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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

2ème séance du mardi 30 janvier 2007

Séance de 15 heures
55ème jour de séance, 125ème séance

Présidence de M. Jean-Louis Debré

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La séance est ouverte à quinze heures.

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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

surveillance par les renseignements généraux
de l’entourage d’une candidate aux élections

M. Jean-Marc Ayrault – Monsieur le Premier ministre, la direction centrale des renseignements généraux a reconnu avoir diligenté une enquête sur des membres de l’entourage de la candidate Ségolène Royal (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Cette surveillance viole la loi, qui interdit à ce service du ministère de l’intérieur de contrôler les activités des formations démocratiques et a fortiori de leurs candidats aux élections. C’est une faute d’État (Même mouvement), d’autant plus grave qu’elle met en cause le ministre de l’intérieur, ministre des élections, qui dirige les préfets et la police, et lui-même candidat à l’élection présidentielle (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Cette confusion de fonctions porte gravement atteinte à l’impartialité de l’État et jette le doute sur la neutralité des agents publics (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Est-il moral qu’un candidat puisse utiliser les moyens techniques de transport ou de surveillance de son ministère lors de sa campagne électorale ? (Vives interruptions sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – Un peu de calme, s’il vous plaît.

M. Jean-Marc Ayrault – Lors des trois dernières élections présidentielles, la cohabitation avait empêché que l’État soit mis au service d’un candidat.

Qu’en est-il de l’engagement du ministre de l’intérieur de quitter sa fonction ? Monsieur le Premier ministre, je sais que vous êtes préoccupé par cette situation, qui altère l’impartialité des pouvoirs publics. C’est pourquoi je veux vous poser trois questions (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Allez-vous demander au ministre de l’intérieur de quitter ses fonctions afin de lever le doute sur le rôle de l’État et de ses services ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Êtes-vous prêt à demander à votre majorité d’appuyer notre demande d’une commission d’enquête parlementaire sur le rôle des renseignements généraux dans cette campagne ? Êtes-vous disposé à saisir, comme nous venons de le faire, le Conseil constitutionnel, qui doit juger de la régularité du processus électoral ? Il faut que les Français aient confiance dans l’État. C’est une question d’exemplarité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Dominique de Villepin, Premier ministre – Vous me permettrez de prendre un peu de hauteur. L’impartialité de l’État s’impose à tous et peut-être davantage encore au chef du Gouvernement ; c’est mon exigence d’une République irréprochable et exemplaire. Dans la période électorale qui s’ouvre, nous avons des devoirs vis-à-vis des Français, et il nous faut aborder les questions et les difficultés de la vie politique avec expérience, mesure et le souci de l’équité.

M. Jean-Pierre Brard – C’est un exposé philosophique !

M. Noël Mamère  Si vous répondiez à la question ?

Mme Chantal Robin-Rodrigo – Justement ! Elle n’est pas respectée.

M. le Premier ministre – L’impartialité de l’État, c’est d’abord l’indépendance. J’ai fait le choix de défendre cette indépendance ; c’est le choix de la sérénité et de la transparence. Sur l’affaire que vous avez évoquée, tout a été dit par le Gouvernement…

M. Paul Giacobbi – Sauf la vérité ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Premier ministre – On peut soulever des pierres dans le désert, on n’est jamais sûr de trouver ce que l’on cherche !

M. Jean-Pierre Brard – On tombe parfois sur des scorpions !

M. le Premier ministre – La deuxième exigence de l’impartialité, c’est le travail. J’ai tiré les leçons du gouvernement Balladur, du gouvernement Jospin, et j’en suis arrivé à la conclusion que la bataille contre le chômage méritait d’être menée jusqu’au bout – les résultats d’aujourd’hui en témoignent –, que les batailles de la croissance et du désendettement méritaient d’être menées jusqu’au bout, et les résultats en témoignent.

M. Augustin Bonrepaux – Vous ne répondez pas à la question !

M. le Premier ministre – La question est si petite qu’il faut bien que je lui donne un contenu ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, protestations sur les bancs du groupe socialiste)

L’impartialité, c’est aussi le respect de la règle de droit. Je l’ai dit dans une circulaire et l’ai rappelé hier lors d’un séminaire gouvernemental : je suis soucieux que ce gouvernement, chacun à sa place, remplisse sa mission, dans l’intérêt national.

Enfin, l’impartialité de l’État – et je suis bien placé pour vous en parler, car j’ai souffert personnellement –, c’est le refus des polémiques stériles, qui diminuent ceux-là mêmes qui les lancent (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), car les polémiques sont un peu comme les boomerangs : elles vous reviennent en pleine figure ! Les polémiques ne sont pas à la hauteur de la démocratie.

Dans une élection dont je souhaite qu’elle soit marquée de part et d’autre par la dignité, l’honneur, la responsabilité, l’engagement, je demande que chacun se tienne debout, et non dans les coins, sous les portes, dans les endroits les plus humides de la République, où personne ne se grandit. La République se tient droit, les membres du Gouvernement sont debout, et nous ferons notre travail jusqu’au bout ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

dette de l’État envers la sécurité sociale

M. Charles de Courson – Monsieur le ministre du budget, vous avez annoncé devant la commission des finances, le 23 janvier, que les dépenses de l’État avaient été strictement maîtrisées en 2006 – à l’euro près.

Un tel résultat n’a de sens que si les comptes sont sincères… Or, l’État s’est une nouvelle fois montré un bien mauvais payeur vis-à-vis de la sécurité sociale : selon une note rédigée par le président de la commission financière et statistique de l’ACOSS, la dette de l’État à l’égard du régime général aurait encore augmenté de 2,5 milliards en 2005 et d’un milliard en 2006. Elle atteindrait ainsi un montant total de 5,9 milliards à la fin de décembre 2006.

Cette nouvelle hausse tient principalement à l’insuffisance des crédits prévus pour compenser des exonérations de cotisations que l’État s’était engagé à prendre à sa charge, et pour financer les prestations sociales versées pour le compte de l’État, comme l’aide médicale d’État ou l’allocation de parent isolé – il manquerait respectivement 700 et 400 millions d’euros.

Vous avez pu de la sorte minorer le déficit budgétaire de l’État, mais les comptes du régime général en ont pâti, puisqu’il a fallu emprunter davantage, ce qui a entraîné en 2006 un coût de trésorerie de 160 millions d’euros.

Pouvez-vous confirmer les chiffres avancés par l’ACOSS, qui fait état d’une dette de 5,9 milliards d’euros non comptabilisée dans les comptes de l’État? Estimez-vous qu’une telle situation est conforme au principe de sincérité posé par l’article 58 de la LOLF, dont la Cour des comptes aura à assurer le contrôle avant la fin du mois de mars ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’État – Nous avons déjà eu de nombreux échanges sur ces sujets techniques, Monsieur de Courson… Et une fois de plus, vous ne retenez que le procès à charge…

Je rappelle pourtant que l’État a pris en charge les frais financiers de cette dette, d’ailleurs plus proche de trois milliards que de cinq. Lorsque nous avons transféré le financement des allégements de charges sociales, nous avons également transféré des recettes fiscales très dynamiques à la sécurité sociale.

À force de vous arrêter à ces considérations, vous oubliez l’essentiel : nous avons respecté à l’euro près (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) le plafond des dépenses autorisées par le Parlement, et nous avons diminué le déficit dans des proportions inégalées, atteignant le meilleur score jamais enregistré depuis 1991, tout en respectant les engagements du président de la République et du Premier ministre en matière de sécurité, de justice, de défense, d’éducation et de recherche.

M. Breton revient enfin de Bruxelles avec une très bonne nouvelle : la France est désormais sortie de la procédure de déficit excessif qui avait été lancée contre elle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Nous sommes le premier des quatre grands pays concernés par cette procédure à bénéficier de la validation de nos efforts de réduction massive des déficits.

Comme vous êtes au plus profond de vous-même un homme de droite, même si vous siégez au centre, j’aurais préféré que vous soyez à nos côtés pour défendre ces budgets qui correspondent aux valeurs communes à nos électeurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, quelques exclamations sur les bancs du groupe UDF).

réforme des institutions européennes

M. Jacques Desallangre – La France vient d’être exclue à Madrid du processus de redéfinition des contours de l’Europe. Pour la première fois, une réunion consacrée aux institutions européennes se déroule en l’absence de la France. C’est une insulte à notre pays et à son peuple. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) A-t-on voulu punir les Français d’avoir refusé le très libéral projet de constitution européenne et d’avoir réclamé une Europe sociale, attentive à la préservation de leurs emplois, de leurs services publics, de leur protection sociale, de leurs salaires, c’est-à-dire de leur avenir ?

Quel affront pour notre pays et pour son gouvernement, resté pourtant sans réaction malgré le soufflet qu’il vient de recevoir. Mais cette absence de réaction ne serait-elle pas une forme d’approbation hypocrite ? La France serait devenue mineure pour les tenants d’une Europe libérale, qui enragent devant la résistance du peuple français. Y aurait-il deux Europe ? Celle des bons élèves qui auraient voté « oui » et celles des récalcitrants ?

Ce n’est pas en montant les pays contre les pays et les peuples contre les peuples que l’on parviendra à construire un avenir commun. Les Français réclament un projet totalement nouveau. Maintenir le projet actuel reviendrait à écarter les peuples de la prise de décision. Face à cette machination méprisante et au nom de tous les peuples européens qui ont refusé le carcan libéral, je demande solennellement au Gouvernement de condamner cette conspiration de Madrid qui divise les peuples et insulte les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères – Vous connaissez bien mal l’actualité européenne (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Présidant le Conseil européen pendant le premier semestre 2007, l’Allemagne vient de faire une proposition très précise concernant le calendrier de réforme institutionnelle. La présidence allemande fera des propositions et recueillera l’opinion des 27 États-membres, puis la présidence française en fera la synthèse au deuxième semestre 2008. Il n’est donc pas anormal que des pays qui ont accepté le traité constitutionnel en discutent entre eux.

M. Maxime Gremetz – Qu’en aurait dit de Gaulle ?

M. le ministre – Première remarque : la réforme institutionnelle est urgente, car l’Union a besoin d’une plus grande efficacité. N’oubliez pas non plus qu’il n’y aura pas de nouveau traité sans l’accord des 27 États-membres, qu’ils aient ou non accepté le texte actuel. Toute tentative qui diviserait nous éloignerait d’une éventuelle solution. Voilà ce que j’ai rappelé à Angela Merkel et à mon homologue allemand, qui ont repris mes propositions. Cette réforme ne pourra se faire qu’ensemble. Nous croyons à l’avenir européen de notre pays ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Situation au liban

M. Jean-Marc Nesme – J’associe à ma question Etienne Pinte, président du groupe d’amitié parlementaire France-Liban. Les événements des derniers mois ont plongé le Liban dans une situation économique désastreuse. Fidèle aux liens qui unissent nos deux peuples, le président de la République a présidé jeudi dernier une conférence internationale de soutien au Liban, dite « Paris III ». Les représentants de 36 pays y ont participé, dont la secrétaire d’État américaine, ainsi que ceux de 14 institutions internationales, dont le nouveau secrétaire général des Nations unies, le président de la Banque mondiale et le chef de la diplomatie européenne. L’objectif de cette conférence était de mobiliser une aide financière pour le Liban afin de relancer son économie et de maîtriser sa dette.

Quels engagements ont été pris à cette occasion, Monsieur le ministre des affaires étrangères, et en particulier de la part de notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères – Cette conférence est un succès à la fois financier et politique. Succès financier, parce que la contribution financière de la communauté internationale s’élève à 7,6 milliards de dollars, celle de la France atteignant 500 millions d’euros. Il s’agit d’aides financières directes afin de désendetter ce pays mais également d’aides permettant de financer des projets économiques et sociaux. Succès politique, parce qu’autour du président de la République se sont réunis une cinquantaine de pays et d’organisations internationales, dont la Banque mondiale, en effet, mais aussi le FMI. La solidarité à l’endroit du Liban s’est ainsi manifestée au plus haut niveau.

Sur le terrain, la situation est de plus en plus tendue et en particulier à Beyrouth où majorité et opposition ne parviennent pas à se réconcilier, ni à se mettre d’accord sur la possibilité, pour un tiers du gouvernement, de bloquer toute action – ce qui serait inacceptable –, ni sur le tribunal international, seule solution pour lutter contre ceux qui pensent pouvoir impunément viser le Liban au cœur.

Il est très important que nous soyons aux côtés du Liban et du gouvernement de M. Siniora. Nous appelons donc tous les Libanais à dépasser leurs divisions pour préserver l’intérêt supérieur de leur pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

agriculture

M. Jean Proriol – Le monde rural vote jusqu’à demain soir puisque les agriculteurs actifs ou retraités, les propriétaires ruraux ou les mutualistes renouvellent leurs représentants aux chambres départementales d’agriculture. Ils sont trois millions à être appelés aux urnes. L’assemblée permanente des chambres d’agriculture, Monsieur le ministre de l’agriculture, est votre interlocutrice habituelle. Vous êtes un bon ministre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), comme le reconnaissent les agriculteurs et comme en témoigne la loi d’orientation agricole du 6 janvier 2006 mais également la politique menée face aux crises aviaire, ostréicole, viticole notamment. Bruxelles le reconnaît également, où hier encore vous avez défendu avec énergie la position française face au négociateur de l’OMC, M. Mandelson.

Pouvez-vous faire le point de votre action sur le plan national et sur le plan européen ? Les agriculteurs tentent de relever un certain nombres de défis dans la gestion de leurs entreprises afin de mieux concilier efficacité économique, sécurité alimentaire, respect de l’environnement. Pouvez-vous donner à nos campagnes des perspectives d’avenir et à nos paysans des raisons d’espérer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Brard – Et de la paille pour leurs sabots ?

M. Dominique Bussereau, ministre de l’agriculture et de la pêche – Je vous remercie pour le ton amical de votre question (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). En réalité, nous avons tous œuvré à la loi d’orientation agricole et à la loi sur les territoires ruraux, gouvernement, majorité, opposition.

L’an dernier, le revenu des agriculteurs a été correct même si cela ne fut qu’une petite compensation après des années difficiles. Les crises conjoncturelles ont été moins nombreuses, en dépit de la grippe aviaire. Nous avons également essayé de simplifier les démarches administratives des agriculteurs mais nous avons aussi œuvré pour les retraités en augmentant les retraites agricoles.

Le monde agricole est en effet en train de voter, en l’occurrence par correspondance, ce qui me paraît une bonne méthode. J’espère que la participation sera forte.

Notre agriculture est confrontée à trois enjeux : les biocarburants, la PAC et l’OMC. La part de biocarburants vendue était de 1,75 % l’année dernière et elle s’élève cette année à 3,50 % : c’est l’avenir de notre agriculture. Nous devons conforter la PAC, et je suis inquiet à cet égard des préconisations de certaines organisations politiques – Mme Royal, en particulier, devrait exposer clairement sa pensée à ce sujet (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Enfin, s’agissant de l’OMC, le pésident de la République et le Premier ministre ont demandé la plus grande fermeté. Mme la ministre déléguée au commerce s’est à juste titre inquiétée de ce qui s’est passé ce week-end à Davos. La France a lancé un cri d’alarme, car nous ne souhaitons pas que la libéralisation remette en cause l’existence de l’agriculture européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

télévision numérique terrestre

M. Frédéric Soulier – Notre assemblée examine à partir de ce soir un projet qui touche une activité particulièrement importante de la vie quotidienne de nombreux Français : la télévision. Depuis 2005, près de 7 millions de foyers se sont équipés et ont découvert la TNT, qui permet de bénéficier de 18 chaînes gratuites en numérique au lieu de six actuellement. Dans nos circonscriptions, le succès de la TNT, sa simplicité, son offre nouvelle ont créé un véritable élan économique et technologique. La question n’est plus : la TNT, c’est quoi ? mais la TNT chez moi, c’est quand ? La commission des affaires économiques, dont je suis le rapporteur, M. Hamelin, rapporteur de la commission des affaires culturelles, mais également les élus de montagne ont beaucoup travaillé pour que l’objectif de la TNT pour tous et partout soit atteint.

Pouvons-nous assurer les Français que nos décisions ne laisseront personne au bord des autoroutes numériques ? Comment les consommateurs seront-ils informés et combien cela peut-il leur coûter pour s’équiper? Enfin, en quoi l’offre nouvelle de chaînes fera-t-elle la place aux services locaux de proximité, je pense notamment aux déclinaisons régionales de France 3 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication – Vous êtes un passionné de l’égalité des Français pour la réception de la télévision sur l’intégralité du territoire national, et vous avez raison ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) L’objectif du Gouvernement est de multiplier par trois l’offre de télévision gratuite sur l’ensemble du territoire national. Il n’y aura pas de laissés-pour-compte de l’évolution numérique : 100 % des Français et 100 % du territoire national seront couverts avant la date butoir du 30 novembre 2011. Pour que personne ne reste au bord du chemin, une campagne nationale d’information sera lancée et l’étiquetage devra permettre à chacun de savoir si le poste qu’il achète est compatible avec cette révolution technologique. En outre, comme le président de la République et le Premier ministre ne veulent pas d’une France à deux vitesses, nous avons créé un Fonds d’aide à l’équipement.

Vous êtes très attentifs, notamment dans les zones de montagne et dans les zones blanches, à la reprise des chaînes de proximité : je vous confirme officiellement que toutes les chaînes de France 3 seront reprises gratuitement sur le satellite. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP) Enfin, je voudrais couper court à certaines rumeurs. Il n’est pas question d’une taxe payée par les internautes : c’est de la désinformation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

égalité d’accès aux soins

M. Jean-Paul Bacquet – Nous vous avons interrogé à plusieurs reprises, Monsieur le ministre de la santé, sur les inégalités d’accès aux soins, qui ne cessent de s’aggraver, sur les 10 à 15 % de médecins qui refusent de dispenser des soins aux bénéficiaires de la CMU, la fréquence excessive des dépassement d’honoraires et le caractère inacceptable du secteur optionnel, qui accentuera la discrimination. Vous n’avez répondu qu’en créant un « gentillet » comité de suivi de l’application de la CMU, sans même évoquer de sanction. Vous avez même justifié dans cet hémicycle, le 10 janvier, le secteur optionnel, censé « donner un coup d’arrêt aux dérives en développant les tarifs opposables », alors qu’il sera de toute évidence un obstacle supplémentaire à l’accès aux soins.

Le bulletin épidémiologique hebdomadaire nous rappelle pourtant que si l’espérance de vie augmente dans notre pays, les inégalités de santé ne se réduisent pas, certaines ayant même tendance à s’aggraver, que l’espérance de vie d’un sans domicile fixe est de 45 ans, que nombre de maladies touchent en priorité les populations les plus défavorisées, et qu’il existe même des disparités socio-économiques dans le dépistage prénatal des maladies génétiques. Et le président d’Emmaüs France, Martin Hirsch, de conclure : « Autrefois, la pauvreté tuait brutalement. Aujourd’hui, elle tue tout aussi sûrement mais plus lentement. La réduction des inégalités de santé devrait être la priorité des politiques de santé ».

Vous qui êtes porte-parole du candidat de l’UMP aux élections présidentielles, comment pouvez-vous justifier, dans un tel contexte, la franchise annuelle non remboursable sur la consommation de soins qu’il propose, alors qu’elle pénalisera encore davantage les plus faibles et que 13 % de Français refusent ou retardent déjà leurs soins, faute de moyens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités – Cela ne manque pas de sel que cette question provienne justement de ceux qui ont inventé la première franchise dans le système de santé, le forfait hospitalier, qu’ils n’ont par la suite jamais cessé d’augmenter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Parlons donc des inégalités de santé. Vous auriez pu faire des propositions, mais ce n’est pas votre fort – nous le constatons tous les jours. C’est en effet nous qui avons mis en place l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé, décidé de rembourser de nouveaux actes et relevé le défi de la démographie médicale – et pas, comme veut le faire votre candidate, en obligeant les jeunes médecins à s’installer ici ou là : nous préférons miser sur l’incitation. (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

Venons-en à la franchise. Nous avons décidé de mettre en place un bouclier santé, afin de mieux rembourser les soins dentaires, les soins d’optique, les prothèses auditives. Il est temps d’y voir clair ! En tout état de cause, cette franchise n’est pas nouvelle : elle se substitue à ce qui existe, et elle permettra de garantir aux Français que le « reste à charge » n’augmentera pas comme il a pu le faire par le passé. Je comprends que vous me posiez des questions sur ce que nous voulons faire : le projet socialiste montre une fois encore que vous n’êtes que des marchands de vent – en l’occurrence, un vent mauvais ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

politique budgétaire

M. Alain Joyandet – Le déficit du budget de l’État est en nette diminution. Il s’établit à 36 milliards d’euros pour 2006, alors que les impôts ont baissé. C’est une bonne nouvelle pour les Français. C’est le fruit de leur travail, mais aussi d’une gestion rigoureuse des deniers publics. C’est surtout la démonstration que l’on peut réduire les déficits sans augmenter les impôts.

C’est donc le contraire de ce que propose la gauche (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP) et de ce que font les socialistes dans les régions qu’ils dirigent (Même mouvement), où les impôts ont augmenté sans justification, tout comme la TIPP, dont ils se servent pour accroître un peu plus leurs recettes. En 2002, la gauche plurielle nous avait légué un déficit budgétaire beaucoup plus important et des prélèvements record. C’est donc un long chemin que nous avons parcouru durant ces cinq ans. Nous pensons que pour réhabiliter le travail, il faut laisser à nos concitoyens une part croissante du fruit de leur travail, et non le leur confisquer.

Quelles sont donc, Monsieur le ministre du budget, les grandes orientations de la politique budgétaire de la France qui nous permettent d’obtenir ces résultats ? (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l’État – Le résultat que nous obtenons en matière de déficit budgétaire mérite en effet d’être souligné : 36,16 milliards d’euros, c’est le meilleur résultat, rapporté au PIB, depuis 1991.

M. François Hollande – 2001 !

M. le Ministre délégué – C’est même légèrement mieux qu’en 2001, après quatre années de croissance ininterrompue ! Mais il est vrai que notre politique est très différente de celle de la gauche. Avec une croissance un peu inférieure à celle des années Jospin, nous avons ramené le déficit budgétaire de 49 à 36 milliards. Nous avons su maîtriser la dépense publique en luttant contre les gaspillages, tout en finançant nos programmes. En même temps, nous avons diminué les impôts de ceux qui travaillent (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

M. Patrick Roy – Mensonge !

M. le Ministre délégué –  …et rendu du pouvoir d’achat aux Français pour qu’ils puissent consommer – ce qui nous a rapporté de la TVA ; que le chômage diminue – ce qui rapporte davantage d’impôt sur le revenu ; et pour que les bénéfices des entreprises accroissent le produit de l’impôt sur les sociétés. C’est radicalement différent de ce que propose la gauche ! Nous avons démontré que rendre de l’argent aux Français crée une dynamique de croissance. C’est d’ailleurs ce que font les grands pays européens, y compris lorsqu’ils sont dirigés par des gouvernements socialistes. M. Prodi ne fait rien d’autre en Italie. M. Zapatero fait la même chose. Quant au bouclier fiscal, il est identique à celui des Allemands, des Espagnols et des Suédois.

M. Maxime Gremetz – Johnny fait mieux !

M. le Ministre délégué – La différence, c’est que nous avons en France le parti socialiste le plus archaïque qui soit (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) et il faudra le dire aux Français. Nous, nous sommes là pour travailler au redressement de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Contrats d’intégration et d’accueil

M. Bernard Schreiner – Ma question s’adresse à Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale. Le président de la République avait défini l’insertion des immigrés comme une priorité et il avait annoncé la création d’un contrat d’insertion comportant notamment l’apprentissage de la langue et une sensibilisation au mode de vie français. La loi de programmation pour la cohésion sociale en a défini les modalités. Le contrat individuel d’accueil et d’intégration, d’une durée d’un an renouvelable une fois, concrétise les engagements de l’État et ceux de l’arrivant. Ses deux volets sont une formation pour assurer le respect des lois et des valeurs de la République, et la mise en place d’une organisation pour la formation et l’accès au droit individuel pour l’apprentissage de la langue. Le dispositif, expérimenté depuis 2005, est obligatoire pour les étrangers extracommunautaires depuis le 1er janvier 2007. Quels enseignements tirez-vous de sa mise en place et combien en a-t-on signé à ce jour ?

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité  Effectivement, le président de la République avait souhaité, à Troyes en 2002, que nous organisions un accueil pour tous les primo-arrivants. C’est le contrat d’intégration et d’accueil qui offre une formation à tous ceux qui ne connaissent pas notre langue. Pour la première fois, il y aura obligation de parler notre langue pour résider à terme dans notre pays ; c’est important pour les femmes, qui pourront ainsi comprendre leurs droits. Par ailleurs, ce contrat permet d’obtenir l’engagement de respecter les valeurs de notre République. Au 31 décembre 2006, 200 000 contrats ont été signés. La loi du 26 juillet 2006 proposée par le ministre de l’intérieur, rend désormais ce contrat obligatoire. Tout nouvel arrivant dans notre pays pourra ainsi connaître ses droits et surtout ses devoirs. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Contrat nouvelle embauche

M. Éric Besson – M. Copé semble très content de ses résultats. Pourtant, la dette a augmenté de 300 milliards depuis 2002.

M. Richard Mallié – Vous êtes jaloux !

M. Éric Besson – Il est vrai qu’il n’est pas responsable de la totalité, mais de 150 milliards. (« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe socialiste) La majorité a applaudi quand il a déclaré que nous étions sortis des déficits excessifs. Nous nous en réjouissons tous. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) Mais il a oublié de rappeler que c’est sous cette majorité que la France était entrée dans le rouge et tombée sous la surveillance de la Commission européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Monsieur le Premier ministre, les Français, notamment les plus modestes, s’inquiètent de la baisse de leur pouvoir d’achat en raison de la hausse des loyers, du prix du gaz, de l’électricité, des produits de première nécessité. Ils sont aussi préoccupés par le chômage et par la précarité, au point qu’un sur deux exprime la crainte de se retrouver un jour sans domicile fixe !

En août 2005, vous avez, sans concertation, créé par ordonnance le contrat nouvelle embauche. Puis vous avez créé le contrat première embauche mais les Français, les jeunes en particulier, vous ont fait reculer.

Aujourd’hui, votre ministre de l’intérieur, candidat à l’élection présidentielle, déclare que le CNE est un progrès auquel il ne faut pas toucher…

M. le Président – Posez votre question !

M. Éric Besson – …et que c’est « une occasion de simplifier beaucoup le droit du travail français ».

M. Richard Mallié – C’est faux !

M. Éric Besson – Non, c’est une citation. M. Sarkozy veut s’en inspirer pour créer le fameux contrat unique, c’est-à-dire la précarité généralisée, que les plus libéraux appellent de leurs vœux.

Le CNE est une régression sociale, puisqu’il permet, après deux ans d’essai, de licencier un salarié sans motif. Alors que les Français sont inquiets pour l’emploi, n’est-il pas dangereux de leur expliquer que le CNE va être généralisé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité – Grâce au CNE, depuis août 2005, 775 000 personnes ont trouvé une activité professionnelle…

M. Jérôme Lambert –  Pas grâce au CNE !

Mme la Ministre déléguée – Et ce sont 200 000 entreprises de moins de 20 salariés qui n’auraient pas créé d’emploi sans ce contrat. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Si nos concitoyens sont inquiets face à l’emploi, le CNE leur a offert une solution un peu plus durable que la vraie précarité. Ce matin, le Premier ministre et Gérard Larcher ont annoncé que ce CNE, qui est un CDI, ferait l’objet de quelques modifications en ce qui concerne notamment l’accompagnement individualisé. Il s’agit d’aider encore mieux les salariés à retourner à l’emploi. Nous avons une vision différente, c’est vrai. Vous vous complaisez dans l’immobilisme. C’est le meilleur moyen de ne rien faire contre le chômage et la précarité.(Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

BILAN DU SOMMET DE DAVOS

M. Sébastien Huyghe – Madame la ministre déléguée au commerce extérieur, vous revenez de Davos où vous avez porté haut les couleurs de la France (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et où vous avez rencontré de nombreux dirigeants étrangers.

M. Jean-Pierre Soisson – Il était temps !

M. Sébastien Huyghe – Vous avez aussi participé au conseil stratégique de l’attractivité présidé par le Premier ministre. La capacité de la France à attirer des investisseurs est essentielle, car c’est cela qui permet d’implanter plus d’entreprises dans notre pays et de créer des emplois pour nos concitoyens. En 2003, j’avais remis à M. Raffarin un rapport sur l’attractivité de notre territoire qui pointait les forces et les faiblesses de notre pays en la matière et formulait des propositions. Depuis lors, la France a conduit un certain nombre de réformes, mais le chemin de l’attractivité suit un parcours long et sinueux, et de nouveaux efforts sont attendus en permanence.

Si la France obtient, en ce moment, de bons résultats en matière d’investissements étrangers, notre pays souffre encore parfois d’une image négative. Il est impératif d’y remédier, car nous avons absolument besoin de ces investissements. Pouvez-vous nous faire part de votre sentiment quant à l’image qu’ont de la France les participants du sommet de Davos ? Que comptez-vous faire pour améliorer la perception de notre pays à l’étranger et lui faire encore gagner des points ? (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur – Votre question est essentielle puisque, dans notre pays, un salarié sur sept est employé par une entreprise étrangère. En 2005, les investissements directs étrangers ont représenté 55 milliards et créé 33 000 emplois. Selon les chiffres les plus récents de la CNUCED, on peut tabler, pour 2006, sur une amélioration de l’ordre de 30 % de ces résultats. La France se situe donc au troisième rang mondial pour ce qui concerne l’accueil d’investissements étrangers, juste derrière les États-Unis et le Royaume-Uni.

Qu’avons-nous fait à Davos ? Avec l’Agence française pour les investissements internationaux, en trois jours, nous avons organisé plus de 90 rendez-vous avec des employeurs potentiels. Nous avons reçu les investisseurs étrangers et nous les avons remerciés de choisir la France. Aujourd’hui, grâce aux 147 mesures en faveur de l’attractivité du territoire voulues par le Premier ministre, et à la lumière des propositions d’amélioration de l’environnement fiscal qui figurent dans votre excellent rapport, nous avons encore renforcé le pouvoir d’attraction de notre territoire. Au reste, il n’y a pas beaucoup d’efforts à faire pour convaincre les investisseurs étrangers de s’installer chez nous…

M. Jacques Desallangre – Allez donc plutôt convaincre ceux qui délocalisent de rester chez nous !

Mme la Ministre déléguée – …car ils savent que nous avons de bonnes infrastructures, de grands atouts naturels et une excellente compétitivité. Cependant, nous avons encore sans doute des efforts à faire pour ce qui concerne la souplesse de notre droit du travail, l’adaptabilité, la flexibilité, l’employabilité ou la mobilité.

J’aurai appris au moins une chose en dix-huit mois : c’est que lorsque l’on se trouve à l’étranger, on doit porter haut les couleurs de notre pays, et, en toute occasion, défendre les entreprises de France mais aussi l’entreprise France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

protection du littoral

M. Jérôme Bignon – L’INSEE prévoit que le littoral métropolitain accueillera trois millions d’habitants supplémentaires d’ici à 2020. Chacun mesure les conséquences d’un tel afflux de population, dans un contexte de réchauffement climatique et de montée des océans. Entre autres menaces, la pression croissante qui ne manquera pas de s’exercer sur le foncier littoral entraînera la multiplication des conflits d’usage. Nous ne pouvons ignorer ces défis. Pour y répondre, le Gouvernement a engagé une ambitieuse politique, qu’il mène en concertation avec le Conseil national du littoral. Dans ce cadre, 25 expériences de gestion intégrée des zones côtières ont été lancées pour une période de dix-huit mois. L’objectif, dans une perspective de développement durable, est d’assurer la protection de ces zones sensibles et de leurs milieux naturels. Il s’agit aussi, par des aides économiques et sociales, d’améliorer la qualité de vie de leurs habitants.

Un bilan interministériel de vingt ans d’application de la loi littoral sera remis avant le 30 juin prochain et la commission permanente du Conseil national du littoral se réunit demain place Beauvau. Monsieur le ministre délégué à l’aménagement du territoire, quel message allez-vous lui adresser pour introduire ses travaux ? (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l’aménagement du territoire – Les prévisions de l’INSEE se fondent sur l’attractivité du littoral français. Or, je sais qu’en votre qualité de président de la commission permanente du conseil national du littoral (« Allô! » sur les bancs du groupe socialiste), vous partagez mon point de vue – qui est aussi celui de beaucoup d’élus de tous bords : il n’appartient pas aux statisticiens de conduire la politique d’aménagement du territoire de la France. C’est à nous de décider ensemble si nous voulons qu’il y ait, oui ou non, trois millions d’habitants de plus sur le littoral dans dix ans. Pour ma part, je le dis haut et fort : trois millions d’habitants de plus, ce serait une catastrophe écologique, et j’y suis farouchement opposé. Je suis donc hostile à toute modification de la loi littoral, laquelle a permis de lutter contre une urbanisation galopante et désordonnée de nos côtes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Par ailleurs, je soutiens le développement des autoroutes maritimes, et nous avons signé à cet égard un premier engagement avec l’Espagne, entre Bilbao, la côte Atlantique et la Manche. Nous devons continuer pour d’autres destinations, avec l’Italie et les pays du nord de l’Europe, pour lutter contre les émissions de GES liées aux charrois de poids lourds que nos compatriotes ne supportent plus. Un seul navire de 350 mètres embarque l’équivalent de 58 kilomètres de poids lourds de fort tonnage.

Pour renforcer encore l’attractivité qu’évoquait à l’instant Mme Lagarde, nous devons aussi développer des plateformes logistiques comme Le Havre 2000 ou Marseille-Fos 2XL, car, en créant des intermodalités, nous favorisons l’émergence d’activités économiques à fort potentiel.

Enfin, nous devons tout faire pour défendre la biodiversité et développer les pôles d’excellence touristique, comme celui du Canet-en-Roussillon.

Tels sont les principaux axes de réflexion que je présenterai au conseil national, en lui demandant, Monsieur le président Bignon, de me faire des propositions visant à un juste équilibre entre respect de la biodiversité et développement économique le long du littoral. Les trois millions d’habitants de plus promis par les statisticiens, nous n’en voulons pas ! Mais cela ne veut pas dire que nous n’entendons pas donner au littoral la possibilité de se développer. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président – Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 10.

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interdiction de la peine de mort

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à l’interdiction de la peine de mort.

M. le Président – Devant cet hémicycle comble, je donne la parole à Monsieur le garde des sceaux. (Sourires)

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice – La peine de mort n’est pas un acte de justice mais une pratique barbare. Celui qui vous parle mesure tout le poids de ces mots, car il n’a pas toujours été de cet avis. Je me souviens être monté à cette tribune, il y a plus de vingt-cinq ans, pour inviter la représentation nationale à s’opposer à l’abolition de la peine capitale. Aujourd’hui, ce n’est pourtant pas par devoir que je vous présente ce texte, essentiel par ce qu’il symbolise, mais par conviction. Comme tant d’autres Français, j’ai évolué sur cette question. Une majorité d’entre eux est désormais favorable à l’abolition de la peine de mort, mais cette majorité demeure précaire. J’en fais maintenant partie, mais je sais que nous ne sommes pas encore tous sur cette ligne. Je me tourne donc vers ceux qui pensent que la peine capitale est le meilleur instrument de prévention du crime, parce qu’elle inspire la peur et refrène les pulsions. Ce n’est pas vrai, les taux de criminalité ou de décès par mort violente dans les pays qui ont conservé la peine de mort le prouvent. La peine de mort ne réduit pas la criminalité, elle dissimule la loi du talion derrière un paravent légal et démocratique.

J’ai cru, par le passé, que la peine de mort pouvait sauver la vie d’innocents, et j’étais prêt à accepter de détruire une vie pour en sauver d’autres. Mais cette peine est inefficace et satisfait seulement un esprit de vengeance. Je connais la douleur des familles de victimes, je sais qu’elles n’oublient jamais le drame qu’elles ont vécu, je sais que certaines appellent de leurs voeux les sanctions les plus radicales en réponse à l’horreur des actes commis. Mais la vengeance est un instinct que combat la justice, la vengeance abaisse la société qui l’emploie, la vengeance nous éloigne de l’État de droit. La vengeance doit être proscrite.

Je ne vous parle pas du sens de l’histoire, je me garderai bien de donner des leçons de morale et, même si la tentation est grande, je n’invoquerai pas non plus la mémoire de Jaurès. Plutôt, j’évoquerai devant vous les principes qui guident notre conception de la justice et de sa place dans nos institutions. Comme l’écrivait Cesare Beccaria, célèbre auteur du Traité des délits et des peines, « si je prouve que cette peine n’est ni utile ni nécessaire, j’aurai fait triompher la cause de l’humanité ».

D’abord, la vie humaine a un caractère inviolable et sacré. Aucun individu ne peut être réduit aux atrocités qu’il a pu commettre. Il a en lui une part d’humanité que nous devons protéger, entretenir, parfois sauver. Éliminer d’autres hommes n’est pas une règle caractéristique d’une société évoluée, et ce l’est d’autant moins que la justice humaine est faillible. Le juge, dans sa difficile mission de dire le droit et le juste, peut se tromper, et chacun d’entre vous peut en peser les conséquences. L’erreur judiciaire est en soi un scandale ; la peine de mort ne se limite pas à en aggraver les effets, elle transforme la condamnation en crime de la société, que la France soit en paix ou en guerre. C’est pourquoi la peine la plus grave doit être la réclusion criminelle à perpétuité. La prison à vie, même réduite à une peine de sûreté, est une épreuve terrible qui suffit à faire craindre la justice. C’est la liberté dont rêvent les hommes, c’est pour elle qu’ils peuvent réaliser ce qu’il y a de meilleur en eux ; et c’est pour cela que je crois en la capacité de tout être, quelles que soient ses fautes, de s’amender.

Le temps des supplices est révolu : la peine sert à écarter le danger que représente un criminel pour la société, à due proportion de ses actes, et à réinsérer ceux qui en ont la volonté. Tels sont les objectifs de notre système carcéral, qui n’a pas vocation à être un lieu de souffrance.

La France veut porter ses valeurs dans le monde entier ; c’est pourquoi elle est favorable à l’abolition universelle de la peine de mort. Ce choix n’est pas seulement celui du président de la République, qui s’en est fait l’avocat inlassable et a personnellement tenu à que ce projet aboutisse. C’est celui de la collectivité nationale toute entière, rassemblée autour des droits de l’homme.

L’abolition de la peine de mort, par la loi du 9 octobre 1981 a permis à la France de ratifier, en 1986, le sixième protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, concernant l’abolition de la peine de mort en temps de paix. Ce protocole permet néanmoins le rétablissement de la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou en situation de danger imminent de guerre. La France souhaite maintenant que tous les pays écartent cette hypothèse.

Chaque événement international est l’occasion pour le président de la République, le Gouvernement et le Parlement de rappeler le caractère inviolable et sacré de la vie humaine. Vous savez à quel point cette mission est difficile et courageuse, tant la valeur de la vie humaine est encore différemment perçue dans certains pays. Le mouvement international en faveur de l’abolition continue d’avancer, avec deux nouvelles conventions : le treizième protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, abolissant la peine de mort en toutes circonstances, et le deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La France n’a, à ce jour, ratifié aucun de ces deux textes. Elle ne souhaite pourtant pas rester à l’écart de ces initiatives conformes à ses valeurs.

Dans sa décision du 13 octobre 2005, le Conseil constitutionnel a jugé qu’une révision constitutionnelle était nécessaire pour que la France puisse ratifier le deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans la mesure où celui-ci ne comporte pas de clause de dénonciation et prescrit une abolition définitive de la peine de mort. Il méconnaît donc les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale, car cet engagement serait irréversible. Il n’existe qu’un moyen pour répondre à la décision du Conseil constitutionnel : modifier notre loi fondamentale.

La révision constitutionnelle prendra place à l’article 66-1 de la Constitution, au sein du titre VIII concernant l’autorité judiciaire. Elle dispose que « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ». Notre pays rejoindra ainsi les seize pays de l’Union européenne qui ont inscrit dans leur texte fondamental l’abolition de la peine de mort. Nous serons le 45État dans le monde à le faire.

Tel n’est malheureusement pas encore le cas de tous les pays membres de l’ONU, où les États abolitionnistes demeurent en toutes circonstances minoritaires. Il sera donc de notre devoir d’œuvrer, par notre action diplomatique, à la proscription de la peine de mort. La plupart des pays qui exécutent des condamnés savent qu’ils seront bientôt amenés à réviser leurs positions, et ils veulent que nous les accompagnions. D’autres restent persuadés que la mort est une peine banale ; notre exemple ne suffira pas à les convaincre, mais la société civile doit savoir qu’elle n’est pas seule à lutter pour le respect des droits de l’homme. Nous devons également aider les pays qui ne sont abolitionnistes qu’en pratique, où la peine de mort est prononcée sans être exécutée, à mettre en accord leurs lois et leurs choix ; nous ne pouvons qu’inciter leurs dirigeants à garantir le respect de la vie humaine dans leur droit.

Enfin, l’adoption de ce projet montrera que les crimes de guerre, aussi terribles soient-ils, ne doivent pas être punis de la peine de mort.

M. Jacques Myard – Inadmissible !

M. le Garde des sceaux – On ne répond pas à l’horreur par la barbarie.

M. Jacques Myard – Par la justice !

M. le Garde des sceaux – Loin d’être un symbole vain, ce texte fait avancer la cause des droits de l’homme. La peine de mort ne doit plus faire débat en France. Nous devons montrer qu’elle n’a de place que dans les livres d’histoire et marquer cette volonté en l’inscrivant au cœur de notre pacte fondamental, dans le texte même de notre Constitution.

M. Pierre Bourguignon – Très bien !

M. le Garde des sceaux – Par-delà nos débats nationaux, cette révision constitutionnelle a valeur d’exemple ; elle renforcera notre poids et notre crédibilité sur la scène internationale. C’est pourquoi j’invite chacun de vous, en conscience, à voter ce projet de loi, qui mettra un terme définitif à ce débat (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Philippe Houillon, président et rapporteur de la commission des lois – En 1848, Victor Hugo lançait, de la tribune de l’Assemblée nationale, son cri contre ce « signe spécial et éternel de la barbarie » que constitue la peine capitale. Il suffit pour se convaincre de cette vérité de songer à la pathétique Exécution de Maximilien d’Édouard Manet ou au terrifiant Tres de Mayo de Goya. Il suffit de convoquer le cortège des condamnés à mort des grands opéras italiens : Aïda emmurée vivante, admirateurs décapités de la princesse Turandot, Andrea Chénier poète guillotiné, l’amant de La Tosca fusillé, la Norma brûlée vive –, autant de victimes de l’arbitraire. Mais on pourrait convoquer aussi, dans ce macabre inventaire, les époux Ceaucescu et Saddam Hussein. L’effroi suscité par ces exécutions politiques n’est pas moindre que celui provoqué par les exécutions judiciaires.

En 1957, Arthur Koestler publiait en français ses Réflexions sur la potence dans lesquelles il dénonçait l’usage de la peine de mort par la justice anglaise, qui tuait pour un oui ou pour un non, pour le vol d’un objet de plus de douze pence comme pour le meurtre le plus sanglant. Dans le même mouvement, Albert Camus nous livrait ses Réflexions sur la guillotine, un essai qui résonna si fortement dans le silence d’une France où la question n’était plus réellement débattue mais où les exécutions continuaient, et où il raconte l’histoire de ce père qu’il n’a pas connu et qui assista, un peu avant la guerre de 1914, à l’exécution publique de l’auteur d’un crime odieux. Justement indigné du crime, il fut bouleversé par l’image de ce corps supplicié, coupé en deux, saisi par l’inutilité de cette mort supplémentaire, préméditée, organisée, exécutée au nom de la société. La violence extirpée par la violence n’engendre que la violence. L’histoire de Lucien Camus, c’est l’histoire de notre pays indigné par le crime, puis bouleversé par la peine capitale, cette peine qui porte dans son étymologie même la trace du corps coupé en deux.

Fille des Lumières, la République française vécut pendant deux cents ans à l’ombre de la guillotine, dressée telle une survivance de l’antique loi du talion, masquant les insuffisances de la politique pénale, exutoire malheureux d’une peur collective mal contrôlée.

En 1908, une offensive en faveur de l’abolition était lancée par Aristide Briand, avocat à Pontoise (Sourires) et alors garde des sceaux. Sans résultat. Il y a un peu moins de trente ans, sur le rapport de Philippe Séguin, notre commission proposait à son tour d’abolir la peine de mort ; la proposition ne fut jamais inscrite à l’ordre du jour. En abolissant, par la loi du 9 octobre 1981, la peine de mort en toutes circonstances – il faut rendre dès cet instant hommage à Robert Badinter –, nous vidions enfin notre droit criminel de cette marque de barbarie, après tous les autres pays d’Europe occidentale.

Vingt-cinq ans après, le bilan est clair : nous n’avons pas besoin de la peine de mort. Nous n’en avons pas besoin, parce que nous n’avons pas peur. Notre conscience collective est libérée de l’agressivité et de la crainte qui, pendant des siècles, fondaient, aux yeux de ses défenseurs, le maintien dans notre droit répressif de la peine capitale, offrant le coupable en victime expiatoire aux inquiétudes réelles ou supposées de la société.

Nous n’en avons pas besoin, parce que notre politique criminelle est devenue plus efficace. Les progrès accomplis dans la traque des assassins, plus souvent appréhendés, nous dispensent de recourir à ce châtiment d’un autre âge, dont l’exécution nous libérait de façon illusoire des crimes non élucidés. La meilleure garantie contre le crime, le meilleur service à rendre aux victimes et à leurs familles, c’est une police efficace et une justice équitable prononçant des peines effectivement exécutées.

Nous n’avons pas besoin de la peine capitale, car nous préférons une peine alternative. Certes, la situation à cet égard n’est pas celle que l’on pourrait espérer, mais les avancées ont été considérables, et les efforts budgétaires – engagés notamment sous cette législature, dans le respect des engagements de la loi de programme pour la justice votée en août 2002 – sont sans précédent. Selon le garde des sceaux, une nouvelle loi de programme s’avère nécessaire. Le temps n’est plus où l’on pouvait se cacher derrière la peine de mort pour écarter la question pénitentiaire ; le rapporteur de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau que je suis est personnellement engagé sur la question, qui doit figurer au débat des prochaines échéances.

Enfin, nous n’avons pas besoin de la peine capitale, parce qu’aucun de nos voisins européens n’en a besoin, sur un continent libéré de toute exécution sinistre, si ce n’est en Biélorussie. Le Royaume-Uni, pourtant confronté au terrorisme de l’IRA, n’a jamais voulu la rétablir. L’Espagne, face aux attentats aveugles de l’ETA, a maintenu elle aussi l’abolition, témoignage de son attachement aux valeurs démocratiques.

Ces cas pouvant paraître extrêmes, penchons-nous sur le contexte européen et international. Le sixième protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, adopté en 1983 et relatif à l’abolition de la peine de mort en temps de paix, a été signé et ratifié par tous les pays membres du Conseil de l’Europe, à l’exception de la Russie, qui a pourtant instauré un moratoire à ce sujet. La peine de mort a ainsi été éradiquée de notre continent pour tous les crimes commis hors période de conflit.

Le protocole n° 13, relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances, signé à Vilnius en mai 2002, a par ailleurs été ratifié par 37 États européens, dont presque tous les pays de l’Union. Si la France ne l’a pas encore fait, elle devra bientôt le faire.

Les États de l’Union européenne ont également ratifié le deuxième protocole facultatif adopté le 15 décembre 1989, sous l’égide des Nations unies, en complément du pacte international relatif aux droits civils. Seule la Pologne l’a signé sans le ratifier, tandis que notre pays ne l’a encore ni signé, ni ratifié, alors qu’il est entré en vigueur le 11 juillet 1991.

Autre victoire de la communauté internationale : nous avons adopté à Rome le statut de la Cour pénale internationale – CPI –, qui a été chargée de réprimer les crimes les plus odieux sans recourir au châtiment le plus odieux qui soit : à l’instar des tribunaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, la CPI appliquera comme peine ultime la prison à vie, à l’exclusion de la peine capitale. Maintenir vivant le coupable de crimes contre l’humanité ou de génocides, c’est en effet avoir le courage de conserver le souvenir permanent du mal absolu afin de le combattre et de mieux s’en défaire. Faire disparaître ce coupable reviendrait à en faire inutilement un martyr – je pense notamment à Saddam Hussein… (Protestations de M. Jacques Myard)

L’interdiction de la peine de mort figurant déjà dans notre droit positif, on pourrait se demander pourquoi le président de la République nous propose d’inscrire dans la Constitution que « nul ne peut être condamné à la peine de mort ».

Renversons plutôt la question : pourquoi pas ? Par sa nature même, notre Constitution nous pousse à consacrer ce principe : notre loi fondamentale, constitutive de notre corps politique et de notre corps social, porte haut les valeurs essentielles que nous partageons. Or, l’abolition de la peine de mort, versant pénal du droit à la vie, en fait partie. Toutes les études d’opinion démontrent que les Français sont désormais majoritairement opposés au rétablissement de la peine capitale. Cette valeur est même commune à toute l’Europe, devenue en vingt-cinq ans le seul continent totalement abolitionniste. L’interdiction de la peine de mort, qui a quitté la sphère particulière de la politique pénale pour entrer dans le champ universel des droits de l’homme, mérite pour cette seule raison de figurer dans notre norme suprême.

De très nombreux pays européens ont d’ailleurs inscrit ce principe dans leur Constitution, notamment l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande, la Suède, le Portugal, les Pays-Bas, mais aussi la Croatie, la Slovénie, la Roumanie. En Italie, la chambre des députés vient d’adopter un projet supprimant la réserve constitutionnelle relative au temps de guerre.

Deuxième réponse : nous avons le devoir d’inscrire l’interdiction de la peine de mort dans notre Constitution. C’est une des valeurs de notre République. Sans revenir sur d’évidentes raisons de nature morale et politique, de nombreux motifs juridiques exigent que nous constitutionnalisions l’interdiction de la peine capitale. Grâce à la protection offerte par la norme suprême, il sera en effet impossible de revenir en arrière sauf à se lancer dans une nouvelle révision constitutionnelle. Nous pourrons en outre améliorer l’articulation entre les ordres juridiques interne et international en assurant un continuum cohérent des règles de droit auxquelles se soumet notre pays.

Il faut en effet que la France ratifie les instruments les plus universels destinés à abolir la peine de mort, le protocole additionnel à la CEDH, et celui adopté dans le cadre du pacte des Nations unies sur les droits civils et politiques, si nous voulons prendre toute notre place parmi les pays qui ont renoncé à l’usage de la peine capitale – personne ne comprendrait un refus, qui susciterait pendant des décennies les interrogations de nos partenaires européens.

N’admettant quasiment aucune réserve, ces deux protocoles confèrent à l’abolition un caractère irréversible, incompatible avec le principe de souveraineté proclamé par notre Constitution : libre de son destin, le peuple souverain doit être en mesure de revenir sur ces décisions, même s’il a proclamé leur intangibilité. Selon le doyen Vedel, la souveraineté doit rester « à l’intérieur du territoire un pouvoir qui n’a point d’égaux, mais seulement des subordonnés ; à l’extérieur un pouvoir qui ne peut être lié que de son propre consentement ».

Saisi par le président de la République sur le fondement de l’article 54, le Conseil constitutionnel a indiqué en octobre 2005 que ces deux textes ne contenaient pas de clauses directement contraires à la Constitution, qu’ils ne mettaient pas en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis, mais que le deuxième protocole portait atteinte aux « conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale ». En l’absence de toute clause de retrait, ce protocole ne pourrait en effet plus être dénoncé. Son irréversibilité entre donc en contradiction avec le principe constitutionnel de la souveraineté. Quant au lien entre le rétablissement de la peine de mort lorsque la Nation est menacée dans son existence et l’exercice de la souveraineté, aucun doute n’est possible.

Seule la Constitution peut donc prévoir de telles limites à notre souveraineté. C’est pourquoi le présent projet de révision tend à consacrer au plan constitutionnel le caractère irréversible de l’interdiction de la peine de mort, ce qui rendra possible la ratification du deuxième protocole onusien.

Ce dernier texte est certes moins exigeant que le protocole n° 13, car il permet de recourir à la peine de mort en temps de guerre, si du moins une législation nationale le prévoit au moment de sa ratification, mais sa portée universelle nous impose tout de même de le ratifier.

S’agissant du deuxième protocole, le Conseil constitutionnel n’a vu aucun obstacle à sa ratification, mais les délais et la quasi-impossibilité d’un éventuel retrait confèrent à notre adhésion une indéniable irréversibilité. L’inscription de l’interdiction de la peine de mort dans notre Constitution renforcerait donc la sécurité juridique.

En adoptant ce projet de loi constitutionnelle, nous affirmerons que la peine de mort fait plus et ne fera plus partie des moyens d’action de l’État. Nous dirons que la démocratie est plus forte que le crime, la République plus forte que les terroristes et la justice plus forte que la pire des injustices.

À la veille du troisième Congrès mondial contre la peine de mort qui se tiendra à Paris, nous nous honorerons en nous inscrivant dans la lignée de Beccaria, de Le Peletier de Saint-Fargeau, ou de Condorcet, mais aussi de Lamartine, de Hugo, de Jaurès, de Briand, et plus près de nous encore, d’Albert Camus, d’Eugène Claudius-Petit, de Pierre Bas et de Robert Badinter. C’est pourquoi je vous invite, au nom de la commission des lois, à adopter en l’état ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP)

exception d’irrecevabilité

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Pierre Bourguignon – Elle est défendue.

L’exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n’est pas adoptée.

M. Jérôme Rivière – Rappel au Règlement : l’exception d’irrecevabilité a pour objet de faire reconnaître qu’une ou plusieurs dispositions du texte est contraire à notre Constitution. Or, je n’ai rien entendu de tel…

M. le Président – Je vous rappelle qu’une seule exception d’irrecevabilité peut être défendue…

M. Jérôme Rivière – On pourrait presque croire que nous sommes censurés. J’aimerais que le contraire soit établi.

M. le Président – Il y a bien longtemps que les exceptions d’irrecevabilité ne servent plus à soulever des problèmes constitutionnels.

Question préalable

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable.

M. Pierre Bourguignon – Elle est défendue.

La question préalable, mis aux voix, n’est pas adoptée.

M. Bur remplace M. Debré au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Yves BUR
vice-président

M. Philippe Folliot – « Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne », écrivait Victor Hugo… La longue marche vers l’abolitionnisme est en effet l’un des plus grand progrès de notre civilisation.

Le premier débat officiel sur la peine de mort en France date du 30 mai 1791, à l’occasion d’un projet de loi d’abolition, rapporté par Louis-Michel Le Peletier de Saint-Fargeau et soutenu par Maximilien de Robespierre. Si l’Assemblée nationale constituante refuse d’abolir la peine de mort, elle supprime toutefois la torture par la loi du 6 octobre 1791. Avec l’arrivée au pouvoir de Napoléon Bonaparte, la peine de mort est ensuite officiellement rétablie le 12 février 1810 par le code pénal.

Depuis la Révolution, de nombreux projets ont été déposés, sans succès, pour abolir la peine de mort jusqu’à ce 9 octobre 1981. MM. Mitterrand et Badinter ont défendu l’abolition alors que 62 % des Français ne la voulaient pas et c’est cela la grandeur du politique ! Ironie du sort, le 17 septembre 1981, un parlementaire déclarait : « La réalité, c’est le meurtre, les victimes, les criminels qui, loin d’être touchés par la grâce ou de s’amender, récidivent. Notre devoir, c’est de répondre à la légitime exigence de la société qui entend être défendue. Au nom de quelle logique n’aurions-nous pas le droit de défendre la société contre l’individu qui l’agresse, en allant même s’il le faut jusqu’à lui ôter la vie ? La société a donc le droit de donner la mort pour se défendre. Nous n’abolirons pas la peine de mort sans être sûrs que nous possédons les moyens de décourager le crime, d’empêcher les récidives. »

M. Jacques Myard – Oui !

M. Philippe Folliot – Ainsi parliez-vous alors, Monsieur le garde des sceaux ! Vous avez aujourd’hui raison de vouloir empêcher les tentations de retour en arrière en faisant graver l’abolition dans le marbre de la Constitution. Les abolitionnistes avancent quatre arguments : la peine de mort est irréversible et la justice est faillible ; la réhabilitation ou la deuxième chance sont impossibles…

M. Jacques Myard – Ha ! La ! La !

M. Philippe Folliot – …elle n’a en outre aucun effet sur la criminalité – s’il en allait autrement, il n’y aurait pas proportionnellement trois fois plus de crimes aux États-Unis qu’en France –, enfin, la peine de mort constitue une violation des droits fondamentaux de l’être humain selon les articles 3 et 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Selon Amnesty international, plus de la moitié des États membres des Nations unies ont aboli la peine de mort en droit ou de fait. Néanmoins, elle est toujours utilisée aux États-Unis par 38 États sur 51. En 2004, 5 476 exécutions ont lieu dans le monde, la Chine arrivant largement en tête avant l’Iran et le Viêt-Nam. Quelle tristesse d’avoir reçu ici le président Hu Jintao alors que depuis 1789 nous véhiculons des valeurs universelles de tolérance, de justice, de liberté, d’égalité, de fraternité !

L’abolition est un acquis éthique de l’Union européenne comme le rappelle la Charte européenne des droits fondamentaux. Avec l’adoption le 28 avril 1983 du protocole n° 6 à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales concernant l’abolition de la peine de mort, le Conseil de l’Europe a franchi un pas considérable en passant de la tolérance de la mort légale à sa prohibition. Sans prévoir l’abolition de la peine de mort, l’article 6 du pacte international des droits civils et politiques, adopté le 16 décembre 1966, dispose que le droit à la vie est inhérent à la personne humaine, que ce droit doit être protégé par la loi et que nul ne peut être arbitrairement privé de la vie. L’ONU affirme clairement sa position avec l’adoption, le 15 décembre 1989, du deuxième protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort. Compte tenu de cet arsenal juridique, rétablir la peine de mort dans notre pays est quasi-impossible.

M. Jacques Myard – Ben alors ?

M. Philippe Folliot – Il faudrait pour cela rejeter plusieurs traités internationaux, ce qui ne manquerait pas de dégrader notre image à l’étranger et en particulier au sein de l’Union européenne. Le 20 décembre 1985, la France a ratifié le protocole additionnel n° 6 à la convention européenne des droits de l’homme. Nous ne pouvons plus rétablir la peine de mort sauf en temps de guerre ou en dénonçant l’ensemble de la convention. Le 3 mai 2002, notre pays a en outre signé avec trente autres États le protocole n° 13 à la convention européenne des droits de l’homme qui interdit la peine de mort en toutes circonstances, même en temps de guerre. Il est entré en vigueur le 1er juillet 2003 mais nous ne l’avons pas encore ratifié. Dans l’ordre international, sur le fondement du protocole n° 6 additionnel à la convention européenne des droits de l’homme ratifié par la France en 1986, la peine de mort ne peut être rétablie sauf en cas de guerre ou de danger imminent de guerre. Pour respecter la hiérarchie des normes, ces ratifications ne peuvent se faire que si elles sont compatibles avec notre Constitution. Le Conseil constitutionnel a confirmé la conformité des protocoles 6 et 13 mais il a estimé que le deuxième protocole facultatif portait atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale définies par la Constitution, dès lors que cet engagement régit des situations dans lesquelles se trouve en cause l’existence même de la nation et que sa ratification serait irrévocable. Il convient donc d’admettre l’impossibilité de ratifier aujourd’hui cette convention et c’est pourquoi la ratification du deuxième protocole facultatif de 1989 exige une révision de la Constitution.

Si le combat contre la peine de mort sera bientôt terminé dans la loi, il ne l’est pas encore dans les têtes comme l’illustre le récent débat sur l’exécution de Saddam Hussein. Le vote par notre Parlement de l’interdiction de la peine de mort dans notre Constitution est le dernier pas d’une longue marche. Refuser la peine de mort, c’est un acte d’espoir dans l’homme mais c’est aussi un acte de raison ! Cette inscription, c’est aussi un message aux Chinois qui exécutent allègrement les opposants politiques…

M. Jacques Myard – Ils vous entendront !

M. Philippe Folliot – …ainsi qu’à certains pays du Golfe qui lapident des femmes coupables d’être amoureuses mais aussi aux États-Unis qui ont oublié qu’ils sont aussi le pays des droits de l’homme.

Ce projet répond à une triple exigence morale, politique et juridique.

Personne ne soutient plus que la peine de mort aurait une valeur morale. À l’inverse, son abolition témoigne du refus d’une justice qui utiliserait les mêmes armes que ceux qu’elle condamne.

Sur le plan international, l’inscription de l’interdiction de toute peine capitale dans notre Constitution rapprochera notre pays de nombreuses nations.

En ce qui concerne, enfin, le deuxième protocole facultatif du pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Conseil constitutionnel a « estimé que sa ratification exigerait une révision de la Constitution ».

L’utilisation de l’article 16 de la Constitution – le pouvoir constituant doit être bien clair sur ce point – ne pourra en aucun cas servir à rétablir la peine de mort, même de manière temporaire.

Le groupe UDF approuve ce projet même si sa portée est plus symbolique que juridique et politique. En effet, l’état actuel du droit international rend quasi-impossible le rétablissement de la peine de mort. Une telle perspective nous conduirait d’ailleurs à quitter l’Union européenne.

M. Jacques Myard – Oh ! N’en rajoutez pas !

M. Philippe Folliot – Le groupe UDF vous met néanmoins en garde contre la tentation grandissante d’inscrire de plus en plus de choses dans notre norme suprême, ce qui pourrait être contreproductif : notre Constitution ne doit pas devenir un « fourre-tout » dénué de toute portée normative.

La seule chose qui mérite la peine capitale, c’est la peine de mort ! Comme le disait Dostoïevski dans Crime et châtiment : « Quand on met à mort un meurtrier, la peine est incommensurablement plus grave que le crime. Le meurtre juridique est infiniment plus atroce que l’assassinat ».

M. Jacques Myard – Littérature !

M. Philippe Folliot – Nous voterons en faveur de cette révision constitutionnelle qui consolide le choix abolitionniste fait par le législateur en 1981.

M. Michel Vaxès – Lorsque le président de mon groupe m’a demandé d’intervenir sur ce projet, je me suis senti fort honoré. Je suis en effet de ceux qui auraient aimé être présents dans cet hémicycle pour voter la loi historique abolissant la peine de mort. Ce jour-là, la voix de la France s’accordait à celle de Jaurès pour qui la peine de mort était contraire à ce que l’humanité a pensé de plus haut : l’esprit du christianisme et l’esprit de la révolution.

M. Jacques Myard – Ben dis donc !

M. Michel Vaxès – Elle s’accordait aussi à celle de Victor Hugo, abondamment cité par notre rapporteur, dont je salue l’excellent travail. Dans Quatre-vingt treize, le romancier imagine un dialogue entre deux révolutionnaires, Cimourdain le prêtre et Gauvain le noble, et fait dire à celui auquel nous nous identifions : « Voici la différence entre nos deux utopies. Vous voulez la caserne, moi je veux l’école. Vous rêvez de l’homme soldat, je rêve l’homme citoyen. Vous le voulez terrible, je le veux pensif. Vous fondez une république de glaives, je fonderai une république d’esprit. » Tout était dit.

Le combat des communistes pour l’abolition de la peine de mort rejoint les conceptions d’Hugo et de Jaurès : une société qui croit en l’humanité des hommes et en leur capacité à devenir plus humains encore dans un processus historique d’avancée de la civilisation, sans pour autant verser dans l’angélisme. L’histoire témoigne que rien n’est jamais acquis : « Nous avons encore les mœurs que nos maîtres nous ont faites » disait Babeuf, Victor Hugo évoquant pour sa part « une plaie de l’ancien régime dont le nouveau n’a pas eu le temps de guérir ».

Le progrès social, l’égalité des droits, la solidarité, la démocratie, l’éducation et la justice sont les seules armes dignes d’être opposées à la violence. Comme toutes les oppressions, les châtiments censément exemplaires et la loi du talion devraient appartenir à des temps révolus. Non seulement ils s’avèrent inefficaces, mais ils entrent en contradiction avec cet esprit de civilisation dont nous voulons être les hérauts.

Les parlementaires communistes œuvrent depuis longtemps à l’abolition universelle de la peine de mort. Malheureusement, nous n’avons pas toujours été suivis, même dans notre pays.

M. Jacques Myard – Ni par le parti !

M. Michel Vaxès – La proposition de loi de nos collègues sénateurs qui tendait à créer une journée nationale pour l’abolition universelle de la peine de mort, adoptée à l’unanimité au Sénat, n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée. Il n’est cependant pas trop tard. Dans le prolongement du Congrès qui constitutionnalisera l’abolition, l’adoption de cette proposition serait un moyen pour notre pays de prendre la tête de ce combat qui vise à faire triompher la cause de l’humanité.

Certains ne veulent voir dans la constitutionnalisation de l’interdiction de la peine de mort qu’un symbole. Je leur répondrai qu’il ne faut pas mésestimer la force des symboles et que cette constitutionnalisation est éminemment nécessaire, d’abord pour des raisons juridiques. Dans sa décision du 13 octobre dernier, le Conseil constitutionnel a estimé que la ratification du deuxième protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques exigeait une révision de la Constitution, dans la mesure où ce protocole prévoit l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances, c’est-à-dire même dans le cas où un danger exceptionnel menacerait l’existence de la nation. Grâce au nouvel article 66-1, qui dispose que : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort », la France sera liée irrévocablement. La seconde raison – rendre l’abolition de la peine de mort irréversible – est plus discutable. L’inscription de l’interdiction de la peine de mort dans notre loi fondamentale empêchera certes de la rétablir par une loi simple, mais la Constitution reste révisable. Nous avons cependant la faiblesse de croire cette évolution irréversible, et nous faisons confiance aux représentants de la nation pour ne jamais rétablir la peine de mort. Je parle de faiblesse, car je n’ignore pas que 22 propositions de loi demandant le rétablissement de la peine de mort ont été déposées à l’Assemblée nationale depuis 1981 – une seule, heureusement, sous la présente législature. La tentation perdure donc, et notre vigilance ne doit pas faiblir.

Outre ces raisons juridiques, la révision de notre Constitution doit avant tout avoir valeur d’exemple. Le président de la République l’a dit lui-même, « cela permettra à la France de poursuivre son action en faveur de l’abolition universelle, alors que 78 pays appliquent encore ce châtiment ». Rappelons que quatre de ces 78 pays comptabilisaient 94 % des exécutions recensées en 2004 : la Chine, l’Iran, l’Arabie Saoudite et les États-Unis. Selon le dernier rapport d’Amnesty international, 2 148 personnes ont été exécutées et 5 186 condamnées à la peine capitale en 2005, les chiffres réels étant sans doute plus élevés. 86 pays ont à ce jour aboli cette peine, et chaque nouvelle abolition est une victoire pour l’humanité. Depuis 1990, plus de 40 pays ont aboli la peine de mort pour tous les crimes. En 2005, le Mexique et le Libéria sont entrés dans la liste des pays abolitionnistes. Mais ces avancées sont assombries par des reculs, le dernier et le plus préoccupant étant la déclaration faite par le nouveau secrétaire général de l’ONU au lendemain de la pendaison de Saddam Hussein. « Concernant la peine capitale, c’est à chaque pays de prendre sa décision », commentait Ban Ki-moon.

M. Lionnel Luca – C’est une évidence.

M. Michel Vaxès – La Commission des droits de l’homme de l’ONU vote pourtant chaque année depuis 1997 une résolution condamnant la peine de mort, et l’ONU invite ses membres à ratifier le protocole 2 du Pacte des droits civils et politiques, qui interdit les exécutions et engage les États à abolir la peine capitale.

La France doit donc mener son combat avec la plus grande détermination. Rappelons que les États-Unis exécutent régulièrement des condamnés à mort. Au 1er janvier 2006, pas moins de 3 373 citoyens américains attendaient leur exécution dans le couloir de la mort. Permettez-moi de saluer ici le combat abolitionniste de Mumia Abu-Jamal, qui est assuré de notre indéfectible soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Depuis que la Cour suprême a levé le moratoire sur les exécutions en 1977, 1 018 condamnés ont été exécutés à la date du 25 avril 2006.

Le combat pour la vie débouche parfois sur des avancées. La Cour suprême a ainsi aboli la peine de mort pour les handicapés mentaux. Amnesty International observe également que, dans un arrêt rendu le 1er mars 2005, elle a jugé inconstitutionnel le recours à la peine de mort contre des mineurs de moins de dix-huit ans, ce qui a permis à plus de 70 mineurs condamnés à mort de voir leur peine commuée. Il est cependant à craindre que cet arrêt ne s’applique pas aux détenus de Guantanamo Bay mineurs au moment de leur incarcération.

Convaincre les quelque 78 pays qui n’ont pas encore renoncé à la peine capitale sera d’autant plus ardu que la lutte contre le terrorisme a servi de prétexte à certains d’entre eux pour renforcer leur législation. La menace terroriste tend ainsi à la démocratie le piège de la violence, l’encourageant à adopter les méthodes qu’elle prétend combattre. On assiste alors à une parodie de justice où les fins, censément nobles, s’effacent au profit de moyens détestables et mortifères. Les images de l’exécution de Saddam Hussein en ont donné récemment un exemple affligeant.

La peine de sang n’a jamais compensé le sang d’un crime, ni apaisé les victimes. La vengeance procède de l’instinct, la justice de la raison et de la morale. La peine de mort entretient tous les hommes dans la peur de l’autre. Elle nie la part d’humanité de chacun. Plus fondamentalement, elle ignore que l’essence humaine n’est pas inhérente à l’individu, mais éclôt dans son rapport aux autres hommes. En tuer un, c’est faire mourir une part de notre humanité à tous.

En 1981, la France a aboli la peine de mort. En 2007, elle inscrit cette abolition dans la Constitution. Longtemps, notre pays a retardé cet acte de foi en l’humanité par crainte de l’opinion publique. Foyer de la pensée humaniste et des idéaux des lumières, il a pourtant été un des derniers pays d’Europe occidentale à renoncer à la peine capitale. Il est désormais de son devoir d’œuvrer à son abolition universelle. Dans deux jours, le troisième Congrès mondial contre la peine de mort se tiendra dans notre capitale. Soyons-en fiers et espérons que nos concitoyens seront nombreux à participer à la grande marche de clôture.

Si la vie se définit comme l’ensemble des forces qui résistent à la mort, nous nous situons délibérément, avec ce projet de loi constitutionnelle, du côté de la vie, du côté de la lutte pour que l’humain ne meure ni en nous, ni en l’autre. La part d’humanité que nous reconnaissons à autrui n’est jamais acquise. Il faut la cultiver, et l’inscription dans la loi fondamentale de l’abolition de la peine de mort en sera le plus sûr moyen.

Avec ce texte, le choix politique s’érige en morale. En le votant, nous faisons un pas vers plus d’humanité. Bien d’autres restent à faire pour devenir plus humains encore : les communistes seront de ce cheminement là. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Claude Gaillard – « La France est grande, non seulement par sa puissance, mais au-delà, par l’éclat des idées, des causes, de la générosité qui l’ont emporté aux moments privilégiés de son histoire. » Ces mots de Robert Badinter, qui font écho aux combats de Condorcet, Hugo, Briand, Jaurès et tant d’autres, sont au cœur du contrat social républicain. Plus de vingt-cinq ans après le vote de la loi de 1981 au terme d’un long chemin, le président de la République a voulu graver dans le marbre de notre loi fondamentale une disposition selon laquelle « nul ne peut être condamné à la peine de mort ». Cette décision qui honore notre démocratie rappelle notre attachement aux valeurs humanistes de la République, permet de respecter nos engagements internationaux et confirme la place de la France aux côtés des défenseurs de l’abolition universelle.

C’est avec la Révolution que la peine de mort entre dans le débat politique. Depuis plus de deux siècles, des hommes et des femmes de cœur se sont élevés contre l’ignominie constituée par les exécutions capitales, considérées par les philosophes des Lumières comme l’un des premiers freins à l’établissement de sociétés pacifiées et à la victoire de la civilisation. Dès 1764, dans Des délits et des peines, Beccaria se demandait en vertu de quel droit les hommes pouvaient se permettre de tuer leurs semblables et s’attachait à démontrer que la peine de mort n’était ni utile ni nécessaire, qu’un régime où règne la paix et la légalité n’a pas besoin de la peine de mort, et que le supplice n’a jamais empêché les hommes résolus de nuire à la société.

Tout y est déjà : valeur inaliénable de la vie humaine, générosité et absence de dissuasion. Mais il faudra plus de deux siècles pour qu’en 1981, le Parlement dissipe l’ombre.

Pour que la loi du talion, contraire à celle du cœur et de la raison, ne s’applique plus jamais, pour éviter tout retour en arrière en période de crise, il faut inscrire l’abolition dans notre Constitution. Oui, notre justice est plus forte que la pire des injustices, et nous soutenons cette décision avec notre cœur et notre raison. En nous prononçant en faveur du nouvel article 66-1, nous affirmons solennellement l’inviolabilité de la personne humaine, notre confiance dans les valeurs humanistes de notre démocratie et notre vigilance pour l’avenir.

Ce faisant, nous respecterons aussi nos engagements internationaux et la décision récente du Conseil constitutionnel.

Comme l’a souligné le chef de l’État à Genève le 30 mars 2001 devant la commission des droits de l’homme des Nations unies, la peine de mort ne peut en aucun cas être regardée comme un acte de justice. Son abolition permettra à la France de ratifier le deuxième protocole facultatif au pacte international relatif aux droits civiques et politiques adopté à New York le 15 décembre 1989, qui prescrit l’abolition définitive de la peine de mort. Le Conseil constitutionnel a en effet jugé, dans sa décision du 13 octobre 2005, que cette ratification n’était possible qu’après une révision de la Constitution. Il avait été saisi par le président de la République de deux engagements internationaux relatifs à l’abolition, et dans le cas du protocole n° 13, la convention européenne des droits de homme oblige pratiquement la France à signer, donc à ratifier.

Enfin, la France réaffirme ainsi qu’elle est aux côtés des défenseurs de l’abolition universelle. Les valeurs humanistes ne cessent de progresser et l’Union européenne est un modèle, avec le sixième protocole à la convention européenne des droits de l’homme de 1983, qui interdit de recourir à la peine de mort. Partout dans le monde, la cause de l’abolition a progressé. En 1981, la France était le 36État à abolir la peine de mort. Aujourd’hui, 125 des 192 membres des Nations unies l’ont fait. L’abolition universelle est un facteur de pacification et d’humanisation des sociétés et des relations internationales. La France, pays des droits de l’homme, et exemple pour beaucoup, fait un pas décisif en faveur de l’abolition, partout, de la peine capitale car, comme l’a dit Jacques Chirac, « les droits de l’homme ne valent que parce qu’ils sont universels ». Par cet acte symbolique, elle réaffirme aussi la grandeur de l’homme et sa capacité à dépasser la haine et la vengeance.

« Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, d’exécutions furtives à l’aube, sous le dais noir. Demain les pages sanglantes de notre justice seront tournées » disait Robert Badinter. Aujourd’hui, ancrons définitivement notre République du côté du cœur, de la raison, de l’humanisme et de la civilisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et quelques bancs du groupe socialiste)

M. André Vallini – En conférant valeur constitutionnelle à l'abolition de la peine capitale, nous allons affirmer le caractère inviolable et sacré de la vie humaine, et mettre aussi la France en état de ratifier le deuxième protocole au pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté à New York le 15 décembre 1989, Le Conseil constitutionnel ayant jugé que la révision était un préalable nécessaire.

Réglementer le droit de vie et de mort de l'État sur ses citoyens relève de la souveraineté. Y renoncer définitivement en signant des traités internationaux c’est accepter de la limiter. Pour être légitime, ce renoncement doit s'inscrire dans la Constitution. Ce sera pour nous l'occasion de proclamer avec Albert Camus, que « la personne humaine est au-dessus de l’État ». J’apporte donc le soutien résolu et enthousiaste du groupe socialiste à cette révision.

Mais je profite de ce débat pour élargir la perspective au combat international que nous devons mener pour l'abolition universelle de la peine de mort. On évoque la Chine, le Japon, le Nigeria ou l’Iran. Pour ma part, j’évoquerai les États-Unis.

Depuis que la Cour suprême a décidé, en 1976, que l’application de la peine de mort n’était pas contraire à la Constitution, des centaines de personnes ont été exécutées aux États-Unis et des milliers attendent dans les couloirs de la mort.

Partout la peine de mort est inhumaine et inefficace. Aux États-Unis, elle est de surcroît une injustice sociale et une injustice raciale. En effet, les statistiques prouvent qu’un noir est plus exposé qu’un blanc à la condamnation à mort et que la capacité financière de s’offrir une bonne défense influe aussi beaucoup sur la peine prononcée.

C’est en fait le système accusatoire qui est en cause, car la fameuse « égalité des armes » qui serait l’une de ses vertus majeures n’est en fait accessible à l’accusé que s’il dispose de moyens financiers importants.

Les Américains restent en majorité partisans de la peine capitale. Et, pendant la campagne présidentielle prochaine aux États-Unis, pas un candidat, pas même une candidate, ne se risquera à braver l’opinion, comme François Mitterrand eut le courage de le faire en 1981. Même si ce pourcentage a diminué ces dernières années, 70 % des Américains restent favorables à la peine de mort, selon un récent sondage de Newsweek.

Néanmoins le mouvement de protestation contre la peine de mort s’amplifie. En outre, en arrachant des innocents à leur cellule quelques heures avant l’injection fatale, les contre-enquêtes citoyennes font davantage que sauver des vies. Elles fissurent les certitudes et dynamitent silencieusement la confiance des Américains dans leur justice.

Nous devons donc amplifier les initiatives contre cette pratique d’un autre temps que les États-Unis ont en commun avec les dictatures les plus sanglantes de la planète telles que l’Iran, l’Arable Saoudite, la Chine ou le Nigeria.

Depuis plus de deux siècles, la France et les États-Unis ont en partage le même amour de la liberté. Depuis La Fayette jusqu’aux soldats américains qui tombèrent en juin 1944 sur les plages de Normandie, la France et les États-Unis sont liés par des liens d’amitié qui permettent la franchise.

Alors c’est en toute franchise que nous devons dire inlassablement aux Américains qu’il est indigne d’être le dernier pays occidental à appliquer la peine de mort, qu’il y a une intolérable hypocrisie à pratiquer chez soi la loi primitive du talion et, dans le même temps, à s’ériger partout dans le monde en pourfendeurs de la barbarie, et en champions de la démocratie et de la morale.

Comme président du groupe d’amitié France-États-Unis à l’Assemblée nationale, j’ai pris l’initiative, en 2000, d’une pétition des députés français en direction de nos collègues américains. Ce fut sans grand succès. Je pense qu’il faut recommencer. Foin de précaution ou de prudence diplomatique, et tant pis si M. Sarkozy se croit obligé d’aller à Washington excuser l’arrogance française ! C’est au nom du premier des droits de l’homme, celui de vivre, que nous avons ce devoir d’ingérence. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Michel Hunault – Ce débat se déroule à la veille du troisième congrès mondial contre la peine de mort, qui, cette année, aura lieu à Paris. Et si le président de la République a souhaité donner une valeur constitutionnelle à l’abolition, c’est bien pour consacrer l’engagement de la France à abolir la peine capitale. La formule « nul ne peut être condamné à mort » sera désormais inscrite au cœur de notre Constitution : pouvait-on donner à l’abolition une plus haute valeur juridique ?

La révision qui va avoir lieu témoignera de notre attachement aux valeurs de la dignité humaine. Elle enverra un signal au monde et sera perçue comme un encouragement à tous les militants abolitionnistes, en particulier dans les soixante-huit États, dont les États-Unis et la Chine, qui appliquent toujours la peine capitale…

Mme Marylise Lebranchu – C’est juste.

M. Michel Hunault – De cette tribune, je tiens à saluer l’apport considérable du Conseil de l’Europe, lequel a adopté successivement les protocoles 6 et 13, additionnels à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales et concernant l’abolition de la peine de mort. Le Conseil de l’Europe a fait de l’abolition l’une de ses valeurs cardinales, au même titre que le respect du pluralisme démocratique et de l’Etat de droit.

M. François Loncle – C’est vrai.

M. Michel Hunault – Le refus de la peine de mort figure également parmi les critères d’adhésion à l’Union européenne – dits « critères de Copenhague ». La charte européenne des droits fondamentaux, qui constitue l’engagement le plus fort de l’Union en faveur des droits fondamentaux, dispose que «  toute personne a droit à la vie «  et que «  nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté ». Quant aux Nations unies, elles affirment également le caractère sacré et inviolable de la vie humaine dans leur charte constitutive, cependant que la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 précise que «  nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants ». Enfin, le pacte international des droits civils et politiques, adopté par l’Assemblée générale des Nations unies en décembre 2006, dit que «  le droit à la vie est inhérent à la personne humaine et que ce droit doit être protégé par la loi ».

Monsieur le garde des sceaux, alors que la France est sur le point de signer un traité d’extradition avec la Chine, pays qui exécute plusieurs milliers de condamnés par an, je voudrais que soit, par votre bouche, réaffirmé ces principes et que vous apportiez toutes les garanties que jamais un extradé ne puisse être condamné à mort.

Mme Marylise Lebranchu – Très bien !

M. Michel Hunault – Ce faisant, vous réaffirmeriez avec force les lignes directrices adoptées par le conseil des ministres du Conseil de l’Europe le 11 juillet 2002, ainsi que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a consacré le principe selon lequel les États membres du Conseil de l’Europe ne peuvent, quel que soit le caractère odieux des crimes commis, extrader des personnes encourant la peine de mort.

Mme Marylise Lebranchu – Très juste.

M. Michel Hunault – L’abolition de la peine de mort pose nécessairement la question de l’échelle des peines et celle, plus difficile encore, de la sanction des crimes les plus graves. L’abolition de la peine de mort commande aussi de revoir les procédures d’application des peines et de libération anticipée. Monsieur le rapporteur, vous avez eu raison d’évoquer l’état de vétusté de nos prisons et l’exigence de tout mettre en œuvre pour favoriser la réinsertion des anciens détenus.

Rarement l’actualité internationale aura donné autant de sens à un projet de loi, et, en l’espèce, une telle dimension à la ratification constitutionnelle de l’abolition. Alors que jamais la criminalité organisée ou le terrorisme n’ont lancé un tel défi à nos démocraties, c’est l’honneur de la France que d’accomplir cette avancée dans le sens du respect de la dignité humaine.

Au sein de cette assemblée, certains ont souhaité amender le texte en excluant du champ de l’abolition les crimes commis par les auteurs d’actes terroristes. Je tiens à m’élever contre cette idée. J’ai en effet eu l’honneur de présenter à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe un rapport sur la lutte contre le terrorisme et le respect des droits de l’homme. Si la lutte contre le terrorisme – combat éminemment complexe – doit être universelle, elle ne doit pas nous amener à bafouer nos valeurs humanistes. C’est à l’honneur de nos démocraties de ne pas répliquer aux auteurs d’actes terroristes avec leurs propres armes, mais bien plutôt dans le strict respect du droit.

La France a été la première en Europe à abolir la torture et parmi les premiers pays du monde à abolir l’esclavage. Dans cette enceinte, les partisans de l’abolition de la peine de mort, ont, depuis deux siècles, su faire avancer la cause de l’humanisme. Dès 1791, la question a été soulevée. Puis, au XIXe siècle, Lamartine et Victor Hugo avaient jugé la peine de mort inutile. En 1908, un premier projet de loi d’abolition a même été discuté dans cet hémicycle. Plus près de nous, l’abolition défendue par Robert Badinter a fait triompher la cause de l’humanité.

En votant le projet de loi constitutionnelle voulu par le président de la République, nous ne ferons que prolonger les valeurs qui nous rassemblent, et qui, à travers le monde, font honneur à la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains)

M. Michel Piron – Aussi ancienne et universelle que celle du droit, la question de la peine de mort nous est aujourd’hui reposée, dans sa dimension historique, juridique et philosophique. Sans doute n’est-il pas inutile de rappeler brièvement la marche – parfois cahotique – qui conduit à l’abolition, de Beccaria à la Constituante, en passant par le Compromis de 1892, sans oublier les belles figures de Victor Hugo, de Barrès, de Jaurès ou de Claudius-Petit…

M. le Garde des sceaux – Député de la Loire !

M. Michel Piron – Il reste qu’il fallut attendre 1981 pour que, guidée par Robert Badinter, la France fut le 36e État du monde à abolir la peine de mort. Aujourd’hui, ce sont 96 États membres des Nations unies qui ont franchi ce pas décisif, l’Europe entière ayant renoncé à l’appliquer, à la seule exception de la Biélorussie. Au sortir de tant d’épreuves, l’Europe a en effet institué un système inédit de protection supranationale des droits de l’homme, sanctionné par la Cour européenne. Et c’est encore une fois l’Europe, qui, dans deux protocoles successifs de 1985 et 2003, a posé dans l’ordre juridique le principe de l’abolition que nous consacrons aujourd’hui. La nécessité de procéder à une révision de notre Constitution est désormais bien établie, ne serait-ce que pour respecter la hiérarchie des normes. Cela permettra en outre de ratifier le deuxième protocole facultatif de 1989 et de le rendre par conséquent irréversible.

Mais sans doute passerait-on à côté de l’essentiel en ne traitant la question de la peine de mort que sous l’angle juridique. Puis-je le dire ici ? Je suis de ceux que l’expression onusienne de « droit à la vie » interroge. Ne faudrait-il pas plutôt envisager le « droit de la vie », car la vie n’est-elle pas la source même du droit, tant il est vrai que c’est l’homme qui se pense quand il parle de crime et de châtiment ? Alors, il parle de la part sombre de lui-même, de celle qui témoigne de l’inhumain dans l’humain. Mais n’est-ce pas parce qu’il aspire à la justice et refuse la loi du talion qu’il n’accepte pas de faire disparaître l’humain avec l’inhumain ?

Mme Muguette Jacquaint – Très bien !

M. Michel Piron – Non, professeur Harouel, l’abolitionnisme n’est pas « l’amour de l’assassin », mais simplement l’amour de l’homme en tant qu’homme. Non, la tombe ne guérit personne. La peine de mort, chacun le sait désormais, n’est ni exemplaire ni nécessaire et j’ai aimé, Monsieur le rapporteur, votre évocation de Camus, rejetant « une mesure définitive, irréparable, qui fait injustice à l’homme tout entier puisqu’elle ne fait pas sa part à la misère de la condition commune ». Et c’est le même Albert Camus qui, dans sa lettre au garde des sceaux du 5 décembre 1946, demandait : « Où serait la supériorité de ce que nous défendons, si nous n’étions pas capables de surmonter notre plus légitime ressentiment ? » (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Noël Mamère – La France a aboli la peine de mort en 1981 et le combat pour l’abolition fait partie des heures les plus marquantes de notre vie parlementaire. Notre pays fut du reste l’un des derniers États d’Europe occidentale à abolir la peine capitale. De cette tribune, Robert Badinter rappelait ce retard, alors même que notre pays avait été parmi les premiers à abolir la torture et l’esclavage. Il évoquait également les grandes voix, « celles qui ont résonné le plus haut et le plus loin dans la conscience humaine, celles qui ont soutenu, avec le plus d’éloquence la cause de l’abolition », avant que la sienne ne vienne, de la manière la plus déterminante, contribuer au succès de la cause. Les tenants de l’abolition sont à compter parmi les plus grandes figures du génie français : Hugo, Gambetta, Clemenceau, et aussi – et peut-être surtout –Jaurès.

Longtemps l’abolition fut le combat de la gauche humaniste, au sens le plus large et le plus généreux du terme. Ce fut une longue marche, où la passion des hommes prit souvent le pas sur le droit et la raison. La première Constituante a posé la question de la peine de mort, avec courage et audace. La Convention, le 4 brumaire an IV, a proclamé l’abolition. Mais elle était d’une certaine manière conditionnelle, puisqu’elle ne devait s’appliquer qu’une fois la paix rétablie.

Puis Bonaparte inscrivit la peine de mort dans le code pénal et il fallut attendre le début du XXe siècle pour que la question soit à nouveau abordée dans cette enceinte.

Souvenons-nous du mot de Jaurès : « La peine de mort est contraire à ce que l’humanité depuis deux mille ans a pensé de plus haut et rêvé de plus noble. Elle est contraire à la fois à l’esprit du christianisme et de la Révolution. » Puis ce fut au tour de Briand, en 1908, de demander à la Chambre d’abolir. Il choisit une autre méthode, discrète mais tout aussi déterminée. Sans succès, hélas.

C’est donc bien la victoire de la gauche, en 1981, qui rend enfin possible l’abolition, puisqu’elle figurait dans le programme législatif de la majorité élue. Robert Badinter étant un abolitionniste convaincu – et convaincant – sa nomination à la Chancellerie par François Mitterrand apportait la confirmation que l’engagement serait tenu. À l’heure où la démocratie d’opinion semble régner sur la politique, l’abolition de la peine de mort marque une étape essentielle. Il est rare, en effet, que le législateur ose voter contre l’opinion et les sondages. Non, le peuple n’a pas toujours raison et la démocratie représentative a encore un sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Loncle – Très bien !

M. Noël Mamère – En 1981, l’opinion publique était favorable à la peine capitale, et la tentation d’y revenir la taraude chaque fois qu’un crime choque par sa brutalité, par sa nature ou par l’identité de la victime – sans compter les velléités des pays où populisme et extrême droite se renforcent. Il en est ainsi de la Pologne, dont le gouvernement affiche sa volonté démagogique de restaurer une pratique éradiquée dans les autres États de l’Union européenne.

Nous vivons donc un moment particulier, et le vote auquel nous allons procéder revêt une portée historique. Notre pays a ratifié, le 17 février 1986, le protocole n° 6 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatif à l’abolition de la peine de mort. Par ailleurs, la France a soutenu le projet de résolution relatif à la peine de mort présenté par l’Union européenne et adopté par la Commission des droits de l’homme des Nations unies, lors de sa 56e session.

Ce projet marque, selon moi, un progrès en droit, et le dépassement du clivage partisan. L’abolition est un acquis pour la République et pour toutes les familles politiques qui la composent. L’adoption de ce projet nous permettra de signer et de ratifier le deuxième protocole au Pacte international sur les droits civils et politiques qui, parce qu’il interdit toutes réserves et ne peut être dénoncé, fait obstacle au rétablissement de la peine capitale en cas de guerre ou de circonstances exceptionnelles, fermant ainsi définitivement la porte que le protocole n° 6 à la Convention européenne laissait ouverte.

C’est pourquoi il ne faut pas considérer ce projet de loi constitutionnelle comme inutile. Inscrire l’abolition de la peine capitale dans notre Constitution est nécessaire. C’est une décision historique de bannir définitivement cette peine barbare, incompatible avec une démocratie digne de ce nom. En ces temps troubles, où le terrorisme frappe de manière ignoble dans le monde, où la guerre demeure malheureusement une forme de règlement des conflits, elle marque la volonté de notre République de ne pas céder aux tenants de la loi du talion et d’écarter à jamais la peine capitale. C’est une manière de faire exemple alors que tant de pratiques condamnables, contraires aux droits de l’homme, se développent, qu’il s’agisse d’enlèvements arbitraires et clandestins en Europe, de prisonniers internés sans avoir été jugés à Guantanamo ou de la multiplication des exécutions en Chine.

Je suis fier que notre assemblée s’apprête à faire reculer la barbarie, fier que ce vote fasse aujourd’hui l’objet d’un consensus des familles politiques républicaines qui font de l’idéal démocratique leur objectif.

Paris accueillera, du 1er au 3 février 2007, le troisième congrès mondial contre la peine de mort. Décideurs de l’abolition du monde entier mais aussi citoyens et militants viendront débattre des stratégies en cours. L’abolition universelle de la peine capitale doit être désormais notre objectif et notre vote un encouragement pour celles et ceux qui aujourd’hui encore, dans de trop nombreux pays, se mobilisent contre la mise à mort par l’État. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

M. Richard Dell’Agnola – Ce projet a un caractère exceptionnel en ce qu’il tend à inscrire dans notre Constitution l’abolition de la peine de mort votée en 1981 et confirmée en 1986 par la signature et la ratification, par la France, de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le débat de fond a déjà eu lieu il y 26 ans, et il ne s’agit pas de revenir sur une décision dont la charge symbolique est forte et qui correspond à l’évolution générale des opinions publiques, qui semblent avoir majoritairement renoncé à soutenir la peine capitale, même si les peines de substitution annoncées à l’époque de l’abolition n’ont pas été réellement mises en place. Pourquoi donc modifier notre Constitution alors que, depuis longtemps, la France compte parmi les pays abolitionnistes ? Pourquoi ce vote aujourd’hui, puis en Congrès à Versailles, sur une peine qui n’existe plus dans notre droit ? C’est qu’il ne s’agit pas simplement de transposer dans notre loi fondamentale l’abolition décidée en 1981.

Actuellement, la Convention européenne des droits de l’homme, en son article 6, permet aux États signataires favorables à l’abolition de recourir à la peine capitale « en temps de guerre ou de menace imminente de guerre. Cette sauvegarde, prévue dans le texte ratifié par la France en 1986, participe donc de notre droit. Certes, un nouvel article 13 de la Convention abolit la peine de mort « en toutes circonstances ». Mais si le Gouvernement français a signé ce nouveau protocole en 2002, le Parlement ne l’a pas ratifié ; nous sommes donc toujours dans la situation où la guerre ou sa menace imminente rend possible l’application de cette peine. Le nouveau protocole aurait pu, depuis cinq ans, être soumis à la ratification du Parlement ; cela n’a pas été fait. Pourquoi alors, en cette fin de législature, modifier la Constitution ?

En réalité, ce projet vient en discussion parce qu’une décision du Conseil constitutionnel, consulté par le Gouvernement, y oblige. Cette décision, rendue le 13 octobre 2005, porte sur le protocole n° 13 de la Convention des droits de l’homme relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances, adopté à Vilnius le 3 mai 2002, et sur le deuxième protocole facultatif adopté à New York le 15 décembre 1989.

Le Conseil constitutionnel dit que le protocole de Vilnius n’est pas contraire à la Constitution puisqu’il peut être dénoncé dans les conditions fixées par l’article 58 de la Convention. Mais il n’en va pas de même pour le deuxième protocole facultatif visant à abolir la peine de mort, adopté à New York le 15 décembre 1989, que le Conseil constitutionnel estime contraire à la Constitution car « cet engagement lierait irrévocablement la France même dans le cas où un danger exceptionnel menacerait l’existence de la nation et qu’il porte dès lors atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale... »

Or, c’est ce protocole qui est visé dans l’exposé des motifs du projet qui nous est soumis. De fait, la modification de la Constitution permettra la signature du protocole de New York, que la France ne pourra plus dénoncer, même en cas de danger exceptionnel menaçant l’existence de la nation.

On mesure l’enjeu – étant précisé qu’il ne s’agit pas d’ouvrir un nouveau débat général sur la peine capitale appliquée en temps de paix pour des crimes de droit commun.

Le protocole de New York est irrévocable. Or, qui peut affirmer que notre pays ne sera jamais confronté à des menaces qui pourraient mettre en cause la nation ? Nous sommes dans le temps long de l’Histoire, dont nous savons malheureusement d’expérience qu’elle peut être tragique. Toutefois, les États signataires ont une possibilité, et une seule, de déroger à cet engagement irrévocable « pour les crimes de caractère militaire, d’une gravité extrême et commis en temps de guerre », à condition que la dérogation soit fondée sur une législation en vigueur à la date de la ratification et qu’elle ait fait l’objet d’une réserve formulée lors de celle-ci.

La dérogation est donc possible, elle est prévue dans le Pacte des Nations unies sur les droits civils et politiques, elle est en tous points conforme à ses principes. C’est pourquoi il serait prudent de la prévoir. Nous devons, à tout le moins, conserver cette possibilité en espérant n’avoir jamais à l’utiliser, comme l’ont fait une dizaine de pays qui ont émis des réserves – dont la Grèce, berceau de la démocratie. L’humanisme et les bons sentiments ne sont pas un bouclier suffisant, nous le savons.

Cette modification de la Constitution nous fait franchir un pas. L’abolition de la peine de mort votée en 1981 est un acquis en temps de paix et il n’est pas proposé de revenir sur cette disposition. En revanche, la signature de la Convention de New York par la France, sans que soit affirmée et prévue juridiquement la dérogation pour des crimes militaires d’une gravité extrême et en temps de guerre, rendra irrévocable une situation que même l’abolition votée en 1981 n’avait pas imposée. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Lionnel Luca – L’inscription de l’abolition de la peine de mort dans notre Constitution prétend affirmer que « la France défendra ainsi le caractère inviolable et sacré de la vie humaine » et qu’elle agira en faveur de l’abolition universelle de cette peine.

Dans l’absolu, on ne peut que souscrire à cette affirmation de principe, mais le réalisme impose à tous ceux qui exercent des responsabilités prudence et sens de la nuance. Car, ce faisant, on s’interdit aussi toute possibilité de modification législative ultérieure, en considérant qu’on se protège des émotions populaires, désormais jugées irrecevables. C’est sans doute louable, à cela près que le peuple n’a jamais eu à se prononcer sur ce sujet d’une importance particulière…

M. Noël Mamère – Mais si ! Par la voix de ses représentants !

M. Lionnel Luca – On lui a ainsi dénié toute maturité politique. C’est regrettable, la représentation nationale s’étant flattée, il y a vingt-cinq ans, d’aller à l’encontre de l’opinion, et expliquant aujourd’hui – à grand renfort de sondages dont on sait ce qu’il faut penser – qu’elle aurait évolué pour justifier de n’avoir pas à la consulter.

Personne ne peut considérer la peine de mort comme la meilleure réponse judiciaire au crime et à la barbarie, et tout doit être fait pour qu’une peine substitutive mette hors d’état de nuire ceux qui sont une menace pour la société. Le plus préoccupant dans la modification constitutionnelle qui nous est proposée, c’est qu’il ne s’agit pas seulement d’une affirmation de principe mais d’une obligation devant permettre la ratification du deuxième protocole de New York qui prescrit l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances et de manière irrévocable, irrévocabilité qui constitue un précédent inédit et qui impose une révision de la Constitution.

Dans sa décision du 13 octobre 2005, rendue à la demande du président de la République, le Conseil constitutionnel a considéré que « cet engagement lierait irrévocablement la France même dans le cas où un danger exceptionnel menacerait l’existence de la nation » et qu’« il porte dès lors atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté ». On comprend que l’inscription de l’abolition de la peine de mort dans la Constitution n’est pas seulement proposée pour des raisons humanistes mais qu’elle vise avant tout à rendre possible la ratification d’un protocole par lequel l’abolition de la peine de mort sera irréversible en toutes circonstances. Or, nos démocraties sont en état de guerre depuis le 11 septembre 2001 – et qui peut croire à l’irréversibilité de décisions prises dans le prisme étriqué de l’instant ? C’est un véritable défi prométhéen qui n’est pas sans rappeler celui des régimes totalitaires du XXe siècle. (Mouvements divers)

Pour autant, il est admis que les États signataires du deuxième protocole de New York peuvent déroger à cette règle, à condition qu’il s’agisse de punir des « crimes de caractère militaire, d’une gravité extrême et commis en temps de guerre ». Mais « cette faculté doit être fondée sur une législation en vigueur à la date de la ratification et avoir fait l’objet d’une réserve formulée lors de celle-ci ».

C’est ce que Richard Dell’Agnola, moi-même et une quinzaine de nos collègues vous proposons, et l’on comprendrait mal que la France des droits de l’homme et du citoyen s’interdise ce que la Grèce, mère de la démocratie…

M. Noël Mamère –  …et patrie des colonels…

M. Lionnel Luca –  …s’est autorisée. Cesare Beccaria lui-même n’admettait-il pas l’usage de la peine de mort quand il en allait de la sûreté publique ?

M. Jacques Myard – Très bien !

M. Lionnel Luca – Quant à l’argument selon lequel une évolution naturelle et inéluctable entraînerait vers l’abolitionnisme sans réserve, il est infirmé par le fait que les États les plus importants et les plus peuplés ne sont pas abolitionnistes, qu’il s’agisse des démocraties japonaise, indienne ou américaine. Encore ne citerai-je pas la dictature chinoise, dont certains vantent la justice expéditive. J’insiste aussi sur le fait que de nombreux pays abolitionnistes, tels le Brésil de M. Lula, ont inscrit cette réserve pour le temps de guerre.

Mais surtout, les menaces ne viennent plus aujourd’hui seulement des États, mais aussi d’organisations terroristes internationales, qui ont fait des victimes innocentes à New York, Bali, Bombay, Madrid et Londres, et pourraient en faire demain à Paris, Moscou ou Tokyo !

En février 1998, Oussama Ben Laden créait le Front islamique mondial…

M. Pierre Bourguignon – Vous n’avez pas l’impression d’en faire trop ?

M. Lionnel Luca –  …, en prononçant une fatwa : « La règle de tuer les Américains et leurs alliés, civils et militaires, est un devoir individuel pour chaque musulman qui peut le faire, partout où il est possible de le faire ». Le mépris des terroristes pour les conventions internationales, et surtout pour la vie et la liberté, impose une légitime défense, des moyens appropriés et proportionnés pour protéger notre peuple et notre nation.

Dans son livre Les religions meurtrières, Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, écrit : « Il vous faudra réapprendre à faire la guerre. Il vous faudra vous armer de patience et de conviction, et tracer bravement la ligne de défense en deçà de laquelle vous ne pourrez ni ne voudrez reculer. Il y va de la sauvegarde de vos valeurs, de vos libertés, de votre mode de vie. » Y renoncer est impardonnable au regard de l’Histoire, qui le jugera sévèrement (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. Noël Mamère – Démagogie bassement populiste !

Mme Marie-Anne Montchamp – Notre hémicycle bruit encore de la longue chaîne des orateurs qui ont construit, pas à pas, l’abolition de la peine de mort. Tous nous rappellent l’itération courageuse par laquelle le législateur, souvent contre l’opinion publique, a porté cette idée, fille de la Déclaration universelle des droits de l’homme, que la mort ne peut être un acte de justice. « La peine de mort est abolie » dispose l’article premier de la loi du 9 octobre 1981.

Aujourd’hui, le peuple souverain réalise la synthèse de notre histoire commune en proposant de dépasser la loi et d’inscrire dans la Constitution l’irréversibilité de ce qui sera désormais un principe de notre République : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ». Une synthèse pour un progrès collectif, selon le mot de Victor Hugo, qui s’exclamait en son temps : « La Constitution faite par et pour la France est nécessairement un pas dans la civilisation ». Les droits de l’homme sont depuis longtemps une quête passionnée de la France, qui a été aux avant-postes du combat pour proclamer leur caractère universel et sacré. Mais ce fut une synthèse difficile à établir impliquant de se réconcilier avec des temps douloureux de notre histoire : le général de Gaulle, faut-il le rappeler, avait lui-même été condamné à mort pour trahison et désertion en temps de guerre.

En scellant dans notre Constitution ce dernier acquis de la conscience collective, nous nous donnons la chance d’aborder une nouvelle étape. Le besoin de la force publique pour endiguer les violences individuelles fait place au poids symbolique de la puissance publique, qui fonde la justice dans une démocratie moderne. Cette acception nouvelle instaure une distance salutaire entre la régression des vengeances privées et l’action constructive de la justice, dans une société adulte qui n’a plus besoin de se référer au droit de grâce.

Cette évolution nous unit aux cent dix autres nations qui ont aboli la peine de mort, en droit ou en pratique. Mais l’inscription constitutionnelle de l’abolition confirme la place originale de notre pays sur la scène internationale. La France, sous l’impulsion du président de la République, conduit l’Europe à un engagement croissant et souligne le chemin qui reste à parcourir pour l’abolition universelle de la peine de mort.

Les États-Unis restent l’un des derniers grands pays démocratiques à l’appliquer.

M. Jérôme Rivière – Et le Japon ? Et l’Inde ?

Mme Marie-Anne Montchamp – Le 1er mars 2005, la Cour suprême des États-Unis a certes jugé inconstitutionnel le recours à la peine de mort contre des mineurs, mais ce n’est là qu’une faible avancée, même si elle a une charge symbolique et a permis d’épargner soixante-dix vies. Nous ignorons si cet arrêt s’applique aux détenus de Guantanamo Bay mineurs au moment des faits. En tout cas la résolution du Conseil de l’Europe du 26 avril 2005, après avoir rappelé l’indignation des États membres devant les actes terroristes inacceptables du 11 septembre 2001, a enjoint le Gouvernement américain de respecter la prééminence des droits de l’homme à Guantanamo Bay.

Désormais, la France agira avec plus de force en faveur du respect de ces droits. Alors qu’en cette triste fin d’année 2006, le monde consterné assistait à l’exécution de Saddam Hussein, la voix de la France, qui inscrivait à notre ordre du jour l’examen de ce projet de loi, était l’une des seules réponses crédibles à cet événement dont l’Histoire nous révélera la portée.

Pour toutes ces raisons, je suis heureuse et fière que mon pays inscrive le principe irrévocable de l’interdiction de la peine de mort dans sa loi fondamentale (Applaudissements sur certains bancs de l’UMP et sur les bancs du groupe UDF, du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jacques Myard – Voici la vingt-deuxième modification de notre Constitution.

M. Michel Vaxès – Et alors ?

M. Jacques Myard – Cette fois, vous nous en avez présenté trois d’un coup ! La Constitution est devenue une sorte de chiffon de papier (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), que l’on modifie sans cesse au gré des circonstances et des inspirations du moment. Mais comment comprendre une modification sur un point aussi essentiel que la peine de mort, alors que cette assemblée n’a plus que quelques semaines à vivre ? Est-ce la modification in extremis ou bien l’extrême-onction ? Pourquoi tant de hâte ? Y a-t-il péril en la demeure ?

Monsieur le ministre, je respecte l’opinion de ceux qui, comme vous, sont pour l’abolition complète de la peine de mort, même si je ne la partage pas. Mais chacun sait que l’abolition n’a rien résolu, parce qu’il n’y a pas de réelle peine de substitution. Et le débat se poursuivra : il est inutile de se retrancher derrière les textes, pactes ou protocoles, pour prétendre qu’il doit s’arrêter.

M. Noël Mamère – Les Français ont tranché !

M. Jacques Myard – C’est en effet une chose de vouloir abolir la peine de mort dans l’instant, c’en est une autre de croire, ou de feindre de croire, que cela vaudra pour l’éternité ! Certes, vous voulez conférer à cette abolition une valeur symbolique, en l’inscrivant dans la Constitution, mais si cela signifie que la peine de mort doive être abolie en tous temps, en tous lieux, en toutes circonstances, que messieurs les assassins commencent ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Pierre Bourguignon – Lamentable !

M. Jacques Myard – Croyez-vous que le peuple se satisfasse d’envolées lyriques ? Qui peut dire que les temps terribles que les peuples ont connus durant la Seconde Guerre mondiale sont à jamais révolus ?

M. Noël Mamère – On ne lave pas le sang par le sang !

M. Jacques Myard – Gardez-vous des paroles définitives, cher ami, car vous pourriez être le premier à dire le contraire demain !

M. Noël Mamère – Certainement pas !

M. Jacques Myard – Ces épreuves terribles peuvent revenir, et nous le savons ; il sera alors légitime de juger et de condamner des assassins comme ils le furent à Nuremberg !

Voilà pourquoi j’estime que cette question doit être posée au peuple, qui est le seul souverain. Mais sans doute avez-vous peur du peuple !

M. Noël Mamère – Vous voulez la loi du talion !

M. Jacques Myard – Vous en êtes resté à des slogans, Monsieur Mamère…

M. Noël Mamère – Vous, vous êtes resté au dix-neuvième siècle !

M. Jacques Myard – Vous ne pourrez jamais enfermer le peuple souverain dans des règles que vous voudriez irréversibles ; si les circonstances le commandent, il reprendra ce que vous voulez lui retirer. Je vous demande donc d’entendre ceux qui pensent que la survie de la nation et la dignité de la vie humaine doivent sceller le sort des terroristes et des assassins : vous devez retirer ce projet constitutionnel, afin de soumettre la question au peuple ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)

Mme Muguette Jacquaint – Ce discours ne vous grandit pas !

M. Pierre Lequiller – Vingt-cinq ans après l’abolition de la peine capitale dans notre pays, le 9 octobre 1981, ce projet de loi constitutionnelle est la dernière étape de notre chemin. Il faut rendre hommage au combat courageusement mené par Robert Badinter pour faire abolir cette peine brutale et inhumaine, contraire au principe de dignité, qui est l’un des premiers des droits de l’homme.

De dramatiques erreurs judiciaires démontrent la nécessité d’abolir universellement la peine capitale, qui n’est jamais un acte de justice et qui n’a jamais fait baisser la criminalité. C’est au contraire une violation du droit le plus fondamental, celui de chacun à voir respecter son existence par l’État.

L’abolition de la peine de mort est une valeur universelle, au fondement de notre République et de l’Europe tout entière. Déjà inscrite à l’article 2 de la Charte européenne des droits fondamentaux, elle doit également figurer dans notre Constitution. N’oublions pas en effet que tous les pays européens ont procédé à cette abolition, condition nécessaire pour adhérer à l’Union.

Reconnue candidate à l’adhésion en 1997, la Bulgarie a modifié son code pénal en 1998 afin d’entamer les négociations en 2000. Même la Turquie, simple pays candidat, a supprimé en 2004 la peine de mort. L’Union européenne, qui fédère des États aux valeurs humanistes communes, doit continuer à propager démocratiquement des valeurs universelles et ainsi aider à corriger les injustices criantes infligées par des systèmes répressifs trop sévères. En inscrivant l’abolition de la peine de mort dans sa Constitution, la France montrera une fois encore le chemin, à l’instar de l’Allemagne, de la Suède, du Portugal, mais aussi de la Slovénie et de la Roumanie.

Les chiffres relatifs à la pratique de la peine capitale dans le monde font encore froid dans le dos. Certes des progrès ont été accomplis, mais la route reste encore longue vers l’abolition totale. Pour mener ce combat, ONG locales et internationales, institutions et représentants politiques doivent œuvrer de concert. La Commission européenne, qui apporte son soutien financier aux projets des ONG, doit également continuer son action auprès des pays qui appliquent toujours la peine capitale. L’abolition est en effet un vecteur d’humanisation et de pacification des relations internationales.

En constitutionnalisant l’interdiction de la peine de mort, la France réalisera un acte politique très fort, puisque l’abolition deviendra irréversible.

Cette révision constitutionnelle emportera également d’importantes conséquences juridiques : alors que la loi de 1981 et le sixième protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme laissaient à la France la possibilité de recourir à la peine de mort en cas de guerre, la France va pouvoir ratifier le protocole signé à New York en 1989, de même que le protocole n° 13 de la Convention européenne, dont l’objet est de prohiber la peine capitale même en cas de guerre et de danger public menaçant la vie de la nation. Conformément à une décision rendue en 2005 par le Conseil constitutionnel, notre pays ne pourra en effet procéder à la ratification de ces deux traités, les plus aboutis en la matière, qu’au terme d’une révision constitutionnelle.

À ce jour, la France compte parmi les sept derniers États membres du Conseil de l’Europe à ne pas avoir ratifié le protocole n° 13, et demeure, avec la Pologne, le seul pays à ne pas avoir ratifié le protocole de New York. Pays des droits de l’homme et des Lumières, il est temps qu’elle s’y décide enfin !

Le présent texte revêt aussi une très forte portée symbolique : par le caractère exemplaire de son geste, notre pays démontrera toute l’importance qu’il attache à la disparition totale et inconditionnelle de la peine capitale dans l’arsenal répressif de tous les États. J’ose espérer qu’ainsi, nous ferons progresser la cause abolitionniste, notamment aux États-Unis, en Chine, au Japon ou au Moyen-Orient, et nous inciterons les États à ratifier les instruments régionaux et internationaux.

L’actualité n’a pas manqué, en effet, de rappeler la brutalité et le caractère contre-productif de la peine capitale : Saddam Hussein restera certes dans toutes les mémoires comme un dictateur sanguinaire et détestable, mais son exécution, condamnée par l’Union européenne, n’a rien réglé et elle privera les victimes de leur droit de savoir, tout en attisant les violences.

Il faut donc saluer l’Italie, qui a relancé au cours de son mandat au Conseil de sécurité de l’ONU la proposition d’un moratoire international sur la peine de mort. Nous devons soutenir cette démarche, car c’est ensemble, avec tous nos partenaires européens et internationaux, que nous pourrons faire progresser la cause abolitionniste dans le reste du monde.

Pour toutes ces raisons, je voterai ce projet de loi constitutionnelle avec la conviction d’être juste et la fierté de me comporter avec humanité. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Marylise Lebranchu – Après avoir été le pays des libertés au XVIIIe siècle, la France du XXe a participé, en modifiant sa législation, à un combat abolitionniste qui doit désormais devenir mondial. Puisse le XXIe confirmer cet engagement en faveur de la civilisation !

Si l’abolition ne s'impose pas encore partout, le débat s’engage même aux États-Unis, où les certitudes vacillent – j’en veux pour preuve la déclaration faite en juillet 2001 par Sandra Day O'Connor, éminente magistrate à la Cour suprême. Nul ne peut plus rester indifférent devant le sort des innocents qui croupissent dans le couloir de la mort.

Outre le cas scandaleux de l’innocent condamné à mort, sacrilège suprême, nous devons nous pencher sur le sort inacceptable réservé au coupable : quel que soit le mode d'exécution, la peine de mort est en effet une forme de torture, tandis que l'emprisonnement des condamnés à mort pendant de longues années, avec la perspective constante d’une exécution, constitue un « traitement inhumain et dégradant » au sens de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Vingt ans après avoir aboli la peine de mort dans notre pays, nous conservons un devoir de vigilance, en dépit d’un consensus apparent entre les partisans convaincus de l’abolition et ceux qui s’y sont résignés, et même si nous l’avons consacrée par des instruments juridiques. Les pulsions de mort demeurent en effet chez ceux qui dénoncent les crimes, mais la justice doit rester dépassionnée, neutre et sereine. Voilà pourquoi nous devons continuer à donner vie au combat abolitionniste.

Mais comment sanctionner les crimes les plus graves, une fois interdite la peine capitale, acte barbare qui punissait une indignité par une autre ? On ne remplace pas la peine de mort, on la supprime.

Certains affirment que la condamnation à perpétuité substitue à la peine de mort une « peine de vie », lorsque l’emprisonnement est d'une durée insupportable pour celui qui la subit. Selon la formule de Gabriel Tarde, « ce n'est plus faire mourir sans faire souffrir, mais faire souffrir sans faire mourir ».

Le combat abolitionniste nous impose donc de réfléchir sur la condition pénitentiaire et le sens de la peine. Les conclusions déposées par deux commissions d'enquête parlementaires, à l'Assemblée et au Sénat, ne peuvent rester lettre morte. Ne nous cantonnons pas à la seule question de l'immobilier pénitentiaire ! Nous devons séparer le temps du jugement, temps du passé, qui débouche sur la punition des actes commis et la réparation due à la société et à la victime, et le temps de l'exécution de la peine, temps de l'avenir, qui ne peut faire abstraction de l’espoir qui anime tout homme, quelle que soit l'horreur de ses crimes. Pour notre sécurité même, il faut reconstituer le lien social lorsque c'est possible, en gardant à l'esprit qu’une peine n’a de sens que si elle connaît une fin, et que tout détenu peut être appelé à sortir de prison… La préparation des détenus à cette sortie est le premier gage de sécurité que nous devons offrir à nos concitoyens.

Le principe de l’abolition que nous allons inscrire dans notre Constitution nous incite à ne plus légiférer en écoutant notre peur. Il est grand temps de faire une place plus grande à la raison, à la conscience et à la dignité. Malgré les sentiments naturels de colère et de rage que chacun éprouve devant des actes barbares, qu'ils soient le fait d'individus isolés ou de groupes terroristes, nous devons consacrer le choix de la justice et de la raison et rejeter toute forme de vengeance. La personne humaine étant au-dessus de l'État, l’action publique doit obéir à des principes fondamentaux, ceux des droits de l'Homme.

Nous devons regarder en face la situation de nos prisons et nous souvenir que la répression des crimes les plus graves, les plus insupportables et les plus inconcevables engage notre conception de la justice. Celle-ci ne doit jamais être la loi du plus fort, à moins de légitimer la violence de la nature et l'archaïque loi du talion. Si nous voulons plus de dignité, plus de sécurité et plus de paix, nous ne pouvons pas fonder nos lois sur des sentiments ou des émotions. Établir des lois, c’est s'arracher au trouble, à la fureur et à la vindicte pour suivre des principes raisonnés et dépourvus de colère. Avec Victor Hugo, nous devons admettre que la société ne doit pas punir pour se venger : elle doit corriger pour améliorer. Souvenons-nous également des propos de Camus : la peine de mort fait vomir l'honnête homme qu'elle est censée protéger…

La justice ne peut être la mort infligée au nom de la société ou d’une prétendue sagesse collective. Elle ne peut pas tuer. Elle ne peut pas conduire à l’irréparable. Je le dis solennellement : la société doit être bâtie sur des valeurs différentes de celles qu’elle condamne, et tout d’abord sur le respect de la personne humaine, de sa vie et de son intégrité.

Saluer l’abolition de la peine de mort, c’est également saluer Robert Badinter dont le nom, avec ceux de François Mitterrand et de Raymond Forni, rapporteur du texte, restera attaché à cette cause. Le combat de Robert Badinter a trouvé son achèvement dans cette loi du 9 octobre 1981, qui nous rend fiers d’être Français.

L’idée abolitionniste progresse, mais certaines peurs pourraient être ranimées. Nous ne serons sereins que lorsque la France aura fait en sorte que la justice soit fondée sur un véritable sens de la peine. Mais je suis d’ores et déjà fière d’être parlementaire française ! La France accueillera désormais avec plus de conviction encore la prochaine conférence internationale pour l’abolition de la peine de mort. Je remercie tous ceux qui ont soutenu cette initiative. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des députés communistes et républicains, du groupe UDF et plusieurs bancs du groupe UMP)

M. Roger-Gérard Schwartzenberg – Je salue l’initiative du chef de l’État visant à inscrire dans la Constitution l’interdiction de la peine de mort. Le 14 mars 1980, député au Parlement européen, j’avais déposé une proposition de résolution visant à abolir le châtiment suprême dans la Communauté européenne. Sur dix États, six l’avaient aboli en droit, trois autres en fait. Restait la France, avec dix-sept exécutions capitales sous la Ve République dont trois sous le septennat de M. Giscard d’Estaing.

L’Europe n’est pas qu’un marché commun, c’est aussi une civilisation commune fondée sur le respect de la vie et de la dignité humaine, même pour ceux qui y ont attenté. Il était donc nécessaire d’harmoniser le droit pénal.

Par ailleurs, l’application de la peine de mort peut conduire à des erreurs judiciaires irréparables. Victor Hugo disait que, pour lui, la guillotine s’appelait Lesurques, du nom de l’innocent guillotiné dans l’affaire du Courrier de Lyon. Pour moi, elle s’appelle Ranucci. Comment peut-on admettre en la matière le droit à l’erreur ?

Enfin, de nombreuses statistiques établissent que la criminalité sanglante n’a pas augmenté dans les États abolitionnistes car d’autres peines, comme celle de l’emprisonnement de longue durée, peuvent aussi être dissuasives. La peine de mort est un châtiment cruel, pour ne pas dire barbare, une sorte de rite primitif qui heurte notre conscience. Personne n’oublie certes les victimes non plus que le caractère odieux des crimes de sang, mais le propre d’une civilisation n’est pas de répondre à la violence par la violence et au sang par le sang.

Le 18 juin 1981, le Parlement a voté cette proposition de résolution, première avancée qui précéda de quelques mois le vote de l’abolition de la peine de mort par notre Parlement. Quelques semaines avant mai 1981, j’avais reçu un appel téléphonique de la mère de Philippe Maurice. Sachant que ma proposition de résolution allait être prochainement examinée, celle-ci me demandait si son adoption pouvait sauver son fils de la guillotine. Je n’oublierai jamais cette voix de mère, à la fois digne et désespérée, essayant d’intercéder pour son fils. Philippe Maurice, alors âgé de 24 ans, avait été condamné à mort pour le meurtre d’un policier. Après un vol et à la suite d’une poursuite, il s’était retrouvé avec son ami d’enfance Serge Attuil dans une impasse près de la rue Morge. Une fusillade intervint et Attuil fut abattu alors qu’il venait de tuer un policier. Philippe Maurice, craignant d’être abattu à son tour, tira pour se dégager et tua un second policier. Finalement, le 25 mai 1981, sa condamnation à mort a été commuée en réclusion à perpétuité par le président Mitterrand. J’ai à nouveau croisé le sort de Philippe Maurice en 2000, alors que j’étais ministre de la recherche. En prison, il s’était remis aux études et avait accompli un véritable travail de bénédictin, déchiffré plus de 40 000 pages en latin et rédigé une thèse de 1 880 pages sur « La famille au Gévaudan au XVe siècle », soutenue à l’Université de Tours en décembre 1995, et pour laquelle il a obtenu une mention très honorable et les félicitations du jury.

M. Jérôme Rivière – Que faisait la famille du policier tué pendant ce temps ? C’est indécent !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg – Docteur en histoire, spécialisé dans le Moyen-âge, Philippe Maurice est devenu un scientifique dont les travaux sont reconnus par la communauté scientifique.

M. Jérôme Rivière – Un peu de dignité !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg – À l’automne 1999, il a été placé en semi-liberté puis il a bénéficié en mars 2000 d’une libération conditionnelle. En 2000, j’ai été appelé à autoriser son recrutement comme chargé de recherche au CEA. Depuis, il travaille au CNRS et à l’École des hautes études en sciences sociales. Le professeur d’histoire médiévale Bernard Chevalier, membre de son jury de thèse, a déclaré : « Les études ont permis à cet homme de se reconstruire. Il n’y a personne qui ne puisse être sauvé par la société ». Philippe Maurice a dit lui-même : « Il faut qu’un homme, quel qu’il soit, puisse changer ». La société lui a donné une seconde chance et elle a bien fait.

En inscrivant dans sa Constitution l’interdiction de la peine de mort, la France enverra un message très fort à la communauté internationale car plusieurs pays usent encore du châtiment suprême. La plupart sont des régimes autoritaires comme la Chine, l’Iran ou l’Arabie Saoudite mais certains sont démocratiques, comme les États-Unis ou le Japon. Retrouvons la grande voix de Victor Hugo, de Lamartine, de Gambetta, de Clemenceau, de Briand plaidant dans cet hémicycle pour l’abolition ! Comme l’a fait la France en 1981, la communauté des nations tout entière doit mettre la peine de mort hors la loi !

« La peine de mort, disait Jaurès, est contraire à ce que l’humanité depuis deux mille ans a pensé de plus haut et rêvé du plus noble ». En votant ce texte, nous lançons un appel à la conscience universelle pour que la vie l’emporte sur la mort, définitivement et partout, ici et maintenant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des députés communistes et républicains, et sur plusieurs bancs du groupe UMP)

La discussion générale est close.

Motion de renvoi en commission

M. le Président – J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du Règlement.

M. Pierre Bourguignon – La motion de renvoi en commission est défendue.

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.

M. Jérôme Rivière – Rappel au Règlement, au titre de l’article 91, alinéa 7, qui dispose qu’« après la clôture de la discussion générale, il ne peut être mis en discussion et aux voix qu’une seule motion tendant au renvoi à la commission saisie au fond de l’ensemble du texte en discussion, et dont l’effet, en cas d’adoption, est de suspendre les débats. » Si, formellement, on peut estimer que le Règlement est respecté, je ne peux néanmoins que constater qu’il s’agit là de la troisième manœuvre de flibusterie parlementaire de l’après-midi, pour éviter la discussion. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des députés communistes et républicains) Défendre vraiment une motion de procédure, c’est s’expliquer sur le fond ! Aujourd’hui, c’est une coalition de pensée unique ! En à peine deux heures, nous avons évacué trois motions de procédure et une discussion générale ! Les Français jugeront.

M. le Président – Les Français jugeront mais il n’y a eu aucune flibusterie parlementaire, le Règlement ayant été respecté à la lettre.

J’appelle dans le texte du Gouvernement l’article unique du projet de loi constitutionnelle.

ARTICLE UNIQUE

M. Jérôme Rivière – Je dénonce une fois de plus les manœuvres et les arrangements en coulisse pour censurer la libre expression ! Vous avez procédé à trois manœuvres de flibusterie indignes des traditions démocratiques de notre assemblée pour que seule la pensée unique se fasse entendre. Vous avez tort, et la majorité le sait, mais pétrifiée par le poids croissant des partis et par ce que Nicolas Hulot appelle les consignes partisanes, elle n’ose s’exprimer en conscience mais personne n’est dupe !

M. Michel Hunault – C’est minable !

M. Jérôme Rivière – Vous croyez aux chimères d’un monde idéal où, comme le disait le président de la Commission européenne, « aucun être humain n’a le droit de retirer la vie à un autre être humain ». À l’image du Pacte Briand-Kellog de 1928 qui déclarait la guerre « hors-la-loi », vous vous complaisez dans les songes creux de l’idéalisme !

Sans remettre en cause la loi Badinter, des raisons majeures s’opposent à l’adoption de ce texte. Je n’insiste pas sur la dénaturation de notre Constitution, modifiée à dix-neuf reprises depuis sa publication et onze fois depuis 1995. Ce n’est pas un texte où doivent s’inscrire, au gré du désir qu’ont nos chef d’État de marquer l’histoire, des chartes, des déclarations ou des postures morales. Le Conseil constitutionnel s’est lui-même ému de ces modifications incessantes.

M. le rapporteur Houillon évoque en outre « la politique efficace de lutte contre le terrorisme menée ces dernières années ». Cette formule sonne bien du haut de la tribune mais prenons garde aux affirmations péremptoires ! Je ne suis pas certain que les victimes des attentats de New York, Madrid et Londres partagent ce constat. Sur tous les autres sujets – environnement, consommation – nous défendons le principe de précaution. Au nom de ce principe, avons-nous le droit de lier ainsi notre pays ? Il me semble qu’en l’absence de certitude quant à la nature ou à l’évolution du terrorisme, lier notre pays même dans le cas où un danger exceptionnel menacerait l’existence de la nation constitue une décision très dangereuse. En votant ce texte et en l’inscrivant dans la Constitution afin de ratifier le 2e protocole de New York, nous votons l’abrogation de notre souveraineté nationale ! Le rapporteur le sait bien même s’il a tenté sans succès de s’en défendre. Selon le rapport, la souveraineté nationale peut être définie comme le « caractère suprême d’une puissance pleinement indépendante » et « permet que son détenteur puisse défaire ce qu’il a fait. Elle s’oppose donc à toute irrévocabilité définitive ». Bien embarrassé, le rapporteur crée ainsi la notion d’irrévocabilité temporaire ! Mais la décision du 13 octobre 2005 du Conseil constitutionnel est explicite : porte atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale l’adhésion irrévocable à un engagement international touchant à un domaine inhérent à celle-ci. En ratifiant le 2e protocole, nous portons directement atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté.

C’est au nom d’« une certaine idée de la France » que le Général de Gaulle a inspiré puis proposé aux Français notre Constitution. Il était convaincu que le poids de notre Histoire confère à la France une position particulière au sein du concert des nations. N’oublions pas qu’il appelait l’ONU « le machin » ! En ratifiant le deuxième protocole facultatif de 1989, nous soumettons notre souveraineté à un traité dont la compétence est reconnue non pas à l’ONU, mais au Comité des droits de l’homme de l’ONU, dont chacun connaît la composition fluctuante et les prises de positions au radicalisme déroutant.

Tout cela pourrait prêter à sourire si ces chimères ne nous conduisaient à ligoter la France en oubliant les réalités internationales. Avec ce texte, nous faisons semblant de croire à une morale des États, à l’existence du mal, à la réalité d’une éthique universelle. C’est du messianisme, dont la première conséquence est l’asservissement de notre pays. Notre assemblée est-elle légitime à s’exprimer sur ce sujet à quelques semaines de son renouvellement ? J’affirme que non. Seul le peuple français, consulté par référendum, peut renoncer à la souveraineté de notre pays.

M. le Président – Permettez-moi de vous dire que l’Assemblée est légitime jusqu’au dernier jour de son mandat. (Applaudissements sur de nombreux bancs)

Nous en arrivons à l’examen des amendements à l’article unique.

M. Jacques Myard – Les amendements 1 et 2 sont défendus.

Les amendements 1 et 2, repoussés par la commission et par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Lionnel Luca – Dans sa décision du 13 octobre 2005, le Conseil constitutionnel a estimé que le deuxième protocole de New York lierait irrévocablement la France, même dans le cas où un danger exceptionnel menacerait l’existence de la nation, qu’il porte dès lors atteinte aux « conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale » et que sa ratification ne peut donc intervenir qu’après révision de la Constitution. Rappelons que selon le Comité des droits de l’homme de l’ONU, « les droits consacrés dans le Pacte appartiennent aux individus qui vivent sur le territoire de l’État partie. Dès lors que des individus se voient accorder la protection des droits qu’ils tiennent du Pacte, cette protection échoit au territoire, et continue de leur être due, quelque modification qu’ait pu subir le gouvernement de l’État partie, y compris du fait d’un démembrement en plusieurs États ou d’une succession d’État, et en dépit de toute mesure que pourrait avoir prise ultérieurement l’État partie en vue de les dépouiller des droits garantis par le Pacte. » Cela va très loin. Dès lors que la garantie de la liberté et de la dignité de l’individu incombe à la nation, il n’y a donc rien d’indigne, nous semble-t-il, à préciser que l’abolition de la peine de mort se conçoit « sauf lorsque l’existence même de la nation est menacée ». Tel est l’objet de l’amendement 3.

MM. Jacques Myard et Jérôme Rivière – Très bien !

M. le Rapporteur – La commission a repoussé cet amendement. La peine de mort n’a jamais empêché aucun dictateur ni aucun terroriste de perpétrer des actes criminels ; les attentats du 11 septembre ont été commis alors même qu’elle est en vigueur dans l’État de New York. Sur un plan pratique, elle est donc inutile.

Mme Muguette Jacquaint – Absolument !

M. le Rapporteur – Le protocole de New York de 1989, dit deuxième protocole, ouvre en effet à tout État signataire la possibilité d’émettre une réserve – ce que proposent cet amendement et le suivant – à condition qu’il dispose avant d’émettre cette réserve d’un texte prévoyant cette restriction, ce qui n’est pas le cas de la France à ce jour. Je vous indique qu’aucun des États signataires du protocole n’a émis de réserve – ce qui, me direz-vous, n’empêche pas la France de le faire. Surtout, le protocole n° 13 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme ne prévoit aucune possibilité de réserve : l’abolition de la peine de mort est universelle. Adopter cet amendement ou le suivant nous empêcherait donc de signer le protocole n° 13, comme l’ont fait tous les pays européens.

M. Jacques Myard – Et alors ?

M. le Rapporteur – C’est un problème d’image. Vous proposez une abolition « petit bras », qui ternirait inutilement l’image de la France. La commission est donc défavorable à cet amendement comme au suivant. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP)

M. le Garde des sceaux – Tous ces amendements ont pour objet de limiter la portée du texte. Le but de celui-ci est de nous permettre de ratifier des accords internationaux qui rendent définitive et irréversible l’abolition de la peine de mort. Il serait paradoxal d’accepter des amendements qui reviennent en arrière par rapport à la loi de 1981, laquelle prévoit l’abolition de la peine de mort en toute circonstance. Allons au contraire de l’avant : il faut permettre la ratification du protocole n° 13. C’est pourquoi nous ne pouvons accepter le moindre amendement. (Applaudissements sur plusieurs bancs)

M. Lionnel Luca – Je regrette que l’on fasse une confusion entre mon amendement 3 et l’amendement 4 de Richard Dell’Agnola. Ce dernier reprend les termes mêmes du protocole de New York : vous seriez bien inspirés de le regarder ! Pour ma part, je me fonde sur la décision du Conseil constitutionnel du 13 octobre 2005 – à laquelle vous faites référence, mais sans la citer, ce qui laisse penser que vous êtes mal à l’aise sur le plan juridique. Cette décision dit clairement que nous devons modifier la Constitution parce que ce protocole porte atteinte à l’existence même de la nation. C’est pourquoi il est essentiel de préciser que la peine de mort est abolie « sauf lorsque l’existence même de la nation est menacée ».

M. le Rapporteur – Le dernier paragraphe de l’exposé sommaire de votre amendement dit bien que « la France doit se garder la possibilité de se protéger de groupes ou États terroristes qui pourraient la menacer à grande échelle avec des armes chimiques ou nucléaires. »

M. Jacques Myard – Oui.

M. le Rapporteur – Vous pensez donc que cet amendement empêchera les actes terroristes.

M. Jacques Myard – Mais non !

M. le Rapporteur – Or ce n’est pas notre avis.

Vous faites d’autre part dire au Conseil constitutionnel tout autre chose que ce qu’il a dit. Il n’a jamais dit qu’il fallait inscrire cette réserve ; il a simplement constaté que la ratification du protocole de New York entraînait l’irrévocabilité – qui a à voir avec la souveraineté.

M. Jérôme Rivière – Avec l’abandon de souveraineté !

M. le Rapporteur – Il fallait donc, pour permettre sa signature, inscrire l’abolition de la peine de mort dans la Constitution. Je rappelle que les États qui ont signé le protocole n’ont pas émis de réserves. L’Italie, qui en avait émis une du type de celle proposée par l’amendement 4, l’a levée. Je rappelle également que contrairement à l’ensemble des pays européens et après avoir été l’un des derniers à abolir la peine de mort, notre pays n’a pas encore signé le protocole n° 13, qui ne permet aucune réserve. Adopter ces amendements empêcherait cette signature. Ce serait aller à contre-courant de l’objectif du texte, mais aussi de l’opinion publique. (Applaudissements sur plusieurs bancs)

M. Jacques Myard – Monsieur le ministre, vous ne voulez aucune modification pour pouvoir ratifier les deux protocoles. C’est prendre un engagement au nom de la nation qui cadre mal avec les réalités du monde dans lequel nous vivons. Vous voulez que, de façon irrévocable, on ne puisse plus jamais condamner à mort et exécuter. Mais il n’est pas de texte qui ne puisse être dénoncé. Vous croyez peut-être prendre toutes les précautions en vous abritant derrière toutes sortes de pactes et protocoles ; mais si un jour, le peuple en a assez que des terroristes posent des bombes sans être châtiés, il se lèvera, ne vous en déplaise, et on changera la Constitution ! Vous voulez bannir pour l’éternité un sujet qui reviendra devant nous dans les cinq à dix ans ; c’est un pari irrréaliste au vu de la marche du monde. En voulant ratifier absolument ces deux pactes, d’une certaine façon, vous condamnez Nuremberg (Exclamations sur bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Muguette Jacquaint – Quel dérapage !

M. Jacques Myard – Vous pouvez parler !

Moi, je ne condamne pas Nuremberg, je l’applique.

M. Noël Mamère – Je soutiens les propos du rapporteur. Ceux qui ont signé cet amendement me paraissent être un quarteron de populistes, désespérément à la recherche d’une opinion qui serait toujours favorable à la peine de mort. Vous avez, Messieurs, des âmes de bourreaux.

M. Lionnel Luca – Quelle prétention !

M. Noël Mamère – Vous êtes d’ailleurs ceux-là même qui ont voulu écrire dans la loi que la colonisation était porteuse de bienfaits. La politique n’oblige pas à la démagogie. Vous voulez revenir dans vos circonscriptions en disant au bon peuple que vous avez défendu la peine de mort, et sa sécurité. Mais vous êtes ici détenteurs d’une part de la souveraineté nationale, et il n’est nul besoin de référendum pour décider.

M. Jacques Myard – Il a peur du peuple !

M. Noël Mamère – Inscrire l’abolition de la peine de mort dans la Constitution, ce n’est pas faire preuve d’humanisme, c’est faire avancer le droit, et par là même, faire reculer la barbarie. La nature, que vous invoquez, est violence et loi du plus fort. Le droit la civilise pour nous défendre contre toutes les violences. On ne peut répondre à la barbarie par la barbarie, et l’honneur des démocraties, c’est de croire en la repentance, en la possibilité pour l’individu de se racheter de ses crimes. C’est au nom de ces valeurs que nous représentons le peuple et qu’en son nom, nous allons faire progresser le droit et protéger la démocratie. La meilleure manière de la protéger contre la barbarie, c’est d’abolir la peine de mort dans toutes les circonstances, et donc de se lier par des protocoles internationaux, qui, dans la hiérarchie des normes, l’emportent sur le droit français. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Pierre Bourguignon – Dans cet hémicycle, en 1981, j’ai voté l’abolition de la peine de mort.

M. Jérôme Rivière – Pourquoi avez-vous voté des motions sur ce texte ?

M. Pierre Bourguignon – Le débat a été profond, sans étroitesse ni mesquinerie. Je ne voudrais pas qu’il soit gâché par des dérapages de fin de séance. À Versailles bientôt, le Parlement réuni votera définitivement l’abolition. Ce n’est pas une question de sondages et d’opinion. Nous nous inscrivons dans le mouvement qui, depuis des siècles, nous a permis d’abandonner la loi du talion, l’esprit de vengeance individuelle ou collective, au profit du droit.

Telle est la hauteur de l’enjeu. J’en appelle à vous tous, avec émotion, pour poursuivre dans cette voie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. François Loncle – Je tiens à mon tour à soutenir les arguments du rapporteur. Nous sommes quelques-uns ici, Muguette Jacquaint, Pierre Bourguignon, d’autres sans doute, à avoir voté l’abolition de la peine de mort en septembre 1981, et nous en sommes fiers.

M. Jean-Pierre Soisson – D’autre sur tous les bancs ! Je l’ai votée aussi !

M. François Loncle – Comme Jean-Pierre Soisson, bien sûr. Nous nous souvenons des arguments échangés. Mais l’abolition est un droit fondamental et une valeur universelle, qui ne peut souffrir d’exception. Or trois amendements commencent par « Sauf… » et le quatrième par « À l’exception… » Il faut donc absolument les rejeter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Michel Piron – J’approuve tout à fait ces propos. Dans cet amendement, on avance un pseudo-argument. En quoi l’absence de la peine de mort pourrait-elle menacer l’existence de la nation, en quoi son application la protégerait-elle ? Sur ce sujet, il n’est pas de demi-mesure. Je suis abolitionniste, je le suis totalement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

M. Jean-Pierre Soisson – J’ai voté en 1981 l’abolition de la peine de mort. Je m’honore d’appartenir à l’assemblée qui, aujourd’hui, va prolonger ce vote pour permettre à la France de signer les actes internationaux qui marqueront notre volonté de rendre cette abolition définitive. Dans cette situation, les réserves ne sont pas de mise. En ce moment un peu solennel – j’aurais souhaité un vote public – je demande à tous mes collègues de faire honneur à cette assemblée et à notre pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Marylise Lebranchu – Puisque l’on a évoqué Nuremberg, en 2001, à la demande de l’Allemagne, y fut organisée une conférence de juristes du Conseil de l’Europe. Entre temps eut lieu le 11 septembre. On imagine l’émotion qui s’empara de la conférence lorsqu‘elle se réunit. Et c’est dans ce climat que des Américains, proches des victimes, lurent des textes pour nous dire qu’à la barbarie il ne fallait pas répondre par la barbarie. On y dit aussi que cette barbarie avait été commise par des kamikazes, qui s’étaient donc infligé à eux-mêmes la peine de mort, et que créer une faille dans notre droit parce que cette barbarie existait serait une faute grave.

Par ailleurs, dans les pays où la peine de mort existe, il n’y a pas moins de crimes odieux contre les enfants. Tous les pays qui ont modifié leur législation sous le coup de l’émotion qu’un tel crime peut provoquer, ont essayé ensuite de faire marche arrière, car ils comprenaient qu’ils avaient renoncé à la justice pour la vengeance qui, qu’elle soit privée ou d’État, ramène à la barbarie. Conservons la justice, n’ouvrons pas la porte à la barbarie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des députés communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe UMP)

L'amendement 3, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Richard Dell'Agnola – Ne tombons pas dans l’outrance ou la caricature. Nous sommes, aujourd’hui encore, dans une situation d’exception. Le protocole n° 6 de la Convention européenne des droits de l’homme dit que la peine de mort est abolie, sauf en temps de guerre ou de menace imminente de guerre. En 1981, François Mitterrand comme Robert Badinter ont accepté ce protocole dans toutes ses conséquences.

Nous sommes toujours sous ce régime juridique, puisque nous n’avons pas ratifié le protocole 13 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif à l’abolition en toutes circonstances. Je tenais à le préciser pour l’édification de certains collègues, qui semblent considérer que je voudrais ajouter des exceptions. Je souhaite simplement maintenir le dispositif existant. D’accord pour inscrire l’interdiction de la peine de mort dans la Constitution, mais pas pour les crimes militaires d’une extrême gravité commis en temps de guerre. Et cette exception est bien prévue par le protocole de New York, dont personne ne peut raisonnablement prétendre qu’il soit contraire aux droits de l’homme !

Rien n’interdit donc de dire que la peine de mort est abolie, sauf dans ce cas précis. Quant à l’argument du rapporteur, je le trouve un peu spécieux : peut-être la menace de la peine capitale n’a-t-elle jamais dissuadé les tyrans de perpétrer leurs crimes, mais, à ce compte là, il faudrait aussi supprimer les peines d’emprisonnement puisqu’elles n’ont jamais empêché les délinquants de nuire ! (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Notre rapporteur indique aussi qu’en faisant entrer cette exception dans notre droit, nous nous priverions de la faculté de ratifier le protocole 13 de la Convention européenne des droits de l’homme. Peut-être, mais à quoi bon le faire, puisque nous embrassons un champ plus vaste en nous référant au texte universel des Nations unies, dont la portée est, par essence, supérieure. Dès lors que nous aurions adopté cette exception en nous conformant au protocole de New York, il deviendrait inutile de ratifier le protocole 13 de la Convention européenne des droits de l’homme.

MM. Jacques Myard et Jérôme Rivière – Très bien.

M. le Rapporteur – Avis défavorable, pour les raisons que j’ai déjà exposées. Il est inutile de les répéter car il n’est pas de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

M. Jacques Myard – Nous vous retournons le compliment !

M. le Rapporteur – Notre collègue Dell'Agnola veut nous faire croire que l’abolition souffre des exceptions : cela n’est pas vrai. Le fait qu’un traité permette d’envisager des réserves ne change rien à notre droit national. La réalité indiscutable, c’est que la loi de 1981 ne prévoit aucune exception.

M. le Garde des sceaux – Même analyse, et je ne souhaite pas que l’opinion puisse être induite en erreur par les propos de M. Dell’Agnola. Si nous étions confrontés à une situation de guerre et si le législateur voulait revenir sur la loi de 1981, il le pourrait, mais il lui faudrait adopter une nouvelle loi. En revanche, une fois que le Congrès aura approuvé la révision constitutionnelle qui fait l’objet du présent texte, on ne pourra plus revenir en arrière puisque cela serait contraire à la Constitution.

Ce débat montre bien que nous ne nous contentons pas de répéter la loi de 1981 : nous franchissons une étape supplémentaire en affirmant le caractère irréversible de l’abolition. Mais ne laissez pas croire, Monsieur Dell’Agnola, qu’il y avait des exceptions, car cela n’est pas vrai. (Applaudissements sur divers bancs)

M. Pierre Lequiller – C’est bien parce que je ne tolère aucune exception au principe d’interdiction de la peine de mort que je ne voterai pas cet amendement. La France doit se montrer exemplaire en la matière, en posant de la manière la plus explicite un principe d’interdiction absolue de la peine capitale. (« Très bien ! » et applaudissements sur divers bancs)

L'amendement 4, mis aux voix, n’est pas adopté.

explication de vote

M. Philippe Folliot – Après la première tentative de 1791, plusieurs générations de parlementaires n’ont eu de cesse de faire avancer la cause de l’abolition. Nous sommes aujourd’hui au terme de ce débat, et même si l’on peut entendre certains arguments, le principe d’interdiction de la peine de mort ne peut souffrir aucune exception. La France n’est grande que lorsqu’elle affirme fortement ses convictions. Avant le vote solennel du 19 février, l’UDF est dès aujourd’hui fière de voter ce bon texte.

L'article unique du projet de loi constitutionnelle, mis aux voix, est adopté. (Vifs applaudissements sur tous les bancs)
Prochaine séance ce soir à 21 heures 30.
La séance est levée à 19 heures 25.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Catherine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.
Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.
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