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Deuxième séance du mercredi 25 février 2004

166e séance de la session ordinaire 2003-2004


PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

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DÉPÔT DU RAPPORT

D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE

M. le président. M. le président de l'Assemblée nationale a reçu, le mercredi 25 février 2004, de M. Claude Evin, président de la commission d'enquête sur les conséquences sanitaires et sociales de la canicule, le rapport fait au nom de cette commission par M. François d'Aubert.

Ce rapport sera imprimé sous le n° 1455 et distribué, sauf si l'Assemblée, constituée en comité secret, décide, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie du rapport.

La demande de constitution de l'Assemblée en comité secret doit parvenir à la présidence dans un délai de cinq jours francs à compter de la publication du présent dépôt au Journal officiel de demain, soit avant le mercredi 3 mars 2004.

2

RESPONSABILITÉS LOCALES

Suite de la discussion d'un projet de loi
adopté par le Sénat

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif aux responsabilités locales (n°s 1218, 1 435).

Discussion générale (suite)

M. le président. Cet après-midi, l'Assemblée a continué d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. Léonce Deprez.

M. Léonce Deprez. Monsieur le ministre délégué aux libertés locales, étant président du groupe d'études sur le tourisme de l'Assemblée nationale, j'ai voulu profiter de l'évolution heureuse que représente le projet de loi sur les responsabilités locales pour ouvrir de nouvelles perspectives à l'économie touristique. Je ne regrette pas toutes les démarches que j'ai entreprises depuis plus d'un an pour aboutir au but que je m'étais fixé. Nous ne faisons qu'un pas aujourd'hui, mais vous avez permis que ce soit possible, et je remercie les rapporteurs qui ont favorisé une telle évolution.

Ce pas, c'est tout simplement un amendement, mais le plus important de ceux que j'ai présentés. Je m'en contenterai donc ce soir. C'est un premier résultat. C'est un petit pas à l'échelle du projet de loi que vous présentez, mais c'est un grand pas pour l'économie touristique française.

J'ai proposé que, dans l'intitulé du titre Ier, le mot « tourisme » soit remplacé par « organisation territoriale de l'économie touristique ». Tourisme, c'est un terme général sans signification politique, et j'ai voulu signifier que le Gouvernement et tous ceux qui sont ici avaient la volonté de promouvoir une économie touristique sur le territoire français. A partir du moment où l'autorité gouvernementale affirme une volonté politique, il y a un chemin pour les députés, les sénateurs, les élus locaux. J'évoquerai peut-être d'autres amendements, mais l'essentiel était d'exprimer cette volonté.

Ce projet de loi avait sans doute un champ trop large pour qu'on puisse aller jusqu'au bout du chemin et faire franchir à l'économie touristique toutes les étapes qui me semblent nécessaires. L'argument est valable et je m'en suis entretenu aujourd'hui même avec le secrétaire d'Etat au tourisme, parce que j'ai de la suite dans les idées. C'est déjà bien que vous ouvriez la porte et que vous permettiez à l'économie touristique de se déployer sur le territoire français, sous la responsabilité des communes.

En l'occurrence, je l'ai dit à M. Daubresse et à M. Poignant, ce n'est pas un transfert de compétences, c'est une reconnaissance des compétences déjà exercées par les responsables des communes à vocation touristique.

Il y a 2 280 communes touristiques en France qui, depuis dix, vingt, trente ou quarante ans, ont fait les efforts nécessaires pour rendre leurs territoires attractifs et permettre des investissements en hébergements touristiques suffisants par rapport à leur population permanente. Elles bénéficient, grâce à un amendement proposé une nuit au Sénat par Guy Petit, d'une dotation touristique, intégrée aujourd'hui dans la dotation globale de fonctionnement. Elles ont une vocation touristique et assument une responsabilité d'accueil. Leurs investissements publics ont été suivis d'investissements privés, et vu les charges qu'elles assument pour accueillir les touristes de toutes les régions de France, elles méritent de recevoir cette dotation.

Ce fut l'une des premières formes de péréquation et ces 2 280 communes en bénéficient depuis trente ans. L'on tient compte dans le calcul de la DGF du fait qu'elles ont des responsabilités et des charges à assumer pour accueillir les Français et les étrangers qui y séjournent et qui constituent la base d'une clientèle touristique durant les douze mois de l'année.

C'est donc une première étape. Il faudra en franchir d'autres. Si l'on parle de « l'organisation territoriale de l'économie touristique », encore faut-il la définir, expliquer en quoi elle consiste. On va le faire, non pas dans ce projet de loi puisque vous ne l'avez pas souhaité, mais dans un autre texte législatif, et c'est le pacte que j'ai conclu avec certains ministres, dont le premier d'entre eux (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), qui ont compris, et qui le disent, que l'économie touristique était une nouvelle source de vie pour les territoires de France et devait être prise au sérieux. M. Francis Mer a déclaré ici même, cet après-midi, que, quand on comprendrait ce que représente l'économie touristique, on aurait fait de grands progrès.

Pour le développement de cette source de vie, la responsabilité publique est énorme. Les élus locaux placés à la tête de ces communes touristiques génèrent toute une activité qui se déploie beaucoup dans le secteur privé mais qui part de l'effort public parce qu'elle part du territoire. Qui gère le territoire en démocratie ? Ce sont les élus, les maires et leurs conseils municipaux. C'est pourquoi leur vocation à agir dans le domaine touristique devait être exprimée dans ce projet sur les responsabilités locales, et c'est pourquoi j'ai souhaité qu'elle soit résumée dans l'intitulé d'un titre, ce qui nous oblige ensuite à agir et à traduire cette volonté dans un texte législatif ultérieur qui précisera comment est structurée l'économie touristique à travers le territoire français. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, s'il est un motif de satisfaction au regard du texte dont nous débattons aujourd'hui, c'est bien que, vingt-deux ans après la loi Defferre sur la décentralisation, chacun s'accorde à en reconnaître les incidences positives, y compris ses plus farouches détracteurs d'alors.

Rapprochement du pouvoir de décision des citoyens, raccourcissement des circuits administratifs et, au final, renforcement de la démocratie locale sont à porter à son actif. Ainsi François Mitterrand, Gaston Defferre et Pierre Mauroy avaient-ils raison, et force est de constater que les élus locaux ont, sous le contrôle a posteriori des chambres régionales des comptes et des préfets, mieux géré que ces derniers car ils ont une bien meilleure connaissance de leur territoire et bénéficient de la continuité. Ils ont été plus près des habitants, plus attentifs à leurs demandes et ont, quoi qu'on en ait dit parfois, établi une démocratie locale assainie, clarifiée, même si, çà et là, quelques dérapages regrettables ont eu lieu, dérapages que l'on ne dénonçait pas avant car on ne les cherchait pas...

Surtout, les élus locaux ont fait preuve de leur compétence. Ainsi, alors que les trois quarts des investissements publics dans notre pays sont réalisés par les collectivités locales, leur endettement est très faible quand celui de l'Etat est abyssal, sans parler de celui de la sécurité sociale.

Près d'un quart de siècle plus tard, on pouvait donc souhaiter que cette nouvelle loi, annoncée comme l'an II de la décentralisation, s'appuie sur l'expérience de sa sœur aînée, en permettant les nécessaires évolutions, sans pour autant en dénaturer l'esprit.

Or, les mots ayant un sens, monsieur le ministre, le passage même de la notion de décentralisation à celle de responsabilités locales est significatif de la perversion du texte que vous nous demandez de voter, car sa mission essentielle est bien d'exonérer l'Etat de son devoir d'être le garant d'un minimum d'équité entre les territoires et donc entre les Français. Alors que la décentralisation doit s'articuler autour d'un Etat fort assumant ses missions et son rôle de lissage des disparités, vous le réduisez à une sorte d'artichaut dont vous distribuez les compétences feuille à feuille sans vous préoccuper des moyens durablement donnés aux collectivités pour les exercer, le cœur même n'échappant pas à cette grande braderie, et chacun sait que l'on fait rarement de bonnes affaires dans les braderies...

M. le Premier ministre, dont ce texte était censé être le grand chantier, lui avait assigné trois missions totalement recevables : clarifier, moderniser, transférer dans l'honnêteté financière. Le moins que l'on puisse dire est qu'il a raté les trois objectifs.

Ainsi avec des dizaines conventions prévues, non seulement les compétences de chacun ne sont pas clarifiées mais la confusion sera exacerbée, tout devenant encore plus complexe pour nos concitoyens, qui sauront encore moins qu'avant qui fait quoi et qui paie quoi.

Comment, par ailleurs, prétendre que cette loi permettra une modernisation des pratiques, alors que les groupements de communes, qui maillent dorénavant tout le territoire national, en sont les grands oubliés ?

Sur le plan financier, les collectivités locales vont prendre de plein fouet le transfert du déficit du budget de l'Etat que ce texte leur impose. Certes, vous prévoyez une compensation financière, mais à hauteur seulement des dépenses engagées les deux années précédentes.

Ainsi, dans mon département, une route nationale fera, semble-t-il, partie du lot des "cadeaux" que vous faites au conseil général. Mais l'Etat n'y a pas investi le moindre euro ces deux dernières années, alors que ses besoins d'aménagement sont criants et urgents ! Au final, nous aurons la route... et les contribuables locaux paieront.

De même, le RMI a été transféré dans la plus grande précipitation aux départements, le 1er janvier. Si, après une bagarre parlementaire, nous avons pu obtenir des garanties quant à la prise en charge des dépenses réelles, dès janvier, puis à nouveau ce mois-ci, le ministère du budget a bel et bien tenté de ne verser aux départements que 80 % de la dotation prévue. Quant aux propositions faites pour le transfert de personnels des DDASS ou de l'ANPE, faut-il les qualifier de dérisoires ou d'indécentes ? Je vous avoue que j'hésite. Et je ne parlerai pas ici, faute de temps, d'un problème pourtant essentiel : les conséquences inquiétantes du passage au RMA sur le droit du travail.

Comment ne pas parler aussi du transfert de personnels TOS de l'éducation nationale, dont les effets pervers se cumuleront avec la remise en cause de l'égalité et de l'unité du service public et avec les risques de privatisation liés à la possibilité d'externalisation des services ?

Et qu'on ne nous dise pas que la commission Mauroy avait prévu ce transfert ! Il s'agissait de tout autre chose : une mise à disposition avec maintien du statut des personnels et une plus grande autonomie des établissements scolaires. Au contraire, vous faites complètement éclater leur statut.

Parallèlement, les difficultés de gestion seront invraisemblables puisque les agents seront transférés aux départements ou aux régions mais resteront sous l'autorité fonctionnelle des chefs d'établissement.

Quant au coût pour les collectivités, il sera à l'évidence bien supérieur au transfert financier, le nombre de postes actuel étant souvent nettement inférieur aux besoins exprimés.

De surcroît, les personnels administratifs gérant actuellement les carrières des TOS n'étant pas transférés, les départements et les régions devront recruter pour traiter ces dossiers.

La liste n'est pas exhaustive, monsieur le ministre. Ainsi sachant qu'un point de fiscalité rapporte 800 000 euros dans mon département, la Haute-Vienne, et environ 6 millions d'euros dans les Hauts-de-Seine, pouvez-vous nous expliquer comment, en l'absence d'une réelle politique de péréquation, les collectivités les moins riches pourront faire face aux charges que vous leur imposez ? Jean-Marc Ayrault avait bel et bien raison : c'est une crise financière inextricable pour les collectivités locales que ce texte prépare.

Comme dans la loi en faveur des territoires ruraux, vous vous targuez de vouloir donner plus de marges à l'initiative locale, plus de liberté, mais votre liberté, monsieur le ministre, c'est celle de la compétition ultralibérale, c'est la liberté du plus fort d'écraser le plus faible, c'est la liberté du renard dans le poulailler !

M. Philippe Vuilque. Exactement !

M. Jacques Remiller. Oh !

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. De cette liberté-là, monsieur le ministre, nous ne voulons pas.

Après la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 puis la loi organique du 1er août 2003, ce texte sera la troisième étape vers le démantèlement de l'Etat, qui vous permet de transférer les déficits que vous ne cessez de creuser. En filigrane, ce que vous engagez, sans le dire clairement aux Français, c'est une marche subreptice vers un état fédéral. On peut être pour ou contre mais, au regard de l'enjeu, nos concitoyens ont le droit d'être clairement informés et consultés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Morel-A-L'Huissier.

M. Pierre Morel-A-L'Huissier. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué aux libertés locales, mes chers collègues, « quand une collectivité, quand un échelon assume une responsabilité, il faut éviter de parasiter cette responsabilité en faisant en sorte que d'autres, autour, exercent la même avec des effets de dispersion, des effets d'empilage, des effets de bureaucratie qui, finalement, remettent en cause le principe de décentralisation et par là l'efficacité de l'action publique. Par ailleurs, c'est en inversant le mouvement, en organisant les responsabilités, en faisant en sorte que les choses partent d'en bas et non pas d'en haut que la République sera partagée par les citoyens. »

Ces quelques lignes sont issues des actes du colloque « Prospective et décentralisation » que j'ai organisé avec le centre régional de prospective de la région Languedoc-Roussillon, en octobre 2001. Ce sont les mots de Jean-Pierre Raffarin, qui n'était pas encore Premier ministre.

Monsieur le ministre, vous nous présentez aujourd'hui un texte pragmatique, attendu par les élus locaux, par les acteurs de terrain et par l'ensemble du pays.

M. Philippe Vuilque. Tu parles !

M. Pierre Morel-A-L'Huissier. Vous engagez une réforme sans précédent depuis les lois de décentralisation de 1982.

Je souhaite insister sur quelques points. D'abord, sur le binôme « régions-Europe ». On voit bien combien ce couple est précieux pour la gestion et l'efficacité des fonds structurels européens. A cet égard, le transfert expérimental aux régions de l'autorité de gestion et de paiement des fonds européens me semble fondamental lorsque l'on sait les difficultés qu'il y a à programmer puis à verser les aides européennes. Je ne peux que vous inciter à entreprendre cette démarche innovante et novatrice qui apportera souplesse et efficacité.

Il convenait, par ailleurs, d'achever le processus de transfert des compétences régionales : aides économiques, lycées, formation professionnelle, grands équipements, politique de santé. Ainsi, vous donnez enfin aux régions la possibilité d'agir avec efficacité.

Mais votre texte renforce également les pouvoirs ou les compétences des départements. Je ne peux qu'y souscrire car, comme le précisait Jacques Barrot, le département est et doit rester un lien entre les territoires mais aussi un lien social parce qu'il est l'échelon de proximité. Je pense notamment au rôle du département envers les personnes handicapées, envers les jeunes en difficulté, pour le RMI et pour l'aide sociale.

Enfin, permettez-moi d'insister sur le mouvement de l'intercommunalité qui permet aux territoires ruraux de se doter d'outils et de moyens financiers nécessaires à leur développement. J'ai défendu, dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux présenté par Hervé Gaymard, un amendement aux termes duquel « l'Etat assure la solidarité nationale en faveur des territoires ruraux et de montagne et reconnaît la spécificité desdits territoires ». Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous remercier pour votre intervention sur les finances locales lors de ce débat. Vous nous avez rassurés et vous avez suscité l'espoir que les petites communes rurales et leurs intercommunalités soient dotées des moyens nécessaires à leur existence, grâce notamment à la réforme de la DGF, avec l'introduction du critère de densité.

Je lance un appel pour que les petites communes rurales bénéficient d'un financement jusqu'à 80 % pour les projets de mise aux normes des réseaux d'adduction d'eau et d'assainissement, ces mises aux normes nous étant imposées par l'Etat et par les instances communautaires. J'insiste sur la nécessité de soutenir les petites communes rurales et les intercommunalités pour l'entretien de la voirie communale. Enfin, permettez-moi de souligner l'importance de la dotation de fonctionnement minimale, chère au Président Barrot et indispensable aux départements ruraux tels que la Lozère.

Monsieur le ministre, je soutiens avec une conviction très forte le texte que vous nous présentez et j'adhère en particulier à vos propositions pour des régions chefs de file, des départements aux compétences réaffirmées, des communes et intercommunalités plus autonomes et plus responsables.

Mais je souhaite appeler votre attention sur un aspect que votre texte n'aborde pas suffisamment : le contrôle de l'action administrative. Si l'on veut rapprocher le citoyen de l'élu, le faire adhérer à l'action publique, il faut certes appliquer les concepts modernes de démocratie participative, de concertation et de consultation, mais aussi se donner les moyens de faire contrôler et éventuellement sanctionner l'action publique ou les acteurs publics. Cela m'amène à poser la question récurrente de l'efficacité du contrôle de légalité, souvent fort mal compris de nos concitoyens et de nos élus, ainsi que celle de l'efficacité de la justice administrative, compromise par des délais de procédure beaucoup trop longs, et celle de son indispensable articulation avec les juridictions financières, civiles et répressives.

Je note donc avec satisfaction l'émergence de ces concepts nouveaux que sont l'évaluation et la prospective, outils modernes qui rendront plus efficace l'organisation décentralisée de notre pays.

Monsieur le ministre, voilà vingt ans, nous nous étions arrêtés au milieu du gué. Vous nous proposez un texte qui permettra à notre pays et à notre administration de le franchir. Ses dispositifs nouveaux, innovants, expérimentaux nous doteront d'une nouvelle organisation administrative et politique qui permettra de faire sauter les blocages et les inerties. Avec ce projet de loi sur les responsabilités locales, vous-même et le gouvernement dirigé par Jean-Pierre Raffarin faites œuvre très utile. Merci pour votre détermination. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Monsieur le ministre, mes chers collègues, comment ne pas avouer notre totale incompréhension quant aux dispositions des articles 72 et suivants qui concernent tant le patrimoine que les enseignements artistiques.

Quelle mouche vous a donc piqués pour vouloir décentraliser à tout prix le service de l'inventaire général qui emploie - tenez-vous bien ! - 272 fonctionnaires dans tout le pays ? D'autant que l'inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France a été, dès sa création en 1964 par André Malraux, l'un des premiers services déconcentrés de l'Etat dans ce qui était alors les nouvelles régions administratives, bien avant la naissance des DRAC.

Aujourd'hui, cette tâche est confiée à de petites équipes pluridisciplinaires, bien intégrées dans les DRAC, le niveau régional étant pertinent pour que tout le travail de recherche soit réalisé à l'échelle d'un territoire suffisamment vaste pour permettre une approche globale du patrimoine, ainsi que des comparaisons et des synthèses. Ce travail constitue le premier maillon de la chaîne patrimoniale qui va de l'identification à la protection, puis à la mise en valeur et à l'aménagement du territoire. Il se situe en amont du classement des monuments historiques ou de leur inscription à l'inventaire supplémentaire. Les données de l'inventaire général, avec la carte archéologique et les descriptions des monuments historiques, permettent l'établissement d'un document essentiel, l'atlas du patrimoine.

Très tôt, une politique active de partenariat de mutualisation des moyens avec les collectivités territoriales, le plus souvent par le biais de conventions, a été développée par les services régionaux de l'inventaire. Sa disparition en tant que service public national, non seulement ne correspond à aucune logique mais comporte des risques évidents.

M. Philippe Vuilque. Bien sûr !

M. Patrick Bloche. Le fondement de l'inventaire, c'est recenser, étudier et faire connaître. Or cette unité des travaux va être rompue par les dispositions que vous nous proposez. Si le contrôle scientifique et la définition des normes doivent normalement - espérons-le ! - rester une compétence d'Etat, il n'en va pas de même de la conduite de l'inventaire dont vous souhaitez la dévolution aux régions, avec une hypothèque forte, celle d'un manque d'initiative de leur part en ce domaine.

Par ailleurs, en gardant la logique de partenariat qui prévalait jusqu'à présent, vous auriez maintenu un garde-fou essentiel, celui de la neutralité de l'Etat. Quand les régions seront maîtresses du choix des terrains d'études, le risque est évident que la logique des aménageurs s'impose, car elles seront à la fois juges et parties de la programmation.

On retrouve ici des intentions aussi funestes que celles qui ont conduit, l'été dernier, à la privatisation, tout aussi injustifiée, des fouilles archéologiques. Partout, et particulièrement dans le domaine culturel, c'est le retrait de l'intervention de l'Etat, c'est son démantèlement qui est à l'ordre du jour.

Avec l'article 73, qui transfère aux collectivités territoriales la propriété de certains monuments historiques appartenant à l'Etat, on atteint le point d'orgue du délestage de charges sur les collectivités locales, sans la moindre compensation budgétaire. L'Etat donne le monument historique au plus offrant sans préciser ce qui a vocation à rester propriété de la nation. Ce désengagement systématique du patrimoine national met en péril l'exploitation historique et scientifique des lieux de mémoire que sont les monuments historiques.

M. Philippe Vuilque. Très juste !

M. Patrick Bloche. Le coût des travaux d'entretien pèsera lourdement - vous le constaterez très vite, mes chers collègues - sur le budget des collectivités locales. Le subventionnement des travaux, pour une durée maximale de cinq ans, ne constitue en aucun cas une garantie puisque rien dans le dispositif proposé ne précise à quelle hauteur les travaux seront subventionnés.

Une disposition transfère les personnels des monuments parallèlement au transfert de propriété. Mais quelle sera la garantie de permanence des personnels ? Leur nombre ne sera-t-il pas réduit à l'occasion du transfert ? En l'état actuel du texte, ces questions restent sans réponse.

Ainsi, les collectivités qui se porteront acquéreurs de monuments historiques seront dans une situation moins favorable que les propriétaires actuels, car aujourd'hui les travaux réalisés par les collectivités locales ou par des particuliers sont pris en charge à hauteur de 50 % par l'Etat.

Avec votre permission, monsieur le président, j'évoquerai en une minute...

M. le président. A peine !

M. Patrick Bloche. ...l'article 75 relatif aux enseignements artistiques. Le dispositif proposé est calqué sur la pratique actuelle, mais il comporte des imprécisions et suscite des interrogations, voire des inquiétudes de la part des maires ou des présidents de groupement de communes possédant de tels établissements. Les différents niveaux d'enseignement ne sont pas clairement distingués et des disparités risquent de subsister entre des diplômes délivrés sous un même titre. De même, la notion de « cycle d'enseignement professionnel initial » n'est pas explicitée. Il n'est fait aucune distinction entre la pratique amateur et ce qui relève de la formation professionnelle.

Quant au financement des conservatoires et des écoles nationales, il nous est proposé de transférer les concours financiers de l'Etat aux départements et aux régions, à charge pour elle de les reventiler. Mais quelle garantie sera apportée aux communes quant au maintien du montant actuel et à la répartition juste et durable des sommes transférées, sachant que les grandes villes financent actuellement entre 75 et 80 % du budget des conservatoires nationaux de région ? Le débat en commission a permis fort heureusement, à l'initiative du rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, de constater que le dispositif n'était pas approprié à ce qui est déjà la réalité de la répartition entre les différents échelons territoriaux. Nous espérons que l'article 75 qui n'a de fait aucune justification, pourra être supprimé. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Remiller.

M. Jacques Remiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons s'inscrit pleinement dans le prolongement des premières lois de décentralisation présentées il y a plus de vingt ans par Gaston Defferre.

M. Pierre Albertini. Ah !

M. Jacques Remiller. Il n'est pas interdit de le rappeler.

Ce texte consacre, comme l'a si bien dit le Premier ministre, la « République de proximité » que chacun appelle de ses vœux.

J'approuve, en premier lieu, la clarification des compétences qu'il opère. Enfin, les citoyens perdus jusqu'à présent dans l'enchevêtrement, ô combien complexe, de notre paysage administratif, pourront savoir qui fait quoi. Cette clarification et cette simplification de l'organisation administrative est bien l'objectif de la décentralisation, que le Gouvernement a rappelé à de nombreuses reprises.

Chaque échelon aura son domaine de compétence : à la région la responsabilité des interventions économiques, de la formation professionnelle, du transport, des grandes infrastructures et du tourisme ; au département le soin de mener les actions sociales, de plus en plus nombreuses ; aux communes et à leurs groupements la compétence de gérer le logement social et, par délégation, les aides à la pierre. En contrepartie, l'Etat se recentre sur ses principales missions dites régaliennes et fait davantage confiance aux collectivités territoriales.

Le projet de loi prévoit des transferts de compétences clairement financés. Contrairement à ce que répète l'opposition, le poids accru de la fiscalité locale ne vient nullement des lois de décentralisation que nous mettons en œuvre depuis notre arrivée au pouvoir, mais bien de l'augmentation antérieure des charges des collectivités locales : je citerai par exemple le financement des 35 heures, des SDIS ou de l'APA.

M. Philippe Vuilque. Vous ne manquez pas d'air !

M. Jacques Remiller. Il provient aussi de la perte d'autonomie financière liée à la disparition de certaines recettes, comme la part régionale de la taxe d'habitation.

M. Michel Piron. C'est vrai !

M. Jacques Remiller. Il est vrai que l'expérience des lois Defferre, courageuses en leur temps, n'a pas donné entière satisfaction, en raison notamment de ce problème financier non traité ou imparfaitement traité à l'époque. Chat échaudé craignant l'eau froide, il faudra bien évidemment être vigilant sur les contreparties financières. Mais les garanties prévues par le Gouvernement, garanties constitutionnelles, nous permettent d'adhérer pleinement à la démarche ainsi engagée.

J'en viens maintenant à l'article 73 qui intéresse toutes les villes que les siècles ont chargé d'histoire mais aussi de richesses et de monuments. Je me félicite que cet article prévoie les modalités du transfert de la propriété de certains monuments historiques appartenant à l'Etat aux collectivités territoriales, et les encourage ainsi à défendre notre patrimoine en assurant une gestion plus proche des territoires. Permettez-moi de dire que le défaut d'entretien des monuments historiques par l'Etat démontre l'urgence d'un tel transfert de compétence. Il y va de la sauvegarde de ce patrimoine, tant envié par nos voisins étrangers.

Si l'objectif est parfaitement louable, il convient néanmoins d'entourer ce transfert de certaines garanties afin d'éviter qu'il ne soit une trop lourde charge pour les collectivités territoriales et leurs groupements. Beaucoup s'inquiètent, en effet, de son coût financier. S'il est clair que la cession d'un monument ne peut se faire qu'avec l'assentiment de la commune destinataire, le transfert de propriété doit s'accompagner du transfert des ressources nécessaires à l'entretien du bâtiment.

Qu'en est-il dans la réalité ? La commune dont je suis maire, et où les Romains sont passés il y a plus de 2 000 ans, est propriétaire de ses monuments. Elle a en quelque sorte expérimenté avant l'heure le système proposé par cet article et je peux dire que cela lui cause d'importantes difficultés financières. Dans ce cadre, je me demande quelle garantie apporter pour ne pas grever le budget des communes qui deviendront, demain, propriétaires des monuments historiques aujourd'hui propriété de l'Etat.

M. Patrick Bloche. C'est le risque !

M. Jacques Remiller. La convention conclue entre l'Etat, le Centre des monuments nationaux et la collectivité ou le groupement de collectivités établit, pour une durée qui ne peut excéder cinq ans, un programme de travaux susceptibles d'être subventionnés par l'Etat. Certes, il s'agit là d'une garantie et d'une sécurité certaine pour la collectivité qui gérera le monument, mais une question demeure en suspens : comment sera fixée cette subvention et selon quels critères ?

M. Patrick Bloche. Il n'y en aura pas !

M. Jacques Remiller. La discussion de ce texte vous donne l'occasion, monsieur le ministre, de rassurer les élus que nous sommes sur les modalités pratiques de mise en œuvre de cet article.

Je vous remercie par avance de vos éclaircissements et vous assure d'ores et déjà de mon soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Merci, monsieur le député !

M. le président. La parole est à M. Frédéric Reiss.

M. Frédéric Reiss. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la reconnaissance par la Constitution de l'organisation décentralisée de la République nous conduit aujourd'hui à faire un pas décisif vers la décentralisation. Pour que la France continue à jouer un rôle majeur au niveau européen et mondial, elle a besoin de régions compétitives qui sauront libérer les énergies et prouveront que proximité rime avec efficacité et compétitivité.

Plus de vingt ans après les premières lois de décentralisation, cette évolution est souhaitée par la majorité des Français. Elle permettra de transférer des compétences vers les régions et les départements pour le plus grand bénéfice de nos concitoyens. Du développement économique au transfert de services, en passant par le développement des infrastructures, le projet de loi est ambitieux. Certes, devant un changement en profondeur, il y a toujours l'angoisse de l'inconnu. Il faut donc du courage politique et le Gouvernement n'en manque pas.

En Alsace, l'expérimentation a porté ses fruits, par exemple pour la gestion des fonds structurels européens. L'expérimentation avait été décidée au conseil des ministres en juillet 2002 pour la période 2000-2006. Le programme objectif 2 géré par la région Alsace et soutenu intelligemment par les services de l'Etat a mobilisé 725 dossiers, dont 63 % depuis le 1er janvier 2003. Et les résultats sont tout aussi remarquables en matière de transports ferroviaires.

Hier, à cette même tribune, le Premier ministre et le ministre de l'intérieur ont confirmé la volonté du Gouvernement de faire en sorte qu'après tout transfert de compétences les financements suivent, avec des recettes propres évoluant de manière dynamique. C'est un postulat de base qui garantira la réussite et la pérennisation de cette décentralisation.

M. Philippe Vuilque. On en reparlera !

M. Frédéric Reiss. Dans le cadre de ce projet de loi au souffle neuf indiscutable, j'aborderai quatre points.

Tout d'abord, je me réjouis que le sport apparaisse de manière volontariste dans un chapitre additionnel grâce aux amendements proposés par Emile Blessig et Edouard Landrain. La politique en faveur du sport trouve toute sa place dans ce projet de loi. En harmonisant les initiatives des acteurs du sport et en élaborant un schéma régional de développement du sport, le conseil régional coordonnera les actions au travers de la conférence régionale. Les sports de nature, qui ont le vent en poupe avec un nombre croissant de pratiquants, s'inscriront dans les plans départementaux de développement que les conseils généraux élaboreront dans le respect de l'article 361-1 du code de l'environnement. C'est une bonne mesure.

Mon deuxième point concerne le tourisme. L'article 10 de la loi du 23 décembre 1992 relatif à la répartition des compétences en matière de tourisme me semble, à la lumière de mon expérience, tout à fait satisfaisant. Le Sénat a rejeté, à mon sens avec raison, l'abrogation de cet article. Les professions du tourisme ne doivent pas être écartées de la direction des offices de tourisme municipaux ou intercommunaux. Je suis persuadé qu'à l'avenir les organes délibérants des EPCI exerceront de plus en plus la compétence du développement touristique en créant des offices de tourisme intercommunaux au sein desquels les professionnels devront travailler, bien évidemment, en synergie avec les élus locaux. La France, première destination touristique au monde, pourra ainsi s'appuyer sur le dynamisme de ses bassins de vie et de ses régions dont les richesses patrimoniales et les idées novatrices en matière de promotion ne demandent qu'à être valorisées.

Troisièmement, dans le domaine de la formation professionnelle, j'approuve l'action du Gouvernement qui confie aux régions la formation qualifiante des demandeurs d'emploi. Je comprends l'inquiétude des salariés de l'AFPA et je reconnais que leur efficacité a été démontrée, notamment par leur implication dans la gestion de situations de crise, à la suite par exemple d'un plan social. Le contrat de progrès 2004-2008 liant l'Etat à l'AFPA encadrera le transfert des crédits aux conseils régionaux. Les orientations seront discutées région par région, conformément à une convention tripartite Etat-région-AFPA.

M. Philippe Vuilque. Cela ne nous rassure pas !

M. Frédéric Reiss. La politique de l'emploi, la construction des projets professionnels des demandeurs d'emploi, l'accompagnement des mutations économiques, la reconversion de salariés ou la formation de publics spécifiques tels que les détenus ou les travailleurs handicapés, continueront évidemment à être subventionnés. Ce projet confirme que la formation professionnelle est un enjeu majeur pour le Gouvernement.

Je conclurai en disant combien je suis attaché aux CCAS, à leur composition et à leur mode de fonctionnement actuels.

M. Pierre Albertini. Très bien !

M. Frédéric Reiss. Je suis conscient des carences constatées dans de nombreuses petites communes, mais si les CCAS ne devaient plus être obligatoires, comme le préconise le Sénat à l'article 100 bis, nous perdrions le savoir-faire et le savoir-être des bénévoles qui œuvrent inlassablement dans les associations à caractère social ou socioculturel.

M. Philippe Vuilque. Voilà un point d'accord !

M. Frédéric Reiss. Je veux souligner le rôle essentiel et la place originale des CCAS dans notre paysage institutionnel.

M. Jacques Remiller. Très bien !

M. Frédéric Reiss et M. Edouard Landrain. La présence régulière des représentants des associations dans les réunions des CCAS est un gage de réactivité, de légitimité et surtout de connaissance du terrain dans le traitement des inévitables problèmes sociaux qui se posent dans nos communes, même les plus petites. Je suis donc très favorable aux amendements de suppression de l'article 100 bis.

M. Pierre Albertini. Très bien !

M. Frédéric Reiss. Monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, je vous félicite pour l'immense travail accompli. Grâce à vous, ce texte relatif aux responsabilités locales est un excellent projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Edouard Landrain.

M. le président. La parole est à M. Edouard Landrain.

M. Edouard Landrain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de modernisation de nos collectivités est le fruit d'une vision à long terme ambitieuse pour la France, car il dynamisera les initiatives des acteurs locaux grâce à la proximité qu'il implique dans la prise de décision. Surtout, la décentralisation permettra de rendre les citoyens responsables de leurs choix politiques.

Dans la continuité de la très large concertation menée lors des assises des libertés locales au début de l'année dernière, le Gouvernement s'est pleinement engagé dans la décentralisation, d'abord en en faisant un principe fondamental de notre Constitution, et maintenant en précisant dans ce projet de loi les contours des nouveaux droits et obligations des collectivités territoriales. Là où la proximité est source d'efficacité, il nous faut résolument choisir de faire participer les élus locaux. Le défi est de taille mais les responsables locaux ont déjà fait preuve de leur capacité d'adaptation dans la mise en œuvre des premières lois de décentralisation.

Le texte qui nous est présenté par le Gouvernement reflète bien la diversité des besoins et des situations que l'on peut rencontrer sur le terrain. Parmi les nombreuses missions qui seront désormais exercées par les collectivités figurent notamment le tourisme, la formation professionnelle ou encore l'éducation et la culture. Mais dans cet excellent projet de loi, il manquait le sport ! Le sport, une fois de plus oublié, alors que les états généraux du sport ont montré qu'il était une des principales préoccupations des Français : 25 millions de nos compatriotes le pratiquent et 14 millions d'entre eux sont licenciés. C'est donc sur le sport que je souhaite appeler votre attention, monsieur le ministre.

Les collectivités territoriales exercent déjà dans ce domaine une action essentielle. Leurs compétences, qu'elles partagent avec les acteurs du mouvement sportif, ne sont pas à créer, elles sont à reconnaître. Au cours des derniers mois, j'ai eu l'occasion de rencontrer l'ensemble des acteurs du monde sportif afin de recueillir leur sentiment sur la décentralisation de la compétence « sport ». Les attentes sont fortes, et les initiatives locales déjà nombreuses. C'est pourquoi j'ai souhaité vous proposer d'insérer dans le projet de loi un chapitre spécifique. Les amendements que je vous présenterai au cours de l'examen des articles tirent les enseignements des diverses initiatives engagées depuis deux ans dans plusieurs départements. Ces amendements adoptés à l'unanimité par la commission des affaires culturelles, puis par la commission des lois, ont un double objet : valoriser le rôle des départements dans la pratique sportive, en particulier des sports de nature, et créer les instances de coordination nécessaires au niveau régional.

D'une part, je souhaite attirer votre attention sur les commissions départementales des espaces, sites et itinéraires, plus brièvement dénommées DESI. Valoriser les espaces naturels nécessite, en matière de sports de nature - ils sont aujourd'hui pratiqués par plus d'un Français sur trois -, de concevoir des modalités de concertation entre les sportifs et les autres usagers. C'est l'objet de ces commissions que d'harmoniser les différentes utilisations des espaces naturels. Les nombreuses expériences lancées dans plusieurs départements, dont le Bas-Rhin, l'Ardèche ou les Côtes-d'Armor, nous incitent à les promouvoir. Les amendements dont je vous ai parlé sont destinés à faciliter la mise en place par le conseil général de la DESI. Pour être efficace, cette commission consultative, dont la composition et les modalités de fonctionnement seront fixées par délibération du conseil général, doit être d'une grande souplesse d'utilisation. L'incertitude que fait peser l'absence de base juridique suffisante quant à leur composition et leur fonctionnement limite le recours à ces outils de concertation décentralisée. C'est pourquoi il est indispensable de modifier les textes existants afin de les mettre en conformité avec les réalités locales.

D'autre part, il conviendrait, dans le même esprit d'harmonisation des politiques sportives, de créer la conférence régionale du sport. La coordination des politiques sportives est souhaitable pour répondre à la fois aux besoins du sport pour tous les publics et à la nécessité de pérenniser les filières de haut niveau. Cette conférence a vocation à être une instance de concertation entre les fédérations sportives agréées, les personnes, administrations et structures concernées par la définition d'une telle politique.

En somme, je souhaite, et les Français aussi, monsieur le ministre, que le sport trouve dans cette loi la place légitime que nous estimons devoir lui revenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Vuilque.

M. Philippe Vuilque. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de vous redire, au moment où nous commençons l'examen de ce projet de loi adopté en première lecture par le Sénat, combien nous sommes choqués - et je sais que certains de nos collègues de la majorité partagent cette opinion -...

M. Jacques Remiller. Des noms !

M. Philippe Vuilque. ...par la nouvelle rédaction de l'article 39 de la Constitution, qui donne la priorité au Sénat dans l'examen des textes concernant les collectivités locales. C'est proprement inadmissible ! C'est un abaissement du rôle de notre Assemblée et ce n'est pas à votre honneur.

La décentralisation que vous nous proposez n'est pas digne de ce nom. J'ai d'ailleurs du mal à employer ce terme. Une vraie décentralisation, c'est une décentralisation négociée,...

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Comme en 1982 !

M. Philippe Vuilque. On ne pouvait pas réellement parler de décentralisation en 1982, monsieur le rapporteur !

Une vraie décentralisation aurait clarifié 1es compétences, modernisé et adapté la fiscalité locale, elle aurait simplifié et rendu plus lisible le système politique territorial. Une vraie décentralisation aurait véritablement pris en compte l'intercommunalité et l'aurait démocratisée en faisant élire son exécutif au suffrage universel.

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. C'est ça, simplifier ? Vous en rajoutez une couche !

M. Philippe Vuilque. Or que proposez-vous ?

Vous prévoyez une débudgétisation pure et simple, un transfert de charges très imparfaitement compensé, c'est le moins que l'on puisse dire. Bref, passez-moi l'expression, vous « refilez » une partie du déficit du budget de l'Etat aux collectivités locales. Votre décentralisation n'a rien à voir avec celle initiée par la gauche en 1982 et combattue à l'époque par la droite.

Dans une tribune publiée dans le Figaro du 1er octobre 2002, M. le ministre écrivait : « La réforme Defferre de 1982 à 1985 a été importante dans la mesure où elle a supprimé la tutelle des préfets, opéré des transferts qui ont fortement amélioré la gestion grâce aux élus locaux et acclimaté un principe qui faisait l'objet de beaucoup de prévention. Elle a, en quelque sorte, été une expérimentation réussie de la décentralisation. Néanmoins, on doit regretter que la réforme ait alourdi et dilué les procédures de décision, et multiplié les structures administratives, sans réduire pour autant la dimension de l'administration étatique. »

Tout est dit dans cette dernière phrase qui résume parfaitement votre philosophie de l'Etat libéral. Les services de l'Etat sont plus considérés comme une charge budgétaire que comme une garantie de l'égalité d'accès aux services publics. Pour vous, décentraliser c'est se débarrasser, c'est avant tout réduire les dépenses de l'Etat, c'est l'amaigrir pour le rendre plus faible.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Plus fort, vous voulez dire !

M. Philippe Vuilque. C'est d'ailleurs tout à fait cohérent avec la politique que vous menez depuis votre arrivée au gouvernement. Le projet de loi participe d'une démolition programmée des services de l'Etat. On démantèle les administrations, on réduit les effectifs, on coupe les crédits, on disperse les services, on brise menu les résistances. En somme, Raffarin, c'est un peu le « tonton flingueur » de l'Etat ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Il ne faut pas nous prendre pour des canards sauvages !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Nous sommes les enfants du bon Dieu ! (Sourires.)

M. Philippe Vuilque. Un tonton flingueur tellement pingre qu'il refuse la juste part du « grisbi » qui revient aux collectivités locales ! Pardonnez cette évocation à la Audiard, quelque peu triviale, je vous l'accorde, mais qui correspond malheureusement à la triste réalité ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Un peu d'humour, mes chers collègues !

Votre décentralisation est, et restera, une formidable occasion manquée. Comment est-il possible, lorsque l'on dispose de tous les pouvoirs - Président de la République, Assemblée nationale, Sénat - de proposer un tel projet, aussi incomplet, aussi peu audacieux ? Votre décentralisation échouera parce que vous allez la plaquer sur un mode d'organisation qui ne répond plus aux exigences de nos concitoyens. Votre décentralisation a déjà du plomb dans l'aile. Votre grande ambition s'est transformée en un catalogue hétéroclite dans lequel règnent la confusion et l'imprécision. Les conditions dans lesquelles s'est faite la seule décentralisation déjà opérée - celle du RMI-RMA - laissent mal augurer de la suite.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Discours tout en finesse !

M. Philippe Vuilque. Comment vous faire confiance alors que, tout en mettant en scène la fiction des baisses d'impôt sur le revenu, vous multipliez les prélèvements sur l'ensemble des ménages ? Vous allez placer les élus locaux devant de redoutables alternatives : laisser se dégrader l'accès aux services publics ou faire exploser la fiscalité locale. Même vos propres amis politiques s'en inquiètent.

Demain, les collectivités locales riches seront plus riches, et les pauvres plus pauvres.

M. Michel Bouvard. Ça...

M. Philippe Vuilque. Et ce ne sont pas vos déclarations sur le respect de l'autonomie financière des collectivités locales, même si elles se veulent rassurantes, qui vont changer les choses. Les associations d'élus locaux l'ont bien compris et l'épisode grotesque de l'annonce par le Président de la République, sans concertation, sans étude préalable sérieuse, de l'exonération de la taxe professionnelle est une parfaite illustration de ce manque de cohérence.

M. Daubresse, notre rapporteur lui-même, se sent obligé de préciser : « Nous souhaitons que l'Etat nous confère un réel pouvoir fiscal, et non une dotation cachée dont l'évolution ne nous sera pas garantie. Le pouvoir fiscal, c'est la garantie pour les collectivités locales d'avoir une gestion dynamique. »

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. C'est précisément ce qu'il y a dans le texte !

M. Philippe Vuilque. Cela montre bien votre inquiétude, monsieur le rapporteur.

La décentralisation méritait mieux. Elle méritait une refonte de la fiscalité locale avec la mise en place d'un cadre financier préalable : prévoir de discuter de la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités locales après ce texte est une aberration. Elle méritait également une clarification de toutes les compétences, plutôt qu'une complexification. Elle méritait encore une prise en compte du développement de l'intercommunalité, parent pauvre du projet, et sa démocratisation en prévoyant, je l'ai dit, l'élection au suffrage universel direct de ses organes délibérants. Autrement dit, elle méritait plus d'audace et moins de conformisme politique.

Nous sommes favorables à la décentralisation, nous en sommes même de farouches partisans, mais pas de cette façon ! Un de vos ministres avouait que le gouvernement Raffarin n'avait aucun bénéfice électoral à attendre de la décentralisation.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Preuve de notre désintéressement !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Et même de notre abnégation !

M. Philippe Vuilque. Je crains, pour ma part, que le citoyen non plus n'ait pas grand bénéfice à attendre d'une réforme passéiste et coûteuse.

L'indifférence des Français vis-à-vis de votre projet est déjà une sanction. Les éclaircissements sur les enjeux du projet de loi que nous ne manquerons pas de donner lors des débats parlementaires leur permettront, je l'espère, de traduire cette sanction en condamnation politique lors des scrutins du mois de mars. Le « printemps territorial » évoqué par le Premier ministre ne sera peut-être pas celui qu'il attend ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Carrez.

M. Gilles Carrez. Monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous proposez est essentiel. C'est un texte fondateur qui s'inscrit dans la démarche d'ensemble de la réforme de l'Etat. Il faut donc que nous le discutions avec la plus grande attention et que le Gouvernement fasse preuve de l'écoute la plus attentive.

Trois sujets me paraissent devoir être évoqués, sur lesquels je ferai des propositions.

Premièrement, les données financières de cette nouvelle étape de la décentralisation avec, en arrière-plan, la question de la réforme de la taxe professionnelle.

Le cadre financier est infiniment plus clair et plus favorable que celui de la première décentralisation, dite Defferre. En effet, d'une part, notre majorité a voté l'année dernière la réforme de la Constitution pour mettre en place le principe d'autonomie financière des collectivités territoriales. D'autre part, dans ce texte et dans ses différentes déclarations, le Gouvernement a indiqué clairement à quel point il tenait à une compensation loyale et transparente des charges transférées.

Le Gouvernement propose que la commission d'évaluation des charges, qui était un organisme technocratique - il faut le reconnaître même si certains d'entre nous y participaient -, non seulement soit désormais présidée par un élu mais fasse également partie d'une autorité reconnue, le Comité des finances locales.

De surcroît, des précautions relatives au calcul des dépenses, pour lequel nous prenons comme assiette des moyennes sur trois ou cinq ans, permettront de déboucher sur des compensations parfaitement équitables.

Dans ces conditions, pourquoi, depuis deux jours, nos collègues de gauche instruisent-ils un faux procès en compensation financière ?

M. Michel Piron. Bonne question !

M. Gilles Carrez. Tout simplement parce qu'ils cherchent à dissimuler leurs turpitudes récentes.

M. Édouard Landrain. Bien sûr !

M. Gilles Carrez. Nous les avons tous à l'esprit.

Qui a remplacé la part salaire de la taxe professionnelle par une dotation ?

M. Michel Bouvard. Eux !

M. Gilles Carrez. Qui a remplacé la vignette par une dotation sans aucune concertation ?

M. Michel Bouvard. Encore eux !

M. Gilles Carrez. Qui a remplacé la part régionale de la taxe d'habitation par une dotation ? Qui a remplacé une bonne partie des droits de mutation par une dotation ? Qui a procédé à un véritable asservissement financier des collectivités locales par l'Etat ? C'est vous, mes chers collègues de gauche.

M. Michel Bouvard. Indéniablement !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. C'est de la recentralisation !

M. Gilles Carrez. Sans aucune concertation, au cours de la précédente législature, vous avez transformé 15 milliards de bons impôts, d'impôts locaux, dont les élus locaux avaient la maîtrise de l'assiette et du taux, en subventions d'Etat, cherchant en cela à recentraliser et à défaire ce que Defferre avait pu faire vingt ans auparavant. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Philippe Vuilque. Mais non !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur, M. Serge Poignant, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, et M. Claude Goasguen. Absolument !

M. Gilles Carrez. Chaque année, nous avons saisi le Conseil constitutionnel sur la question de la transformation progressive et insidieuse de l'autonomie financière des collectivités locales en une sujétion à l'égard de l'Etat par le biais de dotations. Nous avons pris, lorsque nous étions dans l'opposition, l'engagement, si nous gagnions les élections, de procéder immédiatement à une réforme de la Constitution visant à empêcher que les turpitudes que vous avez commises ne puissent l'être à nouveau. Nous avons tenu parole. Vous instruisez un faux procès.

J'en viens aux propositions. Comme notre souci primordial est d'assurer la clarté des finances locales, les trois rapporteurs et moi-même avons préparé un amendement sur la première partie de la réforme de la taxe professionnelle. Cet amendement prévoit, de la façon la plus claire possible, la compensation de l'exonération des nouveaux investissements 2004-2005 sous forme de dégrèvement fiscal. Les collectivités locales auront ainsi la totale garantie de leurs recettes, qu'il s'agisse de l'assiette ou du taux.

M. Serge Poignant, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Gilles Carrez. Monsieur le ministre, la taxe professionnelle est une charge pour l'entreprise, mais elle est aussi une recette pour la collectivité locale. Le débat sur cette première étape a donc tout autant sa place dans le texte que nous examinons actuellement que dans le futur texte sur l'emploi.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur, et M. Claude Goasguen. Excellent !

M. Gilles Carrez. Chers collègues, nous aurons tous avantage à discuter au fond de cet amendement qui définit le champ d'éligibilité de l'exonération des nouveaux investissements et qui assure, de la façon la plus précise, la garantie absolue que représente le dégrèvement fiscal au profit de nos collectivités. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je vous invite à relire les procès-verbaux de l'Assemblée : à l'époque, nous vous demandions systématiquement le dégrèvement fiscal en lieu et place de la dotation, de la subvention et de l'asservissement à l'Etat. Vous l'avez refusé durant cinq années. Alors, ne venez pas aujourd'hui nous donner de leçons ! Elles sont la simple expression de la mauvaise foi, de l'hypocrisie ou de l'amnésie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. André Schneider. Sans doute des trois à la fois !

M. Gilles Carrez. Quant à la réforme de la taxe professionnelle, dès demain, afin de montrer à quel point nous sommes soucieux de concertation, le Premier ministre réunira un groupe de travail élargi. Nous ferons valoir deux principes.

Premier principe : la réforme de la taxe professionnelle ne doit pas se traduire par un transfert sur la fiscalité des ménages. Aujourd'hui, la fiscalité locale connaît un équilibre : la moitié des recettes provient des entreprises, l'autre des ménages. Cet équilibre ne doit pas être rompu. Il est parfaitement légitime que l'entreprise, qui tire une partie de sa richesse des services et des équipements publics, participe au financement de ces services et de ces équipements.

Deuxième principe : le lien fiscal territorial doit être maintenu. Que 36 000 maires se battent pour accueillir, conserver ou développer des entreprises, même dans le cas où elles provoquent des nuisances, c'est un atout fantastique pour la croissance et pour l'emploi dans notre pays. Nous n'avons pas le droit de remettre en cause un tel atout.

M. Léonce Deprez et M. Michel Bouvard. Très bien !

M. Gilles Carrez. Ces deux principes étant respectés, la voie de la réforme est évidemment étroite, mais elle est possible. A nous d'y travailler dans l'esprit de concertation qui anime le Gouvernement et la majorité.

Deuxième sujet : l'évaluation. Les politiques publiques locales doivent pouvoir être évaluées et comparées entre elles. Nos concitoyens doivent connaître le rapport coût-efficacité et les résultats d'une politique par rapport aux objectifs et aux moyens mis en œuvre.

M. Michel Bouvard. Tout à fait : c'est la LOLF locale !

M. Gilles Carrez. C'est très exactement, cher collègue président de la MILOLF, la démarche de la loi organique qui est aujourd'hui conduite par l'Etat. Le même effort devra être conduit pour les collectivités locales. C'est la légitime contrepartie de la décentralisation. Les rapporteurs et moi-même, monsieur le ministre, vous proposons, par un autre amendement, la mise en œuvre d'un dispositif d'évaluation qui reprend les conclusions du groupe de travail que le Premier ministre m'avait demandé d'animer voici quelques mois.

Troisième sujet sur lequel je conclurai : le logement en Ile-de-France. Dans certains domaines - très limités, mais le logement en fait assurément partie - il convient de reconnaître les spécificités de l'Ile-de-France.

En Ile-de-France s'est constitué au fil du temps un grand bassin d'habitat et d'emploi qui est irrigué par un réseau de transports en commun - le RER par exemple - et de voies rapides. C'est un bassin unitaire. Or l'Ile-de-France ne bénéficie pas d'une structure d'agglomération à l'instar des communautés urbaines de Lyon, de Bordeaux ou de Lille.

M. Claude Goasguen. C'est vrai !

M. Gilles Carrez. La répartition entre l'habitat et l'emploi, en particulier entre l'est et l'ouest de la région, souffre d'énormes déséquilibres. Au sein même de l'habitat, la localisation des logements sociaux sur le plan communal, voire sur le plan départemental, manque d'équilibre. L'Ile-de-France a besoin d'une instance de régulation qui, en l'absence de pouvoir d'agglomération, devra impérativement concerner la région. Or, là où n'existe pas de structure d'agglomération, le droit commun du projet de loi prévoit que la décentralisation des aides à la pierre se fera au bénéfice exclusif des départements. Un tel schéma ne pourrait qu'accentuer les discriminations territoriales au sein de l'Ile-de-France. Il serait contraire aux efforts de rééquilibrage que nous conduisons depuis plusieurs décennies et dangereux pour le bon fonctionnement de notre bassin de vie et d'emploi.

Je vous propose donc, monsieur le ministre, un amendement de sagesse et d'équilibre qui consisterait à mettre en œuvre pour le logement le dispositif qui a fait ses preuves - on le reprend dans le projet de loi - pour les transports en Ile-de-France : le système du syndicat qui, vous le savez, associe Etat, région et département. Ce dispositif pourrait être étendu au logement et permettrait une programmation équilibrée.

En effet, depuis plusieurs années, le logement est en crise dans notre région. Pour la seule année 2003, nous avons mis en chantier non seulement moins de logements en Ile-de-France qu'en Rhône-Alpes, mais deux fois moins que la moyenne des années 80 et 90 et trois fois moins que celle des années 70. Le seul moyen de sortir de la crise est d'associer toutes les parties prenantes. En aucun cas, il ne conviendrait de fractionner la décision au sein des huit départements qui forment notre région.

Monsieur le ministre, je souhaite que vous compreniez tout l'intérêt, en matière d'aménagement, de l'enchaînement des décisions entre les différentes instances : le schéma directeur d'aménagement régional, le SDRIF, qui établit une compétence largement régionale ; un établissement public foncier régional, dont certains collègues proposeront la constitution - c'est une nécessité pour notre région et je crois savoir, que vous en êtes convaincu - ; la programmation en matière d'infrastructure et de transport dans le cadre du STIF et, sur le plan du logement, ce que j'appellerai le SLIF - le syndicat du logement en Ile-de-France. La coopération de toutes ces instances permettra de relancer le logement dans notre région et d'obtenir un aménagement harmonieux.

Le modeste élu du Val-de-Marne que je suis (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) espère qu'il sera écouté, voire entendu, du grand élu des Hauts-de-Seine que vous êtes. (Sourires.)

Après la réforme des retraites, votre projet illustre la volonté de réforme du Gouvernement et de sa majorité. Il marquera une étape essentielle de la législature. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur, et M. Serge Poignant, rapporteur pour avis. Excellente intervention !

M. Jacques Remiller. Remarquable !

M. le président. La parole est à M. Christian Philip.

M. Christian Philip. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite souligner à mon tour l'importance du texte qui nous est proposé. Ce projet de loi est un instrument essentiel permettant de donner corps à la réforme de l'Etat enfin engagée par ce gouvernement, réforme nécessaire pour que la France retrouve une véritable capacité d'initiative et redevienne plus compétitive. Cette réforme a souvent été évoquée. C'est ce gouvernement qui l'engage enfin : reconnaissons-le !

II ne s'agit pas de remettre en cause la compétence et la loyauté de nos administrations centrales, mais il n'était plus possible de conserver un système encore trop centralisé. Après une première étape, franchie il y a vingt ans, vous nous proposez, monsieur le ministre, d'en franchir aujourd'hui une deuxième. Nous vous en félicitons, car la décentralisation, cela signifie plus de responsabilités, donc plus de démocratie.

Pourquoi, dans ces conditions, tant de critiques lancées depuis hier de certains bancs de notre assemblée ? Je ne crains pas de l'affirmer : d'aucuns manquent de courage. C'est si facile, au plan local, de prétendre qu'on voudrait bien faire mais qu'on ne peut pas, parce que l'Etat ne donne pas assez ou parce qu'on n'a pas la compétence. Demain, ce prétexte aura disparu. C'est ce qui gêne certains. Des choix seront nécessaires et il faudra enfin réduire certaines dépenses de fonctionnement.

Chacun le sait : il est faux de prétendre que l'on débudgétise, que l'on transfère des charges ou que le transfert de compétences opéré par la loi impliquera une augmentation de la fiscalité.

Les orateurs de la majorité qui m'ont précédé n'ont eu de cesse de le rappeler : l'Etat s'est engagé constitutionnellement à ce que tout transfert de compétences soit compensé. Il l'a fait, mes chers collègues ! Mais quand bien même le citoyen - ce qui serait normal - exigerait de sa collectivité un plus grand nombre de services que celui que lui offrait auparavant l'Etat, pourquoi une telle exigence impliquerait-elle une augmentation automatique des impôts locaux ? Nous le savons : tout dépendra des choix qu'opéreront nos collectivités. De nouveaux services seront possibles sans augmentation des impôts locaux si, en contrepartie, la collectivité choisit évidemment de maîtriser d'autres dépenses, en particulier de réduire le pourcentage des crédits de fonctionnement. De tels choix imposent certes des décisions difficiles. Mais ils impliquent aussi de développer le dialogue, ce qui signifie - je le répète - plus de démocratie.

Je prendrai l'exemple des déplacements urbains, qui a fait, en fin d'après-midi, l'objet de polémiques. Chaque citoyen est directement concerné. Faire de la démagogie sur le sujet est facile.

Nous sommes clairement dans le domaine de compétence des communes ou des groupements de communes. Pourquoi, dès lors, avoir peur d'aller au bout de la logique de la décentralisation ? Pourquoi dénaturer le débat ? Chacun sait que la voiture restera le premier mode de déplacement mais que, dans les grandes agglomérations, il faudra bien limiter sa croissance pour éviter l'asphyxie.

Pour que le report modal puisse se faire, il faut développer les transports collectifs, mais aussi prendre des mesures dissuasives touchant au stationnement ou à la tarification des déplacements automobiles. Tous les élus le savent, et le GART, présidé par un député de l'opposition, ne cesse de le répéter.

Cet exemple est à mes yeux caractéristique de la problématique de la décentralisation. Aujourd'hui, il est facile d'attendre de l'Etat qu'il assume les choix difficiles. Mais pourquoi refuser aux collectivités la possibilité de disposer des instruments nécessaires à la mise en œuvre d'un plan des déplacements urbains ? Pourquoi préjuger de la modalité d'une politique des déplacements, et faire croire que c'est l'Etat qui l'imposerait ? Pourquoi ne pas admettre, au contraire, qu'il n'y a pas de solution toute faite et qu'une bonne politique doit être adaptée aux spécificités de chaque agglomération, décidée et assumée par ses élus après avoir fait l'objet d'explications et d'une concertation avec les administrés ? Pourquoi refuser la responsabilité et les contraintes qu'elle implique ? Pourquoi se déclarer favorable à la décentralisation et, comme j'ai pu le constater à maintes reprises, la refuser chaque fois que l'on évoque un de ses aspects particuliers ?

Les exemples ne manquent pas, qui démontrent combien votre démarche est courageuse, monsieur le ministre. Chacun le reconnaîtra demain, j'en suis persuadé. Il est des moments où il faut savoir un peu forcer la main à ceux qui ont peur d'évoluer.

C'est ce même courage qui devra nous amener ultérieurement à aller plus loin en matière d'intercommunalité. Ce sera, nous avez-vous dit, l'acte III de la décentralisation, que l'extension des compétences au plan local rendra nécessaire.

Il faudra ainsi, on l'a souligné à juste titre, s'interroger sur les modalités de l'élection des conseils des communautés de communes : à Lyon, par exemple, la communauté urbaine bénéficie d'un budget deux fois plus élevé que celui de la ville.

J'ai bien entendu la réponse que vous avez faite hier à M. Balligand, monsieur le ministre, et je comprends les craintes que vous inspire l'idée d'un passage trop rapide au suffrage universel direct. Une communauté urbaine comme celle de Lyon, qui a été imposée par la loi, n'est somme toute qu'un ensemble de communes dont on ne peut nier comme cela, d'un seul coup, les spécificités. Le suffrage universel direct condamnerait les plus petites d'entre elles à la non-existence. S'il y a lieu de débattre dès maintenant de ces questions, il serait en revanche prématuré de légiférer.

On le voit, la décentralisation passe par une vraie réforme de l'Etat. Les évolutions seront importantes, ce qui nécessite, je le répète, du courage, car elles heurteront des habitudes et des acquis. Ce texte, qui nous engage dans cette voie, marquera les prochaines années. Je me réjouis que votre gouvernement, monsieur le ministre, se montre ainsi fidèle à l'engagement qu'il a pris devant les Français de moderniser notre pays et de lui donner les instruments de la réussite. Je suis persuadé que nos compatriotes sont suffisamment avisés pour le reconnaître et pour apporter leur soutien à ceux qui osent la réforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis aujourd'hui constitue, après la réforme Defferre de 1982, la seconde grande étape de la décentralisation.

Cette décentralisation sera une réussite si elle permet d'améliorer la gestion des compétences transférées en assurant une meilleure organisation des services ainsi que des prestations plus conformes aux attentes de nos concitoyens.

Elle réussira, en second lieu, si elle se traduit par une simplification dans l'organisation de l'Etat, ce qui suppose que les services transférés le soient en totalité. Il ne faudrait pas, en effet, que la structure administrative existant au niveau de l'Etat soit maintenue alors que serait créée une structure équivalente au niveau local.

Enfin, la décentralisation sera couronnée de succès si elle assure un juste transfert de ressources au bénéfice des collectivités dotées de compétences nouvelles.

C'est la prise en compte de ces considérations qui déterminera, monsieur le ministre, le vote de chacun d'entre nous.

Elu départemental depuis plus de vingt ans, je souscris à l'idée d'attribuer des compétences nouvelles aux conseils généraux. Il est cohérent que le conseil général devienne la collectivité chef de file en matière d'action sociale, de même qu'il est cohérent qu'un seul et même opérateur gère le réseau routier, et que le département, au-delà des compétences qui lui sont dévolues en matière de construction et d'entretien des collèges, reçoive aujourd'hui les moyens qui lui permettront d'en assurer la pleine gestion pour tout ce qui ne relève pas du domaine éducatif et pédagogique. Je suis certain que les conseils généraux auront à cœur d'assumer pleinement ces compétences nouvelles.

Pour autant, le texte qui nous revient du Sénat mérite d'être encore précisé sur plusieurs points, et notamment sur la prise en compte des spécificités territoriales. C'est la raison pour laquelle, aussi bien pour les compétences dévolues aux régions - et l'on sait combien certaines sont vastes et diverses - que pour les compétences dévolues aux départements, j'ai déposé avec plusieurs collègues de nombreux amendements pour que soit vraiment établie la prise en compte des spécificités du territoire montagnard.

Qu'il s'agisse de la formation professionnelle - avec les formations bi-qualifiantes, qui sont le pendant de la pluriactivité -, du logement, avec la problématique spécifique du logement des saisonniers, ou de la gestion du patrimoine naturel, il importe que les attentes et les besoins des populations de montagne soient reconnus et que la loi garantisse l'équilibre territorial, à l'heure où la dominante urbaine peut orienter différemment les choix des régions.

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. Michel Bouvard. Je souhaite que ces demandes puissent obtenir l'aval du Gouvernement, quelques semaines seulement après que la loi de développement des territoires ruraux a procédé à une mise à jour des dispositions de la loi montagne, qui prône, dans ses fondements, la reconnaissance du droit à l'adaptation des lois et règlements aux spécificités de nos territoires. Il est important, par exemple, que les comités de massif, dont le rôle vient d'être renforcé par le Parlement, puissent être largement associés à la définition des politiques mises en œuvre par les régions.

Ce qui vaut pour les orientations vaut pour la prise en charge financière des compétences transférées. En effet, dès lors que l'Etat n'assume plus la compétence, avec la péréquation qui s'y attachait, il est indispensable que les transferts de ressources prennent en compte les surcoûts liés à la géographie.

Ainsi, où seraient la justice et l'équité si les dotations faites aux régions et aux départements au titre du logement n'intégraient pas le surcoût de construction du logement social en montagne, c'est-à-dire en moyenne 35 %, hors foncier, par rapport à la plaine ?

Ceci est encore plus vrai pour les dotations attribuées aux départements pour le patrimoine routier. J'aurai l'occasion d'y revenir lorsque l'article correspondant viendra en discussion, mais je rappelle que le coût de l'entretien d'une route de montagne - techniques mises en œuvre, chaussée hors gel, usure liée aux intempéries, etc. - est de 70 % supérieur à celui d'une route de plaine, sans même parler des ouvrages de protection.

Toutes ces données devront être prises en compte pour 1'établissement d'une juste péréquation des ressources.

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. Michel Bouvard. S'il appartient à l'Assemblée nationale de fixer les règles de la péréquation, je tiens, monsieur le ministre, à redire les réserves que m'inspirent les dispositions de la loi de finances pour 2004 renforçant les pouvoirs du Comité des finances locales en la matière. La péréquation doit prendre en compte les ressources fiscales, mais aussi les charges, toutes les charges existantes, et elle doit enfin prendre en considération les ressources des habitants contribuables.

M. Pierre Albertini et M. Jean Lassalle. Tout à fait !

M. Michel Bouvard. A ce propos, je rappelle à mes collègues de l'opposition, qui ont exprimé de nombreuses réserves sur ce texte, le traitement particulièrement injuste qui a été réservé au département dont je suis l'élu lors de la mise en œuvre de l'allocation personnalisée d'autonomie sous la précédente législature : au prétexte que les ressources fiscales y sont supérieures à la moyenne, la Savoie est l'un des départements de France où la compensation de l'Etat a été la plus faible, inférieure au tiers de la dépense constatée. Dans une telle situation, la seule solution pour la collectivité consiste à se retourner vers le contribuable local, dont le revenu moyen, en l'occurrence, est inférieur à la moyenne nationale. Belle injustice, en vérité, que de demander à des personnes qui gagnent moins de payer plus d'impôts au nom de dépenses transférées par l'Etat !

Je m'associe également aux préoccupations de Gilles Carrez au sujet de l'accroissement de la dépendance des départements vis-à-vis de l'Etat en matière de ressources. Là aussi, il était temps que la réforme constitutionnelle intervienne : au cours de la dernière législature, par exemple, ce degré de dépendance s'est accru, pour mon département, de 15 %, un certain nombre d'impôts et de ressources propres que nous avions votés ayant été supprimés et remplacés par des dotations d'Etat.

Telles sont, monsieur le ministre, les quelques observations que je souhaitais faire. Comme beaucoup de nos concitoyens, nous attendons de la décentralisation qu'elle permette une gestion plus efficace, une plus grande proximité dans la définition des politiques mises en œuvre et une reconnaissance de la spécificité des territoires. Cette deuxième étape de la décentralisation ne réussira que dans la mesure où elle répondra à ces attentes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Lassalle. Excellente intervention !

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen. Monsieur le ministre, le projet de loi qui nous revient du Sénat est incontestablement un texte important...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Ah bon ?

M. Claude Goasguen. Ne vous fiez pas à cette entrée en matière, monsieur le président : vous allez en entendre des vertes et des pas mûres ! (Sourires)

C'est un texte important dans la longue marche de la France vers la décentralisation. Il a le mérite essentiel de se distinguer de la loi de 1982, laquelle a été adoptée dans des conditions que nos collègues socialistes semblent avoir oubliées : c'est à un véritable coup de force que le ministre de l'époque, Gaston Defferre, s'est livré contre ses propres amis pour imposer une décentralisation dont on voyait bien que la plupart ne voulaient pas. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.) Depuis lors, ceux-ci n'ont eu de cesse d'atténuer, morceau après morceau, les effets d'une réforme qui fondamentalement n'appartenait pas à leur culture politique.

Aujourd'hui, l'attitude du parti socialiste traduit une parfaite continuité, ce qui nous permet de lever les doutes que nous pouvions encore entretenir. Nous avions en effet pu croire, par moments, que les socialistes s'étaient subitement convertis à la décentralisation. Or votre attitude négative, mes chers collègues, montre bien que, nonobstant la loi de 1982, vous êtes toujours dans la même ornière et continuez d'exprimer la quintessence du jacobinisme. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - « Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Philippe Vuilque. Quelle caricature ! Vous êtes fidèle à vous-même, monsieur Goasguen !

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Tout en nuances, comme toujours !

M. Claude Goasguen. Nous, au moins, nous avons eu le courage de mettre en place un mécanisme financier : il est peut-être imparfait, mais était-il possible d'imaginer un meilleur système que celui qui fait du remboursement aux collectivités territoriales un principe constitutionnel et qui impose à l'Etat de s'engager pour l'avenir, en toute hypothèse et sous le contrôle juridique d'autorités incontestables, à faire ce que la loi de 1982 n'avait pas fait ?

M. Édouard Landrain. Eh oui !

M. Claude Goasguen. Car, en réalité, les critiques de nos adversaires portent plus sur la mise en pratique de la loi précédente, qui n'émanait pas de notre majorité, que sur notre propre texte. C'est dire, mes chers collègues, la situation paradoxale dans laquelle vous vous trouvez ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Nous sommes devant un texte qui, pour être important, n'est pas définitif pour autant, car la décentralisation, dans un pays marqué par le jacobinisme, est une longue bataille. Il représete sans doute un pas essentiel pour la méthodologie mais appelle néanmoins des critiques qui sont à la mesure de son importance. Je précise d'emblée qu'elles ne s'adressent pas au ministre, mon ami Patrick Devedjian, ni au ministre de l'intérieur, dont les élus parisiens ont pu apprécier la grande qualité d'écoute sur un texte aussi difficile. Mais la déception est d'autant plus profonde que nous avions eu le sentiment d'être compris par un ministère qui, jusqu'à présent, n'avait pas montré, avec sa direction générale des collectivités locales, son ouverture à la décentralisation. C'est donc d'ailleurs qu'est venue la difficulté.

Il est vrai que nous ne sommes pas tellement concernés par la décentralisation : Paris ne compte que 2 millions d'habitants et la région Ile-de-France seulement 12 millions, autant dire une population dérisoire pour un texte à vocation nationale ! (Sourires.) C'est, d'ailleurs, avec un certain talent qu'il ne prévoit rien pour les 2 millions d'habitants de Paris-commune. Décidément, dans l'esprit de l'Etat, Paris c'est toujours Paris-capitale, c'est-à-dire le lieu où se trouvent les ministères, mais certainement pas un endroit où vivent 2 millions de personnes qui ont les mêmes problèmes qu'ailleurs.

Gilles Carrez a évoqué le problème spécifique, sur lequel je partage son analyse, du logement à Paris et dans la région Ile-de-France. Ce problème spécifique devient désormais un problème national que l'Etat sera bien obligé, tôt ou tard, de prendre en considération. Mais ce n'est pas la seule critique que l'élu parisien peut adresser à ce texte.

J'entends bien que le Gouvernement n'a pas voulu aller à l'encontre du conservatisme des maires de grandes villes, qui rassemble la droite et la gauche dans un immobilisme consensuel.

M. Gilles Carrez et M. Michel Bouvard. C'est vrai !

M. Claude Goasguen. On a le sentiment que, dès qu'un maire arrive à la tête d'une grande agglomération, sa volonté est surtout de ne pas perdre une once de pouvoir et de parler de décentralisation beaucoup pour les autres et peu pour lui-même.

M. Patrick Bloche. Chirac en 1983 !

M. Claude Goasguen. C'est un phénomène que l'on observe à droite comme à gauche. J'aimerais, mon cher collègue parisien, que la même objectivité vous honore. Je n'ai pas eu, jusqu'à présent, le sentiment que vous ayez fait cet effort d'autocritique, bien au contraire.

Nous sommes les grands oubliés de la décentralisation.

M. Patrick Bloche. Heureusement, merci !

M. Claude Goasguen. Cet oubli n'est pas sain. La décentralisation, c'est la proximité, la célérité. Peut-on comprendre aujourd'hui que le XVe arrondissement de Paris, dont la taille est équivalente à celle de Bordeaux, soit géré par un maire d'arrondissement qui n'a pas les pouvoirs juridiques du maire de la plus petite commune de France ? Or cette ville de 2 millions d'habitants est une machine administrative qui emploie 45 000 fonctionnaires et gère un budget de 6 milliards d'euros par an.

On dit souvent que la démocratie locale est entrée dans Paris depuis 1975. Ce n'est pas faux.

M. Patrick Bloche. Si : depuis 2001 !

M. Claude Goasguen. En tout cas, c'est mieux que la gestion précédente, qui était véritablement celle de la préfecture. Néanmoins, la caractéristique principale de la gestion parisienne est toujours la lenteur administrative, ce qui est tout à fait en contradiction avec la décentralisation. Pour construire une école ou une crèche à Paris, quelle que soit la couleur politique, le délai est le même : quatre ans entre l'annonce et la réalisation.

M. Patrick Bloche. C'est vrai !

M. Claude Goasguen. La loi relative à la démocratie dite de proximité n'a apporté aucune amélioration pour régler des problèmes moindres encore. Elle a organisé la déconcentration mais certainement pas la décentralisation. Je le répète parce qu'on ne le sait pas assez : le maire d'arrondissement n'a pas le pouvoir du maire de la plus petite commune de France !

M. Michel Piron. Il a davantage de moyens quand même !

M. Claude Goasguen. Mon ami Gilles Carrez a évoqué très justement un deuxième point sur lequel je voudrais insister. La structure de l'Ile-de-France est étudiée depuis très peu de temps. Pour reprendre le mot célèbre du général de Gaulle, Delouvrier avait mis la première main à une organisation qui n'en était pas une. Nous sommes donc dans la fraîcheur de la décentralisation et nous avons besoin de quelques initiatives.

Autant on juge nécessaire d'avoir des communautés urbaines à Lyon et à Marseille, autant on se désintéresse de l'intercommunalité en Ile-de-France. En particulier, je trouve pervers de laisser une ville comme Paris organiser seule, sur un territoire de 100 kilomètres carrés, la gestion de problèmes aussi importants que le logement, le développement économique et social, la pollution et l'environnement. Comment peut-on imaginer un seul instant régler ces problèmes sans institution intercommunale ? En toute hypothèse, l'Etat, qu'il soit de gauche ou de droite, ne pourra pas faire l'économie d'une réforme institutionnelle pour une raison simple : l'Ile-de-France est la région la plus riche d'Europe et son dynamisme, nécessaire à l'ensemble de notre pays, est inévitablement affaibli par le poids de la modeste collectivité Paris-commune et de ses 2 millions d'habitants...

Par conséquent, monsieur le ministre, je regrette, sans vous en rendre responsable, qu'on ait négligé l'Ile-de-France dans la réforme des collectivités locales, dans la loi même qui inaugure les responsabilités locales. J'ai le dur sentiment, moi élu parisien, qu'on a considéré, une fois pour toutes dans ce pays, que les Bordelais, les Brestois ou les Toulonnais ont la conscience suffisamment aiguë pour s'organiser eux-mêmes, mais que, passé le périphérique, cette aptitude disparaît puisque les Parisiens n'ont toujours pas la possibilité d'être des citoyens à part entière, c'est-à-dire de bénéficier d'un régime de proximité et de responsabilités locales comme dans les autres communes.

Vous en conviendrez, le Paris-capitale est sans doute doré mais la réalité du Paris-commune est beaucoup moins reluisante. Je voulais simplement attirer l'attention de mes collègues sur la nécessité qu'il y aura, tôt ou tard, de mettre en place une véritable organisation qui donne à la région Ile-de-France un dynamisme nécessaire, non seulement aux Franciliens, mais à l'ensemble de notre pays. Cela ne m'empêchera pas de voter ce projet de loi, qui constitue un pas décisif et courageux vers la décentralisation. Je n'en regrette que plus que Paris et la région Ile-de-France en soient totalement absents. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Bloche. Lyon et Marseille aussi !

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre délégué aux libertés locales.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je remercie les parlementaires de la majorité du soutien qu'ils veulent bien apporter à ce projet de loi, au gré de leurs observations souvent pertinentes, de leurs critiques parfois positives ou de leurs observations sur de possibles carences. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.) Je veux leur indiquer, ainsi qu'à l'opposition, que lors de la discussion au Sénat, le Gouvernement a accepté 472 amendements, dont 30 du groupe socialiste et 3 du groupe communiste. Il entend aborder le débat à l'Assemblée nationale avec le même esprit d'ouverture et se sent tout à fait disposé à considérer les critiques ou les remarques sur les carences avec intérêt au cours de la discussion des amendements. En la matière, l'Assemblée nationale n'est pas en reste puisqu'on me dit qu'il y en a environ 1 500.

M. Michel Bouvard. Il faudra en accepter au moins autant qu'au Sénat !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Je remercie M. Albertini qui, au nom du groupe UDF, a parlé des nombreux aspects positifs du texte. Il a indiqué qu'il se déterminerait à l'issue de la discussion, qu'il souhaitait tout aussi positive. Je pense que, comme au groupe UDF du Sénat, elle lui apportera satisfaction.

Je remercie aussi M. Piron de son soutien très ferme et très argumenté.

Je veux dire au président Clément combien son exposé sur la subsidiarité, si bienvenu, m'a convaincu.

M. Didier Migaud. Vous êtes bien le seul !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Je me réjouis d'avoir pu vous convaincre, monsieur le ministre !

M. Jean Lassalle. C'est vrai que vous étiez très bon !

M. le ministre délégué aux libertés locales. J'ai bien noté les regrets de M. Bourg-Broc s'agissant de l'absence de dispositions sur le sport, les observations de M. Pélissard sur l'intercommunalité et la question du seuil. Remerciant également tous les autres intervenants, je répondrai simplement aux deux ou trois principales remarques de la majorité avant de m'adresser, de manière plus argumentée parce que la critique était forte, à l'opposition.

Gilles Carrez a indiqué, de façon très convaincante, que les critiques de la gauche étaient malvenues s'agissant de la taxe professionnelle, elle qui avait soustrait à l'autonomie fiscale locale 15 milliards d'euros.

M. Didier Migaud. C'est une mesure que vous aviez votée !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Pas du tout !

M. Didier Migaud. Vous disiez même qu'on n'allait pas assez loin !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Aujourd'hui, vous nous reprochez de faire la même chose, ce qui n'est pas le cas.

M. Didier Migaud. Relisez-vous, cela pourrait être intéressant !

M. le ministre délégué aux libertés locales. La proposition d'un dégrèvement de M. Carrez a reçu l'accord du Gouvernement : ce qui sera dû aux collectivités ne sera pas fixé par l'Etat mais par les collectivités elles-mêmes. C'est le principe du dégrèvement.

M. Didier Migaud. Pas du tout !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Gilles Carrez m'a également convaincu, en dépit des réticences du Sénat, de rétablir le dispositif d'évaluation. Je crois que l'intérêt qu'il présente nous aidera à surmonter les difficultés de création d'un tel outil, qui doit être objectif. Les sénateurs craignaient un retour de la tutelle, inconvénient que Gilles Carrez souhaite précisément écarter. En tout cas, je crois profondément à la nécessité de l'évaluation.

Je suis moins d'accord, malgré l'éloquence dont a usé Claude Goasguen pour les soutenir, avec ses observations sur le logement en Ile-de-France. Un des principes de la loi de décentralisation est d'essayer de banaliser la région Ile-de-France, de lui conférer un régime de droit commun et non plus exorbitant du droit commun.

Le STIF est une marque de l'histoire, un fruit du centralisme que nous entreprenons de régionaliser, même si nous n'allons pas assez loin pour certains. Gilles Carrez semble trouver cela suffisant. Nous essayons, pour la région Ile-de-France, d'arriver progressivement au même régime que pour les autres régions de France. Vouloir créer pour le logement un système comparable à celui des transports est contraire à l'esprit de la décentralisation. D'autant que la région Ile-de-France a déjà, en la matière, un lourd héritage historique : un syndicat des eaux, un syndicat de l'électricité, un syndicat de l'assainissement, un syndicat des transports. On envisage de créer un syndicat foncier et vous proposez aussi un syndicat du logement. C'est un véritable dépeçage de la fonction régionale, car toutes ces compétences seraient évidemment soustraites à la région.

M. Gilles Carrez. Pas du tout, c'est reconnaître les caractéristiques particulières de l'Ile-de-France !

M. Claude Goasguen. Sa spécificité !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous voulez doter l'Ile-de-France d'un régime particulier.

M. Gilles Carrez. Oui : c'est le propre de la décentralisation !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Cela a toujours été l'idée des centralisateurs. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Dans leurs discours, Paris était différent et devait être sous l'œil de l'Etat.

La décentralisation consiste...

M. Michel Bouvard. A s'adapter à la diversité territoriale !

M. Gilles Carrez. A donner des pouvoirs aux instances locales !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Monsieur Carrez, je vous ai écouté avec intérêt. Je ne suis pas sûr de susciter le même intérêt chez vous, mais je vais essayer. Permettez que je réponde à votre observation.

Le logement nous paraît relever d'une politique de proximité.

Vous avez raison de déplorer la faiblesse du logement en Ile-de-France. Elle tient pour beaucoup à l'hostilité des maires à ce que les constructions leur soient imposées. Si l'on veut développer le logement en Ile-de-France, il faut donc le rendre attractif pour les élus locaux et, en particulier, pour les maires qui ont la maîtrise du foncier. Tant qu'on voudra leur imposer des constructions, on se heurtera à leur résistance.

C'est d'ailleurs dans la région Ile-de-France que les élus sont le plus éloignés du terrain. Comme c'est la plus peuplée, avec 12 millions d'habitants,...

M. Gilles Carrez et M. Claude Goasguen. Mais aussi la plus petite !

M. le ministre délégué aux libertés locales. ...l'éloignement de la compétence logement du terrain se justifie le moins. Nous aurons l'occasion d'en débattre. Mais autant, monsieur Carrez, vos deux autres amendements séduisent le Gouvernement, autant celui-ci suscite sa plus extrême réserve.

M. Philip a traité de l'important problème du péage urbain, qui a soulevé quelques polémiques dont l'opposition s'est immédiatement saisie cet après-midi - après tout, c'est de bonne guerre.

Le Gouvernement y est hostile, pour plusieurs raisons.

D'abord, l'expérience en est faite à Londres et je ne suis pas sûr qu'elle soit bien vécue par la population.

M. Claude Goasguen. C'est une catastrophe !

M. le ministre délégué aux libertés locales. En tous les cas, je suis convaincu, que, pour la région Ile-de-France, il y aurait là une forme de discrimination sociale.

M. Claude Goasguen. Absolument !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Le centralisme jacobin a fait la fortune de Paris. La capitale est aujourd'hui bien dotée en moyens de transport en commun. La banlieue, pour des raisons historiques, est beaucoup moins bien lotie,...

M. Jean Lassalle. C'est évident !

M. le ministre délégué aux libertés locales. ...si bien que les habitants n'ont d'autre choix que de prendre leur voiture, ...

M. Didier Migaud. C'est pour cela que vous avez supprimé les crédits !

M. le ministre délégué aux libertés locales. ...d'autant que la plupart des transports relient Paris à la banlieue et très peu les banlieues entre elles. L'instauration d'un péage à l'entrée de Paris pénaliserait en définitive les habitants de la banlieue.

M. Claude Goasguen. C'est évident !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Ce serait une forme de discrimination sociale tout à fait inacceptable.

M. Jean Lassalle. Et insupportable !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Monsieur Bouvard, j'ai noté avec intérêt vos arguments en faveur d'une péréquation spécifique pour la montagne. Vous avez raison.

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Dans les critères de péréquation, le fait géographique doit être pris en considération parce qu'il est incontournable et indépendant de la qualité de gestion. Il y a peu de chances que des sièges sociaux d'entreprise viennent s'installer dans des villes de montagne de haute altitude et il est normal que les handicaps de ces territoires soient pris en considération.

M. Jean Lassalle. Formidable ! (Sourires.)

M. le ministre délégué aux libertés locales. Monsieur Goasguen, il est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de choses sur Paris dans cette loi de décentralisation. Cela tient tout d'abord au fait que la décentralisation vise souvent à se décharger du poids de Paris.

M. Claude Goasguen. Du poids de la capitale !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Mais il est une autre raison que je tiens à exposer devant vous et devant l'opposition. Le Gouvernement n'a pas voulu que l'actuelle majorité municipale de Paris puisse imaginer que le gouvernement de droite ait tenté de prendre, par le biais du présent projet de loi de décentralisation, une revanche sur sa défaite municipale à Paris.

M. Claude Goasguen. Mais ce sont les Parisiens qui paient !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Autant il est convaincu de la nécessité de certaines évolutions, autant il a souhaité qu'elles puissent se faire de manière consensuelle avec les élus de Paris, qui ont une légitimité que le Gouvernement reconnaît et avec laquelle il ne veut tricher en aucune manière.

Si la gauche veut bien se rallier à certains amendements raisonnables, ou en proposer elle-même, par exemple sur les rapports entre mairie centrale et mairies d'arrondissement, le Gouvernement en sera très satisfait.

M. Claude Goasguen. Ce n'est pas demain la veille !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Il n'est pas interdit d'espérer pour entreprendre.

Je voudrais maintenant répondre à six points forts relevés parmi les critiques de l'opposition. Je ne peux répondre à toutes - car le tir d'artillerie a été nourri - mais j'aurai l'occasion d'y revenir lors de l'examen des amendements.

La région n'est pas oubliée. La réforme de l'Etat est en cours. La hausse de la fiscalité n'est pas la conséquence de la décentralisation. L'égalité des territoires est préservée. Le libéralisme et, a fortiori, l'ultra-libéralisme n'est pas en cause. La péréquation est en progrès.

M. Didier Migaud. Ce n'est pas vrai !

M. Augustin Bonrepaux. Cela reste à voir !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Je vais essayer de vous l'expliquer.

M. Philippe Vuilque. C'est un peu court, monsieur le ministre. Pouvez-vous développer un peu ?

M. le ministre délégué aux libertés locales. Si vous ne me laissez pas parler, je n'ai aucune chance de vous convaincre et, de votre côté, vous ne pourrez pas répondre à mes arguments si vous ne les entendez pas.

La région n'est pas oubliée : elle est désormais consacrée par la Constitution ; cela n'était pas le cas jusqu'à présent. M. Balligand a bien voulu convenir que c'était là un progrès significatif.

M. Jean-Pierre Balligand. Je le reconnais !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Il est vrai que, bien qu'il soit un décentralisateur déchiré, M. Balligand est un vrai décentralisateur.

Je vais vous causer des ennuis avec vos amis, monsieur Balligand.

M. Jean-Pierre Balligand. Oui !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Pardonnez-moi, mais vous êtes un esprit indépendant et vous allez pouvoir le supporter !

M. Jean-Pierre Balligand. Je pense !

M. le ministre délégué aux libertés locales. La région bénéficiera de financements nouveaux - la TIPP - qui vont accroître son autonomie fiscale. Le fait qu'elle soit souvent chef de file va lui conférer une autorité qu'elle n'avait pas toujours. Elle bénéficiera de compétences nouvelles et plus importantes en matière de formation professionnelle et d'action économique. Enfin, elle montera en puissance. Je vous donnerai deux chiffres qui le démontrent. Les budgets de fonctionnement des régions augmenteront globalement, en raison des compétences nouvelles et des transferts opérés, de 41 %, contre 26 % pour les départements.

Comme vous le voyez, la décentralisation est une action de rééquilibrage, et tous ceux qui se sont plaints que les départements étaient les mieux servis et les grands bénéficiaires de la réforme ont tort.

M. Philippe Vuilque. Ce ne sera pas vrai partout. Ce n'est qu'une moyenne !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Je vous ai donné une moyenne mais les chiffres seront valides dans chaque région.

Grâce aux 130 000 personnels transférés, on passera d'une moyenne de 450 fonctionnaires par région à 2 400, tandis que la moyenne par département passera de 1 800 à 2 600. La disparité entre les régions et les départements tient aujourd'hui à la disparité des forces administratives des deux collectivités. Celles-ci seront encore supérieures en moyenne dans les départements par rapport aux régions mais l'écart sera considérablement réduit. Il sera donc proposé un profond rééquilibrage de l'organisation et de la force administrative des régions.

J'en viens à la réforme de l'Etat. Comme je l'ai maintes fois répété, ainsi que M. Sarkozy, la décentralisation est la condition même de la réforme de l'Etat. Elle est même la mère de toutes les réformes.

M. Alain Gest. Absolument !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Je trouve amusant d'entendre l'opposition nous accuser de vouloir, par ce texte, démanteler l'Etat et, en même temps, reprocher au ministre de l'intérieur une trop grande présence de celui-ci.

Mme Marylise Lebranchu. Ce n'est pas un problème de topographie !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Il n'y a pas de démantèlement de l'Etat. Il y en a d'autant moins que, en matière d'organisation de l'Etat, Nicolas Sarkozy a réussi, là ou vous avez échoué, à réorganiser les zones de police et de gendarmerie. C'est une condition de l'efficacité de l'Etat.

Nous avons revalorisé le rôle du préfet dans la Constitution. Nous en avons fait le représentant de chacun des ministres, ce qui lui donne une fonction de coordination de l'Etat sur le plan départemental.

Nous voulons conférer au préfet de région une autorité hiérarchique sur les préfets de département. Ce n'est pas toujours facile ni toujours bien vécu, mais c'est le prix de la cohérence.

Nous avons également regroupé en huit pôles de compétences au sein de la région l'essentiel des activités de l'Etat.

Oui, la réorganisation de l'Etat est en marche.

Nous sommes en train de réorganiser complètement le contrôle de légalité. Institué par Gaston Defferre, il est aujourd'hui en crise en raison de la quantité des actes, et aussi, parfois, de leur manque d'intérêt. Le présent projet de loi contient des dispositions le réorganisant.

On ne peut donc dire que nous démantelons l'Etat. Au contraire, nous voulons le rendre plus pertinent en le concentrant sur l'essentiel.

Il ressort d'un rapport de l'inspection générale de l'administration que les préfets doivent présider 350 commissions d'intérêt divers chaque année. Comment voulez-vous qu'ils puissent se consacrer à leurs tâches essentielles et qu'ils soient disponibles pour exercer leurs fonctions ? Leurs compétences sont totalement diluées. Nous recentrons tout cela.

Donc, loin de vouloir démanteler l'Etat, nous voulons le rendre beaucoup plus efficace. Les résultats obtenus en matière de sécurité en attestent.

Mme Marylise Lebranchu. Relisez vos déclarations. Vos lois sont liberticides !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Alors que la délinquance a augmenté de 16 % au cours des cinq années du gouvernement socialiste, elle a été réduite de 3 % cette année. Comment prétendre que nous démantelons l'Etat ? C'est tout le contraire.

D'abord je veux rappeler un fait historique. La décentralisation n'est pas, en soi, de nature à faire augmenter la fiscalité. La direction générale des collectivités locales, la DGCL, est souvent décriée.

M. Michel Piron. A tort !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Je tiens à lui rendre hommage. C'est une administration qui date du Directoire. Elle est née avec la République. Elle est en contact permanent avec les élus locaux. Elle assure l'interface. S'il y a une administration qui n'est pas technocratique, c'est bien elle.

M. Michel Piron. Nous sommes d'accord !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Elle est compétente, technicienne, elle n'est pas technocratique,...

M. Gilles Carrez. C'est vrai ! Je peux en témoigner !

M. le ministre délégué aux libertés locales. ... parce qu'elle a les élus sur le dos, en permanence et qu'elle n'a donc pas la possibilité de le devenir, quand bien même elle le voudrait. Le Gouvernement veille à ce que les élus soient entendus. C'est parfois dérangeant pour la routine administrative, mais la DGCL, de ce point de vue, est rodée.

La DGCL a réalisé une étude concernant les prélèvements obligatoires, hors sécurité sociale. Ils étaient en 1981 de 23 %. Ils sont aujourd'hui, hors sécurité sociale aussi - parce que, là, les dépenses sociales ont explosé, j'en conviens -, de 22 %. Il y a donc une petite régression.

S'agissant de la fiscalité locale, la baisse est de 8 % - en termes de prélèvements, non en termes de taux, car, évidemment, le produit a varié en même temps que l'assiette avec la croissance. Donc, la décentralisation n'a eu aucun effet globalement en vingt ans - les calculs étant faits en 2002 - sur les prélèvements obligatoires, du fait même de l'organisation administrative ; hors champ social, je le répète.

M. Jean-Pierre Balligand. Quel éloge pour l'action que nous avons menée !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Monsieur Balligand, cela ne me dérange pas de dire la vérité.

M. Jean-Pierre Balligand. C'est très bien !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Mais l'éloge ne rend que plus crédible ma critique. Cela prouve que je parle avec honnêteté.

M. Jean-Pierre Balligand. Je crains beaucoup la suite !

M. le ministre délégué aux libertés locales. On a beaucoup accusé la décentralisation d'être responsable d'une hausse des impôts.

Je veux vous rappeler que, toutes collectivités confondues, les impôts locaux ont augmenté de 2,1 % en 2002, de 2,2 % en 2003. La hausse est estimée - puisque nous n'avons pas encore les chiffres exacts - à 1,5 % pour 2004.

M. Jean-Pierre Balligand. C'est normal : il y a les élections !

M. Augustin Bonrepaux. Cela prouve bien que les élus locaux sont vertueux !

M. le ministre délégué aux libertés locales. J'en suis convaincu.

M. Augustin Bonrepaux. Dites-nous que les compensations sont évolutives !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Je suis tellement convaincu que les élus locaux sont vertueux que je souhaite, par ce projet de loi, leur conférer des responsabilités nouvelles en raison précisément de leurs vertus. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Et je suis convaincu qu'ils vont bien les exercer.

Je vais vous rappeler les raisons pour lesquelles la fiscalité locale a augmenté en 2001 et en 2002. Elle a augmenté de 4,1 % en 2001 et de 5,9 % en 2002 à cause des 35 heures. Les 35 heures n'ont pas été compensées par l'Etat.

Tout à l'heure, Gilles Carrez a parlé de votre turpitude.

M. Gilles Carrez. Oui !

M. le ministre délégué aux libertés locales. C'est un concept juridique - qui n'a pas de valeur morale et que je reprends volontiers - tiré de l'adage latin : « Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. »

Il a parlé de turpitude pour votre distraction quant à l'autonomie fiscale des collectivités territoriales, avec les 15 milliards qui ont été soustraits. Je dirai la même chose pour les transferts.

Pour les 35 heures, vous n'avez absolument pas compensé...

M. Alain Gest. En effet !

M. le ministre délégué aux libertés locales. ...le système que vous avez imposé aux collectivités territoriales. Cela a évidemment produit une hausse de la fiscalité.

M. Michel Bouvard. Et l'APA, et les SDIS ?

M. le ministre délégué aux libertés locales. Pour les SDIS, c'est la même chose

Le coût estimé de l'APA était initialement de 800 millions d'euros. Il a atteint 3,4 milliards d'euros en 2003. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Je comprends que cela vous dérange. Je vous parle de ce que vous avez fait pour vous expliquer que nous faisons beaucoup mieux.

M. Augustin Bonrepaux. Vous n'avez pas d'arguments pour expliquer votre texte !

M. le ministre délégué aux libertés locales. La décentralisation n'augmente pas les impôts. Ce sont les transferts sans compensation que vous avez faits qui les augmentent. Nous avons été traumatisés par ces transferts non compensés. (« Tout à fait ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Nous avons donc réformé la Constitution pour interdire ces pratiques. Désormais, même si nous étions tentés de transférer une charge sans la ressource correspondante - chacun peut être, à un moment, tenté de le faire, surtout dans un contexte économique difficile dont on a hérité malgré soi -, la Constitution nous l'interdirait.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Le Conseil constitutionnel nous l'a déjà rappelé dans deux décisions à la fin de l'année 2003. Par conséquent, vous n'avez rien à craindre.

Un mot sur l'égalité des territoires et, monsieur Bonrepaux, j'aurai l'occasion de vous parler de l'Ariège. Je pense qu'il n'y a pas d'égalité sans liberté.

Mme Marylise Lebranchu. A qui le dites-vous !

M. le ministre délégué aux libertés locales. La France centralisée a d'abord été une France inégalitaire.

M. Claude Goasguen. C'est vrai !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Regardez Paris : toutes les autoroutes, toutes les lignes aériennes, toutes les voies de chemin de fer convergent vers la capitale. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Trouvez-vous que ce soit équitable ?

M. André Chassaigne. Ce sera pire !

M. le ministre délégué aux libertés locales. C'était cela le centralisme. L'Etat n'a pas été l'organisateur de l'égalité du territoire. Il a au contraire organisé le territoire uniquement dans l'intérêt de Paris et, la plupart du temps, au détriment des provinces.

Quand il y a eu des délocalisations, réalisées par la gauche ou par la droite - voyez ma probité -, elles ont été, de la même manière, faites au profit des villes dont les maires étaient devenus ministres. (« Ce n'est pas vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.). Le cumul des mandats a été inventé par les Français comme palliatif au jacobinisme.

Le seul moyen pour une ville de province de survivre dans un Etat centralisé était de promouvoir l'un de ses enfants, pour qu'il déverse sur sa ville d'origine, sur la ville qu'il administre, les bienfaits de la capitale.

M. André Chassaigne. Quelle caricature !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Donc, le centralisme, c'est l'inégalité. La décentralisation, c'est au contraire l'égalité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je vais vous en donner une preuve.

Mme Marylise Lebranchu. Jacques Chirac en Corrèze !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Non, madame ! Le centralisme parisien a commencé avec Philippe le Bel, pas avec Jacques Chirac. Cela va se terminer maintenant.

Le général de Gaulle avait voulu, en 1969, y porter un coup d'arrêt. Je vous renvoie à son discours de Lyon.

Mme Marylise Lebranchu. On l'a lu !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Malheureusement, aussi aveugles que vous l'êtes aujourd'hui, vous n'avez pas voulu, en 1969, de la décentralisation du général de Gaulle. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Marylise Lebranchu. Et vous en 1981 ?

M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous voyez, nous nous sommes tous trompés.

M. Jean-Pierre Balligand. C'est plutôt les Républicains indépendants qui ont liquidé de Gaulle !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous avez certainement été aidés, mais vous avez voté contre la décentralisation du général de Gaulle en 1969.

La décentralisation, c'est l'occasion de rattraper les inégalités que l'Etat a commises. Je vais vous donner quelques chiffres concernant les dépenses d'enseignement par habitant réalisées en vingt ans par les départements depuis la loi de décentralisation de Gaston Defferre. Je suis sûr, monsieur Balligand, que cela va vous intéresser car vous allez y trouver des arguments contre les amis jacobins qui vous entourent. (Sourires .)

M. Jean-Pierre Balligand. De la part d'un bonapartiste comme vous ...

M. le ministre délégué aux libertés locales. Je ne suis pas « bonapartiste », vous vous trompez.

Monsieur Balligand, nous avons soigneusement étudié les dépenses d'enseignement par habitant, rapportées au potentiel fiscal.

Mme Marylise Lebranchu. On a aussi les chiffres !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Les chiffres sont très intéressants. Deux départements, Paris et le Pas-de-Calais, dépensent 43 euros par habitant en matière d'enseignement. Le potentiel fiscal de Paris est de 663 euros par habitant, celui du Pas-de-Calais de 207. Paris est donc trois fois plus riche que le Pas-de-Calais mais il dépense autant. Pourquoi ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Il n'y a que des pédagos et des profs, dans le Pas-de-Calais !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Parce que, depuis longtemps, le Pas-de-Calais a été oublié par l'Etat et que Paris a été très bien servi. Le Pas-de Calais était en retard et il a donc dû faire des efforts considérables de rattrapage.

M. Léonce Deprez. Tout à fait !

M. le ministre délégué aux libertés locales. C'est la décentralisation qui lui a permis de pallier les carences de l'Etat. Ce que l'Etat n'avait pas fait, les élus locaux l'ont fait. Cela leur a permis d'avoir des établissements à égalité avec Paris.

M. Didier Migaud. Vous avez raison !

M. le ministre délégué aux libertés locales. C'est la liberté qui le leur a permis.

Le potentiel fiscal de l'Ariège, monsieur Bonrepaux, est de 252 euros par habitant.

Mme Marylise Lebranchu. Ce n'est pas beaucoup !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Non, ce n'est pas beaucoup - j'en conviens - par rapport à Paris, qui dispose de près de trois fois plus. Mais l'Ariège ne dépense pas beaucoup non plus pour l'enseignement : 23 euros par habitant.

Le potentiel fiscal du département du Nord, monsieur Balligand, est de 221 euros par habitant. Il est plus pauvre que l'Ariège, qui dispose de 252 euros par habitant.

M. Augustin Bonrepaux. Le potentiel fiscal peut être très élevé dans un département peu peuplé sans que celui-ci soit riche pour autant !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Si vous êtes riches, vous pouvez peut-être en faire profiter vos enfants.

Le Nord - et il faut le saluer - dépense 74 euros par habitant, alors que l'Ariège, qui est quand même plus riche que le Nord, ne dépense que 23 euros, soit le tiers. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux. Comparez les dépenses de transport scolaire : ce sera plus significatif !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Je voulais simplement faire une remarque. Ce n'est pas la disparité du potentiel fiscal qui fait l'égalité, c'est la volonté des élus, leur courage.

M. Alain Gest. Exactement !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Ce sont eux les « moteurs » qui développent leurs territoires.

M. Daniel Paul. C'est plus facile à Neuilly qu'à Aubervilliers !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Dans le Nord ou le Pas-de-Calais, on constate, malgré la pauvreté indiscutable, un effort des élus - vous voyez, monsieur Balligand, que je suis objectif. Ils font mieux que d'autres qui sont moins pauvres qu'eux, voire plus riches.

J'en viens à la péréquation, pour faire plaisir à M. Bonrepaux. La péréquation est une nouveauté. Elle est garantie par la Constitution.

M. Augustin Bonrepaux. C'est une bonne chose.

M. le ministre délégué aux libertés locales. La péréquation, monsieur Bonrepaux, vous en avez beaucoup parlé, à gauche. Vous en avez fait un thème de discours.

M. Augustin Bonrepaux. Cela prouve que vous vous inspirez des gouvernements précédents !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Nous, nous en avons fait un droit, qui est garanti par la Constitution.

M. Augustin Bonrepaux. Cela ne suffit pas ! Il faut aussi mettre les moyens dans la Constitution !

M. le président. Monsieur Bonrepaux, laissez M. le ministre s'exprimer sans l'interrompre !

Poursuivez, monsieur le ministre.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Premièrement, la péréquation est garantie par la Constitution. Elle est devenue un droit et non plus un thème de discours politique.

M. Augustin Bonrepaux. Cela ne garantit rien ! Soyons sérieux !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Deuxièmement, la réforme de la péréquation est déjà engagée par la loi de finances pour 2004 et elle sera finalisée...

M. Augustin Bonrepaux. Donnez-nous les projections pour 2004 !

M. le ministre délégué aux libertés locales. J'y viens. Ne soyez pas toujours aussi impatient : l'impatience fait commettre des erreurs.

M. Augustin Bonrepaux. Ce serait une première si vous nous donniez les chiffres ! Allons, un peu de courage ! Donnez-nous les projections pour 2004 !

M. le ministre délégué aux libertés locales. J'y viens. Ce n'est pas le courage qui me manque, rassurez-vous : chacun souhaite à l'autre ce qu'il n'a pas. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux. Ce n'est pas brillant, comme réponse !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Je vais y venir, monsieur Bonrepaux. Mais à mon rythme, pas au vôtre.

M. Augustin Bonrepaux. Permettez-moi de vous interrompre. Je vais vous donner les chiffres, moi. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Non, monsieur Bonrepaux, on ne travaille pas ainsi. Vous n'êtes pas dans votre bureau ni dans votre permanence.

M. Augustin Bonrepaux. Une seule minute et je vous donne les résultats de l'année !

M. le président. Monsieur Bonrepaux, je vous en prie ! Rasseyez-vous et laissez le ministre conclure.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Monsieur Bonrepaux, vous me répondrez et je vous écouterai avec intérêt.

M. Augustin Bonrepaux. Mais vous ne dites rien ! Je pose des questions et vous ne répondez pas !

M. Michel Piron. Ce n'est pas croyable !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Mais vous voulez répondre avant même que je ne me sois exprimé ! Croyez-vous que ce soit cohérent ?

M. Michel Bouvard. C'est invraisemblable !

M. le président. Vous aussi, monsieur Bouvard, taisez-vous. Avec tout ce bruit à droite et à gauche, on ne s'entend plus.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Lorsque je me serai exprimé, vous contesterez, monsieur Bonrepaux. Mais au moins, vous aurez une base pour contester. Pour l'instant, vous ne l'avez même pas : je n'ai pas encore donné les chiffres.

M. Augustin Bonrepaux. Mais vous ne répondez pas à mes questions !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Effectivement, je n'ai encore rien pu dire. Vous ne m'avez pas laissé cette chance, vous avez raison. Maintenant, je vais essayer...

La péréquation, disais-je, sera finalisée par la loi de finances pour 2005 mais, d'ores et déjà, et j'en viens à votre question, elle est en très large progrès.

M. Augustin Bonrepaux. Non ! Ce n'est pas vrai !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Je vais vous donner des chiffres, que vous allez pouvoir contester...

M. Augustin Bonrepaux. C'est nouveau ! Le comité des finances locales s'est tenu il y a quinze jours !

M. le ministre délégué aux libertés locales. En 2002, la dotation globale de fonctionnement progressait de 4 % - c'est vous qui avez fait la loi de finances de 2002 -...

M. Dominique Tian. Mal fait, d'ailleurs !

M. le ministre délégué aux libertés locales. ...et la DSU, autrement dit l'instrument de la péréquation, de 3,04 %.

M. Serge Poignant, rapporteur pour avis. Exact !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Pour 2004, c'est nous qui avons fait le budget. La DGF, j'en conviens volontiers, n'est pas brillante : plus de croissance, une progression de 1,93 %, même pas la moitié de la progression de votre DGF. Mais la DSU, en dépit de cette DGF effondrée, progresse de 3,27 %.

M. Augustin Bonrepaux. Ce n'est pas vrai !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Mais si, c'est vrai !

M. Augustin Bonrepaux. Mais non ! Il ne faut pas raconter n'importe quoi !

M. Claude Goasguen. Allons !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous me répondrez tout à l'heure. Laissez-moi terminer mon propos.

M. le président. Monsieur Bonrepaux, cela faisait longtemps qu'on ne vous avait pas vu comme cela.

M. Patrick Balkany. Il est toujours comme cela !

M. Augustin Bonrepaux. Mais c'est inacceptable !

M. le président. Je vous en prie ! Nous ne sommes pas dans un dialogue !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Monsieur Bonrepaux, la démocratie, c'est le droit pour chacun de s'exprimer librement...

M. Émile Blessig. Et d'écouter !

M. le ministre délégué aux libertés locales. ...quelque déplaisants que puissent être les propos de l'autre. Lorsque je vous entends, cela ne me fait pas souvent plaisir...

M. Patrick Balkany. Mais il nous fait souvent rigoler !

M. le ministre délégué aux libertés locales. ...et pourtant je vous écoute. Que voulez-vous ? C'est la règle du jeu.

La dotation de fonctionnement minimale pour les départements progresse en 2004 de 8 %.

M. Augustin Bonrepaux. La DFM, c'est nous qui l'avons faite !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Mais enfin, ceux qui la font progresser de 8 % cette année, ce n'est pas vous, c'est nous !

Quant à la péréquation régionale, elle augmente de 25 %. C'est un record historique. Certes, on part de bas, me direz-vous. Mais justement, nous ne voulons pas rester bas.

M. Augustin Bonrepaux. C'est nous qui l'avons faite !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Mais oui, vous êtes formidables, vous avez tout fait et nous rien !

M. Augustin Bonrepaux. Relisez le rapport général !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Mais oui. On n'a pas de cœur, on n'est pas intelligents, on n'a rien fait ! Continuez à vous dire cela, restez toujours aussi contents de vous, continuez à porter ce genre de jugement sur vos adversaires. Mais pensez à vous demander pourquoi, avec toutes ces qualités, vous ne gagnez pas les élections ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

En 2004, le Gouvernement consacrera 113 millions d'euros à la péréquation. C'est déjà un progrès considérable. L'année prochaine, nous ferons beaucoup mieux, et ce n'est pas une déclaration d'intention, c'est une obligation constitutionnelle. C'est la différence entre vous et nous.

M. Augustin Bonrepaux. Encore faut-il une volonté politique, et vous ne l'avez pas !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Tous vos arguments ne visent finalement qu'à dissimuler une seule chose : à quelques exceptions près, comme M. Balligand et quelques autres - il y a toujours des esprits originaux -, vous n'êtes pas favorables à la décentralisation. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Claude Goasguen. C'est vrai !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous ne l'étiez pas en 1969. Gaston Defferre, on vous l'a dit tout à l'heure, a dû la faire au forceps en 1982 - contre vous-mêmes, ...

M. Claude Goasguen. Parfaitement, au forceps ! Demandez à Joxe !

M. le ministre délégué aux libertés locales. ...contre nous aussi naturellement, qui étions, comme vous aujourd'hui, dans une opposition stérile. Mais aujourd'hui, vous êtes revenus à votre identité, à votre passion de l'égalitarisme et de la régulation sociale que seul l'Etat centralisateur, dans votre esprit, est capable de réaliser. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Claude Goasguen. Très bien !

Mme Marylise Lebranchu. N'importe quoi !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Il n'y a pas un seul pays socialiste qui soit décentralisé !

Mme Marylise Lebranchu. Et l'Espagne de Felipe Gonzalez ?

M. le ministre délégué aux libertés locales. La voilà, votre logique. La raison majeure pour laquelle vous critiquez ce texte, c'est tout simplement que vous n'êtes pas pour la décentralisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous allons marquer une pause, le temps pour M. Bonrepaux de disserter, en dialogue, cette fois, avec M. le ministre, et pour M. Chassaigne de se préparer à défendre la motion de renvoi en commission que le groupe communiste a présentée.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-trois heures cinquante, est reprise le jeudi 26 février 2004 à zéro heure cinq.

M. le président. La séance est reprise.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour un rappel au règlement.

M. André Chassaigne. Mon intervention se fonde sur l'article 58, alinéa 1.

Pour défendre la motion de renvoi en commission, sur laquelle j'ai durement travaillé, j'ai besoin d'une heure et demie.

M. Bernard Accoyer. C'est un peu long.

M. André Chassaigne. Or M. le ministre, en s'exprimant très longuement, a empiété sur mon temps de parole. Je le regrette d'autant plus, compte tenu de ce que nous avons entendu (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)...

M. Didier Migaud. Il a parlé pour ne rien dire !

M. André Chassaigne. Je ne serai donc pas en mesure, ne disposant pas du temps nécessaire, de défendre cette motion ce soir, sauf si vous m'autorisez, monsieur le président, à lire mon intervention dans son intégralité.

M. Bernard Accoyer. Les bons discours ne sont pas les plus longs !

M. André Chassaigne. De plus, je constate l'absence du président de la commission des lois, ce qui est fort regrettable, mais peut-être reviendra-t-il en séance.

M. Bernard Accoyer. Il arrive.

M. André Chassaigne. En tout état de cause, son absence pendant la défense d'une motion de renvoi en commission est gênante, voire contradictoire, car j'aurais souhaité le convaincre de la nécessité de réexaminer le texte.

M. le président. Peut-être, mais il n'est pas là pour vous répondre.

Je vous remercie cependant de nous faire part de vos intentions.

La parole est à M. Augustin Bonrepaux.

M. Augustin Bonrepaux. Mon rappel au règlement se fonde sur le même article, relatif à l'organisation de nos travaux. Il est déjà minuit dix. L'hémicycle est à peu près vide... (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Dès lors, il est difficile d'engager maintenant un débat aussi important sur le renvoi en commission, parfaitement justifié, de ce texte, d'autant que nous avons de nombreux arguments à faire valoir dans les explications de vote.

J'aurai notamment beaucoup de plaisir à répondre à M. le ministre et à l'aider à rechercher les 25 millions de crédits qu'il prétend faire répartir en comité des finances locales, alors qu'ils n'existent pas !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Vous les avez.

M. Augustin Bonrepaux. C'est une nouveauté, monsieur le ministre. Pour la première fois, nous avons réparti une dotation virtuelle avant que le Gouvernement ne la reprenne avec sa pingrerie coutumière.

J'aurai beaucoup de plaisir à expliquer tout cela, mais il me semble que ce n'est pas l'heure.

M. Michel Piron. Si !

M. Augustin Bonrepaux. Pour la sérénité des débats à venir, et eu égard à l'importance d'un texte dont tout le monde reconnaît l'intérêt et la nécessité, il me semble raisonnable de reporter ce débat à demain matin.

M. le président. C'est un point de vue, mais je vous rappelle que nous sommes encore dans les délais normaux.

M. Bernard Accoyer. Très bien !

M. le président. Si la motion de renvoi doit durer une heure et demie, nous respecterons l'intervalle de huit heures avec la séance du matin.

M. Bernard Accoyer. Tout à fait !

M. Didier Migaud. Non, il faut compter aussi le temps réservé aux explications de vote !

M. le président. Monsieur Migaud, vous avez été rapporteur général du budget, vous êtes questeur, vous savez qu'il faut huit heures entre la séance du soir et celle du matin.

Vous avez la parole.

M. Didier Migaud. Vous avez entièrement raison, monsieur le président ; mais je ne sais s'il est vraiment raisonnable de siéger au-delà de minuit. Je n'en suis pas certain, même si c'est habituel. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Nous dénonçons à nouveau, pour notre part, l'organisation des travaux. La session unique prévoyait que nous siégerions les mardi, mercredi et jeudi. Le Premier ministre nous impose de siéger aussi le vendredi,...

M. Bernard Accoyer. Pas du tout !

M. Didier Migaud. ...alors que nous sommes en pleine période électorale et que nous devons débattre également avec nos concitoyens. Je ressens l'obligation qui nous est ainsi faite comme une forme de mépris de la représentation nationale et de l'ensemble de nos concitoyens.

De plus, je constate que l'UMP est peu présente dans l'hémicycle.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Ce n'est pas vrai !

M. Augustin Bonrepaux. Mais si, il n'y a pas grand monde !

M. Bernard Accoyer. De votre côté, vous êtes trois !

M. Didier Migaud. Il y avait à peine un tiers de votre groupe pour entendre le Premier ministre l'autre jour. Ce qui montre le peu d'intérêt que le groupe UMP accorde aux interventions du Premier ministre. J'ai d'ailleurs noté qu'il prêtait davantage attention à l'intervention du ministre de l'intérieur. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Richard Mallié. A quel moment faut-il rire ?

M. Didier Migaud. Quant au président de la commission des lois, il est parti, alors que notre collègue Chassaigne va défendre une motion de renvoi en commission qui le concerne au premier chef. La moindre des choses quand on est président de la commission, c'est d'être présent. On ne peut que s'étonner d'une telle légèreté,...

M. Christian Paul. D'une telle désinvolture !

M. Didier Migaud. ...d'une telle désinvolture, en effet, à l'égard d'un texte que le Premier ministre juge essentiel.

Nous avons beaucoup de choses à dire et des explications de vote seront nécessaires à l'issue de la motion de procédure défendue par notre collègue. Compte tenu de l'heure, nous pensons, monsieur le président, que nous ne sommes pas en mesure de débattre sérieusement.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Quel piètre comédien !

Motion de renvoi en commission

M. le président. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du règlement.

La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons donc ouvert la grand-messe de la décentralisation et de ses prétendues responsabilités locales,...

M. Richard Mallié. C'est parti !

M. André Chassaigne. ....un cérémonial que le Gouvernement avait voulu marquer du sceau du bon sens. Menée dans la plus grande opacité et avec une célérité troublante, cette célébration des vertus de la proximité sonne incontestablement de plus en plus faux.

M. Michel Piron. Le goupillon remplace la faucille !

M. André Chassaigne. L'intervention du ministre allait dans ce sens.

Les masques commencent à tomber. Comme si le Gouvernement préférait les parades carnavalesques à un grand débat de fond républicain. Il est vrai que votre majorité, décidément introuvable, - c'est le cas de le dire ce soir (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) - vous permet de décider de terribles retours en arrière, et ce en toute impunité.

M. Richard Mallié. Vous ne pouvez vous permettre de dire n'importe quoi !

M. André Chassaigne. Car ce projet de décentralisation n'est pas une revendication populaire. Jamais il n'a été annoncé de façon précise lors des campagnes électorales qui vous ont ramenés au pouvoir, il y a deux ans.

M. Richard Mallié. Pas plus qu'en 1981 !

M. André Chassaigne. Jamais il n'a été soumis à un débat véritablement public. Pour un texte de cette importance, cette entorse aux principes démocratiques est révélatrice de la faible considération que vous portez au suffrage universel. Comme si nous devions avaliser, au cours de ces débats, l'embastillement de la souveraineté populaire.

La réalité de cette souveraineté populaire, nous avons pu l'apprécier au résultat des consultations référendaires en Corse et dans les Antilles. Nous aurions sûrement adoré le résultat d'un référendum sur le projet de loi constitutionnelle.

M. Christian Paul. Ils n'ont pas osé !

M. André Chassaigne. Ces masques ne parviennent plus à dissimuler l'hostilité de la majorité des élus locaux à votre projet. Parmi eux, beaucoup de vos amis, malgré la déférence qu'ils vous portent, ne peuvent plus cacher leurs inquiétudes. La réalité, c'est que les élus locaux craignent tous soit d'être dépossédés de leurs prérogatives - c'est le cas de beaucoup de maires ruraux -, soit d'être incapables, à cause de contraintes financières, d'assumer les compétences nouvelles que vous leur imposez. C'est le cas de beaucoup de conseillers généraux.

Quant aux personnels de la fonction publique, s'ils rejettent votre projet en bloc, c'est qu'ils ont souvent une conscience du service public suffisamment affirmée pour bien identifier les ravages que cette décentralisation va provoquer dans nos territoires. Ils ont clairement affirmé leur opposition à ce projet dès le printemps dernier. Vous avez refusé de les écouter. Pis, vous êtes revenus au Sénat sur les quelques engagements pris par le Gouvernement. Ainsi, les médecins scolaires seront aussi décentralisés. Vous n'avez vraiment aucune parole, monsieur le ministre.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Je ne vous permets pas de dire que je n'ai pas de parole, d'autant que j'ai émis un avis défavorable à cet amendement !

M. André Chassaigne. Ce projet a aussi effrayé, par son ampleur, par ses confusions entre principes généraux du droit et principes d'organisation administratifs, les meilleurs juristes du pays. On se souvient encore de l'avis très défavorable rendu par le Conseil d'Etat à votre projet de loi constitutionnelle.

On voit bien que cette décentralisation n'est portée que par la seule autorité, quasi monarchique, qui dirige le pays. Comment comprendre sinon que le projet de loi initial examiné au Sénat se présentait aussi comme une gigantesque loi d'habilitation permettant au Gouvernement de poursuivre par ordonnances son entreprise de démolition de l'unité nationale ? En fait, cet édit répond à la volonté d'imposer une foi nouvelle au pays : la libre entreprise. Car pointe surtout, derrière les liturgies lancinantes sur la proximité ou le bon sens, votre résolution à sacraliser la concurrence et l'individualisme néo-libéral, pour mieux piller les ressources du pays.

L'artifice est connu. « Il faut que tout change pour que rien ne change », pour reprendre les propos de ce vieux représentant de l'Ancien régime, le prince Salina, dans le très beau film de Visconti, Le Guépard.

Cette rapide introduction, que vous trouvez sans doute outrancière - je m'attendais à entendre vos cris d'orfraie, ce qui n'a pas été le cas, compte tenu de l'heure tardive -, m'a paru nécessaire pour identifier les racines idéologiques de votre projet de décentralisation et éclairer certaines pratiques propres à votre gouvernement.

Bien sûr, me direz-vous, il ne s'agit, après tout, que de confier à des collectivités territoriales, par définition élues par le peuple, des compétences nouvelles. Le fait de confier aux communes la responsabilité de la lutte contre le saturnisme n'est pas, a priori, choquant, et ne semble pas mériter que nous en soyons à ce point courroucés. Il est vrai qu'il est difficile, de prime abord, d'identifier un projet politique abouti derrière ce catalogue à la Prévert, la poésie en moins, de transferts de compétences.

Une chose est sûre : la Constitution reconnaît trois catégories de collectivités territoriales alors que votre texte n'en reconnaît que deux. Car si les régions et les départements seront gâtés, dans tous les sens du mot, les communes n'ont pas été invitées au grand partage du démantèlement des missions historiquement remplies par l'Etat. Bien au contraire, tous les dispositifs prévus concernant l'intercommunalité visent à accélérer la constitution de super-groupements de communes, donc à vider de toute leur substance les cellules de base de notre démocratie.

De plus, les nouvelles charges non financées qu'auront à supporter les conseils régionaux et les conseils généraux ne manqueront pas d'avoir des conséquences sur la nature et le montant des aides apportées traditionnellement aux communes. En effet, ces collectivités seront obligées de se recentrer sur les compétences supplémentaires qui leur seront attribuées. Il est donc certain que les communes seront pénalisées dans la mesure où les aides apportées ne seront plus à la hauteur de celles fournies antérieurement.

Ainsi, la région recevra une compétence presque générale en matière de développement économique. Il s'agit incontestablement de la compétence reine, que le Gouvernement transfère à la plus récente des collectivités territoriales. Les échelons de la proximité, communes et départements, n'auront de compétence qu'en matière de gestion de services publics. Les régions, quant à elles, bénéficieront d'une compétence « noble », qui laisse une réelle marge de manœuvre politique et un véritable pouvoir d'impulsion.

Il est intéressant de constater que cette collectivité est aussi celle où le Gouvernement a décidé d'expulser les minorités politiques en modifiant le mode de scrutin, avec les couperets de 5 % et 10 %. Là où le Gouvernement va déléguer de réels pouvoirs politiques de décision, il prend au préalable le soin de noyauter le débat démocratique afin de mieux contrôler d'éventuelles « dérives ».

Ce transfert de la compétence de développement économique laisse surtout en suspens la question de la nature du développement. Tel que le texte est rédigé, il s'agit surtout d'attribuer des aides aux entreprises, sans contrôle de l'utilisation des fonds publics, à moins que le rapporteur ne respecte l'engagement pris en commission des lois d'introduire des contrôles sur ces aides aux entreprises, à la suite d'un des amendements que j'ai déposé, qui vise à donner aux salariés mêmes le pouvoir de contrôler le bon usage des aides versées aux entreprises.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Bien sûr !

M. André Chassaigne. Merci, monsieur le rapporteur.

M. Daniel Paul. Nous vérifierons !

M. André Chassaigne. Certes, il s'agit pour vous essentiellement de laisser l'économie dysfonctionner et de conférer à la région un simple rôle de « pompier social » des entreprises locales en difficulté. Il s'agit toujours pour vous d'exonérer les entreprises, notamment les plus grandes, de toute mise en jeu de leur responsabilité sociale et locale. Fidèle aux conceptions antiéconomiques des hérauts de la libre concurrence de la Commission européenne, votre décentralisation ne vise qu'à institutionnaliser l'impuissance publique en matière économique. On le vérifie depuis vingt ans, l'autorégulation des marchés est pourtant un mythe qui mène droit au fatalisme. Les collectivités territoriales devraient plutôt pouvoir intervenir en amont des difficultés économiques et porter la vision prospective de long terme des évolutions économiques qui fait si souvent défaut aux entreprises.

Enfin, ce transfert constitue, par ses modalités, une réelle entorse au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Communes et départements seront réduits à devenir les simples guichets des régions. Ils ne pourront plus dispenser des aides incompatibles avec le schéma régional de développement économique, qu'ils n'auront, par définition, pas contribué à élaborer. C'est une atteinte manifeste à leur libre administration.

Comment ne pas voir dans ce projet la volonté de soumettre toutes les collectivités à la politique économique définie par la région ? Ne doit-on pas craindre que les communes les plus fermement attachées à leur autonomie subissent les représailles de leur chef de file, leur nouveau suzerain ? Comment pourrions-nous accepter que soient ainsi vassalisées les cellules de base de la démocratie ?

L'achèvement de la décentralisation de la formation professionnelle doit aussi nous interpeller. Les politiques de traitement social du chômage et de réduction du coût du travail ont montré leur totale inefficacité. Les vingt milliards d'euros par an d'exonération de cotisations patronales auraient en effet créé, selon les experts les plus optimistes, environ 200 000 emplois, peu qualifiés, sous-payés, sans plan de formation, donc sans perspectives durables pour leurs titulaires. Au nom de la mobilité de l'emploi, le chômage et la précarité rythment la vie de millions de nos concitoyens, cependant que plusieurs secteurs d'activité sont confrontés à de réelles difficultés de recrutement.

Face à cette réalité, un investissement massif dans la formation continue est indispensable pour répondre aux défis des technologies informationnelles et aux besoins criants liés au chômage, à la précarité et aux inégalités de formation. Cet effort considérable en faveur de la formation doit aussi répondre au besoin d'épanouissement personnel de nos concitoyens par la culture et l'éducation.

Nous devons avoir un but : progresser en vue d'assurer pleinement la formation continue à chacune et chacun dans une continuité d'activités et de revenus, durant la vie active. Face à cet objectif, que nous propose-t-on ? La mise en concurrence des organismes de formation et le démantèlement du service public de formation continue, l'Association de formation professionnelle des adultes, l'AFPA. On risque ainsi de renforcer les organismes de formation à caractère lucratif, souvent dominés par le patronat et ses besoins de court terme, donc la mauvaise sélectivité des publics et des choix de formation. C'est un véritable gâchis.

Quant à la décentralisation des infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires, elle risque d'ouvrir une nouvelle ère de déréglementation et de dégradation des services publics. Il vous sera difficile de justifier ce transfert par vos couplets quotidiens sur la proximité. Car si vous décentralisez les routes, c'est uniquement par souci d'économies budgétaires. Il est vrai que, dans votre texte, Tartuffe rejoint souvent Harpagon.

M. Michel Piron. Molière revient !

M. André Chassaigne. Le « Couvrez ce sein que je ne saurais voir », n'a-t-il pas finalement pour objectif de conserver la cassette ? Comme vous ne disposez plus des ressources budgétaires suffisantes pour poursuivre votre politique de cadeaux fiscaux envers vos électeurs les plus fortunés, et que vous constatez que l'état des routes nationales en France ne cesse de se dégrader du fait des coupes budgétaires réalisées dans le budget de l'équipement, il est trop facile de transférer ces routes aux départements, et les ports et aéroports aux collectivités territoriales qui souhaitent en assumer la gestion.

Cette tartufferie mêlée d'avarice est manifeste lorsque l'on analyse les conclusions du CIADT de décembre dernier. On y apprend que la politique des transports doit désormais concilier plusieurs objectifs : le développement économique, l'attractivité des territoires dans une Europe élargie et la prise en compte des enjeux environnementaux, globaux et locaux. On notera d'emblée que ni le service public ni l'aménagement du territoire n'ont droit de cité dans cette définition.

Il est pour le moins curieux de constater que le Gouvernement convoque un comité interministériel d'aménagement du territoire pour affirmer que l'aménagement du territoire constitue la dernière de ses préoccupations. Ce qui importe, c'est qu'il y ait de belles autoroutes entre les capitales régionales du pays. Le reste n'a aucune importance. L'insulte faite à nos territoires est absolument révoltante. Je pense plus particulièrement à la tache blanche du Massif central et de l'Auvergne. L'abandon programmé des contrats de plan Etat-région est une autre déclinaison de cette volonté du Gouvernement de délaisser toutes ses missions d'aménagement du territoire.

Comment les départements les plus étendus, les plus isolés et donc les plus fragiles pourront-ils financer l'entretien de ces routes si la solidarité nationale ne joue plus ? Il serait intéressant d'entendre des représentants de l'Aveyron ou du Cantal sur ce sujet, surtout si certains amendements de la majorité visant à exclure de la définition du réseau routier national les missions de desserte et d'équilibre des territoires sont pris en compte.

Comment comptez-vous convaincre ces collectivités territoriales de participer à votre grande braderie des ports et aéroports de ce pays ? Nombre de ces infrastructures sont déficitaires, et c'est normal, car leurs comptes ne peuvent pas intégrer les externalités positives induites sur les territoires par leur présence. Oui, l'aéroport d'Aulnat, près de Clermont-Ferrand, est en déficit. Mais son utilité ne se mesure pas à l'équilibre de ses comptes. Il est vital pour décloisonner l'Auvergne et renforcer les moyens de communication entre cette région et toutes les autres régions de France. Cela, les comptables de Bercy, aussi compétents soient-ils, ne pourront jamais le mesurer. C'est pour cela que l'Etat, parce qu'il est le seul à pouvoir assumer des missions d'aménagement du territoire, n'a pas le droit de transférer ces infrastructures à des collectivités territoriales qui ne disposeront jamais des moyens budgétaires suffisants pour les conforter dans nos régions.

M. Michel Piron. Si Bercy ne sait pas, Bercy ne peut pas décider !

M. André Chassaigne. Le seul moyen que vous avez trouvé pour dépasser vos contradictions consiste à rétablir l'octroi. Certes, pour faire moderne, on l'appelle aujourd'hui « péage ». Toujours est-il que le principe en reste le même, aussi injuste socialement que rétrograde dans son principe. Comment s'étonner, après cela, que nous dénoncions une décentralisation qui fleure bon l'Ancien Régime ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Le régime de Jospin ?

M. André Chassaigne. En effet, par exception au principe de gratuité, l'utilisation des routes express ou des ouvrages d'art serait payante. Votre projet est rédigé de telle façon que l'exception risque de devenir la règle !

Vous avez d'ailleurs parfaitement conscience de l'iniquité de tels péages sur les routes de France. Le Gouvernement, par l'intermédiaire du ministre de l'équipement, va jusqu'à refuser d'assumer les conséquences inévitables de l'institution des péages sur les routes, en déclarant ici même avant-hier après-midi que « la possibilité offerte aux collectivités d'instaurer un péage sur les routes ne concernerait que d'éventuelles routes nouvelles ». Ces propos sont ostensiblement en contradiction avec l'article 14 du projet de loi, (« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) selon lequel « l'usage des routes express est en principe gratuit. Toutefois, lorsque l'utilité, les dimensions, le coût d'une route express ainsi que le service rendu aux usagers le justifient, il peut être institué un péage pour son usage en vue d'assurer la couverture totale ou partielle des dépenses de toute nature liées à la construction, à l'exploitation, à l'entretien, à l'aménagement ou à l'extension de l'infrastructure ».

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Par décret !

M. André Chassaigne. Il me semble donc avoir démontré que, dans sa réponse, le ministre s'est complètement trompé - à moins qu'il ne soit de mauvaise foi. Comme on dit en Auvergne, il a la queue du renard qui sort de la bouche, mais il nie l'avoir mangé ! (Rires.)

M. Michel Piron. Ce n'est pas le corbeau ?

M. André Chassaigne. Non. Il s'agit du loup et du renard.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. N'en faites pas un fromage !

M. André Chassaigne. Qu'est-ce que cet octroi, sinon une taxe que l'on peut ranger dans la catégorie des impôts indirects forfaitaires ? Pour financer le domaine routier public, on va puiser dans le produit d'un impôt forfaitaire. Comme l'impôt sur le revenu, seul impôt progressif de notre système fiscal, est en baisse constante, il s'agit surtout d'opérer, une fois de plus, un transfert de charges massif entre les plus riches de nos concitoyens et les plus pauvres.

Votre projet empreint de libéralisme, qui se contente de démanteler les services publics les uns après les autres, est donc aussi marqué par un grand sens de la redistribution sociale : prendre aux pauvres pour donner aux riches ! Vous considérez peut-être ce projet et ces transferts de charges comme modernes ou de bon sens. Au risque de vous choquer, j'y verrai plutôt toute la cupidité et la mesquinerie de la classe que vous représentez. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

La place que vous accordez ainsi à un service non marchand révèle incontestablement un choix de société de première importance. Derrière votre volonté d'octroyer la faculté aux collectivités publiques d'instituer - ou, mieux, de généraliser - le péage, ou de les inciter à recourir aux délégations de service public, se cache la décision de transformer progressivement des services non marchands en services marchands. Cette politique a pour seul but d'étendre les logiques capitalistes d'accumulation et de destruction à des missions absolument décisives. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est un marxiste qui parle !

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis de la commission des finances. Ce n'est pas le changement de régime qui modifiera quoi que ce soit !

M. André Chassaigne. Le démembrement des services autrefois assumés par l'Etat a commencé par les services économiques. Je pense à France Télécom, à La Poste ou aux institutions bancaires. Ce processus de privatisation s'est poursuivi depuis lors. Avec ce projet, vous nous proposez de franchir un pas supplémentaire dans ce démembrement.

Les services de l'équipement, par leur histoire et le contenu de leurs missions, sont de fait un service public de souveraineté. Ils assurent une des missions régaliennes de l'Etat. Les routes ont en effet concrétisé et symbolisé l'action de l'Etat pour relier les Français les uns avec les autres, et ont donné sens à la nation.

Mais quelle conception de la République avez-vous pour détruire ainsi, les unes après les autres, toutes ses fondations ? Que restera-t-il de la souveraineté populaire si la puissance publique doit continuer à être amputée de la sorte ?

Les dispositions prévues en matière d'action sociale ne sont malheureusement guère plus rassurantes. Dans le prolongement de la loi sur le RMA, l'Etat confie aux départements une compétence quasi exclusive en matière d'action sociale. Il laisse les conseils généraux gérer la misère et l'exclusion générées par les politiques économiques suivies par l'Europe, l'Etat et, de façon grandissante, les régions. Les départements sont écrasés par l'ampleur de leurs missions et disposent de faibles moyens.

M. Augustin Bonrepaux. C'est bien vrai !

M. André Chassaigne. Auront-ils la possibilité d'assumer pleinement, seuls, cette responsabilité ? Déjà, les collectivités départementales connaissent de grandes difficultés budgétaires du fait des transferts successifs de charges en matière d'allocation d'autonomie, de RMI et de RMA. Comment pourront-elles remplir les nouvelles missions que vous souhaitez leur confier, comme l'insertion et le soutien aux jeunes les plus en difficulté ?

Plus fondamentalement, comment concevoir un développement économique durable, équilibré, respectueux des hommes et des territoires, si l'on accentue, comme ce projet de loi nous y invite, la dichotomie entre l'économique, pour la région, et le social, pour le département, et si l'on élargit le fossé entre la production des richesses et les corrections des déséquilibres créés au sein même du processus productif ?

Un développement économique durable ne doit ni paupériser ni exclure. Il doit profiter à l'ensemble des acteurs sociaux. Son efficacité ne doit pas se mesurer à la seule évolution, même positive, des indicateurs statistiques du PIB ou de l'inflation. Il faut prendre en compte le bien-être de tous. Comment voulez-vous que l'Etat ou les régions mettent en place de telles politiques économiques, qui prennent vraiment en compte le bien-être social, après s'être délestés des questions sociales au détriment des départements, en décidant d'occulter ces questions sociales dans la définition même de leur politique économique ?

Ce texte est révélateur de votre confiance aveugle en ces principes absurdes du néo-libéralisme et de votre désintérêt pour la question sociale. Sur ce sujet encore, vous ne pourrez que rencontrer la franche hostilité des députés communistes et républicains, qui font, eux, toujours le choix des hommes, pas de l'argent !

Un des problèmes sociaux les plus aigus, aujourd'hui, est celui du logement, et notamment de la faiblesse de l'offre locative sociale. On sait bien d'où vient ce problème, et ma collègue Janine Jambu l'a rappelé hier soir.

Il y a, certes, un discours entretenu par de nombreux élus locaux - essentiellement issus, d'ailleurs, des rangs de la majorité - selon lequel les classes laborieuses seraient des classes dangereuses, à maintenir cloîtrées dans les quelques villes qui les acceptent, gérées, le plus souvent, par des municipalités progressistes qui voient dans nos concitoyens les plus pauvres des citoyens comme les autres.

Mais cette crise du logement est surtout due à la réorientation des politiques du logement, qui remet en cause les aides à la pierre, notamment celles qui sont destinées au logement social, au profit des aides à la personne, si bien qu'on manque aujourd'hui en France de centaines de milliers de logements sociaux. Et que nous propose-t-on ? Quelques tours de magie noire du ministre de la ville, pour détourner l'attention de nos concitoyens. Mais aussi, et surtout, le désengagement complet de l'Etat en ce domaine, un tour de passe-passe qui annonce plus de logements sociaux avec nettement moins de crédits budgétaires. La parabole de la multiplication des pains fait, une fois de plus, des adeptes !

M. Michel Piron. C'est ça !

M. André Chassaigne. Le problème est le même pour le logement étudiant. Le déficit de l'offre de logements étudiants exclut de fait de l'accès aux études les étudiants les plus pauvres qui ne peuvent plus résider chez leurs parents. C'est un moyen détourné d'opérer cette sélection à l'entrée à l'université, qui vous est si chère pour assurer la reproduction sociale de la classe dominante. Ce que les étudiants revendiquent, c'est un immense effort des pouvoirs publics pour la construction et la réhabilitation des logements étudiants. Là encore, la politique de la patate chaude devient une règle d'or de votre gouvernance, puisque l'Etat délègue cette compétence aux communes et à leurs groupements.

Pour parachever ce titre relatif à la solidarité et à la santé, chef-d'œuvre, lui aussi, d'hypocrisie, vous donnez la possibilité aux régions d'ouvrir la boîte de Pandore en finançant elles-mêmes certains équipements hospitaliers que l'Etat refuse d'assumer.

La conséquence principale de ce projet sera l'inégalité de l'accès de tous aux soins. Sans doute les politiques de santé de ces dernières années ont-elles été catastrophiques pour l'hôpital : manque de moyens matériels, manque de personnel, budgets qui se réduisent au fil des années.

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. C'est un bilan bien sombre des années Jospin !

M. André Chassaigne. Pour toute réponse à cette crise, un nouveau tour de passe-passe donne la possibilité aux régions de participer au financement d'équipements sanitaires. Prenons, une fois encore, l'exemple de l'Auvergne.

M. Michel Piron. On se demande pourquoi !

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. C'est son côté giscardien !

M. André Chassaigne. Si l'Etat décide de ne pas investir en Auvergne, la région devra soit assumer le financement, soit y renoncer et laisser sa population sans structures de proximité. On peut donc imaginer les conséquences en matière d'urgences et de qualité globale des soins. Ainsi, selon leur lieu de résidence, en fonction de la richesse du territoire et de l'effort consacré par la région au système de soins, les Français seront plus ou moins bien pris en charge.

Les problèmes sont malheureusement similaires pour ce qui concerne l'éducation. La lutte menée au printemps dernier par les personnels de l'éducation nationale en réaction à votre projet a été exemplaire et a soulevé des questions politiques fondamentales pour l'avenir de notre société.

Comme l'a rappelé hier mon collègue Liberti, cette décentralisation remettra en cause l'unité de la communauté éducative dans les établissements. Le mouvement de grève dans l'éducation nationale a bien montré l'importance des personnels non enseignants auprès des élèves, indispensables pour permettre aux élèves d'évoluer dans un environnement social favorable, et donc pour assurer la bonne qualité du service éducatif.

La République française s'est construite autour de son école. C'est l'école publique qui a permis d'asseoir la légitimité de la République dans le pays.

M. Daniel Paul. Très bien !

M. André Chassaigne. C'est cette même école qui, depuis plus d'un siècle, diffuse et répand les valeurs progressistes qui font la force de notre pacte républicain.

Certes, l'école ne parvient plus à réaliser pleinement les valeurs qu'elle proclame, ni à endiguer les inégalités sociales créées par le système capitaliste. Mais en remettant en cause, petit à petit, le cadre national du système scolaire, vous ne vous contentez pas de détruire le principal vecteur de diffusion des valeurs républicaines, vous révélez aussi que vous avez renoncé à endiguer toutes ces inégalités. C'est très grave.

Ensuite, votre projet constitue une véritable atteinte aux principes fondamentaux de nos services publics.

Tout d'abord, ce transfert de compétences, qui n'offre pas la moindre garantie quant au maintien du statut public des missions assumées aujourd'hui par les TOS, ouvre la voie à l'accélération du transfert de ces missions vers des entreprises privées spécialisées. Les exemples de délégation du service public de restauration scolaire auraient pourtant dû limiter l'ardeur de nos réformateurs : forte dégradation de la qualité du service rendu,...

M. Michel Piron. Encore des patates chaudes ?

M. André Chassaigne. ...coût croissant de ce service pour la collectivité et les parents d'élèves.

En outre, ce transfert de compétences sera fatal au principe d'égalité devant le service public. L'ampleur des inégalités régionales et départementales, soulignée tout à l'heure par M. le ministre, donne un bon aperçu de celles qui pourront exister dans quelques années entre les établissements si la décentralisation devait être poursuivie.

De même, le projet de décentralisation d'une partie des compétences de l'Etat en matière culturelle occulte complètement la nécessité d'un débat sur le rôle de l'Etat dans la culture, sur les missions qu'il doit assumer, et sur leur complémentarité avec celles exercées par les collectivités territoriales. Quels critères seront utilisés pour distinguer les monuments d'intérêt local et national ?

Toutes ces questions sans réponses montrent à quel point cette décentralisation, menée au pas de charge, n'a pas été réfléchie. Elle n'est le fruit que de considérations dogmatiques et des certitudes dans lesquelles vous êtes enfermés.

L'assurance hautaine du Gouvernement, s'agissant de ce projet de décentralisation, explique sûrement pourquoi le Premier ministre compte imposer son grand dessein au mépris même des formes démocratiques.

Tout d'abord, c'est en vertu d'une interprétation plus que douteuse de nos règles constitutionnelles que le peuple souverain a été dessaisi de cette question au printemps dernier, au profit du pouvoir constituant délégué. Vous n'ignorez pourtant pas que, selon l'esprit de la Constitution, le Congrès ne doit être réuni que pour le vote de lois constitutionnelles mineures. Seul le peuple français avait légitimité pour se prononcer sur le bien-fondé de cette décentralisation.

Or les signaux envoyés par nos concitoyens lors des référendums organisés en Corse et aux Antilles ont été très clairs. Ils ont montré au mieux une forte méfiance, au pire une franche hostilité à l'égard de votre réforme. C'est bien parce que le peuple, seul souverain, est opposé à cette décentralisation que vous n'avez cessé de contourner des règles démocratiques fondamentales et préféré légiférer dans l'opacité la plus complète.

M. Michel Piron. L'hémicycle est pourtant très bien éclairé !

M. André Chassaigne. La meilleure preuve en est que les lois organiques relatives au principe d'expérimentation et au prétendu référendum local ont été votées en juillet dernier, en catimini, en pleines vacances.

Ensuite, le Gouvernement a présenté devant le Parlement ce projet de loi, truffé de demandes d'habilitation à légiférer par ordonnances. Le Sénat a certes refusé d'en voter quelques-unes, mais le Gouvernement a bien montré le peu de considération qu'il avait pour le principe démocratique de transparence.

Enfin, l'organisation du débat prête plutôt à confusion. Le Sénat a eu besoin de trois semaines pour voter ce texte. Cela n'a pas suffi puisque le Gouvernement a dû demander à sa majorité de retirer des centaines d'amendements avant même qu'ils soient débattus ; j'essaie de vous relancer pour maintenir votre attention, monsieur le ministre.

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. C'est habilement fait !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Parlez-moi plutôt de La Fontaine : je resterai jusqu'à deux heures du matin !

M. André Chassaigne. Vous n'avez pas les mêmes goûts que votre collègue Hervé Gaymard qui, lui, est un adepte d'Alexandre Vialatte...

Et l'Assemblée nationale, seule chambre élue au suffrage universel direct, devrait discuter et voter ce texte en moins de deux semaines, en pleine campagne électorale ! Comment ne pas se demander légitimement pourquoi vous marquez un tel empressement à clôturer ces débats sur la décentralisation ?

Appréhendez-vous une nouvelle mobilisation des personnels de la fonction publique contre votre réforme impopulaire ? Ou craignez-vous plutôt, à terme, les réactions hostiles des élus locaux ?

Car une des principales inconnues de votre dispositif est financière. On nous avait promis une grande réforme des finances locales. Et nous ne voyons toujours rien venir. De très nombreux élus locaux sont aujourd'hui extrêmement inquiets devant les risques d'asphyxie financière induits par cette décentralisation. Certes, un projet de loi organique sur l'autonomie financière des collectivités territoriales a bien été déposé le 22 octobre dernier sur le bureau de l'Assemblée nationale. Mais il est permis de penser que le dépôt de ce projet de loi organique est dû à une erreur de vos services, tant ce texte s'avère une coquille vide. L'article 1er définit les catégories de collectivités territoriales.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. C'est une loi organique, monsieur Chassaigne.

M. André Chassaigne. L'article 2 définit ce que sont des ressources propres. L'article 3 nous apporte la lumière, lorsqu'il nous explique la signification de l'expression « part déterminante ». Quant à l'article 4, il est sans intérêt. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. On voit bien que vous ne savez pas ce qu'est une loi organique !

M. André Chassaigne. Nous n'avons pas besoin d'une telle loi organique, car elle a pour seule ambition de se substituer à nos dictionnaires, par ailleurs d'excellente qualité. Je reprends une expression du Nord, chère à mon collègue Alain Bocquet : une fois encore, vous faites trois baignoires de mousse avec un seul gramme de savon.

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. Au moins, c'est économique pour l'Etat !

M. André Chassaigne. Mais la vacuité de ce projet de loi organique n'est-elle pas la preuve de votre volonté de ne pas réformer les finances locales, de ne pas développer les mécanismes de péréquation financière entre les collectivités territoriales, pourtant indispensables en raison de l'extrême hétérogénéité des bases fiscales et des besoins de ces collectivités, et donc de ne pas réformer une fiscalité locale profondément injuste et inégalitaire ?

L'annonce de la suppression prochaine de la taxe professionnelle n'augure de toute façon rien de bon en matière de finances locales.

M. Daniel Paul. C'est vrai !

M. André Chassaigne. Beaucoup de collectivités territoriales éprouvent aujourd'hui de plus en plus de difficultés à boucler leur budget sans augmenter de façon inconsidérée les impôts locaux, contrairement à ce que vous prétendez, monsieur le ministre. Et ces difficultés risquent de s'aggraver les prochaines années, avec tous les risques que cette évolution comporte : dégradation du service rendu ; délégations et donc privatisations des services publics ; perte de confiance envers les élus locaux, approfondissant la crise politique dans laquelle nous sommes aujourd'hui.

M. le ministre délégué aux libertés locales. En effet, le PC est en crise !

M. André Chassaigne. Alors, me direz-vous - et n'essayez pas de me provoquer, monsieur le ministre -, doit-on considérer que, depuis la décentralisation de 1982, l'état des collèges et des lycées s'est dégradé ? Evidemment non, mais la situation est profondément différente aujourd'hui.

Car l'élasticité des budgets des collectivités territoriales est beaucoup plus faible qu'il y a vingt ans. Autant les départements et les régions ont pu lever les ressources nécessaires pour rénover les collèges et les lycées dans les années 1980, autant ils ne pourront plus fournir le même effort d'investissement pour les routes, l'action sociale et la formation professionnelle,...

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Mais si !

M. André Chassaigne. ... tant le poids des dépenses de fonctionnement est élevé aujourd'hui dans les budgets des collectivités territoriales.

M. Daniel Paul. Très juste !

M. Alain Gest. Celles de gauche !

M. André Chassaigne. Ce n'est pas en transférant plus de 100 000 fonctionnaires d'Etat aux collectivités territoriales que leurs capacités d'initiative et d'intervention seront accrues.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Dans celles de gauche, si !

M. André Chassaigne. Songez que, dans certaines régions, le simple transfert des TOS va doubler les dépenses de personnel ! Et chacun sait bien que les dotations de compensation versées par l'Etat auront une évolution bien moins dynamique que celle des postes de dépenses transférés. Tout le monde en convient.

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. Ah bon ?

M. André Chassaigne. C'est une évidence.

M. Philippe Tourtelier. La faute à qui ?

M. André Chassaigne. La preuve, c'est que vous avez appelé à repousser les amendements que nous avions proposés lors du débat sur la loi constitutionnelle, qui visaient à garantir légalement l'évolution des dotations de l'Etat. Le Gouvernement éprouvait donc bien la crainte de ne pas pouvoir suivre l'évolution des dépenses. Si, en 2002, les dépenses de personnel des collectivités territoriales ont augmenté de 5, 9 %, les crédits de la dotation globale de fonctionnement n'ont augmenté que de 4,07 %. Il est déjà possible de mesurer ce que sera l'augmentation de ces dépenses, compte tenu de la nécessité de pallier demain l'insuffisance des moyens affectés aujourd'hui par l'Etat aux services qu'il transfère aux collectivités territoriales. Qui aura à supporter le coût du remplacement des CES et des CEC par des emplois statutaires dans les collèges et les lycées ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. C'est prévu dans le projet de loi.

M. André Chassaigne. Vous voyez beaucoup de choses dans ce texte, monsieur le rapporteur.

A se demander si la volonté d'étouffer ainsi les budgets des collectivités territoriales n'est pas délibérée : cela s'avérerait un moyen suffisamment pernicieux et efficace pour vider de son sens la notion de libre administration. De même que l'Etat est devenu, au fil des réformes des vingt dernières années, un simple gestionnaire, incapable d'être porteur d'une vision politique, prospective et à long terme, les collectivités territoriales, avec cette réforme, vont irrémédiablement suivre le même chemin et ainsi montrer une impuissance politique identique, si démobilisatrice pour nos concitoyens mais si rassurante pour les multinationales.

Beaucoup d'élus locaux, volontaires et actifs sur leur territoire, sentent bien poindre cette évolution à l'horizon. C'est pourquoi ils accueillent généralement ce projet de décentralisation, présenté pourtant comme leur étant bénéfique, avec circonspection, voire avec hostilité.

La non prise en compte de la question financière permet aussi, bien évidemment, d'éluder la question des inégalités territoriales.

Depuis deux décennies, les disparités entre régions se sont fortement accrues en matière de création de richesses. Aujourd'hui, plus de la moitié du PIB est assurée par quatre régions seulement. De plus, la polarisation de l'aménagement du territoire sur les principales agglomérations, les métropoles dites d'équilibre, délaissant de fait les autres villes et les territoires ruraux, est source de déséquilibres croissants, de remise en cause concrète du principe d'égalité des chances de tous les territoires.

Cette évolution est incontestablement le fruit des orientations libérales prises par notre société, mais aussi de la première vague de décentralisation. Les contrats de plan Etat-région, par exemple, ont renforcé et avantagé les régions les plus dynamiques, capables de proposer et de cofinancer de grands projets.

Aucun gouvernement n'a, malgré l'aggravation des disparités, eu le courage de chercher à réduire ces inégalités territoriales en réformant les finances locales.

M. Michel Piron. C'est dur pour le PS !

M. André Chassaigne. C'est dur, j'en conviens. Les bases locatives de la taxe d'habitation n'ont pas été revues depuis 1970 ; les impôts locaux sur les personnes ne prennent pas en compte le revenu des contribuables et ont, de facto, un caractère proportionnel ; les bases de la taxe professionnelle privilégient les entreprises de services au détriment des entreprises industrielles à fort coefficient de main d'œuvre.

M. le ministre délégué aux libertés locales. C'est tout à fait vrai !

M. André Chassaigne. Mais, surtout, les assiettes des fameuses « quatre vieilles » sont particulièrement mal réparties sur le territoire.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. C'est bien pourquoi il faut réformer !

M. André Chassaigne. Ainsi, la moyenne des bases de taxe professionnelle par habitant était, en 2003, de 2 950 euros dans les Hauts-de-Seine et de 780 euros seulement dans le Gers. Encore ces moyennes, publiées par Bercy, ne prennent-elles pas en compte les disparités, encore plus fortes, entre les différentes communes au sein des départements.

Conscients de ce problème, vous vous gargarisez, - le mot n'est pas trop fort - d'avoir fait inscrire le principe de péréquation dans la Constitution. Vous l'avez répété plusieurs fois aujourd'hui.

M. Alain Gest et M. Michel Piron. C'est vrai !

M. André Chassaigne. Fort bien. Je n'oublie cependant pas que cette même Constitution reconnaît aussi le droit au travail, alors que des millions de nos concitoyens sont confrontés au chômage et à la précarité. Je n'oublie pas non plus que cette même Constitution garantit à tous et « notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs », alors que près de deux millions d'enfants vivent aujourd'hui dans la pauvreté, que beaucoup de mères de famille sont encore victimes de violence, durement exploitées de surcroît dans leur travail, et que beaucoup de vieux travailleurs verront leur retraite sacrifiée après la réforme que vous avez imposée l'année dernière !

Dès lors, monsieur le ministre, vous comprendrez - et vous y avez fait référence plusieurs fois aujourd'hui - que les députés communistes et républicains attendent plutôt des actes politiques que des promesses en matière de péréquation, d'autant plus que c'est déjà pour partie une obligation constitutionnelle.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. C'est un discours trotskiste !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Pas d'injures !

M. André Chassaigne. Vous me menacez sur ma gauche, monsieur le rapporteur !

Les dotations de l'Etat ne cherchent qu'à corriger à la marge cette distorsion des bases entre les différentes collectivités. La part forfaitaire de la dotation globale de fonctionnement des communes s'élève ainsi à près de 90 % du montant total de la DGF, la dotation d'aménagement n'en constituant que le solde, dont une partie seulement est affectée à la résorption des inégalités territoriales, puisqu'une partie de cette dotation d'aménagement sert aussi à financer la dotation globale de fonctionnement des groupements de communes à fiscalité propre. Le montant des dotations de solidarité urbaine ou rurale, au vu des besoins, atteint ainsi des sommes ridiculement faibles.

Comment donc, au regard de la situation aussi fragile qu'inégalitaire des finances locales, peut-on pérorer comme vous le faites sur les responsabilités locales ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Nous pérorons, nous ? Soit.

M. André Chassaigne. Vous ne vous endormez pas ?

M. le ministre délégué aux libertés locales. Nous sommes frais comme des gardons ! Au fait, est-ce votre introduction ?

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. C'est la conclusion de l'introduction.

M. André Chassaigne. Là encore, il est patent que l'utilisation de cette terminologie de « responsabilités locales » répond à des objectifs peu louables. Bien sûr, on ne pourrait que se féliciter que les élus rendent mieux compte à leurs électeurs des décisions qu'ils prennent et des politiques qu'ils suivent.

M. Michel Piron. Ah !

M. André Chassaigne. Plus la responsabilité politique des élus est facilement mise en jeu, plus le fonctionnement démocratique des institutions s'affermit. C'est une évidence.

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. C'est bien de le dire !

M. André Chassaigne. Mais, avec ce projet, vous cherchez à ce que les élus locaux rendent compte à leurs électeurs de décisions pour lesquelles ils ne sont pas responsables. Les collectivités territoriales ne seront pas responsables des hausses d'impôts locaux consécutives à ces transferts de compétences imposés. Elles ne seront pas responsables du mauvais état des routes, dû au fait que l'Etat a systématiquement rogné les crédits d'entretien du réseau routier depuis vingt ans et a ainsi laissé se détériorer les équipements routiers. Elles ne seront pas responsables de la généralisation, via le RMA, de la précarité au travail et de l'institution d'un travail quasi forcé, en vertu de règles définies par votre seul gouvernement.

Ce n'est évidemment pas en transformant les collectivités territoriales en guichets ou bureaux de bienfaisance que l'on affermira le sens des responsabilités des élus et le principe de libre administration. Ni la simple gestion des pénuries, entretenues par les politiques budgétaires de l'Etat, ni la simple exécution des mesures prises par ce même Etat, ne pourront conforter l'autonomie de gestion des collectivités territoriales. On voit bien là l'ineptie de ce projet de loi.

La compression des dépenses publiques est évidemment votre principal dessein. Par la mise en concurrence des territoires, vous cherchez - vous ne vous en cachez pas, d'ailleurs - à pousser les collectivités territoriales à réduire leurs interventions publiques, sous prétexte de diminuer la pression fiscale reposant sur les ménages et, surtout, sur vos très chères entreprises. Cette logique est terriblement contre productive.

D'abord, parce que tous les citoyens devraient alors supporter la dégradation de la qualité des services publics et que les entreprises devraient, elles, supporter une dégradation de la qualité de leur environnement, ce qui réduirait inévitablement, à moyen terme, l'attractivité des territoires.

Ensuite, parce qu'il est désolant de considérer que, pour vous, le seul moteur au développement qui existe soit la concurrence, la rivalité, l'instinct de survie. Toujours le renard libre dans le poulailler libre.

M. Michel Piron. Mais il a perdu sa queue, tout à l'heure ! (Rires.)

M. André Chassaigne. N'allez pas déflorer par ce type de remarque une expression qui est soit de Jaurès, soit de Marx, je ne sais plus.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Oh non, nous n'allons rien déflorer !

M. André Chassaigne. Les députés communistes et républicains sont quant à eux persuadés que nous progresserons plus facilement en renforçant la solidarité nationale et la coopération entre les hommes et les collectivités territoriales. Enfin, parce qu'il est profondément absurde de fonder toute notre politique économique sur l'amélioration des conditions d'accueil des entreprises, sous prétexte qu'un quelconque messie, un investisseur étranger, pourrait, un jour peut-être, arriver dans une région et créer des centaines d'emplois. Cette éventualité est suffisamment lointaine pour qu'on ne lui sacrifie pas tous nos services publics et tous les instruments de solidarité créés dans une région.

Mais vous avez préféré mettre à disposition des entreprises et de leurs intérêts les institutions de la République. Vous avez préféré faire de l'Etat comme des collectivités territoriales de simples serviteurs de leurs intérêts.

Voilà pourquoi votre décentralisation ne cherche à répondre qu'à la marge aux revendications démocratiques exprimées par beaucoup de nos concitoyens ; de plus en plus sont désireux d'être partie prenante des choix politiques et de décider directement de l'avenir des territoires dans lesquels ils vivent. Mais la participation directe des citoyens aux affaires politiques locales ou l'institution d'un droit de pétition réel ne vous intéressent pas. Le nouveau référendum local n'est pour vous qu'un simple voile,...

M. Michel Piron. Attention, le voile, c'est un sujet délicat !

M. André Chassaigne. ...censé concrétiser ce discours sur la proximité. Vos motivations réelles ont une autre ambition : adapter les interventions de l'Etat aux mutations du capitalisme. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Claude Beaulieu. Belle citation !

M. André Chassaigne. Je m'explique.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Oui, expliquez-nous !

M. André Chassaigne. Nous sortons d'une période historique où chaque nation pouvait fonctionner de manière économiquement...

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. Au fait, où en est-on de la paupérisation des masses de banlieue ?

M. André Chassaigne. Si vous ne me suivez pas, vous ne comprendrez pas mon explication. Pour une fois que vous avez l'occasion de comprendre les causes profondes de votre politique, saisissez-la.

Nous sortons, disais-je, d'une période historique où chaque nation pouvait fonctionner de manière économiquement autonome autour de son Etat et de son territoire. La combinaison du pouvoir de l'Etat et des grandes entreprises permettait d'assurer une régulation globale du système politique et économique.

M. Daniel Paul. C'est ce qu'on appelait le capitalisme monopolistique d'Etat.

M. André Chassaigne. Très bien ! Vous avez bien retenu vos derniers cours de l'école fédérale !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Il pourra revenir la semaine prochaine !

M. André Chassaigne. Mais ces structures économiques ont été bouleversées par la financiarisation de l'économie,...

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. Diantre !

M. André Chassaigne. ...que symbolisent le pouvoir acquis par les fonds de pension dans la gestion des entreprises et leurs exigences de rentabilité à deux chiffres. Les populations...Mais vous voulez peut-être que je répète ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. En ce qui me concerne, j'ai compris.

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. Moi, je m'accroche, mais c'est compliqué !

M. le ministre délégué aux libertés locales. C'est dur pour nous, monsieur Chassaigne ! Vous comprenez, nous ne sommes pas le parti de l'intelligence, alors on a du mal !

M. André Chassaigne. L'essentiel, c'est qu'à cette heure-ci, vous ne soyez pas non plus le parti du sommeil.

Les populations, disais-je, en subissent les conséquences : licenciements, fermetures d'usines et éclatement des solidarités entre les travailleurs. Votre projet de décentralisation consiste, dans ce cadre, ni plus ni moins qu'à redéfinir en profondeur les modes d'intervention et les missions de l'Etat, pour achever son adaptation à cette économie globalisée et financiarisée. L'Etat n'a plus à assumer la régulation du système, et notamment à soutenir la demande par l'augmentation du pouvoir d'achat. Il n'a qu'à superviser le bon fonctionnement de marchés financiers globalisés et à gérer les contraintes mondiales engendrées par ces mutations économiques.

M. Daniel Paul. Quand il le peut !

M. André Chassaigne. Bref, vous nous proposez que l'Etat, et nos institutions politiques en général, effectuent, non pas seulement un geste supplémentaire de soumission devant les diktats des marchés financiers - on n'est malheureusement que trop habitué à cela - mais, plus grave encore, s'ôtent d'eux-mêmes toute possibilité d'intervention future dans ces affaires économiques. Vous nous demandez simplement de prendre acte du désarmement unilatéral de l'Etat face aux marchés financiers pour laisser les pouvoirs publics simplement accompagner le « bon » fonctionnement du système.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Tout ça dans notre loi ?

M. André Chassaigne. Vous savez, il suffit d'écouter les réponses que nous fait Francis Mer chaque semaine lors des questions d'actualité : il fait exactement la démonstration de ce que je suis en train de dire. Il s'agit de supprimer toute intervention publique dans le domaine de l'économie. Ne faites donc pas semblant de le découvrir, ou de ne pas comprendre mes explications. Je ne fais qu'expliciter les propos que tient régulièrement votre ministre de l'économie.

M. Michel Piron. C'est Francis Mer revu par Althusser, quand même !

M. André Chassaigne. Vous demandez à la représentation nationale de renoncer à la possibilité même du volontarisme en politique dans le domaine économique. Vous nous demandez donc de préparer des dizaines de nouvelles affaires Michelin, Lu ou Metaleurop, où l'Etat s'est plutôt fait remarquer par ses interventions à la Ponce Pilate.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Au fait, qui était au pouvoir à l'époque de l'affaire Michelin ?

M. André Chassaigne. Oh, cela ne me pose absolument aucun problème de mettre en cause les propos qui ont pu être tenus par le Premier ministre du gouvernement de l'époque sur Michelin, lorsqu'il disait qu'il ne pouvait rien faire.

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. Comment s'appelait-il, ce Premier ministre ?

M. le ministre délégué aux libertés locales. Ponce Pilate.

M. André Chassaigne. La politique que vous préconisez se fera évidemment sans le soutien des députés communistes et républicains.

C'est bien là que se situe le cœur même de votre projet de décentralisation. C'est bien ce qui explique son adéquation avec tous les projets de constitution d'une Europe fédérale. Comme si cette décentralisation était la déclinaison nationale du projet de construction d'une Europe libérale des régions, soumise corps et biens aux lois du marché.

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. Une Europe libérale qui n'est elle-même qu'un compartiment dans un monde globalisé capitalistique. C'est bien cela ?

M. Daniel Paul. Vous progressez, monsieur Hénart !

M. André Chassaigne. Oui, je crois que vous n'aurez pas besoin de cours du soir.

Le partage des tâches est déjà défini entre les régions et les institutions européennes. Il restait à en parachever l'articulation : les institutions européennes capteront l'essentiel du pouvoir politique et économique ; les régions constitueront quant à elles le lieu d'enracinement et de gestion de ces politiques européennes. Elles n'auront évidemment aucun pouvoir sur les questions essentielles. Leur fonction consistera plutôt à construire, ou reconstruire, des identités culturelles factices. On sait bien que le retour à la mode des cultures régionales et traditionnelles n'est pas anodin. Ce régionalisme a en effet le double avantage d'être compatible avec le fonctionnement de l'économie néo-libérale et de constituer un dernier mode de socialisation de populations désorientées par la destruction de modes de solidarité créés par la République. Je pense évidemment aux services publics, à la sécurité sociale, aux syndicats, ou encore à l'identité nationale.

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. Mais l'Auvergne, ça existe, quand même !

M. André Chassaigne. Notre opposition à ce texte n'est en aucun cas le résultat d'une quelconque tentation jacobine ou étatiste.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Ah, c'est bien, ça !

M. André Chassaigne. Nous ne cherchons pas davantage à idéaliser une République qui n'a jamais concrétisé les idéaux qu'elle proclamait. Ce n'est donc pas par nostalgie étatiste que nous nous opposons à cette décentralisation. Nous avons d'ailleurs été parmi les premiers, dès les années soixante-dix, à revendiquer une décentralisation de nos institutions, certes sans lien avec le projet que vous nous présentez : rappelons qu'en 1977 le groupe communiste de l'Assemblée nationale avait déposé une proposition de loi « portant création d'un pouvoir régional dans la perspective d'un socialisme démocratique et autogestionnaire pour la France ». (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Ah oui ! C'était le modèle albanais !

M. André Chassaigne. Nous ne nous opposons donc pas au dépérissement de l'Etat en soi. Ce n'est pas une affirmation de circonstance. Nous restons dans le droit fil de la pensée philosophique qui nous anime - mais je ne vais pas vous faire une leçon de communisme.

M. Daniel Paul. S'ils le veulent, pourquoi pas ?

M. le ministre délégué aux libertés locales. Tout cela est beau comme le musée du Louvre !

M. André Chassaigne. Nous rejetons simplement, avec force et détermination, un projet qui cherche à disjoindre les lieux de vie démocratiques des espaces de détermination des politiques sociales et économiques.

L'Etat a été un lieu où des gouvernements, démocratiquement élus, avaient le pouvoir effectif de définir à la fois les orientations sociales et économiques de la nation.

M. Bernard Accoyer. Bien sûr, on s'en souvient ! D'ailleurs, ces gouvernements siégeaient à Moscou !

M. André Chassaigne. C'est pour cette raison, parce qu'il rendait possible une intervention, même très parcellaire, des citoyens dans les affaires économiques, que nous n'acceptons pas son démantèlement. Ce n'est pas par hasard que les Français ont pu arracher, notamment après la guerre, tous les droits économiques et sociaux que vous remettez en cause aujourd'hui.

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis. Nous ne les remettons pas en cause : nous les détruisons !

M. André Chassaigne. En effet, aucune collectivité territoriale n'aura, bien qu'élue au suffrage universel, le pouvoir, financier ou juridique, d'affronter une multinationale. La décentralisation cherche ainsi clairement à organiser l'impuissance politique des institutions élues au suffrage universel pour mieux contourner les conséquences du suffrage universel.

Les vraies décisions, déterminantes pour l'avenir des Français comme de tous les autres Européens, seront prises dans des institutions où le contrôle démocratique est soit nul, je pense à la Banque centrale européenne, soit suffisamment faible pour qu'il ne puisse pas être préjudiciable aux intérêts des multinationales, et là je Pense évidemment aux autres institutions européennes.

C'est donc parce que votre projet cherche avant tout à disjoindre les lieux de pouvoir effectifs des lieux d'expression démocratique que nous le rejetons avec fermeté. Il est inacceptable de contourner de cette façon le suffrage universel.

Les députés communistes et républicains portent des conceptions radicalement différentes de ce que devrait être la décentralisation.

M. Alain Gest. Ça, c'est exact !

M. Bernard Accoyer. En effet, vous êtes un peu centralisateurs !

M. André Chassaigne. Rassurez-vous, mes chers collègues, j'attaque la deuxième partie de mon intervention, mais elle est courte.

Notre ambition consiste d'abord à encourager la démocratisation de la vie publique locale et nationale. Les communes, les départements et les régions disposent déjà de compétences nombreuses. Notre objectif doit donc prioritairement consister à créer les conditions pour que les citoyens participent directement aux décisions locales et pour que l'on rompe avec la logique délégataire, si démobilisatrice. Les citoyens doivent pouvoir être des acteurs directs des processus décisionnels au sein des collectivités territoriales.

Notre ambition est aussi d'encourager les partenariats entre l'Etat et les collectivités territoriales, notamment les conseils régionaux et les conseils généraux, pour l'aménagement d'espaces communs comme le Massif central. La concurrence entre territoires, nécessairement destructrice, ne doit pas fonder les relations entre les collectivités territoriales.

Surtout, nous devons chercher à démocratiser la vie économique, dans nos territoires comme au niveau des centres de décision. Elus, citoyens, salariés bien sûr, doivent participer aux choix stratégiques effectués, sur un bassin d'emploi,...

M. Bernard Accoyer. Ah non ! Pas vous !

M. André Chassaigne. ... par les entreprises, en liaison avec une politique d'anticipation des mutations technologiques et de valorisation des filières économiques d'avenir !

M. Daniel Paul. Eh oui !

M. André Chassaigne. Les choix d'investissement doivent aussi être la résultante des exigences formulées par les citoyens sur un territoire. Une entreprise a d'autant plus de chances de se consolider que son projet est aussi porté par les élus locaux, les salariés et les citoyens. Cette exigence pose évidemment la question des critères d'apport d'aides publiques, du contrôle de ces aides et de la maîtrise publique et locale des institutions de crédit. Ce préalable est incontournable pour favoriser la réorientation de notre économie en faveur de l'emploi, de la formation et des salaires.

Dans cette perspective, notre ambition est de trouver, au niveau de l'Etat comme des collectivités territoriales, une forme politique permettant au peuple souverain d'investir aussi le champ décisif des affaires économiques pour ne plus l'abandonner aux seuls capitalistes. C'est ce qu'aurait pu réaliser la Commune de Paris, en son temps, si on l'avait laissée vivre. Si nous étions vraiment tous animés du réel souci de rapprocher le pouvoir des citoyens, nous chercherions à concevoir « une forme politique qui permette de réaliser l'émancipation économique du travail ». Cette belle expression est tirée de l'ouvrage de Karl Marx La guerre civile en France. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Alain Gest. C'est sa soirée !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Il fait encore référence !

M. Jean Lassalle. Plus que jamais !

M. André Chassaigne. Je savais que le simple nom de Karl Marx allait vous réveiller, car vous vous étiez assoupi, monsieur Lassalle !

M. Jean Lassalle. Non !

M. le ministre délégué aux libertés locales. Nous sommes contents de passer de Lénine à Marx !

M. André Chassaigne. Si notre conception de la décentralisation s'inspire de la Commune de Paris, la vôtre marque un étonnant retour historique de plus de 350 ans aux motivations premières de la Fronde.

M. Michel Piron. C'est intéressant !

M. André Chassaigne. Ce sont là deux projets parfaitement inconciliables. Le caractère réactionnaire de ce projet de loi ne fait en effet guère de doute. On distingue clairement derrière vos arguments une volonté de retrouver des équilibres brisés lors de la Révolution et de l'avènement du principe de souveraineté populaire. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Accoyer. Monsieur le président, il a trop parlé ! Il ne sait plus ce qu'il dit !

M. André Chassaigne. C'est parce que nous rejetons un projet terriblement réactionnaire et indigne de la République que nous vous invitons à voter cette motion de procédure. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Si vous acceptiez de renvoyer ce texte en commission, nous pourrions nous attendre à de longues heures de travail et de débat. Mais dois-je m'attendre de votre part à une telle révolution culturelle, seule à la hauteur des enjeux ?

M. Daniel Paul. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Après la défense et illustration de la décentralisation par M. Balligand, hier soir, voici, ce soir, la péroraison sur la décentralisation de M. Chassaigne. Nous comprenons mieux pourquoi la gauche plurielle, à force de faire le grand écart, est finalement restée clouée au sol.

Je reprendrai rapidement les quelques arguments qu'a donnés M. Chassaigne pour tenter de justifier le renvoi en commission.

Il n'y aurait pas eu de concertation. Comparez les assises des libertés locales, monsieur Chassaigne,...

M. Daniel Paul. C'est la tarte à la crème !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. ... à la méthode à la hussarde de 1982 !

Les communes seraient oubliées. Monsieur Chassaigne, lisez l'article 99 du projet de loi et vous verrez que les communes sont au contraire au cœur de la décentralisation. Elles peuvent être associées à toutes les collectivités territoriales.

Il n'y aurait plus d'aménagement du territoire en France ? Monsieur Chassaigne, vous qui avez cité une expression de M. Bocquet, dans mon bon pays du Nord, on dit « Grand diseux, p'tit faiseux. » M. Gayssot nous a beaucoup parlé du canal Seine-Nord, mais c'est dans le CIADT du mois de décembre qu'il figure !

M. Daniel Paul. Ne vous engagez pas là-dessus !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. M. Gayssot nous a parlé du canal Seine-Nord, mais il ne l'a pas engagé !

M. Daniel Paul. On verra ce que cela donnera en 2 012 !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Nous sommes d'accord ! En tout cas, il figure dans un CIADT, ce que n'a jamais obtenu M. Gayssot !

On ressusciterait le droit d'octroi ? Nous vous démontrerons, lorsque nous aborderons l'article 14, qu'il sera strictement limité aux voies nouvelles et que cela passera par un décret en Conseil d'Etat.

Le logement et la mixité sociale seraient en crise. Au gouvernement avec les élus socialistes, vous en construisiez en moyenne 50 000 par an. En 2003, c'est incontestable, les chiffres sont officiels, on en a construit 56 000 !

M. Daniel Paul. Ecoutez plutôt l'abbé Pierre !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Vous verrez qu'en 2004 on en créera 80 000 !

Mme Jambu a parlé des aides à la pierre : 1,5 milliard d'euros cette année pour les aides à la pierre ne représente pas un transfert négligeable !

La décentralisation renforcerait les inégalités. Mais quand Mme Aubry était ministre de la santé, ma bonne région du Nord-Pas-de-Calais enregistrait les chiffres les plus faibles en matière de dépenses de santé de l'Etat par rapport à d'autres régions éminemment plus riches !

M. Augustin Bonrepaux. Ce n'est pas vrai ! Justement, elle a corrigé ces inégalités, qui ont reculé ! Vous n'avez rien démontré !

M. le président. Monsieur Bonrepaux, vous parlez dans le vide !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Je m'appuie sur des chiffres !

M. Daniel Paul. Et aujourd'hui, cela donne quoi ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. En tout cas, l'inégalité est démontée !

Nous avons également fait la démonstration concernant les finances. A propos de la loi organique et de la Constitution, nous reviendrons sans doute demain matin sur toutes les garanties qui existent aujourd'hui et qui n'existaient pas en 1982 ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

La décentralisation entraînerait une dégradation du service rendu. Les lycées et les collèges de type Pailleron de 1982 n'existent plus aujourd'hui. La dépense sociale s'est considérablement accrue en faveur des personnes les plus démunies et des handicapés grâce à la décentralisation. Vous ne pouvez pas parler de dégradation du service rendu !

Quant à la taxe professionnelle, vous démontrez vous-mêmes qu'il y a urgence à la réformer tellement elle est injuste ! Donc l'intuition du Président de la République était bonne ! L'étude de M. Delors faisant apparaître l'existence de 1,5 million d'enfants pauvres - vous avez parlé de 2 millions - date de 1999 ! C'est donc le résultat de vingt ans de politiques socialistes et d'assistanat !

M. Daniel Paul. Vous y avez participé !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Cela prouve bien qu'il faut rompre avec cette politique !

Vous nous faites, monsieur Chassaigne, l'apologie d'un système révolu, qui n'a plus cours dans tous les pays du monde et qui a fait la preuve de son inefficacité !

« Une organisation meurt quand au sommet on ne veut plus et qu'à la base on ne peut plus. » C'est du Lénine ! Je m'abstiendrai, à cette heure avancée, de la citer en russe ! Il est donc urgent de nous mettre au travail.

Je vous demande par conséquent, mes chers collègues, de repousser cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Alain Gest.

M. Alain Gest. Vous avez débuté votre propos, monsieur Chassaigne, en évoquant « une célérité troublante ».

Je serai d'autant plus bref que les arguments que je souhaitais évoquer viennent d'être excellemment développés par notre rapporteur.

J'ai noté tant de contradictions dans vos propos qu'il me faudrait beaucoup de temps pour vous répondre. Je me contenterai d'en soulever deux. Vous déplorez, comme d'habitude, les aides économiques et, donc, la possibilité renforcée pour les régions d'intervenir, notamment dans le cadre des emplois peu qualifiés. Nous sommes très heureux que les régions puissent aider les personnes à la recherche d'emplois peu qualifiés. Il n'y a là rien d'infamant !

Vous avez également indiqué qu'il fallait privilégier le renforcement de la formation professionnelle. De nombreux intervenants ont effectivement constaté que la confusion régnait dans ce domaine. Cela nécessitait un réel changement. En en confiant la maîtrise aux régions, ce projet de loi lui donnera une nouvelle impulsion.

Vous voulez tout et son contraire. La vérité est très simple. Vous ne pouvez que constater que cette loi donne une réponse au besoin de proximité dont vous critiquez tellement l'absence de prise en compte ! La proximité, j'en conviens avec vous, s'est raréfiée pour les membres de votre formation politique. Je comprends donc que vous rencontriez quelques difficultés à l'assimiler aujourd'hui !

En vérité, vous êtes profondément hostiles à la décentralisation. C'est pourquoi vous avez déposé cette motion de renvoi en commission. Mais ce n'est pas un motif suffisant pour retarder les débats. Il est pour nous urgent d'examiner ce projet de loi.

C'est la raison pour laquelle le groupe UMP votera contre votre demande de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Augustin Bonrepaux.

M. Augustin Bonrepaux. Cette demande de renvoi en commission est tout à fait justifiée pour plusieurs raisons que je m'efforcerai de démontrer. M. Chassaigne n'a effectivement pas abordé l'ensemble des questions. La réponse de M. Daubresse prouve également que nous devons réexaminer ce texte en commission. Pourquoi ? D'abord, il faut dissiper le flou qui entoure les dispositions de la Constitution sur la part déterminante des ressources propres.

Votre projet de loi organique, monsieur le ministre, ne nous éclaire pas davantage. A l'article 2, par exemple, la compensation pour allégement de la taxe professionnelle est contraire à l'esprit de la Constitution, puisqu'elle n'est pas une ressource propre. Vous avez beau nous expliquer que vous faites une compensation, ce n'est pas une ressource propre ! Il me semble qu'il serait normal de pouvoir en discuter en commission.

De plus, monsieur le ministre, vous réformez la Constitution pour introduire une part déterminante. C'est une nouveauté. Pour expliquer ce qu'est cette « part déterminante », vous reprenez les termes de l'ancienne Constitution ! N'est-ce pas de la manipulation ? Si vous ne parvenez pas à mieux le préciser, nous resterons toujours dans le flou. C'est ce qui explique que vous n'osiez pas présenter la loi organique avant le débat sur la décentralisation. Cette réflexion justifie à elle seule le renvoi de ce texte en commission.

Je vous ai demandé à plusieurs reprises, monsieur le ministre, de prouver que le produit de la TIPP était une ressource évolutive. Vous l'affirmez, mais avec quels arguments ? Il serait donc normal de renvoyer ce texte en commission, ne serait-ce que pour relire les rapports de Mme Boutin, de M. Carrez et de M. Lambert qui montrent que la consommation de carburants diminue. Ce n'est pas moi qui l'invente, c'est M. Carrez qui l'affirme ! Ces rapports sont éloquents !

Vous dites, monsieur le ministre, que c'est une ressource évolutive, mais vous ne prouvez rien. Et, dans votre rapport, monsieur le rapporteur, rien ne le prouve non plus.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Si !

M. Augustin Bonrepaux. Pardonnez-moi, mais j'ai lu votre rapport !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Un amendement le garantit.

M. Augustin Bonrepaux. Nous verrons le moment venu mais, pour l'heure, vous ne donnez aucune explication.

Vous nous affirmez que le transfert du RMI ne provoquera pas d'augmentation des impôts locaux. Mais encore faudrait-il le prouver ! Or je vous ai démontré le contraire : cela entraînera une hausse de 2 à 3 %. Et je pense qu'une discussion pourrait effectivement faire apparaître que la simple progression du RMI de 1,5 % au 1er janvier entraînera tout de même un surcroît de charges non compensé. A moins que vous ne nous appreniez qu'il sera compensé ? Mais, chaque fois que sont abordées des questions de fond, vous vous réfugiez dans des généralités.

Enfin, vous parlez de péréquation, mais encore faudrait-il examiner les conséquences de la régression de la péréquation. Il ne suffit pas d'inscrire le principe dans la Constitution, encore faut-il l'appliquer. Le taux que vous annoncez - 3,27 % de progression - est faux. Pourquoi ? Parce que, pour la première fois depuis que je siège au Comité des finances locales, la dotation a été gonflée artificiellement, cela a été reconnu.

M. Richard Mallié. C'est vous qui êtes gonflé !

M. le président. Donc ?

M. Augustin Bonrepaux. Le taux annoncé ne correspond donc pas à la réalité. Cela relève tout de même de votre responsabilité, monsieur le ministre !

Enfin, monsieur le président,...

M. le président. Ah !

M. Augustin Bonrepaux. ...à propos de l'aménagement du territoire - c'est très important -, j'ai entendu M. le ministre nous expliquer que la décentralisation conférerait davantage de moyens aux régions. Mais alors, pourquoi le Gouvernement vient-il prélever les crédits européens en faveur des politiques territoriales pour les attribuer directement depuis le ministère ? Est-ce cela la décentralisation ? Est-ce priver les zones rurales de ces moyens ?

M. le président. Donc ?

M. Richard Mallié. On ne sait toujours pas ce qu'ils vont voter !

M. Augustin Bonrepaux. Je conclus sur un exemple.

M. le président. Ah non ! Vous avez dépassé votre temps de parole et nous attendons de connaître la position du groupe socialiste.

M. Augustin Bonrepaux. Deux chiffres, monsieur le président : sur 339 millions attribués par l'Europe à la région Midi-Pyrénées, le Gouvernement en prélève 112, le tiers, et il ne restera plus, jusqu'en 2006, que la moitié des crédits pour financer les projets de la région, en particulier, malheureusement, ceux de l'Ariège !

M. Pierre-André Périssol. Comment les socialistes vont-ils voter, alors ?

M. Augustin Bonrepaux. Nous attendons une réponse. Le Gouvernement doit s'engager à restituer le butin de ce hold-up sur les programmes. J'estime d'ailleurs, mes chers collègues,...

M. le président. Non, ne relancez pas le débat !

M. Augustin Bonrepaux. ...que vous devriez vérifier ce qu'il en est dans chacune de vos régions, car j'ai de bonnes raisons de penser...

M. Alain Gest. Franchement, il est trop tard pour penser !

M. Augustin Bonrepaux. ...que c'est la même chose un peu partout ! En commission des finances, nous demandons depuis longtemps une mission de contrôle, mais on nous la refuse, car il y a certainement des choses à cacher ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Richard Mallié. Pour vivre heureux, vivons cachés !

M. Augustin Bonrepaux. Peut-être pourrez-vous nous répondre demain matin, monsieur le ministre. En tout cas, dans le débat sur les crédits européens, nous ne manquerons pas de reposer ces questions, et il faudra bien que vous expliquiez s'il s'agit réellement de décentralisation ou si au contraire vous confisquez les crédits aux collectivités locales.

M. Richard Mallié. Et vous, vous confisquez la parole !

M. Augustin Bonrepaux. Tous ces points, monsieur le président, pourraient être débattus en commission, de façon à ce que nous obtenions un peu plus d'informations. Je vais notamment m'efforcer de réclamer encore, demain matin, en commission des finances, la création de cette mission d'information, car il faut quand même que nous parvenions à savoir si ce gouvernement a la volonté de mener une politique d'aménagement du territoire. Pour l'instant, nous pouvons dire qu'il n'y a plus de solidarité nationale.

M. Michel Piron. C'est du Proust ! Chaque phrase fait une page !

M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle, qui sera aussi bref que possible.

M. Jean Lassalle. Vous ne serez pas déçu, je pense, monsieur le président. Après le formidable one man show d'André Chassaigne, le moment est venu, me semble-t-il, d'étudier les articles un par un, car beaucoup d'amendements nous attendent. C'est pourquoi le groupe UDF ne votera pas la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Alain Gest. Très bien ! C'est clair !

M. le président. Le moment est venu, mais l'heure n'est pas encore arrivée.

La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Je commencerai par répondre à M. Daubresse, qui est revenu sur la question des 1,5 ou 2 millions d'enfants pauvres. Il y a quelques mois, la canicule entraînait le décès de 15 000 personnes. Que la quatrième ou cinquième puissance économique du monde, notre pays, soit capable de connaître de telles catastrophes,...

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. C'est triste, très triste.

M. Daniel Paul. ...quel que soit le Gouvernement en place, quels que soient les responsables en place - j'insiste sur ce point -, c'est une condamnation de la société dans laquelle nous vivons et du type de rapports qui s'y est établi. Je constate avec effarement que, dans toutes nos villes, les plus pauvres mais même les plus prospères, vivent sans doute, autour de nous, des enfants qui sont victimes de cette pauvreté et crèvent de faim, de misère.

M. le ministre délégué aux libertés locales. Et dans les pays de l'Est, qui ont été dirigés par vos amis ?

M. Daniel Paul. Et l'on s'étonne ensuite que ces jeunes, ces enfants, crient leur colère et sortent parfois des rails. C'est vrai, mais comment ne pas les comprendre ?

J'ai suivi, comme vous tous, évidemment, l'excellente analyse de notre collègue Chassaigne sur ce texte censé être « relatif aux responsabilités locales », mais qui est plutôt « relatif à la réduction du rôle de l'Etat », car il s'agit bien de cela. La différence n'est pas mince. En affaiblissant le « régalien », comme on dit, sans que les collectivités locales aient la capacité de faire face à leurs nouvelles responsabilités, sans qu'elles soient réellement assurées de la pérennité des moyens dont on dit qu'ils vont être transférés, on ouvre la voie à une situation extrêmement dangereuse. Je prendrai un seul exemple, pour répondre au souci de concision du président.

Hier après-midi, répondant à notre collègue Charasse, Mme la ministre déléguée à l'industrie a décrit les interventions de l'Etat dans le bassin sinistré de Vichy. Elle a détaillé, avec exactitude, les actions que l'Etat a pu engager, lesquelles, sans doute, ne répondent pas aux enjeux des délocalisations ni à la détresse des salariés, mais, je le reconnais, soulagent certainement la peine des personnes menacées dans leur emploi, menacées dans leur avenir. Constatons simplement que, si j'ai bien compris, la région concernée a très peu été en mesure d'intervenir. Constatons encore que, demain, le transfert à la région des compétences économiques donnera une immense liberté aux entreprises, à ces patrons voyous - ils ne le sont pas tous, mais il y en a - qui cherchent à obtenir des aides financières sans contrepartie et à peser sur les choix des élus locaux.

En fait, de ce texte jaillira l'impuissance publique, dans le domaine économique mais aussi dans d'autres domaines, loin de ce que nous souhaitons, quant à nous, en matière de démocratie.

M. Accoyer, qui est parti, souriait, tout à l'heure, lorsque André Chassaigne parlait de démocratie. Oui, il est nécessaire que, dans les entreprises, les patrons ne soient plus les seuls à décider, que les salariés et les élus locaux aient aussi la parole, pour éviter d'en arriver aux drames que nous subissons, dont sont victimes en premier lieu les salariés, mais également les responsables des territoires concernés.

Ce texte satisfera sans doute le MEDEF. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Cela faisait longtemps !

M. Daniel Paul. Raison de plus, pour nous, de demander, compte tenu des enjeux qu'il sous-tend, qu'il reparte dans les commissions et soit réexaminé. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SEANCES

M. le président. Aujourd'hui, à neuf heures quarante-cinq, première séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, n° 1218, relatif aux responsabilités locales :

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 1435) ;

M. Dominique Tian, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (avis n° 1434) ;

M. Serge Poignant, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire (avis n° 1423) ;

M. Laurent Hénart, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (avis n° 1432).

A quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

A vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à une heure quarante.)

      Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

      jean pinchot