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Deuxième séance du mardi 24 février 2004

163e séance de la session ordinaire 2003-2004


PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par le groupe Union pour la démocratie française.

TAXE PROFESSIONNELLE

M. le président. La parole est à M. Pierre Albertini.

M. Pierre Albertini. Monsieur le président, mes chers collègues, en ce jour où s'ouvre un débat sur la décentralisation, avec la discussion du projet de loi relatif aux responsabilités locales, ma question porte sur le devenir de la taxe professionnelle. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur les bancs du groupe socialiste.)

C'est un sujet important, tant pour les acteurs économiques : entreprises, commerçants, professions libérales,...

M. Bernard Accoyer. Pour l'emploi !

M. Pierre Albertini. ...que pour les collectivités locales. En effet, chacun le sait, le produit annuel de la taxe professionnelle se monte à quelque 22 milliards d'euros, ce qui représente 45 % des recettes fiscales des collectivités locales. C'est donc un sujet grave, qu'il faut aborder sans polémique. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. François Goulard. On n'en attend pas moins de l'UDF !

M. Pierre Albertini. Je vous remercie de m'en donner acte, mes chers collègues : je n'entretiens pas la polémique au-delà de ce qui est souhaitable.

M. le président. Monsieur Albertini, ne vous laissez pas distraire et finissez de poser votre question.

M. Pierre Albertini. En effet, au-delà de la polémique, il faut rechercher l'intérêt général et concilier deux exigences contradictoires : d'une part, la nécessité de créer un impôt plus moderne, moins pénalisant pour les entreprises, notamment pour l'investissement productif, en particulier dans l'industrie, et, d'autre part, la nécessité de préserver l'autonomie de gestion des collectivités locales, qui est réaffirmée par la Constitution après l'adoption de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003.

Aussi, au moment où les collectivités vont sans doute se voir dotées de nouvelles compétences, je voudrais interroger le Gouvernement sur la méthode qu'il entend suivre et sur le calendrier qu'il a défini pour réformer la taxe professionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.

Mme Martine David. On va être rassurés !

M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, tout au long de la discussion budgétaire, nous avons constaté des difficultés liées à la taxe professionnelle, notamment celle relative aux biens mis à disposition des sous-traitants. J'avais demandé aux nombreux députés qui avaient déposé des amendements sur ce sujet de bien vouloir les retirer, m'engageant à réunir un groupe de travail dès le début de la présente année. Le Président de la République, soucieux de nous voir trouver une solution, a voulu donner une impulsion à ce sujet.

M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. L'objectif partagé est de remplacer la taxe professionnelle par un dispositif économiquement plus efficace.

Vous avez souhaité, monsieur le député, connaître la méthode choisie : elle consiste à réunir tous ceux qui peuvent apporter une contribution utile à la réflexion, de manière à prendre la meilleure décision possible. Dès jeudi prochain, le Premier ministre en personne installera un groupe de réflexion, présidé par un magistrat, M. Olivier Fouquet, et qui devrait rendre ses conclusions cet été. Nous voudrions pouvoir, dès la fin de l'année, traduire ses propositions dans la loi.

Avant de conclure, je souhaite rappeler les trois principes qui ont été posés par le Premier ministre.

Le premier est la préservation de l'autonomie financière des collectivités.

Mme Martine David. On en est loin !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Le deuxième est le maintien d'une imposition locale liée à l'activité économique des territoires. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Martine David. N'importe quoi !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Le troisième principe consiste à ne pas reporter la charge fiscale sur les ménages.

En ce qui concerne la mesure transitoire, vous savez que nous avons choisi la voie du dégrèvement, précisément pour affirmer notre volonté de préserver intégralement l'autonomie financière des collectivités locales. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Mme Martine David et M. Bernard Roman. Baratin !

AIR LITTORAL

M. le président. La parole est à M. François Liberti, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. François Liberti. Monsieur le président, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer la ténacité des intermittents du spectacle (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste − Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire),...

M. Pierre Lellouche. C'est vous, l'intermittent !

M. François Liberti. ...qui présenteront demain un projet d'indemnisation alternatif.

Ma question s'adresse à M. le Premier ministre. La mise en liquidation d'Air Littoral détruit près de 1 000 emplois directs et plusieurs milliers d'emplois induits en Languedoc-Roussillon. Depuis six mois, de promesses en mensonges, les salariés ont été trompés. Jacques Blanc, l'UMP qui gère la région avec le Front national (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), et Marc Dufour, l'UDF, ex-patron d'Air Littoral, ont une grande responsabilité dans ce gâchis. Mais personne ne peut oublier que la crise a été ouverte par le retrait de Swissair et de Wendel, dont le principal actionnaire n'est autre que le baron Seillière, patron du MEDEF. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Et personne ne peut oublier non plus que le Gouvernement, trop occupé par la privatisation d'Air France, n'est pas intervenu pour résoudre la crise, et que le ministre des transports a retiré sa licence de vol à la compagnie soixante-douze heures avant la décision du tribunal de commerce, clouant ainsi les avions au sol.

Qu'en est-il réellement du plan social exceptionnel que, le 19 février, François Fillon a annoncé aux représentants du personnel ? Quelques pistes ont été ébauchées, mais quelles mesures concrètes sont envisagées, alors que, sur les 251 licenciés du premier plan social, rares sont ceux qui ont retrouvé du travail ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour protéger les milliers d'emplois menacés dans les entreprises de sous-traitance ? Quelles dispositions prévoyez-vous pour que toute la lumière soit faite sur la régularité des procédures et sur l'attitude des actionnaires ? Enfin, comment allez-vous assurer la pérennité de l'activité aérienne régionale ?

M. François Goulard. Il faut faire appel à Aeroflot !

M. François Liberti. À ce propos, les élus communistes de Languedoc-Roussillon ont proposé que le Gouvernement, les représentants du personnel, les régions concernées − Languedoc-Roussillon, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Corse − se réunissent autour de la table, pour relancer l'activité et assurer les liaisons couvertes par Air Littoral.

Monsieur le Premier ministre, quelles réponses concrètes comptez-vous apporter à ces questions et à cette proposition ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Monsieur le député, le Gouvernement est bien conscient des drames sociaux que pourrait provoquer cette liquidation. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Mais je dois rappeler que, en mai 2002, il a trouvé deux compagnies aériennes exsangues,...

M. Jean-Christophe Lagarde. Grâce à Gayssot !

M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. ...sous perfusion. En raison, d'une part, de nos engagements européens, et, d'autre part, de la dépense d'argent public, à hauteur de 20 euros par famille française, l'Etat ne pouvait pas continuer à être le banquier d'entreprises privées.

M. Jean-Claude Lefort. C'est laborieux !

M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. L'Etat a donc demandé à Airlib et à Air Littoral de trouver des partenaires, pour soutenir leur développement, et des capitaux, pour leur permettre de redémarrer. Hélas pour les salariés et pour la desserte du territoire, aucun des investisseurs pressentis n'a donné suite, et le dépôt de bilan de l'entreprise, le 21 août dernier, ne s'est accompagné d'aucune proposition concrète.

Aujourd'hui, Dominique Bussereau et moi-même sommes très attentifs aux mesures du plan de sauvetage de l'emploi qui seront prises en plus des mesures classiques. Le Gouvernement veillera à la constitution d'une cellule de reclassement, de manière à offrir les meilleures chances aux salariés d'Air Littoral, avec des moyens financiers exceptionnels, qui ont d'ailleurs déjà été mis en œuvre, avec un certain succès, pour Airlib. Elle devrait installer des antennes à Nice, Montpellier et Paris. Les salariés seront naturellement associés au suivi de cette cellule.

M. Jean-Claude Lefort. Quelle cellule ? (Sourires.)

M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Vous le voyez, monsieur le député, nous faisons tout pour adoucir l'atterrissage d'Air Littoral. (« Oh ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Claude Lefort. C'est plutôt un crash en mer !

M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. La vérité est têtue et finit toujours par se dévoiler : les « compagnies Gayssot » avaient une autonomie programmée jusqu'au lendemain des élections de 2002. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

LIAISON AÉRIENNE BÉZIERS-PARIS

M. le président. La parole est à M. Paul-Henri Cugnenc, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Paul-Henri Cugnenc. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

Il y a dix jours, après la dernière séance avant l'interruption de nos travaux, l'annonce de la cessation des liaisons assurées par Air Littoral a plongé dans l'angoisse tous les employés de cette compagnie, et dans la consternation un grand nombre de Françaises et de Français, non seulement en Languedoc, mais bien au-delà de notre région.

En effet, le développement économique et le redéploiement des aéroports à vocation régionale, dans le cadre de la politique d'aménagement du territoire promue par le Gouvernement, sont gravement mis en danger, et les personnels ont parfois le sentiment d'être abandonnés.

M. Jean-Claude Lefort. Ce n'est pas qu'un sentiment !

M. Paul-Henri Cugnenc. La situation de ma circonscription et de la ville de Béziers, dont je suis l'élu, est d'autant plus fragilisée par ces événements que cette compagnie assurait la totalité des liaisons régulières au départ de notre aéroport, qui est l'un des rares, en France, dont le trafic soit totalement interrompu depuis cette décision.

Conscient de ces enjeux importants, vous avez su réaffirmer, monsieur le ministre, la ferme volonté du Gouvernement de sauvegarder la ligne Béziers-Paris, et, de façon plus globale, de trouver des solutions pour le personnel d'Air Littoral.

Néanmoins, dans le cadre des procédures d'appel d'offres, cette mise en place risque de prendre plusieurs mois et de devenir rapidement insupportable pour la population et les entreprises biterroises.

Pour la période transitoire qui commence, il ne peut être question de laisser cette ligne à l'abandon pendant plusieurs mois. La reprise des activités aéroportuaires doit se faire dans les plus brefs délais. Je vous demande, monsieur le ministre, de nous assurer de votre soutien, et de bien vouloir nous faire des propositions afin que Béziers ne reste pas, du point de vue des liaisons aériennes intérieures, économiquement et humainement isolée et pénalisée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Monsieur le député, je viens d'exposer à M. Liberti les mesures que le Gouvernement prenait en faveur des salariés d'Air Littoral.

Dès l'annonce de la liquidation d'Air Littoral, Dominique Bussereau et moi-même avons demandé aux autres compagnies françaises de réfléchir à la possibilité de rétablir dans les meilleurs délais les liaisons aériennes qu'Air Littoral n'assure plus. Une attention toute particulière a été accordée à celles qui étaient exploitées sous le régime d'obligation de service public, notamment les lignes Béziers-Paris, Agen-Paris et les liaisons de bord à bord avec la Corse.

Je suis aujourd'hui en mesure de vous indiquer que le président d'Air France a fait part à Dominique Bussereau de l'intérêt et de l'intention de son groupe de reprendre cette liaison dans le mois à venir, soit par l'intermédiaire de sa filiale régionale, soit par celle de son autre filiale Brit Air. Dans ce cas, elle affréterait, le cas échéant, des avions d'Airliner.

De plus, monsieur le député, comme vous l'avez d'ailleurs souhaité, les services de la direction générale de l'aviation civile ont déjà noué des contacts avec ceux de la Commission européenne afin que les délais de publication des obligations de service public et de l'appel d'offres pour désigner un nouveau transporteur soient les plus courts possibles.

Enfin, je voudrais vous confirmer que les créneaux horaires utilisés à Orly pour cette liaison lui resteront réservés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

DÉCENTRALISATION

M. le président. La parole est à M. François Dosé, pour le groupe socialiste.

M. François Dosé. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

La décentralisation est un défi qui témoigne d'une conviction. La pratique politique en proximité, chaque fois que faire se peut, est un instrument d'efficacité, un partage de responsabilités, une incitation à l'initiative, un espace de solidarité.

Mais ce pari, lancé en 1981, n'est pas mécaniquement gagné dans une société de plus en plus individualiste. Il faut adosser à ce juste enjeu les moyens de la réussite, notamment des ressources financières préalablement précisées, des péréquations et des compensations clairement définies.

Or, alors que le projet de loi relatif aux responsabilités locales que nous aborderons dans quelques instants esquisse de nouvelles répartitions, donne de nouvelles autorisations, il reste étrangement silencieux, parfois même ambigu, sur les conditions financières de ces transferts.

Dans les associations d'élus, toutes tendances politiques confondues, et parmi nos concitoyens, la prudence devant l'innovation se meut en défiance devant vos approximations.

Qui peut croire en une amélioration de l'efficacité si la sécurité et la lisibilité financières ne sont pas au rendez-vous ? L'autonomie des collectivités locales est un leurre si le financement n'est pas préalablement garanti par la loi et, surtout, par les inscriptions budgétaires.

Qui peut croire que les responsabilités seront plus effectives localement si les lieux de démocratie participative sont supprimés, je pense notamment aux CCAS, les centres communaux d'action sociale ?

Qui peut croire à l'initiative si les compétences transférées gomment toutes les marges financières des collectivités territoriales, notamment les communes fragiles, si les élus ne connaissent pas le devenir de la taxe professionnelle ?

Qui peut croire enfin aux solidarités territoriales si l'Etat ne s'engage pas dans une politique de péréquation exemplaire ?

En l'état actuel du projet, la fracture territoriale s'amplifiera. RMI ou RMA, routes, ATOSS, déstabiliseront les collectivités démographiquement ou financièrement fragiles.

M. le président. Mon cher collègue, posez votre question, s'il vous plaît.

M. François Dosé. Monsieur le Premier ministre, ma question est simple : si vous ne souhaitez pas affliger la décentralisation de tous les maux, et donc in fine la discréditer, quand prendrez-vous les initiatives qui s'imposent, notamment dans le domaine financier, avant que cette belle ambition politique ne fasse l'objet du jeu traditionnel de la patate chaude ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux libertés locales.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Monsieur le député, je suis heureux de vous entendre prononcer un véritable plaidoyer en faveur de la décentralisation.

M. Bernard Roman. Ce n'est pas ce qu'il a fait !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous avez raison : celle-ci doit être assortie de garanties financières.

M. Augustin Bonrepaux. Ce n'est pas le cas, nous n'avons aucune garantie !

M. le ministre délégué aux libertés locales. C'est précisément pour cela que le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a fait ce que vos amis n'avaient pas fait, en 1982, quand ils ont lancé la décentralisation : inscrire dans la Constitution elle-même de véritables garanties financières. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Et le Conseil constitutionnel en a déjà pris acte en affirmant que les transferts devaient être compensés d'une manière qui corresponde à la réalité, d'une manière exhaustive et pérenne.

M. Augustin Bonrepaux. Ce n'est pas le cas !

M. le président. Monsieur Bonrepaux !

M. Richard Mallié. M. Bonrepaux ne sait pas lire !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Voilà une véritable garantie, apportée par la Constitution.

Quant à la péréquation, monsieur le député, nous avons réalisé, là également, ce que le gouvernement de Pierre Mauroy n'avait pas fait : nous l'avons inscrite dans la Constitution et nous en avons fait un droit pour tous les Français. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mais nous ne nous sommes pas contentés de cela : dans la loi de finances qui a été votée par le Parlement, nous avons commencé à réformer la dotation globale de fonctionnement qui, vous le savez, est un instrument de financement aveugle des collectivités territoriales. Avec le comité des finances locales, nous sommes en train cette année de définir de véritables critères de péréquation qui prennent en compte la réalité des inégalités de notre territoire.

M. Augustin Bonrepaux. Ce n'est pas vrai !

M. le président. Monsieur Bonrepaux !

M. le ministre délégué aux libertés locales. J'espère, monsieur le député, que vous allez participer au débat qui va s'ouvrir sur les responsabilités locales...

M. Bernard Roman. Vous pouvez compter sur nous !

M. le ministre délégué aux libertés locales. ...et que vous y trouverez de quoi satisfaire vos légitimes demandes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

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SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE

M. le président. Mes chers collègues, je suis heureux de souhaiter la bienvenue à une délégation parlementaire conduite par M. Rafik Al-Natcheh, Président du Conseil législatif palestinien. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

3

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT (suite)

M. le président. Nous reprenons les questions au Gouvernement.

SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE

M. le président. La parole est à M. Alain Gest, pour le groupe UMP.

M. Alain Gest. Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, tous les indicateurs économiques qui nous parviennent ces derniers temps laissent à penser qu'effectivement, comme le Gouvernement s'y était engagé et l'avait annoncé, nous sommes sur le chemin de la reprise économique. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jacques Desallangre. Avec plus de chômeurs et plus de RMistes !

M. Alain Gest. Premier élément, la croissance est revenue, au second semestre de 2003, à un rythme de 2 %, c'est-à-dire légèrement supérieur aux prévisions qui ont servi de base au montage du budget de l'Etat pour 2004.

Deuxième élément, les chefs d'entreprise semblent avoir retrouvé un certain moral,...

M. Jacques Desallangre. Pas les ouvriers !

M. Alain Gest. ...comme en témoignent leurs prévisions d'investissement, en hausse de 5 % pour 2004. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Roman. Ils déménagent les machines la nuit !

M. Albert Facon. Ils partent en Suisse !

M. Alain Gest. Troisième élément, le mouvement de création d'entreprises se poursuit : avec 18 000 créations d'entreprises au mois de janvier, nous sommes toujours sur le rythme de 200 000 créations d'entreprises sur lequel le Gouvernement s'est engagé.

Enfin, ce matin, nous avons appris la hausse de 2 % au mois de janvier de la consommation des ménages.

Mme Martine David. Evidemment, il y a eu les soldes !

M. Alain Gest. Le moral et la confiance des ménages semblent donc également revenir. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Je sais bien que cela vous dérange, mais c'est la réalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Néanmoins, les Françaises et les Français ont parfois le sentiment que la conjoncture défavorable de 2003 pèse encore sur leur pouvoir d'achat et ils restent les yeux rivés sur les chiffres du chômage.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous préciser, à partir des indicateurs qui nous parviennent, comment vous envisagez le pouvoir d'achat et surtout la situation de l'emploi en 2004 pour l'ensemble des Françaises et des Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur Gest, en effet, les chiffres évoluent dans le bon sens. (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jacques Desallangre. Et ceux du chômage ?

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Tout le monde peut en être satisfait, personne ne s'en arrogeant le mérite. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Martine David. Le chômage est dramatique !

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Cette évolution s'est déjà traduite par une stabilisation du nombre d'emplois et donc du chômage.

Mme Martine David. Ce n'est pas vrai !

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous savons que, sur les quatre derniers mois, celui-ci s'est stabilisé aux alentours de 9,6-9,7 % de la population active.

Mme Martine David. Ce n'est pas possible de dire des choses pareilles !

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. De même, la courbe de l'emploi est redevenue positive à partir du mois de novembre.

Ces éléments permettent de prévoir un retour progressif de la croissance, même si ce n'est pas l'euphorie. L'Europe semble connaître la même évolution, ce qui fait que nous pouvons escompter, après une stabilisation du chômage au niveau relativement élevé que nous connaissons actuellement, un début de baisse.

M. Claude Bartolone. Ça va plus vite pour les restaurateurs !

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous avions craint à un certain moment, y compris dans cet hémicycle, que le chiffre symbolique de 10 % ne soit de nouveau atteint. Je crois pouvoir dire aujourd'hui que ce ne sera pas le cas.

M. Jean-Christophe Lagarde. Attention !

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Après s'être maintenu à un niveau stable en ce début d'année, le chômage devrait commencer à baisser,...

M. Albert Facon. Comment pouvez-vous dire ça ?

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...notamment grâce aux mesures que nous avons décidées permettant le départ à la retraite dès cette année, après quarante ans de bons et loyaux services, des personnes qui ont commencé à travailler à quatorze, quinze ou seize ans.

M. André Chassaigne. Combien sont-elles ?

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En ce qui concerne le pouvoir d'achat, il a l'année dernière évolué positivement pour l'ensemble des Français. Les calculs à partir d'indices qui ne relèvent pas d'une approche internationalement reconnue contribuent à troubler le message. Ce que vous devez retenir, c'est que le pouvoir d'achat des Français a augmenté, en moyenne, de 1,2 % l'année dernière. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Non, il a baissé !

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il n'y a aucune raison qu'il n'en soit pas de même cette année, compte tenu de l'amélioration de la production et de la productivité qui découleront des tendances que vous venez de rappeler. Donc, l'année 2004 s'annonce heureusement plus favorable que celle que nous venons de quitter,...

Mme Martine David. C'est de l'autosatisfaction !

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...je pense que les Français s'en rendront compte très rapidement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

M. le président. La parole est à Mme Christine Boutin, pour le groupe UMP.

Mme Christine Boutin. Madame la secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion, un million de mineurs vivent dans des familles dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté, estimé à moins de 600 euros par mois et par personne. Telles sont les conclusions du rapport du Conseil pour l'emploi, les revenus et de la cohésion sociale, intitulé « Les enfants pauvres en France ».

Les enfants représentent la catégorie la plus injustement victime de la précarité et la plus légitime à recevoir une aide minimum indispensable.

M. Jean-Claude Lenoir. Très juste !

Mme Christine Boutin. A l'occasion du rapport que j'ai remis au Premier ministre le 29 septembre dernier, j'appelais l'attention du Gouvernement sur la fragilité de la cohésion sociale dans notre pays et proposais l'instauration d'un dividende universel, véritable filet de sécurité contre l'extrême pauvreté.

Madame la secrétaire d'Etat, au regard de la politique active que le Gouvernement mène pour relancer l'insertion et l'emploi (Protestations sur les bancs du groupe socialiste),...

M. Jean-Claude Lenoir. Eh oui !

Mme Christine Boutin. ...pouvez-vous nous préciser tout d'abord quels enseignements vous tirez du rapport du CERCS, ensuite quels moyens votre action va engager, enfin où en est l'étude de faisabilité que le Premier ministre souhaitait lors de la remise de mon rapport sur le dividende universel, qui serait un moyen d'aider au plus vite les enfants en grande difficulté et leur famille ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion.

Mme Dominique Versini, secrétaire d'État à la lutte contre la précarité et l'exclusion. Madame la députée, un million d'enfants pauvres en 1999 et en 2000, en France : quel chiffre terrible pour un pays comme le nôtre !

M. Maxime Gremetz. Ils sont deux millions maintenant !

Mme Martine David. Nous parlons d'aujourd'hui, de 2004 !

Mme la secrétaire d'État à la lutte contre la précarité et l'exclusion. Le rapport réalisé par M. Jacques Delors est un sacré constat d'échec. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Laissez parler Mme la secrétaire d'Etat.

Mme la secrétaire d'État à la lutte contre la précarité et l'exclusion. Ce rapport est porteur d'interrogations sur la solidarité, sur la fraternité, mais également sur la politique menée par nos prédécesseurs durant les années 1999 et 2000. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Ces enfants, qui sont-ils ? Principalement des enfants vivant dans des foyers monoparentaux, avec des mères qui occupent des métiers peu qualifiés et qui perçoivent des salaires peu élevés. Ce sont des enfants qui vivent dans des familles issues de l'immigration. Ce sont les enfants des familles demandeuses d'asile qu'on a laissées des années en attente d'une solution en France. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Ce sont les enfants dont les parents vivent des minima sociaux.

M. Jean Glavany. Tout va mieux, maintenant !

Mme la secrétaire d'État à la lutte contre la précarité et l'exclusion. Plus de six millions de personnes cumulent toutes les difficultés : logements insalubres, surendettement, isolement.

Mme Martine David. Ce n'est pas la question !

Mme la secrétaire d'État à la lutte contre la précarité et l'exclusion. Pour tous ces enfants et leurs parents, il nous faut agir de façon responsable afin de les aider à sortir de cette spirale infernale. Il faut bien reconnaître que la loi de lutte contre l'exclusion qui a été votée en 1998, et qui est une bonne loi, n'est pas effective pour les millions de personnes auxquelles elle était destinée.

Mme Martine David. Nous sommes en 2004 !

Mme la secrétaire d'État à la lutte contre la précarité et l'exclusion. C'est pourquoi l'abbé Pierre a lancé son appel à plus de fraternité et plus de solidarité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

C'est pourquoi je suis en train de préparer, à la demande du Premier ministre et de François Fillon, une conférence nationale de lutte contre l'exclusion, qui se tiendra en juin autour du Premier ministre et réunira pour la première fois l'ensemble des membres du Conseil national de lutte contre l'exclusion, les associations, les représentants des collectivités territoriales et l'ensemble des partenaires sociaux.

Mme Martine David. Quelle réponse !

Mme la secrétaire d'État à la lutte contre la précarité et l'exclusion. L'ensemble du corps social se pose la question de savoir quelles mesures concrètes nous devons prendre pour faire en sorte que la lutte contre l'exclusion soit une réalité. C'est une première en France.

Nous attendons de cette conférence nationale de lutte contre l'exclusion qu'elle fasse des propositions au Gouvernement pour faciliter l'accès au logement, pour aider au retour à l'emploi des personnes qui en sont les plus éloignées, pour accompagner ces familles monoparentales et voir comment on peut mettre en cohérence l'ensemble de nos dispositifs pour aider ces mamans qui se trouvent de plus en plus seules dans une société en perte de fraternité et de solidarité.

M. Albert Facon. Les enfants ont le temps de mourir de faim !

M. le président. Madame la secrétaire d'Etat, pouvez-vous conclure, s'il vous plaît ?

Mme la secrétaire d'État à la lutte contre la précarité et l'exclusion. Nous attendons beaucoup de cette conférence nationale de lutte contre l'exclusion, pour ces enfants, pour ces mamans et pour ces familles. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. André Gerin. C'est insupportable !

M. le président. Je vous en prie, calmez-vous. (M. Roman s'exclame.)

Et vous, monsieur Roman, montrez l'exemple.

PLAN DE REDRESSEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

M. le président. La parole est à M. Gérard Bapt.

M. Gérard Bapt. Monsieur le président, M. Roman a été scandalisé par la réponse de Mme Versini,...

M. le président. Qu'il soit scandalisé en silence !

M. Gérard Bapt. ...qui nous a parlé des enfants pauvres et des mamans seules alors que le Gouvernement veut diminuer l'API pour les mères allocataires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Monsieur le Premier ministre, après avoir perdu un an malgré le déficit, qualifié d'« abyssal », de la sécurité sociale (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française) et face à la perspective d'un déficit historique de 49 milliards d'euros à la fin de cette année, alors que la sécurité sociale était en équilibre à la fin de 2001 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), le Gouvernement a commencé une série de consultations des partenaires sociaux et teste les uns ou les autres sur un certain nombre de mesures ; mais le plan d'ensemble ne serait présenté qu'après les prochaines élections.

Or Le Parisien a révélé hier votre plan d'économies : instauration d'un forfait, à la charge de l'assuré, par boîte de médicaments et par ordonnance ; relèvement de la CSG sur les revenus de remplacement, à la charge des chômeurs et des retraités ; réforme du régime de l'arrêt maladie dans le secteur public avec création d'un délai de carence de trois jours pour les fonctionnaires ; nouveaux déremboursements de médicaments ; mesures concernant l'encadrement de la liberté d'installation. Ainsi mises en perspective, ces mesures, et sans doute aussi celles qui ne sont pas encore connues, constituent un plan d'ensemble visant globalement à transférer une part plus importante des dépenses de santé à la charge des Français, ce qui affectera une fois de plus les plus modestes.

Il serait inconcevable, monsieur le Premier ministre, que ce plan soit adopté par ordonnance et ne soit pas discuté au Parlement ! Et il serait inacceptable que ce plan, qui existe déjà dans les cartons des ministères, ne soit annoncé qu'après les élections ! Lorsqu'il s'agit d'accorder 1,5 milliard d'euros d'exonérations de charges sociales au secteur de la restauration, vous savez le faire avant les élections ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Allez-vous donc aussi, monsieur le Premier ministre, annoncer le plan de redressement de la sécurité sociale avant les élections ? Puisqu'il est prêt, publiez-le, pour que les Français puissent en juger ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur le député, vous m'interrogez pour savoir s'il y a un plan secret du Gouvernement pour l'assurance maladie. Cette question pourrait prêter à polémique, mais je ne vais pas m'y engager, car ce n'est pas notre conception de la concertation et du dialogue social. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Il n'y a évidemment pas de plan secret ! Bien sûr, le Gouvernement a déjà défini clairement les critères sur lesquels il souhaite se fonder pour réformer l'assurance maladie obligatoire, universelle, solidaire, juste, avec un égal accès aux soins et la qualité des soins comme principal régulateur. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Bien sûr, le Gouvernement a désormais un canevas pour ses entretiens (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), à partir des propositions du Haut conseil, à savoir une réorganisation de l'offre de soins, une prise en charge fondée sur la qualité et l'efficience. Ce sont les propositions du Haut conseil, validées par tout le monde, y compris par vous.

Bien sûr, monsieur Bapt, ces sujets sont abordés, ainsi que bien d'autres d'ailleurs, au cours de mes entretiens avec les cinquante-sept délégations de partenaires sociaux, professionnels de la santé, usagers, caisses d'assurance obligatoire ou complémentaire. Tout est transparent...

M. François Hollande. Non !

M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. ...au travers des déclarations de nos partenaires. C'est cela la concertation ! C'est cela le dialogue ! Monsieur Bapt, il faut du temps. Tout le monde est au travail et j'espère que vous aussi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

DÉCENTRALISATION DES ROUTES NATIONALES

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton, pour le groupe UMP.

M. Hervé Mariton. Monsieur le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, nous voulons la décentralisation pour plus de proximité, pour plus d'efficacité et pour plus de vigilance dans l'usage de l'argent public. Ce sont des règles politiques auxquelles la gauche ne croit pas, ou en tout cas qu'elle ne pratique guère.

Oui, monsieur le ministre, le changement, le mouvement nourrissent souvent des questions, mais aujourd'hui la gauche déforme certains de vos projets et sème l'inquiétude : je veux parler de la décentralisation des routes nationales. J'ai lu et relu le projet de loi, c'est clair : il n'y a aucune raison pour que le moindre kilomètre de route nationale devenant départementale, de gratuite devienne payante. Mais la rumeur, la désinformation, l'intox sont à l'œuvre.

M. Charles Cova. Eh oui !

M. Hervé Mariton. Certains crient même au retour de l'octroi. Excusez du peu ! Je vous demande donc, monsieur le ministre, de justifier et d'expliquer de nouveau votre projet ici, devant nous. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Monsieur Mariton, c'est en effet clair et vous avez bien lu le projet de loi. D'abord, le Gouvernement n'a pas l'intention d'installer des péages sur les routes nationales. Ensuite, dans le projet de loi qui va venir en discussion, le Gouvernement a l'intention de transférer aux départements environ 20 000 kilomètres de routes nationales qui deviendraient départementales...

Plusieurs députés du groupe socialiste. Qui va payer ?

M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. ...mais cette décentralisation s'accompagnera d'un transfert des moyens financiers et humains correspondants.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et dans dix ans ?

M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. S'agissant de la question des péages, je vous rappelle que l'article 14 du projet de loi permet aux collectivités locales gestionnaires d'un réseau routier d'avoir accès, comme l'Etat, aux concessions, uniquement pour les routes nouvelles. Mais je ferai deux remarques. D'une part, cette disposition présente un caractère exceptionnel. En effet, l'usage des routes express est en principe gratuit, dit l'article 14. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Roman. En principe !

M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. D'autre part, le péage devra toujours être la contrepartie d'un service supplémentaire rendu. En résumé, monsieur le député, le réseau départemental actuel et le réseau transféré restent gratuits. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.

M. André Gerin. Menteur !

ENTREPRISE OCT DE DOURDAN

M. le président. La parole est à Mme Geneviève Colot, pour le groupe UMP.

Mme Geneviève Colot. Ma question s'adresse à Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie.

Madame la ministre, vendredi matin 20 février, les salariés de l'entreprise OCT de Dourdan ont trouvé leurs locaux vides et saccagés. Les machines-outils avaient été déménagées durant la nuit. Les ordinateurs et les fichiers avaient disparu. Chose encore plus grave : tout le réseau électrique et téléphonique avait été volontairement détruit, rendant impossible toute reprise du travail alors que cette entreprise était viable.

Ce même vendredi matin, les salariés recevaient une lettre de licenciement parfaitement ridicule. Permettez-moi de lire à la représentation nationale une phrase de ce texte incompréhensible : « Si vous avez toutes les questions satisfont les écrive sur cette forme clairement. » Pour l'avoir eu entre les mains, vous savez, madame la ministre, que tout le texte est dans le même style. En votre compagnie, j'ai pu, hier après-midi, rencontrer les employés dans leur usine et mesurer la détresse et le désarroi de ces hommes et de ces femmes.

Ces procédés sont inacceptables. Ces comportements de voyous ne sont pas dignes de dirigeants d'entreprise qui se croient à l'abri hors de nos frontières. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Pouvez-vous nous indiquer, au vu de la législation du travail, ce que ces employés si brutalement abandonnés peuvent espérer pour reprendre leur travail ? Pouvez-vous surtout nous informer de l'action du Gouvernement pour combattre cette haute délinquance intolérable et inadmissible ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Daniel Paul. Sarkozy !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à l'industrie.

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie. Madame la députée, hier après-midi j'étais en effet à vos côtés, à Dourdan, pour manifester mon indignation (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et ma révolte face aux agissements inqualifiables de l'entreprise britannique OCT. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Voyez-vous, je trouve même que l'expression « patron voyou » est trop faible (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) pour qualifier ces gens qui ont délibérément cassé l'outil de travail, comme s'ils voulaient empêcher toute reprise !

Une enquête de la gendarmerie a été diligentée à l'initiative du procureur de la République et, comme vous le savez, depuis hier soir, le patron d'OCT, Paul Welch, est en garde à vue.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe socialiste. Très bien !

Mme la ministre déléguée à l'industrie. Je puis vous confirmer ce que je vous disais hier. Justice sera faite dans tous les domaines : social, économique et financier, voire en termes de responsabilité pénale.

Mme Nadine Morano. Très bien !

Mme la ministre déléguée à l'industrie. Je dois vous dire que j'ai été très impressionnée par le courage et la dignité des salariés concernés. L'urgence aujourd'hui, c'est le versement des salaires dus. Ils seront versés soit par l'employeur, soit par l'association de garantie des salaires. L'urgence, c'est de remédier à toutes les conséquences sociales, et cela le plus rapidement possible. C'est ce dont s'occupe François Fillon. Je puis d'ailleurs vous préciser que si, d'aventure, les licenciements étaient confirmés par l'entreprise OCT, ce serait bien évidemment le droit du travail de notre pays qui s'appliquerait. Je m'en suis longuement entretenue avec mon homologue britannique.

S'agissant, enfin, des possibilités de reprise de l'activité industrielle, j'ai conscience que la question est complexe. Cela suppose une situation financière viable, le retour ou le rachat des machines, un carnet de commandes suffisant. Mais ce que je peux vous dire, madame la députée, c'est que, s'il existe une seule chance, elle doit être saisie, et je m'y emploierai de toutes mes forces. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

CARTE SCOLAIRE

M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche, pour le groupe socialiste.

M. Christophe Caresche. Monsieur le ministre de l'éducation nationale, je vous voudrais vous interroger sur les mesures de carte scolaire, que les rectorats sont actuellement en train d'arrêter.

Les enseignants et les parents d'élève découvrent avec effroi l'ampleur des fermetures de classes programmées par votre ministère.

Nous connaissions l'importance des suppressions de postes prévues dans le budget 2004. Elles frappent durement certains départements du nord et de l'est de la France, qui ont pourtant particulièrement besoin de la solidarité nationale. Mais nous étions loin d'imaginer que, malgré des créations de postes budgétaires dans certaines académies, les rectorats envisageraient des fermetures de classes massives.

M. Nicolas Forissier. Vous n'avez pas de leçons à donner dans ce domaine !

M. Christophe Caresche. Tel est le cas à Paris, où, en dépit de l'inscription de vingt postes budgétaires supplémentaires dans le premier degré, le rectorat prévoit non seulement la fermeture de cinquante classes dans les écoles parisiennes, mais aussi la diminution de près de 2000 heures de la dotation horaire des collèges. En outre, ces fermetures concernent le plus souvent les arrondissements classés en zone d'éducation prioritaire, où la situation est la plus difficile.

Comment ne pas partager l'inquiétude des familles et le désarroi des enseignants, qui ont le sentiment d'être abandonnés ? C'est pourquoi, monsieur le ministre, au-delà de la condamnation de votre budget, qui ne fait plus de l'éducation nationale une priorité gouvernementale, nous vous demandons un moratoire des fermetures de classes, afin de créer les conditions d'une concertation et d'une transparence réelles dans l'attribution des postes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Monsieur le député, je vous remercie de l'avoir souligné vous-même : nous avons décidé une augmentation de vingt postes d'enseignants à Paris dans le premier degré, après la création de trente-six postes supplémentaires l'année dernière, et ce alors que nous enregistrons une baisse démographique importante de 611 élèves.

Pour l'instant, les hypothèses de travail du rectorat de Paris ne sont pas encore arrêtées. Elles seront discutées en mars dans les instances académiques responsables, au sein desquelles les organisations syndicales sont représentées.

M. Christian Bataille. Mais tout est déjà décidé !

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Le vrai sujet qui est aujourd'hui à l'ordre du jour n'est pas celui des fermetures de classes - encore une fois, il sera évoqué au mois de mars prochain -, mais celui du nombre de postes qui seront ouverts au CAPES et à l'agrégation, à partir de juin. Ce sujet, en effet, engage véritablement l'avenir, à la différence de celui que vous évoquez, qui me semble assez factice.

M. Christian Bataille. Parlons-en, des postes aux concours !

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. C'est précisément ce dont je vous parle ! Et je voudrais vous dire très rapidement comment nous travaillons, pour que vous puissiez soit approuver notre méthode, soit la critiquer en connaissance de cause.

Pour fixer le nombre des postes ouverts aux concours en juin prochain - qui engage la rentrée 2005, puisque les professeurs recrutés en juin exerceront à partir de cette date -, nous prenons en compte quatre critères.

Le premier est l'évolution démographique.

Le second est le taux de sélectivité des concours, que je ne veux pas aggraver pour ne pas décourager les étudiants.

M. Bernard Roman. Ils sont déjà découragés !

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. En troisième lieu, vient le nombre des départs en retraite, qui s'élèvera à 16 500 dans le second degré d'ici à 2005.

Enfin, nous prenons en compte le taux d'encadrement des élèves, que nous voulons préserver. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Roman. Ce n'est pas vrai !

Mme Martine David. Mystificateur !

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Lorsque l'on examine la situation en fonction de ces quatre paramètres, on s'aperçoit qu'il faut augmenter considérablement, comme nous l'avons fait, les postes offerts aux concours dans le premier degré. Voilà pourquoi il y en aura 13 000 en juin prochain.

M. François Hollande. Ce n'est pas le problème !

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Et il faut au contraire diminuer assez sensiblement les postes dans le second degré. Voilà pourquoi nous en prévoyons 12 500, pour tenir compte du fait que, même s'il faut évidemment remplacer tous les départs en retraite, la baisse de la démographie scolaire dans le second degré sera de 100 000 élèves d'ici à 2006.

M. Christian Bataille. Pas du tout !

M. le président. Monsieur Bataille !

M. Bernard Roman. M. le ministre ment !

M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Il serait totalement irresponsable d'agir autrement, car nous avons besoin de dégager des marges de manœuvre budgétaires pour financer d'autres projets pédagogiques : la formation permanente, l'accueil des enfants handicapés dans le second degré ou le redéploiement de dotations budgétaires plus importantes dans les universités, notamment en matière de crédits d'investissement et de fonctionnement.

Voilà pourquoi il faut tenir compte non seulement de la baisse démographique dans le second degré, mais aussi de l'augmentation démographique dans le premier degré. Agir autrement, simplement pour faire plaisir à telle ou telle organisation, ou par volonté d'affichage, serait pure démagogie.

Au reste, je puis vous assurer que la prochaine rentrée scolaire se passera dans de très bonnes conditions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

NOUVELLES MESURES RELATIVES À LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lemoine, pour le groupe UMP.

M. Jean-Claude Lemoine. Monsieur le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer,...

M. Patrick Lemasle. Encore lui !

M. Jean-Claude Lemoine. ...à la suite de l'annonce de la mise en place, le 1er mars prochain, du permis de conduire probatoire pour les jeunes conducteurs et de la publication des douze contre-indications médicales à la conduite préconisées par l'Académie de médecine, la presse a cru pouvoir annoncer de nouvelles mesures qui seraient envisagées pour améliorer la sécurité routière.

Parmi celles-ci figurent l'obligation pour l'ensemble des conducteurs de subir régulièrement des examens médicaux, un projet de permis de conduire spécial pour les conducteurs du troisième âge et la limitation des distances que certains conducteurs seraient autorisés à parcourir.

Vous l'imaginez bien, monsieur le ministre, ces deux dernières mesures suscitent une très vive émotion chez nos concitoyens. Elles me choquent moi-même. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ces projets éventuels ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Monsieur le député, je vous remercie de l'avoir rappelé : le 1er mars, le permis probatoire sera mis en place. Je rappelle d'ailleurs que, pour pouvoir passer le permis de conduire, il faut désormais fournir une attestation médicale.

De fait, personne ne peut nier qu'il existe un lien entre l'état de santé d'une personne et sa capacité à conduire. Des experts médicaux - vous l'avez rappelé - ont même publié une liste d'affections qui leur semblent incompatibles avec la conduite.

Une chose est certaine : les conducteurs ne seraient pas concernés par ces mesures en fonction de leur âge, mais en fonction de leur état de santé, ce qui n'est la même chose.

Je voudrais d'ailleurs profiter de cette occasion pour rendre hommage aux conducteurs qui ont plus de soixante-cinq ans, âge auquel on est encore très dynamique (Sourires), notamment pour la conduite. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. L'auriez-vous atteint ?

M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Non, pas encore !

Si je tiens à rendre hommage aux conducteurs de plus de soixante-cinq ans, c'est parce qu'ils occasionnent en moyenne deux fois moins d'accidents que les autres. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est-à-dire que si l'ensemble de la population française conduisait comme eux, il y aurait deux fois moins de victimes sur les routes.

Vous le voyez, monsieur le député, il n'est pas question de prendre la moindre mesure médicale à l'encontre de conducteurs qui conduisent plutôt mieux que les autres, et qu'il conviendrait au contraire d'imiter, si l'on voulait diminuer par deux le nombre de victimes d'accidents de la route, ce dont tout le monde serait satisfait. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

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COMMUNICATION DE M. LE PRÉSIDENT

M. le président. Mes chers collègues, le président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan m'a fait savoir que la réunion qui devait être consacrée à l'audition de M. le ministre délégué au budget, à partir de seize heures quinze, était annulée. Ainsi, vous ne serez pas obligés de quitter l'hémicycle trop tôt !

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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT (suite)

M. le président. Nous poursuivons les questions au Gouvernement.

SÉCURITÉ DES TAPIS ROULANTS SUR NEIGE

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard. Monsieur le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer,...

M. Jacques Desallangre. Il y a tout de même d'autres problèmes en France que ceux qui relèvent du ministère des transports !

M. Michel Bouvard. ...voilà un peu plus d'une semaine, dans la station de Val-Cenis, une petite fille était tuée sur un tapis roulant, comme il en a été installé beaucoup, au cours de ces dernières années, dans la plupart des stations de sports d'hiver françaises.

Ce drame a bouleversé le village de Val-Cenis, ainsi que la communauté des élus et des professionnels de la montagne, à la fois parce qu'il s'agissait d'une enfant, et parce que les circonstances de l'accident, qui s'est déroulé sous les yeux de la famille, ont été particulièrement atroces.

Au-delà des responsabilités, qu'il appartiendra à la justice de déterminer et au sujet desquelles une enquête est en cours, se pose le problème de la sécurité de ces installations, qui ne relèvent actuellement d'aucune mesure de contrôle.

Ma question est simple : entendez-vous, comme le souhaitent les élus et les professionnels, notamment ceux du Syndicat national des téléphériques de France, instituer des mesures d'homologation et de contrôle sur les tapis roulants, comme il en existe pour l'ensemble du parc des remontées mécaniques, afin que ce type d'accident ne puisse plus se reproduire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État aux transports et à la mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, la France entière a jugé cet accident stupide et tragique. Et je tiens, au nom du Gouvernement, à renouveler mes condoléances à la famille de la petite Agathe.

Vous le savez bien, monsieur Bouvard, en tant qu'élu alpin : les trottoirs roulants sur neige se sont développés depuis quelques années. On en comptait une vingtaine à la fin de l'année 2003, il y en aura vraisemblablement une centaine fin 2004.

Comme vous l'avez indiqué, ces dispositifs ont été créés sans être pris en compte par notre dispositif de sécurité relatif aux remontées mécaniques. Ils sont donc placés sous la seule responsabilité des pouvoirs de police des maires, sans contrôle de l'Etat.

Les investigations judiciaires ont été lancées. Par ailleurs, nous avons, Gilles de Robien et moi-même, demandé une enquête au Bureau enquêtes accidents-terre, que nous venons de créer et dont ce fut la première mission sur notre territoire.

Cette enquête montre - vous l'avez judicieusement indiqué - qu'un dispositif spécifique est nécessaire, inspiré de celui qui existe pour les remontées mécaniques et qui donne entière satisfaction. Pour le créer, il faut envisager une modification de la loi.

Comme tous les autres députés de la montagne, vous connaissez bien la loi montagne de 1985. Pour éviter de la réviser, nous allons profiter du véhicule législatif que pourrait constituer le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, préparé et présenté devant votre assemblée par Hervé Gaymard, afin d'introduire des dispositions de nature législative visant à contrôler ce type d'installation.

En attendant que cette loi soit adoptée, si possible très rapidement - nous ferons tous les efforts nécessaires en ce sens -, l'ensemble des préfets et des services de l'Etat ont été alertés pour que soient vérifiés tous les tapis roulants sur neige existants.

Je crois que cette action permettra d'éviter que ne se reproduisent des accidents aussi tragiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

6

RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, avant que nous n'entamions l'examen du projet de loi relatif aux responsabilités locales, je veux protester contre le calendrier retenu par le Gouvernement. Comment ne pas s'insurger ? Dans six semaines, les électeurs seront appelés à renouveler les assemblées régionales et départementales. Or ce projet de loi, déjà examiné par le Sénat, leur annonce de considérables transferts de compétences de l'Etat vers les collectivités locales sans que nous sachions comment ces responsabilités nouvelles seront financées.

Vous avez, monsieur le Premier ministre, reporté après les élections l'examen du projet de loi organique portant sur le transfert des ressources, alors que ce projet de loi a déjà été déposé sur le bureau des assemblées, et que vous avez vous-même fait inscrire dans l'article 72-2 de la Constitution cette obligation de transfert.

C'est d'autant moins admissible que le Conseil constitutionnel, saisi par les députés socialistes de la loi de finances pour 2004, a confié à la loi organique la définition de ce que sont les ressources propres, et de la part minimale qu'elles doivent représenter dans l'ensemble des ressources. Le Gouvernement ayant refusé obstinément que la loi organique soit examinée avant la loi ordinaire, les collectivités locales et les citoyens n'ont à l'heure actuelle aucune idée de ce que représenteront les compensations financières aux transferts massifs opérés par le projet de loi.

Toutefois, au vu des ponctions multiples que vous avez opérées sur les collectivités locales depuis deux ans pour boucler vos budgets impossibles, il y a tout lieu de penser que les ressources affectées ne couvriront pas les charges dévolues aux collectivités locales.

M. Pierre Micaux. Vous ne disiez pas ça tout à l'heure !

M. Jean-Marc Ayrault. En clair, le Gouvernement veut décentraliser ses déficits et ses charges, avec une conséquence déjà connue : les collectivités auront le choix - si l'on peut appeler ça un choix - entre augmenter les impôts locaux et réduire le service public jusque-là rendu aux usagers par l'Etat.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Ce n'est pas un rappel au règlement !

M. Jean-Marc Ayrault. On est donc à des années-lumière de l'autonomie fiscale promise. C'est très important, cela nous concerne tous, et il ne faut pas prendre à la légère ce rappel au règlement.

M. Pierre Micaux. Ce n'en est pas un !

M. Jean-Marc Ayrault. C'est d'autant plus important qu'un fait nouveau est intervenu depuis l'examen au Sénat, à savoir la déclaration du Président de la République au moment des vœux, qui a décidé seul, sans aucune préparation, la suppression pure et simple de l'une des ressources fiscales les plus importantes des collectivités locales, la taxe professionnelle, sans que rien ne soit prévu en remplacement. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Autant dire que ce sont encore les contribuables qui vont payer, c'est-à-dire les ménages et les plus modestes. J'en termine, monsieur le président...

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Il est temps !

M. Jean-Marc Ayrault. Contrairement à ce que semblent penser certains, qui me reprochent mon intervention, celle-ci a effectivement trait à l'organisation de nos travaux et constitue donc bien un rappel au règlement.

Nous vous demandons de surseoir à ce débat et de suivre l'ordre législatif logique qui voudrait qu'après avoir voté la réforme constitutionnelle nous examinions la loi organique, puis la loi ordinaire. Vous savez bien, monsieur le président, que je ne suis pas le seul à être de cet avis, parfois exprimé - plus ou moins bruyamment - jusque sur les bancs de la majorité.

Les électeurs ont le droit de connaître les règles qui vont régir les assemblées qu'ils élisent, à moins que, comme nous le pensons, vous n'ayez des choses désagréables à cacher aux contribuables et aux citoyens, comme l'augmentation des impôts locaux qui semble les attendre. C'est indigne de nos concitoyens, et c'est les faire voter les yeux bandés en mars prochain. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

C'est pourquoi, monsieur le président, je demande une suspension de séance d'une heure, et la réunion en urgence de la Conférence des présidents, afin d'examiner les conditions de travail de notre assemblée sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La suspension de séance est de droit.

La Conférence des présidents s'est déjà réunie ce matin, et je n'ai pas le sentiment, monsieur Ayrault, que votre rappel au règlement concerne uniquement l'organisation de nos travaux, puisque vous abordez aussi le fond des débats. Je vous rappelle que le Gouvernement est maître de l'ordre du jour et je vous accorde une suspension de deux minutes. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures vingt-deux.)

M. le président. La séance est reprise.

7

RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. le président. Je vous donne la parole pour un nouveau rappel au règlement, monsieur Ayrault, car celui-ci vous en donne le droit. Mais j'espère que, de votre côté, vous le respecterez également.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, je maintiens que mon précédent rappel au règlement s'est fait dans le strict respect des dispositions prévues par le règlement. Je vous ai demandé la réunion d'urgence de la Conférence des présidents.

M. le président. Elle s'est réunie ce matin, monsieur Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. C'est exact.

M. le président. Et je vous ai informé ce matin de l'ordre du jour.

M. Jean-Marc Ayrault. C'est également exact, et vous avez rappelé à juste titre que le Gouvernement est maître de l'ordre du jour.

M. le président. Tout à fait.

M. Jean-Marc Ayrault. Je prends acte de toutes les déclarations que vous avez faites. Toutefois, je tiens à souligner à nouveau l'importance d'un principe validé par le Conseil constitutionnel, et que celui-ci a d'ailleurs rappelé au sujet de la loi de finances pour 2004 : après la réforme constitutionnelle, il faut élaborer d'abord la loi organique, puis la loi ordinaire, pour savoir à quelle sauce seront mangés les citoyens et les contribuables. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mon intervention est bien relative à l'organisation des travaux de l'Assemblée nationale, et c'est à ce sujet que je vous demande une réunion de la Conférence des présidents, afin que le Gouvernement nous explique pourquoi il a dérogé à ce principe.

M. le président. Monsieur Ayrault,...

M. Jean-Marc Ayrault. C'est très important que nous le sachions, monsieur le président.

M. le président. Dans ce cas, écoutez le Premier ministre...

M. Jean-Marc Ayrault. Non !

M. le président. ...et le ministre de l'intérieur. Je suis persuadé que vous obtiendrez la réponse que vous attendez.

M. Jean-Marc Ayrault. Non, je n'aurai pas de réponse.

M. le président. Qu'en savez-vous ?

M. Jean-Marc Ayrault. Nous verrons bien.

M. le président. Alors, écoutons le Premier ministre.

M. Jean-Marc Ayrault. En tout cas, monsieur le président, je tiens à vous dire que le groupe socialiste prendra toutes ses responsabilités dans cette affaire. Il n'est pas question que, comme sur la sécurité sociale ou sur d'autres sujets, le Gouvernement continue d'avancer masqué devant les citoyens. Je tiens à l'affirmer solennellement : nous prendrons nos responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Monsieur Ayrault, pour que votre deuxième rappel au règlement n'apparaisse pas comme une manière de gagner du temps, je vous propose... (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Je fais un effort pour vous répondre et vous ne me laissez pas m'exprimer ! Puisque vous n'êtes pas corrects et que vous ne me laissez pas parler, je vais donner immédiatement la parole à M. le Premier ministre.

M. François Hollande. C'est la sanction suprême !

M. Bernard Derosier. Nous voilà bien punis !

8

RESPONSABILITÉS LOCALES

Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi n° 1218, adopté par le Sénat, relatif aux responsabilités locales.

Vous avez la parole, monsieur le Premier ministre.

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je voudrais clairement dire à M. le président du groupe socialiste que le Gouvernement n'avance pas masqué.

M. Bernard Derosier. Si, malheureusement !

M. le Premier ministre. Je suis à la tête du premier gouvernement qui ait pris un engagement dans la Constitution.

M. Bernard Roman. Vous la bafouez !

M. le Premier ministre. C'est pourquoi les collectivités territoriales peuvent être aujourd'hui certaines...

M. Bernard Derosier. Où est la loi organique ?

M. le Premier ministre. ...que, contrairement à ce qui s'est passé auparavant, quand il y aura transfert de compétences, il y aura aussi transfert des financements.

M. Bernard Derosier. Où est la loi organique ?

M. le Premier ministre. C'est une règle, c'est un postulat, et c'est un élément très important. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Le Gouvernement n'avance pas masqué. Le texte de la loi organique est déposé, et donc connu.

M. Bernard Derosier. Examinons-le !

M. le Premier ministre. Par ailleurs, les principes financiers sont clairement définis...

M. Bernard Roman. C'est faux !

M. le Premier ministre. ...notamment par la voie constitutionnelle. Nicolas Sarkozy vous les détaillera dans quelques instants.

Vous n'avez donc pas à être inquiets. Le Gouvernement avance à visage découvert. C'est justement parce qu'il n'y avait pas cette référence constitutionnelle que, dans le passé, on a pu assister à des dérives fiscales dans certains départements. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux. C'est bien pire maintenant ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le Premier ministre. Le groupe socialiste devrait être plus attentif à l'évolution fiscale des collectivités qu'il dirige, ce qui pourrait l'amener à se demander pourquoi l'ensemble des régions socialistes a une fiscalité supérieure de plus de 10 % à celle des autres régions (Protestations sur les bancs du groupe socialiste - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et cela pour des budgets précédant l'alternance.

Cette mise au point me semblait nécessaire.

Il est un autre sujet qui me fait réagir et sur lequel je m'exprimerai avec une plus grande fermeté, c'est l'affirmation selon laquelle le chef de l'Etat aurait pris une décision seul et sans aucune préparation. Je voudrais vous dire, monsieur Ayrault, que nous ne sommes plus en période de cohabitation, et que, désormais, le Gouvernement travaille avec le Président de la République.

M. Augustin Bonrepaux. N'importe quoi !

M. le Premier ministre. Nous avons travaillé ensemble sur la réforme de la taxe professionnelle (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), ce qui fait que celle-ci peut s'appliquer dès le 1er janvier 2004. Ce faisant, nous participons à la croissance et transformons la croissance en emplois, grâce à l'allégement de la taxe professionnelle en particulier, et à l'allégement des charges en général. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

C'est un point très important. Nous installerons prochainement une commission nationale chargée de préparer la réforme de la taxe professionnelle, qui devra avoir lieu...

M. Bernard Roman. Quand ?

M. le Premier ministre. ...à l'issue de la période transitoire de dix-huit mois à compter du 1er janvier 2004 qui a été retenue. La croissance revient, et afin de la transformer en emplois, j'invite tous les industriels, tous les entrepreneurs qui ont des investissements à faire, à s'engager dès maintenant. Ils bénéficieront de l'exonération de taxe professionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Nous n'avons pas demandé l'urgence sur le projet de loi qui vous est présenté. Il y aura plusieurs lectures, au cours desquelles vous aurez tout le temps de débattre. Nous allons examiner ce projet de loi à l'Assemblée nationale au moment même où le pays va s'intéresser à la décentralisation et aux collectivités territoriales. Cela me paraît constituer un atout que le débat à l'Assemblée nationale soit en phase avec celui qui a lieu dans le pays. Il est bon, en effet, que chacun puisse s'expliquer et se faire entendre au moment où les citoyens ont à se prononcer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Les différentes lectures de ce texte seront autant d'occasions d'enrichir celui-ci, et je suis sûr que votre assemblée le fera. Nous avons accepté de très nombreux amendements au Sénat et nous sommes prêts à faire de même à l'Assemblée. Nous avons une attitude ouverte, justifiée par l'ambition de ce projet de loi qui s'inscrit dans la politique de réforme que nous avons engagée.

Ce projet a une longue histoire, remontant aux tentatives de décentralisation du général de Gaulle, avec ses réflexions stratégiques sur le rôle de la République et de l'Etat. Dans ses Mémoires, l'amiral Philippe de Gaulle (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) cite son père, qui disait en 1969 : « Nous sommes dans un pays où le château d'eau, l'éclairage ou l'organisation scolaire d'une petite ville doit remonter au sommet pour trouver une solution. Cette pratique ne laisse ni assez de liberté, ni assez de responsabilité aux pouvoirs locaux et charge exagérément l'État. »

Voilà pour les racines de la démarche. Ensuite, il y a eu les lois Mauroy-Defferre, qui ont représenté une avancée réelle.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Vous ne les avez pas votées !

M. le Premier ministre. Quand je vous fais des compliments, prenez-les donc avec le sourire ! Cette agressivité, alors que je dis du bien de Pierre Mauroy et de Gaston Defferre, est pour le moins surprenante. Mesurez-vous le ridicule de la situation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Qu'est-ce que ce serait si je les avais critiqués ! J'ai même le sentiment, je l'ai dit à Pierre Mauroy, que ce texte est fidèle à l'esprit du rapport Mauroy. Mais si tous ces propos déclenchent chez vous de l'agressivité, je ne comprends plus ce qu'est pour vous le débat démocratique.

Cette démarche de décentralisation comporte deux grandes étapes. La première, je n'y reviens pas, c'était l'étape constitutionnelle. Il s'agissait de marquer dans la loi fondamentale la place de la décentralisation : une organisation décentralisée de la République pour permettre aux citoyens d'avoir accès aux valeurs de la République.

Nous tirons là une des leçons du 21 avril 2002. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous prenons en compte le désintérêt des Français pour la République. C'est en effet en rapprochant la décision du terrain, le décideur de l'électeur, que nous pourrons intéresser de nouveau le citoyen au débat démocratique. Ce texte répond donc aussi à ce que nous avons entendu en avril 2002. Voilà pourquoi cette réforme est importante.

La réforme constitutionnelle a représenté une étape clef pour la décentralisation puisque nous avons inscrit dans notre Constitution le principe de décentralisation et la substance du principe de subsidiarité.

Nous en sommes à présent à la deuxième étape, à la phase opérationnelle, celle des transferts de compétences. Nicolas Sarakozy et Patrick Devedjian vous présenteront dans un instant les garanties financières qui accompagnent ces transferts. Ceux-ci vont véritablement donner à notre pays les moyens d'assumer son mouvement de réforme.

Nous voulons d'abord responsabiliser tous les acteurs. Au fond, la décentralisation c'est d'abord et avant tout la responsabilisation. Les acteurs seront responsables de leurs décisions. C'est grâce à cette gestion au plus près du terrain et avec une évaluation plus concrète que notre pays fera des économies. Aujourd'hui, en effet, les élus sont très souvent embourbés dans des procédures trop lourdes, étouffés sous le poids d'une bureaucratie pesante : délais trop longs, financements peu clairs, responsabilités confuses.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Demain, ce sera pire !

M. le Premier ministre. Voilà pourquoi nous avons souhaité que les transferts de compétences s'accompagnent aussi de clarté.

L'organisation que nous vous proposons s'appuie à la fois sur l'histoire et la richesse de la diversité territoriale française, et sur une nécessaire clarification. La République française a besoin de cohérence et de proximité. La cohérence relève de l'Etat. Il faut un Etat fort pour assumer les valeurs républicaines, pour garantir partout sur le territoire les mêmes droits. C'est à l'Etat de garantir l'égalité. Mais c'est au couple Etat-région de s'assurer de la mise en œuvre sur le terrain. La région est un espace de cohérence, un espace de projets où la stratégie et la programmation sont possibles.

Au couple Etat-région la cohérence et la programmation, au couple département-commune, avec l'intercommunalité, la solidarité et les infrastructures de proximité. Nous le voyons bien, nous avons aujourd'hui besoin dans notre République à la fois de cohérence et de proximité. En effet, si nous nous en tenons à la cohérence, nous serons souvent trop éloignés du citoyen, et si nous visons trop la proximité, nous nous disperserons. Il importe donc aussi de renforcer le rôle de l'Etat. Le présent texte renforce ainsi la décentralisation, mais aussi la déconcentration, afin que, face aux collectivités territoriales, il y ait un Etat organisé, capable de répondre aux aspirations nationales.

Cela s'inscrit dans l'ensemble des engagements pris dans le discours de politique générale, dans les annonces faites à Rouen ou dans d'autres débats sur ce sujet.

Notre deuxième objectif est de libérer pour redonner des marges de manœuvre locales. Trop de projets, trop d'initiatives locales sont aujourd'hui freinés par la lourdeur des procédures. Les élus locaux sont souvent découragés d'entreprendre.

A cet égard, un certain nombre de dispositifs relèvent de la réforme de l'Etat. Vous le savez, nous avons d'ores et déjà supprimé l'instruction mixte à l'échelon central, la fameuse IMEC, qui permettait, alors que les autorisations du directeur régional de l'environnement et du directeur régional de l'agriculture avaient été données, d'engager une expertise au niveau national.

Grâce à la réforme de l'Etat que nous menons concomitamment, l'Etat parlera d'une seule voix. Que ce soit à l'échelon national ou à l'échelon régional, les élus locaux n'auront qu'un partenaire qui engagera l'Etat, ce dernier étant plus fort du fait d'une organisation simplifiée.

M. Édouard Landrain. Enfin !

M. le Premier ministre. Cet élément est très important. Les collectivités territoriales auront ainsi des interlocuteurs fiables. Il s'agit de ne plus revoir ces scènes où un sous-préfet votait contre un autre sous-préfet. L'Etat est un, à présent, et il est rassemblé autour du préfet de région en huit - et non plus vingt-quatre - pôles. Nous avons une vraie cohérence de l'Etat face aux collectivités territoriales et une vraie déconcentration face à la décentralisation.

Grâce à la réforme de l'Etat, un grand nombre de missions de l'action publique seront facilitées par les collectivités territoriales. Je pense à ce qui peut être fait au niveau local dans les domaines de l'éducation et de la formation professionnelle ou pour redonner sens à des politiques sociales, trop souvent enfermées, elles aussi, dans des procédures trop lourdes. Les Français souhaitent précisément bénéficier d'un traitement individualisé, qui prenne en compte leur parcours professionnel, leur situation personnelle. Il faut instaurer des droits liés à la personne et non pas forcément au statut. C'est ce que nous faisons avec le droit individuel à la formation tout au long de la vie. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Le changement professionnel ne doit pas être une rupture sociale. La permanence du droit doit prévaloir et cela se fera plus facilement au niveau local, où les individus sont identifiés et où les collectivités territoriales peuvent mener une action plus efficace et plus juste.

Alors, comment se répartissent les rôles entre l'Etat et les collectivités ? En amont, l'Etat fixe la norme, notamment sur le plan social. En aval, il assure l'évaluation. Entre les deux, les collectivités exercent leurs responsabilités et l'Etat peut leur en déléguer certaines.

Je mets ici au défi tous les contradicteurs qui se sont mobilisé sur ce texte de trouver, sur les vingt dernières années, un projet de décentralisation ayant été entouré d'autant de garanties. Première garantie : la Constitution. Deuxième garantie : le projet organique. Troisième garantie : la péréquation dans le dispositif constitutionnel. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Augustin Bonrepaux. Il n'y a pas de péréquation !

M. le Premier ministre. Nous y travaillons et nous l'avons prévue dans la Constitution.

M. Augustin Bonrepaux. Avec quels résultats ?

M. le Premier ministre. Monsieur Bonrepaux, ce n'est pas à moi, qui ai occupé un poste de responsabilité dans une région pendant dix-huit ans, que vous allez apprendre ce que sont les désengagements de l'Etat !

M. Augustin Bonrepaux. Vous voulez qu'on en parle ?

M. le Premier ministre. Je vous trouve un peu nerveux, sur ce sujet ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Si la politique que vous avez menée avait été très brillante, vous seriez encore aux affaires ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Si cette politique a été condamnée par les Français, c'est bien qu'elle comportait quelques imperfections, quelques insuffisances ! (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est elle qui vous a conduits à financer des mesures trop éloignées des préoccupations des collectivités locales et non pas celles qu'elles attendaient. C'est ce qui explique que vous ayez pris une année de retard sur les deux premières années d'exécution des contrats de plan. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux. Et vous, que faites-vous ?

M. le Premier ministre. Enfin, la présente réforme devrait nous aider à faire en sorte que le débat politique tel que nous le connaissons ici ne se retrouve pas dans toutes les autres enceintes où la démocratie se déploie.

Dans les communautés d'agglomération, dans les régions, les départements et les communes, c'est une démocratie apaisée qui s'exprime. Elle cherche à construire et non pas à s'opposer. Cela montre que, par la décentralisation, nous pourrons aussi ouvrir le débat. Nous sortirons ainsi d'un affrontement politicien permanent qui bloque les projets et retarde les initiatives. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je me souviens des débats de 1981-1983 sur les lois de décentralisation. Je me souviens de 1986 et de la commission Mauroy. Sur ces sujets, le clivage n'est pas partisan : il est institutionnel.

M. Bernard Roman. Alors, pourquoi avez-vous quitté la commission Mauroy ?

M. le Premier ministre. Certes, comme nous sommes en période électorale, nous pouvons en faire un débat partisan. Mais il ne l'est pas par nature. Il n'y a donc aucun objectif politicien derrière le calendrier fixé, qui s'étend sur plusieurs mois et prévoit l'examen de plusieurs textes. Nous nous inscrivons dans le long terme avec la volonté de faire de la décentralisation un atout pour notre République.

C'est pourquoi je souhaite qu'à l'occasion des élections prochaines et de notre printemps territorial, on ne se trompe pas d'enjeu. L'enjeu de la décentralisation, je l'ai dit, est institutionnel plus que partisan. L'enjeu, dans les élections régionales, c'est d'abord la région. Et chaque région a ses propres enjeux. C'est ça aussi la diversité de notre démocratie : une République une et entière, un Etat un, rassemblé sur ses forces, mais aussi des collectivités territoriales qui expriment les milles visages de la France. C'est cette diversité-là qui peut permettre aux uns et aux autres de s'exprimer, de rendre vivante une démocratie plus proche du terrain et d'améliorer la justice.

Cette démarche de décentralisation comporte cependant une limite sur laquelle nous nous accordons. Tous sur ces bancs, je crois, nous partageons la volonté républicaine de considérer que la région n'est pas une nation. Dans les autres pays européens, il existe souvent une confusion entre région et nation. Par exemple, pour les Catalans, la Catalogne est une nation. Il n'en est pas ainsi pour nous qui considérons que la région est un échelon de responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Très bien !

M. le Premier ministre. C'est la raison pour laquelle il importe de ne pas confondre le vote nation et le vote région. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) La région, c'est une capacité à s'ouvrir et à exprimer les ambitions des uns et des autres.

La décentralisation doit donc être un facteur de reconquête de la démocratie et de la République. Comme vous tous, je suis préoccupé par la montée des extrémismes, par la diminution des débats et par l'attitude manichéenne qui se manifeste parfois au sein de la société française.

Si nous voulons redonner toute sa vitalité à la République, comme nous l'avons fait au cours du débat sur la laïcité, nous devons considérer la décentralisation comme un projet politique qui dépasse les clivages, un projet politique qui vivifie la République et rassemble les Français. ( Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Derosier. Il n'a rien à dire, le Premier ministre ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Monsieur Derosier ! Un peu de tenue !

M. Alain Gest. Il faut les envoyer en cour de récréation, monsieur le président !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, la décentralisation voulue par le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, nous avons à cœur, Patrick Devedjian et moi, de la mener à son terme. Elle a une raison politique, dans le vrai sens du terme : nous pensons tous que l'une de nos difficultés, typiquement française, pour impulser de profonds mouvements de réforme tient à l'organisation trop centralisée de notre pays.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Très bien !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. La décentralisation, de ce point de vue, facilitera la nécessaire réforme de notre pays.

Une autre raison me pousse à soutenir totalement le projet décentralisateur du Gouvernement, c'est l'exemple des grands pays d'Europe. Ils ont entrepris un effort de modernisation avec une organisation fortement décentralisée. Non seulement cela n'a pas nui à leur unité, mais cela leur a permis d'intégrer le groupe des grandes économies européennes.

Je pense à l'Allemagne, qui a su - excusez du peu - il y a un peu moins de quinze ans, intégrer 15 millions d'Allemands de l'Est. Son organisation a-t-elle été un obstacle ou un atout ?

Je pense à l'Espagne, qui est devenue un grand pays de l'économie européenne.

M. François Goulard. C'est vrai !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Son organisation a-t-elle été un handicap ou un atout ?

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances. Très bien !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je pense à la Grande-Bretagne, décrite unanimement dans les années soixante-dix comme un pays malade, au bord de la disparition. Les différentes lois qu'elle a adoptées, notamment la Devolution law en 1998, ont-elles été un handicap ou un atout ?

Et de l'Italie, souvent moquée avec affection parce qu'elle n'a pas le même appareil étatique que la France, qui peut dire que c'est une économie qui ne compte pas ?

On pourrait prendre d'autres exemples à travers le monde. La décentralisation offre à la France la possibilité de rester la grande nation unie qu'elle est, en lui procurant davantage de souplesse pour davantage de modernité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Nous avons la conviction que ce qui comporte des risques pour l'unité d'un pays, ce n'est pas la décentralisation mais la rigidité des structures. Nos structures sont trop rigides. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

D'ailleurs, la décentralisation n'est pas née avec le texte que nous vous présentons. De ce point de vue, le Premier ministre a été parfaitement clair.

Si nous avons été un certain nombre à ne pas comprendre l'importance du mouvement de décentralisation au début des années quatre-vingt, inutile de suivre notre exemple en 2004 ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Il n'est pas inutile de tirer les conséquences des erreurs des autres ! (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Si nous n'avons pas soutenu le projet Defferre, c'était sans doute une erreur. Alors pourquoi la refaire, messieurs de l'opposition, vingt-quatre ans plus tard ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Cela n'a pas de sens ! Cela n'a aucune utilité !

M. Bernard Roman. Ce n'est pas de même nature !

M. Pierre Forgues. Ce n'est pas la même décentralisation ! Démago ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Alain Gest. C'est lamentable !

M. le président. S'il vous plaît !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je remercie les intervenants pour cette contribution utile au débat de fond.

M. Alain Gest. C'est tout ce qu'ils sont capables de faire !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. De ce point de vue, nous avons essayé de répondre à trois objectifs, et j'aimerais, après avoir remercié Patrick Devedjian du travail énorme qui a été accompli, notamment devant le Sénat, m'expliquer sur la clarification de la simplification. C'est un sujet politique majeur qui nous passionne tous et nous sépare.

Tout le monde est d'accord sur le fait qu'il faut simplifier. Aucune formation politique ne propose de complexifier. Mais la simplification peut être la meilleure ou la pire des choses. Pourquoi la pire ? Parce que la simplification peut être la brutalité. Il était simple de supprimer un échelon, disons le département, mais qui aurait été d'accord avec cette politique ? C'était pourtant simple de supprimer le département, au nom de la logique économique favorable aux régions. Mais qui l'aurait accepté ? La France n'est pas une page blanche sur laquelle on peut plaquer un schéma sans tenir compte de son histoire. Les départements ont une légitimité historique, les régions ont une légitimité économique.

M. Christian Bataille. Et les communes ?

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Les communes ont une légitimité de proximité.

Mme Christine Boutin. Très bien !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Il nous fallait tenir compte de cette complexité, parce que c'est la réalité française. Je l'affirme : vouloir raisonner en termes simples dans un pays qui a une longue histoire comme la nôtre, c'est passer à côté de l'âme française et de la tradition française.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Très bien !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Il ne suffit pas de faire simple si, à l'arrivée - vous en avez fait l'expérience dans le passé - vous vous retrouvez seuls, sans électeurs, ce qui est gênant pour obtenir une majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux. Oh, vous n'en avez pas beaucoup aujourd'hui !

M. Daniel Vaillant. Comme en 1999 !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'était une petite provocation, je l'admets... Nous avons donc voulu faire simple sans faire simpliste. Qu'est-ce que cela veut dire ?

Cela veut dire que les régions seront clairement responsables du développement régional : formation professionnelle, transports, grandes infrastructures, interventions économiques. Les régions comme pôles de développement, cela correspond à leur tradition et complète leurs pouvoirs.

Quant aux départements, nous avons voulu leur donner la pleine responsabilité de l'action sociale avec le RMI, y compris son volet allocations, et l'aide aux plus démunis. Ils coordonneront l'action gérontologique ainsi que toutes les prestations sociales en faveur des personnes âgées. C'est un pôle de compétence parfaitement lisible, parfaitement compréhensible.

Ensuite, il a fallu poursuivre ce qui avait été entrepris avec efficacité en 1982 en confiant aux départements les 20 000 kilomètres du réseau routier national et en leur transférant la responsabilité des personnels chargés de l'entretien des lycées et des collèges. Que fait-on, sinon compléter, achever ce qui a été commencé au début des années quatre-vingt ?

M. Bernard Roman. On complète en supprimant !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Quant aux communes et à leurs groupements, dont les budgets représentent aujourd'hui 60 % du budget de l'ensemble des collectivités locales,...

M. Jean-Marc Ayrault. Et le personnel, monsieur Sarkozy ?

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Nous allons y venir !

...nous avons voulu leur donner de nouvelles compétences, dont les aides à la pierre et le logement étudiant, parce que les communes sont les mieux placées pour cela.

Pourquoi ne pas leur donner plus ? Parce que les communes détenant déjà l'essentiel des pouvoirs, leur accorder davantage posait des problèmes très complexes.

Venons-en à l'Etat et à son organisation. Le Premier ministre a eu raison de le souligner, on ne peut pas avoir d'un côté une nouvelle organisation des collectivités territoriales et, de l'autre, un Etat qui ne change pas. Son organisation va changer, avec le contrôle de légalité, par exemple, dont les procédures seront moins nombreuses et plus approfondies. Le préfet de région aura la possibilité de coordonner l'action des préfets de département, pour éviter aux élus régionaux de devoir courir dans chacun des départements pour recueillir le même avis. L'Etat doit parler d'une seule voix.

M. Pierre Albertini. Très bien !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. L'organisation de l'Etat va changer avec l'instauration de pôles de compétence. L'instruction du Premier ministre va dans ce sens, la réforme de l'Etat territorial doit être compatible avec la réforme de l'organisation territoriale des collectivités.

Une autre idée directrice doit inspirer ce débat : la loyauté relative aux aspects financiers de cette réforme. Sur ce point, il faut être très clair et très précis. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux. Oui, car il y a un problème !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur Bonrepaux, crier est mauvais pour le cœur ! C'est l'amitié que j'ai pour vous qui me permet de vous dire cela.

M. le président. Apparemment, le cœur de M. Bonrepaux est très bon !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Je le connais depuis très longtemps, monsieur le président, et c'est pour cela que j'en prends soin !

M. Bernard Roman. Son cœur bat à gauche !

M. le président. Monsieur Roman !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est très original, monsieur Roman !

Chaque gouvernement, et je ne pense pas que nous puissions, ni les uns ni les autres, en tirer argument, a eu la tentation de transférer aux collectivités locales des dépenses que l'Etat ne pouvait pas assumer.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Certains plus que d'autres !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est l'histoire des rapports entre l'Etat et les collectivités territoriales, et si l'action que nous engageons est si difficile, c'est parce qu'elle vient couronner de nombreuses années de méfiance. La méfiance entre les collectivités territoriales et l'Etat n'est pas née il y a vingt et un mois.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. C'est sûr !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est une chose profondément ancrée dans toutes les formations politiques républicaines. Disons les choses comme elles sont : rien ne ressemble plus à un président de conseil général socialiste qu'un président de conseil général de la majorité. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Derosier. Non : ils ne se ressemblent pas !

M. Augustin Bonrepaux. Il y a une petite différence !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ne soyons pas trop cruels avec les nôtres, vous avez raison. C'est la méfiance endémique à l'égard de toute initiative de l'Etat quand il transfère. (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Bataille. La droite et la gauche, ce n'est pas pareil !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. On pourrait citer de nombreux exemples. Comment créer le climat de confiance sans lequel rien ne peut aboutir ? Nous avons beaucoup travaillé sur cette question et je pense que nous lui avons apporté des réponses qui sont incontestables.

La première réponse réside dans la Constitution et la garantie du Conseil constitutionnel. Désormais, ce sera clair : lorsqu'un transfert de compétences, un élargissement de compétences ne sera pas loyal du point de vue de la compensation, les députés pourront saisir le Conseil constitutionnel et le faire annuler. (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mesdames, messieurs les députés, est-ce que cela existait avant ? Non !

M. Jean-Marc Ayrault. Et la loi organique ?

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Y a-t-il un niveau de garantie juridique supérieur ? Non !

Cette disposition constitutionnelle est la garantie enfin apportée à tous les élus locaux qu'il n'y a pas de possibilité pour l'Etat de se défausser sur les élus. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Bataille. Il n'y a rien !

M. Bernard Derosier. On en a assez entendu !

M. Augustin Bonrepaux. Ce n'est pas une vraie garantie !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. L'exigence de péréquation est également inscrite dans la Constitution. Cela me permet d'introduire la question de l'évaluation des charges.

M. Augustin Bonrepaux. Et de leur évolution !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Après la garantie constitutionnelle vient le problème de l'évaluation des charges. En effet, à chaque transfert, pour que la loyauté soit complète, tout le monde doit être d'accord sur le contenu du transfert. Le Gouvernement a donc accepté que la commission consultative d'évaluation des charges soit réformée. Elle était présidée, lorsque vous étiez la majorité, par un haut fonctionnaire. A notre demande, elle sera présidée par un élu.

M. François Goulard. Bravo !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ses compétences étaient limitées. Nous avons demandé qu'elles soient élargies. De surcroît, pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté, nous souhaitons qu'elle soit intégrée au comité des finances locales, dont les travaux ont toujours fait autorité. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

J'en viens à la question des périodes de référence, car nous n'évacuons aucune des questions difficiles. S'il est aisé de se mettre d'accord sur la garantie constitutionnelle, sur l'évaluation des charges, qu'en est-il de la question des périodes de référence ? Avec Patrick Devedjian, nous nous sommes engagés à choisir celles qui auraient la préférence des parlementaires.

Le Sénat a proposé de prendre en compte les dépenses de fonctionnement des trois dernières années, plutôt que celles de l'année précédant le transfert, pour une raison que l'on connaît bien : puisque c'est l'année qui précède le transfert, on diminue les dépenses. Nous avons accepté la proposition du Sénat. C'est donc la période des trois années précédant le transfert qui sera retenue, ce qui permettra de garantir l'honnêteté la plus totale. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Mais nous avons fait mieux pour les dépenses d'investissement...

M. Jean-Marc Ayrault. Par exemple pour les transports publics urbains, que vous ne subventionnez plus !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur Ayrault, il n'est pas interdit d'écouter avant de critiquer ! S'agissant des dépenses de fonctionnement, la période retenue sera de trois ans. Pour les dépenses d'investissement, nous faisons mieux, en proposant qu'elles soient calculées sur une moyenne de cinq ans, afin que personne ne puisse subir de déloyauté.

M. François Goulard. Très bien !

M. Christian Bataille. Monsieur Loyal !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. S'agissant des transferts de personnels, ils concerneront les effectifs atteints au 31 décembre 2004, ou au 31 décembre 2002 si le niveau à cette date est plus favorable.

M. Augustin Bonrepaux. Quels effectifs ?

M. Bernard Roman. Vous ne respectez pas les personnels !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est simple : les collectivités retiendront la date qu'elles jugeront la meilleure.

M. Bernard Roman. Et quand il manque des postes ?

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Enfin, le Gouvernement a donné son accord à la création, souhaitée par le Sénat, d'une commission nationale de conciliation chargée d'examiner les éventuels litiges touchant le partage des services.

Parlons maintenant chiffres, pour que tout soit parfaitement clair. S'agissant tout d'abord des nouvelles compétences transférées aux régions, l'enjeu est de l'ordre de 2,5 milliards d'euros en 2003, qui se décomposent de la façon suivante : 1,1 milliard d'euros pour l'éducation, 1,1 milliard d'euros pour le développement économique et 300 millions d'euros pour la santé. Nous vous proposons que ces nouvelles compétences soient intégralement financées par le transfert d'une ressource fiscale dynamique, à savoir une partie de la taxe intérieure sur les produits pétroliers.

M. Augustin Bonrepaux. Elle n'est pas dynamique ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Demandez à M. Lambert !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Nous parlons de choses sérieuses, monsieur Bonrepaux.

M. Pierre Cohen. Justement !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Si nous avons prévu de transférer une part non modulable du produit de la TIPP aux départements, pour assurer le financement du RMI, les régions auront le pouvoir de moduler le taux de la part de la TIPP qui leur sera transférée. Nous en discutons en ce moment même, avec M. Devedjian et M. Lambert, et avec la Commission européenne.

M. Bernard Roman. Espérons que ce sera plus rapide que pour la TVA !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Il est incontestable que cette recette fiscale est dynamique. Une recette fiscale dynamique en effet n'évolue pas uniquement en fonction des prix, mais en fonction du développement économique dans son ensemble...

M. Augustin Bonrepaux. Elle a diminué, votre recette fiscale dynamique ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ...ce qui est naturellement le cas de la TIPP, puisque en période de croissance la consommation de produits pétroliers augmente.

M. Augustin Bonrepaux. Ne dites pas qu'elle est dynamique !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. En Ariège, il n'y a pas que la TIPP qui n'est pas dynamique !

S'agissant des compétences assurées par les départements, leur coût a été en 2003, d'après nos estimations, de 7,75 milliards d'euros : cinq milliards d'euros pour le RMI, 1,3 milliard d'euros pour la voirie ; 1,15 milliard d'euros - pour être très précis - pour l'éducation, la culture et les sports, et 300 millions d'euros pour les autres transferts sociaux.

Le Gouvernement souhaite accompagner le transfert de nouvelles compétences aux départements de celui d'une partie du produit de la TIPP, et d'une partie de la taxe sur les conventions d'assurance, avec la possibilité de voter librement les taux autour d'un taux moyen. La charge financière des compétences transférées s'élèvera à 11,5 milliards d'euros. Or le montant total de la TIPP est de vingt-six milliards d'euros, et celui des taxes sur les conventions d'assurance couvrant tous les risques est de cinq milliards d'euros, soit un total de trente et un milliards d'euros, c'est-à-dire plus de deux fois le coût potentiel des services et des compétences transférés. Mesdames, messieurs les députés, concernant cette question il n'y a donc pas l'ombre d'un doute, à ce moment du débat, sur la loyauté complète et totale du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Pierre Cohen. Monsieur Loyal !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. J'ajoute que nous avons mis un terme au système qui voyait les ministres des finances successifs annoncer des suppressions d'impôts prétendument compensées par des dotations qui ne faisaient l'objet d'aucune évaluation, et surtout d'aucune actualisation, ce qui privait les collectivités territoriales de toute forme d'autonomie financière.

M. Nicolas Forissier. Ça, c'est vrai !

M. Augustin Bonrepaux. Mais non, c'est faux ! Vous mentez !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. La politique que nous vous proposons, avec Patrick Devedjian, est exactement l'inverse de celle que pratiquaient nos prédécesseurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Deflesselles. Ça nous change !

M. Augustin Bonrepaux. Les ressources étaient indexées !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Convenez qu'avec le bilan qui est le vôtre, le moins que l'on puisse attendre de vous, c'est un minimum de discrétion sur un sujet qui, à cause de vous, n'a fait naître chez les collectivités territoriales que méfiance et déception. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Je voudrais conclure ce volet financier par un mot sur la réforme de la taxe professionnelle. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Marc Ayrault. Voilà un dossier très bien préparé ! Et financé !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Disons les choses comme elles sont : la réforme de la taxe professionnelle est devenue incontournable depuis qu'a été prise la décision de supprimer la part salariale de l'assiette de ce prélèvement.

M. François Goulard. Absolument !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Et toute personne qui connaît ce dossier et qui n'est animé d'aucun esprit polémique en conviendra : à partir du moment où vous avez supprimé la part salariale de la taxe professionnelle, vous avez totalement déséquilibré cet impôt,...

M. Bernard Deflesselles. C'est clair !

M. François Goulard. Ça a tué la taxe professionnelle !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ...qui ne repose depuis que sur les investissements.

M. Nicolas Forissier. Absolument !

M. François Goulard. Quelle imbécillité !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Alors que vos journaux font le pari de l'intelligence, vos impôts condamnent les investissements. Comment pouvez-vous affirmer du haut de la tribune de l'Assemblée nationale que vous êtes pour les investissements quand vous nous avez laissé un impôt qui constitue la principale recette des collectivités territoriales assis exclusivement sur les investissements ? On ne peut mieux démontrer la maxime : faites ce que je dis et surtout pas ce que je fais. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Voilà la vérité ! Il fallait le dire !

M. Augustin Bonrepaux. Et qu'allez-vous faire vous-mêmes ? (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Richard Mallié. Taisez-vous, monsieur Bonrepaux !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur Bonrepaux, je reconnais que la question est complexe, mais j'ai un formidable motif d'optimisme : il sera difficile de faire pire que ce vous avez fait ! De ce point de vue, honnêtement, s'il n'est pas sûr qu'on fasse mieux,...

M. Augustin Bonrepaux. Je peux vous donner des conseils !

M. Richard Mallié. Gardez-les, vos conseils !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ...il est impossible de faire pire.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Démago !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Voilà la situation que nous avons trouvée en matière de taxe professionnelle. À partir de là, nous avons posé certains principes directeurs.

Nous pensons d'abord qu'il faut absolument maintenir un lien fiscal entre la collectivité territoriale et l'entreprise.

M. Bernard Deflesselles. Bien sûr !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Sinon, mesdames, messieurs les députés - et cette constatation peut nous rassembler -, les collectivités n'auront plus aucun intérêt à accueillir des entreprises sur leur territoire.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Bien sûr !

M. Didier Migaud. Il fallait y penser avant !

M. Bernard Roman. Chirac n'y a pas pensé !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Elles n'auront comme seul souci que d'aménager des espaces naturels : c'est très bien, mais ce ne sont pas eux qui donnent des emplois à nos compatriotes.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. C'est sûr !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Voilà pourquoi nous souhaitons absolument que ce premier principe soit respecté.

Deuxième règle : cette recette, qui est la ressource principale des collectivités, doit garantir l'effectivité du principe constitutionnel d'autonomie des collectivités territoriales. Or cette autonomie dépend d'abord de la liberté de voter le taux de l'impôt.

C'est sur de ces deux principes que sera bâtie la réforme que nous vous proposerons.

M. Christian Bataille. De la taxe professionnelle ?

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Vous ne serez pas déçus en la matière. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux. Quelle réforme ?

M. Jean-Marc Ayrault. On vous écoute !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Pour terminer (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains)...

Plusieurs députés du groupe socialiste. Répondez !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Écoutez, franchement, ce n'est certainement pas vous, qui n'avez même pas été capables de procéder à l'actualisation des bases de la taxe d'habitation,...

M. Pierre Cohen. Vous non plus !

M. Jérôme Lambert. Vous avez pourtant été ministre du budget !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. ...qui pouvez nous reprocher de ne pas vous livrer un projet tout ficelé de réforme de la taxe professionnelle un mois après l'annonce de la décision du Président de la République. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

J'ajoute que je m'étonne, après que le président Ayrault nous a accusés d'aller trop vite, d'entendre maintenant qu'on ne va pas assez vite pour la réforme de la taxe professionnelle. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Et je ne doute pas que le président Ayrault va présenter une demande de renvoi en commission, et une suspension de séance, afin de permettre au Gouvernement d'aller plus vite !

M. Bernard Roman. On se calme ! Attention au cœur !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Dernier principe, enfin : celui de l'« ouverture ». Comme il est normal, les parlementaires ont déposé plusieurs centaines d'amendements. La volonté du Gouvernement est de se montrer le plus ouvert possible devant l'Assemblée nationale, comme il l'a été au Sénat. D'ailleurs, quel Gouvernement peut dire à l'Assemblée qu'il n'acceptera pas d'amendements ? Mesdames, messieurs les parlementaires, vous pourrez enrichir ce texte, le compléter ou le modifier. Nous ne prétendons pas qu'il est parfait sur tous les points.

M. Jean-Pierre Balligand. Ça non !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Mais nous pensons que c'est une étape extrêmement importante dans l'organisation de notre pays.

Vous l'avez vu, c'est un texte que je défends avec conviction (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), tout simplement parce que je crois que la décentralisation est une étape indispensable de la modernisation de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

(M. Rudy Salles remplace M. Jean-Louis Debré au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES,

vice-président

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, je veux revenir sur mon rappel au règlement précédent, et répéter ce que j'ai dit, puisque ni le Premier ministre ni le ministre de l'intérieur ne nous ont répondu, contrairement à ce que M. le président Debré nous avait laissé espérer. Il nous avait demandé d'attendre les réponses du Gouvernement ; or nous n'avons pas eu de réponse concernant notre demande que, selon la logique, le projet de loi organique soit examiné avant les textes qui organisent des transferts extrêmement étendus de responsabilités vers les collectivités territoriales.

Loin de nous donner une réponse, M. Sarkozy n'a même pas évoqué ce point une seule fois, et je comprends son embarras.

M. Richard Mallié. Il vous a répondu ! Vous ne l'avez même pas écouté !

M. Jean-Marc Ayrault. Au lieu de cela, il s'est livré à un extraordinaire numéro de passe-passe, jusqu'à friser le ridicule quand il s'est fait le premier défenseur des effets d'annonce du Président de la République le 1er janvier, en prétendant que tout cela était prévu depuis très longtemps. Or il sait pertinemment que ce n'est pas vrai, et en cela il manque franchement de sincérité.

Je répète simplement ma question : comment croire en votre sincérité quand vous affirmez que vous allez garantir aux collectivités locales l'autonomie fiscale et des ressources financières équivalentes, alors que vous refusez une fois de plus de présenter d'abord le projet de loi organique ?

M. Bernard Deflesselles. C'est la Constitution !

M. Jean-Marc Ayrault. M. Devedjian nous dira peut-être - et je l'espère - pourquoi vous vous entêtez à refuser que nous examinions le projet de loi organique, si ce n'est parce que vous avez quelque chose à cacher. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Nous, comme les Français, nous jugeons sur pièces. Or, depuis un an, nous assistons à un désengagement de l'Etat. Vous avez parlé des subventions : vous ne cessez de les rogner, au mépris des engagements pris dans le cadre des contrats de plan. Vous remettez en cause tous les budgets sociaux, en renvoyant ces charges sur les collectivités locales. Au regard de l'inflation, on assiste donc à une baisse en francs constants des ressources attribuées aux collectivités locales en 2003 et en 2004. Vous appelez ça de la sincérité ! Comment vous croire dans ces conditions ?

La seule réponse satisfaisante serait d'accepter que soit d'abord examiné le projet de loi organique, et c'est ce que vous refusez, encore et encore, et la raison, on la connaît, elle est simple : vous ne voulez pas que les Français sachent avant les élections le sort que vous leur réservez. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux libertés locales.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Je m'excuse auprès de M. Daubresse, qui devait maintenant prendre la parole, mais l'interpellation de M. Ayrault me contraint à lui donner une petite explication, ce que je fais bien volontiers.

Je soutiens, monsieur Ayrault, que la Constitution offre des garanties très solides quant à la loyauté en matière de compensation des transferts de compétences.

M. Augustin Bonrepaux. Mais non !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Soyez gentil, monsieur Bonrepaux, laissez-moi aller au bout de mon propos si vous voulez avoir une chance de me comprendre et de me répliquer peut-être plus intelligemment encore.

M. Richard Mallié. C'est impossible !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Je crois que la Constitution, qui est la loi suprême, offre, dans son article 72, alinéa 2, de véritables garanties. La preuve en est, de mon point de vue, que le Conseil constitutionnel les a déjà mises en œuvre par les deux décisions qui ont été rendues à la fin de l'année 2003 : il y a affirmé que la compensation des transferts devait être réelle, exhaustive et pérenne, et qu'il annulerait toute disposition de décentralisation qui ne respecterait pas cette exigence.

M. Augustin Bonrepaux. Nous ne parlons pas de cela !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Votre question à propos de la loi organique est tout à fait légitime car cette loi est indispensable. Mais là aussi vous avez déjà une vraie garantie puisque, selon le Conseil constitutionnel, les textes de décentralisation ne pourront pas entrer en vigueur tant que la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités locales ne sera pas adoptée.

Permettez-moi cependant de vous donner des indications supplémentaires. Premièrement, ce projet de loi a été adopté par le Conseil des ministres ; vous connaissez donc parfaitement les intentions du Gouvernement.

M. Augustin Bonrepaux. Elles sont trop claires !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Le Parlement en fera naturellement ce qu'il voudra mais, je le répète, le projet du Gouvernement est connu depuis son adoption en Conseil des ministres.

Deuxièmement ce texte a été déposé à l'Assemblée nationale et, troisièmement son examen est programmé, si je ne me trompe pas, pour le mois d'avril.

M. Bernard Roman. Au Sénat !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Le Gouvernement s'engage donc à ce que le vote définitif de la loi sur les responsabilités locales, après ses deux lectures à venir par l'Assemblée et par le Sénat, n'intervienne pas avant que le Parlement ait examiné le projet de loi organique.

Par conséquent, la loi relative aux responsabilités locales ne sera votée définitivement que quand la loi organique sur l'autonomie financière des collectivités aura elle-même été adoptée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Je remercie M. Devedjian d'avoir enfin commencé à répondre. Pour autant, je ne suis pas rassuré : comme nous le pressentions, nous verrons tout cela au mois d'avril. C'est bien le problème.

M. Bernard Roman. Après les élections !

Reprise de la discussion

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons a été déposé moins de six mois après l'importante révision constitutionnelle du 28 mars 2003 inscrivant dans la norme fondamentale le principe d'une organisation décentralisée de la République. Le Sénat en a discuté dans un esprit d'ouverture, dans la continuité de la concertation menée lors des Assises des libertés locales, au début de l'année dernière, à l'initiative du Premier ministre. Au total, sur plus de 1 300 amendements présentés, le Sénat en a adopté 472, dont une trentaine issus des rangs de l'opposition.

C'est dans le même esprit d'ouverture que votre rapporteur aborde la discussion à l'Assemblée nationale : les nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé, ainsi que la concertation très intense avec les rapporteurs pour avis, MM. Serge Poignant, Dominique Tian et Laurent Hénart, ont confirmé que, s'il y a bien une exigence de décentralisation, désormais indispensable pour mettre fin aux blocages dont souffre notre pays, elle ne saurait être satisfaite à n'importe quel prix ni à n'importe quelle condition. L'objet des amendements que nous présenterons au cours de la discussion est d'éclaircir le texte. En même temps, les auditions nous ont confortés dans une triple conviction : la décentralisation est une chance réelle pour la France ; ce n'est pas, et le Premier ministre vient de le réaffirmer, par une simplification radicale des niveaux d'administration territoriale, mais bien par une clarification des compétences et des responsabilités, qu'on pourra l'améliorer ; enfin, et je le démontrerai dans mon propos, la plupart des inquiétudes qu'elle a suscitées - et encore à l'instant celle exprimée par M. Ayrault - peuvent être levées par la Constitution et par le projet de loi.

Durant la campagne présidentielle, Jacques Chirac avait tracé les contours d'une réforme audacieuse de l'Etat, fondée sur une double exigence : la restauration de l'autorité d'un Etat fort recentré sur ses fonctions régaliennes - et l'on oublie un peu trop que cet objectif a été en grande partie atteint par le ministre de l'intérieur ici présent -, en même temps que la mise en place d'une organisation décentralisée de l'Etat afin que proximité rime avec efficacité.

La décentralisation est une œuvre de longue haleine, une tâche difficile : tous les gouvernements qui y ont travaillé se sont efforcés d'améliorer l'organisation actuelle de l'Etat mais, faute d'avoir engagé une réforme en profondeur, y sont rarement parvenus. Je tiens à le rappeler, c'est le général de Gaulle qui a lancé la décentralisation. Il déclarait en 1968 que « l'effort multiséculaire de centralisation ne s'imposait plus ». Tentée sans succès par Raymond Barre en 1978 dans un projet de loi déposé au Sénat, elle a été concrétisée par les lois Defferre de 1982. Mais, force est de le reconnaître, depuis, le mouvement s'est enrayé.

Pourtant, durant cette période, les collectivités territoriales et leurs groupements ont largement fait la preuve de leur compétence et de leur efficacité. Mais, au fil du temps, elles ont eu l'impression de rester au milieu du gué, elles ont vu rogner leurs marges de manœuvre et, sous le précédent gouvernement, elles ont assisté, impuissantes, à des tentatives à peine voilées de recentralisation pour les mettre sous la tutelle financière de l'Etat.

M. Alain Gest. Tout à fait !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Or, dans la plupart des domaines qu'elles ont pris en charge, ces collectivités peuvent présenter un bilan dont elles n'ont pas à rougir, alors même que l'Etat central peine encore aujourd'hui à moderniser ses propres structures.

L'intérêt de la réforme de la décentralisation est surtout de prendre en compte le profond changement de la France. En vingt ans, la répartition de la population s'est considérablement modifiée : le clivage entre ville et campagne s'est estompé au profit d'aires mixtes aux contours plus flous ; des territoires toujours plus vastes se dessinent autour des grands axes de communication pendant que des zones isolées s'enfoncent dans la désertification. Repenser l'architecture de l'organisation territoriale française à la lumière de cette nouvelle réalité, tel est l'enjeu du projet de loi qui nous est soumis. La commission Mauroy sur l'avenir de la décentralisation l'avait d'ailleurs déjà défini.

M. Alain Gest. Bien sûr !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Lionel Jospin même, le 27 octobre 2000, avait déclaré à Lille, où je l'ai moi-même entendu : « De nouveaux transferts de compétences entre l'Etat et les collectivités locales peuvent et doivent être opérés. [...] Il s'agit de gérer au mieux les services publics les plus proches des citoyens. Les régions ont reçu compétence pour l'aménagement du territoire. [...] A ce titre, elles doivent être mieux associées à la mise en œuvre des programmes structurels européens. [...] La poursuite du transfert aux régions des compétences en matière de formation professionnelle, l'affirmation du rôle directeur de la région pour l'action économique locale pourront, sans doute, rapidement recueillir un large accord. Pour d'autres transferts de compétences qui sont évoqués, ils feront l'objet de débats plus nourris et nous proposerons des expérimentations dans des régions ou des départements. » Il est dommage que le gouvernement précédent n'ait pas réussi à concrétiser d'aussi bonnes intentions.

M. Alain Gest. M. Bonrepaux n'écoute pas !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. On voit donc bien que le débat d'aujourd'hui n'est pas idéologique ; il vise à introduire plus de cohérence, d'efficacité et de proximité.

En fait, la décentralisation répond à une triple exigence : démocratique, économique et sociale.

Une exigence démocratique, d'abord, car les 36 779 communes de France, les 100 départements et les 26 régions sont autant de lieux de débat qui constituent les cellules de base de notre démocratie. Cette multitude est souvent présentée comme un handicap, mais les Français sont profondément attachés à cette richesse et, contrairement à ce que l'on entend dans les médias ou dans la bouche de certains hommes politiques, 67 % d'entre eux souhaitent la coexistence des trois échelons locaux - région, département, commune - et 57 % souhaitent aller plus loin par l'amplification de l'évolution décentralisatrice.

Une exigence économique, ensuite. Le discours des opposants à la décentralisation est connu : la crise économique qui frappe les économies occidentales plaiderait pour un renforcement du rôle de l'Etat, seul à même d'anticiper les chocs et de donner une direction pour retrouver le chemin de la croissance. Là encore, il apparaît que cette vision colbertiste de l'économie a montré ses limites.

J'attire en particulier votre attention sur une récente étude du Crédit local de France qui souligne : « Les variations de la dépense totale de l'Etat n'ont pas d'impact systématique, ni positif ni négatif, sur les variations concomitantes du PIB ; par contre, les variations de la dépense des collectivités locales exercent une influence stimulante sur la croissance nationale, essentiellement par le moyen de leurs investissements ». C'est bien parce que nos collectivités territoriales ont investi massivement au cours des dernières années que nous avons pu rétablir la situation économique face au repli de la croissance. Nous pouvons leur dire merci, au lieu de nous effrayer de plus de décentralisation.

M. Alain Gest. C'est exact !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Une exigence sociale, enfin. C'est, sans conteste, l'argument qui a été défendu avec le plus de constance lors des débats sur la révision constitutionnelle et sur la prétendue atteinte au principe d'égalité. Sans minimiser les inquiétudes des uns et des autres, il paraît nécessaire de revenir sur deux postulats : le premier qui voudrait que seul un Etat centralisé assure l'égalité, le second qui dénie à l'échelon local la capacité d'assurer la cohésion sociale.

A ceux qui craignent une aggravation des inégalités, je réponds que jamais la société française n'a été aussi inégalitaire que quand l'Etat était centralisé. De nombreuses études montrent que ces inégalités ont tendance à se réduire dans des Etats à organisation décentralisée et à s'accentuer dans des Etats jacobins.

L'analyse effectuée par le délégué général de l'observatoire de l'action sociale décentralisée est également significative. Elle montre toute l'importance de l'action des départements : en dix ans, leurs dépenses sociales ont augmenté de 145 %, pendant que l'indice du coût de la vie augmentait de 52 %. Les départements ont dépensé trois fois plus d'argent que l'Etat pour aider les plus démunis. C'est donc bien eux qui ont réussi à réduire les inégalités créées par l'Etat jacobin. D'autres comparaisons peuvent le confirmer. Par exemple, avec la décentralisation, la part des dépenses sociales consacrée à l'insertion et à l'accompagnement social est passée de 18 % à 26 % et le soutien aux personnes handicapées de 16 % à 22 %. Les faits sont là : la décentralisation des lycées, des collèges et de l'action sociale aux départements, ou des transports de voyageurs aux régions, a réduit les inégalités en même temps qu'elle augmentait la qualité du service.

A ceux qui craignent une augmentation des impôts locaux, je réponds qu'en vingt ans, de 1982 à 2002, la décentralisation n'a pas entraîné d'augmentation des prélèvements obligatoires, hors prélèvements sociaux, mais a conduit à une redistribution à l'intérieur de ces prélèvements pendant qu'elle améliorait le service rendu à la population. Il suffit de lire la dernière enquête de L'Expansion sur la gestion des régions pour s'en convaincre : contrairement à ce que vient de dire M. Ayrault, le problème n'est pas, n'est plus, la compensation des charges financières de l'Etat vers les collectivités territoriales, puisqu'il a été réglé dans notre Constitution ; le problème, c'est qu'il y a des régions bien gérées et des régions mal gérées.

M. Alain Gest. Des départements aussi !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Les élus locaux font des choix et les assument devant les électeurs, qui décident de les reconduire ou de les sanctionner.

Que ceux qui ici poussent des cris d'orfraie sur le risque d'augmentation des impôts locaux fassent preuve d'un peu d'humilité et commencent par balayer devant leur porte. Car, à l'évidence - et le président Méhaignerie l'a démontré -, en 2003, les principales augmentations de la fiscalité locale provenaient des transferts de charges non compensés par le gouvernement précédent : l'allocation personnalisée d'autonomie, les services d'incendie et de secours, le coût des 35 heures porté à la charge des collectivités territoriales.

M. Alain Gest. Et ce n'est pas fini !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Penchons-nous sur le baromètre de L'Expansion : on y voit que la fiscalité de la Bretagne, des Pays-de-la-Loire et de Poitou-Charente, est de 20 % inférieure à celle de l'Aquitaine, de Midi-Pyrénées et du Limousin. C'est donc bien qu'il y a des collectivités qui savent maîtriser la fiscalité locale et d'autres qui augmentent les impôts locaux.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. C'est vrai !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. La conclusion s'impose : grâce aux protections que nous apporte l'article 72 de la Constitution, il n'y aura pas de hausse de la fiscalité dans les collectivités bien gérées ; il y en aura probablement dans celles qui le sont mal. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Augustin Bonrepaux. Ah oui ? Et l'Ille-et-Vilaine, il y a deux ans ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Monsieur Bonrepaux, je présidais la séance quand nous avons examiné le principe du transfert du RMI et du RMA.

M. Augustin Bonrepaux. J'étais là aussi !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Je vous ai entendu vitupérer contre ce principe. Et, après que M. Fillon a expliqué dans le détail comment seraient compensés le RMI ou le RMA, on n'a plus entendu personne.

M. Augustin Bonrepaux. 2 % d'augmentation des impôts !

M. Alain Gest. N'importe quoi !

M. Augustin Bonrepaux. Je peux vous le prouver !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. De grâce, lisez les textes, acceptez la réalité des garanties qui viennent d'être, encore une fois, apportées par le ministre de l'intérieur.

M. Augustin Bonrepaux. La TIPP n'est pas évolutive, ce n'est pas vrai !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Je vais y venir.

Désormais, les transferts de charges entre l'Etat et les collectivités territoriales seront effectués sous le contrôle du Conseil constitutionnel. Pour mieux affirmer encore ce principe et répondre à une demande forte des élus, la commission des lois a adopté un amendement de votre rapporteur élargissant les compétences de la nouvelle commission d'évaluation des charges à l'ensemble des questions ayant trait aux délégations de compétences et aux transferts de personnels. S'inspirant de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de finances pour 2004, elle a adopté, à l'article 88, un amendement obligeant l'État à maintenir dans des proportions équivalentes le niveau global des ressources qui sont imparties aux collectivités territoriales pour l'exercice de leurs nouvelles compétences. Elle a précisé la notion d'engagement pour la compensation des dépenses engagées dans le cadre des contrats de plan Etat-région. Elle a également précisé l'article 88 ter introduit par le Sénat en indiquant que toute création ou extension de compétences devait être accompagnée des ressources nécessaires déterminées par la loi. Elle a encore réintroduit, à l'article 92, conformément au vœu du rapporteur général, Gilles Carrez, le dispositif permettant l'évaluation des transferts par le Conseil national d'évaluation des politiques publiques locales.

Honnêtement, mes chers collègues, nous n'avons jamais eu un dispositif aussi protecteur,...

M. Alain Gest. Exact !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. ...qui définit de manière aussi précise dans quelles conditions les ressources financières seront transférées aux collectivités territoriales.

M. Loïc Bouvard. Très bien !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Reste à régler le problème de la péréquation, qui doit s'exercer à deux niveaux : des collectivités les plus riches vers les plus pauvres, d'une part, et de l'Etat vers les collectivités ou leurs groupements, d'autre part. Cela fera l'objet de la loi organique dont nous venons de parler.

J'en viens aux inquiétudes des personnels de l'Etat devant passer sous l'autorité des exécutifs locaux.

A l'évidence, les procès d'intention que nous avons connus à l'occasion de la réforme des retraites étaient totalement infondés et la discussion qui a eu lieu avec les organisations syndicales a fortement contribué à les dissiper. C'est pourquoi, même si le pouvoir législatif garde toute sa liberté par rapport à l'exécutif, il ne sera pas inutile que nous ayons à l'esprit les termes de cette concertation avec les partenaires sociaux au moment où nous examinerons les amendements correspondants.

Ce projet de loi reconnaît un certain nombre de garanties aux agents des services transférés en leur offrant notamment la possibilité de choisir entre le statut de la fonction publique nationale et celui, tout aussi attractif - je tiens à le dire -, de la fonction publique territoriale.

M. Alain Gest. Qui est même plus attractif !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Il appartiendra au ministre de la fonction publique d'indiquer s'il souhaite ou non créer une nouvelle filière de la fonction publique territoriale pour ces personnels TOS. En tout cas, il est significatif de constater que, vingt ans après, aucun des personnels transférés aux départements par les lois Defferre n'a demandé à revenir dans la fonction publique d'Etat,...

M. Alain Gest. Exact !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. ...de même qu'aucun des personnels municipaux qui travaillent dans les écoles de nos communes ne le souhaite.

Les agents des services transférés pourront conserver un lien statutaire avec leur administration d'origine grâce au détachement sans limitation de durée. Toutes les garanties ont été apportées dans ce domaine. Nous avons, pour notre part, déposé des amendements afin de clarifier le problème de la retraite et de son influence sur la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales.

J'en viens maintenant au détail du projet de loi sur les transferts de compétences.

La commission des lois a adopté près de 200 amendements issus non seulement des travaux du rapporteur mais aussi de ceux de nombreux autres de ses membres, qu'ils appartiennent à la majorité ou à l'opposition,... bien que celle-ci s'intéresse peu à cette heure au débat.

Ainsi, en matière de développement économique, la commission vous propose de préciser les conditions d'élaboration et le rôle du schéma régional de développement économique prévu à l'article 1er. Un amendement d'un député du groupe communiste a été adopté faisant en sorte que la consultation des organisations syndicales représentatives soit explicitement prévue au stade de son élaboration.

La commission a également adopté un amendement important simplifiant les modalités de révision du schéma directeur de la région Ile-de-France.

Dans le domaine du tourisme, la commission a clarifié les compétences respectives de chaque niveau de collectivité.

Pour ce qui est de la formation professionnelle, la commission a supprimé l'article 5 bis, introduit par le Sénat, affirmant la compétence de l'Etat en matière de formation professionnelle destinée aux Français de l'étranger. Elle a précisé les conditions de la délégation par l'Etat aux régions des stages d'insertion et de formation à l'emploi et des stages d'accès à l'entreprise.

S'agissant des routes et de la voirie - qui fait beaucoup parler en ce moment alors que, à l'évidence, ceux qui en parlent n'ont pas lu le projet de loi et n'ont pas saisi sa portée réelle -...

M. Alain Gest. Absolument !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. ...la commission a profondément modifié les conditions du transfert des routes nationales aux départements, en le subordonnant, non plus à quatre critères comme dans le projet de loi initial, mais au seul et unique critère de l'intérêt national ou européen. Elle a souhaité que ce critère puisse également servir de fondement au réexamen du statut départemental de certaines routes.

Quant aux dispositions relatives aux péages inscrites à l'article 14, elles ont été clarifiées. En outre, la commission a rétabli l'avis systématique de la région et de toutes les communes traversées sur tout projet d'institution de péage, qui, je le rappelle, ne peut concerner que les routes nouvelles et non le parc existant.

Pour ce qui est de l'action sociale, la commission a adopté un amendement supprimant l'avis du comité régional de l'organisation sociale et médico-sociale dans l'élaboration du schéma départemental et astreint l'Etat à faire connaître ses orientations au conseil général dans un délai de six mois.

Par ailleurs, la commission a beaucoup travaillé sur le logement. Je pense que mon collègue Serge Poignant en parlera abondamment.

Ce travail a porté sur deux domaines majeurs. En fait, il y a une mini-loi logement dans le projet de loi.

D'une part, le rôle de l'Etat comme garant du droit au logement est reconnu et celui-ci est institué cogestionnaire du plan d'action pour le logement des personnes défavorisées. Le dispositif prévu laisse certes la possibilité aux collectivités territoriales ou à leurs groupements de loger les personnes les plus démunies, mais l'Etat dispose d'un pouvoir de coercition en cas de non-respect par les collectivités territoriales de ces objectifs. On a ainsi trouvé un équilibre entre la territorialisation des politiques et le rôle de l'Etat en tant que garant du droit au logement.

D'autre part, Serge Poignant et moi-même avons élaboré sur ce que l'on appelle le « conventionnement global », un amendement très important pour les organismes de logements sociaux. Il vise à trouver une forme de péréquation dans le cadre même de la territorialisation des politiques, c'est-à-dire, en clair, à permettre de répondre à des problèmes de logements sociaux dans des zones très pauvres en utilisant les excédents qui peuvent exister dans des zones très riches. Je pense que nous avons fait là œuvre utile en nous efforçant de réduire les inégalités dans le cadre même de la décentralisation. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Sur l'éducation, je n'insisterai pas, car le Sénat a bien travaillé.

En ce qui concerne la culture, la commission a supprimé, car elle l'a considéré superfétatoire, l'article 73 bis introduit par le Sénat pour encourager la politique de prêt du musée du Louvre. Elle est déjà prévue par la loi. Il n'était donc pas nécessaire de le rappeler.

Pour le sport, la commission a retenu toute une série d'amendements, proposés par de nombreux collègues et en particulier par M. Landrain, reprenant des propositions adoptées au cours des états généraux du sport et ayant pour objet de valoriser le rôle des collectivités territoriales dans la pratique sportive, en particulier les sports de nature. Les états généraux du sport n'ont donc pas été que des causeries vaines.

S'agissant des dispositions relatives aux communes, la commission a adopté un amendement pour supprimer l'article 100 bis introduit par le Sénat permettant à une commune d'exercer elle-même les compétences imparties au centre communal d'action sociale. Je sais que cette question donnera lieu à un débat. La commission des lois et la commission des affaires culturelles sont formelles : il faut rendre obligatoires les CCAS dans les communes et continuer à y associer étroitement les associations œuvrant dans le domaine social et les élus pour définir la politique sociale de nos communes.

M. Édouard Landrain. Bien sûr !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. La commission a précisé la rédaction de l'article 99 A afin d'encadrer par la loi les modalités de coopération entre les communes et les autres collectivités territoriales.

S'agissant de l'intercommunalité, la commission a adopté un amendement obligeant le département ou la région à motiver le rejet des demandes faites par un EPCI dans le cadre d'un appel à compétences déléguées.

Elle a redéfini à l'article 111 les pouvoirs de police pouvant être exercés conjointement par le président de l'EPCI et le maire.

Elle a rendu optionnelle, à l'article 104, l'application de la fiscalité mixte à un établissement public de coopération intercommunale issu d'une fusion de deux établissements dont l'un au moins est à fiscalité mixte, de manière à éviter les risques de dérive des impôts locaux. La commission est très sensible aux mises en garde du président Méhaignerie. Il faut que les collectivités locales montrent l'exemple. Ne les incitons donc pas, par des textes de loi, à adopter des fiscalités mixtes.

La commission a autorisé le recrutement d'agents de police municipale pour les établissements publics de coopération intercommunale à cotisation fiscalisée.

Elle a permis au représentant de l'Etat d'autoriser l'adhésion d'une commune à un EPCI lorsque celle-ci en était empêchée par le refus d'adhésion d'une autre commune.

Elle a réformé la procédure d'attribution de la dotation de solidarité communautaire, ainsi que les modalités de révision de l'attribution de compensations pour l'intercommunalité.

La commission a encore rétabli la possibilité d'accorder des fonds de concours en matière de dépenses de fonctionnement et créé un nouvel outil juridique facilitant la coopération transfrontalière entre collectivités territoriales dans le cadre de « districts européens ».

Enfin, ce matin, la commission a instauré une conférence des exécutifs permettant de réunir dans une même instance les exécutifs régionaux, départementaux et ceux des principales intercommunalités pour traiter à la fois des transferts de compétences et de leur extension éventuelle et de l'ensemble des problèmes de politique territoriale. Dans de trop nombreuses régions, les exécutifs ne travaillent pas ensemble alors que cela ferait gagner beaucoup d'argent s'ils le faisaient.

Une récente étude d'opinion démontre que le texte qui nous est soumis répond à une réelle préoccupation des Français pour plus de proximité et d'efficacité. Nous souhaitons donc que, dans le débat qui s'ouvre, nos collègues ne perdent pas de vue l'objectif final à atteindre. Afin de dissiper les inquiétudes légitimes et sans remettre en cause l'architecture territoriale actuelle, nous avons essayé de trouver des équilibres, qui sont fragiles et qu'il ne faudrait pas mettre en péril au risque de « détricoter » l'ensemble du projet. Mieux vaut tendre à l'équilibre qu'à la perfection...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Elle n'est pas de ce monde...

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. ...car c'est déjà une perfection que d'atteindre l'équilibre. (Rires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Enfin, essayons d'éviter de tomber dans un débat d'experts ès collectivités locales ou de recourir à des considérations idéologiques d'un autre âge.

Dans son Anthologie de la poésie française, Georges Pompidou cite cet adage : « A force de sculpter dans le marbre, on en oublie le vent.» A force de sculpter dans le marbre, notre Etat était devenu impuissant et nos compatriotes nous l'ont fait savoir avec force lors des dernières élections présidentielles.

Ecoutons donc le vent qui monte de nos villes et de nos campagnes afin de rapprocher la République des citoyens et de faire vivre les valeurs de la République au quotidien sur le terrain. C'est tout le sens de ce projet de loi, que la commission préconise de dénommer « projet de loi relatif aux responsabilités et libertés locales » et qu'elle vous propose d'adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Dominique Tian, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre de l'intérieur, monsieur le ministre délégué aux libertés locales, mes chers collègues, les Français veulent plus d'Etat en ce sens qu'ils veulent que celui-ci exerce ses fonctions régaliennes - la popularité de Nicolas Sarkozy le confirme - mais ils veulent aussi plus de liberté, plus de proximité et des interlocuteurs qui décident et qui soient responsables devant eux. C'est pourquoi la décentralisation est indispensable et c'est d'ailleurs le modèle adopté par les autres pays européens.

Mais il fallait une volonté politique pour réformer l'Etat, celle que le Président de la République a clairement manifestée, le 10 avril 2002, à Rouen, en déclarant : « La centralisation est devenue aujourd'hui un handicap pour la France. L'esprit d'initiative et les libertés locales ont trop longtemps été étouffés. »

Dans le droit fil de ce discours, le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, indiquait, le 28 février 2003 : « Je veux engager une étape significative et forte de la décentralisation en France parce que je crois aux vertus de la proximité. La proximité est source d'efficacité. Les élus veulent s'engager et être jugés sur le bilan de leurs actions. »

Aujourd'hui, nous commençons l'examen, après le Sénat, d'un texte essentiel qui marque cette volonté historique de décentralisation.

De, nombreux articles ressortissent du champ de compétence de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, qui s'est saisie pour avis des articles relatifs à la formation professionnelle : articles 5 à 11 ; à la solidarité : articles 39 à 47 ; à la santé : articles 53 à 59 ; à l'éducation : articles 60 à 71 ; et à la culture : articles 73 à 76.

J'évoquerai tout d'abord la formation professionnelle.

Le mouvement de décentralisation engagé en 1983 a conduit à reconnaître aux régions une compétence de droit commun en matière de formation professionnelle, mais l'Etat a continué à développer parallèlement des politiques de formation, en particulier vis-à-vis des demandeurs d'emploi, en s'appuyant sur l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes - l'AFPA. Cette coexistence a conduit à un dispositif complexe dont le pilotage public est manifestement insuffisant. Le présent projet propose donc une clarification.

Dorénavant, la région aura une compétence générale de définition et de mise en œuvre de la politique régionale d'apprentissage et de formation professionnelle. En conséquence, l'Etat transférera aux régions ses compétences actuelles en matière de réception des déclarations préalables des maîtres d'apprentissage et d'enregistrement des contrats d'apprentissage, d'appui à la validation des acquis de l'expérience, d'organisation et de financement de la plupart des stages actuellement assurés par l'AFPA, de participation au financement des missions locales et des permanences d'accueil, d'information et d'orientation des jeunes - les PAIO -, réseau dont la coordination sera assurée par les régions.

Les transferts de compétences de l'Etat aux régions en matière de formation professionnelle doivent être cadrés le plus précisément possible dans la loi, afin que leurs interventions respectives reposent désormais sur une base légale incontestable. J'ai déposé un amendement afin de préciser que les SAE et les SIFE doivent rester de compétence d'Etat puisqu'il s'agit davantage d'outils de la politique de l'emploi que de la formation professionnelle.

Dans le domaine de l'action sociale et médico-sociale, le département demeure un acteur privilégié. La loi du 22 juillet 1983 portant transfert en matière d'action sociale et de santé a conféré au département une compétence de droit commun en matière d'aide sociale légale. Un pas nouveau de rationalisation et de simplification devait être fait. Le présent projet de loi affirme et renforce le rôle de coordination du département dans le domaine de l'action sociale et médico-sociale.

Par ailleurs, la totalité de la gestion des fonds d'aide aux jeunes en difficulté est transférée aux départements. Actuellement gérés à parité par l'Etat et les départements, ces fonds viennent aider les jeunes de 18 à 25 ans - âge à partir duquel est ouvert le droit au RMI.

Dans le domaine de la formation en travail social, trois articles du projet précisent les compétences respectives de l'Etat et des départements. Il faut noter que la responsabilité de l'agrément et du financement des établissements dispensant des formations initiales en travail social est transférée au département.

Enfin, un rôle de coordinateur principal de l'action sociale en direction des personnes âgées est attribué au département.

Dans le domaine de la santé, et en particulier en matière hospitalière, la loi du 22  juillet 1983 n'a confié que des compétences très limitées aux collectivités locales. Depuis lors, il est apparu que ce partage des compétences ne favorise pas en définitive l'efficacité de l'action publique. C'est pourquoi le projet de loi propose de conjuguer le besoin de proximité et l'exigence de cohérence dans les politiques de santé, en confiant de nouvelles compétences aux collectivités locales et en renforçant l'échelon régional.

Les régions pourront participer, avec voix consultative, aux commissions exécutives des ARH, et elles le pourront avec voix délibérative, si elles souhaitent participer, à titre expérimental, au financement et à la réalisation des équipements sanitaires.

La gestion des écoles de formation des professions paramédicales sera transférée aux régions.

A titre expérimental, la responsabilité de l'Etat en matière de résorption de l'insalubrité dans l'habitat et de lutte contre le saturnisme pourra être confiée aux communes.

La première étape de décentralisation - lois Defferre-Mauroy - a eu d'importantes répercussions sur le fonctionnement du système éducatif. Le service public de l'éducation a grandement bénéficié de ces transferts de compétences, notamment en ce qui concerne le patrimoine immobilier des établissements. Quand il s'est agi de construire, de rénover, d'entretenir les établissements et de renforcer le matériel pédagogique, les collectivités locales, y compris les moins riches, se sont montrées plus efficaces et plus généreuses que ne l'avait été l'Etat pendant longtemps.

Aujourd'hui, une nouvelle étape est devenue indispensable. Le projet de loi oriente les nouveaux transferts de compétences dans trois directions.

Il s'agit d'abord de mieux associer les collectivités territoriales aux choix de politique éducative. Pour cela il est proposé de créer un conseil territorial de l'éducation nationale compétent sur toute question d'éducation intéressant les collectivités territoriales, de modifier le fonctionnement des conseils académiques de l'éducation nationale, d'étendre le champ du plan régional de développement des formations et celui du schéma prévisionnel régional des formations.

Dans le même esprit, les communes et les départements deviendraient compétents en matière de sectorisation des écoles et des collèges.

Il est prévu ensuite d'étendre les compétences des départements et des régions dans les domaines de l'accueil, de la restauration, de l'hébergement et de l'entretien général et technique dans les établissements dont ils ont la charge.

Pour améliorer le fonctionnement de ces activités et des travaux liés aux bâtiments, les collectivités concernées devront prendre en charge le recrutement, la gestion et la rémunération des personnels techniques, d'entretien et de service - les TOS - qui travaillent dans les établissements. Il est important de souligner que les 94 000 agents concernés auront le choix de rester fonctionnaires d'Etat ou de rejoindre la fonction publique territoriale.

Pour ce qui concerne la culture, les lois de décentralisation de 1983 n'ont transféré que très peu de compétences aux collectivités locales en matière culturelle ou de gestion du patrimoine. Pourtant, la façon dont l'Etat entretient le patrimoine de notre pays a fait l'objet de nombreuses critiques, au point que Mme Catherine Tasca, ministre de la culture, commanda à M. Labrusse un rapport pour mieux comprendre les raisons de la sous-consommation chronique des crédits. Le budget non-employé s'élevait en 2001 à plus de 632 millions d'euros. L'essentiel de ce retard, selon ce rapport, peut être imputé aux difficultés dans la conduite des missions de programmation et de maîtrise d'ouvrage de l'Etat.

Parallèlement, les communes jouent un rôle essentiel dans le secteur patrimonial puisqu'elles sont le plus souvent propriétaires de monuments et d'objets protégés qu'elles doivent conserver et mettre en valeur : 40 000 monuments protégés et 400 000 éléments de patrimoine de proximité sont ainsi répartis dans 15 000 communes. Il faut donc relancer un mouvement de décentralisation en matière culturelle. Celui-ci portera sur la conservation du patrimoine et la formation artistique.

En ce qui concerne le patrimoine, le ministre de la culture a constitué, en juin 2002, une commission de réflexion et de concertation, présidée par M. Jean-Pierre Bady. Ses conclusions, bien connues, sont à l'origine des dispositions présentées dans le présent projet de loi, qui propose de transférer définitivement aux régions la responsabilité de l'organisation et de la réalisation de l'Inventaire général du patrimoine culturel, de transférer la propriété de certains monuments historiques classés ou inscrits appartenant à l'Etat ou au Centre des monuments français aux collectivités territoriales qui le souhaitent et d'expérimenter la décentralisation de la gestion des crédits budgétaires affectés à l'entretien et à la restauration des monuments et objets mobiliers classés ou inscrits n'appartenant pas à l'Etat.

En première lecture - M. Daubresse l'évoquait à l'instant - le Sénat avait souhaité mener une expérimentation visant à assurer le prêt d'une partie des collections du Musée du Louvre à des musées territoriaux. Je vous proposerai d'aller plus loin - il faudra revoir le texte avec M. Daubresse - en étendant ce dispositif à l'ensemble des musées nationaux.

En matière d'enseignement artistique du spectacle, le projet de loi tend tout d'abord à redéfinir avec précision les compétences respectives de chaque niveau de collectivité territoriale pour l'organisation et le financement des établissements d'enseignement artistique du spectacle : écoles nationales de musique, de danse et d'art dramatique et conservatoires nationaux de région.

L'Etat demeure, quant à lui, responsable du classement des établissements et de leur habilitation à délivrer les diplômes ainsi que de la définition des qualifications des enseignants. Sa responsabilité pour les établissements d'enseignement supérieur de la musique, de la danse, du théâtre et des arts du cirque est par ailleurs confirmée.

En conclusion, monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, j'indique que l'avis de la commission est bien entendu favorable. Le Gouvernement, aidé en cela par le Sénat, nous présente un texte qui rejoint la préoccupation du plus grand nombre de nos concitoyens et des élus : une décentralisation qui simplifie et clarifie le paysage administratif de la France pour plus de démocratie et pour plus de responsabilité et plus d'efficacité de nos services publics. C'est ce que veulent les Français et la majorité des membres de la commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

M. Serge Poignant, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi relatif aux responsabilités locales opère le transfert d'un certain nombre de compétences intéressant directement la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, puisqu'il prévoit entre autres de confier aux collectivités territoriales des compétences étendues dans les domaines du développement économique, du tourisme, des infrastructures, de la gestion des déchets et du logement. Aussi la commission a-t-elle décidé de se saisir pour avis des chapitres  I er et I er bis du titre Ier, consacrés au développement économique et au tourisme, des chapitres II, III et V du titre II, qui contiennent les dispositions relatives aux infrastructures, au transport en Ile-de-France et à la protection de l'environnement, et du chapitre III du titre III, qui traite du logement social et de la construction.

La commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire a approuvé cette réforme, estimant que le projet de loi était équilibré dans la décentralisation qu'il opérait, avec le mérite d'approfondir et de clarifier certaines compétences déjà décentralisées, mais aussi d'expérimenter la délégation de nouvelles compétences, comme c'est par exemple le cas pour le logement. Par ailleurs, pour ne considérer que les secteurs dont la commission s'est saisie, le projet de loi m'apparaît bien répondre, globalement, aux objectifs affichés de proximité et d'efficacité, que je partage avec le Gouvernement.

Messieurs les ministres, avant d'entrer dans le détail des amendements adoptés par notre commission, je voudrais faire état de considérations plus générales, qu'il me semble important de développer.

Depuis vingt ans, chacun de nos concitoyens a eu le temps de se rendre compte que la décentralisation contribue à une plus grande efficacité de l'action publique. Les collectivités territoriales ont démontré leur capacité à bien gérer les finances publiques et même à le faire mieux que l'Etat en raison de leur proximité avec les citoyens. Pour ne prendre qu'un exemple, les collectivités territoriales sont aujourd'hui à l'origine de plus des deux tiers de l'investissement public. Elles concourent ainsi de manière décisive au soutien de la croissance.

Forts de cette expérience, nous devons maintenant renforcer l'organisation décentralisée de la République, tout en restant attentifs aux possibles effets pervers, et notamment à deux points majeurs.

Premièrement, l'Etat doit se recentrer sur ses missions régaliennes et de solidarité, tout en les exerçant avec plus d'efficacité. II se doit de rester le garant de l'équilibre territorial de la République. La décentralisation de compétences toujours plus nombreuses aux collectivités doit s'accompagner de la mise en place d'une péréquation plus efficace, permettant de renforcer la cohésion nationale. Ce sera l'objet du projet de loi organique qui a été précédemment évoqué. Parallèlement, la politique d'aménagement du territoire doit rester une priorité pour l'Etat. Celui-ci se doit d'impulser la réflexion, de fédérer les énergies, de mettre en œuvre une politique novatrice dans ce domaine, qui permettra de « démultiplier » les effets positifs de la décentralisation.

Deuxièmement, dans ce nouveau contexte, il conviendra de veiller avec une attention toute particulière à ce que les grands équilibres financiers des collectivités ne soient pas remis en cause. J'ai bien noté, monsieur le ministre, que les réformes entreprises, et notamment la réforme constitutionnelle, ainsi que les assurances données par le Gouvernement lors des assises des libertés locales et renouvelées cet après-midi par M. le Premier ministre et vous-même, sont de nature à conforter les élus locaux dans leur adhésion au processus. Ainsi, par exemple, pour éviter tout transfert non financé, il est expressément prévu que les transferts de compétences n'entreront en vigueur que si la loi de finances pour 2005, chargée de fixer les montants des charges transférées et de déterminer les modalités de la compensation, prévoit les financements adéquats. Je vous proposerai toutefois un certain nombre d'amendements tendant à renforcer ou à améliorer la transparence du dispositif.

Pour ce qui concerne les articles dont elle s'est saisie, la commission des affaires économiques s'est déclarée favorable à l'adoption du projet de loi, tout en souhaitant l'adoption d'un certain nombre d'amendements que je défendrai le moment venu.

Avant toute chose, je rappelle que j'ai tenu à travailler en très étroite coordination avec les rapporteurs des autres commissions, et notamment avec  Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois, saisie au fond. Je lui adresse tous mes remerciements et je voudrais remercier également Laurent Hénart et Dominique Tian, respectivement rapporteurs pour avis de la commission des affaires culturelles et de la commission des finances, pour la réflexion commune qui a pu être menée très concrètement.

S'agissant des dispositions relatives au développement économique, la commission a approuvé le rôle de chef de file clairement attribué aux régions. Elle a toutefois souhaité inclure les aides collectives au transfert de technologie et à l'innovation dans la liste des crédits transférables. En effet, la formulation retenue par le projet de loi dans sa version adoptée par le Sénat limite le transfert de compétences d'intervention économique aux régions aux seules aides économiques individuelles, alors que, de plus en plus, les collectivités locales veulent pouvoir agir en matière de transfert de technologie et de soutien à l'innovation.

En ce qui concerne le tourisme, la commission n'a pas apporté de modifications au texte du Sénat.

S'agissant des infrastructures, la commission a étendu la procédure de « diagnostic » avant transfert, ajoutée par le Sénat en matière de logement étudiant, au transfert des infrastructures aéroportuaires, portuaires et fluviales.

En ce qui concerne les déchets, la commission n'a pas apporté de modifications au texte du Sénat.

Les dispositions qui ont fait l'objet du plus grand nombre d'amendements concernent le logement social. La commission a ainsi rétabli la délégation du contingent préfectoral à l'EPCI, avec une possibilité de subdélégation au maire, tout en permettant aux communes de continuer à bénéficier du contingent prévu en cas de garantie d'emprunt, même lorsque l'EPCI devient garant. Tout en confortant la délégation de compétence au profit des communautés, cet amendement vise à prendre en compte la légitimité des droits de réservation dont doivent bénéficier les communes d'implantation des logements sociaux.

La commission a également rétabli le seuil de 50 000 habitants pour la délégation des aides à la pierre aux communautés de communes, afin de revenir à la cohérence initiale du projet de loi qui prévoyait une délégation de crédits aux EPCI dans les zones les plus urbanisées et aux départements dans les zones rurales.

Elle a aussi voulu clarifier le circuit financier de délégation des crédits d'aide à la pierre, tout en précisant le rôle de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat. Elle a également rétabli les commissions locales d'amélioration de l'habitat, chargées de donner un avis sur l'attribution des aides en faveur de l'habitat privé. S'agissant d'aides accordées directement à des personnes physiques, l'avis de ces commissions constitue, en effet, une protection pour les autorités délégataires.

Elle a par ailleurs tenu à améliorer la cohérence de la loi Borloo du 1er août 2003, notamment en confiant aux préfets de région la gestion des conventions de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine prévues au XIII de l'article 49 du projet de loi, dans la mesure où l'ensemble des délégations relatives aux aides à la pierre relèvera désormais de la compétence des préfets de région.

S'agissant du programme local de l'habitat, la commission des affaires économiques a tenu à intégrer au PLH l'hébergement des personnes défavorisées et le logement étudiant.

La commission a également adopté un article additionnel d'une grande importance - comme l'a souligné Marc-Philippe Daubresse - qui doit permettre aux organismes HLM, à l'Etat et aux collectivités locales d'engager le dialogue en vue du « conventionnement global » des organismes, attendu de longue date, afin de déterminer les conditions d'adaptation territoriale des règles de gestion locative du parc social existant, cette possibilité d'adaptation n'étant prévue dans le présent projet de loi que pour le parc construit, réhabilité ou acheté après délégation.

La commission s'est attachée à rétablir le copilotage du plan départemental d'aide au logement des personnes défavorisée, supprimé par le Sénat. En effet, le PDALPD n'est pas un outil servant uniquement à la gestion du Fonds de solidarité pour le logement, auquel cas la rédaction adoptée par le Sénat aurait pu se justifier. Il constitue également un cadre de référence pour certaines actions de politique sociale, notamment la mise en œuvre du droit au logement, dont l'Etat se doit d'être le garant, et la gestion des délégations des aides à la pierre, telle que prévue à l'article 49.

La commission a aussi prévu, au titre de la solidarité, une contribution minimale des distributeurs d'eau, d'énergie et de téléphone au Fonds de solidarité pour le logement.

Enfin, elle a rétabli la création de droit de fonds de solidarité intercommunaux pour les EPCI ayant obtenu délégation de gestion des aides à la pierre, possibilité supprimée par le Sénat, ce qui ne semble pas cohérent avec l'objectif général de décentralisation, qui est de donner à la collectivité compétente tous les outils dont elle a besoin.

A l'article 51 concernant les logements étudiants, la commission a conservé la rédaction adoptée par le Sénat, qui prévoit un transfert de ces logements uniquement à la demande de la commune ou de l'EPCI, rédaction qui m'apparaît plus satisfaisante que la rédaction initiale du Gouvernement, qui prévoyait un transfert automatique.

Enfin, en matière d'urbanisme, la commission a supprimé l'article 52 du projet de loi, afin de conserver la possibilité pour toutes les communes actuellement éligibles - je sais que beaucoup de nos collègues maires y sont attachés - de confier gratuitement l'instruction des permis de construire à la direction départementale de l'équipement.

En conclusion, messieurs les ministres, mes chers collègues, si, selon les sondages, 66 % des Français sont favorables à la décentralisation, c'est parce qu'elle constitue pour eux, et à condition que nous l'expliquions simplement, un équilibre entre la cohérence régionale, la proximité départementale, la proximité des EPCI et des communes, et le rôle circonscrit mais essentiel de l'Etat dans ce qu'il doit assurer en termes régaliens et sur le plan de l'équité.

Ce projet de loi, que d'aucuns appelleront acte II de la décentralisation, m'apparaît indispensable à la poursuite et à la réussite de cette décentralisation.

Nos collègues sénateurs, qui déjà ont eu à l'examiner en première lecture, ont réalisé un important travail qui s'est traduit par l'adoption de bon nombre d'amendements. Je suis persuadé que l'Assemblée saura perfectionner encore un texte qui, encadré par la loi constitutionnelle sur les transferts de charges, se doit d'être en cohérence avec les lois déjà votées et les projets à venir dans les divers domaines abordés.

Je vous remercie par avance, messieurs les ministres, de la capacité d'écoute dont vous saurez faire preuve tout au long du débat qui nous attend. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, avant de vous présenter l'avis de la commission des finances, je tiens à remercier les trois autres rapporteurs, Marc-Philippe Daubresse, qui a su nous amener à travailler dans un esprit d'équipe, Serge Poignant et Dominique Tian avec lesquels nous avons pu, sur nombre de points, agir de concert, contribuant, je l'espère, à simplifier les débats de notre assemblée.

La commission des finances a développé sa réflexion en partant de l'observation de l'évolution des finances locales durant la dernière décennie : nous avons examiné quels effets concrets avait produits la première vague de décentralisation sur le plan financier et fiscal, pour en conclure que le deuxième mouvement de transfert, celui-là même qui vous est proposé dans le projet de loi, devait s'effectuer de manière plus vertueuse.

Commençons par rappeler quelques chiffres premiers, les plus importants, me semble-t-il, pour cette assemblée, en particulier ceux qui décrivent l'évolution des dépenses des collectivités territoriales.

Durant la dernière décennie, les dépenses des collectivités locales auront au total crû de 30 %, les dépenses de personnel augmentant pour leur part de près de 55 %. Pour impressionnants qu'ils soient, ces chiffres n'en cachent pas moins des réalités de politiques publiques très disparates. La commission des finances n'a pu à cet égard que souligner l'utilité du travail de mise en cohérence entrepris par ce projet de loi qui vise à organiser autour des régions et des départements des pôles de compétences clairs, parachevant ainsi la démarche de 1982, afin de bien identifier chaque responsable et d'éviter les financements croisés et les saupoudrages. L'économie du tourisme ou la formation professionnelle, on le voit bien, doivent ressortir à la responsabilité de la région, tandis que l'aide sociale ou les routes relèvent clairement de celle des départements. Ce à quoi vient s'ajouter l'achèvement logique de démarches déjà engagées : ainsi le transfert des personnels TOS pour accompagner celui de la propriété immobilière des collèges et des lycées. Une telle mesure devrait d'ailleurs faire consensus sur tous les bancs de l'Assemblée, tant elle paraît évidente.

Pour ce qui concerne plus particulièrement les communes, nous attendions de l'ensemble des mesures liées à l'intercommunalité davantage de libertés locales, certes - notre collègue Marc-Philippe Daubresse est allé jusqu'à proposer de modifier dans ce sens le titre du projet de loi -, mais la commission des finances s'est tout particulièrement attachée à travailler dans le sens d'une meilleure gestion et d'une maîtrise accrue de la fiscalité. Nous avons bien accueilli, nous nous en sommes même réjouis, l'instauration d'une procédure de fusion entre EPCI tout à la fois plus souple et plus directe que ce qu'autorisait jusqu'à présent la loi. Cette mesure permettra sûrement de diminuer le nombre des EPCI, d'où des économies d'échelle, et surtout d'en étendre la surface, favorisant du même coup une mutualisation des moyens. La commission a du reste adopté un amendement visant à faire en sorte que l'EPCI issu de la fusion de deux EPCI à fiscalité mixte relève, sauf décision contraire, de la taxe professionnelle unique, sans fiscalité additionnelle, ce qui nous paraît un gage de vertu.

Suivant la même démarche d'intégration vertueuse, la commission des finances propose un dispositif simple d'incitation financière à la fusion des communes, non pour imposer une marche forcée dans ce domaine, mais pour aller jusqu'au bout du processus intercommunal : plus les intercommunalités seront intégrées, plus la solidarité y sera réelle et plus il sera possible de fusionner au gré des stratégies particulières des communes.

Enfin, la commission a particulièrement travaillé sur la dotation de solidarité communautaire, toujours dans le même esprit : donner plus de libertés aux communes ouvertes à des critères plus larges que ceux prévus par la loi et disposées à présenter des projets politiques communs pour en faire des éléments déterminants d'attribution de la dotation de solidarité communautaire. Elle a également souhaité le rétablissement des « verrous » supprimés nuitamment au Sénat et qui visent à empêcher que la dotation de solidarité augmente lorsque la fiscalité additionnelle augmente elle aussi. C'est là un moyen très simple d'éviter que les communes ne soient tentées d'augmenter les impôts, non pas directement - connaissant le coût politique d'une telle décision -, mais par le biais d'un alourdissement de la fiscalité additionnelle de l'intercommunalité.

Autant de propositions dont le but est de faire en sorte que l'intercommunalité, après avoir rassemblé des communes, devienne un lieu de vertu financière communale, d'intégration, de solidarité accrue et un facteur de simplification de la carte administrative. La commission a rappelé à cet égard les propositions formulées par Gilles Carrez dans son rapport au Premier ministre sur l'évaluation des politiques publiques locales. Plusieurs de ses propositions vous seront soumises par voie d'amendement.

Au-delà de l'évolution générale des masses et des vertus attendues de l'intercommunalité, la commission des finances s'est particulièrement intéressée à ce qui a jusqu'à présent constitué le principal objet de la discussion : la bonne compensation des charges au moment de leur transfert, puis au fil du temps et de l'évolution des finances locales année après année. L'observation des mouvements enregistrés depuis le milieu des années quatre-vingt a en effet de quoi préoccuper.

Premier constat : entre 1987 et 1997, la part des charges transférées dans les finances locales s'est sensiblement accrue, passant en dix ans de près de 13 % à près de 18 %. A l'inverse, la part des recettes transférées avec ces charges s'est tassée, tombant de près de 10 % à un peu plus de 8 % en 1997. Autrement dit, la dynamique de la compensation a été défavorable.

M. Pierre Micaux. Très juste !

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. Plusieurs facteurs expliquent cette évolution négative de la compensation issue de la première vague de décentralisation. Le premier tient à l'évaluation même des charges, qui nécessite d'être menée avec davantage de recul et de manière plus approfondie et plus contradictoire entre l'Etat et les élus ; le deuxième au fait que, à partir de la loi de 1982, la dotation a pris le pas sur la fiscalité. Les recettes fiscales ont été progressivement remplacées par des dotations, peu réévaluées par la suite.

L'allocation personnalisée d'autonomie en est un exemple type. La dotation n'a même pas totalement couvert la nouvelle charge créée : le surcoût net pour les départements, qui s'établissait à près 500 millions d'euros, n'était pas compensé. On est ainsi passé d'une compensation mal mesurée, partielle, à une absence pure et simple de compensation dans les faits. De surcroît, l'APA ayant été mal évaluée, la charge du conseil général a doublé entre 2002 et 2003. Autant d'erreurs qu'il faut savoir ne pas reproduire.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Très bien !

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. Enfin, le principe de l'autonomie fiscale a été, rappelons-le, sérieusement mis à mal. Pendant une quinzaine d'années, loi de finances après loi de finances, le législateur s'est attaché d'abord à revenir sur les impôts qu'il avait donnés en 1982, ensuite à tailler abondamment dans les quatre vieilles.

M. Gilles Carrez. Surtout pendant la précédente législature !

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. J'allais y venir, monsieur le rapporteur général, pour illustrer justement vos propos.

Ainsi en est-il de la vignette, confiée aux départements par la loi de 1982 et dont la partie acquittée par les particuliers a été supprimée en 2001. De la même façon, les droits de mutation, eux aussi confiés en 1982 aux départements pour compenser les nouveaux transferts, ont été considérablement abaissés en 2000 et 2001. Ce à quoi il convient d'ajouter la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle en 1999 et celle de la part régionale de la taxe d'habitation en 2000.

M. Gilles Carrez. Quinze milliards d'euros !

M. Bernard Derosier. C'est cela, abaisser les impôts !

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. Au total, dans la fiscalité des quatre taxes directes locales, la prise en charge par l'Etat sera passée de 22 % en 1993 à 36 % en 2003 !

La commission des finances s'est penchée sur toutes ces raisons qui expliquent la mauvaise évolution de la compensation dans le temps et s'est efforcée d'y trouver des palliatifs dans le texte ou d'en apporter elle-même.

La première des mesures à prendre consiste à opérer une réelle compensation des transferts par le biais de l'impôt -après, bien évidemment, une bonne évaluation des charges. Les propos que vous avez tenus à cet égard, monsieur le ministre, ont effectivement de quoi rassurer. Non seulement l'évolution de la commission consultative va dans le bon sens, avec son intégration au comité des finances locales, mais il a été décidé que l'évaluation des charges de fonctionnement transférées verrait le droit à compensation correspondant calculé la moyenne des trois ans - cinq ans pour les investissements - précédant le transfert.

Aussi la commission des finances vous propose-t-elle d'étendre quelque peu le périmètre de la CCEC en lui permettant de travailler non seulement sur les compétences définitivement transférées, mais également sur les compétences simplement déléguées, c'est-à-dire sur les expérimentations. La commission a surtout souhaité que la CCEC et le Gouvernement évaluent de manière précise l'impact social des transferts de personnels, car le texte du projet de loi n'est pas toujours clair sur la façon dont les collectivités locales et leur régime, autrement dit la CNRACL, pourront servir les retraites des agents qui auront choisi de passer dans la fonction publique territoriale. Autant de propositions qui me semblent aller dans le sens que vous souhaitez.

L'impôt retenu pour opérer la compensation est la TIPP, avec une part fixe pour le département et une part variable pour la région, ce qui permettra d'opérer une compensation dynamique. Le département pourra de surcroît jouer de la taxe sur les assurances, ce qui lui donnera aussi une possibilité de modulation.

La commission des finances a reconnu le caractère rationnel de l `affectation des impôts modulables - la taxe sur les assurances allant vers le département, collectivité assurant la solidarité, la part variable de la TIPP allant vers la région, plus spécifiquement chargée du développement économique, des grands équipements, de la cohérence territoriale. Ce choix témoigne d'une certaine logique.

Notre collègue Augustin Bonrepaux s'était déjà ému de ce choix en commission des finances, mettant en doute le caractère dynamique de la TIPP.

M. Pascal Clément, président de la commission. Ne le réveillez pas ! Il dormait ! (Sourires.)

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. Je suis allé rechercher quelques données statistiques afin de le rassurer - je tiens à ce que son cœur continue de battre au bon rythme (Sourires) - et j'ai observé l'évolution de la TIPP sur la dernière décennie, de 1993 à 2003. A un demi-point près, cet impôt a suivi la même évolution que la DGF : leur produit aura augmenté d'à peu près 26 %.

M. Augustin Bonrepaux. Ce n'est pas vrai !

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. Mais si !

M. Augustin Bonrepaux. Vous auriez dû écouter M. Lambert lorsqu'il nous a dit que la TIPP a baissé en 2003 !

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. Ecoutez-moi, cela vous évitera de parler pour rien !

M. Bernard Derosier. Augustin ne parle jamais pour rien !

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. C'est pourtant ce qu'il vient de faire !

Entre 1993 à 2003, la TIPP a vu son produit augmenter de 26 %. C'est ce que disent les rapports budgétaires que nous avons tous à notre disposition. Et celui de la DGF a crû dans les mêmes proportions.

Pour ce qui est des propos qu'a tenus M. le ministre Lambert lorsqu'il nous a présenté l'exécution du budget 2003, ils visaient, rappelons-le, une moins-value d'exécution par rapport à la loi de finances initiale.

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Ça, c'est une réponse !

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. La TIPP continue d'évoluer à la hausse. Les estimations du budget 2004 prévoient encore une augmentation, pour peu que l'on neutralise le transfert de TIPP aux collectivités locales pour 5 milliards d'euros. Voilà, mon cher collègue, de quoi vous apporter la paix et la sérénité.

M. Pierre Micaux. Très bien !

M. Augustin Bonrepaux. Si vous contredisez votre ministre...

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. Enfin, les quatre rapporteurs vous proposeront un amendement visant à intégrer dans la loi relative aux responsabilités locales la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la garantie de la compensation dans le temps, afin de faire en sorte que l'Etat garantisse année après année le niveau de ressources initialement transféré. Sa rédaction, fruit d'un travail concerté des quatre rapporteurs, devrait lever les interdits symboliques et apaiser la discussion sur ce sujet.

La commission des finances a conclu ses travaux en insistant sur une vérité certes élémentaire, mais qu'il convient de rappeler : derrière un chiffre global se cachent souvent des réalités très différentes d'une collectivité à l'autre. Nous l'avons notamment vérifié dans le cas des départements, à cet égard très significatif. Ainsi, en 2000, les conseils généraux ont quasiment stabilisé leur taux d'imposition à moins 0,3 %. Mais le département qui l'a le plus baissé l'a diminué de six points, et celui qui l'a le plus augmenté l'a remonté de cinq points. En 2002, année « faste » s'il en fut avec la départementalisation des services d'incendie et de secours, la mise en œuvre de l'APA et la pleine application des 35 heures, la fiscalité des départements aura augmenté en moyenne de trois points ; mais cette moyenne cache d'énormes disparités qui vont de la parfaite stabilité - 0 % - à des augmentations de l'ordre de 30 % dans certains départements. Autrement dit, derrière des évolutions en masse moyenne, on ne saurait oublier que le principe d'autonomie des collectivités locales peut se traduire par des pratiques très différentes en matière de dépenses comme en matière d'imposition. Et c'est le b a-ba de la décentralisation que d'accepter, une fois le transfert de responsabilité opéré, que chaque région, chaque département, chaque commune puisse conduire sa politique propre, en toute responsabilité vis-à-vis de ses électeurs.

Sur l'ensemble du dispositif présenté dans le projet de loi, la commission des finances a émis un avis favorable, parce que l'intercommunalité lui paraît désormais s'inscrire dans une dynamique vertueuse, et parce que les mécanismes de compensation proposés par le législateur, dans le droit fil de la réforme de la Constitution, semblent de nature à garantir tout à la fois une bonne compensation au moment du transfert et un bon exercice par les collectivités de leurs nouvelles compétences : celles-ci s'accompagneront, par le jeu de la fiscalité transférée, des recettes correspondantes, qui seront de surcroît garanties dans le temps.

La commission des finances a enfin tenu à marquer son attachement au principe de péréquation. Ce principe est régulièrement revenu au fil de nos débats, même s'il n'est pas l'objet du présent texte, mais celui de la politique constante menée par l'Etat année après année ainsi que de la réforme des dotations entreprise par le Gouvernement. Si nous ne voulons pas que les inégalités fiscales entre régions, départements et même communes, n'aient d'autre ligne de partage que la pauvreté des uns et la richesse des autres, il faut que le principe de péréquation, inscrit dans la Constitution, soit vigoureusement mis en œuvre par l'Etat dans sa politique de dotations aux collectivités. Cela vaut particulièrement pour les départements et les régions, dans la mesure où, pour les communes, la péréquation peut tout à fait correctement s'opérer dans le cadre de l'intercommunalité.

La commission des finances a enfin tenu à rappeler qu'au-delà du texte, au-delà de la compensation, au-delà de la maîtrise des dépenses et de la fiscalité, l'extension des responsabilités locales ne devait pas se faire au seul profit des collectivités à fort potentiel fiscal et au détriment des territoires pauvres ou faiblement dotés en recettes ménages ou en recettes entreprises, et qu'il était donc nécessaire que l'Etat mène une politique vigoureuse de péréquation pour faire vivre les transferts que nous nous apprêtons aujourd'hui à voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Exception d'irrecevabilité

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Bernard Derosier.

M. Bernard Derosier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Gouvernement nous présente un texte qui, s'il est adopté en l'état, aura pour conséquence de modifier certains grands équilibres de notre société. Alors que nous avons besoin de ces repères que le monde moderne tend à faire disparaître, vous nous proposez, sous le prétexte d'une nouvelle étape de la décentralisation, le démantèlement des services publics jusqu'alors assurés, garantis par l'Etat, qui jouait ainsi son rôle constitutionnel de défense du principe fondamental d'égalité.

Vous avez fait adopter, il y a quelques mois, une modification de la Constitution. Votre objectif était alors de rassurer celles et ceux qui doutaient de votre volonté décentralisatrice. C'était pour vous la « mère des réformes ». Pour d'autres, et non des moindres, c'était l'annonce d'un « grand bazar ».

Vous vouliez aussi fixer un nouveau cadre constitutionnel derrière lequel vous vous abriteriez pour faire passer vos « mauvaises » intentions, notamment celle de diminuer les dépenses publiques de l'Etat pour les transférer aux collectivités territoriales.

M. Bernard Roman. Eh oui !

M. Bernard Derosier. En nous y opposant - Ségolène Royal était notre porte-parole -, nous avions souligné les risques de débudgétisation, de démantèlement qui se masquaient derrière votre projet.

Je vous entends souvent, les uns et les autres, ministres, députés de la majorité, nous vanter les mérites de cette disposition constitutionnelle garantissant aux collectivités territoriales des ressources nécessaires pour financer les transferts. Mais, mes chers collègues, vous occultez complètement l'article 102 de la loi du 2 mars 1982 !

M. Bernard Roman. Qui le prévoyait déjà !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. On a vu son application !

M. Bernard Derosier. Cet article prévoyait que tout accroissement net de charges résultant des transferts de compétences effectués entre l'Etat et les collectivités territoriales serait compensé par un transfert de ressources. Ces ressources seraient équivalentes aux charges existantes à la date du transfert et devraient évoluer comme la dotation globale de fonctionnement. Il serait intéressant, monsieur le président de la commission des lois, que par le biais d'un organisme comme l'office d'évaluation de la législation, nous puissions vérifier à quel moment cette loi a été ou n'a pas été appliquée.

M. Bernard Roman. Très bonne idée !

M. Bernard Derosier. Vous avez introduit le principe dans la Constitution. Je vous en donne acte. Mais, à ma connaissance, cette disposition de la loi a été plus ou moins respectée par les gouvernements, quels qu'ils soient.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Certains plus que d'autres.

M. Bernard Derosier. Oui, je suggère que le président de la commission des lois, président de l'office d'évaluation de la législation engage un travail sur ce sujet. Ce serait intéressant !

M. Bernard Roman. Excellente idée.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. C'est courageux de votre part !

M. Bernard Derosier. Absolument ! La politique n'exclut pas le courage, monsieur Clément. Au cours de votre longue carrière, vous l'avez sûrement rencontré.

Les principes républicains de liberté, d'égalité, de fraternité et de justice concouraient naturellement à la décentralisation parce qu'elle est un moyen de la proximité qui en découle. Cette proximité entre les citoyens et ceux qui décident en leur nom garantit davantage le respect de ces principes.

Vous étiez hostiles à la décentralisation en 1982.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Pas nous, nous n'étions pas élus ! (Sourires.)

M. Bernard Derosier. Si ce n'est toi, c'est donc ton frère, aurait dit le fabuliste.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Aurait dit le loup !

M. Bernard Derosier. Le loup du fabuliste. (Sourires.)

Vous étiez hostiles, disais-je, à la décentralisation et j'entendais tout à l'heure le ministre de l'intérieur plaider coupable, d'une certaine manière, à propos de cette opposition. Je vous renvoie, à ce sujet, à la brillante intervention de M. Debré - Michel pas Jean-Louis - qui soutenait alors une exception d'irrecevabilité fortement argumentée même si je n'en ai pas approuvé le contenu. Aujourd'hui, vous reconnaissez que vous vous êtes trompés. Faute avouée à moitié pardonnée, dit-on.

M. Bernard Roman. Vous êtes trop bon !

M. Bernard Derosier. A moitié seulement ! Car je ne peux pas croire que ce ralliement de la droite à la décentralisation traduise une volonté réelle de rendre le pouvoir aux citoyens et à leurs représentants locaux. Manifestement, il y a là, bien davantage, la préoccupation de renforcer les pouvoirs locaux de quelques notables.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Oh ! Oh !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Vous parlez en connaissance de cause !

M. Bernard Derosier. Procès d'intention, me direz-vous. Peut-être. J'ai toujours été très réservé vis-à-vis des convertis, monsieur Daubresse. Ils doivent donner des gages. Leur sincérité n'est pas toujours évidente.

M. Bernard Roman. Bien envoyé !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous êtes un véritable inquisiteur !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Qui est visé ?

M. Bernard Derosier. En 1982, l'objectif recherché par le gouvernement de Pierre Mauroy et sa majorité était de renforcer le pacte républicain en ancrant la diversité des collectivités dans l'unité de la République. Il s'agissait de répondre aux attentes des citoyens.

Aujourd'hui, le projet qui nous est soumis ne répond pas à cette ambition. Il n'est pas décentralisateur. Pire, il est contraire à l'esprit et à la lettre de la décentralisation, car il s'oppose aux principes qui animent cette idée depuis plus de vingt ans maintenant. J'entends par là l'égalité entre les citoyens, la libre administration des collectivités territoriales et la fraternité dont l'Etat devrait être le garant. En mettant en pièces le principe de la décentralisation énoncé en 1982, ce texte fait courir un risque au ciment même de l'unité républicaine. Il signe un véritable désengagement de l'Etat. Ainsi qu'on pouvait le lire dans un quotidien national, hier soir, même des députés de la majorité sont inquiets des conséquences financières de la décentralisation que vous nous imposez. Le président du Sénat, Christian Poncelet, va jusqu'à parler de « délestage » de l'Etat sur les collectivités territoriales.

Le Premier ministre, à cette même tribune, rappelait les travaux de la commission Mauroy. J'aimerais savoir quelles raisons majeures ont amené ce même Premier ministre, membre de la commission Mauroy, à la quitter avec un certain nombre de ses amis politiques au moment même où des conclusions allaient être tirées.

Ce projet de loi ne respecte pas nos textes constitutionnels parce qu'il enfreint directement et indirectement le principe d'égalité inscrit dans les articles 1er et 72-2 de la Constitution, mais aussi dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, dont le point 13 dispose que « la Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture », ainsi que dans les articles 1er, 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Pour ma part - et tous mes amis socialistes, M. Le Garrec ou M. Balligand, pourraient le confirmer - je suis un fervent décentralisateur.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Même M. Balligand rit !

M. Bernard Derosier. Il rit parce qu'il apprécie mon humour ! Vous aussi, vous riez !

La France doit s'engager dans une nouvelle étape de sa décentralisation. Il n'y a sur ce point aucune ambiguïté.

La décentralisation est un moyen de servir de nobles objectifs politiques ; elle est un moyen significatif de la marche vers le progrès social.

Mais décentraliser, c'est d'abord définir les missions que l'Etat doit impérativement assumer, parce que nul autre ne peut se substituer à lui ou parce qu'elles sont les conditions d'un égal accès des citoyens à un certain nombre de services et de prestations qui fondent l'unité nationale.

Décentraliser, c'est aussi donner aux collectivités territoriales une véritable ambition et des compétences cohérentes afin que la démocratie locale ait un sens. Il ne s'agit pas, ainsi que le déclarait le Premier ministre, M. Raffarin, à Rouen lors de la clôture des Assises des libertés locales, de permettre « à l'Etat de se concentrer sur ses responsabilités propres au niveau local ».

Décentraliser, ce n'est pas se contenter de greffer, ce n'est pas simplement déléguer des compétences nouvelles à telle ou telle collectivité au gré d'une influence ou d'une autre. C'est une erreur de placer sur un pied d'égalité les principes qui animent l'action politique et les modalités de cette action.

Malheureusement, il me semble que vos préoccupations sont plus concrètes et plus immédiates que la réelle volonté de faire progresser la décentralisation.

Pour le Gouvernement, il s'agit d'abord de réduire le périmètre d'intervention de l'Etat. Pour les libéraux - et vous vous réclamez du libéralisme, c'est-à-dire davantage pour les plus forts et beaucoup moins pour les plus faibles -...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Soyez sérieux, ce n'est pas cela le libéralisme !

M. Bernard Derosier. ...l'Etat pèse nécessairement trop lourd et il faut donc le réduire.

M. Michel Piron. Caricature !

M. Bernard Derosier. Je note d'ailleurs que les cures d'amaigrissement que vous tentez d'infliger à l'Etat se font, de surcroît, de manière désordonnée puisqu'elles ne s'articulent sur aucune réforme ambitieuse, et qu'à ce titre elles auront un impact négatif dans les transferts de compétences auxquels vous procéderez. Mon expérience de rapporteur du budget de la fonction publique et de la réforme de l'Etat me permet une telle affirmation. '

II s'agit d'abord, pour vous, de sortir de l'impasse budgétaire dans laquelle vous vous trouvez en transférant des charges aux collectivités. Vous pensez ainsi améliorer mécaniquement et artificiellement les comptes publics de l'Etat. Je suis d'ailleurs curieux de connaître le montant exact du déficit du budget à la fin 2004 et l'impact qu'aura la décentralisation sur ce chiffre. Cet impact, ces conséquences seront à tout coup négligeables, ce qui rend encore plus critiquables votre choix et votre méthode.

Paradoxalement, ce tour de passe-passe ne laissera pas la possibilité aux citoyens de se tourner vers les collectivités territoriales censées se substituer à l'Etat et à son désengagement régulier, systématique, depuis presque deux ans. Les régions, les départements et les communes ne pourront pas répondre efficacement à l'attente des citoyens, tant leur marge de manœuvre financière sera réduite.

D'autre part, on s'expose à une réelle violation du principe d'égalité. Tous les citoyens ne seront plus égaux devant la loi et les charges publiques puisque la réponse des collectivités publiques compétentes dépendra aussi du rendement de leurs impôts et de l'insuffisante péréquation entre les collectivités dites « riches » et celles dites « pauvres ».

C'est pourquoi nous vous avons demandé, en début de séance, d'examiner préalablement à ce débat le projet de loi organique sur les finances des collectivités territoriales, adopté en conseil des ministres, déposé le 22 octobre 2003 sur le bureau de notre assemblée et dont l'inscription à l'ordre du jour de nos travaux ne dépend que de vous. Je passe sur le fait qu'il aurait dû être examiné d'abord par le Sénat, en application de l'article 39 de la Constitution que vous avez modifiée à cet effet. Mais vous ne le voulez pas. Vous persévérez dans l'erreur. Vous voulez mettre les communes, les départements, les régions sous la tutelle financière de l'État. Vous allez ainsi à l'encontre de la loi constitutionnelle dans son article 72-2.

De plus, les contribuables devront également financer le déficit budgétaire dissimulé dans le transfert de charges et les crédits nécessaires à l'exercice normal des compétences transférées. Ce sont donc autant d'augmentations d'impôts qui apparaîtront dans les prochains mois.

Autant dire que les Français paieront deux fois : une fois pour la politique gouvernementale et une autre fois pour les obligations des collectivités territoriales.

Tout ceci est d'autant plus évident et prévisible que vous privez déjà nombre de départements et de régions de crédits qui leurs sont pourtant indispensables pour mener à bien leurs politiques publiques. Les contrats de plan en ont déjà fait les frais. Les gels de crédits pour la création des établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes, le désengagement de la solidarité nationale quant au financement de l'allocation personnalisée d'autonomie, les incertitudes qui pèsent sur les moyens nécessaires au paiement du revenu minimum d'insertion sont autant d'illustrations de votre incapacité à organiser des transferts de compétences cohérents. J'insiste sur ce mot après avoir entendu ici même le Premier ministre souligner ce qu'il appelle « la cohérence » de son projet.

A propos de l'allocation personnalisée d'autonomie, la loi dispose bien que la solidarité nationale peut jouer jusqu'à 50 %, mais, dans mon département, la participation de l'État n'a pas dépassé 25 % en 2002 et 2003. Le compte n'y est pas.

Quant au financement du revenu minimum d'insertion, s'il est vrai qu'une part de la TIPP est versée aux départements, cette dotation n'est pas indexée, contrairement à toutes les autres dotations aux collectivités territoriales. Le système est donc quelque peu faussé. Cette austérité imposée unilatéralement a un prix : moins de logements sociaux, moins d'infrastructures, moins d'équipements, autant de charges qu'il faudra rattraper en plus des transferts que vous nous promettez.

En réalité, votre nouvelle étape de la décentralisation n'est que l'annonce des impôts de demain.

M. Bernard Roman. Evidemment !

M. Bernard Derosier. Ceci devait être souligné car il est piquant de constater que votre gouvernement se targue sinon de réformer les impôts, du moins de les alléger. On remarque donc le paradoxe résultant de la volonté du Gouvernement de réformer et d'alléger les impôts, d'un côté, et de ces transferts de charges vers les collectivités territoriales qui conduiront nécessairement à l'augmentation des impôts locaux, de l'autre. Dans son avis présenté au nom de la commission des finances, M. Hénart a d'ailleurs évoqué cette situation.

Les contribuables locaux paieront pour l'État. La fausse décentralisation que vous nous proposez est donc en réalité une débudgétisation. Or le Conseil constitutionnel s'y oppose et veille au respect du principe de l'universalité du budget, tel qu'il est défini dans la loi organique relative aux lois de finances.

Dans une décision de 1994, rendue le 29 décembre 1994 à propos de la loi de finances pour 1995, le Conseil avait censuré un article qui prévoyait la prise en charge par le Fonds de solidarité vieillesse, au titre de ses dépenses permanentes, des sommes correspondant au service des majorations de pensions pour les exploitants agricoles. Il s'agissait d'une débudgétisation. L'article 6 de l'ordonnance organique relative aux lois de finances, à l'époque, l'article 5 de la loi organique du 1er août 2001, aujourd'hui, disposent que ces dépenses sont inscrites en loi de finances.

A la suite des transferts opérés par ce projet de loi, un grand nombre de dépenses seront désormais supportées par les collectivités territoriales. Il est donc manifeste que ce transfert de personnels et de charges se heurte à l'esprit du principe d'universalité du budget et à l'article 5 de la loi organique relative aux lois de finances.

Aussi, le premier de mes griefs à l'égard de ce texte sera de dénoncer l'inégalité qu'il instaure entre les citoyens et entre les collectivités en introduisant à la fois une concurrence prétendument salvatrice entre les collectivités, que l'on résumera à la théorie du « chacun pour soi », et une instabilité résultant autant de l'imprécision du texte que de la complexité des dispositifs qu'il promeut.

Le texte de ce projet de loi relatif aux responsabilités locales viole en effet dans son ensemble la lettre de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Vous le savez, la jurisprudence constitutionnelle étend son contrôle à la vérification de la complexité de la loi, comme le montre la décision du 19 décembre 2000 relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001. Elle est également attachée à une énonciation claire et précise, comme le montre son commentaire sur la loi d'orientation pour l'outre-mer, dans sa décision du 7 décembre 2000.

Ce contrôle est nécessaire car il garantit la conformité de la loi à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. Le juge constitutionnel s'assure ainsi à la fois du respect de l'article 6 de la Déclaration de 1789 qui énonce l'égalité de tous devant la loi, mais aussi de l'efficacité de la garantie des droits requise par l'article 16 de cette même déclaration. En témoigne la décision du 16 décembre 1999 sur la loi portant habilitation du Gouvernement à procéder par ordonnance à l'adoption de la partie législative de certains codes.

Or le texte qui nous est soumis introduit dans l'ordre juridique et institutionnel français une complexité suffisamment importante pour qu'elle soit sanctionnée. Il génère de nombreuses conventions de partenariat qui auront pour effet de masquer, aux yeux des citoyens et des usagers du service public, le droit applicable et les collectivités responsables, cela au détriment de la démocratie locale et d'une République « décentralisée ». Il introduit entre les territoires une instabilité du droit applicable qui nuira à la clarté du paysage juridique français et engendrera des inégalités considérables dans l'accès au service public.

Ainsi, afin d'assurer l'applicabilité de la réforme et sa lisibilité, le congrès de l'Assemblée des départements de France demandait que l'on en revienne aux principes fondateurs d'élaboration des lois de décentralisation. Il suggérait en particulier le vote d'une loi générale de transfert déclinée en lois spécifiques. Or ce n'est absolument pas ce que le Gouvernement nous propose. S'apparentant à une véritable loi « fourre-tout », le texte aujourd'hui en discussion ne pose aucun principe mais énumère des mesures et met en place des dispositifs sans que leur pertinence ou leur efficacité probable ne nous soient démontrées.

Plus encore, ce texte est des plus obscurs quant à ses conséquences et ses ramifications. J'ai donc l'impression que c'est à l'examen d'un texte abscons et tronqué que nous procéderons. Outre une atteinte manifeste à l'unité et à l'intérêt de la procédure législative, ceci est contraire à l'objectif constitutionnel d'intelligibilité et de clarté de la loi.

En effet, de nombreux sujets sont abordés de front, sans autre cohérence qu'un plan regroupant les articles par thème. On a déjà procédé à la création du revenu minimum d'activité et à la décentralisation de la gestion du revenu minimum d'insertion. D'autres textes et projets doivent donc être pris en compte afin qu'un véritable panorama de ce sur quoi on nous demande de délibérer puisse être dressé.

Puisque le Gouvernement, par la voix du ministre de l'intérieur, a rappelé tout à l'heure qu'il y aurait transfert de moyens, évoquons le revenu minimum d'insertion et sa gestion par les départements. Dans le mien, une convention financière avec l'État, présentée chaque année au conseil départemental d'insertion, précise les effectifs de l'État. Pour l'année 2003, 29,77 équivalents temps plein y figuraient, contre 37,16 en 2002. Le 29 janvier de cette année, le préfet a écrit au président du conseil général pour lui indiquer qu'il lui transférait 11 équivalents temps plein.

M. Bernard Roman. Voilà comment on viole la loi !

M. Bernard Derosier. Je voudrais comprendre comment, de 37,16 équivalents temps plein en 2002, on arrive à 11 en 2004.

J'ai dit que d'autres textes et projets doivent être pris en compte. Je pense notamment à l'ordonnance du 4 septembre 2003 portant simplification de l'organisation et du fonctionnement du système de santé. Comment cette ordonnance s'articulera-t-elle avec les dispositions relatives à la santé des articles 53 et suivants de ce projet ?

II me semble, en outre, que l'expérimentation proposée aux régions en matière de santé par l'article 54 du projet de loi ajoutera à la complexité du dispositif national de santé et permettra à l'État de faire financer par les régions une dépense qui lui incombe de par sa responsabilité en matière de santé publique. La contradiction avec certaines dispositions du code général des collectivités territoriales est, à cet égard, effarante. L'article L. 1111-4, que vous ne révisez pas, prévoit en effet que la répartition des compétences doit permettre d'isoler les charges entre les collectivités afin « que chaque domaine de compétences ainsi que les ressources correspondantes soient affectés en totalité soit à l'État, soit aux communes, soit aux départements, soit aux régions ».

Plus encore, l'insuffisance de la compensation des transferts entraînera naturellement un enchevêtrement de financements croisés qui discréditera les partenariats nécessaires et rendra encore moins lisible l'exercice des compétences transférées ou déjà exercées.

Il n'est pas possible d'accepter que les autorités publiques renoncent ainsi à leur responsabilité qui consiste d'abord à garantir la définition et la réalisation des objectifs d'intérêt général. Mais sans doute préférez-vous renoncer, au nom du transfert de charges, à une véritable transparence et sincérité de gestion.

Et l'on peut poursuivre l'énumération. Le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, déjà examiné par notre assemblée, devrait être pris en compte et son examen coordonné avec la discussion que nous avons aujourd'hui. Sa dimension financière n'est en effet pas négligeable puisqu'il laisse à la charge des collectivités territoriales les moins riches les exonérations fiscales proposées pour la revitalisation des territoires ruraux. Aucun rééquilibrage financier ne me semble avoir été prévu. En l'espèce, c'est le principe de loyauté financière, cher à M. Devedjian, qui, par la simultanéité de l'examen des textes et leur éparpillement, me semble pris en défaut.

La complexité du paysage juridique et institutionnel engendrée par ce texte tient également au recours abusif, me semble-t-il, au conventionnement et à la mise en place de schémas divers et variés. Le droit applicable sur l'ensemble du territoire risque de devenir particulièrement confus, d'autant plus que le contenu de ces conventions sera sujet à interprétation.

Le partenariat est effectivement un moyen d'assurer une cohérence entre l'action des différentes collectivités, de même que la planification doit assurer la lisibilité et l'efficacité des politiques. A ce titre, ce sont des composantes de la dynamique décentralisatrice.

Je ne retrouve pas cela dans votre texte qui prévoit près d'une cinquantaine de conventions possibles : des conventions de principe, des conventions alternatives et d'autres conventions lorsque les principaux acteurs ne se sont pas entendus, ainsi qu'un empilement de divers schémas. Ce procédé sera source de lourdeur, de lenteur et d'encombrement administratif, alors que vous revendiquez une volonté de simplification administrative.

L'article 7, qui a trait au développement des formations professionnelles au niveau régional, en est un exemple intéressant. En effet, le plan régional de développement des formations professionnelles adopté par la région, en principe en concertation avec l'Etat et les collectivités territoriales concernées, devra donner lieu à des conventions annuelles de mise en œuvre qui prévoiront la programmation et le financement des actions. Par ailleurs, dans le cadre de ce plan, chaque région devra arrêter tous les ans un programme régional d'apprentissage et de formation professionnelle. Pourront y être associés des départements, communes et groupements de communes. Pour la mise en œuvre de ce programme, des conventions seront passées avec les établissements d'enseignement public et les autres organismes de formation concernés.

En organisant ainsi un circuit fermé de plans et de conventions de mise en œuvre, l'article 7 aura pour effets de bannir de la table de travail des acteurs associatifs incontournables - à aucun moment les associations de chômeurs et de travailleurs précaires ne seront consultées -, de diluer la responsabilité de la politique de formation professionnelle par la multiplication des acteurs publics consultés et contractants, et d'en diluer également les modalités de financement.

On peut donc douter de la pertinence d'un tel dispositif. Il me semble, au contraire, s'opposer au bon fonctionnement de la décentralisation. En effet, il est probable que ces conventions, plans et définitions d'objectifs, par trop de consensus, ôtent paradoxalement aux collectivités les moyens de s'accorder sur des objectifs de développement territorial efficace.

Par contre, il est peu probable qu'en l'absence de directives quant à leur contenu effectif, ces procédures permettent de réguler les relations entre les collectivités afin qu'elles puissent se lancer dans des expériences partenariales pour un service public effectivement plus proche et plus efficace.

Enfin, il me semble qu'un tel éparpillement local est contraire à la mise en œuvre d'une politique nationale de formation professionnelle. A ce titre, les articles 7 et 8 de ce projet mettent en danger cet acteur essentiel de la formation professionnelle qu'est l'Association nationale pour la formation des adultes. En ce sens, la loi est contraire au point 13 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, lequel dispose que « la Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture ».

L'apparence de la proximité et de la concertation cache, là encore, la recherche de cofinancements et vous vous êtes ainsi débarrassés de charges que vous avez réparties au gré d'une logique que l'on peine à saisir.

La recherche d'un lien plus clair entre les services publics et l'autorité politique dont ils dépendent est fondamentale. Or ce vers quoi nous nous acheminons consiste d'abord à ouvrir la possibilité de privatiser massivement les services publics, tout en enveloppant les responsables politiques concernés par ces services dans une nébuleuse de partages, d'avis et de partenariats dans laquelle le citoyen ne saura -mais le saurons-nous nous-mêmes ? - se reconnaître.

Mais l'instabilité du droit et la faiblesse de votre projet c'est aussi l'inégalité devant le service public. L'exemple de la faculté ou non d'ouvrir des centres communaux d'action sociale me semble à ce propos extrêmement éloquent.

Certes, la commission des lois a proposé de revenir sur l'article 100 bis et je suis moi-même signataire de cet amendement. Mais il n'a pas encore été adopté par l'Assemblée. De plus, je le rappelle, cette disposition a été introduite par le Sénat, organe représentant les collectivités territoriales de la République et disposant à ce titre d'un droit de priorité sur l'Assemblée pour les projets de loi ayant pour principal objet l'organisation de ces mêmes collectivités.

Or, s'il est admis qu'il est possible de moduler le service public en fonction des différences de situation, il me semble fondamental que la loi pose des limites à ces modulations, comme c'est actuellement le cas. Par conséquent, l'article 100 bis est inconstitutionnel car contraire au principe d'égalité devant le service public.

La question du transfert des personnels techniciens, ouvriers et de service assurant leur mission dans les collèges et les lycées est un autre exemple de complexité à venir, d'approximation et de tartufferie avérée quant à l'égalité devant le service public. Ainsi l'article 60 prévoit-il que l'Etat « assume le recrutement et la gestion des personnels qui relèvent de sa responsabilité », responsabilité qui est naturellement celle du service public national qu'est l'éducation nationale, ainsi que le dispose également l'article 60 de ce projet. Cependant, l'article 67 précise que les personnels techniciens, ouvriers et de service sont recrutés et gérés par les départements et régions, tout en faisant partie de la communauté éducative et en concourant aux missions du service public de l'éducation nationale.

M. Michel Piron. Ce n'est pas contradictoire !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. C'est une proposition de la commission Mauroy !

M. Bernard Derosier. Globalement, vous laissez le soin aux collectivités territoriales de recruter et de payer ces personnels, ou d'avoir recours à des sociétés privées, tout en conservant en apparence la haute main sur le service public de l'éducation nationale. Mais toutes les collectivités auront-elles les mêmes moyens ? Non, assurément non.

Quand vous ne transférez pas des charges que vous ne compenserez pas, vous vous bornez à confier des gérances. Ainsi, en matière de protection du patrimoine culturel, votre projet ne modifie le système français qu'à la marge puisque l'expérimentation reste limitée à la gestion des crédits budgétaires.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. C'est ce que vous voulez !

M. Bernard Derosier. La loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, qui avait une réelle ambition, allait beaucoup plus loin puisque son article 111 permettait, à titre expérimental, de confier aux collectivités qui en feraient la demande, le soin de prendre des décisions de protection et même de délivrer les autorisations obligatoires dans le périmètre des monuments historiques. Il s'agissait donc bien d'une véritable décentralisation. Comble de l'ironie : aujourd'hui, c'est dans le cadre d'une Constitution affirmant le caractère décentralisé de l'Etat qu'on propose la simple gestion de crédits. Le texte de 2002 attribuait, lui, l'exercice d'une véritable compétence.

L'obscurité entourant les financements et compensations qui devraient accompagner ces transferts de compétences grève indubitablement le projet d'un vice d'inconstitutionnalité et nous conforte dans la certitude que ce texte procède d'abord à un transfert du déficit de l'Etat sur le dos du contribuable local.

Le quatrième alinéa du nouvel article 72-2 de la Constitution prévoit que les transferts de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagneront désormais de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. De même, toute création ou extension de compétence ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales devra être accompagnée de ressources déterminées par la loi.

Tel ne me semble pas être le cas actuellement. En effet, les compensations prévues, outre le fait qu'il n'est envisagé à aucun moment de transférer des ressources modulables, ne sont pas suffisantes pour compenser effectivement les compétences transférées.

Certes, le Sénat a introduit dans le projet, au moyen d'un amendement accepté par le Gouvernement, un article 88 bis aux termes duquel le code général des collectivités territoriales préciserait que la ressource transférée doit permettre un exercice « normal » de la compétence créée ou étendue. Cet amendement, qui peut paraître glorieux, l'est moins si l'on considère qu'il ne s'appliquera sans doute pas aux transferts en cours. Or, la loi votée, la bataille sera passée.

Le transfert des routes, à lui seul, me semble un cas d'inconstitutionnalité flagrant. Je tiens à rappeler que c'est la compétence et la responsabilité d'un service public qui sont transférées, et non un simple bien patrimonial. Or la compétence en matière de voirie implique une obligation d'entretien de la part de la collectivité responsable du domaine public routier et de ses dépendances. La responsabilité de la collectivité peut être engagée en raison d'un défaut d'entretien de la voirie. Point n'est pourtant besoin de rappeler que l'Etat manque parfois à ses devoirs. Parmi les routes nationales qui seront transférées, plusieurs sont en mauvais état et nécessitent des travaux dans de brefs délais. Pourtant, il n'est pas fait obligation à l'Etat de procéder, avant ce transfert, à une appréciation de l'état de chacune des routes transférées. J'irai même plus loin : en matière de routes nationales, on ne sait pas où l'on en est puisque M. Devedjian, qui réunit les exécutifs départementaux à ce propos au ministère de l'intérieur, est dans l'incapacité d'assurer une cohésion et une cohérence entre les services de l'Etat concernés, en particulier avec les services du ministère de l'équipement. Il serait donc logique que le principe d'une compensation soit arrêté sur la base d'une appréciation sincère de l'état de ces routes. Le législateur ne saurait demeurer en deçà de sa compétence et laisser l'éventualité de cette appréciation à un décret.

L'évaluation des dépenses de fonctionnement et d'investissement est également sujette à caution. Ces compensations seront calculées en prenant en compte les dépenses engagées par l'Etat au cours des cinq années précédant les transferts de compétences pour les dépenses d'investissement et au cours des trois années précédant le transfert pour les dépenses de fonctionnement. Le ministre de l'intérieur l'a souligné tout à l'heure.

Ce mode de calcul ne prend malheureusement pas en compte les besoins futurs. Or il suffit de consulter les Journaux officiels des années précédentes pour constater que le gel des crédits et la régulation budgétaire sont monnaie courante, particulièrement pour les dépenses d'investissement. Cette évaluation est donc partiale.

Le dispositif prévu en l'espèce est d'autant plus inconstitutionnel qu'il n'est assorti d'aucune « clause de rendez-vous », qui permettrait de réévaluer la pertinence des compensations financières. Le texte ne respecte pas sur ce point la toute récente interprétation de la Constitution livrée par le Conseil constitutionnel dans sa décision sur la loi de finances pour 2004. Celui-ci rappelle qu'il appartient à l'Etat, en application de l'article 72-2 de la Constitution, de « maintenir un niveau de ressources équivalent à celui qu'il consacrait à l'exercice de cette compétence avant son transfert ».

M. Bernard Roman. C'est essentiel !

M. Bernard Derosier. Une telle réserve d'interprétation, au-delà de la nécessaire stabilité des ressources transférées, signifie qu'une réévaluation est nécessaire. Il y va, en effet, de l'égalité des citoyens devant les charges publiques comme de la libre administration des collectivités territoriales.

C'est d'ailleurs sur ce second aspect que le projet de loi relatif aux responsabilités des collectivités territoriales est manifestement contraire à la Constitution.

En effet, en ayant accepté les amendements des sénateurs de votre propre majorité visant à pallier l'insuffisance des compensations prévues par le texte, vous avez reconnu cette insuffisance et admis implicitement que les contribuables locaux auront à en payer le prix !

M. Michel Piron. Quelle casuistique !

M. Bernard Derosier. La décentralisation n'est pas synonyme d'économies, elle implique un certain nombre de remises à niveau et d'améliorations. C'est en quelque sorte la rançon de la démocratie de proximité. Il suffit pour s'en convaincre de comparer l'évolution des prélèvements obligatoires des administrations publiques locales entre 1980 et 1986 : ils sont passés de 4,6 % du PIB en 1980 à 5,8 % en 1986. Refuser d'en tenir compte est économiquement suicidaire car c'est prendre le risque d'étouffer tout espoir de reprise de la croissance en France sous le poids des impôts locaux.

Surtout, l'absence de dispositions en matière fiscale et de sincérité dans l'évaluation des compensations et du financement des charges qui sont transférées, à cause de l'inexistence de marges de manœuvre, porte atteinte à la décentralisation elle-même car elle compromet l'autonomie financière des collectivités territoriales.

Restreindre les ressources fiscales des collectivités territoriales, c'est entraver leur libre administration et la Constitution s'y est opposée, avant même la révision du 28 mars 2003. Comme la technique est bien connue, le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de le rappeler régulièrement. Il estime ainsi que « les règles posées par la loi ne sauraient avoir pour effet de restreindre les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration ». Cela signifie non seulement que, pour s'administrer librement, les collectivités territoriales doivent être en mesure de moduler les impôts locaux mais, plus globalement, que la multiplication des charges, en ce qu'elle a pour conséquence la restriction des ressources, est en elle-même une entrave à leur libre administration.

La Constitution précise que le financement des compétences exercées devra reposer pour « une part déterminante » sur des recettes fiscales et des ressources propres aux collectivités, ces dernières regroupant apparemment des redevances pour services rendus, des produits du domaine, des participations d'urbanisme, des produits financiers et des dons et legs. Je vous renvoie au texte du projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales que vous vous refusez à nous faire examiner avant de débattre du présent texte.

Tout cela est bel et bon, et devrait en principe laisser espérer les moyens de moduler les recettes nécessaires à l'exercice des compétences qui seront transférées. Malheureusement, cela demeure du domaine de l'incantation. En effet, les compensations sont approximatives et insuffisantes, et l'on ne sait rien des ressources, sinon qu'aucune imposition spécifique n'est prévue pour le moment.

Sur ce point aussi, le texte est contraire à la Constitution puisque, contrairement à ce que prévoit l'article 72-2, aucune ressource fiscale nouvelle ne permettra aux collectivités territoriales de faire évoluer les ressources qui leur seront transférées. Il ne restera donc aux communes, départements et régions qu'à s'appuyer une fois de plus sur les « quatre vieilles », taxes particulièrement injustes et dont le rendement est, selon les territoires, très disparate, ...

M. Michel Piron. Vous vous en êtes accommodés !

M. Bernard Derosier. ...ou encore sur la mise en place de péages et autres redevances pour faire payer aux citoyens le prix d'être usager du service public.

Le Conseil Constitutionnel a récemment estimé, dans sa décision du 29 décembre 2003 sur la loi de finances pour 2004, que « la méconnaissance de ces dispositions ne peut être utilement invoquée tant que ne sera pas promulguée la loi organique qui devra définir les ressources propres des collectivités territoriales et [...] la part minimale que doivent représenter les recettes fiscales et les autres ressources propres dans l'ensemble de leurs ressources ». Il me semble étrange que le Conseil constitutionnel, qui a pour mission de contrôler la conformité des lois et des lois organiques à la Constitution, en application de l'article 61, voie son appréciation suspendue à l'adoption d'une loi organique prévue par la Constitution elle-même. Cela signifierait-il que le législateur a la possibilité de rendre inopérante une partie de la Constitution en se bornant à ne pas mettre en œuvre les mesures qu'elle impose ? Le législateur, à l'initiative du Gouvernement, s'arrogerait un droit nouveau, celui de ne pas respecter la loi fondamentale. Une telle possibilité serait regrettable puisqu'elle permettrait au Gouvernement, qui a la maîtrise de l'ordre du jour de nos travaux, de s'affranchir partiellement du respect de la Constitution, au détriment de principes essentiels tels que l'égalité devant les charges publiques ou la liberté d'administration des collectivités territoriales.

Le Gouvernement se montre d'autant plus incohérent qu'il a déposé un projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales, qui définit la notion de « part déterminante » dans les ressources des collectivités territoriales mais que nous n'avons pas encore eu le loisir d'examiner, même en commission des lois. Le fait que ce texte n'ait pas été adopté avant l'examen du projet dont nous sommes saisis me paraît être un motif grave d'inconstitutionnalité et contrevenir à l'objectif affiché d'assurer aux collectivités un minimum nécessaire au financement de leurs compétences et à la liberté de leur administration. Vous transférez donc les responsabilités et les charges, mais sans les ressources nécessaires, ni même les compensations utiles. Il reviendra donc aux collectivités de faire financer le surcroît de charges par les usagers.

On comprend alors mieux la possibilité de multiplier les péages sur le domaine public routier que prévoit votre texte. La part déterminante de ressources propres ne sera pas fiscale, elle proviendra des ressources que tireront les collectivités de redevances destinées à rembourser des emprunts contractés. Mais ce genre de financement n'est possible que pour des investissements. Alors, comment seront financées les politiques sociales ? Comment répondra-t-on aux incohérences de votre politique économique ?

Les politiques sociales représentent d'ores et déjà 40 % en moyenne des budgets des départements. La gestion intégrale du revenu minimum d'insertion et la création du revenu minimum d'activité vont faire exploser ces dépenses et le montant des budgets départementaux. De plus, le vieillissement de la population engendre mécaniquement une augmentation du nombre des dossiers d'allocation personnalisée d'autonomie. Dans un tel contexte, on s'achemine vers la limitation de la marge de manœuvre des départements, qui ne seront plus que des administrations chargées de ponctionner les contribuables locaux afin de répondre a minima aux obligations légales qui seront les leurs. Quel sera donc leur avenir ?

Il me semble que vous cherchez à étouffer la décentralisation, voire la sphère publique elle-même. Avec un Etat « dégraissé » par vos soins, mais sans grande habileté, les collectivités territoriales ne seraient plus que les gérantes a minima des compétences amoindries qui leur auront été transférées. Nous nous trouvons donc, d'une certaine manière, dans une situation pire que celle que les départements connaissent pour le revenu minimum d'insertion et le revenu minimum d'activité.

Il y a rupture d'égalité entre les citoyens, entre les collectivités territoriales et, plus généralement, l'unité de la République est en jeu puisque vous ne présentez aucun dispositif de péréquation. Or je tiens à rappeler que l'article 72-2 de la Constitution dispose in fine que « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales ».

Comment en effet débattre des compensations financières accompagnant les transferts de compétences sans avoir au préalable prévu un dispositif de péréquation ? Certes, le Conseil constitutionnel a indiqué, dans sa décision du 18 décembre 2003 relative à la loi portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité, que chaque création ou transfert de compétences n'impose pas la mise en place de dispositifs de péréquation. Cependant, il a également rappelé que la liberté devait être conciliée avec le principe d'égalité. Or il me semble que l'unité républicaine est la clé de cette conciliation. En l'absence de mécanismes de péréquation et de correction des inégalités entre les départements, les différences de traitement sont inévitables. Les inégalités entre les départements, selon leur niveau de développement économique et leurs richesses propres, ne feront que s'accroître, contribuant ainsi à créer une France à plusieurs vitesses.

Ne nous y trompons pas : il n'y aura pas de concurrence entre les territoires, pas de gagnants et de perdants, mais des collectivités pauvres et des collectivités moins pauvres. Ces dernières auront sans doute les moyens de participer au financement des équipements de santé, ainsi que vous le proposez à l'expérimentation. Sans doute pourront-elles, mais l'ironie est ici des plus cruelles, financer des logements sociaux. Mais qu'adviendra-t-il des autres ? Devront-elles se contenter du minimum et d'un Etat qui n'assume plus son rôle de garant de la solidarité nationale ?

Il est donc fondamental de prévoir une compensation sincère et une véritable péréquation, sauf à accepter que les charges consécutives aux transferts soient différentes selon les régions, les départements et les communes, c'est-à-dire selon les contribuables, ce qui constituerait, à n'en pas douter, une rupture d'égalité devant les charges publiques.

Si je n'ai pas détaillé chacun des articles et des dispositifs du texte, j'ai tenté de dégager fidèlement les principes constitutionnels auxquels il contrevient et d'illustrer mon argumentation afin qu'en adoptant cette exception d'irrecevabilité, nous disions clairement au Gouvernement que sa prétendue décentralisation ne respecte ni la lettre ni l'esprit de nos textes constitutionnels.

L'exception d'irrecevabilité est une belle survivance de la nécessité pour le législateur de s'assurer du respect de la hiérarchie des normes, et en particulier de la subordination de la loi à la Constitution. En ne l'adoptant que trop rarement, le législateur oblige le Conseil constitutionnel à censurer ce que lui-même n'a pas voulu, ou pas su, voir à temps.

Mes chers collègues, je vous adresse une forme de supplique : ne surchargez pas le travail d'un Conseil constitutionnel déjà tellement sollicité...

M. Bernard Roman. Très bien ! Ménagez le Conseil constitutionnel !

M. Bernard Derosier. ...et adoptez dès aujourd'hui cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Clément, président de la commission des lois.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Monsieur le président, mes chers collègues, si la pertinence du discours devait être proportionnelle à sa longueur, M. Derosier aurait pu faire plus court ! Que c'était long !

M. Bernard Derosier. Mais que c'était bon !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Mais que c'était peu pertinent ! J'ai trouvé votre intervention interminable !

M. Bernard Derosier. Ça ne vous a pas empêché de parler sans cesse avec vos voisins.

M. le président. Monsieur Derosier, vous n'avez plus la parole !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Vous n'avez pas réussi à capter l'attention de toute l'assemblée ! Et je le regrette.

Plus sérieusement,...

M. Jean-Marc Ayrault. Ça changera !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. ... je commencerai par faire plaisir à notre collègue en reconnaissant que je ne me glorifie pas de ne pas avoir voté les lois de décentralisation. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Mais après vingt ans d'application, voir un digne héritier - vous êtes du Nord, monsieur Derosier - un des fils spirituels de M. Pierre Mauroy, refuser de manière pour ainsi dire aveugle une loi qui est une nouvelle étape dans la décentralisation !... Autant notre erreur initiale était due à l'ignorance, autant aujourd'hui, la vôtre tient à la mauvaise foi ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Et je le déplore profondément.

Je souhaiterais, sinon répondre à quelques questions, du moins tenter de le faire.

Les différents rappels au règlement du président Ayrault ont trait à la première : pourquoi le Gouvernement ne commence-t-il pas par la loi organique ?

M. Jean-Marc Ayrault. Vous n'en avez aucune idée ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. La loi organique va nous obliger à réfléchir et à conclure sur la définition du mot « déterminant », puisque les recettes propres doivent représenter « une part déterminante » des ressources des collectivités locales.

M. Jean-Pierre Balligand. Ce ne sera pas commode !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. M. Balligand, qui est un grand spécialiste, affirme que ce ne sera pas commode. C'est bien la raison pour laquelle, monsieur Ayrault, je dis qu'il nous faudra  réfléchir.

M. Jean-Pierre Balligand. C'est votre texte !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Vous nous rendez hommage en le rappelant.

M. Bernard Derosier. C'est l'hommage de la vertu au vice !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Nous aurions aimé, monsieur Derosier, que plutôt que de nous rappeler la loi de 1982, vous demandiez la réunion de l'office d'évaluation parlementaire en vue de vérifier si les transferts de compétences effectués depuis 1982 ont été financés. Le précédent gouvernement s'est en effet illustré par l'APA, financée au tiers par l'Etat.

M. Bernard Derosier. A hauteur de 50 %, selon la loi elle-même !

M. Alain Gest. Mais non !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Seulement au tiers ! Pourquoi 60 % des départements ont-ils augmenté leurs impôts de plus de 10 % ? Ou bien ils ont profité de la situation, ou bien ils avaient de réels besoins ! Je penche pour la seconde raison.

Comme l'ont rappelé le Premier ministre et le ministre de l'intérieur, la majorité pourra au moins s'enorgueillir d'avoir constitutionnalisé l'obligation pour les recettes autonomes des collectivités territoriales de représenter une part déterminante de leurs ressources.

M. Michel Piron. Tout à fait !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. La question relative à l'ordre des travaux législatifs que, les uns et les autres, vous soulevez, n'est par pertinente. M. Bonrepaux ne saurait me contredire. La loi organique relative aux lois de finances prévoit que l'on ne peut financer les transferts de charges que dans le cadre des lois de finances. De ce fait, monsieur le président Ayrault et monsieur Derosier, ce que vous réclamez, ce n'est pas que l'examen de la loi organique sur le financement des transferts précède celui du projet en discussion, mais que la loi de finances pour 2005 soit votée dès aujourd'hui, en début d'année !

M. Augustin Bonrepaux. Mais non !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Mais si !

M. Jean-Marie Geveaux. Ce ne serait pas sérieux !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Le financement par la loi de finances ne pourra intervenir qu'après le vote de la présente loi. C'est la loi organique de l'an 2000 qui le prévoit.

M. Augustin Bonrepaux. Mais non !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Je m'étonne qu'un commissaire aux finances ose contredire cette vérité première.

La difficulté que nous avons tous à surmonter n'est pas d'ordre politique. Elle résulte de l'organisation des travaux de l'Assemblée qui a été déterminée en l'an 2000 par les auteurs de la loi organique concernant les lois de finances. Ce n'est pas ceux qui l'ont votée qui sont habilités aujourd'hui à nous l'opposer !

M. Bernard Derosier. Votre propos n'est pas long, mais il est confus.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Je vous explique simplement comment se pose le problème juridique et la façon dont l'Assemblée doit l'aborder.

M. Bernard Roman. Je n'ai rien compris !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. C'est dommage, parce que je réponds à votre question.

Je souhaiterais développer un deuxième point : votre incompréhension du principe de subsidiarité. Vous nous faites un long discours, quasi syndical,...

M. Bernard Derosier. Quelle horreur !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. ...sur le service public et le principe d'égalité. Vous n'avez pas hésité - ce qui n'a pas manqué de m'amuser - à en appeler aux grands principes et même à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme. Comme je ne l'avais plus tout à fait en mémoire,...

M. Bernard Derosier et M. Bernard Roman. Voilà !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. ...je me suis demandé où vous vouliez en venir.

M. Bernard Derosier. Au sens civique de l'égalité.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. L'article 6 dispose que « la loi est l'expression de la volonté générale ». L'actuel projet de loi n'y contrevient pas plus qu'au fait que « tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. » On y lit encore qu'« elle doit être la même pour tous soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. »

M. Bernard Roman. Eh oui !

Mme Janine Jambu. Vous ne voyez toujours pas où est la contradiction ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Mais non ! Je ne la vois pas.

M. Bernard Derosier. Evidemment, puisque vous êtes réactionnaire.

M. Bernard Roman. Mais ça ne fait rien, on vous expliquera !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Je poursuis : « Tous les citoyens sont égaux à ses yeux et sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics selon leurs capacités sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents. » C'est beau comme l'antique, mais je ne saisis pas en quoi le texte que nous examinons aujourd'hui pourrait contrevenir à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme.

Pour vous, l'égalité s'oppose au principe de subsidiarité. C'est là que nous différons sur le fond. Pour vous, l'égalité véritable est une égalité formelle au plan national qui recouvre une inégalité réelle sur le terrain. Pour nous, le principe d'égalité signifie la capacité des collectivités de gérer au plus près, et dans la mesure où elles le font mieux que la collectivité hiérarchiquement supérieure, les problèmes qui se posent à elles.

M. Bernard Derosier. Pour ma part, je n'ai jamais affirmé ce que vous avez dit ! Vous ne m'avez pas écouté.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. C'est moi qui parle et je ne me contente pas simplement de vous répondre.

M. Bernard Derosier. Vous ne pouvez pas me répondre, puisque vous ne m'avez pas écouté.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Je souhaiterais vous faire entrevoir, si c'est possible - mais cela paraît difficile -, ce que peut être le principe de subsidiarité.

M. Bernard Derosier. Je ne le sais pas, peut-être...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Monsieur Derosier, essayez de comprendre la pensée de l'autre, et vous verrez que je réponds à votre question.

M. Bernard Derosier. Vous auriez dû commencer par essayer de comprendre la mienne !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. J'ai parfaitement compris la vôtre. Vous affirmez qu'il n'y a pas de principe d'égalité à partir du moment où les collectivités territoriales sont responsables à leur niveau. Selon moi, c'est un contresens.

M. Bernard Derosier. C'est surtout une pure interprétation !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Vos propos reviennent à cela ! Pour vous l'égalité n'existe que si l'Etat commande, même si le résultat n'est pas le même au niveau territorial. C'est là ce qui, fondamentalement, nous sépare. Selon vous, dans un système de subsidiarité, il y a rupture du principe d'égalité lorsque deux collectivités de base répondent de façon différente à un problème, l'une avec pertinence, l'autre moins efficacement.

M. Philippe Tourtelier. Vous refusez d'envisager la question des moyens !

M. Bernard Roman. Que faites-vous de la péréquation des moyens ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Voilà le discours de M. Derosier. Il a, sur le plan intellectuel, complètement tort. Il refuse en effet toute capacité de liberté et de responsabilité aux collectivités de base. Il ne comprend pas qu'il puisse y avoir délégation par l'Etat de responsabilités. D'ailleurs, tel n'est pas le sens véritable du principe de subsidiarité.

Ce principe n'est pas, comme on l'a cru au niveau européen, une délégation de compétences du haut vers le bas. Le principe de subsidiarité, c'est la famille qui ne peut pas régler seule un problème et qui demande l'aide de la commune. C'est la commune qui a toute les compétences de départ mais qui a besoin du département pour les mettre en œuvre. C'est le département qui « cherche cohérence » - pour reprendre l'expression du Premier ministre - et qui s'adresse à la région ou à l'Etat, et l'on peut remonter ainsi jusqu'à l'Europe. Autrement dit, la subsidiarité part du bas. Votre principe d'égalité, au contraire, est purement théorique. Vous partez du haut. Vous ne pouvez absolument pas partager la philosophie de la subsidiarité. La vôtre est celle d'un octroi de compétences du haut vers le bas.

M. Bernard Roman. Quant à vous, c'est la philosophie de l'égalité républicaine qui vous échappe.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Au contraire, le principe même de la décentralisation consiste à faire exercer une compétence au niveau approprié, en remontant du bas vers le haut. Votre principe d'égalité tombe évidemment à plat. Il n'a plus lieu d'être. Ce n'est que celui d'une abstraction purement théorique.

M. Philippe Tourtelier. L'égalité est une valeur !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Votre débat, qui appelle à la rescousse le service public ou les inégalités financières, ne correspond plus à rien.

Les inégalités financières constitueront précisément le troisième point que j'aborderai.

Certes, le Gouvernement, en raison de la loi organique, ne peut pas régler pour l'heure la question du financement. Elle le sera dans la loi de finances pour 2005. Néanmoins, il a d'ores et déjà annoncé que les collectivités bénéficieront de 11 milliards d'euros : 8 milliards iront aux départements et 3 milliards iront aux régions.

M. Michel Piron. Ce n'est pas rien !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Si le Gouvernement n'avait annoncé aucune somme, j'aurais pu comprendre les critiques du parti socialiste. Tel n'est pas le cas. La répartition sera traitée dans le cadre de la loi de finances. Les élus locaux ne sauraient prétendre qu'ils ne savent pas où ils vont !

M. Bernard Roman. Nous, nous ne le savons pas !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. La difficulté ne concerne pas les régions mais les départements ; elle porte sur la TIPP, qui ne peut pas être modulable pour les départements. Allons-nous décider, ou non, qu'il s'agit là d'une ressource propre aux départements ?

M. Augustin Bonrepaux. Le problème est en effet posé !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Voilà ce qu'il fallait nous dire !

M. Bernard Derosier. Je l'ai dit !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Non, pas un mot ! Vous avez parlé de choses qui n'ont rien à voir et vous vous êtes tu sur la seule question importante.

M. Augustin Bonrepaux. Quel aveu !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Ce n'est pas un aveu, monsieur Bonrepaux, mais une question.

M. le président. Monsieur Bonrepaux, laissez M. le président de la commission conclure.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. C'est d'ailleurs la seule question qui se pose. Et vous savez très bien que la réponse n'appartient pas au Gouvernement français mais à la Commission européenne, qui a fait savoir qu'elle accepte le principe d'un éclatement de la modulation de la TIPP entre vingt-deux régions, mais non entre cent départements.

M. Émile Blessig. Très bien !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Voilà, pour le Parlement, un véritable problème, qui peut se révéler d'ordre constitutionnel. J'aimerais déjà savoir - je suis moi aussi un parlementaire - comment nous allons le régler. C'est sur cette question-là que j'eusse aimé vous entendre.

M. Bernard Derosier. S'il y a un problème constitutionnel, votez l'exception d'irrecevabilité !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Mais non ! Voulons-nous, monsieur Derosier, la décentralisation ? Vous, non ; nous, oui.

M. Bernard Derosier. La décentralisation, je l'ai faite ; pas vous, monsieur Clément !

M. Bernard Roman. Nous ne voulons pas n'importe quelle décentralisation !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Les difficultés techniques ne doivent pas nous empêcher de l'examiner au fond.

Voilà, mes chers collègues, la seule question qui pouvait justifier une exception d'inconstitutionnalité. Elle n'a pas été posée par M. Derosier. C'est une question sur laquelle nous allons travailler ensemble et à laquelle nous tenterons de donner une réponse. Le Conseil constitutionnel n'a pas encore tranché. A ma grande surprise, sur cette question qui lui a déjà été posée, il semble avoir une approche relativement ouverte. Il nous appartiendra de respecter la loi constitutionnelle qui impose que les recettes propres des collectivités territoriales représentent une part prépondérante,...

M. Augustin Bonrepaux. Ah !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. ...pardon, déterminante de leurs ressources. Excusez le lapsus. Mais souvenez-vous que le Parlement s'est battu et a obtenu « déterminant » alors que certains souhaitaient « prépondérant ».

Qu'on ne vienne pas nous dire aujourd'hui que nous ne savons pas où nous allons, alors que le Gouvernement a annoncé la somme de 11 milliards d'euros ! Nous ne pouvons pas voter la loi de finances pour l'année prochaine avant d'avoir voté le présent texte et avant de connaître exactement le périmètre des compétences décentralisées. Ce que vous demandez est cocasse : il faudrait financer ce que nous n'aurions pas encore défini ! Aujourd'hui, nous définissons les compétences que nous décentralisons. Demain, dans le cadre de la loi de finances, nous financerons ce que nous aurons décidé aujourd'hui de décentraliser. Tel est l'ordre des travaux législatifs. Il ne recèle aucun piège politique.

M. Bernard Roman. Vous pouvez arrêter votre discours, monsieur Clément, vos collègues entrent pour voter !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Mais ce débat laisse quelquefois libre cours à de la mauvaise foi. Ceux qui ne souhaitent pas décentraliser la France voteront l'exception d'irrecevabilité de M. Derosier. Ceux qui veulent la décentraliser voteront contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Dans les explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité, la parole est à M. Pierre Méhaignerie pour le groupe UMP.

M. Pierre Méhaignerie. Monsieur le président, mes chers collègues, j'ai écouté avec attention M. Ayrault et M. Derosier.

En 1982, personnellement, je n'ai pas voté contre les lois instaurant la décentralisation.

M. Bernard Derosier. Vous êtes une exception.

M. Pierre Méhaignerie. Mais je comprends parfaitement la position de mes collègues qui les ont rejetées à l'époque. Le débat sur la décentralisation suivait l'absurde débat sur le programme des nationalisations.

M. Bernard Roman. Quelle mesquinerie !

M. Pierre Méhaignerie. C'est la raison pour laquelle un grand nombre de collègues ont refusé de voter la décentralisation : les nationalisations signifiant l'étatisme, nous avions du mal à comprendre, dans un tel cadre, la logique d'un programme de décentralisation.

M. Bernard Derosier. Il est vrai que les chars russes étaient aux portes de Paris !

M. Pierre Méhaignerie Je n'ai pas bien compris l'intervention de M. Derosier. Je connais en effet les convictions décentralisatrices de la majorité de ses collègues. Et, plus encore, ses arguments constitutionnels ne m'ont pas convaincu.

Nous sommes tous convaincus - les ministres et les rapporteurs l'ont rappelé - que c'est dans la responsabilité rendue aux hommes et aux autorités locales que réside la solution à un grand nombre de nos problèmes. Tous les systèmes étatiques et centralisés dans le monde rendent l'âme l'un après l'autre. Or la France reste l'un des pays les plus centralisés. Et, nous le savons, l'Etat gère mal parce qu'il gère de loin et qu'il est faible.

M. Alain Gest. Absolument.

M. Pierre Méhaignerie. Notre devoir est donc d'accomplir la deuxième étape de la décentralisation, ne serait-ce que pour libérer les capacités d'initiative, de créativité des hommes et d'adaptation rapide aux mutations actuelles.

L'exception d'irrecevabilité ne me paraît pas fondée. Je donnerai cinq arguments.

Le premier est que le projet de loi ne porte pas atteinte au principe de libre administration des collectivités locales. Il lui donne, au contraire, une portée nouvelle, tant la réforme constitutionnelle donne des bases solides qui n'existaient pas hier et qui existent aujourd'hui en matière de garanties financières.

Deuxième argument : le projet de loi permet de rapprocher la décision publique du citoyen et de promouvoir une action plus démocratique et plus efficace, donc conforme à l'esprit de la Constitution.

Troisième argument : une action publique plus efficace. Pour éviter que l'on ne retombe dans les erreurs du passé, le projet de loi pose des règles claires et précises en matière de compensation financière, comme l'a souligné le ministre de l'intérieur. Les chiffres ont été indiqués. Le texte prévoit en outre des transferts de personnels qui conféreront une portée réelle aux transferts de compétences. En tant que président de la commission des finances, je n'ai d'ailleurs pas opposé l'article 40 de la Constitution à certains amendements de la commission visant à prendre pour base les effectifs des trois années précédentes, et non ceux des six derniers mois - notamment pour le passage du RMI au RMA -, afin que les transferts de personnels correspondent bien à la situation antérieure.

Quatrième argument : à l'évidence, ce texte ne porte en rien atteinte au principe d'égalité. Nous savons tous, en ces temps de discrimination négative, que l'on ne répond pas aux inégalités existantes par des solutions uniformes.

Enfin, le texte maintient les engagements de l'Etat, qui doit assurer aux collectivités des ressources équivalentes.

Voilà pourquoi, mes chers collègues, il faut repousser cette exception d'irrecevabilité, d'autant qu'aucune règle, comme l'a dit Pascal Clément, n'impose que la loi organique vienne avant le texte que nous examinons.

Reste toutefois, y compris au sein de la majorité, une certaine inquiétude quant à l'évolution future des impôts locaux.

M. Augustin Bonrepaux et M. Bernard Roman. Ah ! Enfin...

M. Pierre Méhaignerie. Cette inquiétude n'est pas nouvelle : il suffit de considérer ce qui s'est passé ces quinze dernières années.

M. Augustin Bonrepaux. Pourquoi avez-vous modifié la Constitution, alors ?

M. Pierre Méhaignerie. Lorsque j'étais dans l'opposition, j'ai vu arriver l'APA, non compensée, et les 35 heures, qui ne l'étaient pas plus. Je disais alors à mes collègues que l'Etat n'était pas en mauvaise position dans le débat qui l'opposait aux collectivités locales. Depuis vingt ans, en effet, il a pris en charge au titre des dégrèvements plus de 15 milliards d'euros.

M. Bernard Roman. Et alors ? Vous voulez supprimer les dégrèvements ?

M. Pierre Méhaignerie. Dans certaines villes, il prend en charge plus de 40 % de la taxe d'habitation.

M. Bernard Roman. Heureusement !

M. Pierre Méhaignerie. Le vrai problème, monsieur Derosier, n'est pas dans ce texte, ni dans le fait que les impôts locaux augmenteront demain faute de compensation de la part du Gouvernement : il est en chacun de nous-mêmes. Il est tentant de dépenser, et les dépenses des collectivités locales en France ont progressé beaucoup plus rapidement que partout ailleurs en Europe.

M. Bernard Roman. C'est parce que nous avons rattrapé notre retard !

M. Pierre Méhaignerie. Notre vrai problème aujourd'hui, c'est un partage entre le collectif et le pouvoir d'achat des particuliers.

A cet égard, seule la campagne électorale qui s'annonce peut expliquer les propos de M. Ayrault lorsqu'il accuse la majorité de toucher à tous les budgets sociaux. Si l'on prend le temps d'examiner les chiffres, on constate que le budget des prestations d'Etat a augmenté de plus de 15 % en deux ans...

M. Bernard Derosier. Et alors ? C'est trop ?

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Méhaignerie.

M. Pierre Méhaignerie. Celui des collectivités locales a augmenté de plus de 20 %. Quant aux dépenses des organismes de sécurité sociale, elles sont passées de 300 à 323 milliards.

M. Bernard Roman. Le nombre de pauvres a augmenté aussi ! C'est cela, le néolibéralisme !

M. le président. Monsieur Roman, veuillez laisser M. Méhaignerie conclure !

M. Pierre Méhaignerie. Il n'est pas un pays en Europe où l'évolution des budgets sociaux ait été aussi rapide au cours de ces deux dernières années. (« Et alors ? » sur les bancs du groupe socialiste.) Alors ne dites pas que le modèle social est remis en cause, car c'est un mensonge ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Augustin Bonrepaux, pour le groupe socialiste. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Augustin Bonrepaux. Si je comprends bien, Pierre Méhaignerie est partisan de l'autonomie des collectivités locales, mais à condition de leur interdire d'augmenter leurs dépenses et leurs recettes... (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je tiens à rappeler tout d'abord que la réforme constitutionnelle préparait toutes ces mesures de décentralisation. C'était déjà une manipulation que de dire que l'on compenserait uniquement les charges transférées par l'Etat, alors qu'auparavant la loi disposait que l'Etat devait apporter les recettes nécessaires à l'exercice des compétences de la collectivité locale - ce qui est tout autre chose !

Dans le cas du RMI, par exemple, quand on nous dit que c'est simplement la dépense effectuée en 2003 qui sera transférée aux collectivités, il s'agit d'un leurre. Il est bien évident qu'en 2004 cette dépense aura augmenté, pour trois raisons au moins : d'abord, le RMI a été réévalué de 1,5 % ; ensuite, les salaires affectés à la gestion du RMI augmentent aussi ; enfin, comme Mme Boutin l'a bien démontré, le RMA sera plus coûteux que le RMI. Ajoutez à cela que le nombre de RMIstes a augmenté.

Or la dotation est fixée pour 2003 et n'est pas évolutive, contrairement à ce qu'affirment les ministres et le rapporteur pour avis Laurent Hénart.

Ce dernier soutient que le produit de la TIPP a évolué, mais je suis surpris de ne rien trouver à ce sujet dans son rapport. Le rapport de M. Carrez concluait au contraire que cette dotation n'avait pas évolué. On peut également citer le rapport de Mme Boutin sur le projet de loi instituant le RMA, ainsi que celui de la rapporteure pour avis de la commission des finances : toutes deux ont bien montré que le produit de cette taxe n'augmentait pas.

Enfin, M. Alain Lambert nous a expliqué en commission des finances - n'est-ce pas, monsieur le président Méhaignerie ? - que 2003 avait vu une contraction du produit de la TIPP, donc une baisse des recettes.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. C'est faux !

M. Augustin Bonrepaux. C'est donc une contrevérité inadmissible que de soutenir que le produit de la TIPP est évolutif. D'un côté, les dépenses augmentent, et de l'autre le produit n'augmente plus : cela se traduira inévitablement, mes chers collègues, par une augmentation des impôts locaux. Les gestionnaires auront beau être économes et rigoureux, nul ne peut contester qu'il y aura tout de même transfert de charges.

Telle est la raison de notre opposition à ce texte, mais aussi de vos inquiétudes, chers collègues de la majorité, car vous sentez bien que tout cela n'est pas très équilibré.

Un autre problème est que l'on ne prend pas toutes les dépenses en compte au moment du transfert.

Premier exemple : les personnels des collèges. On va nous transférer la charge des agents émargeant actuellement au budget de l'éducation nationale. Cela représente pour mon département, l'Ariège, 85 postes. Mais on sait très bien qu'il existe d'autres agents, les CES et les CEC, que les principaux ont recrutés parce qu'ils manquaient de personnel. Dans l'Ariège, il y en a 56, soit 60 % de l'effectif. Ceux-là, nous dit-on, ne seront pas pris en charge.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. C'est faux !

M. Augustin Bonrepaux. Peut-être avez-vous préparé un amendement pour qu'ils le soient, monsieur le rapporteur, auquel cas mon objection tombera...

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Il n'est pas besoin d'un amendement pour la faire tomber !

M. Augustin Bonrepaux. Le rectorat m'a expliqué que le fonctionnement des collèges était assuré actuellement par le personnel de l'éducation nationale, tandis que les autres agents ne bénéficiaient que de mesures de solidarité non prises en charge. Peut-être notre débat sera-t-il l'occasion d'éclaircir cette question.

Deuxième exemple : la médecine scolaire. Les effectifs de médecins et d'infirmières scolaires sont notoirement insuffisants. Il y aura donc là aussi une augmentation des dépenses.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Mais non ! C'est un tissu de mensonges !

M. Augustin Bonrepaux. Dernier exemple : on veut nous transférer le fonds social du logement, alors qu'il a été réduit de 25 % en 2003 !

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Bonrepaux.

M. Augustin Bonrepaux. Je conclus, monsieur le président, en soulignant que la notion de « part déterminante », dont il a beaucoup été question, ne garantit rien.

J'en veux pour preuve l'avis de M. Laurent Hénart, avec qui je suis d'accord sur ce point : « La définition donnée par le projet de loi organique de la "part déterminante" des ressources propres comme celle garantissant "la libre administration des collectivités territoriales [...] compte tenu des compétences qui leur sont confiées" n'apporte pas de réponse claire. »

M. Bernard Roman. Voilà ! Il faut faire revenir M. Clément pour qu'il écoute cela !

M. le président. Vous n'allez pas tout lire, monsieur Bonrepaux !

M. Augustin Bonrepaux. « Si le projet de loi organique était adopté dans cette rédaction, poursuit le rapporteur pour avis, il incomberait au Conseil constitutionnel de déterminer à partir de quel niveau les mesures financières prises par l'État ne permettent plus de garantir la libre administration ; ce qui était la situation, fort critiquée, antérieure à la réforme constitutionnelle. Votre rapporteur entend être particulièrement attentif à cette question fondamentale. »

Mon cher collègue, nous le serons pour notre part, mais je ne sais pas si nous vous trouverons à nos côtés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Albertini, pour le groupe UDF.

M. Pierre Albertini. Monsieur le président, mes chers collègues, j'ai écouté avec attention la démonstration de M. Derosier et j'y ai trouvé beaucoup d'éléments de bon sens, inspirés par son expérience d'élu local. Comme on ne parle bien que de ce qu'on connaît bien, son propos, que j'ai suivi avec grand intérêt, a surtout concerné le département.

Pour le reste, son raisonnement se fonde sur deux arguments, la rupture de l'égalité et l'atteinte au principe de libre administration des collectivités locales. Je reprendrai brièvement ces deux points.

Si l'Etat était aujourd'hui un modèle en matière d'égalité, cela se saurait ! Si l'égalité - qui est peut-être plus une valeur qu'un principe effectivement appliqué dans notre pays - était parfaite, il n'y aurait pas aujourd'hui 7 à 8 % de la population vivant au-dessous du seuil de pauvreté. La machine à reproduire les inégalités, qui s'est remise en marche à partir du milieu des années 1980, fonctionne selon un modèle de gestion de l'Etat excessivement centralisé. Or l'Etat n'est plus aujourd'hui ni le signe, ni le garant de l'efficacité.

Il faut donc passer à un autre modèle de fonctionnement, sans, pour autant, que l'Etat se désengage ou devienne inexistant. La décentralisation n'est pas l'ennemie de l'Etat : elle vise simplement à le rendre plus concentré et plus efficace dans ses fonctions de régulation et de garantie des grands équilibres et de la solidarité.

Car l'égalité se juge également au sein même de chaque collectivité territoriale, au niveau de la commune, du département ou de la région. Tous les contribuables, tous les justiciables, tous les administrés le savent bien : ce principe n'a pas seulement une portée nationale, il a aussi une connotation locale et régionale.

Quant à la libre administration des collectivités locales, il me semble qu'il entre un peu d'exagération dans la démonstration de M. Derosier. Sans doute la loi comporte-t-elle quelques incertitudes sur le moyen et le long terme, notamment en ce qui concerne les compétences transférées qui sont soumises à une forte pression sociale : le RMI, la santé, le logement sont des secteurs où l'on peut craindre que, dans trois, cinq ou dix ans, il faille des réponses locales plus fortes que celles qu'apporte aujourd'hui l'Etat.

Par ailleurs, à l'échelle des communes notamment, l'absence d'une péréquation efficace se fait cruellement ressentir. La portée de la péréquation en France est limitée. Plus de vingt ans après l'instauration de la DGF - laquelle présente un caractère hybride, étant plus une garantie de recettes qu'une dotation de péréquation -, beaucoup de travail reste à faire.

Faut-il, pour autant, frapper de suspicion l'ensemble du projet ? Il me semble que vous poussez un peu loin le bouchon, mes chers collègues ! Je n'étais pas parlementaire à l'époque, mais j'ai suivi l'adoption de la loi du 2 mars 1982, qui s'est faite de manière quelque peu rapide, et même, à certains égards, expéditive. Eh bien, si l'on a voté ce texte à la hussarde, c'est qu'il n'y avait, à mon sens, pas d'autre moyen d'inverser la tendance.

Il faut poursuivre dans cette voie. La décentralisation n'est pas - du moins je l'espère - le désengagement de l'Etat. Il nous faudra être vigilants, mais ce n'est pas une raison pour rejeter en bloc un texte qui est, dans l'ensemble, bien inspiré. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Janine Jambu, pour le groupe communiste et républicain.

Mme Janine Jambu. Monsieur le président, chers collègues, le groupe communiste votera l'exception d'irrecevabilité.

En effet, ce projet de loi est contraire aux principes fondamentaux de notre République, qui sont la liberté, l'égalité, la fraternité. Nous pensons même qu'il organise une rupture d'égalité entre les départements et les régions, qui n'auront pas les mêmes capacités de financement. C'est inacceptable, car les inégalités territoriales s'en trouveront profondément aggravées.

De plus, ces inégalités ne pourront être compensées sans un réel transfert de ressources accompagnant les transferts de compétences. J'ai écouté attentivement les interventions des ministres, et ils ne m'ont pas du tout rassurée. Cet après-midi, lors de la séance de questions au Gouvernement, M. de Robien, répondant à un député du groupe de l'UMP qui l'interrogeait sur le péage des routes nationales, a conclu en disant : « On verra après. »

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Il n'a pas dit cela !

Mme Janine Jambu. Cela ne nous rassure pas du tout : en effet, on verra en avril.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Vous n'avez pas écouté !

M. André Chassaigne. Il a dit le contraire de ce qu'il y a dans le texte !

Mme Janine Jambu. Loin d'être un projet de décentralisation, ce texte marque au contraire le désengagement sévère de l'Etat vers les collectivités territoriales. Nous aurons l'occasion de dénoncer cette politique, tant au cours de la discussion générale, qui sera, comme il le faut, longue et approfondie, qu'à l'occasion de la discussion des articles. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

9

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, n° 1218, relatif aux responsabilités locales :

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 1435) ;

M. Dominique Tian, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (avis n° 1434) ;

M. Serge Poignant, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (avis n° 1423) ;

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (avis n° 1432).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.)

    Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

    jean pinchot