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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

2ème séance du mardi 9 janvier 2007

Séance de 15 heures
46ème jour de séance, 104ème séance

Présidence de M. Jean-Louis Debré

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La séance est ouverte à quinze heures.

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souhaits de bonne année

M. le Président – Je vous présente, chers collègues, mes vœux les plus chaleureux et j’adresse au Gouvernement mes souhaits de bonne année.

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présence du drapeau dans l’hémicycle

M. le Président – La présence du drapeau national dans l’hémicycle ne vous a pas échappé. Répondant à un souhait unanime du bureau de l'Assemblée nationale, j’ai tenu à mettre un terme à une anomalie qui s’est étonnamment maintenue sous toutes nos Républiques : l’absence, dans l’hémicycle, d’un symbole républicain et national. Aujourd’hui, grâce à vous, ce symbole est présent ! (Applaudissements sur tous les bancs). Vive la République !

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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

politique du logement

M. François Liberti – L’irruption des mal logés dans l’actualité a bousculé le ronron audiovisuel et préélectoral. Vous avez donc été contraints de prendre des engagements sur le droit au logement opposable et vous avez proposé la création de 27 000 places d’hébergement. Nécessaire dans la loi, le droit au logement opposable est une bataille ; garantir son application en sera une autre. Même opposable, ce droit ne peut être effectif sans que d’autres mesures concrètes soient prises. Il ne s’agit pas seulement de construire des habitations : il faut que l’augmentation nécessaire de cette production soit adaptée aux besoins. La fondation de l’abbé Pierre l’a dénoncé : sur les 410 000 logements produits en 2005, trois quarts étaient destinés au plus aisés. Il est nécessaire d’appliquer effectivement la loi SRU, dite loi Gayssot (Protestations sur les bancs du groupe UMP), en instaurant une contrainte pure et simple, en particulier envers le lobby anti-loi SRU qui sévit dans la majorité et au sein du Gouvernement. Il s’agit aussi de réquisitionner des logements vacants et d’interdire les expulsions locatives, les coupures d’eau, de gaz et d'électricité car, avec un travail insuffisamment rémunérateur ou, a fortiori, sans aucun emploi, il devient impossible de se loger. Salaires, emploi, minima sociaux : tout est lié !

Monsieur le ministre de la cohésion sociale, il convient également de bloquer la spéculation foncière au lieu de la faciliter comme vous le faites avec des avantages fiscaux accordés à ceux qui placent leurs profits sur les terrains à construire et dans la pierre. La mise en place d'un service public de l'habitat financé par la taxation de la spéculation foncière et immobilière est urgente. Quelles mesures entendez-vous prendre pour aller dans ce sens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement  Nous en sommes tous d’accord : le droit au logement est aussi essentiel que le droit à l’éducation et seule une capacité importante de production de logements sociaux permettra de résoudre ce difficile problème.

Le parc public ou privé social a produit en 2000 51 862 logements ; en 2006, 143 850 ; l’objectif pour 2007 s’élève à 160 000. Votre majorité a créé 38 000 PLUS et PLAI ; nous en avons quant a nous produit 59 180 et l’objectif, pour 2007, s’élève à 80 000. Nous ne pouvons que nous féliciter de ce retour à un processus de production. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

protection des journalistes en temps de guerre

M. Pierre Lellouche – Je vous félicite, Monsieur le président, pour cette présence du drapeau national dans notre hémicycle.

En cette traditionnelle période des vœux, nous ne devons pas oublier les conflits qui agitent le monde. Selon « Reporters sans frontières », ce sont plus de 110 journalistes et correspondants de guerre qui sont morts en exerçant leur métier en 2006. Depuis 1990, 450 journalistes ont été tués dans des zones de conflit, dont dix Français. L’année dernière, plus d’une centaine de journalistes sont morts au Proche-Orient, sans parler de ceux qui ont été pris en otage, depuis Jacques Abouchard jusqu’à Florence Aubenas. Récemment, un photographe de l’AFP a encore été enlevé à Gaza.

Avec François Loncle, nous avons donc proposé une mission d’information sur la protection des journalistes en temps de guerre. Notre rapport repose sur trois idées essentielles : rappel solennel de la liberté d’informer ; fin de l’impunité des chefs d’État qui font exécuter des journalistes ; lien de ce droit avec la saisine de la Cour pénale internationale. Grâce à la mobilisation du Président de la République et du ministre des affaires étrangères, la France et la Grèce ont soumis au Conseil de sécurité des Nations Unies, qui l’a votée à l’unanimité le 23 décembre, une résolution 1738 établissant le principe de la protection des journalistes en temps de guerre. Pouvez-vous, Monsieur le ministre des affaires étrangères, informer la représentation nationale de son contenu ainsi que des moyens qui seront mis en œuvre pour mettre fin à un certain nombre de scandales ? Je rappelle que le récent assassinat d’Anna Politkovskaïa porte à 21 le nombre de journalistes russes tués depuis l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères  Des correspondants de guerre, des envoyés spéciaux et des journalistes indépendants sont de plus en plus souvent victimes de violences dans l’exercice de leur métier. L’année 2006 a été la plus meurtrière. Cela est d’autant plus inacceptable que c’est la liberté qui est en cause : celle de travailler, de s’exprimer, d’informer. Je salue « Reporters sans frontières » et son président Robert Ménard pour leur initiative, ainsi que leur capacité de veille et de mobilisation. Je salue également le rapport d’information parlementaire de MM. Lellouche et Loncle.

Avec ma collègue grecque, nous avons présenté la résolution 1738 qui a été votée à l’unanimité par le Conseil de sécurité, le 23 décembre à New York. Elle dit qu’il faut systématiquement enquêter sur les crimes perpétrés contre des journalistes et punir les responsables de ces crimes. Il faut d’autre part que tous les États acceptent la liberté et l’indépendance de la presse.

Mais il faudra donner des prolongements à cette résolution, de façon que la CPI, le Conseil des droits de l’homme, le Conseil de l’Europe et l’OSCE puissent continuer à contribuer à l’indépendance et à la sécurité des journalistes.

Permettez-moi, pour conclure, de saluer la mémoire des journalistes morts en faisant leur métier, morts pour la liberté d’informer. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

droit au logement

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Monsieur le Premier ministre, le rappel à l'ordre a été sévère. Pour répondre à l'opinion publique, le Président de la République a récemment exhorté le Gouvernement à mettre en place l'opposabilité du droit au logement.

Ce droit n'est pas satisfait pour des millions de sans-abri et de mal logés. Le rendre opposable permettrait à chacun, s'il n'obtient pas un habitat correspondant à ses besoins et à ses moyens, de recourir à la justice. Portée depuis plusieurs années par les associations et par de hautes institutions, cette revendication a été relayée par les parlementaires socialistes dès 2004. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) À l’Assemblée comme au Sénat, nous avons défendu des amendements sur ce thème. Ils se sont tous heurtés à un rejet méprisant du Gouvernement et de sa majorité ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Aujourd'hui, vous voilà contraints de changer radicalement de position. Nous pourrions nous en réjouir si la politique conduite depuis cinq ans n’était pas en totale contradiction avec les principes qu'exige une réelle efficacité du droit au logement. Elle supposerait d'abord de désigner une autorité responsable de sa mise en œuvre au plan local. Or, votre loi sur la décentralisation a dispersé les compétences, rendant la question « qui fait quoi ? » sans réponse claire. À la question « qui ne fait rien ? », on connaît par contre la réponse ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

L’opposabilité du droit au logement suppose ensuite de construire des logements adaptés aux besoins de la population. On en est très loin. Enfin, elle suppose de mobiliser les communes sur tout le territoire. Or, vous n’avez rien fait pour contraindre davantage les maires qui refusent de construire des logements sociaux. Il fut même question de mettre un terme à l'obligation de construire 20 % de logements sociaux. Nous avons heureusement réussi à vous empêcher de commettre l’irréparable !

M. le Président – Posez votre question.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec - Vos annonces, qui contreviennent à ces principes et qui engagent surtout les majorités à venir, ne sont donc qu'une grossière manœuvre de diversion, à quelques mois des prochaines échéances électorales ! Monsieur le Premier ministre, allez-vous remettre en cause en profondeur votre politique du logement pour rendre effectif le droit au logement et réellement applicable son opposabilité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement Je regrette le ton de votre question. Après un rapport demandé par le Premier ministre et annoncé dans cette enceinte – avec votre accord – lors de la discussion de la loi portant engagement national pour le logement, un texte fondateur et très travaillé a reçu l’avis positif, unanime, du Haut comité pour le logement des plus défavorisés, qui regroupe des personnes de toutes tendances politiques. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Ce texte va venir devant votre assemblée, et je souhaite qu’il fasse l’objet du soutien de tous les Républicains.

Faut-il avoir la cruauté de citer le projet du parti socialiste sur ce sujet ? « Au début de la législature, nous demanderons au Conseil économique et social de préparer un rapport sur la mise en œuvre du droit opposable. » Ce rapport a été fait dès 2003, et nous y donnons suite aujourd’hui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

vote par internet

M. Michel Hunault - Au nom du groupe UDF et en pensant à une proposition de loi que nous avons déposée, je voudrais savoir si le Gouvernement entend faciliter le vote par internet lors des prochaines élections. Cela se pratique déjà dans certaines démocraties d'Europe, et facilite les choses pour les personnes éloignées, empêchées ou handicapées. Sur le plan technique, il n’y a pas d’obstacle. Qu’en pense donc le Gouvernement ?

De notre côté, nous sommes prêts à participer à une commission qui regrouperait l'ensemble des formations politiques et qui travaillerait à la concrétisation du vote par internet aux prochaines élections, dans un cadre sécurisé et totalement transparent. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l’aménagement du territoire  Avant de procéder à l’extension que vous proposez, en offrant toutes les garanties de sécurité et de transparence, il faut passer par un certain nombre d’expérimentations. Nous avions procédé en 2004 à une première, qui concernait cinq chambres de commerce et d’industrie ainsi que deux conseils d’université – Nantes et Lyon 2. Cinq cent mille personnes participèrent à ce vote électronique. Une autre a suivi en 2006 pour l’élection de l’assemblée des Français de l’étranger : il y eut 10 000 participants. Dans le prolongement de ces expériences, nous organiserons un vote électronique en 2008 pour le renouvellement des conseils prud’homaux.

Le Gouvernement peut se réjouir d’avoir permis à notre pays d’être le premier de l’Union européenne pour ce qui est de la couverture numérique du territoire. En ce domaine, nous avons d’ailleurs bénéficié du soutien constant de votre groupe. Nous sommes donc tout à fait favorables à la création du groupe de travail pluraliste que vous appelez de vos vœux. Nicolas Sarkozy et moi-même le mettrons en place le plus rapidement possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Logement des sdf

M. Michel Piron – La politique du logement menée par le Gouvernement s’est traduite par des succès incontestables. De 2000 à 2006, le nombre de mises en chantier est passé de 310 000 à 430 000, soit plus 40 %, les logements locatifs sociaux de 42 000 à 97 000, soit un doublement, les logements privés à loyer maîtrisé de 9 600 à 38 000 soit quatre fois plus, et de moins de 100 000 prêts à taux zéro en 2002, on est passé à 240 000, soit plus du double pour favoriser l’accession sociale à la propriété. Ces résultats n’ont été possibles que grâce aux décisions prises en 2002 et 2003 et confirmées par la loi d’engagement national sur le logement de 2006.

Certes, tous les problèmes ne sont pas réglés, notamment dans les grandes agglomérations, et au premier rang l’agglomération parisienne. Le retard accumulé entre 1990 et 2000 était tel qu’il nous faudra encore accentuer cet effort déjà considérable. Pouvez-vous faire le point sur la situation et les perspectives d’hébergement, notamment pour les sans domicile fixe, dont la presse a beaucoup parlé ces jours derniers ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité - Le Gouvernement a consenti un effort particulier depuis 2002 pour résoudre la grave crise du logement. Une fois les décisions prises et les financements accordés, il faut cependant un délai minimum pour que les logements sortent de terre. De ce fait, suite au manque de constructions de la fin des années 1990, la chaîne du logement a subi une véritable embolie, qui a touché tous les demandeurs et surtout les plus précaires. C’est pour cela que le Gouvernement a eu à cœur d’apporter des réponses, y compris pour les très grands exclus, avec la création de 30 000 places.

Aujourd’hui, il faut conjuguer hébergement et sortie de l’exclusion. Pour cela, nous avons mis en place des dispositifs adaptés aux différents publics, travailleurs pauvres, femmes isolées, grands exclus et un programme exceptionnel et exemplaire de 20 000 places nouvelles accompagnées. Nous avons pris, au nom de l’État, l’engagement d’accompagner les plus faibles, les victimes d’accidents de la vie, pour les aider à s’en sortir. C’est cela la République fraternelle. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP)

Orientation au collège

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet – Monsieur le ministre de l’éducation nationale, suite au rapport Hetzel, vous avez pris plusieurs décisions qui ont constitué de réelles avancées pour l’orientation au lycée et dans le supérieur. Mais, à l’exception de la découverte professionnelle et de l’apprentissage junior, aucune aide à l’orientation n’est proposée aux élèves du collège et à leurs parents.

Pourtant des dizaines de milliers d’enfants sortent de l’école sans qualification. Nous ne pouvons accepter un tel échec.

Quelles dispositions entendez-vous prendre pour aider, le plus tôt possible, ces élèves à construire leur avenir et leurs parents à les y aider ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche – L’orientation et l’insertion professionnelle sont deux grands défis de notre système éducatif. Déjà, sous l’impulsion du Premier ministre, le rapport Hetzel a défini comment mieux faire déboucher les études supérieures sur un métier. De même, j’ai décidé qu’au deuxième trimestre, dès cette année, les 790 000 collégiens bénéficieront d’un entretien d’orientation personnalisé mené sous la conduite du professeur principal, assisté d’un conseiller d’orientation ou d’un psychologue et accompagné d’experts extérieurs des chambres consulaires. Les parents pourront assister à ces entretiens, ce qui permettra de renforcer la confiance entre eux, les enseignants et les professionnels. Ce point d’étape permettra à l’élève de dégager des perspectives en fonction de ce qu’il sait et de ce qu’il aime. Ce dispositif va dans le même sens que la démarche des trois heures de découverte professionnelle, pratiquement généralisée à tous les collèges depuis la dernière rentrée. Ainsi les vocations s’affirmeront plus tôt, plus sûrement, les élèves pourront contacter les organismes de formation et professionnels. Ainsi l’éducation nationale fera-t-elle progresser l’égalité des chances. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Accès aux soins pour les plus démunis

M. Gérard Bapt - Nos compatriotes s’inquiètent des difficultés croissantes de l’accès aux soins. Les plus concernés sont les bénéficiaires de la couverture maladie universelle et de l’aide médicale d’État, dont les demandes sont trop souvent refusées par certains médecins spécialistes, mais aussi par des généralistes ou des pharmaciens. Même si ces praticiens sont minoritaires, vous devez exiger que le Conseil de l’ordre et l’assurance maladie sanctionnent de tels manquements à l’éthique médicale et au serment d’Hippocrate.

D’autre part, un grand nombre d’assurés sociaux doivent désormais assurer la charge des dépassements d’honoraires, au prétexte de les « responsabiliser ». Nombre de nos compatriotes sont donc écartés des soins ou de la prévention en raison de leur niveau de ressources.

Mettre en place un nouveau secteur dit optionnel ne pourrait qu’aggraver les inégalités en généralisant la pratique du dépassement d’honoraires. Plutôt que de créer ce secteur qui consacrera une médecine à deux vitesses, acceptez-vous de revaloriser les tarifs opposables lorsque c’est nécessaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités 2006 et 2007 se suivent et se ressemblent : vous avez toujours autant de mal à éviter la caricature et la démagogie.

Mme Martine David - Donneur de leçons !

M. Christian Paul - Répondez plutôt à la question !

M. le Ministre Or, vous connaissez très bien ces sujets, et vous savez donc ce qu’il en est vraiment.

S’agissant de la CMU et de l’AME, je ne vous ai pas attendu pour prendre les mesures qui s’imposaient et pour faire de l’égalité d’accès aux soins une réalité. Vous avez laissé entendre que la plupart des médecins, et notamment des généralistes, posaient des problèmes dans ce domaine, alors que les études montrent que 99 % des généralistes n’en posent aucun. Pour les autres, les associations, les syndicats médicaux, le Conseil de l’ordre et l’assurance maladie ont accepté, à ma demande, de mettre en place des comités de suivi pour la CMU et l’AME.

S’agissant du secteur optionnel, je n’ai qu’un objectif : donner un coup d’arrêt aux dérives en développant les tarifs opposables. Telle est la vocation du secteur optionnel, que je n’ai d’ailleurs pas inventé de toutes pièces, puisqu’il était prévu par un accord signé en 2004 par l’ensemble des partenaires conventionnels,…

M. Jean-Marie Le Guen - À votre demande !

M. le Ministre - …accord que je ne vous ai jamais entendu remettre en cause. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Malgré l’agitation des uns et des autres, mon objectif est de renforcer l’égalité d’accès aux soins. Nous n’avons cessé d’œuvrer en ce sens, et nous continuerons à nous y employer, car c’est la qualité de notre système de soins qui en dépend. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

baisse du chômage

Mme Marie-Anne Montchamp – La baisse de 0,8 % du nombre des demandeurs d’emplois, en novembre dernier, ramène le taux de chômage à 8,7 % de la population active dans notre pays. Grâce à cette amélioration remarquable, 17 400 personnes ont cessé d’être inscrites au chômage le mois dernier.

Nos opposants politiques cherchent à minimiser ces bons résultats, comme l’a fait hier soir le Premier secrétaire du parti socialiste, s’exprimant sur une radio nationale. La baisse du chômage de 360 000 personnes représente néanmoins un progrès notable – le Président de la République a eu raison de le souligner et de confirmer le cap.

Le chômage reste toutefois une réalité complexe, qui impose de distinguer entre chômage des jeunes, chômage des seniors et chômage des personnes handicapées, car les résultats sont loin d’être homogènes. Bien des demandeurs d’emplois restent dans une attente difficile et douloureuse.

Pouvez-vous donc, Monsieur le ministre, nous détailler les résultats obtenus sur le front de l’emploi et préciser les avancées réalisées par le gouvernement de Villepin avec le soutien de notre majorité ? Pouvez-vous nous indiquer si l’objectif de 8 % de chômage est réaliste. Dans quel délai pourrions-nous passer sous cette barre et comment ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes Entre les mois de novembre 2005 et 2006, le nombre des demandeurs d’emploi inscrits en catégorie 1 a baissé de 10 %, et de 15 % depuis février 2005, soit 360 000 personnes en moins : cette baisse du chômage concerne les jeunes – 10 % en moins – mais aussi, et pour la première fois, les chômeurs de longue durée – baisse de 12 % – et enfin les demandeurs d’emplois de plus de 50 ans – 9 %.

Vous avez toutefois raison de souligner qu’il reste du chemin à faire, notamment en faveur des personnes handicapées. Voilà pourquoi j’ai proposé, en compagnie de Philippe Bas, que toutes les personnes handicapées puissent bénéficier d’un parcours professionnel dans un délai inférieur à six mois : il n’est pas tolérable que leur taux de chômage soit deux fois plus élevé que la moyenne. Pour cela, 200 000 emplois seront créés dans le secteur marchand, tandis que le plan de cohésion montera en puissance grâce aux contrats d’apprentissage, qui n’ont jamais été aussi nombreux, aux contrats de professionnalisation – 230 000 ont déjà signés –, et enfin grâce aux contrats d’avenir, destinés à favoriser le retour à l’emploi des personnes percevant depuis longtemps le RMI.

Notre priorité, c’est en effet la bataille pour l’emploi annoncée par le Premier ministre. Notre engagement ira naturellement en faveur des jeunes des quartiers, des personnes peu qualifiées, mais aussi de ceux qui bénéficient d’une qualification et désespèrent pourtant de trouver un emploi. L’égalité des chances, tel est l’objectif européen pour 2007. Je vous demande de le partager ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

cotisations sociales des créateurs d’entreprise

M. Philippe Auberger – Afin de soutenir la croissance économique et l'emploi, le Gouvernement a misé sur le dynamisme et le renouvellement du tissu économique, en facilitant la création et la reprise d'entreprises. Nous avons même largement dépassé l’objectif fixé en 2002 de créer un million d'entreprises en cinq ans : le nombre d'entreprises nouvelles a constamment augmenté et s’établit aujourd’hui à plus de 240 000 par an.

Cet effort se heurte toutefois aux obligations liées au statut de travailleur indépendant applicable aux créateurs d’entreprise : dès leur premier trimestre d’activité, ils doivent acquitter des cotisations sociales forfaitaires – d’abord 781 euros, puis 3 123 et 4 470 au titre du premier et du deuxième exercice, alors qu'ils ne sont nullement assurés de réaliser un chiffre d'affaires suffisant. C’est là une barrière incontestable à la création de nouvelles entreprises.

À la demande du Président de la République, le Gouvernement a souhaité instaurer une déclaration unique et rendre le paiement des cotisations sociales proportionnel au chiffre d'affaires lors du démarrage de l’entreprise – 14% du chiffre d'affaires pour une activité commerciale et 24,5 % pour les autres activités.

De telles mesures correspondant parfaitement aux difficultés rencontrées par les créateurs d'entreprise, pouvez-vous nous préciser, Monsieur le ministre, quand et dans quel cadre le Gouvernement entend les présenter devant l'Assemblée nationale ? Dans quel délai pourront-elles s’appliquer ? Quel sera également le nombre des bénéficiaires et pour quel coût ?

M. Renaud Dutreil, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales – En application de l’article 36 de la loi pour l’initiative économique, tout créateur d’entreprise, travailleur indépendant, est dispensé de payer le moindre euro au titre des cotisations sociales au cours de la première année, sous réserve de rembourser les montants dus pendant les cinq années suivantes. Cette mesure n’étant pas assez connue, nous devons en faire la publicité.

Pour aller plus loin encore, nous avons prévu un « bouclier fiscal » dont bénéficieront les plus petits créateurs d’entreprises – pour 250 000 d’entre eux – et qui figurera dans le projet de loi qui sera soumis en conseil des ministres le 17 janvier prochain, puis présenté en première lecture au Sénat par Jean-Louis Borloo. Elle sera donc rapidement appliquée.

Comme vous l’avez souligné, nous avons franchi le seuil du million d’entreprises crées, ce qui représente une véritable rupture par rapport aux années 1997-2001, pendant lesquelles la France était à la remorque de l’Union européenne pour la création d’entreprises. Quand certains, du haut de la muraille de Chine, critiquent les entreprises qui se battent sur les marchés les plus difficiles, nous encourageons les Français qui ont décidé avec bravoure d’entreprendre, pour le plus grand bénéfice de l’emploi.

M. Maxime Gremetz - Avec bravitude ! (Sourires)

Prix de l’énergie

M. Alain Néri – Le coût de l'énergie pèse de plus en plus lourd dans le budget des familles. En effet, les récentes augmentations du prix du gaz, de l'électricité et du fuel ont considérablement alourdi les charges de chauffage, devenues insupportables pour beaucoup de ménages. À cela s’ajoutent les coûts des déplacements du domicile au travail, qui affectent de plus en plus les ressources des ménages. Chaque fois que le prix du baril de pétrole a augmenté, ceux des carburants à la pompe ont été poussés à la hausse, mais vous avez refusé le rétablissement de la TIPP flottante que nous demandions.

À l'automne 2005, vous aviez promis devant la représentation nationale que toute chute du prix du pétrole serait répercutée sur les prix à la pompe dans un délai de deux à trois jours. Or, depuis la semaine dernière, le prix du baril de pétrole brut est tombé sous la barre des 55 dollars – son niveau le plus bas depuis juin 2005. Mais les automobilistes n’en profitent pas, les prix du carburant à la pompe n’ayant absolument pas diminué. Si l’on en croit le site ouvert par le ministère des finances le 2 janvier, qui publie les prix pratiqués dans 8 000 stations-service, le prix du super 95 restait même hier à 1,15 euro le litre, et même 1,30 euro à Paris. Mieux – et c'est un comble – les informations communiquées par les sociétés pétrolières montrent que le prix du super 95 a augmenté de 0,87 % dans la première semaine de janvier, alors que celui du pétrole brut baissait de 8,46 %.

Après la stupéfaction et l'indignation, c'est donc la colère qui gagne nos concitoyens. Une fois de plus, vous ne tenez pas vos promesses. Comment pouvez-vous expliquer aux Français que lorsque le prix du pétrole brut augmente, il y a une hausse immédiate à la pompe, alors que lorsqu’il baisse, il n'y a pas de baisse à la pompe ? (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

M. Richard Mallié - C’est la TIPP des socialistes !

M. Alain Néri - Quelles mesures concrètes et rapides allez-vous prendre pour mettre fin à cette situation incompréhensible et à cette injustice inacceptable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie  Comme tous nos concitoyens, nous sommes attentifs aux prix du pétrole et de l’essence…

M. Augustin Bonrepaux - Et vous ne faites rien !

M. le Ministre délégué  Après une année 2006 particulièrement pénible, au cours de laquelle il a atteint des sommets – jusqu’à plus de 70 dollars – le prix du baril de pétrole s’établit aujourd’hui à 55 dollars.

M. Augustin Bonrepaux - Vous ne répondez pas à la question !

M. le Ministre délégué – Jusqu’au 1er janvier, je pouvais vous répondre facilement que cette baisse était répercutée sur les prix. Mais depuis le 1er janvier – peut-être ne le savez-vous pas – les conseils régionaux touchent une partie de la taxe sur le pétrole (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP ; vives protestations sur les bancs du groupe socialiste). Or la quasi-totalité des conseils régionaux socialistes ont appliqué deux centimes de hausse sur le super : adressez-vous à vos amis ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; vives protestations sur les bancs du groupe socialiste)

réforme de la protection de l’enfance

Mme Valérie Pecresse – Deux enfants meurent encore chaque semaine dans notre pays du fait de mauvais traitement infligés au sein même de leur famille. Nous avons tous en mémoire le procès d’Angers et ces 45 enfants victimes d’un réseau pédophile. Singulier par son ampleur, ce drame ne doit pas occulter la réalité préoccupante de la maltraitance ordinaire. Si le nombre d’enfants maltraités se stabilise aujourd’hui autour de 20 000 par an, ils sont 250 000 à faire l’objet d’une mesure de protection, et ce nombre ne cesse de croître. Comment de telles situations peuvent-elles se nouer alors que notre politique familiale est enviée dans le monde entier ? La mission d’information sur la famille, dont notre collègue socialiste Patrick Bloche était le président et dont j’étais le rapporteur, a constaté que si, dans 95 % des cas, les mécanismes de soutien familial et social jouaient pleinement leur rôle, ils se révélaient inadaptés dans les situations les plus graves, celles où les parents maltraitants choisissent des stratégies d’évitement des services sociaux. Dans la plupart des cas, plusieurs personnes avaient pourtant au moins des éléments d’information – un accouchement à domicile, des absences scolaires répétées, des soupçons médicaux – mais elles ne se sont jamais parlé. Les pièces du puzzle n’ont jamais été assemblées, car les différents professionnels de l’enfance ne se rencontrent pas, si bien que les services de la protection de l’enfance ou les services judiciaires interviennent souvent trop tard. À l’unanimité, nous avons formulé, en juin 2005, 50 propositions – dont le projet que vous nous présenterez cet après-midi, Monsieur le ministre délégué à la sécurité sociale et à la famille, s’est largement inspiré : mener une véritable politique de prévention, améliorer l’efficacité des signalements des enfants en danger, clarifier les conditions d’intervention des conseils généraux et de la justice, moderniser et diversifier les réponses pour mieux prendre en charge les enfants et leurs familles. Ce projet exemplaire est le fruit d’un long cheminement et d’une vraie concertation avec tous les acteurs concernés. Pouvez-vous nous dévoiler le contenu de ce texte si nécessaire et si attendu ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la familleOui, j’ai voulu cette réforme de la protection de l’enfance, qui tient le plus grand compte de vos propositions et fait suite à une concertation approfondie avec tous les acteurs concernés. Il n’est pas acceptable que, dans notre pays, tant d’enfants souffrent encore en silence sans que personne n’intervienne.

La réforme portera sur trois axes. D’abord la prévention : il n’est pas normal que l’on en fasse si peu, alors que les situations difficiles peuvent être détectées très tôt, par exemple à l’occasion de l’examen du quatrième mois de grossesse. Ensuite le signalement. L’institutrice est souvent désemparée devant le comportement de certains enfants violents, ou au contraire inhibés. Elle ne peut prendre seule une décision qui peut être lourde de conséquences pour les parents – si elle se trompe – ou pour l’enfant – si elle n’agit pas. Il faut donc créer dans chaque département une cellule de signalement comportant des médecins, des experts, des psychologues. Il faut aussi que les professionnels partagent les informations qu’ils détiennent – dans le respect du secret professionnel. Il faut, enfin, sortir de cette situation binaire, où il n’y a pas d’autre choix que de retirer l’enfant à sa famille ou de l’y maintenir. Nous allons donc diversifier les modes d’action en faveur des enfants en difficulté. Cette réforme a été votée par le Sénat sans opposition. Je souhaite qu’il en aille de même à l'Assemblée nationale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

prix du carburant

M. Éric Woerth - La question ayant déjà été abordée tout à l’heure, je serai très bref – peut-être sera-ce la question la plus courte de la législature ! Le prix du baril de pétrole baisse depuis de nombreux mois, mais celui de l’essence à la pompe ne baisse pas. Pouvez-vous en expliquer à nouveau les raisons, et nous dire quand le prix de l’essence baissera ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie - Je vais donc compléter ma réponse de tout à l’heure. L’année dernière, le prix du baril de pétrole a atteint des sommets – plus de 70 dollars. Il s’établit aujourd’hui à 55 dollars. En outre, le pétrole étant payé en dollars et l’euro ayant augmenté par rapport au dollar, nous bénéficions à plein de cette baisse. Si l’on compare cette évolution avec celle des prix de l’essence, on constate que le super a atteint jusqu’à 1,35 euro l’année dernière et qu’il est aujourd’hui à environ 1,16 euro. La baisse est donc effective.

Si la baisse des cours ne se traduit pas directement par une baisse des prix à la pompe, les pétroliers sont tenus de la répercuter, et, comme je l’ai dit tout à l’heure, les baisses observées dans la plupart des régions à la fin de l’année dernière se répéteront bientôt. De plus, les consommateurs disposent désormais d’un site internet de comparaison des prix lancé par le ministère des finances, qui enregistre plus de 100 000 connections par jour, nombre d’automobilistes le consultant avant d’aller faire le plein, pour faire jouer la concurrence. Je suis donc en mesure de vous confirmer que non seulement la baisse des cours sera répercutée mais aussi que le consommateur sera mieux armé pour gérer ses achats d’essence. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à 15 heures 50, est reprise à 16 heures 20 sous la présidence de M. Bur.
PRÉSIDENCE de M. Yves BUR
vice-président

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Réforme de la protection de l’enfance

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, réformant la protection de l’enfance.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille – Par le projet qu’il vous soumet, le Gouvernement entend remédier à la souffrance de centaines de milliers d’enfants, victimes de négligence, d’indifférence, de manque d’affection, ou de violences morales et psychologiques, d’humiliations et de brimades, ou encore proies de conflits aigus entre adultes. Cette souffrance silencieuse, parfois non détectée en dépit des dispositifs existants, est intolérable. La loi de 1989 a permis d’améliorer la lutte contre la maltraitance, mais il faut aller plus loin. Le texte a l’ambition de garantir à chaque enfant les meilleures conditions pour grandir, s’épanouir et trouver les repères qui lui permettront de se développer sur tous les plans.

J’ai souhaité appuyer cette indispensable réforme sur la concertation la plus large, engagée depuis plus d’un an. Au cours de sa préparation, j’ai rencontré de multiples acteurs de la protection de l’enfance – présidents de conseils généraux, experts, représentants des professionnels et des associations, certains des signataires de l’appel des Cent. J’ai aussi reçu plusieurs rapports, dont celui que Mme Valérie Pecresse a rédigé au nom de la mission d’information parlementaire sur la famille présidée par M. Patrick Bloche, et intitulé L’enfant d’abord. Ce rapport a inspiré mon action et le projet reprend plusieurs de ses propositions. Pendant cette phase préparatoire, je me suis beaucoup déplacé, j’ai organisé des journées thématiques et réuni un comité national qui a largement guidé mes réflexions. Enfin, j’ai invité les présidents de conseils généraux à organiser des débats sur la protection de l’enfance auxquels ont contribué des centaines d’acteurs très divers, et j’ai participé à certaines de ces discussions. Leurs conclusions et les contributions de nombreuses grandes associations ont mis en évidence un fort consensus, tant sur la nécessité d’agir que sur les mesures à prendre.

Je salue l’engagement des départements dans la protection de l’enfance, engagement qui va croissant depuis les lois de décentralisation. Ils y consacrent la première part de leur budget, soit cinq milliards, et 270 000 enfants sont ainsi pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, à laquelle collaborent 150 000 professionnels. Je salue aussi l’engagement des communes, qui concourent à la protection de l’enfance par le truchement des centres d’action sociale. Je rends hommage à l’action de milliers de professionnels et à celle des bénévoles qui s’impliquent dans ce combat au sein de multiples associations.

Le projet résulte, je l’ai dit, de l’accord qui s’est fait sur ce que doivent être les bonnes pratiques professionnelles. Bien que notre dispositif de protection de l’enfance repose sur des bases solides, il pèche par certaines faiblesses et son organisation ne permet pas toujours d'aider au mieux les enfants qui souffrent ni d'anticiper leurs souffrances. Nous devons remédier à ces dysfonctionnements en agissant dans trois directions : renforcer la prévention, organiser le dispositif d'alerte et de signalement, diversifier les modes de prise en charge pour les adapter aux besoins de chaque enfant.

Le renforcement de la prévention fait l'objet du titre premier. Il est anormal que 4 % seulement des cinq milliards consacrés chaque année par les départements à la protection de l'enfance soient consacrés à la prévention. Curieusement, la loi était jusqu'à présent muette sur ce point. Je vous propose donc d’inscrire dans notre droit que la prévention est l’une des missions de la protection de l'enfance. Par ailleurs, il nous faut faire porter l’effort de prévention sur les moments cruciaux que sont la grossesse, la naissance et la petite enfance, car plus on interviendra tôt, plus on sera efficace.

Mon objectif est de multiplier les points de contact entre l'enfant, sa famille et les professionnels pour prévenir les difficultés et soutenir les parents avant que la situation ne se détériore. Pour cela, je souhaite faire de la protection maternelle infantile un acteur pivot de la prévention.

Nous devons rendre systématique l'entretien au quatrième mois de grossesse et organiser le suivi qui en découle pour les femmes enceintes en difficulté. C’est en effet un moment clé pour détecter d'éventuelles fragilités, l'inquiétude, voire la détresse, l'isolement, la précarité, ou des relations conflictuelles au sein du couple. Il faut accompagner les parents qui se trouvent dans ces situations et les aider à préparer dans de meilleures conditions l'accueil de l'enfant à naître.

Le séjour à la maternité et les premiers jours de vie de l'enfant sont également cruciaux, et je souhaite qu'un contact systématique ait lieu dès la maternité entre les parents et les professionnels de la PMI, en liaison avec les professionnels de la maternité, notamment les sages-femmes. Cette rencontre permettra de repérer les situations difficiles qui n'ont pas été détectées pendant la grossesse. Ce disant, je pense aux femmes qui se retrouvent seules pour accueillir le nouveau-né, à celles dont la grossesse n'a pas été suivie, à celles qui souffrent de problèmes d'ordre psychologique. Ce sont autant de situations qui peuvent empêcher la création d’un lien entre la mère et son enfant et, par conséquent, compromettre une relation future sereine.

Le retour de la maternité doit aussi être l'objet de toute notre attention. Comme c’est le cas en Suède depuis longtemps, la PMI devra désormais proposer systématiquement à la jeune mère de venir la voir à domicile. Cette visite sera automatique si des difficultés particulières ont été remarquées.

La majorité des enfants sont suivis par un généraliste, par un pédiatre ou par la protection maternelle et infantile. Pourtant, près de la moitié d’entre eux échappe au bilan médical obligatoire du 24e mois et près de 10 % ne bénéficient d’aucun suivi médical. Il faut veiller à ce que cette obligation soit respectée. L’école est également le lieu propice pour assurer une prévention d’ordre général mais également pour détecter certains risques. Le bilan effectué à l’âge de 3 ou 4 ans à l’école maternelle permet de repérer des problèmes de santé mais aussi des situations familiales difficiles. Or, ce bilan n’est pas obligatoire et moins de la moitié des enfants en bénéficie. Le projet vise à le systématiser. La visite médicale de la sixième année doit être effectivement assurée à l’école pour tous les enfants d’ici à trois ans, alors qu’à ce jour 25 % n’en bénéficient toujours pas. Le Sénat a proposé l’instauration d’un bilan de santé à la douzième année, ce dont je me félicite. Je sais que la commission et Mme la rapporteure veulent aller plus loin et le Gouvernement se montrera attentif à leurs propositions.

Le deuxième volet du projet concerne l’organisation du dispositif d’alerte et de signalement. La priorité ? Mieux détecter et évaluer les situations de danger. L’organisation du signalement varie selon les départements et est insuffisamment claire pour les professionnels. J’ai constaté l’isolement de certains d’entre eux, en particulier des enseignants, tourmentés par des interrogations auxquelles ils ne peuvent répondre. Ils sont en effet souvent confrontés à une alternative douloureuse : le silence ou le déclenchement d’une procédure judiciaire parfois traumatisante pour l’enfant. L’équilibre délicat entre le respect de l’intégrité des familles et l’indispensable réactivité pour protéger l’enfant doit être préservé. Le projet propose donc de créer, dans chaque département, une cellule d’alerte et de signalement pour les professionnels afin d’écouter, de conseiller et d’assurer une expertise de premier niveau grâce à une équipe pluridisciplinaire. Cette cellule serait garante du traitement des informations dites préoccupantes. Elle doit être généralisée à l’ensemble des départements.

Il faut aussi qu’une évaluation collégiale des situations permette de croiser les analyses afin de prendre les meilleures décisions. Cela suppose le partage des informations préoccupantes uniquement entre professionnels tenus au secret car celui-ci est un gage de confiance et de coopération avec les parents. Le signalement soulève la question centrale et complexe de l’articulation entre l’autorité sociale et l’autorité judiciaire. Il convient de préciser ses critères à la justice pour qu’elle soit saisie chaque fois que c’est nécessaire et seulement lorsque c'est nécessaire. Quand l'enfant peut être protégé dans le cadre de la protection de l'enfance, cette solution doit primer parce qu'il est toujours préférable qu’il vive sous le toit familial quand son intérêt est préservé, sa sécurité garantie et que le travail social s'effectue de manière efficace avec les parents. Le recours à la justice doit être réservé aux cas où son pouvoir contraignant est indispensable : lorsque la protection sociale se révèle insuffisante, que le danger est particulièrement grave, que les parents refusent toute coopération avec l'aide sociale à l'enfance ou qu'il est impossible d'évaluer correctement la situation. Le dispositif d'alerte et de signalement sera ainsi cohérent et efficace et le président du conseil général y jouera pleinement son rôle de chef de file.

Troisième axe du projet : la diversification des modes de prise en charge des enfants, qui doivent être plus souples et mieux adaptés afin de dépasser l'alternative exclusive entre placement et maintien à domicile. L'accueil de jour doit permettre d’assurer à l'enfant un suivi éducatif hors du domicile familial tout en associant autant que possible sa famille ; l’accueil périodique doit permettre d'alterner des périodes de maintien à domicile et des périodes d'accueil hors du domicile habituel ; l’accueil mixte, enfin, est à la fois éducatif et thérapeutique : il offre une réponse plus adaptée aux enfants souffrant de troubles psychologiques graves pour lesquels un accueil traditionnel est inapproprié. La loi doit aussi autoriser l'accueil d'urgence des adolescents qui fuguent dans un lieu sûr qui les mettra à l'abri pour une durée maximale de 72 heures afin de faire le point et de renouer des liens avec la famille, sans qu'il s'agisse juridiquement d'une admission à l'aide sociale à l'enfance. Les parents et le procureur de la République en seront bien évidemment informés.

Enfin, certaines difficultés de l'enfant résultent de ses conditions de vie sous le toit familial, notamment en raison d'une gestion inadaptée du budget familial. Un accompagnement social et budgétaire sera proposé dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance au titre de la prévention. Cet accompagnement devra être assuré par des professionnels formés à cet effet : des conseillères en économie sociale et familiale mais aussi des travailleurs sociaux, notamment des techniciennes d'intervention sociale et familiale. Ces dernières interviennent au sein même des familles afin que les tensions s'apaisent au moment des devoirs, de la préparation des repas, de la toilette des enfants.

Le président du conseil général n’est pas seul responsable de la protection de l'enfance, le maire ayant un rôle important à jouer mais également l'État : justice – juges des enfants et protection judiciaire de la jeunesse – éducation nationale et politiques de cohésion sociale. À cet égard, la création d'observatoires départementaux de la protection de l'enfance sera un outil essentiel pour harmoniser les interventions des différents acteurs.

Enfin, nous savons que la loi, à elle seule, ne suffira pas à réformer notre dispositif. Bien des aspects relevant des procédures et des pratiques, j'ai réuni depuis le mois de mai dernier quinze groupes de travail composés d'élus, de professionnels, d'associations, d'experts venus de toute la France. J'ai également mis en place un forum de discussion sur Internet ouvert à tous. Cette concertation permet aujourd'hui l'élaboration de guides nationaux d'accompagnement de la réforme qui favoriseront l’application de la loi en expliquant ses objectifs, son esprit, ses dispositions et en recommandant des pratiques adaptées à partir des initiatives et des expériences connues et évaluées. Ils traitent de cinq thèmes : la prévention et la bien-traitance de l'enfant et de l'adolescent, l'accompagnement et l'intervention au domicile, le dispositif d'alerte et de signalement, l'accueil de l'enfant confié en établissement ou en famille d'accueil et, enfin, les missions et le fonctionnement de l'observatoire départemental de la protection de l'enfance. Les professionnels pourront en bénéficier au mois d’avril. À eux de faire vivre cette réforme ! Je souhaite qu’ils se réunissent à nouveau au mois d’octobre dans le cadre d’assises nationales de la protection de l’enfance, à l’exemple de celles d’Angers en 2006, en partenariat avec l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée.

Cette réforme ambitieuse veut être à la hauteur des espoirs qui se sont exprimés et de la mobilisation sans précédent qui a eu lieu ces derniers mois. Elle veut être à la hauteur des enjeux que sont la protection des enfants et des adolescents. J'attends beaucoup de nos échanges et des travaux de votre assemblée.

Mais au-delà de ce projet, toute mon attention se tourne vers les professionnels de la protection de l’enfance, car la réussite de la réforme dépendra d’eux, du dialogue qu'ils peuvent nouer entre eux, du soutien mutuel qu'ils s'apportent, de la qualité des formations qu'ils peuvent suivre tout au long de leur vie. C’est aussi aux parents que je veux lancer un appel, car c’est à eux que revient la responsabilité principale de faire grandir leurs enfants, de les protéger et de veiller à leur bien être. Or, ils sont parfois moins préparés que leurs aînés à assumer ce rôle,

Beaucoup d'entre eux sont particulièrement exposés aux difficultés de la vie. Difficultés économiques et sociales, bien sûr, mais aussi difficultés liées aux transformations et parfois à l'éclatement de la cellule familiale. Sans compter tout ce qui peut parfois transformer le désir d'enfant en volonté de possession plutôt qu'en don de soi. Tel est le nœud de beaucoup de difficultés dans l'établissement du lien entre parents et enfants, quand l'égoïsme nourrit la frustration, et la frustration la violence.

Personne n'est jamais sûr de pouvoir être un bon parent, mais ce projet de loi rappelle que l'intérêt de l'enfant – un intérêt bien compris, qui suppose l'exercice d'une autorité juste et rassurante – doit toujours être la première préoccupation des parents. Ce n'est pas à la société d'élever les enfants. Elle doit seulement être là pour les secourir, le plus tôt et le plus efficacement possible, quand les adultes se montrent défaillants

Cette articulation entre la nécessaire responsabilité des parents et les missions de la protection de l'enfance est au cœur des défis qu'il nous faut relever. Je suis convaincu que cette réforme permettra d'atteindre un meilleur équilibre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Valérie Pecresse, rapporteure de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Le présent projet est exemplaire en ce qu’il est le résultat d’un long cheminement et d’une réelle concertation avec tous les acteurs concernés. Il n’est pas une réponse ad hoc dans l’urgence, à un événement lourdement médiatisé, même si des drames de la maltraitance sont venus confirmer, ces derniers mois, l’existence de nombreuses failles dans notre système de protection de l’enfance.

L’élaboration de ce projet a été précédée pendant plus d’un an par l’organisation de nombreux débats dans les départements, par des journées thématiques à l’échelon national et par les premières assises de la protection de l’enfance, qui se sont tenues à Angers les 10 et 11 avril 2006. De nombreux rapports ont également enrichi la réflexion. Je salue particulièrement le travail que la Mission d’information sur la famille et les droits de l’enfant a mené sans tabou pendant près d’un an.

Tirant la leçon du diagnostic établi à l’issue de cette longue concertation, le projet poursuit trois objectifs : rendre plus efficace le signalement des enfants en danger, diversifier les modes d’accueil des enfants afin de s’adapter à leurs besoins, promouvoir une prévention précoce. Sur ce dernier point, il s’agit, non pas de doter la société de nouveaux outils pour repérer et neutraliser des comportements potentiellement déviants, mais de prévenir les troubles du développement de l’enfant afin de prendre en charge le plus tôt possible sa souffrance.

La commission des affaires culturelles a approuvé ces trois objectifs et considéré que ce projet devrait permettre de les atteindre. De son côté, le Sénat a adopté le projet de loi en première lecture, le 21 juin dernier sans bouleverser l'équilibre du texte mais en y apportant quelques correctifs appréciables. Il a notamment amélioré les retours d'informations entre l'autorité judiciaire, le conseil général et tous les acteurs de la protection de l'enfance et prévu, avec l'adoption d'un amendement du Gouvernement, la compensation intégrale des charges financières nouvelles pour les départements. En revanche, il faudra réexaminer certaines dispositions qu’il a introduites, notamment celle qui limite l'intervention de l'aide sociale à l'enfance aux jeunes majeurs ayant été suivis par ce service au cours de leur minorité.

Compte tenu de la complexité du problème de l'intervention publique dans la vie des familles, l'État doit veiller à la cohérence des actions entreprises.

Cela signifie d’abord qu’il doit rester le pilote de la politique de protection de l'enfance. Le projet fait certes des conseils généraux les principaux opérateurs de la protection de l'enfance, mais l'État doit rester le garant de l'égalité des citoyens face aux dispositifs d'aide sociale qui vont être mis en place. De plus, il reste titulaire de certaines compétences qui sont des rouages essentiels d'une protection de l'enfance efficace : services de la justice, de la police, de la médecine scolaire et des structures de soins de pédopsychiatrie.

L’État doit ensuite veiller scrupuleusement à l'articulation du présent texte avec d'autres mesures, récentes ou en cours d'adoption, concernant l'accompagnement parental. La loi sur l'égalité des chances du 31 mars 2006 a ainsi créé un contrat de responsabilité parentale, dont le non-respect peut entraîner des sanctions. Ce contrat devra être clairement distingué des mesures d'aide sociale à l'enfance du type action éducative à domicile ou de la nouvelle mesure d'accompagnement en économie sociale et familiale.

Le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance a, lui, institué un conseil pour les droits et les devoirs des familles, qui a pour mission d'adresser aux familles des recommandations destinées à prévenir des comportements risquant de mettre l'enfant en danger ou de causer des troubles pour autrui, alors que, dans le présent projet, le risque de danger fonde la compétence du président du conseil général à intervenir auprès des mineurs concernés. Le présent texte prévoit d’autre part que les personnes qui concourent à la politique de protection de l'enfance transmettent au président du conseil général toute information préoccupante sur un mineur, alors que, dans le projet de loi sur la prévention de la délinquance, cette transmission n'intervient que lorsque qu'un accompagnement parental a été mis en place sur la proposition du maire. Un risque réel de chevauchement de compétences et d'incompréhension des familles apparaît au moment où tous les efforts doivent converger vers le maximum de lisibilité et d'efficacité du système.

Il est vrai que les deux textes ont des finalités différentes : celui sur la prévention de la délinquance vise avant tout à prévenir les troubles à l'ordre public, alors que le présent projet est centré sur une meilleure détection de l'enfance en danger. Mais dans la réalité, ce seront souvent les mêmes jeunes qui seront à la fois en danger, au sens de la législation sur la protection de l'enfance, et en voie de marginalisation, selon les critères du texte sur la prévention de la délinquance…

M. le Ministre délégué – Non, je ne crois pas.

Mme la Rapporteure - Cette difficulté de coordination des dispositifs ne pourra être surmontée que grâce à un vrai travail d'explication tant auprès des travailleurs sociaux qu'auprès des familles. Je sais que les ministères concernés auront à cœur de le mener.

Enfin, l'État doit fournir un réel effort financier pour accompagner les mesures préconisées. Il faut agir pour rénover la médecine scolaire et l'encadrement psychosocial dans les écoles, ainsi que pour réduire les très fortes disparités de moyens entre PMI suivant les départements. La pénurie de pédopsychiatres hospitaliers et d'équipes pluridisciplinaires formées à la prise en charge des pathologies mentales propres aux jeunes enfants fait gravement obstacle au diagnostic et à la prise en charge précoces de ces troubles.

Il était temps d'agir, Monsieur le ministre. La dernière loi sur la protection de l'enfance date, en effet, de 1989. Surtout, le dernier rapport de l'Observatoire national de l'enfance en danger montre que le nombre d'enfants de moins de 18 ans bénéficiant d'au moins une mesure de protection de l'enfance était à la fin de l'année 2004 en augmentation de 2,5 % par rapport à l'année précédente, en France métropolitaine.

Sur l'ensemble des mesures recensées au 31 décembre 2004, 49 % sont des actions éducatives au sein des familles et 51 % des mesures de placement dans des foyers ou des familles d'accueil. À côté de ces mesures traditionnelles, l'ONED a observé le développement, dans certains départements, d'actions novatrices qui tentent d'échapper à l'alternative placement ou mesure éducative dans la famille. Ce sont ces mesures innovantes – telles que les relais parentaux, qui prennent en charge les fratries lorsque les parents traversent une période difficile, ou les accueils de jour pour des enfants présentant certains troubles mais qui peuvent retourner le soir chez eux – que le projet de loi s'efforce de généraliser.

De son côté, l'Observatoire décentralisé de l'action sociale fait état de 97 000 enfants ayant fait l'objet d'une procédure de signalement adressé aux conseils généraux en 2005, soit une augmentation de 2 % par rapport à 2004 faisant suite à une précédente hausse de 7 %. Pour l'ODAS, les situations à risques ou de maltraitances avérées sont davantage corrélées à l'isolement social des familles qu'à la pauvreté. Les carences éducatives des parents, les conflits de couples et les problèmes psychopathologiques des parents, souvent en rapport avec l'alcool ou d'autres drogues, sont également des facteurs de risques. L'ODAS souligne l'urgence de développer des actions d'aide à la parentalité et d'accompagnement des familles.

En réponse à cette situation, la réforme vise à renforcer la prévention, à mieux organiser le signalement des enfants en danger, en distinguant ce qui relève de la protection administrative et ce qui relève de la protection judiciaire, et à diversifier les modes de prise en charge des enfants et des familles en difficulté.

Le conseil général est conforté dans son rôle de chef de file de la protection de l'enfance dans le département. Il disposera de nouveaux outils pour mieux coordonner l'action des multiples professionnels qui concourent à la protection de l'enfance,

L'un des objectifs recherchés est de réserver l'intervention judiciaire aux cas les plus graves. Mais pour inverser la tendance à la judiciarisation, encore faut-il que les professionnels soient convaincus que les services de l'aide sociale à l'enfance sont suffisamment efficaces pour prendre en charge rapidement les enfants victimes de maltraitance ou de carences éducatives.

Si les services de la protection de l’enfance ne coordonnent pas l’action des travailleurs sociaux, le recours à la justice restera systématique.

Voyons plus en détail les dispositions du projet.

L’article premier donne une définition des missions des services de la protection de l’enfance, qui ne couvrent pas seulement la prévention de la maltraitance, mais aussi celle des difficultés familiales, l’accompagnement des familles et la prise en charge des enfants soustraits à leur famille. L’article 2 élargit ces missions à la prévention des risques de danger pour l’enfant et harmonise le code de l’action sociale et le code civil qui fait déjà référence au mineur en danger. S’agissant toujours de la prévention, le projet étend les compétences de la PMI. Ainsi, un entretien psychosocial aura lieu au quatrième mois de grossesse pour détecter des troubles de l’attachement ou la précarité sociale de la mère, ce qui déterminera, éventuellement, un accompagnement particulier. Sont également prévus des visites à domicile pour faciliter le retour à la maison, un bilan de santé systématique pour tous les enfants à l’entrée à la maternelle, des actions de détection des troubles psychologiques et de l’apprentissage. Pour les enfants scolarisés, des bilans de santé obligatoires permettront de détecter les troubles du langage et de l’apprentissage. Il n’est plus question ici de « détection précoce des troubles du comportement », formulation qui, dans le projet sur la prévention de la délinquance, avait suscité des polémiques. À mon initiative, la commission a adopté un amendement précisant que ces bilans seront effectués au cours de la sixième, la neuvième, la douzième et la quinzième année de l’enfant. Les parents pourront recourir à un médecin libéral et les pouvoirs publics disposeront de six ans après publication de la loi pour couvrir l’ensemble des enfants scolarisés. Je suis heureuse que des collègues de tous les groupes aient cosigné cet amendement nécessaire.

S’agissant de la détection des enfants en danger, la principale innovation est la création d’une cellule départementale de signalement sous la responsabilité du président du conseil général. Tout professionnel en contact avec un enfant pourra lui transmettre les informations qu’il juge préoccupantes. Elles seront recoupées, et évaluées par la cellule qui déterminera s’il faut une mesure d’assistance administrative par l’ASE ou un signalement au procureur.

Pour rendre possible une expertise collégiale et pluridisciplinaire, l'article institue un secret professionnel partagé entre les professionnels de la protection de l'enfance, eux-mêmes soumis au secret professionnel. Le partage des informations relatives à une situation individuelle est strictement limité ; le père et la mère en sont préalablement informés, sauf si cela risque de nuire à l'enfant.

Je le répète, ne sont concernés que des professionnels soumis au secret professionnel, alors que, dans le projet sur la prévention de la délinquance, le partage d’informations confidentielles étendu aux élus a été contesté par les travailleurs sociaux.

Afin que la justice n’intervienne que lorsque c’est strictement nécessaire, l'article 5 propose une nouvelle rédaction de l'article L. 226-4 qui énumère les cas dans lesquels la protection administrative doit céder le pas à la protection judiciaire. Pour qu'il y ait obligation de saisir le parquet, il faut non seulement que le mineur soit en danger au sens de l'article 375 du code civil, mais aussi que l’intervention des services administratifs soit manifestement vouée à l'échec.

Sur ma proposition, la commission a adopté un amendement qui distingue trois cas : le danger grave et manifeste, la situation de danger lorsque les mesures administratives de protection ont échoué, le risque associé au refus des familles de coopérer.

Le président du conseil général sera informé par la justice des suites données aux saisines directes du parquet. Enfin, l'article 8 institue dans chaque département un observatoire de la protection de l'enfance qui travaillera en liaison avec l'observatoire national.

S’agissant de la prise en charge des familles et des enfants, le code de l'action sociale prévoit une stricte alternative entre l'assistance éducative à domicile et le placement. Il est indispensable que l'ASE dispose d'une gamme différenciée de mesures éducatives en même temps que d'établissements pour mettre les enfants à l'abri d'un milieu familial dangereux. De nombreux départements ont expérimenté de nouvelles formes de placement, que le projet permet de généraliser.

Les articles 9 et 13 leur donnent une base légale, qu’il s’agisse de l'accueil pour la journée d'un enfant, dans un lieu proche de son domicile, en accord avec ses parents ou de l'accueil temporaire, par exemple le week-end, mais aussi de l'accueil d'urgence, pendant 72 heures, d'un mineur lors d'une crise familiale sans pour cela engager une procédure d'assistance éducative par l'ASE.

L'article 13 donne aussi une base légale aux visites dites « médiatisées », c’est-à-dire à l'exercice du droit de visite des parents prononcé par le juge. Elle doit se dérouler dans un contexte sécurisant pour l'enfant en présence de professionnels, selon un protocole défini et doit être préparée avec l'enfant. Il faut saluer l'initiative de votre administration, Monsieur le ministre, qui prévoit de publier un guide des visites médiatisées.

Le projet institue enfin un accompagnement en économie sociale et familiale, pour aider les familles à mieux gérer leur budget. En cas d’échec, le juge des enfants pourra être saisi pour prononcer une mesure judiciaire d'aide à la gestion du budget familial, qui se substituera à la tutelle aux prestations familiales.

Pour améliorer le suivi des enfants qui sont séparés de leurs parents, l'article 10 dispose que les services ou les établissements chargés de la prise en charge du mineur devront dresser un bilan annuel pour vérifier que le mode de placement est adapté à sa situation, ce bilan ne devant pas se substituer au rapport remis au juge des enfants par l’ASE en cas de mesure d'assistance éducative.

L'article 14 impose aux établissements d’accueil de s'organiser en unités de vie distinctes, pour séparer les enfants victimes des enfants violents ayant commis des actes de délinquance. En effet, à l’occasion de violences graves entre pensionnaires, on s’est aperçu qu’une victime d'abus sexuels et son agresseur, lui-même mineur, pouvaient se trouver dans le même établissement. Cependant, il sera difficile, en pratique, d’instituer ces unités de vie distinctes, difficile également de définir le danger que représentent des enfants qui, de maltraités, peuvent devenir maltraitants. À mon initiative, la commission a donc adopté un amendement qui dit que les établissements s'organisent de manière à garantir la sécurité des enfants qui y sont accueillis.

L'article 17 crée un fonds de financement de la protection de l'enfance pour compenser intégralement les charges nouvelles pour les départements. Sur les 150 millions que coûterait la réforme au terme de sa montée en charge prévue sur trois ans, 115 millions seraient à financer par les conseils généraux. Or ils supportent déjà l'explosion des dépenses de RMI et la montée en charge rapide de la nouvelle prestation de compensation du handicap. Il faut donc leur donner les moyens d’appliquer cette réforme très attendue. Les nouvelles missions de prévention sociale confiées aux services de PMI, de loin les plus coûteuses, sont assimilables à des extensions de compétence pour les départements. À ce titre, elles doivent être obligatoirement compensées, conformément aux dispositions de l'article 72–2 de la Constitution.

Ce fonds, créé au sein de la Caisse nationale d'allocations familiales devrait être alimenté par des ressources provenant de la solidarité nationale, l'État versant une participation annuelle dont le montant sera arrêté en loi de finances, mais aussi par une contribution de la CNAF dont le montant sera arrêté en loi de financement de la sécurité sociale – soit 30 millions pour 2007.

Suite à des entretiens avec des responsables de la CNAF et de l'Assemblée des départements de France, j’ai déposé des amendements précisant notamment la composition du comité de gestion et les critères de répartition des crédits, qui doivent être transparents.

Ces dispositions, attendues, vont permettre d’aider les familles, dans le respect de leur vie privée, à préserver autant qu'il est possible, malgré les aléas de la vie, le bien-être et l'équilibre de leurs enfants.

J'ai relevé cependant quelques lacunes que je m'efforcerai de combler en présentant plusieurs amendements.

Il s'agit d'abord de modifier la loi du 6 mars 2000 pour étendre les compétences du défenseur des enfants, qui devrait être consulté sur tout projet de loi ayant une incidence en matière de droits de l'enfant et pouvoir être saisi directement par les professionnels de la protection de l'enfance dans certains cas.

Je souhaite également permettre aux Français auxquels des États de droit coranique ont confié des enfants en kafala de demander une adoption simple.

Trois millions d’enfants vivent avec un seul de leur parent, et il faut commencer à donner des droits au parent « social » qui vit avec ce parent légal. Je proposerai un amendement organisant une délégation de responsabilité parentale pour les actes de la vie courante.

Enfin il est indispensable de lutter plus efficacement contre la diffusion d'images pédophiles sur internet en modernisant le code pénal.

Je tiens encore une fois à saluer tous les professionnels et tous les acteurs concernés par la protection de l'enfance pour l'ampleur de la réflexion qui a préparé notre débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales  Présentes dès la naissance, les inégalités sociales laissent leurs marques pendant toute une vie. En juillet dernier, les membres de la commission des affaires sociales ont manifesté le plus grand intérêt pour ce projet de loi, fruit de l’analyse de la mission d’information sur la famille et les droits de l’enfant, animée par Valérie Pecresse et Patrick Bloche. Il en résulte un texte précis, qui entre dans le vif du sujet et que vous avez réussi, Monsieur le ministre, à présenter avant la fin de cette législature – je vous en félicite !

M. le Ministre délégué – C’est grâce à vous !

M. le Président de la commission – Dans médico-social, il y a « médical » et il faut noter à ce titre la place que ce texte accorde aux services médicaux, à la protection maternelle et infantile et à la médecine scolaire, qu’il s’agisse du renforcement du suivi des femmes enceintes – entretien au quatrième mois de grossesse, suivi à domicile, consultations postnatales –, du dépistage précoce des troubles d’ordre physique, psychologique, sensoriel et de l’apprentissage grâce à un bilan effectué à l’école maternelle à l’âge de 3 ou 4 ans, ou qu’il s’agisse encore de l’obligation de visites médicales pendant la scolarité : introduites par le Sénat et renforcées par la commission, elles ne devraient plus seulement avoir lieu à l’âge de 6, mais aussi de 9, 12 et 15 ans, et pourraient être assurées par le médecin traitant.

La clarification des compétences, le renforcement des dispositifs d’alerte et la diversification des modes d’intervention apportent également des réponses à des situations touchant directement à la dignité de la personne humaine. L’Observatoire national de l’action sociale décentralisée soulignait ainsi, en 2005, une forte hausse des défauts de soins médicaux : 97 000 enfants étaient alors maltraités ou en danger, soit environ 10 % du million d’enfants vivant dans la pauvreté en France. Les conseils généraux signalent par ailleurs une augmentation du nombre d’alertes relatives à des enfants maltraités – elles sont en effet passées de 19 000 à 20 000 par an !

Une telle augmentation résulte de négligences lourdes, comme le défaut de soins médicaux ou alimentaires, en hausse de 15 %, ou encore les violences psychologiques, qui font un bond de 52 %. Si le nombre d’enfants battus ou agressés sexuellement baisse légèrement, le nombre d’alertes concerne encore respectivement 6 400 et 4 700 enfants. De tels chiffres font froid dans le dos… Qu’avons-nous fait, et que faisons-nous en faveur de ces petites victimes, que ce soit dans cet hémicycle, dans nos départements ou dans nos communes ? L’honneur du politique est de protéger les membres les plus fragiles de notre société. Or, qui est plus fragile qu’un enfant ?

N’oublions pas non plus la dimension sociétale de la protection de l’enfance, universelle et presque biologique. Elle est universelle, comme le rappellent les paroles prononcées en 2006 par le Pape, à l’occasion de la messe de Noël : « l’enfant de Bethléem dirige nos regards vers tous les enfants qui souffrent » (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Interrogeons-nous sur ce qu’inspire à chacun d’entre nous la maltraitance d’un enfant : pourquoi tant d’émotion, tant de malaise, voire de culpabilité ? Ce n’est pas de la sensiblerie... À travers toutes ces affaires impliquant des enfants, c’est de chacun d’entre nous qu’il s’agit : de nos enfants et des enfants de nos enfants. Les courtes molécules chimiques que nous nommons des gènes traversent le temps, étant transmises à 50 % par chaque génération, mais au bout de quatre ou cinq générations, les caractéristiques d’un individu sont diluées et forment ainsi d’autres ensembles, ce qui donne tout son sens aux notions de société et de fraternité.

Les enfants étant un peu de nous-mêmes, nous faisons pour nous ce que nous faisons pour eux. En améliorant la protection de l’enfance, c’est la société de demain que nous protégeons. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Claude Leteurtre – Ce projet de loi a fait l'objet d'un relatif consensus lors de son examen en première lecture par la Haute assemblée, et sans doute en sera-t-il de même ici. Comment imaginer une autre issue puisqu’il s’agit d’améliorer les procédures de signalement des enfants en danger, de diversifier et d’adapter les modes de prise en charge tout en faisant une place plus large aux politiques de prévention. Sur tous ces points, mais aussi sur l'affirmation du rôle de chef de file joué par les départements en la matière, l'UDF n'a aucune opposition. Je dois toutefois vous faire part de certaines observations.

Si le Sénat a tenté, à l’article premier, de définir la protection de l'enfance, il me semble insatisfaisant de faire référence aux parents plutôt qu'à l'enfant. Une telle définition a contrario pourrait en effet laisser entendre qu'un enfant ne rencontre des problèmes que lorsque ses parents sont confrontés à des difficultés dans « l'exercice de leurs responsabilités éducatives. » J’ajoute que la définition proposée par le Sénat ne décrit nullement ce qui peut constituer une « carence éducative »…

Deuxième sujet de préoccupation, le risque normatif de ce texte : on peut en effet y déceler une volonté, plus ou moins avouée, d'uniformisation des comportements, trait caractéristique de nos sociétés contemporaines, qui s’efforcent de nous faire tous entrer dans des petites cases et de considérer comme anormaux ceux qui échappent à cette tentative. Comme je l’avais déjà observé à l'occasion de la discussion du texte réformant la loi de 1975 sur le handicap, la norme prend de plus en plus de place dans notre société. Le tout sécuritaire et le principe de précaution le montrent bien : hors la norme, point de salut !

L’article premier de ce texte fait ainsi référence à « l'équilibre de l'enfant », d’ailleurs nullement défini puisqu’il est multiforme – physique, mental, économique, mais aussi social… Il est également question de « bien-traitance », notion destinée à nous donner bonne conscience au risque de dissimuler une réalité extrêmement complexe. À intervalles réguliers, il est prévu de vérifier la normalité de l'enfant, puis de l'adolescent et enfin du jeune adulte.

Il est vrai que les règlements départementaux des écoles exigent déjà, à l’instigation du ministère, un « certificat d'aptitude à la vie scolaire » pour l’inscription en maternelle de tout enfant âgé de moins de 6 ans en maternelle, et cela sans aucune base légale : selon l'ordre des médecins, aucun critère n'a été notifié aux médecins généralistes, qui se bornent à délivrer des certificats de non contre-indication à la vie scolaire, ce qui est bien différent ! Il n'en reste pas moins que ces certificats sont une première tentative de normaliser les comportements infantiles…

Force est d'ailleurs de constater que nous ne disposons pas de statistiques fiables sur le nombre de mineurs en danger, comme l’a rappelé l’Observatoire national de l'enfance en danger dans son dernier rapport où il notait que « les sources de données existantes ne permettent pas la connaissance précise de la population des enfants en danger en France ». Il en était de même lors de l'examen de la loi sur le handicap, preuve que les cases dans lesquelles on voudrait faire rentrer certains de nos concitoyens, considérés comme hors norme, ne sont pas adaptées à tous les cas, ce qui est heureux.

Je crains également qu’on applique aux mineurs en danger l’exemple donné par la CNSA, qui a réussi en une seule année à imposer ses grilles de lecture concernant le handicap. Il suffirait alors de remplir des grilles d’évaluation, dont les « plus » et les « moins » donneraient un total, comparable à une norme. Or, comment la complexité d'un individu, en particulier celle d'un enfant en période de structuration mentale, pourrait-elle se juger à l'aune de ces bons et mauvais points ? Ne courons-nous pas le risque de marginaliser des enfants et de les marquer à jamais ? La société s'arrogerait ainsi le droit de décider ceux qui sont « médico-socialement » les bons et les mauvais.

S’agissant du « secret partagé », l'information doit naturellement circuler dans les meilleures conditions possibles entre tous les acteurs qui rencontrent l'enfant, et l’éducation nationale doit jouer un rôle primordial en la matière. Quotidiennement en contact avec les enfants, elle doit être la première à identifier des symptômes de mal-être, et elle est aussi la mieux placée pour suivre l’évolution d'un enfant qui fait l’objet de mesures socio-éducatives.

L'éducation nationale doit être à tous les stades un partenaire à part entière. On pourrait par exemple prévoir une obligation de contractualisation entre l'inspection académique et le département pour formaliser les conditions et les moyens de l'alerte.

Je suis bien sûr favorable à un renforcement de la protection de l'enfance. Mais la rédaction du texte montre bien la difficulté qu’il y a à définir des normes comportementales dans une société démocratique où prime la liberté de conscience de tout individu, fût-il un enfant.

Se pose également le problème des moyens. Qui les gérera et sur quels critères ? Prenons l'exemple de la médecine scolaire. Le médecin traitant ne dispose pas toujours des compétences et du temps nécessaires pour aborder une symptomatologie de maltraitance, celle-ci pouvant n’être visible que par des spécialistes. C'est bien là le rôle du médecin scolaire. Nous connaissons tous des exemples d’enfants de 4 ou 5 ans dont on découvre tardivement la surdité. Médecin généraliste et médecin scolaire ne font pas le même métier. Hélas, la médecine scolaire est le parent pauvre de l'éducation nationale. Les médecins scolaires ont unanimement refusé leur transfert aux départements. Ce texte nous démontre à l'envi que c'était une erreur : les départements ont une expérience irremplaçable de la PMI, et ils restent les spécialistes de la protection de l'enfance. Dès lors qu’on leur reconnaît un rôle de leader dans la protection de l’enfance, il serait ridicule de ne pas en tirer les conséquences en leur transférant la compétence de la médecine scolaire. C'est le sens d'un amendement que nous avons déposé pour en finir avec cette mauvaise querelle. Seuls 75 % des enfants ayant atteint l'âge de 6 ans bénéficient aujourd’hui de la visite médicale scolaire prévue par la loi. Les départements feront mieux : ils ont démontré qu'ils savaient assumer les responsabilités qui leur étaient confiées. Ce transfert de la médecine scolaire serait d’ailleurs accompagné d'un transfert des ressources, ce qui éviterait le montage complexe que vous nous proposez à l’article 17 pour compenser la charge des nouvelles missions que le texte confie aux départements.

Si ce projet tend à améliorer la liaison entre les différents acteurs, la manière dont ceux-ci seront associés aux décisions du président du conseil général reste floue. Au-delà du partage de l’information, il convient d’associer véritablement les associations à la mise en œuvre du dispositif.

Il faut également veiller à ce que celui-ci n’aboutisse pas à une dépossession des responsabilités parentales – c’est l'objet d'un de nos amendements. La structure familiale doit être protégée et associée dans la mesure du possible à l’application du dispositif, afin que l'enfant conserve les liens familiaux qui le structurent.

Les difficultés auxquelles se heurte l’appréciation des situations particulières devraient conduire à dispenser à tous les professionnels chargés de la protection de l’enfance, en particulier aux juges, une formation tournée vers la compréhension de cet état multiforme qu’est l’enfance en danger.

Si de multiples acteurs interviennent en ce domaine, les principaux restent ceux qui peuvent détecter la souffrance de l'enfant. Nous parlons bien de protection, celle que nous devons à une catégorie de citoyens plus vulnérable que les autres. Cette protection n'a de sens que si elle intègre la prévention, donc la détection. Sur le plan des procédures, ce texte se donne bien les moyens d'assurer cette prévention. Mais il ne sera efficace que s'il est appliqué de manière pragmatique. Il faut éviter une formalisation trop stricte des procédures et laisser une place à la souplesse dans les relations. Bref, il faut faire simple et rester ouvert, tout spécialement dans ce domaine de l'humain.

Mme Muguette Jacquaint - Je me félicite que nous examinions enfin ce texte si attendu. La protection de l'enfance et de l'adolescence concerne en effet, directement ou indirectement, environ 10 % de la population française. En 2004, 263 000 enfants ont été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, dont 100 000 en action éducative à domicile et 150 000 en structures d’accueil.

Les compétences en matière de protection de l'enfance relèvent depuis 1986 des conseils généraux, qui les exercent par l’intermédiaire de personnels qualifiés au sein d'équipes pluridisciplinaires et accordent des aides financières aux parents en difficulté. La maltraitance reste en effet une dramatique réalité. Malgré des progrès indéniables, qu’il s’agisse des modalités d'intervention, plus respectueuses des droits des personnes, des différentes formes de soutien aux parents ou de la lutte contre la maltraitance, les réalisations les plus innovantes n'ont pu être généralisées. Le dispositif de protection de l'enfance a été modifié plusieurs fois depuis deux ans, mais sans vision d'ensemble. Il est aujourd’hui remis en cause par la médiatisation des affaires de maltraitance. Opinion publique et médias se posent la même question : « comment cela peut-il arriver en 2006 dans un pays comme la France ? »

Les professionnels impliqués dans la protection de l'enfance sont les premiers à souhaiter des évolutions, en particulier dans le domaine de la prévention, qui reste le parent pauvre de ce texte. Les derniers rapports officiels – ceux de Pierre Naves, Bruno Catala, Claude Roméo, Jean-Pierre Deschamps, Louis de Broissia, Philippe Nogrix –, les enquêtes de l'IGAS et le rapport 2004 de la défenseure des enfants ont ouvert des pistes de travail.

Au-delà de leurs recommandations, la dégradation des conditions de vie des familles – difficultés économiques et de logement, mouvements migratoires, difficultés d'insertion professionnelle – vient « percuter » le dispositif de protection de l'enfance. En Seine-Saint-Denis, il y a 51 000 érémistes et plus de 100 000 chômeurs ; trois femmes sur quatre ont un emploi à temps partiel ; 40 % de la population vit avec moins de 745 euros par mois. Cette situation sociale est gravissime, comme en témoigne la mobilisation de notre pays contre la précarité.

Toutes les solidarités sont mises à mal. Pour améliorer la protection de l'enfance, il faut d’abord réduire la maltraitance sociale. Je pense à cette femme enceinte de six mois expulsée de son logement, qui vit avec ses deux enfants dans une chambre d'hôtel de 9 mètres carrés. Comment avoir une vie familiale sereine dans ces conditions ? Cela pose à nouveau la question de l’interdiction des expulsions locatives.

La pauvreté n’engendre évidemment pas en elle-même le danger pour un enfant ; mais elle en accroît les risques et en développe les facteurs. La protection de l'enfance ne saurait être abordée en oubliant ces réalités sociales.

Des mesures significatives doivent aussi être prises en faveur des femmes victimes de violences conjugales, dont on connaît désormais les conséquences sur les enfants.

Conformément aux recommandations du rapport « L'enfance volée, les mineurs victimes des sectes », je soutiendrai de même certains des amendements visant à protéger les enfants contre toutes les formes de violences infligées par les sectes.

Un autre problème préoccupant est absent de votre projet, bien que la défenseure des enfants le dénonce depuis deux ans. Il s’agit de certains enfants étrangers présents sur notre sol, qu'ils y soient seuls ou en famille, de parents demandeurs d'asile, en situation régulière ou non, qui sont parfois les victimes de passeurs qui les ont introduits en France au mépris de leurs droits. Nous avons déposé des amendements afin de résoudre ce problème inconcevable dans une démocratie.

Viennent ensuite, parmi les plaintes adressées à la défenseure des enfants, les conflits avec l'institution scolaire, où pèsent de plus en plus les difficultés d'intégration des enfants handicapés. Des dizaines de milliers d'enfants continuent de souffrir d'un véritable déni de leurs droits, soit que l'école ordinaire reste peu préparée à les accueillir, soit que les établissements spécialisés fassent défaut. Combien d'enseignants, à qui la loi demande désormais d'accueillir les enfants handicapés, ont-ils reçu une formation qui les y prépare ? Combien demandent à recevoir cette formation sans être entendus ?

Votre texte prétend fournir aux professionnels du domaine social, médico-social et éducatif de nouveaux moyens. L’entretien avec la future mère au quatrième mois de grossesse sera systématisé, et les parents seront mis en contact avec la PMI dès la maternité. La visite de la PMI sera donc proposée systématiquement à la jeune mère. C'est bien, mais pensez-vous que cette disposition pourra être appliquée ? Selon une étude du CNFPT de 2001, 50 % des médecins territoriaux partiront à la retraite d'ici à 2012, dont 75 à 80 % exercent dans le secteur de la PMI.

Cette pénurie s’explique notamment par une faiblesse de la rémunération et un statut peu favorable des médecins territoriaux, malgré les nouvelles missions dévolues aux services de PMI.

Or il existe de grandes disparités entre départements dans l'application des normes relatives aux différents métiers exercés au sein des PMI. Les praticiens remarquent même une dégradation de l'universalité des missions, les collectivités opérant des choix au cas par cas en fonction de leurs moyens.

Vous proposez d’organiser des bilans réguliers, aux moments essentiels du développement de l'enfant, à la maternelle puis à l'entrée en primaire. Soit, mais cette réforme sera-t-elle assortie de moyens supplémentaires pour la médecine scolaire ? Je rappelle en effet que, dans son deuxième rapport annuel, l’observatoire national de l'enfance en danger regrette le manque de moyens accordés à la médecine et à la psychologie scolaires pour dépister des troubles éventuels, dans le cadre de la protection de l'enfance. Ce même rapport déplore également que l'école élémentaire ne soit pas systématiquement dotée en personnel médical, et relève que « les médecins et infirmières scolaires ne parviennent pas à assurer toutes les tâches dont ils ont la responsabilité », puisque seulement 85 % des bilans de santé obligatoires à six ans sont effectués.

Conformément à la convention internationale des droits de l'enfant, l'intérêt supérieur de l'enfant doit primer dans toutes les décisions le concernant. Las, le présent texte entretient la confusion entre enfance en danger et délinquance. L'alinéa 13 de l'article premier, introduit par le Sénat, prône notamment une détection implicite très précoce des troubles comportementaux censés annoncer un parcours vers la délinquance. Je suis satisfaite d’apprendre de notre rapporteure qu’il est envisagé d’y revenir, mais notre groupe défendra tout de même un amendement tendant à garantir le retrait de cette disposition.

Par ailleurs, le projet de loi tend à organiser le recueil et la transmission d'informations relatives aux mineurs dont la santé, la sécurité et la moralité sont en danger, mais sans définir clairement le sens de ce danger. Avant de me prononcer, je souhaite obtenir plus de précisions sur la notion d’« informations préoccupantes ». À rebours de vos propositions, afin de permettre un diagnostic partagé des situations individuelles et des prises de décisions cohérentes, comprises par les parents, les enfants, les professionnels, nous demandons que la loi définisse clairement le danger, en établissant des référentiels pouvant servir de base à toutes les interventions.

Le projet propose en outre de créer au sein de chaque département une cellule pluridisciplinaire de recueil des signalements, de conseil, d'expertise, d'évaluation et de traitement des informations préoccupantes. Nous souhaitons apporter des garanties, en sécurisant la transmission des informations couvertes par le secret professionnel et en obtenant la participation des associations de protection de l'enfance au dispositif.

Au stade de la mise en œuvre, le texte privilégie clairement les administrations départementales. Pourtant, le désengagement constant de l'État dans l’exercice des compétences relatives aux plus vulnérables de nos concitoyens nous fait douter de l’efficacité globale du nouveau système. Je ne demande pas un État qui contrôle tout, ni un retour sur la décentralisation. Mais il importe que la décentralisation des responsabilités soit accompagnée de moyens financiers. Il faut que l'État donne des orientations, assure la solidarité et garantisse une bonne coordination entre les différentes institutions intervenant dans le champ de la protection de l'enfance.

Enfin, le projet pousse à contractualiser le plus possible l'intervention avec les familles. Il vise notamment à institutionnaliser l’accompagnement des familles rencontrant des difficultés pour gérer leur budget. Quand les prestations sociales sont mal employées, le juge des enfants pourra ainsi ordonner qu'elles soient versées à une personne qualifiée, « déléguée aux prestations familiales ». Au lieu d'imposer une approche aussi répressive, il nous semble indispensable que des personnes qualifiées travaillent avec les parents, en vue de les aider à redevenir acteurs de l'éducation de leurs enfants. Si l'on veut vraiment aider les familles, il faut comprendre pourquoi elles en sont arrivées là. Cela demande du temps, et beaucoup d'écoute pour créer la confiance.

Dans l'esprit de nombreux parents, l'impression que l’on risque de leur voler leurs enfants reste très présente. Elle est le résultat de la longue histoire de la DDASS, fondée sur un fort contrôle social. Et elle explique pour une bonne part les stratégies de résistance de nombreuses familles face aux services. Nous proposerons par conséquent de supprimer cet article de contrôle social, dans la mesure où les conseillers en économie sociale et familiale existent déjà – mais sans moyens suffisants pour exercer leurs missions – et où le remplacement du titre de « conseiller » en celui de « délégué » ne réglera pas la question budgétaire ! Les députés de notre groupe proposent donc de remplacer cet article par une disposition supprimant le « contrat de responsabilité parentale », créé dans la loi pour l'égalité des chances du 31 mars 2006.

La résurgence d'un familialisme fondé sur les droits et responsabilités parentales, l'impératif de rationaliser les coûts du social, l'apologie de la proximité et l’instrumentalisation politique du sentiment d'insécurité ont bien évidemment contribué à modifier les représentations des dangers encourus par les enfants, ainsi que l’appréhension de la nature des réponses à y apporter. Pour nous, il importe avant tout de renforcer la prévention.

Compte tenu des incertitudes qui persistent et de la possibilité de voir revenir certains amendements défendus lors de l’examen du texte sur la prévention de la délinquance, notre groupe attendra la fin des débats pour décider de son vote. À ce stade, dans l’attente du sort réservé à ses amendements, il s’abstiendra. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Martine Aurillac – En un temps où la vie politique ne nous donne pas toujours l’occasion de respirer l'air des hauteurs, il est réconfortant de constater que le bon fonctionnement de nos institutions et une collaboration exemplaire entre le Gouvernement et le Parlement ont permis d'aborder, dans une atmosphère qui devrait rester consensuelle, l’important problème de société que constitue la protection de l'enfance.

M. Pierre-Louis Fagniez - Très bien !

Mme Martine Aurillac - Mon intervention se teinte d'une émotion particulière, quelques mois après deux nouveaux crimes odieux qui ont frappé deux très jeunes enfants, endeuillé leurs familles et fortement marqué l'opinion publique.

L'enfant, dans une société où le sens du devoir a régressé, où les solidarités familiales se sont distendues, où l'hédonisme individualiste prévaut trop souvent, a besoin de plus de protection. Il nous faut admettre, comme vous l'avez du reste indiqué, Monsieur le ministre, que des dizaines de milliers d'enfants souffrent en silence, de maltraitance physique ou morale, de négligence, d'indifférence ou d'humiliations, de brimades ou de violences, le tout constituant un abandon de fait, que trop souvent le voisinage, voire l'école et les services sociaux, peinent à diagnostiquer. Le président Dubernard a cité, à cet égard, des chiffres effrayants et les statistiques publiées dans le rapport sont édifiantes. Je tiens d’ailleurs à féliciter les auteurs pour le travail accompli.

En tant que membre de la mission d'information sur la famille et les droits des enfants, je ne puis que confirmer votre appréciation élogieuse du travail effectué par la mission et rappeler le caractère très étendu de ses auditions de spécialistes confirmés, des autorités morales et religieuses et des représentants des associations familiales, lesquels exprimaient la vision de cette majorité – habituellement silencieuse – des familles qui, pour n'avoir pas baissé les bras, n'en sont que plus soucieuses des enfants délaissés.

Il n'est pas étonnant, compte tenu des circonstances de l'élaboration de votre projet de loi, lequel reprend nombre de nos propositions, que nous en approuvions largement le dispositif en trois volets : la prévention – avec des bilans obligatoires – l'amélioration du signalement – en renforçant le rôle de chef de file du conseil général – et, enfin, la diversification des modes de prise en charge.

Ce que j'apprécie particulièrement dans ce dispositif, c'est d'abord qu'il procède d'une très large concertation, notamment avec les départements ; ensuite, il s’attache à maintenir les liens familiaux, même quand les familles paraissent avoir démissionné, en renforçant les moyens de soutien et d'accompagnement à la « parentalité » et les réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents qui oeuvrent au plus près des familles. De même, le rôle des grands-parents est utilement réaffirmé.

Le Sénat et notre commission ont encore apporté des précisions, dans leur ensemble, opportunes : l'intérêt supérieur de l'enfant et le respect de ses droits sont solennellement réaffirmés, un entretien plus approfondi est prévu au quatrième mois de grossesse, ainsi que des visites médicales obligatoires tous les trois ans jusqu'aux 15 ans de l’enfant. Par ailleurs, le juge devra s'assurer du droit de l'enfant à être entendu en justice. Est également organisé un meilleur partage des informations par les Observatoires départementaux, en liaison avec l'Observatoire national, cependant qu’est précisée la possibilité de créer, si besoin est, des unités de vie distinctes au sein des établissements d'accueil pour les moins de 21 ans et que sont fixées les modalités de fonctionnement du fonds national de la protection de l'enfance. Enfin, plusieurs amendement tendent à accroître la vigilance dans le contrôle de certains organismes d’enseignement à distance.

Notre mission d’information a aussi souhaité introduire dans notre droit une délégation de responsabilité parentale pour les – très nombreux – couples recomposés élevant des enfants. Il s'agit de donner – avec, bien sûr, l'accord des deux parents, une place au parent « social » pour les actes de la vie courante. Il importe en effet, pour ces familles, de simplifier la vie quotidienne de ces enfants, sans pour autant remettre en cause notre modèle familial. Je connais, Monsieur le ministre, vos réserves sur ce point, et je peux les comprendre. Mais il s'agit de l'intérêt de l'enfant, et non de convenances personnelles pour les parents, et c'est la raison pour laquelle je soutiens, à titre personnel, un amendement à ce sujet.

Il est aussi prévu, à juste titre, de rendre un rapport tous les trois ans sur l'application de la convention internationale des droits de l'enfant, ainsi que de créer, enfin, la délégation parlementaire aux droits de l'enfant, dont le principe a été voté en 2003.

J'ai conscience des responsabilités accrues que la nouvelle loi fait peser sur les parents, le corps médical, les enseignants, les services sociaux départementaux et l'autorité judiciaire. Une synergie entre les services est indispensable. À cet égard, l'article 7 du projet va dans le bon sens, en permettant le partage du secret professionnel entre des intervenants qui, trop souvent, sont séparés par des cloisons étanches.

En définitive, c'est aussi de la qualité des femmes et des hommes engagés dans cette tâche que dépendra la réussite de ce projet. La très large concertation qui a été annoncée augure bien de la suite, et le groupe UMP votera ce texte sans réserve. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Patricia Adam – Nous nous félicitons que ce projet soit enfin examiné par notre assemblée, car nous avons, tous, tout fait pour qu’il en soit ainsi. Le texte était en effet très attendu par les départements, bien sûr, mais aussi par les associations, les travailleurs sociaux, les juges et les médecins. Il résulte de leurs réflexions, et aussi des travaux de la mission d’information parlementaire sur la famille et les droits des enfants, dont certaines propositions sont reprises, ce dont je me réjouis. La principale consiste à confier aux conseils généraux la centralisation des informations préoccupantes, par l’installation de cellules uniques de signalement des enfants en danger. Les travaux de la mission se sont déroulés dans un climat constructif. J’espère que semblable sérénité prévaudra lors de l’examen des amendements, présentés dans l’intérêt des enfants, même si des désaccords s’expriment, en particulier sur les aspects budgétaires de la réforme proposée. Car si les textes déjà votés, et notamment la loi de financement de la sécurité sociale, doivent préciser les mesures annoncées, rien n’est dit, dans le projet lui-même, du financement spécifique de la protection de l’enfance.

J’observe par ailleurs que l’examen du texte a malheureusement lieu – mais vous n’en êtes pas responsable – après l’examen du projet relatif à la prévention de la délinquance, largement contesté dans cette enceinte mais aussi par l’ensemble des associations de protection de l’enfance, par l’AMF et par l’assemblée générale du GIP « protection de l‘enfance ». Comment s’étonner du désaccord des femmes et des hommes de terrain, de gauche comme de droite, avec ce texte opportuniste et dangereux ? Souhaitons qu’il ne soit jamais appliqué ; les prochaines élections en décideront, je l’espère.

J’en reviens au texte proprement dit, à propos duquel de nombreux amendements, cosignés par les différents groupes de notre assemblée, ont été discutés de manière constructive. Il est vrai que le travail mené pendant un an par la mission d'information et notamment par son président, M. Bloche, et sa rapporteure, Mme Pecresse, que je remercie, y a largement contribué.

Comme nos collègues sénateurs, nous soutenons le dispositif instituant un secret professionnel partagé respectant la confidentialité de certaines informations. Nous savons que la relation de confiance entre usagers et travailleurs sociaux est le socle et le garant d'un travail social de qualité, respectueux de l'individu. De même, nous approuvons la diversification de l'offre des mesures de protection. Même si le texte ne prévoit pas la traduction juridique de la « co-éducation », la proposition formulée par notre commission de faire de l'intérêt supérieur de l'enfant le guide de toute décision, en particulier dans les questions relatives aux délégations d'autorité parentale, permettra, je l'espère, aux juges de prendre les décisions adéquates tout en préservant les liens familiaux, comme le recommande la défenseure des enfants.

Une période d'observation et d'expérimentation sera nécessaire pour compléter le texte à propos de l'autorité parentale. Notre droit de la famille privilégie encore trop la filiation biologique et néglige l'attachement, pourtant nécessaire au développement affectif de l'enfant. Des amendements suggérés par la Fédération des pupilles rappelleront et préciseront ce concept. De même, j'espère que nous parviendrons, par des amendements, à définir ce que sont projet de vie et intérêt supérieur de l'enfant, car il appartient au législateur, en nommant l'éthique, de donner sens aux textes de loi et, de ce fait, aux décisions prises par les professionnels chargés de les appliquer.

Nous ne pouvons aborder l’examen de ce texte sans rappeler le contexte, à savoir une progression de 7 % en 2004 du nombre d'enfants signalés, et le doublement, au minimum, entre 1984 et 2004, des dépenses des départements relatives à la protection de l’enfance mais aussi, Monsieur le ministre, à la prévention, par le biais de budgets différents, par exemple ceux de la politique de la ville ou des contrats éducatifs locaux.

Notre système de protection de l'enfance doit évoluer car familles et société ont considérablement évolué depuis vingt ans. En mettant l’accent sur la fréquence des carences éducatives, des conflits de couple et des séparations dans les cas examinés, le rapport de l’ODAS indique que la précarité économique ne constitue pas à elle seule un facteur de danger mais que si elle se cumule à l'isolement social, à l'absence de repères, au repli sur soi, à l'inoccupation des parents, le risque de danger devient important. Voilà qui explique la surreprésentation des familles monoparentales dans les signalements d’enfants en danger et qui souligne la nécessité de développer des démarches collectives de soutien à la parentalité, couplées à une politique volontariste d'insertion économique tournée vers la population la plus fragile.

L’ODAS signale aussi que les cas de maltraitance progressent, et plus particulièrement les violences physiques infligées aux enfants, une évolution qui reflète la déstabilisation d’une société. Une politique ambitieuse de protection de l'enfance doit donc avant tout s'appuyer sur la prévention, en agissant, en amont, en faveur du développement social des familles, en renforçant les mécanismes de repérage des situations et des zones à risques, et en précisant les procédures et les outils utilisés.

En ce sens, le texte ne répond que partiellement au problème. Il apporte certes des améliorations en matière de PMI en fixant un nombre de consultations obligatoires plus important, mais il ne propose ni progrès en matière de décentralisation ni moyens pour les missions de prévention, désormais majoritairement exercées par les communes et les conseils généraux du fait du désengagement de l'État et des CAF. Quel sort attend les contrats éducatifs locaux ? Quels budgets sont prévus pour la pédopsychiatrie, la politique de la jeunesse, la protection judiciaire de la jeunesse ?

Une politique familiale volontariste, audacieuse et courageuse est nécessaire. Les premières mesures devraient être les suivantes. Tout d’abord, donner aux maires la compétence du développement social local, en particulier pour ce qui des questions relatives à l'accueil du jeune enfant et à la parentalité. Ensuite, territorialiser le travail social dans les quartiers par des partenariats entre villes et conseils généraux, et territorialiser aussi l'observation des signalements pour intervenir de manière ciblée, là encore en partenariat avec l'ensemble des acteurs, dont l'État par le biais des directions départementales de l’éducation nationale. Il faut aussi réinvestir l'école – seul lieu où tous les enfants sont accueillis – en renforçant la présence d'éducateurs et rapprocher les services de santé scolaire de la PMI, et le service social scolaire des services de l'action sociale des conseils généraux, comme les spécialistes, unanimes, le demandent. Il faudrait encore nommer un référent de l'action sociale par famille, coordinateur et garant de la continuité et de la cohérence des décisions. Enfin, il serait nécessaire de développer les moyens de l'éducation populaire pour rompre avec l'isolement social, cause essentielle de la majorité des interventions.

Voilà qui renvoie à la question sociale, que le Gouvernement a ignorée depuis le début de la législature et qu'il fait mine de redécouvrir à la veille des élections après que, depuis cinq ans, nous avons assisté à la suppression des emplois jeunes, à la réduction des moyens accordés aux associations, à la diminution des possibilités d'intervention aux actions de développement social par l'intermédiaire des CAF et, dans le même temps, au désengagement de l'État, qui s'est défaussé de se missions sur les collectivités locales.

L’examen de ce texte me donne pour finir l’occasion d’aborder quelques points qui n’y figurent pas mais que le débat devrait permettre de faire progresser. J'appelle d'abord votre attention sur nos amendements relatifs à la kafala, question qui appelle une solution urgente après que la Cour de cassation a pris, le 10 octobre dernier, une décision d’une particulière gravité. La kafala, en pratique dans certains pays musulmans, permet que des enfants soient confiés à des tiers chargés de leur éducation, mais fait obstacle à leur adoption simple dans notre pays. Il en résulte que ces enfants – trois cents en France – ne peuvent jouir des droits reconnus aux enfants adoptés et que les personnes qui en assurent l'éducation et subviennent à leurs besoins ne peuvent non plus disposer des prérogatives d'autorité parentale. Soulignons, par ailleurs, que la kafala concerne parfois des enfants français. Dans ce cas, les positions prises par certaines juridictions sont encore plus inadmissibles. Notre proposition vise donc à rendre possible l'adoption simple des enfants sous kafala, ou, à défaut, à aligner leurs droits et ceux des personnes auxquelles ils sont confiés sur ceux des enfants et des adoptants ayant accompli les formalités d'une adoption simple. La Belgique a récemment délibéré en ce sens sans pour autant compromettre ses relations diplomatiques avec l’Algérie.

Un autre problème concerne la reconnaissance du rôle des personnes assurant l'éducation d'un enfant sans en être les parents biologiques ou sans pouvoir en être les parents adoptifs. Sur ce point, l’évolution du droit de la famille est nécessaire. Dans l'intérêt de l'enfant, il faut aller vers la reconnaissance du rôle des conjoints du parent isolé, y compris lorsqu’il s'agit de personnes de même sexe.

Comment, encore, passer sous silence la question du droit à l'éducation et du droit à vivre en famille des enfants étrangers scolarisés sur notre territoire ? On ne saurait les séparer de leurs parents ou les contraindre à un retour forcé dans le pays d'origine de ces derniers, qui leur est souvent inconnu.

Pour finir, ce texte devrait permettre de progresser s’agissant des dangers que constituent les sectes pour les mineurs. À ce sujet, le récent rapport de la commission d’enquête parlementaire a souligné l’urgence de certaines évolutions de notre législation ; je pense en particulier à la reconnaissance d’un droit des ascendants à intervenir dans l’éducation de l’enfant lorsque son intérêt le commande. Sachons être cohérents en tirant les conséquences de ce constat et en traduisant en acte, dès à présent, les principales dispositions de ce rapport.

C’est de façon responsable et positive que nous abordons l’examen de ce texte. Néanmoins, vous ne nous empêcherez pas de penser que la meilleure protection de l’enfance, c’est celle qui s’inscrit dans un projet de société privilégiant l’être humain dans un environnement social et économique juste et équilibré où chacun des niveaux de responsabilité de l’État décentralisé doit s’exprimer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Patrick Bloche – Tardif, contradictoire, aléatoire, insuffisant : tels sont les qualificatifs qui viennent à l’esprit alors que commence enfin à l'Assemblée nationale l’examen de ce texte.

Tardif, car la mission d’information sur la famille et les droits des enfants a présenté à l’unanimité près de cinquante propositions dès juin 2005. L’appel des Cent a quant à lui été lancé en septembre de la même année à l’initiative du président du tribunal des enfants de Bobigny, M. Rosenzweig, et du directeur de l’aide sociale à l’enfance de Seine-Saint-Denis, M. Roméo : il invite les pouvoirs publics à engager un grand débat national sur la protection de l’enfance avant toute réforme législative. Les conseils généraux d’Île-de-France ont en outre demandé une grande loi cadre réaffirmant les principes fondamentaux de la protection de l’enfance. Le rapport de 2005 de la défenseure des enfants, de plus, a mis en évidence les inégalités entre les départements et le manque de cohérence des dispositifs. Enfin, l’inscription de ce texte à notre ordre du jour a été maintes fois reportée : depuis son vote au Sénat en mai 2006 et son examen en commission en juillet dernier, cette discussion a malheureusement été retardée par l’examen du projet relatif à la prévention de la délinquance.

Contradictoire, car notre assemblée a examiné trois textes qui se télescopent : loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, qui institue le contrat de responsabilité parentale, projet relatif à la prévention de la délinquance, réforme de la protection de l’enfance enfin.

Aléatoire, notamment s’agissant du dispositif de financement, en particulier en ce qui concerne la compensation des charges transférées aux départements. Si tous les moyens nécessaires ne sont pas mis en œuvre pour appliquer cette loi, celle-ci ne sera qu’un coup d’épée dans l’eau. C’est toute la faiblesse de l’article 17 qui crée en fait un financement fictif.

La mission d’information sur la famille a consacré une part importante de ses travaux à la protection de l’enfance car il s’agit d’un sujet sensible. Je tiens, ici, à en rappeler l’essentiel. Les drames qui ont été portés sur la place publique montrent que les dangers pesant sur les enfants sont loin d’avoir disparu. Les enfants sont vulnérables dans leur corps comme dans leur esprit et ils doivent être protégés : c’est un droit garanti par la convention internationale des droits de l’enfant. La violence infligée aux enfants défigure notre société. Nous avons évoqué lors d’une table ronde l’affaire de Drancy où, le 4 août 2004, quatre enfants, pieds nus, sales et mal vêtus ont été repérés dans la rue. Après deux heures de négociation avec les parents, la police est parvenue à entrer dans le domicile où elle a découvert un enfant de 13 mois qui ne pesait que quatre kilos et qui vivait au milieu des détritus sur une banquette éventrée. Cette famille était connue des services sociaux, et notamment de la PMI, dont les bureaux étaient à moins de cinquante mètres du domicile. Aucune visite n’a pourtant été rendue à cette famille. Nous avons tenté de comprendre pourquoi, malgré 5,5 milliards dépensés chaque année pour protéger les enfants, des situations pareilles existent encore. Nous nous sommes aussi attachés à mettre à plat l’ensemble du dispositif, depuis les mesures de prévention et de détection jusqu’à la prise en charge des mineurs.

S’agissant du premier point, nous avons essayé de répondre à trois questions : à partir de quel âge et selon quelles modalités faut-il faire commencer les mesures de prévention et de détection ? Comment faire partager les informations entre les différents professionnels ? Comment mieux suivre les familles et notamment celles qui, en évitant les services sociaux, échappent aux différents dispositifs ? Nous avons proposé des mesures afin d’anticiper et de renforcer le signalement. Il faut notamment mieux impliquer les enseignants et mieux faire respecter les visites médicales obligatoires.

S’agissant de la prise en charge, nous avons cherché à mieux articuler l’intervention du juge et celle des conseils généraux pour mettre fin à la prééminence des signalements judiciaires. En outre, lorsque l’enfant ne peut pas rester dans la famille, il doit être accueilli dans des conditions permettant d’assurer son développement. Nous avons ainsi dénoncé l’idéologie du lien familial sur laquelle repose encore notre conception de la protection de l’enfance. Nous avons préconisé un recours plus fréquent à une famille d’accueil. La dimension biologique de la filiation ne saurait être privilégiée de manière disproportionnée car elle ne constitue pas en soi une garantie de sécurité pour l’enfant et l’existence de liens biologiques entre l’enfant et les adultes qui l’élèvent n’a jamais été l’assurance d’une bonne éducation. Nous avons examiné la manière dont le dispositif de placement des enfants organise une suppléance parentale afin de vérifier si la stabilité affective du mineur est assurée.

Le cloisonnement entre les différentes administrations compétentes semble la principale faille du système. En superposant plusieurs niveaux de compétences, l’organisation issue de la décentralisation est particulièrement complexe, ce qui nuit à la sûreté du dispositif, notamment à la continuité du suivi des enfants. Nous avons cherché les moyens de clarifier l’organisation de la protection de l’enfance pour la rendre plus efficace.

Nous nous sommes également attachés à vérifier le respect, par notre pays, de la convention internationale des droits de l’enfant qui comprend des dispositions essentielles pour la protection des mineurs dont nous devrions améliorer l’application. C’est ainsi que nous avons examiné la place que notre droit réserve à la parole de l’enfant devant le juge ainsi qu’à la situation particulière des mineurs étrangers isolés.

La dernière grande loi sur la protection de l’enfance a été promulguée en 1989. Ce sont pourtant près de deux enfants qui meurent chaque semaine dans notre pays suite à des actes de maltraitance et les cas d’enfants en situation de danger augmentent. Nous sommes conscients que la réforme de la protection de l’enfance soulève des questions difficiles car elle met en jeu des principes fondamentaux de notre droit, notamment la défense des libertés individuelles et le respect du secret professionnel. Nous avons essayé de trouver un équilibre entre le droit des familles à l’intimité et la nécessité de prendre en compte l’intérêt de l’enfant. Il faut mettre en place un dispositif permettant de contrôler la famille sans la stigmatiser, d’accueillir les enfants dans une stabilité affective et psychique tout en organisant des allers et retours chez leurs parents, de les protéger tout en aidant les parents à exercer leurs compétences. C’est le sens des propositions que notre mission a adoptées unanimement. Le groupe socialiste regrette que nombre d’entre elles n’aient pas été reprises.

Ce projet n’est pas à la hauteur des attentes. Il s’apparente plus à une réponse d’urgence à la médiatisation de plusieurs affaires judiciaires qu’à une véritable loi cadre. Toutes les familles, enfin, doivent être soutenues, même celles que certains se refusent à reconnaître comme telles, car le bien-être de l’enfant dépend d’abord de l’attention et de l’amour qu’il reçoit, quelle que soit l’orientation sexuelle des adultes qui l’élèvent. Espérons que notre débat et le vote de nombreux amendements permettra de donner tout son sens à cette réforme ! Dans le cas contraire, l’alternance politique, au printemps prochain, y pourvoira. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Michèle Tabarot – Depuis de nombreuses années, les pouvoirs publics ont fait de la protection de l’enfance une priorité, mais malgré ces efforts, nous ne parvenons toujours pas à garantir à tous les mineurs en danger une réponse rapide et adaptée. L’actualité nous en apporte malheureusement bien trop d’exemples tragiques et nous avons tous de sinistres faits en mémoire. L’objet de mon propos n’est pas de critiquer un système qui a permis d’aider tellement d’enfants en difficulté, mais de souligner qu’il est perfectible. Il faut prendre acte de ses faiblesses pour tendre vers plus de réactivité et peut-être d’humanité.

Dans le cadre de ma mission de rapporteure pour avis du budget de la protection judiciaire de la jeunesse, j'ai tenu à visiter plusieurs foyers et j'ai été frappée de constater que, dans un même établissement, pouvaient coexister des mineurs délinquants et des mineurs victimes. II est aisé d'imaginer les conséquences que cette situation peut avoir pour un enfant déjà fragilisé, placé au contact de jeunes potentiellement violents. Ce n'est en tout cas pas de cette manière que nous pouvons lui garantir les conditions les mieux adaptées à sa reconstruction.

Je me réjouis donc que le projet prévoie la constitution d'unités de vie distinctes en fonction du projet éducatif de chaque enfant. Il faut cependant aller plus loin en précisant clairement dans la loi que ces unités de vie doivent être constituées en fonction du vécu de chaque enfant, victime ou délinquant. Je défendrai un amendement en ce sens.

Le second point sur lequel je voudrais intervenir est le prononcé judiciaire d'abandon, qui permet d'offrir à un enfant maltraité une chance de trouver une nouvelle famille. Du prononcé d'abandon découle en effet la possibilité d'être admis en qualité de pupille de l'État, et donc d'être adopté. Mais l'article 350 du code civil limite l'introduction de la demande de prononcé d'abandon à la personne, l'établissement ou le service social qui ont recueilli l'enfant. Or, cela peut s'avérer une demande délicate à formuler, notamment pour un particulier. Il faudrait donc que le Président du conseil général puisse, en se fondant sur le rapport annuel qui lui est remis pour chaque mineur, saisir directement le juge d'une demande en déclaration d'abandon, lorsqu'il lui apparaît que les parents se sont manifestement désintéressés de leur enfant. Je défendrai un amendement sur ce point.

Ce projet de loi est un texte équilibré. Je souhaite qu'il s'enrichisse de nos débats sans que les avancées qu'il contient soient remises en cause. À travers les évolutions qu’il propose, nous avons en effet l’occasion d'affirmer toute l'importance que revêt dans notre législation ce grand principe qu'est la primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant, principe du droit international qui a guidé beaucoup de nos choix par le passé et qui, je le souhaite, continuera d'éclairer durablement nos travaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Serge Blisko – Nous ne pouvons qu’être tous d’accord pour mieux protéger les enfants, que ce soit en améliorant les dispositifs existants – perfectibles, comme vient de le dire Mme Tabarot – ou en en adoptant de nouveaux. Mais la protection de l’enfance devrait concerner tous les enfants, sans distinction d’origine ethnique ou sociale : l’enfant universel, en somme. Or, votre projet, Monsieur le ministre, oublie certaines catégories d’enfants : les mineurs étrangers isolés et ceux victimes d’emprise sectaire.

Le danger encouru par ces mineurs sans représentant légal qui, pour arriver en France, ont bien souvent risqué leur vie – je pense par exemple à ceux qui se cachent dans le train d’atterrissage d’un avion – est pourtant flagrant. Ces enfants arrivent des pays les plus pauvres, parfois en guerre. Ils connaissent l’errance et ont souvent connu des situations de maltraitance extrême. Bref, ils viennent de très loin, et pas seulement d’un point de vue géographique. Leur nombre n’est pas précisément connu, mais il est certain qu’il va croissant et que leur présence, jadis limitée à la région Île-de-France, se diffuse à l’ensemble du territoire. Des initiatives locales sont prises pour venir en aide à ces jeunes en situation d’extrême vulnérabilité, mais il n’y a pas de coordination. Il faudrait plus de moyens. Il faudrait aussi créer à leur intention des hébergements d’urgence sécurisés, afin de les mettre à l’abri des filières mafieuses et des exploiteurs en tous genres.

Pour ces jeunes, il importe de faire prévaloir le principe de présomption de minorité, dans l’attente d’investigations ultérieures. Nous ne pouvons admettre que le recours systématique à des expertises dont la validité scientifique n’est pas établie – un examen de radiologie osseuse présente une marge d’erreur pouvant dépasser dix-huit mois – décide du sort d’un jeune.

Autres oubliés du projet : les enfants dans les sectes. J’ai bien entendu l’argument selon lequel le rapport de la commission d’enquête sur les sectes n’avait pu être pris en compte dans ce projet, dans la mesure où il a été remis fin décembre, mais j’espère que nous pourrons remédier à cette lacune par des amendements. Je tiens à souligner que les propositions de ce rapport ont toutes été votées à l’unanimité et que les amendements cosignés par MM. Vuilque et Fenech, respectivement rapporteur et président de cette commission d’enquête, reflètent cette unanimité.

Les auditions auxquelles nous avons procédé nous ont permis de prendre la mesure des dangers encourus par les enfants dans les sectes. Comme l’a souligné une psychologue, tout enfant qui est dans une secte est en danger, que cette secte soit coercitive ou non. Les maltraitances psychiques sont toujours là. Un couple nous a expliqué le degré d’obéissance demandé aux enfants dans la secte Tabitha’s Place : « Si l’enfant ne fait pas ce que vous lui demandez dans la seconde et dès la première fois que vous lui demandez, une correction physique doit lui être donnée. La correction doit faire mal. On va également demander à l’enfant, progressivement, de bien recevoir sa correction, c’est-à-dire de ne pas pleurer, de ne pas se rebeller, jusqu’à arriver à un point où il va demander lui-même sa correction s’il a mauvaise conscience. »

Nous avons aussi entendu ce jeune homme de 24 ans, qui a passé les vingt-deux premières années de sa vie chez les Témoins de Jéhovah. Il a calculé qu’un enfant de primaire devait consacrer à la secte quasiment vingt-trois heures par semaine – étude, prière et prosélytisme.

Il est urgent de penser à ces jeunes dont certains volent l’enfance. Nous devons montrer que l’État ne se désengage pas mais entend au contraire lutter résolument contre les dérives sectaires. J’espère donc qu’un certain nombre de nos amendements sur le sujet seront adoptés. Les enfants étrangers isolés, les enfants prisonniers des sectes, les enfants victimes méritent toute notre attention. Honorons nos engagements en leur faveur. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Patrick Delnatte - Chaque semaine, deux enfants meurent de mauvais traitements infligés dans leur famille. C’est inacceptable, car c’est à la façon dont elle s’occupe de ses enfants autant que de ses personnes âgées et handicapées que l’on juge une société.

Sur ce problème, notre assemblée a bien travaillé puisque 85 % des propositions de l’excellent rapport de Valérie Pecresse, au nom de la mission d’information sur la famille et les droits de l‘enfant présidée par Patrick Bloche, sont repris dans ce projet. Parallèlement, le Gouvernement a mené une large concertation avec les acteurs, en particulier les départements, responsables de la mise en œuvre de cette politique.

À l’évidence, la loi de 1989 ne suffit plus à répondre aux besoins, et les disparités importantes relevées entre départements ne sont pas acceptables.

Nous avons examiné récemment plusieurs textes concernant l’enfance et l’adolescence, en particulier le projet sur la prévention de la délinquance des mineurs. La logique aurait voulu que nous examinions en premier le texte sur la protection de l’enfant, comme l’a fait le Sénat. Cela aurait évité des polémiques inutiles. Souvent, le mineur délinquant a été lui-même une victime, en particulier s’agissant des sévices sexuels.

Tous ces textes s’organisent autour de trois principes innovants et qui font consensus : la nécessité de traiter les problèmes le plus en amont possible, ce à quoi nous incitent les progrès de la pédopsychiatrie ; celle d’aller vers un secret professionnel partagé, dans le respect des déontologies ; celle enfin de coordonner l’accompagnement et le traitement en raison de la diversité des intervenants.

Dans ce texte, qu’ils inspirent largement, ces principes s’articulent autour de deux impératifs, à savoir aider en priorité les parents, car la cellule familiale reste le cadre naturel de l’éducation, et, au cas où elle est défaillante, assurer le relais par les pouvoirs publics, dans l’intérêt de l’enfant.

Il y a donc tout un travail à réaliser sur les innovations et les bonnes pratiques. Des départements l’ont fait, comme celui du Nord. Ce projet justifie et donne un fondement à leurs pratiques nouvelles.

J’apprécie aussi l’initiative de madame la rapporteure d’y inscrire le texte de la proposition de loi de MM. Barrot et Paillé instituant une délégation parlementaire aux droits de l’enfant. J’en fus le rapporteur. Votée ici à l’unanimité, elle était en panne au Sénat. Espérons que cette disposition franchira l’obstacle de la CMP.

C’est avec conviction que nous voterons ce projet qui, comme tous les autres dans ce domaine n’a qu’un objet, l’intérêt de l’enfant. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Lilian Zanchi – À quel enjeu de société ce texte doit-il répondre ? Actuellement, 270 000 enfants sont pris en charge parce qu’ils sont en danger. Ces dix dernières années on a signalé en moyenne 80 000 nouveaux cas par an et nous sommes passés de 83 800 signalements en 2000 à 95 000 aujourd’hui, selon l’ODAS.

Arrêtons-nous un instant sur la réalité statistique : il s’agit des mineurs victimes de violence, ou en risque de maltraitance sans être malmenés. Or, selon les enquêtes de victimation, 12,2 % des mineurs sont victimes de violences, ce qui en fait la tranche d’âge la plus atteinte. Et les enfants en risque de maltraitance sont passés de 65 500 en 2000 à 76 000 aujourd’hui.

Face à cette situation inquiétante, votre projet vise à organiser la prévention très en amont. Nous partageons cette philosophie, puisqu’elle privilégie la démarche éducative sur la démarche répressive, comme le veut l’ordonnance du 2 février 1945, un mineur délinquant étant aussi un mineur en souffrance. Plus encore, à écouter Mme la rapporteure, l’axe central du projet ne consiste pas à doter la société de nouveaux outils d’encadrement des familles défaillantes ni à punir leurs carences éducatives, non plus qu’à repérer précocement les comportements déviants, mais à contribuer à ce que toutes les familles puisent remplir leur devoir éducatif.

Mais pensez-vous que les dispositifs prévus dans la loi de prévention de la délinquance sont cohérents avec un tel discours ?

Créer un conseil pour les droits et les devoirs des familles, présidé par le maire, n’est-ce pas les encadrer d’une façon que vous ne souhaitez pas ? « L’accompagnement parental » n’est-il pas un outil de contrôle par le maire, dès lors que celui-ci délivrera une attestation de l’engagement solennel des familles à se conformer aux obligations liées à l’exercice de l’autorité parentale ? Le fichier de données à caractère personnel que le maire pourra mettre en place, concernant les prestations familiales, l’absentéisme scolaire, ne va-t-il pas servir à repérer au plus tôt les comportements déviants ? Et que pensez-vous de la possibilité donnée aux conseils généraux de mettre leurs services à disposition des communes dans le domaine social, alors que vous-même voulez renforcer les compétences de ces mêmes conseils généraux ? Ou encore de l’obligation pour les parents d’accomplir à leurs frais un stage de responsabilité parentale, qui ressemble fort à une punition pour carence éducative ?

En réalité, le projet sur la prévention de la délinquance s’oppose totalement au vôtre, car ce Gouvernement n’a cessé de stigmatiser la jeunesse et ne voit qu’une solution, la répression. Il nous faudra donc opérer une refonte totale des politiques que vous avez mises en place ou que vous essayez de faire adopter en fin de mandature pour faire croire que vous agissez. Il nous faudra mettre en place une politique qui, de la prévention primaire à l’insertion professionnelle, en passant par la santé et la formation, la lutte contre la délinquance et contre la maltraitance, permettra aux jeunes de construire un projet de vie. Il faudra aussi clarifier le rôle respectif des conseils généraux et des villes dans ce domaine, ainsi que la nécessaire place de l’État afin d’assurer une cohérence de l’action. Les observatoires départementaux et l’observatoire national de l’enfance en danger n’y suffiront pas, si l’on n’élargit pas la compétence du comité interministériel de la prévention à la protection de l’enfance.

Votre projet mobilise les professionnels et les élus. Mais il n’est pas à la hauteur des défis que nous devons relever. Ce n’est donc qu’un préambule à la véritable loi-cadre que nous devrons élaborer pour la prévention et la protection de l’enfance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Mignon remplace M. Bur au fauteuil présidentiel.
PRÉSIDENCE de Mme Hélène MIGNON
vice-présidente

M. Michel Diefenbacher - Le Gouvernement a tenu à ce que le Parlement débatte de la protection de l’enfance avant la fin de la législature. Je l’en remercie. Trop de drames prouvent que, malgré les moyens mobilisés et l’engagement des travailleurs sociaux, des lacunes subsistent. Il fallait y remédier. Vous le faites, sans tapage médiatique, avec sérieux et discrétion, en enchaînant réflexion, consultation et proposition. C’est ainsi que vous nous présentez un projet à la fois simple et opérationnel.

Je me limiterai à deux observations. D’abord, il importait d’adapter la procédure de signalement, car donner seulement le choix entre le recours au juge ou rien était simpliste et brutal. La nouvelle cellule pluridisciplinaire chargée de recueillir les signalements permettra à la fois une appréciation collégiale et une réponse graduée.

En second lieu, vous réaffirmez le rôle de chef de file du président du conseil général dans la mise en œuvre des politiques d’action sociale. Depuis la décentralisation, les départements ont acquis un savoir-faire incontestable en matière sociale grâce à leur proximité avec le terrain, mais aussi grâce à l’importance des moyens engagés : dans le Lot-et-Garonne, les effectifs des travailleurs sociaux ont ainsi augmenté de 50 % en vingt ans. À cela s’ajoute bien sûr l'engagement quotidien des travailleurs sociaux, auxquels nous devons rendre hommage.

Je dois toutefois me faire l’écho d’un regret, Monsieur le ministre : celui que la médecine scolaire n'ait pas encore rejoint le giron des départements.

M. Yves Bur – Très juste !

M. Michel Diefenbacher - Sans vouloir à tout prix élargir le « pré carré » des conseils généraux, il faut reconnaître que les médecins scolaires jouent un rôle essentiel dans la détection des mauvais traitements et que la coordination avec les travailleurs sociaux serait plus étroite et plus constante si les uns et les autres relevaient de la même autorité.

Ce texte tirant une partie de sa force du consensus qui l’entoure, je comprends que vous n’ayez pas souhaité raviver les débats idéologiques que cette question avait suscités lors de la discussion de l'Acte II de la décentralisation, mais il faudra bien un jour la traiter…

Je m’inquiète également des charges que les politiques sociales font peser sur les budgets départementaux…

M. Augustin Bonrepaux - C’est bien vrai !

M. Michel Diefenbacher - Dans mon département, par exemple, les dépenses sociales brutes ont plus que doublé depuis 2001, passant de 67 à 145 millions d'euros. Si l'on déduit de ces montants l'ensemble des compensations financières apportées par l'État et les recettes d'aide sociale, la charge nette a augmenté de 65 %, de 57 à 94 millions.

M. Alain Néri - Il ne faut pas s’étonner de la hausse des impôts locaux !

M. Michel Diefenbacher - Une telle augmentation des charges, qui représente 40 points de fiscalité, impose non seulement une compensation systématique des transferts nouveaux, mais aussi une politique vigoureuse de péréquation des ressources des collectivités et de contrôle de la dépense.

Même si l'impact budgétaire de la réforme proposée reste très limité et compensé, il fallait rappeler ce point… En effet, la rigueur de la gestion et la générosité de l’action sociale, loin d’être incompatibles, ne vont pas l’une sans l’autre. Seule la rigueur de la gestion permet d’ancrer dans la durée l'action sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Alain Néri – Je voudrais féliciter la rapporteure, ainsi que Patrick Bloche, pour la qualité de leur travail sur ce sujet, essentiel pour notre pays : nous devons préparer l’avenir de nos enfants en leur permettant de développer harmonieusement leur personnalité et en leur garantissant un accès égal à l’éducation et à la formation, indispensables pour qu’ils deviennent des hommes et des citoyens.

Il eût été préférable d’associer plus étroitement les ministères de l’éducation nationale, de la santé et de la justice à ce projet de loi, qui recouvre bien des domaines d’action... Chacun sait par ailleurs que les premières années de la vie jouent un rôle essentiel dans le développement de la personnalité et de l’intelligence. Il faut donc intervenir le plus rapidement possible grâce à un dépistage précoce impliquant tous les acteurs concernés.

N’oublions pas non plus l’impact des conditions socio-économiques : c’est parce qu’il n’existe pas d’égalité des chances à la naissance que les pouvoirs publics doivent intervenir. Comme le soulignaient Bourdieu et Passeron dans Les Héritiers, les enfants de Brejnev bénéficieront toujours de meilleures conditions d’éducation que ceux du batelier de la Volga. On pensait de même que les enfants des indiens Osage avaient un QI inférieur à la moyenne jusqu’à la découverte de pétrole dans leur réserve : on a vu alors le QI croître avec la prospérité…

L’environnement socio-économique joue un rôle si essentiel que l’école et les services médico-sociaux doivent absolument compenser les carences. Il faut donc accompagner les familles qui ne peuvent pas toujours remplir leurs missions éducatives malgré toute leur bonne volonté. Je songe à un refrain d’Yves Duteil : « prendre un enfant par la main et lui montrer le chemin ». Si nous pouvions nous acquitter de cette mission, nous honorerions la représentation nationale…

Ce texte me paraît bon sur de nombreux points, mais il aurait mieux valu que nous le discutions avant le projet de loi sur la délinquance, ce qui aurait évité bien des polémiques inutiles…

M. Yves Bur – C’est bien vrai !

M. Alain Néri - Nous aurions également dû éviter tout télescopage entre ce texte et celui sur l’égalité des chances, qui prévoit un contrat de responsabilité parentale.

S’agissant des difficultés financières évoquées par Michel Diefenbacher, je lance un appel à l’État : si la décentralisation, que nous défendons tous, passe par la proximité, nous devons définir précisément les compétences et les moyens des différents acteurs concernés. Fixons clairement les compétences régaliennes de l’État et évitons les financements croisés auxquels plus personne ne comprend rien.

J’aimerais également, Monsieur le ministre, que vous nous rassuriez sur les transferts financiers qui accompagneront les transferts de compétences en faveur des départements, qui jouent déjà un rôle social essentiel, notamment par l’intermédiaire de la PMI et de l’ASE : nous constatons en effet que les CAF se désengagent des contrats éducatifs locaux et que les moyens alloués à la pédopsychiatrie sont en baisse. Je lance un appel au secours à l’État : nous voulons aider l’enfance en danger, mais garantissez-nous que les conseils généraux disposeront des crédits nécessaires pour mener leur action. Nous acceptons volontiers un tel transfert de charge, mais il ne faudra pas nous montrer du doigt si les impôts locaux augmentent faute de moyens… (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Yves Bur – Parmi les réalités les plus douloureuses de notre société figurent les violences de toute nature subies par les enfants. Aujourd’hui, ce ne sont pas moins de 270 000 enfants qui sont pris en charge par les services départementaux de l'aide sociale à l'enfance !

Après le rapport de la mission d’information sur les familles, adopté à l’unanimité, il est heureux, Monsieur le ministre, que vous nous proposiez d’actualiser les dispositifs visant à protéger l’enfance. Face à une tendance sociale aussi lourde, nous devons améliorer notre réactivité et notre efficacité : nous ne pouvons pas rester impuissants devant la souffrance intolérable d’enfants mis en danger par des parents indignes ou inconscients de leurs responsabilités.

Je m’inquiète en effet de l’accroissement très sensible des situations à risque : dans le Bas-Rhin, le nombre d'enfants placés sous la protection du département est ainsi passé en six ans de 4 000 à 6 000. Afin de mieux protéger les enfants, nous devons adopter des dispositifs préventifs plus efficaces et renforcer le dépistage précoce en redéfinissant les missions de la PMI, qui devrait être réorientée vers une approche médico-sociale. Trop souvent ces professionnels se réfugient en effet derrière leurs missions réglementaires, au détriment d'une action globale de prévention et d'action. Il serait utile à cet égard d'actualiser le cadre réglementaire définissant les missions de la PMI.

Renforcer la prévention précoce, c'est affirmer davantage la présence de la PMI dans les maternités, pour mettre en place l'accompagnement adéquat si des difficultés se font jour dans la construction du lien mère-enfant. Cette intervention préventive doit être institutionnalisée par des conventions, dans les maternités publiques comme dans les maternités privées. Nous devons aussi réfléchir aux moyens d'inclure le père – souvent absent de nos actions institutionnelles – dans les démarches préventives pré et post-natales.

Je me félicite d’autre part que le texte multiplie les rendez-vous des élèves avec la médecine scolaire et élargisse le contenu du suivi aux aspects liés à la santé psychique.

Comme les services de protection de mon département, je m’inquiète de la multiplicité des interventions institutionnelles, qui reste un facteur d’inefficacité dans la prévention comme dans la prise en charge. Il est grand temps de tourner le dos aux petits corporatismes pour obtenir davantage de cohérence autour de la santé et de la protection des enfants à l'école. C'est la raison pour laquelle je milite pour l'intégration de la médecine scolaire dans une protection maternelle, infantile et scolaire mieux articulée avec le Service de protection de l'enfance et l'action sociale de proximité. Dans cette approche, c’est bien l'efficacité de l'action publique autour de l'enfant à ses différents âges et dans son contexte familial et social qui serait au cœur d'une nouvelle cohérence centrée sur l'usager.

Il faut aussi optimiser les moyens des départements, en les mutualisant davantage avec d’autres secteurs comme la pédo-psychiatrie. À l'instar de Pierre Méhaignerie, j’estime en effet qu'avant de solliciter des moyens supplémentaires, il est indispensable d'optimiser ceux qui existent. La fuite en avant financière n’a jamais suffi à renforcer l’efficacité de l'action publique, qui doit d'abord être mieux organisée et évaluée.

Puisse la prise de conscience en faveur de l’amélioration de la protection de l’enfance être réellement partagée ! Je ne puis m’empêcher de me demander si l'action publique suffira à pallier l’inquiétante dégradation du comportement des familles et des parents. Il nous faudra faire preuve de constance et de volonté politique pour accorder à cette question sociétale toute la priorité requise. Il est en effet insupportable de lire dans le regard apeuré d'un enfant toute la détresse d'un petit être qui souffre dans sa chair, ne comprend pas ce qui lui arrive, et nous demande de lui épargner le calvaire d'une innocence qu'on lui arrache. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Richard Mallié - On ne peut le nier, la famille de 2007 n'a plus rien à voir avec celle d'il y a vingt ou trente ans. Qu'elle soit recomposée ou monoparentale, la cellule familiale est aujourd'hui fragilisée. Un mariage sur trois – un sur deux à Paris – se solde aujourd’hui par un divorce. Il ne s’agit pas de regretter ou de condamner cet état de fait, mais de prendre acte d’une évolution sociologique.

Nous ne pouvons pour autant rester inactifs : nous avons le devoir d'adapter notre législation et certaines de nos institutions à cette nouvelle donne. Car si la famille d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celle qu'ont connue nos parents, les besoins de nos enfants n'ont pas changé. Je dirais même qu'aujourd'hui plus qu'hier, nos enfants ont besoin de structuration, de repères et de protection. Je vous félicite donc, Monsieur le ministre, d'avoir eu le courage de nous présenter ce texte.

La protection de nos enfants ne peut plus se cantonner, comme la loi du 10 juillet 1989, à la prévention contre les mauvais traitements. Certes, bien du chemin reste à parcourir en matière de lutte contre les maltraitances infantiles – deux enfants continuent de succomber chaque semaine aux mauvais traitements infligés dans le cadre de la cellule familiale. Mais ce champ d'action ne peut plus être le seul : les menaces qui pèsent sur nos chérubins ne sont plus seulement physiques, mais aussi psychiques. Si l’internet est une formidable révolution, il peut également représenter un danger s'il est mal utilisé. Il est donc urgent d'encadrer son usage. Je soutiens donc l’amendement de Bruno Gilles qui vise à obliger les fournisseurs d'accès à proposer gratuitement à toutes les familles un logiciel de filtrage efficace à destination des plus jeunes.

Je me félicite également de la place que ce texte entend donner à la parole de l'enfant dans le cadre des procédures de divorce. Je connais bien ce sujet. En mai 2004, j'avais d'ailleurs déposé une proposition de loi visant à rendre obligatoire l'audition de l'enfant âgé d'au moins sept ans dans toute procédure le concernant. Cette mesure permettra à bien des enfants de pouvoir exprimer leur sentiment profond face au juge, loin des tiraillements dont ils sont victimes. S’il est une parole qu'il faut respecter dans les procédures de divorce, c'est bien celle de l'enfant.

Il aurait d’ailleurs été bon que ce texte se penche sur la garde alternée, décision propice à l'équilibre des enfants que les magistrats prennent trop rarement. Dans notre société aux contours de plus en plus flous, les jeunes ont plus que jamais besoin de repères forts pour se construire. La présence du père et de la mère dans leur quotidien fait partie de leur structuration. Or si la voie de la résidence en alternance a été ouverte par la loi du 4 mars 2002, le parent qui s'oppose à cette solution obtient généralement gain de cause. La dernière étude du ministère de la justice sur le sujet montre qu'en cas de désaccord, le juge rejette cette solution dans 75 % des décisions définitives, et deux fois sur trois pour les décisions provisoires. Cette posture de conflit n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant. Il semblerait donc opportun de renverser la charge de la preuve et de prévoir la résidence en alternance dès lors qu’au moins l’un des parents en fait la demande, le parent qui s'y oppose devant justifier sa position. J'avais d'ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens en avril 2004. Nos enfants ne doivent pas devenir une monnaie d'échange entre les deux parents.

Enfin, nos magistrats ne sont pas assez sensibilisés dans le cadre de leur formation aux conflits de famille. Des solutions existent pourtant. On pourrait par exemple les confronter au retour d'expérience de parents ayant vécu l'épisode délicat d'un conflit familial. Le président d'une association de ma circonscription, « L'Enfant a des droits », a adressé un mémoire à ce sujet au directeur de l'ENM, sur les conseils du Garde des Sceaux. Je regrette qu’il n’ait pas été donné suite à cette démarche.

Si les chantiers à entreprendre en matière de protection de l’enfance restent nombreux, on ne peut qu'accueillir favorablement ce texte qui opère déjà d’importantes avancées. Je suis particulièrement attentif à ces questions, comme le montrent mes travaux parlementaires. Mon implication est celle d'un élu et celle du maire que j'ai été pendant treize ans, mais aussi celle d'un père de trois enfants, qui ne peut rester insensible à ces problématiques. Si la vie a préservé mes enfants de conflits familiaux douloureux, c'est malheureusement loin d'être le cas de tous les petits Français. C'est en leur nom que je vous invite à adopter ce texte qui viendra en aide à nombre d'entre eux. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Bur remplace Mme Mignon au fauteuil présidentiel.
PRÉSIDENCE de M. Yves BUR
vice-président

M. Georges Fenech – Attendu par tous les acteurs de la protection de l’enfance, ce texte répond aussi aux objectifs de la Convention internationale sur les droits de l’enfant de l’ONU du 20 novembre 1989, que la France a signée en 1990. Les mesures proposées complèteront utilement celles qui existent déjà, tout en renforçant les moyens budgétaires et humains dévolus à la protection de l’enfance.

Compte tenu du temps qui m’est imparti, je bornerai mon intervention à la question douloureuse des enfants victimes de l’emprise sectaire, qui ne bénéficient pas encore de toute la protection qu’ils sont en droit d’attendre des pouvoirs publics. L'Assemblée nationale a voté à l’unanimité, le 28 juin 2006, une résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative à l’influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs. J’en ai assuré la présidence, notre collègue socialiste Philippe Vuilque en étant le rapporteur. Dans son rapport, publié le 19 décembre, la commission d’enquête dresse un double constat : les enfants constituent une proie de plus en plus facile pour les sectes, et l’engagement des pouvoirs publics contre l’influence des dérives sectaires sur les enfants doit être renforcé.

Les enfants victimes de ces dérives étant aussi des enfants en danger, les amendements que j’ai déposés s’inscrivent parfaitement dans l’esprit du présent texte. N’ayant pu le faire en commission, je les défendrai de manière détaillée lors de la discussion des articles. Ces 21 amendements reprennent une partie des propositions formulées par la commission d’enquête.

Parmi les points qui me paraissent importants, il y a d’abord la santé et les contrôles médicaux des enfants en âge scolaire non scolarisés ou scolarisés dans des établissements privés hors contrat. Je proposerai qu’ils bénéficient des mêmes contrôles médicaux que les autres enfants de la République.

Sans remettre en cause la liberté d’enseignement dans les familles, notre commission a d’autre part considéré qu’il fallait justifier d’une cause légitime pour priver l’enfant des avantages d’une scolarisation. Nous avons proposé des critères objectifs – état de santé, handicap, déplacement de la famille… Je sais que cette proposition inquiète certaines familles. Je rappelle que dans un pays comme l’Allemagne, la scolarisation des enfants est une obligation.

C’est le gage d’une éducation de qualité, tendant à renforcer l’ouverture d’esprit de l’enfant pour lui permettre, au contact des autres, de devenir un citoyen libre et éclairé, au sens de la Convention internationale des droits de l’enfant. Cet engagement est du reste le moyen qu’utilisent les sectes pour enfermer socialement les enfants.

À tout le moins, si ce dispositif vous semble aller à l’encontre d’un principe constitutionnel, il importe au minimum d’inscrire dans la loi ce qu’une ancienne et pérenne jurisprudence a établi. J’y reviendrai au cours de la discussion de l’article.

Le temps me faisant défaut pour développer ces différents points, je vais à l’essentiel. C’est cet enfermement social dû à la liberté sans contrôle d’enseignement dans les familles que notre commission a pu constater en se déplaçant dans les Pyrénées-Atlantiques pour visiter la communauté Tabitha’s Place. Je rappelle que nous y avons découvert 18 enfants d’âge scolaire totalement coupés de la réalité sociale. Je pose donc la question : est-il normal, au nom de la liberté d’enseignement dans les familles, de priver un enfant de toutes les autres libertés fondamentales ? C’est une question que la représentation nationale ne peut pas évacuer.

Je propose également d’enrichir la loi About-Picard du 12 juin 2001, votée à l’unanimité, en incriminant l’enfermement social. Enfin, je suggère – et je regrette que ce dispositif ait été rejeté en commission même si j’ai bon espoir qu’il soit finalement adopté – de donner aux grands-parents le droit de saisir le juge des enfants en cas de situation de danger, en particulier lorsque les deux parents appartiennent à un mouvement de caractère sectaire.

Je ne doute pas que le Gouvernement et notre assemblée sauront être attentifs à la situation dramatique que vivent 60 000 à 80 000 enfants dans notre pays, en accueillant favorablement mes différents amendements. (Applaudissements sur de nombreux bancs)

La discussion générale est close.

M. le Ministre délégué – Je remercie les différents orateurs pour la qualité de cette discussion générale, qui fait manifestement honneur à la représentation nationale, sur une question qui appelle de notre part un sens aigu des responsabilités. N’oublions pas, en effet, que c’est le bien-être des enfants qui est en jeu, ainsi, du reste, que celui de leurs parents, tant il est vrai qu’il ne saurait être question d’opposer parents et enfants si l’on veut que la cellule familiale fonctionne harmonieusement.

Je remercie en particulier Mme Pecresse d’avoir accepté la charge de rapporter ce texte. Après avoir accompli un excellent travail dans le cadre de la mission d’information présidée par M. Bloche, son engagement personnel dans la préparation du présent texte et la remarquable pertinence de ses propositions méritent d’être salués.

Avec beaucoup d’autres, M. Delnatte s’est réjoui que nombre des propositions formulées par la mission d’information soient reprises dans ce texte. Il est vrai que nous avons pu nourrir notre propre réflexion de vos excellents travaux, des auditions très larges auxquelles vous avez procédé et des propositions très riches des différents intervenants dont vous avez pris l’attache.

Au-delà de la prévention des situations de maltraitance, vous souhaitez, Madame la rapporteure, promouvoir la « bien-traitance » des enfants et il y a là une noble ambition que nous ne pouvons que partager. Il est parfaitement exact que par delà les cas pathologiques que M. Bur s’est attaché à décrire avec beaucoup de justesse, nous devons faire en sorte que tous les enfants bénéficient d’un environnement aussi harmonieux que possible et propice à leur bon développement.

Plusieurs d’entre vous se sont émus de la bonne articulation entre le présent texte et celui relatif à la prévention de la délinquance. Je puis vous dire que je suis très satisfait du travail que nous avons accompli avec le ministre d’État pour rendre les deux projets parfaitement complémentaires, le volet répressif – rendu plus efficace au cours de la législature – étant utilement complété par une approche préventive enrichie. Bien entendu, les deux textes n’ont pas le même objet : l’un vise à protéger la société des actes de délinquance, l’autre les enfants de risques générés par la société elle-même. Mais il y a nécessairement des points de recouvrement. Ainsi, le texte relatif à la prévention de la délinquance s’est-il attaché mieux coordonner le travail social en désignant le maire comme l’acteur central de la prévention, et vous vous rappelez sans doute que j’ai tenu à défendre personnellement ces dispositions très opportunes. Tout en préservant scrupuleusement le secret professionnel, nous avons veillé, lorsque l’intérêt de l’intervention sociale le commande, à ce que certaines informations puissent être partagées, dans des conditions strictement encadrées et dans le but exclusif de rendre l’action plus efficace.

Mais le texte relatif à la protection de l’enfance ne s’inscrit pas dans ces dispositions de coordination du travail social : ayant un objet bien spécifique, il respecte des précautions particulières, conformément au vœu de tous les intervenants consultés.

M. Mallié et d’autres parlementaires ont évoqué les risques particuliers liés à la banalisation de l’usage d’internet. En ce domaine, la France se veut exemplaire. Fin 2005, j’ai conclu avec l’ensemble des fournisseurs d’accès un accord – appliqué dès le printemps suivant – aux termes duquel tout internaute installant un kit de connexion à internet se voit proposer un logiciel de filtrage gratuit et performant. Ce dispositif est unique au monde et nombre de pays s’en inspirent aujourd’hui pour protéger les mineurs des sites inappropriés.

Mme Pecresse a aussi évoqué la délicate question de la kafala, étudiée par la mission famille de votre assemblée. Je comprends bien que la réalité à laquelle nous sommes confrontés appelle des corrections. Mais je me dois souligner qu’il faut tenir compte des rapports entre notre législation et celles des pays d’origine. C’est une question que nous ne pouvons pas traiter de manière isolée et au sujet de laquelle nous devons prendre en compte nos relations avec le Maroc et l’Algérie.

Le président Dubernard s’est exprimé avec une humanité à laquelle je tiens à rendre hommage, comme à son sens aigu de notre responsabilité collective dans la chaîne des générations. Nous avons pu mesurer l’absence de soins intolérable dont pâtissent près de 100 000 enfants dans notre pays. C’est une réalité à laquelle le Gouvernement a voulu répondre en facilitant l’accès aux soins des familles. C’est ainsi que dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, nous avons prévu de faciliter l’accès aux aides permettant d’acquérir une bonne mutuelle. Le dispositif s’adresse en priorité aux familles démunies dont le revenu est supérieur au seuil d’accès à la CMU. Près d’un million de personnes en bénéficieront à brève échéance.

Madame Adam, vous avez exprimé vos désaccords sur les aspects financiers de ce projet de loi…

Mme Patricia Adam - Et je n’ai pas été la seule !

M. le Ministre délégué – En effet, même si d’autres parlementaires – et notamment M. Bur – ne l’ont pas fait dans les mêmes termes.

Comme beaucoup l’ont rappelé, il est parfaitement exact que la responsabilité de la protection de l’enfance incombe directement aux départements depuis vingt-deux ans. Comme il est vrai que nombre d’entre eux ont déjà pris des dispositions qui leur permettront d’appliquer la loi sans difficulté parce qu’ils ont pris de l’avance ! D’autres départements, pour des raisons qui peuvent tenir à leurs propres difficultés financières, n’ont pas été aussi actifs.

M. Bur a déclaré tout à l’heure qu’avant de songer à augmenter les moyens des départements, il fallait réfléchir à la meilleure utilisation possible de ceux qu’ils consacrent déjà à la protection de l’enfance…

M. le Président de la commission – Il a raison !

M. le Ministre délégué – L’on peut donc être un ardent défenseur d’une réforme ambitieuse de la protection de l’enfance tout en étant très soucieux de la bonne utilisation des deniers publics ! Tentons d’apporter une réponse à ce débat bien posé.

Aujourd’hui, les départements consacrent 5 milliards d’euros à la protection de l’enfance – laquelle représente leur premier poste de dépenses. La réforme que je propose n’est pas une réforme de moyens. C’est une réforme d’organisation, tendant à poser des règles de référence pour aider ceux qui sont en queue de peloton à rejoindre les précurseurs. Ces principes n’ont pas vocation à entraîner un surcroît de dépenses considérable. Il est vrai toutefois que, sur les 5 milliards, j’évalue à 115 millions l’effort supplémentaire qu’auront à consentir les départements, à l’issue d’une période de trois ans de montée en régime de la réforme. À cela s’ajoute un effort de 35 millions, au profit de la médecine scolaire et des services sociaux des collèges et lycées.

Si j’ai voulu, ce qui est rare, vous en conviendrez, qu’une étude d’impact financière soit réalisée avant que la réforme vous soit présentée, c’était pour me donner bonne conscience, car vous admettrez que 150 millions rapportés à 5 milliards, c’est l’épaisseur d’un trait. On ne peut en dire autant de l’APA, créée, chacun s’en souvient, sans être financée…

M. Alain Néri - Parlez-nous donc du RMI !

M. le Ministre délégué – En revanche, les compétences transférées par les dernières lois de décentralisation ont été intégralement compensées (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)… Je vous défie de démontrer le contraire. (M. Alain Néri proteste)

M. le Président de la commission – Le ministre a raison !

M. le Ministre délégué – Parce que nous sommes attentifs à l’équilibre budgétaire des départements…

M. Alain Néri - Chose que M. Diefenbacher n’a, semble-t-il, pas comprise lui non plus…

M. le Ministre délégué – Nous n’avons pas voulu, je l’ai dit, une réforme de moyens…

M. Alain Néri - En effet ! C’est une réforme sans moyens !

M. le Ministre délégué - …mais une réforme d’organisation. Pour autant, il nous fallait faire un geste en direction des conseils généraux et, vous le constaterez lors de l’examen des articles, un fonds a été prévu, qui sera alimenté par l’État et par la CNAF (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Alain Néri - La CNAF n’a plus un sou !

M. le Ministre délégué – Ce que les familles attendent, ce sont plus de services, ces services qui ont leur juste place dans cette réforme (M. Alain Néri proteste). En bref, il faut, dans cette réforme, mettre à sa juste place la question financière, et admettre que le Gouvernement fait son devoir, sans porter atteinte à l’équilibre budgétaire des départements, en facilitant l’exercice d’une compétence qu’ils assument depuis vingt-deux ans.

M. Leteurtre s’est inquiété du « risque normatif ». Pour ce qui me concerne, ce qui m’inquiète est que l’on puisse se targuer de l’absence de règles pour ne pas communiquer des informations déterminantes pour la sécurité d’un enfant. Des règes sont nécessaires, tous les acteurs de la protection de l’enfance m’en ont convaincu, pour éviter d’autres tragédies. Je me suis attaché à les maintenir au strict minimum, mais nous ne pouvons rester les mains dans les poches en continuant d’attendre que des informations inquiétantes mais disparates soient, peut-être, rassemblées ! Le texte offre à tous les enfants de France des garanties, sans vouloir aucunement les marginaliser. Il s’agit, au contraire, de leur faire retrouver leur place dans la vie sociale, aux côtés des autres enfants. Si marginalisation précoce il y a, c’est celle qui frappe les enfants victimes de maltraitance, cette maltraitance à laquelle nous voulons les soustraire sans, évidemment, les stigmatiser en rien.

J’ai été heureux d’entendre M. Delnatte souligner combien il est important d’aider les parents à assumer pleinement leur rôle. Beaucoup sont dépassés par leurs responsabilités et c’est pourquoi le Gouvernement a doublé l’aide octroyée aux réseaux d’aide à la parentalité après que votre mission a, à juste titre, insisté sur ce point.

Je me suis félicité d’entendre Mme Jacquaint annoncer l’abstention du groupe communiste, abstention dont je ne désespère pas qu’à l’issue des débats elle se transforme en vote positif…

Mme Muguette Jacquaint – C’est beaucoup demander !

M. le Ministre délégué – J’approuve bon nombre de vos remarques. Je comprends, en particulier, votre inquiétude relative aux disparités entre les départements, mais je souligne que le texte tend précisément à les réduire. Cette réforme fixe une barre que tous les départements devront atteindre en appliquant les guides de bonnes pratiques élaborés par les professionnels eux-mêmes. Ainsi la protection de l’enfance sera-t-elle uniformisée sur tout le territoire sans que la décentralisation soit remise en cause.

S’agissant de la médecine scolaire, je rends hommage à l’action de mon collègue Gilles de Robien, qui a engagé un programme de recrutement d’infirmières scolaires sur trois ans. Il y a certes encore beaucoup à faire dans ce domaine, mais la réforme qui vous est soumise y contraindra, car elle implique de nouveaux recrutements. Certains orateurs ont regretté qu’à l’occasion des plus récentes lois de décentralisation on n’ait pas rapproché la médecine scolaire de la PMI. Je rappelle que la disjonction a eu lieu au début des années 1980 ; je suis convaincu que c’est une erreur, qu’il faudra reconsidérer.

Mme Adam et M. Néri ont souligné les difficultés de la pédopsychiatrie. Je ne les nie pas, mais le plan de santé mental nous permet de remonter la pente ; il était temps. Je rappelle en particulier que des conventions ont été passées, à hauteur de 4,4 millions sur cinq ans, avec 75 maisons des adolescents. Deux hôpitaux de jour, où fonctionne un service de pédopsychiatrie, ont été créés en Seine-Saint-Denis. De plus, des établissements d’un type nouveau sont en phase d’expérimentation, destinés à des enfants en grandes difficulté psychique ou psychologique, qui trouveront là une meilleure prise en charge pédopsychiatrique que celle que peut leur offrir actuellement l’aide sociale à l’enfance.

M. Néri a suggéré que la justice et l’éducation nationale soient associées à la réforme ; elles l’ont été, naturellement. Quant à la détermination de la ligne de partage entre le juge et le président du conseil général, elle a donné lieu entre nous à un important travail, qui se traduira par un amendement de votre rapporteure, lequel donne une définition claire du principe souhaité. Il faut en effet éviter de saisir le juge quand un traitement administratif suffit, mais ne pas s’obstiner à un traitement administratif quand on aurait besoin d’une mesure d’autorité.

M. Mallié a souligné la fragilité de la cellule familiale. Je partage ce point de vue, et ce constat nous impose d’aider les parents avant toute chose, sans s’obstiner, pour autant à maintenir à tous prix l’enfant dans une famille dangereuse pour lui. M. Mallié a également mentionné les problèmes liés à l’usage de l’internet, observation à laquelle j’ai répondu précédemment.

J’ai pris connaissance du rapport de M. Fenech, qui fera date. Le Gouvernement examinera les amendements qui en découle avec une grande ouverture d’esprit, mais la précipitation ne serait pas de bonne législation. Nous souhaitons avancer dans le sens suggéré, mais sans déséquilibrer le texte qui vous est soumis aujourd’hui. J’entends cependant prendre en compte la lutte contre les sectes, pour autant qu’elles mettent les enfants en danger. Nous aurons l’occasion d’en débattre.

Ce texte a été adopté par le Sénat au mois de juin. Nous en discutons ici ce 9 janvier et il doit revenir devant le Sénat le 16 ou le 17 février, à l’extrême fin de la session parlementaire. Les délais sont courts mais l’urgence n’a pas été pour autant déclarée. Il n’est pas possible d’accélérer nos débats en réunissant une CMP avant que chaque assemblée ne se soit prononcée deux fois, ce qui supposerait que le texte revienne devant l’Assemblée après son réexamen au Sénat. J’en suis conscient : l'Assemblée nationale doit pouvoir améliorer notablement ce projet et je suis ouvert à l’ensemble des amendements qui seront présentés, mais nous devons revenir devant le Sénat afin que celui-ci, je l’espère, adopte cette loi de façon conforme. Je suis certain que vous êtes également conscients de ces contraintes car nous souhaitons tous que ce texte puisse aboutir pendant cette session. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président de la commission – Bravo !

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.
La séance est levée à 20 heures 5.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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