme M. Le Guen que les maires n’ont pas à s’occuper d’action sociale, c’est méconnaître totalement la réalité. Lorsque, dans cette commission « prévention », nous avons abordé la question du partage du secret professionnel avec les travailleurs sociaux, tous les députés-maires – je ne citerai pas de nom mais je pense notamment à un député-maire communiste de la banlieue lyonnaise…

M. Patrick Braouezec – Il n’y en a qu’un !

M. Jacques-Alain Bénisti – …Il nous a raconté qu’une personne lui avait dit à sa permanence qu’elle entendait depuis trois mois, chaque soir à la même heure, une fillette de onze ans hurler. En fait, elle était violée chaque soir par son père. Mais lorsque ce maire a tenté de savoir ce qui se passait, ce fut le parcours du combattant…

M. Jean-Marie Le Guen – À quoi sert la police ?

M. Jacques-Alain Bénisti – Certains avaient essayé de saisir l’assistante sociale, d’autres la police. Mais rien n’avait été fait. De tels cas, parfois dramatiques, les maires ont à en connaître chaque semaine (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste). Monsieur Vaxès, vous qui avez été maire, le savez pertinemment.

Le partage du secret professionnel ne vise bien sûr que ces cas graves. Il n’est pas question pour le maire de demander aux travailleurs sociaux de l’informer de tous les problèmes rencontrés par les familles…

Mme Patricia Adam - Encore heureux !

M. Patrick Braouezec – Vous ouvrez la boîte de Pandore.

M. Jacques-Alain Bénisti – Mais dans des cas graves mettant en danger un enfant ou une personne, le travailleur social doit partager son information avec le maire de façon qu’ensemble, ils puissent assurer la protection nécessaire.

M. Manuel Valls – Je suis moi aussi maire, mais nous sommes ici à l'Assemblée nationale. Chaque député-maire pourrait raconter ici les drames dont il a connaissance dans ses permanences. Vouloir placer les maires au cœur de tout, comme on l’a fait à la suite des émeutes urbaines de l’année dernière où il est apparu qu’ils étaient les seuls capables de se faire entendre de la population, cela traduit un recul de la parole politique au niveau national et, d’une manière plus générale, du rôle de l’État au niveau local. Maire d’une commune de 50 000 habitants, j’assume toutes sortes de responsabilités, parfois au-delà même de celles que nous confère la loi, je souhaite bien sûr un échange d’informations et une coordination avec les autres collectivités territoriales, mais j’attends surtout que l’État joue son rôle. La dérive que vous proposez est dangereuse. À ce compte-là, certains maires pourraient bientôt demander à assurer, pourquoi pas, les fonctions de commissaire de police ou de procureur.

M. Pierre Cardo – C’est tout de même le législateur qui en décide.

M. Manuel Valls – Les maires sont bien sûr tentés par cette dérive car c’est vers eux, élus les plus proches de nos concitoyens, que remontent toutes les demandes, notamment celle de sécurité.

Mais il importe précisément dans notre République que le rôle de chacun soit précisément défini et clairement perçu par nos concitoyens. En matière sociale, familiale, de sécurité et de prévention de la délinquance, les responsabilités respectives de l’État, du conseil général et de la commune sont aujourd’hui parfaitement claires. Cet article 5 au contraire crée une confusion dangereuse, notamment en ce qu’elle porte atteinte à la légitimité de chacun à intervenir.

De plus, vous vous êtes arrêtés au milieu du gué. Ou bien il fallait aller au bout de votre logique de démantèlement du rôle de l’État et proposer un texte modifiant de fond en comble l’organisation territoriale de notre pays et faisant du maire, comme dans d’autres pays, le pivot de tout. Certains d’entre [vous] le souhaitent et c’est ce que nous dénonçons en matière de sécurité en parlant de « maire-shérif ». Ou bien il faut affirmer qu’il y a place dans notre pays pour chaque niveau de collectivité et chaque institution, et qu’elles peuvent travailler en concertation, comme c’est aujourd’hui le cas dans le cadre des CLSPD. L’entre-deux est source de confusion. C’est si vrai qu’aujourd’hui même, à Élancourt, le ministre de l’intérieur a déclaré qu’il faudrait une nouvelle loi d’orientation et de programmation pour la police et la gendarmerie, oubliant sans doute qu’il est ministre depuis plus de quatre ans, et ajouté « qu’il ne faut pas laisser galvauder, abaisser, ridiculiser l’État par les facilités et les renoncements ». Le ministre de l’intérieur aurait dû être présent parmi nous pour mesurer combien ce texte abaisse le rôle de l’État sur le plan local. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Rapporteur pour avis – Si la commission des affaires sociales a souhaité se saisir pour avis de ce texte, c’est notamment en raison de cet article 5. Il permettra de soulager la souffrance sociale d’un certain nombre de nos concitoyens, ce qui est sans doute l’une des meilleures façons de prévenir la délinquance. Coordination des interventions sociales auprès des familles en difficulté et partage du secret professionnel en sont les principales dispositions. Je ne suis pas choqué, pour ma part, que le maire reçoive mission de coordonner les interventions d’action sociale sur le territoire de sa commune…

M. Patrick Braouezec – Le texte ne traite pas de l’action sociale.

M. le Rapporteur pour avis – J’ai tout de même le droit de parler d’action sociale, fût-ce dans un texte relatif à la prévention de la délinquance.

Il ne me choque pas que le maire puisse autoriser, sous certaines conditions, le partage d’informations entre les divers professionnels intervenant auprès d’une même famille. L’objectif est de décloisonner l’action de l’ensemble des intervenants, dont chacun ne connaît la situation de la famille que sous un angle particulier, et éviter que des situations dramatiques ne s’aggravent encore, faute d’une autorité ayant une vision globale. Le maire pourra, sur proposition du président du conseil général et après accord de l’institution dont relève l’intéressé, désigner un coordonnateur parmi l’ensemble des intervenants. Je ne vois vraiment pas comment on peut être choqué par cet effort de coordination.

Le second volet vise à donner une base légale à une pratique qui existe déjà, l’échange d’informations entre personnes relevant d’autorités différentes et soumises au secret professionnel, ou au moins à un devoir de discrétion. Le texte limite strictement ces échanges à la détection des situations sociales graves ; il vise à protéger des personnes vulnérables. Qui pourrait s’en offusquer ? D’autant plus que le Sénat a modifié le dispositif afin de mieux l’encadrer ; le partage d’informations confidentielles se fera à deux niveaux : d’une part entre professionnels de l’action sociale, pour permettre une prise en charge globale et efficace des bénéficiaires, d’autre part au profit du maire et du président du conseil général, afin de leur permettre d’exercer leurs compétences respectives en matière d’action sociale et éducative. Ces dispositions sont le fruit d’un compromis entre les « départementalistes » – qui sont nombreux au Sénat – et les partisans d’une autorité de proximité, le maire.

Cet article ne vise pas en premier lieu les familles dont les enfants sont en situation de délinquance ; il s’agit beaucoup plus largement d’accompagnement social.

Enfin, il faut garder à l’esprit que certaines familles pourront relever du dispositif de protection de l’enfance. C’est la raison pour laquelle les deux textes doivent être coordonnés, et c’est pourquoi je salue votre présence aujourd’hui, Monsieur le ministre.

M. le Ministre délégué – Je vous remercie de ce débat, qui fait honneur à l'Assemblée nationale. Néanmoins certaines critiques me paraissent fort éloignées du contenu réel de ce projet.

Comme l’a souligné M. Dubernard, c’est un texte d’équilibre. Il ne s’agit certainement pas, comme le prétend M. Mamère, de l’agonie du secret professionnel et d’un appel à la délation. Bien au contraire, nous entendons préserver le secret professionnel, nécessaire à la confiance, tout en assurant la coordination et l’échange d’informations entre les travailleurs sociaux, dans l’intérêt des familles. Comment s’opposer à une disposition qui vise à améliorer le travail social auprès des familles ?

Mme Patricia Adam – Cela n’a rien à faire dans ce texte !

M. le Ministre délégué – Il reprend les mêmes principes qu’en matière de protection de l’enfance. Ceux d’entre vous qui se déclarent favorables aux règles retenues dans le projet sur la protection de l’enfance ne peuvent donc que voter l’article 5 du projet sur la prévention de la délinquance !

M. Jean-Marie Le Guen – Les finalités ne sont pas les mêmes !

M. le Ministre délégué – Le secret professionnel est une notion très importante, qui existe aussi bien dans le domaine médical qu’en matière de justice. On sait bien qu’à chaque fois qu’un secret voulu par le législateur est violé, c’est au détriment des personnes au profit desquelles il a été institué. Le Gouvernement est donc très attaché au secret professionnel. Ce n’est pas une raison pour ne pas organiser, entre personnes soumises à ce secret, un travail en commun.

Quant au maire, il exerce d’ores et déjà des responsabilités qui l’amènent à avoir connaissance de certaines informations relevant de la vie privée, par exemple quand il préside une commission locale d’insertion ou quand il instruit un dossier de demande d’aide sociale auprès du département.

Mme Patricia Adam – Ce sont les familles elles-mêmes qui fournissent les informations, pas les travailleurs sociaux !

M. le Ministre délégué – Nous proposons tout simplement d’aménager la faculté dont dispose déjà le maire, dans le cadre d’un travail social coordonné. Il ne s’agit en aucun cas de lui permettre d’aller regarder ce qu’il y a dans les dossiers des travailleurs sociaux. En revanche, il est normal, lorsqu’il a une décision à prendre en application de nos lois actuelles, qu’il dispose des informations nécessaires. Nous ne faisons que reprendre ce qui se fait en matière de protection de l’enfance, où depuis 1984, le président du conseil général accède à des informations couvertes par le secret. Le maire n’aura d’informations sociales couvertes par le secret que dans la stricte mesure de ce qui est nécessaire pour l’exercice de ses compétences légales.

M. Jean-Marie Le Guen – Par exemple ?

M. le Ministre délégué – Bref, je le répète, ce texte est équilibré : le secret professionnel demeure, mais les informations qui en relèvent doivent pouvoir être partagées entre les professionnels qui y sont assujettis, et cela dans l’intérêt des familles ; quant au maire, il doit veiller à ce que le travail social s’effectue dans de bonnes conditions, et par ailleurs avoir communication des informations qui sont nécessaires à l’exercice de ses compétences – et seulement de celles-là.

Mme Patricia Adam – Je demande une suspension de séance.

La séance, suspendue à 17 heures 25, est reprise à 17 heures 35.

M. le Président – Je suis saisi par le groupe communiste et républicain, ainsi que par le groupe socialiste, d’une demande de scrutin public sur les amendements de suppression de l’article.

M. Noël Mamère – L’amendement 33 vise en effet à supprimer cet article qui donne trop d’importance au maire : il ne s’agit pas tant de diminuer ses prérogatives que de mieux définir leur périmètre. Or, ce texte confère au maire un pouvoir exorbitant, contribuant ainsi à miner un peu plus notre démocratie…

M. Pierre Cardo – Voilà la dictature !

M. Noël Mamère – …et, surtout, à municipaliser les politiques publiques. Le maire, qui est déjà le dernier interlocuteur social, ne peut être également shérif, substitut du procureur, travailleur social et éducateur. M. le ministre délégué prétend que le secret professionnel est respecté, mais ce n’est pas le cas puisque les travailleurs sociaux devront lui rendre compte d’informations confidentielles sur des personnes privées, ce qui dépasse largement le secret partagé entre des professionnels – auquel nous ne sommes d’ailleurs pas défavorables. Comme coordinateur des politiques sociales, le maire est jusqu’à présent informé d’un contexte général, non d’informations précises concernant telle ou telle personne. J’ajoute que la transformation d’un travailleur social en coordinateur tend là encore à personnaliser sa fonction alors même qu’il dépend d’un collectif associatif. La loi sur l’immigration permet déjà au maire de distinguer les bons des mauvais immigrés en fonction de leurs potentialités réelles ou supposées d’intégration. En fait, loi après loi, c’est le contrôle social que vous renforcez ! Nous nous dirigeons vers un monde orwellien.

M. Pierre Cardo – Oh là là !

M. Noël Mamère – Agent de la maturité démocratique, le maire ne peut être le complice d’une telle dérive.

M. Pierre Cardo – Aider les familles, ce n’est pas rabaisser son rôle !

M. Patrick Braouezec – L’amendement 303 vise également à supprimer cet article. Nul ne nie les dysfonctionnements de notre société, mais légiférer à tous crins n’est pas la meilleure façon de procéder.

M. Pierre Cardo – Tiens tiens ! Voilà qui est intéressant ! Nous nous en souviendrons.

M. Patrick Braouezec – Des lois qui ont été votées n’ont pas été suivies de décrets d’application ou ne sont pas appliquées faute de moyens. Il s’agit plutôt de savoir si, en l’état actuel de notre législation, il est possible de remédier à un certain nombre de problèmes liés à la protection de l’enfance, et non d’examiner un texte qui, en grande partie, n’a rien à voir avec une telle préoccupation, non plus d’ailleurs qu’avec la prévention de la délinquance. M. Dubernard a beaucoup parlé de « social », mais le seul substantif auquel l’adjectif « social » peut être associé, c’est « contrôle » : ce projet stigmatise, culpabilise, criminalise les populations les plus en difficulté.

M. Jacques-Alain Bénisti - Pas du tout !

M. Patrick Braouezec – En fait, il jette le soupçon sur certaines classes de la société, alors même que vous prétendez rejeter tout déterminisme. Cet article, en outre, n’est pas conforme à l’article 9 du code civil relatif au respect de la vie privée ni à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La CNIL a en outre souligné que ses dispositions sont disproportionnées au regard des objectifs visés.

Si le maire a vocation à connaître, de façon ponctuelle, des données sur les personnes sollicitant des aides sociales facultatives qui relèvent traditionnellement de ses compétences, il n’a pas à être rendu systématiquement destinataire des informations que les professionnels de l’action sociale sont conduits à recueillir auprès des personnes et des familles en difficulté. » L’accès du maire à ces informations sensibles est de nature à remettre en cause les relations de confiance nouées avec ces personnes et l’efficacité de l’action sociale entreprise.

La CNIL rappelle d’autre part que les traitements comportant des appréciations sur les difficultés sociales des personnes sont soumiss à autorisation préalable. Vous n’en avez pas tenu compte.

Cet article 5 ne nous permettra pas d’être plus efficaces en matière de protection de l’enfance, car le maire n’aura pas plus de moyens. Les cas dramatiques que vous avez cités se reproduiront donc, mais le maire en sera tenu pour responsable. C’est une bonne manière pour l’État de se défausser de ses responsabilités !

M. Jean-Marie Le Guen – L’amendement 699 est identique. Il faut bien sûr – et nous en avons longuement discuté dans le cadre du projet de loi sur la protection de l’enfance –améliorer le travail social. Nous étions d’ailleurs tous d’accord sur la nécessité de renforcer la coordination et le rôle du secret partagé. Le problème est que ce texte ne traite pas d’action sociale, mais de prévention de la délinquance. On demande au maire d’être destinataire d’informations recueillies dans le cadre des politiques sociales pour mener des politiques de prévention de la délinquance.

Les informations recueillies dans le cadre de l’aide sociale le sont en général dans le seul but de défendre l’enfant ou l’individu. Du point de vue de la déontologie des travailleurs sociaux, tout est clair. Ce que vous prévoyez ici est tout autre, sauf à estimer – comme je l’ai entendu tout à l’heure – qu’en faisant de la prévention de la délinquance, on mène une action sociale de défense de l’enfant.

Notre collègue Lagarde nous a relaté un cas dramatique. Il semble que le recours au représentant de l’action publique, c'est-à-dire au procureur, n’ait pas été envisagé. La question d’un éventuel dysfonctionnement des services de PMI était pourtant posée.

Le maire doit bien sûr s’intéresser – comme tout élu – à ce qui se passe dans sa commune. Il ne s’agit pas tant d’être informé pour agir que d’intervenir le cas échéant auprès du procureur. Il est légitime que le maire constate des dysfonctionnements. Lui revient-il pour autant de traiter le cas concerné ? Il y a là une dérive. Vous dites qu’il doit disposer des informations pour traiter le cas…

Plusieurs députés UMP – Ce n’est pas dans le texte !

M. Jean-Marie Le Guen – C’est ce que disent notre collègue Lagarde et de nombreux maires – pas seulement sur les bancs de la majorité.

Bref, il y a une volonté manifeste de responsabilisation du maire dans ces politiques. Nul n’a mis en cause une responsabilité de l’État dans les cas qui ont été évoqués, alors que la justice devrait être plus présente et qu’il a pu y avoir des dysfonctionnements des services de police.

M. Jacques-Alain Bénisti – Il n’y a pas que la police et la justice !

M. Patrick Braouezec – Dans les exemples que vous avez pris, si !

M. Jean-Marie Le Guen – Les cas doivent être traités par les institutions qui en ont la charge. L’amélioration du travail social, par exemple, est du ressort du conseil général. Face à ces cas dramatiques, vous aspirez d’abord à sortir de votre rôle. Il y a quinze ou vingt ans, nous aurions mis en exergue les défaillances des services de l’État. Aujourd’hui, nous en sommes à dire qu’il faut renforcer les pouvoirs du maire. Nous sommes au milieu du gué. En définitive, nous ne croyons plus que l’État puisse conduire de manière efficace une action de proximité. Il est frappant de constater, à travers vos témoignages, que nous sommes déjà au-delà de la critique des dysfonctionnements de l’État.

M. Noël Mamère – Je voudrais défendre l’amendement 399 de M. Edmond-Mariette !

M. le Président – Il est le seul signataire : en son absence, son amendement ne peut donc être défendu.

M. le Rapporteur – La commission a repoussé les amendements de suppression.

M. le Ministre délégué – Même avis.

Mme Patricia Adam – On a voulu tout à l’heure opposer maire et conseil général…

M. Jacques-Alain Bénisti - Au contraire : nous voulons les coordonner !

Mme Patricia Adam – Le débat n’est pas là. Il s’agit d’assurer la cohérence des dispositifs et l’articulation des différents services – action sociale, sécurité, justice, santé, éducation nationale. Non de les opposer, mais de coordonner leur action.

M. Jacques-Alain Bénisti – C’est ce qui est prévu !

Mme Patricia Adam – Nous sommes tous d’accord pour mieux coordonner la politique de prévention de la délinquance autour du maire. Plusieurs outils sont pour cela à sa disposition : contrat local de sécurité et de prévention de la délinquance, mais aussi contrat éducatif ou dispositif de réussite éducative… Seule la coordination des différents acteurs est cependant de sa responsabilité. Ce n’est pas son rôle d’être destinataire de l‘ensemble des informations.

J’ai été maire d’un quartier de plus de 20 000 habitants. Je suis aujourd’hui vice-présidente d’un conseil général. Je le dis tout net : je pense qu’un certain nombre de conseils généraux n’exercent pas correctement les responsabilités qui leur sont confiées.

M. Jacques-Alain Bénisti – Merci, chère collègue !

Mme Henriette Martinez – Très juste !

Mme Patricia Adam – Permettez-moi de citer le rapport que vous aviez demandé en 2004 à Martin Hirsch : « Chaque famille doit avoir un très faible nombre d’interlocuteurs pour un accompagnement personnalisé et stable dans le temps. Elle doit être en relation avec une personne ou une équipe disposant de véritables moyens d’action, et non du simple pouvoir de renvoyer de l’un vers l’autre, comme cela se pratique encore trop souvent. » Symétriquement, ajoute M. Hirsch, les intervenants sociaux ne doivent suivre qu’un nombre raisonnable de personnes et, comme ce n’est pas aux familles de subir la complexité de l’action sociale, service public, il recommande d’adopter le principe du référent unique.

M. Pierre Cardo – Si on pouvait éviter la lecture de rapports en séance !

Mme Patricia Adam – Si les conseils généraux organisaient leurs services territorialement et en se conformant aux principes que je viens d’exposer, nous aurions moins de problèmes.

À la majorité de 18 voix contre 7, sur 25 votants et 25 suffrages exprimés, les amendements 33, 303 et 699 ne sont pas adoptés.

M. le Président – Nous en arrivons à l’amendement 680 rectifié, sur lequel je suis saisi, par le groupe socialiste, d’une demande de scrutin public.

Mme Patricia Adam – Notre amendement 680 rectifié, qui réécrit une grande partie de l’article 5, confie au président du conseil général le soin de désigner le coordonnateur de l’action des différents professionnels de l’action sociale et précise de quelle façon certaines informations sont portées à la connaissance du maire. Nous proposons, d’autre part, de créer une commission de recours, en cas de désaccord entre les travailleurs sociaux, le maire et le président du conseil général, car il est évident qu’il y aura des contentieux, compte tenu du rôle que vous voulez faire jouer au maire. Alors que de nombreux conseils généraux ont organisé leurs services de façon que chaque famille ait un seul référent, le maire arrivera et dira qu’en plus de M. Untel, il faudra voir aussi avec M. Tel Autre.

M. le Rapporteur – Non examiné par la commission. Avis personnel défavorable.

M. le Rapporteur pour avis – Vous dites, Madame Adam, qu’il n’est pas question d’opposer les maires et les conseils généraux, mais j’ai tout de même l’impression que la vice-présidente du conseil général du Finistère l’emporte, en vous, sur la maire de quartier – notion qui m’est d’ailleurs inconnue. Vous proposez une réécriture totale de l’article, dans laquelle le maire n’est plus le pivot des interventions sociales et dans laquelle le partage des informations avec le maire ne peut se faire qu’avec l’accord du président du conseil général, du professionnel et de la personne concernée.

Je crois pour ma part que les sénateurs, qui sont plutôt « départementalistes », ont trouvé un bon équilibre, en remaniant le texte, entre le souci de donner au maire, interlocuteur de proximité pour les familles, un rôle de coordonnateur et le respect des compétences du conseil général en matière d’action sociale. C’est pourquoi j’ai un avis personnel défavorable.

M. le Ministre délégué – Les auteurs de l’amendement veulent amoindrir le rôle du maire au profit de celui du président du conseil général…

Mme Patricia Adam – Qui est celui que lui ont confié les lois !

M. le Ministre délégué – Nous cherchons ici un bon équilibre. Avis défavorable, donc.

M. Noël Mamère – Évitons les caricatures ! Il ne s’agit pas d’opposer maires et présidents de conseils généraux, mais de prendre en considération leurs compétences respectives. Ce n’est pas au ministre chargé de la famille que j’apprendrai que le département est compétent en matière de protection de l’enfance et d’action sociale.

Sous prétexte de donner au maire un rôle pivot dans la prévention de la délinquance, le Gouvernement en fait un shérif doublé d’un éducateur qui aurait le droit de recueillir des informations privées. L’amendement de Mme Adam a, lui, le mérite de réécrire l’article 5 de façon qu’il soit conforme à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, relatif à la confidentialité. Le maire n’a pas à être le réceptacle d’informations confidentielles. En lui donnant des pouvoirs exorbitants, le Gouvernement veut en fait mettre sous tutelle les familles en difficulté, témoignant par là d’une vision de la société plus digne du XIXe siècle que de l’actuel. Il faut en somme se méfier des « classes dangereuses » !

M. Jean-Christophe Lagarde – Personne n’a parlé de « classes dangereuses », Monsieur Mamère. (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

L’amendement 680 rectifié a l’intérêt de nous ramener à la prévention de la délinquance, dans la mesure où ses auteurs se limitent aux faits caractérisant un trouble grave à l’ordre public. Pour le reste, je suis en désaccord complet, en particulier parce que j’estime que ce n’est pas au professionnel d’estimer si telles ou telles informations sont « utiles à l’accomplissement de la mission du maire » et parce que je pense que le maire a le droit d’être informé sans passer par le filtre du professionnel, de la personne concernée et du président du conseil général. C’est ce qui peut lui permettre d’éviter des drames comme celui que j’évoquais tout à l’heure. Les cinq enfants du couple ont été placés dans des institutions, mais le couple est sorti de prison et a eu un autre enfant. J’ai demandé si cet enfant était suivi. Je n’ai pas eu de réponse, alors que mon but est d’éviter un nouveau drame.

À la majorité de 18 voix contre 12, sur 30 votants et 30 suffrages exprimés, l’amendement 680 rectifié n’est pas adopté.

M. le Président – J’appelle l’amendement 388, sur lequel je suis saisi par les membres du groupe socialiste d’une demande de scrutin public.

Mme Patricia Adam – Ne me faisant guère d’illusions, je prévois que la commission et le Gouvernement repousseront l’amendement comme ils ont repoussé les précédents. Il conviendrait pourtant, comme nous le proposons, de réserver le dispositif envisagé aux communes qui se sont dotées d’un centre communal d’action sociale – un CCAS. Si les maires en viennent à disposer de renseignements très confidentiels sur leurs administrés, communiqués par les travailleurs sociaux, la moindre des choses est qu’ils engagent une action sociale pour les familles dont les grandes difficultés sont portées à leur connaissance. Le texte devrait être réécrit avec ce souci de cohérence. Mais, comme l’a souligné l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux dans le courrier qu’elle nous a adressé, l’article contredit à tel point les textes en vigueur qu’il est pratiquement impossible de l’amender et qu’il devrait être supprimé.

M. le Rapporteur pour avis – J’exprime à titre personnel un avis défavorable sur l’amendement, que la commission des affaires sociales n’a pas examiné. Il ne me paraît pas opportun de limiter l’application de l’article aux seules communes qui ont un CCAS – soit 30 %. Je ne puis croire que le groupe socialiste soit hostile à l’aide sociale dans les petites communes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Rapporteur – La commission a repoussé l’amendement pour les raisons dites par M. Dubernard. C’est d’ailleurs une bonne chose qu’un scrutin public ait été demandé : cela montrera qui est hostile à l’application de l’article aux petites communes.

M. le Ministre délégué – Avis défavorable. L’intercommunalité a fait que de nombreuses petites communes ont désormais un centre d’action social commun. Ce critère ne me paraît vraiment pas pertinent (Mêmes mouvements).

M. Noël Mamère – L’argumentation de M. le rapporteur pour avis est stupéfiante. Il voudrait nous faire croire que les CCAS sont conçus pour prévenir la délinquance alors que leur rôle est l’aide sociale ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Rapporteur pour avis – Vous me faites dire l’inverse de ce que j’ai dit !

M. Noël Mamère – Vous avez été pris le doigt dans le pot de confiture ! Vous confondez aide sociale et prévention de la délinquance ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Une famille en difficulté n’est pas une famille délinquante !

Mme Henriette Martinez - De nombreuses petites communes n’ont pas de CCAS, ce qui ne les empêche pas d’utiliser le budget général pour l’action sociale. Il ne faut pas s’arrêter à ce formalisme, mais il faut en finir avec cet incessant procès fait aux maires, scandaleusement mis en position d’accusés depuis le début de la discussion (Approbation sur les bancs du groupe UMP). En quoi les officiers de police judicaire qu’ils sont ne seraient pas dignes des pouvoirs de prévention qu’on veut leur confier ? On nage en pleine contradiction. Ces prises de position sont surréalistes. On ne peut concevoir le maire comme un voyeur qui va aller fouiller dans les dossiers des travailleurs sociaux ! (Mêmes mouvements) Nous avons, nous aussi, des informations sur nos administrés, et parfois davantage, dans les petites communes, que les travailleurs sociaux, qui, eux, n’habitent pas sur place. Nous les rencontrons à la cantine, à la crèche, au marché… et l’on voudrait nous dénier le droit d’intervenir pour aider les familles ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Marie Le Guen – Et voilà le grand retour du paternalisme !

À la majorité de 19 voix contre 12, sur 31 votants et 31 suffrages exprimés, l'amendement 388 n'est pas adopté.

M. Manuel Valls - Rappel au Règlement. L’intervention du ministre et celle de Mme Martinez nous ramènent au cœur du débat. Elles démontrent que c’est bel et bien le démantèlement de l’action sociale de l’État et des conseils généraux que l’on organise, en transférant aux maires une responsabilité qu’ils n’ont pas les moyens d’assumer. Voilà qui change la donne. Je demande une suspension de séance pour que nous examinions la situation.

M. Jean-Marie Le Guen – Je souhaite compléter ce rappel au Règlement pour souligner à mon tour que ces échanges posent la question cruciale des pouvoirs du maire. Animée des meilleurs sentiments, Mme Martinez a le sentiment exaltant de pouvoir exercer mieux l’action sociale que les professionnels qui « n’habitent pas sur place», en tout paternalisme. Et c’est ainsi qu’au nom du « Laissez-moi faire ! », on s’apprête à démanteler l’aide sociale (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Voilà qui dépasse très largement le champ de compétence du ministre délégué à la famille. Pourtant, le ministre de l’intérieur n’est toujours pas là, si bien qu’on ne peut l’interroger. J’ai cependant une bonne nouvelle pour nos collègues membres du groupe UMP : comme ils sont invités à dîner demain par le ministre d’État en son ministère, ils pourront à cette occasion lui poser les questions auxquelles nous ne pouvons avoir de réponse dans l’hémicycle ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

La séance, suspendue à 18 heures 25, est reprise à 18 heures 30.

Mme Patricia Adam – Mon amendement 701 est identique à celui qu’avait déposé Mme Boutin. Au passage, cela démontre bien que des personnes sensées peuvent se trouver d’accord sur certains points… En ajoutant, à l’alinéa 2, la mention : « dans l’intérêt de ces personnes », nous nous assurerons que le suivi des personnes en difficulté respectera le secret professionnel et la vie privée.

Par ailleurs, je voudrais revenir sur certains propos : nous ne cherchons pas à opposer, Madame Martinez, les maires et les services des conseils généraux. Si les municipalités ont parfois connaissance de certaines informations méconnues des travailleurs sociaux, l’inverse est également vrai.

Afin de garantir la bonne efficacité de la chaîne qui va de la prévention à la répression, nous devons effectivement renforcer l’articulation des différents maillons existants. Je suis donc d’accord avec certaines mesures figurant dans ce texte ainsi que dans la loi sur l’enfance, dont M. Bas nous a promis que nous débattrons bientôt. N’oublions pas pour autant que les familles concernées, qui sont souvent les plus touchées par la précarité, ont droit à un minimum de respect de leurs libertés fondamentales. Il serait donc inacceptable de confondre le travail social et celui de la police ! Qu’il y ait une information mutuelle est tout à fait normal – les procureurs doivent y veiller –, mais il faut que ces échanges n’aient lieu que dans l’intérêt des familles.

J’ajoute que les textes en vigueur prévoient déjà que les travailleurs sociaux ne sont pas toujours soumis au secret, puisqu’ils ont l’obligation de signaler certains comportements. Tout cela existe ! Il y a parfois des problèmes de coordination, comme le rapportait M. Lagarde, et il arrive que le travail soit mal fait. C’est exact, mais contentons-nous de traiter ces carences, sans prévoir une transmission systématique de toutes les informations. Restons-en aux seules informations utiles au maire pour accomplir sa mission de prévention de la délinquance et précisons-le, sans attendre les décrets et les circulaires qui ne manqueront pas d’intervenir, si du moins le calendrier électoral le permet – on peut en douter.

M. le Rapporteur – La commission des lois n’a pas examiné cet amendement, mais j’y suis défavorable à titre personnel. Si un professionnel de l’action sociale constate la nécessité de faire intervenir d’autres acteurs, il est évident que c’est dans l’intérêt des familles concernées. En laissant entendre que le contraire pourrait être vrai, cet amendement jette une certaine suspicion sur les travailleurs sociaux.

Surtout, il n’a aucun sens, la précision proposée ne s’insérant pas au bon endroit dans le texte. L’alinéa 2 serait en effet rédigé de la façon suivante : « Lorsqu’un professionnel de l’action sociale constate que l’aggravation des difficultés sociales, éducatives ou matérielles d’une personne ou d’une famille, appelle, dans l’intérêt de ces personnes, l’intervention de plusieurs professionnels, il en informe le maire ou le président du conseil général. » La mention « dans l’intérêt de ces personnes » aurait mieux sa place à la fin de la phrase dans la mesure où ce que vous visez d’après votre exposé des motifs, c’est la transmission de l’information.

Votre amendement est donc non seulement inutile, mais il donne également au texte un sens contraire à vos souhaits. Voilà pourquoi nous devons le rejeter.

M. le Rapporteur pour avis – Contrairement à la commission des lois, la commission des affaires sociales a examiné cet amendement. Elle l’a toutefois rejeté pour les mêmes motifs que ceux qu’a brillamment invoqués le président Houillon. Si le travail social ne se fait pas dans l’intérêt des familles, à quoi doit-il en effet servir ? J’ajoute que cet alinéa est déjà bien touffu : n’ajoutons pas des mentions inutiles ! Vous évoquez les familles, mais on pourrait viser également les enfants, etc.

M. Michel Vaxès – Je soutiens cet amendement, dont seul importe le sens. En m’appuyant sur l’exposé sommaire fait par Mme Boutin, j’irai même plus loin : nous devons prévoir l’accord des familles avant tout échange d’informations entre les travailleurs sociaux et le maire. Je propose donc de compléter l’amendement de Mme Adam par les mots : « avec leur accord ». J’imagine que personne ne s’y opposera…

Mme Patricia Adam – J’accepte bien volontiers de rectifier mon amendement en ce sens.

M. Serge Grouard – Je ne suis pas sûr que cet amendement 701, ainsi rectifié, simplifiera vraiment le texte (Sourires). Nous devrions pourtant nous souvenir d’une critique récurrente : à force d’adopter des modifications successives, si petites soient-elles, nous écrivons des lois complexes, trop souvent susceptibles d’interprétations multiples.

Cela étant, je me réjouis qu’ayant commencé nos travaux à 15 heures, nous entrions enfin à 18 heures 45 dans le vif du sujet ! Nous souhaitons tous ici faire œuvre utile. J’ai, pour ma part, déposé deux amendements, qui seront examinés un peu plus tard, visant à ce que le maire puisse, dans certains cas, désigner comme coordonnateur un travailleur social extérieur à l’équipe qui intervient auprès de la famille, ce qui peut être de nature à garantir davantage de sérénité.

M. le Rapporteur – Je suis totalement défavorable à la rectification proposée. Si l’on aurait pu à la rigueur retenir l’amendement 701, en dépit de la lourdeur qu’il introduisait, l’amendement 701 rectifié, lui, détruirait totalement l’objet du texte.

M. le Ministre délégué – L’amendement 701 était inutile, car il va de soi que le travail social s’effectue « dans l’intérêt des personnes ». Le préciser jetait comme une suspicion sur les travailleurs sociaux, auxquels je souhaite redire toute la reconnaissance que leur porte le Gouvernement. Mais l’amendement 701 rectifié, qui exigerait de recueillir l’accord des familles, est, lui, inacceptable.

Mme Patricia Adam – Cette analyse est invraisemblable. Pour ma part, je n’admettrais pas une seule seconde, et je serais prête à saisir les tribunaux, qu’un travailleur social amené à rencontrer mon enfant aille informer le maire de la situation de ma famille. Vous portez atteinte aux libertés fondamentales et aux droits de l’homme.

Nous avons proposé, avec Mme Boutin, que ne soient transmis au maire que les éléments « nécessaires ». Il n’est pas utile en effet, pour que le maire puisse remplir sa mission de prévention de la délinquance, que les travailleurs sociaux transmettent toutes les informations dont ils peuvent disposer sur une famille, si celle-ci ne le souhaite pas, ce qui est son droit le plus élémentaire.

M. le Ministre délégué – Si nous souhaitons un débat de qualité, gardons-nous des caricatures. Le travailleur social n’a de toute façon pas le droit de transmettre des informations confidentielles. L’information des familles ne peut porter que sur le fait qu’il y a une coordination.

M. Jacques-Alain Bénisti – Madame Adam, lorsque vous étiez maire de quartier, demandiez-vous à vos services des informations inutiles et vous arrivait-il de travailler contre l’intérêt de vos administrés ? Ce type d’amendement met en doute la loyauté, le pragmatisme et l’intelligence des maires.

M. Michel Vaxès – Si j’ai bien compris, le rapporteur et le ministre ne verraient pas d’inconvénient à ce que l’on précise « dans l’intérêt des personnes » mais s’opposent à ce que l’on ajoute ensuite « et avec leur accord ». Comment justifiez-vous le refus de la rectification que je propose ? Si cela va dans leur intérêt, pourquoi les personnes refuseraient-elles que les informations soient transmises ? En réalité, vous voulez porter atteinte, comme l’a dit Mme Adam, à la liberté des personnes de choisir que certaines informations soient transmises ou non.

M. le Rapporteur – Nous ne traitons ici que du déclenchement de la procédure. C’est seulement plus loin que nous aborderons la transmission de l’information.

Mme Henriette Martinez – L’expression « dans l’intérêt de ces personnes » est particulièrement ambiguë. De quelles personnes s’agit-il ? De la famille ? Des parents ? Des enfants ? En matière de prévention de la délinquance, l’intérêt de l’enfant peut s’opposer à celui de la famille. Cet amendement est donc dangereux. S’il n’est pas retiré, je voterai contre.

L'amendement 701 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président – J’indique d’ores et déjà que je suis saisi par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public sur l’amendement 102 rectifié.

M. le Rapporteur pour avis – Cet amendement strictement rédactionnel vise à alléger la rédaction d’un article, déjà particulièrement lourde. C’est un comble qu’il fasse l’objet d’une demande de scrutin public ! Il est inutile de préciser les domaines de compétences de l’action sociale des communes car celles-ci n’ayant aucune compétence obligatoire en ce domaine, leurs interventions, facultatives, varient d’une commune à l’autre.

M. le Rapporteur – Avis comme toujours favorable à un amendement qui simplifie le texte de la loi.

M. le Ministre délégué – Sagesse.

M. le Président – Si cet amendement est adopté, il fera tomber l’amendement 526 de M. Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde – Je regrette que celui-ci, qui tend, lui, à supprimer au même endroit du texte les mots « relevant des compétences du maire », ne soit pas en discussion commune avec celui de la commission des affaires sociales. Il serait dangereux en effet de supprimer l’expression « dans les domaines sanitaire, social et éducatif », assez large pour couvrir à peu près tout ce qui est utile à la prévention de la délinquance, car les maires risquent alors d’être noyés sous un déluge d’informations et, contrairement à l’objectif recherché, de déléguer tout cela aux services sociaux de leur commune. Il me semble utile en revanche de supprimer les mots « relevant des compétences du maire » car on restreint sinon de façon dommageable les capacités d’intervention des maires.

M. Jean-Pierre Blazy – Je constate que le président Dubernard rejoint ce que nous disions quant au caractère illisible de certaines dispositions… Néanmoins je partage la position de M. Lagarde sur cet amendement : les précisions que celui-ci vise à supprimer constituent un garde-fou fort utile.

À la majorité de 18 voix contre 12, sur 30 votants et 30 suffrages exprimés, l’amendement 102 rectifié est adopté.

M. le Président – En conséquence, l’amendement 526 tombe.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu, ce soir, à 21 heures 30.
La séance est levée à 19 heures 5.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.
Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.
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