Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus intégraux (session ordinaire 2003-2004)

 

Première séance du mercredi 16 juin 2004

258e séance de la session ordinaire 2003-2004



PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

    1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe socialiste.

RÉFORME DE L'ASSURANCE MALADIE

M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson.

Mme Catherine Génisson. Monsieur le ministre de la santé et de la protection sociale, ce matin, en conseil des ministres, vous avez présenté votre projet de réforme de l'assurance maladie. Il ne garantit ni l'avenir de notre système de santé, ni l'égalité d'accès à des soins de qualité. Au contraire, il est placé sous le signe de l'injustice et de l'inégalité. Il ne permettra pas non plus de combler les déficits que vous avez creusés (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) alors que les comptes de la sécurité sociale étaient en excédent en 1999 (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), en 2000 et 2001 !

Vous avez choisi de sanctionner les seuls assurés sociaux. Avec la franchise d'un euro sur les consultations et la nouvelle augmentation du forfait hospitalier, vous faites le choix du déremboursement ; avec l'augmentation de la CSG pour les retraités et pour les salariés, celui de la hausse des prélèvements ; avec la prolongation de la CRDS, celui de reporter la dette sociale passée et à venir sur les générations futures !

Nous sommes loin de la solidarité nationale et de la responsabilisation.

Les entreprises, quant à elles, contribuent de façon symbolique au financement de votre projet.

Les professionnels de santé ne sont pas incités à s'inscrire dans une démarche de qualité et de prévention. Au contraire, vous autorisez les spécialistes à des dépassements d'honoraires lorsqu'un patient ne sera pas passé par un médecin traitant. Au lieu d'inciter les patients à respecter les bonnes pratiques, vous les sanctionnez une fois de plus.

Votre projet ne contient aucune mesure pour moderniser notre système de santé, pour garantir à chacun le droit à la santé, sur notre territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Vous voulez imposer, en quelques semaines, à la va-vite, pendant l'été, des mesures déséquilibrées et inquiétantes.

Ma question est simple (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) : quand allez-vous, enfin, cesser de tromper les Français (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et de leur faire croire que vous sauvez la sécurité sociale, quand vous ne faites que les pénaliser toujours un peu plus ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Xavier Bertrand, secrétaire d'État à l'assurance maladie. Madame la députée, deux possibilités : soit vous n'avez pas lu le projet de loi, soit vous faites preuve de mauvaise foi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Les deux !

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. En effet, il n'y a rien dans ce projet de loi qui corresponde à ce que vous venez de dire !

Vous prétendez qu'il ne prépare pas l'avenir. C'est tout le contraire ! C'est parce que nous prenons, aujourd'hui, nos responsabilités que, demain, le système de sécurité sociale à la française sera préservé.

Je serais aussi tenté de vous dire, madame Génisson : pas vous, pas ça ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous nous reprochez de repousser l'échéance de la CRDS, mais c'est bien le gouvernement de Lionel Jospin qui a repoussé de 2008 à 2014 le remboursement de la dette de la sécurité sociale ! Il faut le rappeler. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Quand on pose des questions, il faut bien s'attendre à ce qu'on y réponde !

Il est vrai que, à l'époque, il y avait la croissance. Mais qu'avez-vous fait alors ? Si vous aviez eu du courage politique, vous auriez pris les mesures qui s'imposaient à un moment où cela aurait été plus facile.

M. Julien Dray. Un million d'emplois ! Voilà ce que nous avons fait ! C'est tout de même quelque chose !

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. Ce que vous prétendez, vous et d'autres dans cette assemblée, à savoir que cette réforme est inefficace, ce n'est pas une erreur, c'est une faute politique (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), pour la bonne raison que vous ne proposez rien ! (« Rien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Il existe, paraît-il, un projet socialiste pour la sécurité sociale : il serait temps qu'il arrive devant les Français !

Madame la députée, l'enjeu de cette réforme de l'assurance maladie, c'est de faire évoluer les comportements. Si le parti socialiste modifiait le sien en la matière et si vous pouviez laisser de côté, dans un tel débat, caricature et irresponsabilité (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), nous progresserions vers plus de sérénité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. Vous n'avez obtenu que 16 % aux européennes !

LUTTE CONTRE LA POLLUTION

M. le président. La parole est à M. Claude Leteurtre, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Claude Leteurtre. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

Monsieur le ministre, avec les transports dont vous avez la responsabilité, vous êtes le premier pollueur de France. Vous le savez, le réchauffement climatique fait courir un très grave danger à notre planète, non pas dans deux cents ans mais bien plus probablement dans vingt ou trente ans. La canicule de 2003, même si elle reste un phénomène exceptionnel, en a constitué un bien triste exemple.

Or les transports sont la première source de gaz à effet de serre. Plus d'un quart du gaz carbonique que nous émettons en est directement issu. On le voit dans nos villes : la pollution par les transports est un fléau quotidien qui frappe tous nos concitoyens, en particulier les plus fragiles d'entre eux comme les enfants, les personnes âgées ou les insuffisants respiratoires.

Vous avez décidé, pendant cette semaine du développement durable, de rouler en voiture propre, et nous vous en félicitons. (Sourires.)

Un député du groupe socialiste. À vélo, de Robien !

M. Claude Leteurtre. Mais au-delà de ce geste symbolique, que faites-vous, concrètement, en tant que ministre des transports, pour lutter contre la pollution et le changement climatique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. Monsieur le député, il y a trop de gens qui considèrent aujourd'hui que le réchauffement climatique n'est pas une réalité. Or, nous le savons, il a commencé et, demain après-midi, avec Météo France, nous allons clairement le démontrer.

Il faut donc prendre des mesures et, à l'appel du Président de la République, autour de Serge Lepeltier, nous le ferons.

Voici ce que nous prévoyons dans le domaine des transports.

Les décisions qui ont déjà été prises au cours du CIADT du 18 décembre montrent clairement que, pour la première fois, la majorité des infrastructures de transports est dédiée aux transports propres.

M. Henri Emmanuelli. C'est faux !

M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. C'est-à-dire que la route va payer le fluvial, le ferroviaire et les autoroutes maritimes. C'est une inversion de tendance considérable.

M. Henri Emmanuelli. Vous fermez des lignes de chemin de fer !

M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. Par ailleurs, pour la première fois, un plan de relance du fret ferroviaire mobilisera un milliard et demi d'euros. Dans le même temps, nous achetons des motrices beaucoup moins polluantes que les précédentes.

Enfin, je voudrais saluer le sens civique des bons conducteurs, car, ainsi, ils épargnent des vies, mais, également, ils consomment moins d'énergie, notamment de pétrole.

Je terminerai par une invitation. Oui, j'ai envoyé un clin d'œil au fabricant d'une voiture mue par un moteur hybride, à la fois électrique et classique. Il faut aller plus loin. C'est pourquoi je réunirai les constructeurs d'automobiles français en juillet, pour les inciter à développer la recherche sur les moteurs hybrides et les moteurs électriques pour que, dans le délai maximum d'une génération, on ne circule plus en ville que dans des véhicules propres.

Voilà, monsieur le député, quelques réponses concrètes à un vrai problème de société. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

POUVOIR D'ACHAT DES MÉNAGES

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. André Chassaigne. Ma question s'adresse à M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

De plus en plus de Français dénoncent, à juste titre, la hausse du prix des produits de grande consommation. L'INSEE l'évalue à plus de 2,6 % sur les douze derniers mois. Mais, au quotidien, les Français ressentent, eux, une dégradation bien plus importante de leur pouvoir d'achat.

M. Lucien Degauchy. Les 35 heures ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. André Chassaigne. Cette hausse des prix est due, pour l'essentiel, aux pratiques révoltantes de la grande distribution.

Peut-on accepter, par exemple, que des tomates payées 50 centimes d'euros au producteur soient vendues 2 euros le kilo dans les rayons des grandes surfaces ?

Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est faux !

M. André Chassaigne. Votre façon de traiter le problème consiste à demander, gentiment, aux grands patrons de baisser leurs prix et de cesser certaines de leurs pratiques les plus choquantes. Plutôt que de vous attaquer franchement au cartel des centrales d'achats de la grande distribution et à leurs marges exorbitantes, vous confiez ainsi au renard la surveillance du poulailler !

Quant aux agriculteurs, comme d'ailleurs les salariés et les dirigeants des petites entreprises, ils ont toutes les raisons de craindre que leur situation n'empire. Ils savent bien que ce sont eux qui auront finalement à assumer cette réduction des prix.

En outre, la baisse des prix ne répond pas au problème sur le fond. En effet, si le pouvoir d'achat des Français régresse, c'est surtout parce que les salaires et les pensions sont bloqués. La part des salaires dans la valeur ajoutée est, en France, à un niveau historiquement bas et les mesures de rattrapage du SMIC horaire ne suffiront pas en l'absence d'un plan de relance général des salaires et des pensions.

Aussi, monsieur le ministre, j'ai deux questions à vous poser.

Quelles mesures effectives comptez-vous prendre pour casser la domination de la grande distribution sur les agriculteurs et les PME ?

Montrerez-vous la même détermination à augmenter les salaires et les pensions des Français qu'à privatiser nos services publics ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le député, vous avez raison,...

Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est rare !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...les prix des biens de grande consommation ont augmenté, depuis 1997, plus vite que l'inflation et plus fortement en France que dans tous les autres pays de l'Union européenne. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) C'est une réalité, et je regrette que ce constat excellent n'ait pas conduit nos prédécesseurs à se préoccuper d'une situation aussi choquante ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Il est bien de vouloir défendre les petits, les agriculteurs, les PME-PMI : il ne fallait pas vous gêner pour le faire dans les cinq années où vous avez été aux responsabilités !

Ce que j'essaie de faire,...

M. Henri Emmanuelli. Prendre la tête de l'UMP !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...c'est de faire comprendre à chacun que nous sommes dans un système où tout le monde est perdant : les petits commerçants, qui disparaissent, les agriculteurs, car il n'y a aucune raison que les prix agricoles soient fixés comme ceux des grandes marques - le prix du coca-cola ne s'apparente en rien à celui d'une denrée agricole ! -, et les Français, à qui l'on prend du pouvoir d'achat.

Nous essayons de convaincre tout le monde de rendre ce pouvoir d'achat aux Français. Si le Gouvernement n'y parvient pas, il se tournera vers la représentation nationale et lui dira : voilà pourquoi l'accord n'a pas pu avoir lieu, voilà pourquoi nous n'avons pas pu rendre aux Français le pouvoir d'achat qu'ils attendent. Alors, il sera temps de fixer de nouvelles règles législatives.

Enfin, s'agissant des salaires, le SMIC aura augmenté, entre 2003 et 2005, de 11,3 %.

M. Henri Emmanuelli. Pour 25 % des salariés concernés seulement !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est du jamais vu depuis que le SMIC existe !

S'agissant d'EDF, n'en doutez pas une minute, monsieur Chassaigne, ma détermination à conduire la réforme est totale parce que c'est dans l'intérêt de l'entreprise. Cette réforme se fera parce que tout autre choix serait gravement irresponsable à l'égard d'EDF et de GDF. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Maxime Gremetz. Ce n'est pas vrai !

REPRISE DE LA CROISSANCE

M. le président. La parole est à M. Gilles Carrez, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Gilles Carrez. Ma question s'adresse à M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

La situation économique s'améliore en France (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) et en Europe. Des signes de reprise apparaissent.

M. Albert Facon. Vous êtes un rêveur !

M. Gilles Carrez. Ils sont certes timides et tout laisse à penser que la reprise est fragile. Nous avons le sentiment d'être aujourd'hui à la croisée des chemins.

Par contre, aux États-Unis et en Asie, notamment au Japon, le signes de reprise sont beaucoup plus forts.

M. Henri Emmanuelli. Et en Patagonie ?

M. Gilles Carrez. Quelles initiatives peut-on prendre pour éviter que l'Europe et particulièrement la France ne restent au bord du chemin de la croissance retrouvée ?

Monsieur le ministre, début mai, vous avez annoncé différentes mesures. Ce matin, le Conseil des ministres a adopté un important projet de loi de soutien à la consommation des ménages et à l'investissement des entreprises pour mettre ces mesures en application. La consommation et l'investissement sont les principaux moteurs de la croissance.

Mais mon interrogation est la suivante : les réponses que le Gouvernement apporte sont-elles adaptées à la conjoncture ? (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Elles le sont sans doute, mais, pour être efficaces, les marges d'intervention doivent se concevoir à une échelle qui dépasse largement nos frontières. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur Carrez, la croissance est de retour. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Albert Facon. Comme les cigognes !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ce constat n'est contesté par personne et devrait être un sujet de satisfaction pour tous. Nous devons amplifier cette reprise et lui donner le surcroît de vigueur dont nous avons besoin pour proposer des emplois à ceux qui, malheureusement, n'en ont pas.

Nous avons décidé de prendre un certain nombre de mesures.

La première, en faveur des entreprises, afin qu'elles investissent davantage. Nous proposons d'exonérer de taxe professionnelle les nouveaux investissements.

Un député du groupe socialiste. Avec quel argent ?

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Cette mesure était attendue et elle concerne de surcroît l'industrie.

La deuxième mesure que nous avons prise intéresse les jeunes. L'épargne doit aller à une classe d'âge où l'on a plus de besoins que la volonté d'épargner. Cette mesure ouvre la possibilité aux parents et aux grands-parents de faire don d'une épargne « stérilisée » à des jeunes qui ont besoin de consommer.

M. Henri Emmanuelli. À Neuilly !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est une mesure simple, une mesure familiale en faveur des jeunes. Quand on est jeune, quelle que soit la commune où l'on habite, on a besoin de consommer. Quand on l'est moins, on thésaurise - c'est bien connu.

La troisième mesure que nous voulons mettre en œuvre est populaire. Plusieurs millions de nos concitoyens ont aujourd'hui recours au crédit à la consommation. Nous proposons la déduction fiscale de leurs intérêts d'emprunt afin de soutenir la consommation.

Enfin, dans le secteur des services, nous avons décidé d'une mesure sociale en faveur des restaurateurs...

M. Albert Facon. La Tour d'Argent, par exemple !

M. le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ...et des hôteliers. Dès lors que les bas salaires, c'est-à-dire le SMIC hôtelier, seront revalorisés, il y aura une prime du Gouvernement.

Vous le voyez, monsieur Carrez, par des mesures en faveur des entreprises et des jeunes, par des mesures populaires et sociales, nous soutenons la consommation, de façon que chacun puisse profiter du retour de la croissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

DÉTENTION DES MINEURS

M. le président. La parole est à M. Robert Lamy, pour le groupe UMP.

M. Robert Lamy. Monsieur le garde des sceaux, la délinquance des mineurs a considérablement progressé ces dix dernières années et la violence des infractions commises s'est accrue.

M. François Hollande. Qu'a fait le Gouvernement ? Cela devait aller mieux !

M. Robert Lamy. En dix ans, la proportion des mineurs condamnés pour des atteintes aux personnes, comme les coups et blessures ou les homicides, a presque doublé.

De nombreuses alternatives à l'incarcération existent aujourd'hui pour les jeunes délinquants - je pense notamment aux centres éducatifs fermés et aux différentes dispositions introduites par la loi d'orientation et de programmation pour la justice de 2002. Mais lorsqu'un mineur se rend coupable d'un acte suffisamment grave pour justifier son incarcération, la peine privative de liberté qu'il a à subir doit aussi être tournée vers sa future réinsertion et favoriser la prévention de la récidive.

Aujourd'hui, les conditions d'incarcération des mineurs ne sont plus adaptées. Les quartiers de mineurs qui existent dans les établissements pénitentiaires pour adultes ne permettent pas d'atteindre ces objectifs. C'est pourquoi la modernisation des établissements pénitentiaires spécifiquement destinés aux mineurs est devenue indispensable.

Vous avez annoncé aujourd'hui, monsieur le ministre, la construction d'établissements pour mineurs. Pouvez-vous indiquer vos projets à la représentation nationale, particulièrement sensible à la politique pénitentiaire menée pour les mineurs ?

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, beaucoup d'entre vous partagent, pour avoir visité, comme moi, de nombreux établissements pénitentiaires, la conviction que nous ne devons plus mélanger les mineurs et les majeurs, car cela est insupportable pour les mineurs.

M. Jean Leonetti. C'est vrai !

M. le garde des sceaux. C'est la raison pour laquelle, dans le cadre du programme de construction d'établissements pénitentiaires, j'ai voulu, pour la première fois dans ce pays, qui est en retard en la matière par rapport à certains de nos voisins européens, que des établissements réservés aux mineurs soient construits dans sept grandes agglomérations.

Ces établissements, construits sur des sites propres, éviteront de mélanger les mineurs et les majeurs. En outre, ils seront construits autour de la salle de classe, qui structurera leurs journées en leur offrant une possibilité de formation professionnelle, de réinsertion et, si possible, une deuxième chance dans la vie.

Sept établissements de soixante places chacun vont être construits dans les deux années qui viennent à Lyon, Marseille, Nantes, Toulouse et Valenciennes, et deux dans la région parisienne.

Je réunis cet après-midi même les différents acteurs de ce projet avec, notamment, les préfets de régions, afin de rendre effectif le programme de réalisation dans les deux années qui viennent et d'ouvrir ces établissements avant la fin de 2006.

Pour moi, sécurité et humanité doivent aller de pair. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

SÉCURITÉ AÉRIENNE

M. le président. La parole est à M. Michel Herbillon, pour le groupe UMP.

M. Michel Herbillon. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

Le 3 janvier dernier, un avion de la compagnie égyptienne Flash Airlines s'écrasait en mer au large de Sharm El Sheik, entraînant la mort de 148 passagers, parmi lesquels 135 de nos compatriotes.

Cet accident et la douleur des familles restent très présents dans nos mémoires. Ce fut une tragédie. Ce drame est également une source d'inquiétude et d'interrogation pour de nombreux Français. Cet accident souligne combien sont légitimes leurs attentes en faveur d'une plus grande sécurité en matière de transport aérien et d'une plus grande transparence de l'information à l'égard des voyageurs.

Avec l'arrivée de l'été, ces préoccupations, monsieur le ministre, sont encore plus fortes pour toutes celles et tous ceux qui vont bientôt partir en vacances en avion. C'est pourquoi je souhaite vous poser trois questions.

Premièrement, conformément aux engagements que vous aviez pris au lendemain de l'accident, vous avez annoncé début juin la création d'un label de qualité et de sécurité pour les compagnies aériennes. Pouvez-vous nous expliquer quelles garanties supplémentaires ce dispositif apportera aux voyageurs ?

Deuxièmement, quelles sont les mesures envisageables au niveau européen ? Le transport aérien et la sécurité sont des enjeux internationaux et l'Europe peut être un formidable câble pour porter sur la scène mondiale une politique plus volontariste en matière de sécurité aérienne et d'obligation d'information des voyageurs.

Quelles initiatives entendez-vous prendre dans ce domaine ? L'expérience française peut-elle servir de référence dans le cadre européen ?

Troisièmement, il est très fréquent, lorsqu'il achète un voyage à forfait, que le client n'ait aucune information sur la compagnie qui va le transporter ou que des changements soient opérés à son insu après qu'il a acheté son voyage. Vous avez évoqué la possibilité de mettre en place une information systématique. Quels engagements avez-vous obtenus des voyagistes pour apporter davantage de garanties aux clients qu'ils transportent ?

Je vous remercie, monsieur le ministre, des informations que vous allez donner à la représentation nationale sur des sujets qui préoccupent les Français à la veille des vacances d'été. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. Monsieur le député, nous avons tous en mémoire la tragédie de Sharm El Sheik et nous avons le devoir, ainsi que tous les pays, d'améliorer la sûreté et la sécurité aériennes.

D'abord, j'ai voulu la création d'un label. D'ici à la fin de l'année, un organisme indépendant sera chargé du cahier des charges en matière de sécurité et de qualité de service. Toute compagnie qui souhaitera obtenir ce label devra se soumettre à un audit. La liste des compagnies labellisées sera publique.

Je souhaite que cette démarche soit européanisée. J'en ai donc informé Mme de Palacio, vice-présidente de la Commission européenne, et je pense que cette idée prospérera au plan européen.

Ensuite, il existe une directive européenne pour renforcer les contrôles inopinés, que l'on appelle dans notre jargon technique les contrôles SAFA. La France va anticiper cette directive en renforçant ses contrôles afin d'avertir et d'informer les autres pays en cas de problème spécifique.

Enfin, s'agissant de l'information des voyageurs, j'ai rencontré les voyagistes et je leur ai demandé d'inscrire dans leurs catalogues le nom et l'origine des compagnies avec lesquelles ils travaillent et d'indiquer si elles sont labellisées. Ils m'ont répondu positivement. Certains vont commencer dès maintenant, sachant que la règle deviendra obligatoire dans deux ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

POLITIQUE EUROPÉENNE

M. le président. La parole est à M. François Loncle, pour le groupe socialiste.

M. François Loncle. Monsieur le Premier ministre, quatre jours après les élections du 13 juin, le Conseil européen des chefs d'État et de gouvernement s'apprête, semble-t-il, à entériner avec quelques modifications le traité institutionnel de l'Union européenne.

Nombre de nos compatriotes, nombre de concitoyens européens ont été à juste titre choqués par cette inversion du calendrier, par ce curieux carambolage démocratique.

Le 13 juin, c'est aussi le contenu actuel de la construction européenne qui a été mis en cause, c'est aussi l'inertie de nombreux gouvernements des États membres de l'Union qui a été dénoncée par les électeurs.

En France, à l'absence manifeste de volonté, d'audace, de vision politique du chef de l'État sur le dossier européen (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), s'ajoute un traitement méprisant à l'égard de la représentation nationale : pas de débat au Parlement, pas de consultation ni de dialogue sur le traité institutionnel ici même, dans cette enceinte.

Votre devise sur l'Europe semble se résumer à ceci : « Laisser faire la présidence irlandaise ! »

Or les propositions de celle-ci sont en retrait sur le texte issu de la convention, qu'il s'agisse de la coopération judiciaire ou de la politique étrangère et de sécurité commune. Pis, vous refusez de revenir sur l'inacceptable clause de révision du traité et sur l'absence d'une véritable Europe sociale.

Quelles initiatives avez-vous prises ou allez-vous prendre pour éviter l'adoption d'un texte au rabais ? Allez-vous enfin expliquer au pays quelle est votre politique ou votre absence de politique européenne ? Y aura-t-il enfin un débat à l'Assemblée nationale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le député, le Conseil européen se réunit demain et après-demain, à une date choisie par la présidence irlandaise. Il s'agira, bien sûr, de terminer - et j'espère que nous y parviendrons - le travail sur la Constitution,...

M. Henri Emmanuelli. Après les élections ?

M. le ministre des affaires étrangères. ...mais aussi de choisir le nouveau président de la Commission européenne, en tenant compte du résultat des élections. Il paraît logique d'y procéder à l'issue du scrutin plutôt qu'avant.

M. Jean Glavany. Comme ça, les électeurs sont informés !

M. Henri Emmanuelli. Et la Constitution ?

M. le ministre des affaires étrangères. S'agissant de la Constitution, dont j'ai parlé il y a quelques jours devant la délégation aux affaires européennes de votre assemblée, et dont je reparlerai tout à l'heure devant la commission des affaires étrangères - car je me rends autant disponible que vous le jugez nécessaire -, nous parvenons au terme d'une très longue négociation, qui dure depuis presque deux ans, et à laquelle votre assemblée a participé - je pense en particulier aux contributions de M. Lequiller et de M. Floch.

Où en sommes-nous aujourd'hui ?

M. Maxime Gremetz. Il faut un référendum !

M. le ministre des affaires étrangères. Premièrement, l'essentiel du travail effectué par la Convention pour l'avenir de l'Europe a été accepté, y compris sur les sujets les plus improbables comme la défense européenne. Je me permets de vous rappeler au passage que les participants socialistes à la Convention avaient approuvé ses conclusions.

M. Henri Emmanuelli. Laissez donc les socialistes tranquilles !

M. le ministre des affaires étrangères. Il reste un certain nombre de points ouverts.

Sur le champ de la majorité qualifiée, nous ne voulons pas revenir en arrière, même si, nous le savons bien, nous ne pourrons pas non plus aller de l'avant, ainsi que je l'aurais souhaité, par exemple, en matière de fiscalité. Sur ce point, il convient plutôt d'interroger le gouvernement travailliste de Londres.

S'agissant du système de vote au Conseil des ministres, nous soutiendrons la double majorité, à la fois équitable et efficace.

M. Édouard Landrain. Très bien !

M. le ministre des affaires étrangères. En ce qui concerne la dimension sociale de la Constitution, j'espère, monsieur Loncle, que tous les gouvernements socialistes européens soutiendront les demandes françaises,...

M. Xavier de Roux. Très bien !

M. le ministre des affaires étrangères. ...qui visent à obtenir quelques dernières avancées en la matière. Mais je n'en suis pas sûr. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Enfin, dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, nous voulons préserver l'efficacité de l'Union.

Comme vous le constatez, monsieur le député, la France restera, demain et après-demain, le plus près possible du texte de la Convention. C'est dans un esprit constructif que nous participerons à cette dernière négociation, afin de conclure un bon accord et d'adopter une bonne constitution. Il est temps de conclure...

M. le président. En effet, monsieur le ministre ! (Sourires.)

M. le ministre des affaires étrangères. Sans doute, monsieur le président, mais cela vaut aussi pour la négociation elle-même,...

M. André Chassaigne. Il faut un référendum !

M. le ministre des affaires étrangères. ...d'abord parce que nous sommes près du but,...

M. Arnaud Montebourg. Un référendum !

M. le ministre des affaires étrangères. ...et ensuite parce que les citoyens, qui ont des doutes sur les questions européennes (« Un référendum ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), et ont même manifesté une certaine indifférence, ont besoin que la maison soit en ordre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

RÉFORME DE L'ASSURANCE MALADIE

M. le président. La parole est à Mme Bérengère Poletti, pour le groupe UMP.

Mme Bérengère Poletti. Monsieur le ministre de la santé et de la protection sociale, nous savons tous, ici, combien les Français sont attachés à tout ce qui concerne leur santé. C'est pourquoi l'avenir de l'assurance maladie est au cœur de leurs préoccupations. Son déficit pour 2004 devrait atteindre 13 milliards d'euros. L'urgence de s'attaquer à ce dossier particulièrement sensible est évidente.

Ce matin, après plusieurs mois de travail, vous avez présenté votre projet de loi relatif à l'assurance maladie en conseil des ministres. Votre texte, dont nous aurons à débattre dans les semaines à venir, vise à dégager 15 milliards d'économies et de ressources nouvelles. Le Gouvernement s'est donc attaché à sauver notre système de santé (« Allô, Allô ! » sur les bancs du groupe socialiste), si cher aux Français, en menant un véritable dialogue avec l'ensemble des partenaires sociaux (Rires sur les mêmes bancs) et tous les acteurs de ce secteur pour trouver des solutions justes et pérennes.

Par cette concertation menée dans la transparence (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), les Françaises et les Français ont été informés des principales mesures de votre projet de loi, qui doivent permettre les indispensables économies sur le fonctionnement de l'assurance maladie :...

M. Arnaud Montebourg. Quelle est la question ?

Mme Bérengère Poletti. ...instauration du dossier médical partagé, plan de lutte contre les abus, développement des médicaments génériques. Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser quel bilan vous tirez de cette concertation (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) menée avec les partenaires sociaux ?

Par ailleurs, puisque vous avez récemment indiqué que votre projet de loi n'était pas une version définitive, pouvez-vous nous dire dans quel état d'esprit vous comptez aborder la discussion parlementaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et de la protection sociale.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Reçu cinq sur cinq !

M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale. Madame la députée, vous avez raison (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), cette réforme de l'assurance maladie est totalement nécessaire.

D'une part, l'assurance maladie est, tout simplement, en faillite.

M. Augustin Bonrepaux. C'est vous qui l'avez mise dans cet état ! (Vives protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Vous l'avez rappelé : le déficit s'élève cette année à 13 milliards, ce qui porte à 30 milliards le déficit cumulé.

D'autre part, si rien n'est fait, si on reste immobile, ainsi que l'est demeuré le gouvernement socialiste (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains),...

M. Jean-Marie Le Guen. C'est votre bilan !

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. ...alors, les plus modestes d'entre nous ne pourront pas se payer des soins de qualité.

M. Albert Facon. Il fallait oser !

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Quand on connaît le prix d'un scanner, d'un IRM ou d'un pet scan, on se rend compte que c'est bien l'inaction qui met en danger la santé des citoyens les plus modestes. Je le dis en vous regardant.

M. Henri Emmanuelli. Et alors ? Moi aussi, je vous regarde !

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Cette réforme s'articule autour de trois grands axes. Le premier, et non des moindres, concerne le nouveau pilotage de l'assurance maladie, et prévoit une délégation de gestion sur les politiques hospitalière, du médicament ou de soins ambulatoires.

Le deuxième est relatif à l'organisation des soins. Un dossier médical personnalisé sera partagé entre le malade et les médecins qu'il choisira. Un parcours personnalisé de soins, mettant en avant le médecin traitant, guidera le patient dans le système. Surtout, l'hôpital public, l'hôpital privé et la médecine libérale seront mieux coordonnés.

Le troisième axe concerne le redressement financier.

Il s'agit d'une grande réforme, nécessaire, mais surtout juste. Elle est équitable (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), car elle touche de la même manière les entreprises, une partie des retraités imposables, les salariés, les professions de santé et l'industrie pharmaceutique.

Je vous remercie, madame Poletti, de me donner l'occasion de l'affirmer ici : après la phase de concertation avec les partenaires sociaux (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), vient la phase de démocratie parlementaire, pendant laquelle des amendements pourront améliorer le texte...

M. François Hollande. Vous allez les accepter ?

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. ...sur le forfait de responsabilisation,...

M. François Hollande. C'est vous qui feriez mieux de déclarer forfait !

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. ...qui s'élève à un euro par consultation, ou sur l'aide à la complémentaire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Grâce au Premier ministre, nous avons préparé une réforme de l'assurance maladie équitable et qui préservera la santé des plus modestes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Il aurait fallu le faire avant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

NÉGOCIATIONS INTERNATIONALES
DANS LE DOMAINE AGRICOLE

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, pour le groupe UMP.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Mes chers collègues, ma question s'adresse à M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

Monsieur le ministre, en mai, lors de la réunion informelle des ministres de l'agriculture de l'Union, qui s'est tenue en Irlande, vous avez exprimé une opposition très ferme à la ligne du commissaire Pascal Lamy dans les négociations avec le Mercosur et l'OMC. De fait, le commissaire Lamy semble chercher à obtenir à tout prix un résultat avant de quitter ses fonctions, fût-ce en sacrifiant des intérêts importants, en particulier dans le domaine agricole.

M. Bernard Accoyer. C'est scandaleux !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Par ailleurs, lors du sommet du G8 à Sea Island, les chefs d'État et de gouvernement ont marqué leur détermination à avancer rapidement, d'ici la fin juillet, pour régler les questions clés de cette négociation.

Monsieur le ministre, croyez-vous possible, dans ces conditions, de parvenir cet été à un accord équilibré ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. En effet, madame la députée, dès le 11 mai, avec Nicolas Sarkozy, Michel Barnier et François Loos, nous avons pris position contre la tactique de la Commission européenne dans le cadre de la négociation OMC et Mercosur, qui consiste à se laisser effeuiller comme un artichaut en faisant sans cesse des concessions unilatérales.

Mme Martine David. C'est plutôt Raffarin qui s'est laissé effeuiller !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. La semaine dernière, à Sea Island, la présidence américaine du G8 avait préparé un document par lequel l'Europe aurait dû éliminer tout de suite ses subventions aux exportations, tandis que les États-Unis ne s'engageaient sur rien : ni sur leur aide alimentaire - qui profite davantage aux fermiers américains qu'aux pays du Tiers-monde -, ni sur leurs subventions à l'exportation. Le Président de la République s'est opposé fermement à cette rédaction.

M. François Hollande. Bien sûr !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Nous avons obtenu gain de cause, et le commissaire Lamy s'est rallié à notre position. Ce que nous souhaitons donc, tant en ce qui concerne l'OMC que le Mercosur, c'est que l'Union européenne continue à adopter une tactique de fermeté. Selon nous, en effet, un accord équilibré implique que chacun fasse des concessions.

Une dernière chose, madame la députée. Dans ces négociations commerciales, on parle beaucoup de taux, on manie les milliards, on emploie de nombreux sigles, mais je crois que ce qui importe avant toute chose, c'est de nourrir les hommes dans un monde qui a faim et qui aura encore plus faim dans les trente ans qui viennent. Il faut produire pour nourrir l'humanité et ne pas céder à la démagogie ni aux fausses idéologies qui vont à l'encontre du développement humain. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

SÉCURITÉ

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Dupré, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Paul Dupré. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur ainsi qu'au garde des sceaux.

Assurer la sécurité de nos concitoyens est pour vous, nous le savons, une priorité. Comment comptez-vous, en ce domaine, effacer le calamiteux bilan de votre prédécesseur à la place Beauvau ? (« Vous voulez parler de M. Vaillant ? » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Il est indéniable, en effet, que depuis deux ans, la criminalité et les faits graves, notamment les agressions physiques, sont en augmentation de plus de 10 %. (« Adressez-vous à M. Vaillant, il est là ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Nous assistons à une explosion des actes racistes et antisémites. (Exclamations sur les mêmes bancs.) Par ailleurs, l'explosion de l'insécurité en milieu scolaire et périscolaire est tout ce qu'il y a de plus inquiétant. (Mêmes mouvements.) Quant aux bavures et débordements, le nombre en a tout simplement doublé.

M. Gérard Léonard. C'est ridicule !

M. Jean-Paul Dupré. Quelques exemples significatifs de ces dernières semaines : quel sort a-t-il été réservé, lors du festival de Cannes, aux intermittents du spectacle ? (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Qu'est-il arrivé à ce steward qui se promenait paisiblement dans les rues de Paris ? Et plus grave encore est ce qui s'est passé mardi dernier à Montpellier La Paillade, où il y a eu mort d'homme ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Le groupe socialiste regrette d'avoir eu raison en vous mettant en garde contre les effets négatifs que n'allait pas manquer de provoquer votre abandon de la politique de prévention et de la police de proximité. (Mêmes mouvements.)

Par ailleurs, et je m'adresse maintenant au garde des sceaux, aucun effort n'a été effectué sur la réinsertion des détenus nouvellement libérés, alors même qu'ils ont vécu une situation intolérable de surpopulation carcérale. Chacun le sait, en effet : il y a aujourd'hui 63 000 détenus pour 48 000 places disponibles. Comment, dès lors, s'étonner des résultats que je viens de rappeler ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Monsieur Dupré, veuillez poser votre question !

M. Jean-Paul Dupré. Vous avez fait beaucoup de promesses, mais les moyens ne sont pas au rendez-vous. Quelle est votre solution, messieurs les ministres ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire ; claquements de pupitres.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Merci, monsieur le député, de me fournir une fois de plus l'occasion de rendre hommage à l'action de mon prédécesseur, Nicolas Sarkozy. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

De 1998 à 2001, le nombre de crimes et délits avait augmenté dans notre pays de 15 % (« Hou ! » sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), dépassant la barre des 4 millions.

M. Julien Dray. La plus mauvaise année, c'est 1993 ! Qui était ministre de l'intérieur ?

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. En 2003, il y a eu 140 000 crimes et délits de moins qu'en 2002. De nouveaux outils ont été mis en place : LOPSI, conseil de sécurité intérieure, groupements d'intervention régionaux. Croyez bien que les Français font la différence ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Henri Emmanuelli. Deux fois !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Mais la bataille de la sécurité n'est jamais définitivement gagnée. Il faut une mobilisation constante, une vigilance de tous les instants face à des menaces qui évoluent, et c'est pourquoi j'inscris ma politique dans la même culture de résultat, dans la même volonté de rendre compte aux Français.

Je veux aller encore plus loin, en renforçant la lutte contre la délinquance, qui a baissé de plus de 10 % au mois de mai, soit la plus forte baisse enregistrée depuis 1996, en m'attaquant aux violences aux personnes, celles dont souffrent le plus nos concitoyens - pour la première fois depuis des années, nous avons réussi au mois de mai à ralentir leur progression -, en modernisant enfin les forces de sécurité, et c'est pourquoi je signerai demain avec les organisations syndicales la plus importante réforme des corps et carrières jamais réalisée dans la police nationale.

Mon action s'inscrit bien sûr dans le respect de l'exigence républicaine, dans la défense du droit de chacun de vivre libre et en paix, dans le souci de l'éthique et de la déontologie. Vous le savez, monsieur le député, nos services de sécurité travaillent avec courage et générosité, mais les manquements seront sanctionnés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

    2

SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE DÉLÉGATION D'UN GROUPE D'AMITIÉ

M. le président. Je suis heureux de saluer la présence dans les tribunes d'une délégation du groupe d'amitié France-Niger conduite par son président, M. Soumana Ousseini. (Mmes et MM. les députés, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent et applaudissent.)

    3

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT (suite)

M. le président. Nous reprenons les questions au Gouvernement.

INTERMITTENTS DU SPECTACLE

M. le président. La parole est à M. Daniel Poulou, pour le groupe UMP.

M. Daniel Poulou. Ma question s'adresse à M. le ministre de la culture et de la communication.

Monsieur le ministre, vous venez d'annoncer la désignation de M. Jean-Paul Guillot en tant que responsable de la mission d'expertise chargée d'élaborer et de proposer un schéma d'indemnisation du chômage des artistes et techniciens du spectacle vivant, du cinéma et de l'audiovisuel. Cette initiative prolonge la réflexion que vous avez menée depuis plusieurs semaines avec les professionnels et les partenaires sociaux.

L'expertise ainsi sollicitée devrait permettre de déterminer en toute objectivité les enjeux de la réforme du statut de l'intermittence.

Parmi les questions centrales de ce dossier figure la lutte contre le recours abusif à l'intermittence. Il importe en effet de distinguer la situation spécifique et souvent précaire de nombreux artistes et techniciens de celle de gens dont l'activité est permanente et parfois étrangère à la création artistique et culturelle. Quelles mesures entendez-vous prendre pour lutter contre de tels abus, notamment dans le domaine de l'audiovisuel ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le député, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, c'est une équipe, qui tient ses engagements (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), avec méthode et clarté.

Mon premier souci a bien évidemment été d'adopter des mesures provisoires d'urgence pour rétablir la confiance et régler un certain nombre de situations concrètes. C'est aujourd'hui le cas.

Avec mes collègues Jean-Louis Borloo et Gérard Larcher, nous venons de désigner pour la deuxième phase, c'est-à-dire la construction d'un nouveau système d'indemnisation du chômage pour les artistes et techniciens du cinéma, de l'audiovisuel et du spectacle vivant, un expert indépendant, M. Jean-Paul Guillot, qui, en liaison avec les partenaires sociaux, fournira un certain nombre d'analyses et de recommandations pour préparer le débat de l'automne que nous vous avons annoncé.

La mise en place d'un nouveau système d'indemnisation du chômage doit nécessairement s'accompagner, vous avez raison, d'une moralisation des pratiques. C'est un devoir envers nos compatriotes et envers les partenaires sociaux.

La lutte contre les abus et la définition d'un nouveau périmètre sont essentielles pour réconcilier les Français et les intermittents, pour que l'ensemble de nos concitoyens comprennent et reconnaissent les spécificités de l'activité des artistes et des techniciens dans notre pays. Il est donc impératif de mieux maîtriser le recours à l'intermittence, pour la réserver aux seules situations qui le justifient pleinement.

Cette rationalisation du système passe par trois types d'actions.

Il faut d'abord intensifier les contrôles et accroître la répression des abus, en étroite relation avec l'inspection du travail. Nous avons pris pour ce faire les mesures réglementaires qui étaient attendues depuis longtemps. Un premier décret permettant des contrôles plus approfondis a été publié. Un second est en préparation pour les semaines qui viennent.

Il faut ensuite responsabiliser tous les acteurs, notamment dans les domaines du cinéma et de l'audiovisuel. J'ai écrit à tous les responsables de l'audiovisuel public et privé, à tous les responsables professionnels du cinéma, à toutes les organisations professionnelles du spectacle vivant, pour leur demander que ceux qui exercent un emploi permanent avec un statut de précaire soient reconvertis dans un emploi permanent. C'est tout à fait nécessaire et cela fera diminuer le recours abusif à l'intermittence.

La règle à suivre est simple, mais j'ai la franchise de vous dire que son application prendra un peu de temps. Ceux qui ont un emploi permanent en pratique mais qui sont juridiquement intermittents doivent voir leur emploi requalifié en emploi à durée indéterminée.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.

M. le ministre de la culture et de la communication. Enfin, il faut redéfinir le périmètre, c'est-à-dire savoir exactement quels sont les activités, les métiers, les fonctions qui correspondent à la réalité de l'activité culturelle et artistique, que nous voulons tous, je crois, soutenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

DÉVELOPPEMENT DURABLE

M. le président. La parole est à M. Philippe Rouault, pour le groupe UMP.

M. Philippe Rouault. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'écologie et du développement durable.

Monsieur le ministre, le concept de développement durable progresse lentement, trop lentement face aux enjeux. Nous constatons en effet des dérèglements climatiques dus à l'augmentation des gaz à effet de serre, une accumulation des produits chimiques dans l'eau, un appauvrissement des ressources naturelles, une régression de la biodiversité. Il existe un trop fort décalage entre cette volonté de développement durable et les pratiques. Le développement des énergies renouvelables, par exemple, est insuffisant.

La deuxième édition de la Semaine du développement durable s'ouvre aujourd'hui et s'achèvera le dimanche 27 juin. Pouvez-vous nous apporter des informations plus précises sur cette manifestation et, surtout, nous indiquer comment votre ministère entend agir pour que les initiatives et avancées en matière de développement durable ne se réduisent pas à quelques jours par an ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'écologie et du développement durable.

M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable. Vous avez raison, monsieur le député, l'environnement se détériore dans le monde. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) C'est la raison pour laquelle le Président de la République a alerté le monde entier à Johannesburg.

Le réchauffement climatique, par exemple, aura dans les dizaines d'années qui viennent, et peut-être à plus court terme, des conséquences considérables sur l'environnement mais aussi des conséquences géostratégiques. Ainsi, du fait de la hausse du niveau des mers, des millions de personnes risquent d'être déplacées. La France, naturellement, est concernée : fonte des glaciers, multiplication des inondations et des périodes de canicule. Il faut donc agir, et c'est tout l'objet du développement durable.

Qu'est-ce que le développement durable (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), notion parfois mal comprise ?

Plusieurs députés du groupe socialiste. Et le gouvernement durable ?

M. le ministre de l'écologie et du développement durable. C'est le développement économique et le progrès social dans la durée, permettant le renouvellement des ressources énergétiques et des ressources naturelles.

La Semaine du développement durable a deux objectifs.

Premier objectif, mobiliser l'ensemble des acteurs, les citoyens, mais aussi les entreprises, les collectivités locales et les associations. J'ai envie de leur dire à tous : l'écologie a besoin de vous !

Second objectif, informer nos concitoyens, parce que, sans information, ils ne s'approprieront pas ce concept. Il faut leur dire comment économiser l'énergie, gérer les déchets, économiser l'eau.

Cette semaine, de nombreuses initiatives seront prises.

Au cours de cette année scolaire, avec François Fillon, mon collègue de l'éducation nationale, nous avons expérimenté une éducation à l'environnement dans dix académies. En septembre, nous généraliserons cette expérience dans la France entière, dans les écoles primaires, les collèges et les lycées.

En matière de déchets, je suis allé hier dans la grande distribution pour voir les mesures prises pour limiter les emballages et les suremballages, en particulier les sacs plastiques. Dans certaines enseignes, on constate une diminution de 10 % des sacs plastiques, 40 % quelquefois dans certains magasins. Cela veut dire que, lorsqu'on agit, il y a des résultats.

J'invite également nos concitoyens à mettre une étiquette sur leurs boîtes aux lettres pour dire qu'ils ne veulent plus de publicité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Rudy Salles.)

PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES,

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

    4

DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI
ET CONSTITUTION
D'UNE COMMISSION SPÉCIALE

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre, un projet de loi relatif à l'assurance maladie.

À la suite des demandes formulées en conférence des présidents, il y a lieu de constituer une commission spéciale pour son examen.

Le délai pour le dépôt des candidatures a été communiqué à MM. les présidents des groupes et aux députés non-inscrits de manière à permettre que la réunion constitutive de la commission spéciale ait lieu cet après-midi, à dix-huit heures.

    5

SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ ET DU GAZ

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières (nos 1613, 1659).

Discussion générale (suite)

M. le président. Hier soir, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

Dans la suite de cette discussion, la parole est à M. André Gerin.

M. André Gerin. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre délégué à l'industrie, mes chers collègues, je commencerai par une formule célèbre : « Mentez, mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose ! »

Mme Nadine Morano. C'est de vous ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Regardez-vous dans un miroir !

M. André Gerin. Le discours que nous avons entendu hier développait une argumentation subtile, mais laborieuse, pour rassurer le grand public et les salariés de l'entreprise et masquer le processus de libéralisation engagé depuis plusieurs années déjà - j'en veux pour exemples les directives de 1996 et 1998 qui ont bouleversé les structures d'EDF-GDF, ou leur transposition dans la législation française en février 2000 par le gouvernement Jospin. L'idée de privatisation passe de plus en plus difficilement, et la sanction s'est fait sentir le 21 avril 2002 !

On assiste au recul du service public et de la coopération. Les stratégies d'EDF et GDF s'alignent sur le comportement des multinationales privées en quête de rentabilité - autant d'éléments qui anticipent la privatisation. Votre gouvernement concrétise les décisions de Barcelone, qui annonçaient déjà la privatisation des deux entreprises publiques. Vous vous cachez derrière ces décisions néfastes prises par les gouvernements précédents et voulez nous faire croire que la transformation d'EDF et GDF en société anonyme ne préluderait pas à l'ouverture de son capital au marché financier. Vous avez peur d'annoncer la couleur, car, par rapport au programme du Conseil national de la Résistance, votre action représente un choix et une rupture historiques. Il s'agit d'une entreprise de démolition, et vos discours lénifiants n'y changeront rien.

Vous nous dites que le changement de statut est rendu obligatoire par la Commission européenne. C'est faux :...

M. Pierre Forgues. C'est faux !

M. André Gerin. ...c'est votre choix politique.

Vous nous dites que le changement de statut est nécessaire pour supprimer le principe de spécialité. C'est faux : le statut d'établissement public le permet. Pourquoi tromper l'opinion publique ?

Vous affirmez que la fusion d'EDF et de GDF serait incompatible avec la création d'une société anonyme. C'est fort de café, et c'est encore faux !

Vous prétendez que vous seriez obligés d'aller chercher des fonds à l'étranger pour compenser les pertes. C'est encore une contre-vérité : vous essayez de justifier le délaissement du marché français !

Selon vous, seul un statut de société anonyme permettrait, par l'augmentation du capital, de construire des champions européens en puissance. Une fois encore, vous jouez au poker menteur pour justifier le monopoly financier ! Or, vous savez bien que, depuis vingt-deux ans, tous les gouvernements se sont gavés avec EDF-GDF.

M. Richard Cazenave. Surtout le vôtre !

M. André Gerin. Venons-en au bouquet final : vous jurez vos grands dieux que la constitution de deux sociétés anonymes détenues à 70 % par l'État serait la garantie qu' EDF et GDF restent publiques. En vérité, la transformation en société anonyme porte en elle la privatisation comme la nuée porte l'orage. C'est le premier pas qui compte !

C'est, d'ailleurs, la raison pour laquelle vous refusez la fusion d'EDF et de GDF, confirmant ainsi la mise en cause du domaine public, car vous savez qu'une telle fusion est possible dans le cadre des législations communautaire et nationale actuelles.

Votre dogme idéologique du capitalisme vous impose la réponse : « Niet » sur toute la ligne.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Vous n'avez pas oublié la langue !

M. André Gerin. Il y a des bonnes traditions.

M. Richard Cazenave. Il faut relire Karl Marx !

M. André Gerin. C'est très instructif.

M. Lionnel Luca. Mais lui, il parlait allemand !

M. André Gerin. Une fusion française et industrielle d'EDF et de GDF donnerait un vrai sens à une politique énergétique.

Vous nous accusez d'immobilisme pour masquer la politique de régression, de démolition, de démission et de retrait de l'État que représente votre abandon de l'entreprise nationale. Votre choix est dramatique, car refuser cette fusion, c'est se priver d'une force de frappe au service d'une grande ambition industrielle pour la France.

Vous vous moquez comme d'une guigne d'assurer un service au moindre coût pour le client, qu'il soit un particulier, une PME ou une grande entreprise. La libéralisation du marché de l'électricité conduit, paradoxalement, à privilégier les investissements à retour rapide par rapport à ceux qui ont un moindre coût final. Mais il n'y a aucune raison pour qu'un investissement à retour rapide produise un mégawattheure à bon marché ! Le mécanisme est pervers : quel intérêt les électriciens auraient-ils à prendre le risque d'investir si l'approche de la pénurie fait monter les prix - et donc les marges -, alors que l'investissement, au contraire, fait baisser les prix ?

La marchandisation de l'électricité accroît la tension sur l'équilibre entre l'offre et la demande et, à terme, le risque de pénurie d'électricité en Europe. Le black-out qui a affecté le Nord-Est des États-Unis au cours de l'été 2003 et la pénurie chronique que connaît la Californie depuis l'année 2000 sont probablement des illustrations de ce qui nous attend à l'horizon 2005-2006 si les États européens ne réagissent pas avec promptitude.

M. Claude Gatignol. Ça n'a rien à voir !

M. André Gerin. Enfin, je le répète, faute de signaux économiques de long terme, spécifiques à la production d'électricité, la libéralisation du marché conduit paradoxalement à privilégier les investissements à retour rapide. Si votre objectif était le moindre coût pour le client final, je ne doute pas, connaissant votre détermination, que vous ne nous le laisseriez pas ignorer. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Christian Estrosi.

M. Christian Estrosi. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, j'ai l'impression, depuis quelques jours, que nous sommes revenus à l'âge de pierre de l'action syndicale, à un intégrisme qui semblait avoir disparu depuis près de dix-sept ans ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. François-Michel Gonnot. Très bien !

M. Christian Estrosi. Quand nous assistons à des opérations « commando », à des coupures de courant sauvages,...

M. Daniel Paul. Provocateur !

M. Christian Estrosi. ...à la prise en otages des représentants du peuple...

M. Lionnel Luca. C'est inadmissible !

M. Christian Estrosi. ...et d'un demi-million de voyageurs sur les lignes de la SNCF (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), et quand j'entends encore proférer de nouvelles menaces de coupures de courant,...

M. Jean-Louis Dumont. Ce ne sont pas des menaces, c'est de l'action !

M. Christian Estrosi. ...je suis profondément scandalisé, et les Françaises et les Français le sont aussi. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) De telles actions sont illégales et inacceptables. Faut-il maintenant s'attendre à ce que des hôpitaux ferment leurs portes et que des médecins refusent de soigner leurs patients parce qu'on doit réformer l'assurance maladie ?

M. Daniel Paul. C'est le discours du MEDEF !

M. Christian Estrosi. Lors du Conseil européen de Barcelone, il y a plus de deux ans, le gouvernement de Lionel Jospin, auquel vous étiez associés, mes chers collègues communistes et socialistes, s'est engagé à ouvrir à la concurrence, à hauteur de 70 %, notre marché de l'énergie.

M. Pierre Cohen. Et alors ?

M. Christian Estrosi. C'était, d'ailleurs, en toute connaissance de cause, car je n'ai pas le souvenir que les socialistes et les communistes s'en soient offusqués à l'époque !

M. Jean-Claude Sandrier. Nous n'étions pas d'accord !

M. Christian Estrosi. Fixer un rendez-vous, c'est facile, mais il est moins aisé de préparer EDF et GDF à s'adapter avec succès à la nouvelle donne de la concurrence européenne. Cela donne une valeur toute relative aux tentatives de récupération par le parti socialiste de l'inquiétude des électriciens et des gaziers !

Contrairement aux affirmations de l'opposition et conformément à l'engagement clair et définitif du Premier ministre et du ministre d'État, EDF et GDF ne seront pas privatisées.

Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est faux !

M. Daniel Paul. Vous n'y croyez même pas !

M. Christian Estrosi. La majorité est, en outre, profondément attachée au service public,...

M. Pierre Cohen. Tu parles !

M. Richard Cazenave. Cet outil, c'est nous, les gaullistes, qui l'avons construit !

M. Christian Estrosi. ...et je mets quiconque au défi de me démontrer le contraire ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

C'est, d'ailleurs, une infime minorité des agents d'EDF qui manifeste aujourd'hui.

M. Pierre Cohen. Ce n'est pas vrai !

M. Christian Estrosi. Nous sommes tous témoins, dans nos circonscriptions, de l'action remarquable et du sens de la responsabilité de ces milliers d'agents qui, dans le service public quotidien, se montrent proches des préoccupations de l'ensemble des usagers, en particulier dans notre ruralité.

M. François-Michel Gonnot. Tout à fait !

M. Lionnel Luca. C'est vrai !

M. Christian Estrosi. Etant élu d'une circonscription des plus rurales, je suis bien placé pour en parler. Je suis témoin de la grande qualité de ce service public à la française.

M. Pierre Cohen. Et vous allez le casser !

M. Christian Estrosi. Ceux-là, tous ces derniers jours, n'ont pas failli un seul instant à leur responsabilité ni manqué aux rendez-vous de leur emploi du temps, sans se livrer aux actes de terrorisme et de vandalisme qu'ont commis un certain nombre de leurs collègues.

M. Daniel Paul. Il n'y a pas eu de vandalisme.

M. Richard Cazenave. Si !

M. Daniel Paul. Les vandales, c'est vous !

M. Christian Estrosi. Aux interrogations légitimes des agents d'EDF-GDF sur leur statut futur, nous pouvons répondre que ce statut sera conservé dans le moindre détail.

La semaine dernière, plusieurs amendements ont été adoptés en commission pour préciser que l'État détiendra au minimum 70 % du capital d'EDF et de GDF. En outre, leurs salariés se verront proposer 15 % des actions...

M. Daniel Paul. Ils devront payer !

M. Christian Estrosi. ...faisant l'objet des ouvertures et des augmentations de capital éventuelles.

M. Daniel Paul. On ne sait pas où ça s'arrêtera !

M. Christian Estrosi. Vous avez précisé hier, monsieur le ministre d'État, qu'une augmentation du capital d'EDF ne sera décidée qu'après étude de ses besoins de financement par une commission consultative composée de parlementaires, de personnalités qualifiées et de représentants du personnel.

S'il est établi qu'EDF n'a pas besoin de financement, il n'y aura pas d'ouverture du capital.

M. Jean-Claude Sandrier. Pour l'instant !

M. Christian Estrosi. Si elle en a besoin, votre projet de loi lui donnera les moyens d'y procéder et d'assurer son développement. Quelles garanties supplémentaires serait-il encore possible d'apporter ?

M. François Brottes. Portez la participation de l'État à 100 % !

M. Christian Estrosi. Votre projet de loi, monsieur le ministre d'État, donne à nos deux entreprises publiques une nouvelle forme juridique : celle de sociétés anonymes détenues par l'État. Déjà championnes de France, elles pourront enfin diversifier leurs activités, augmenter leur capital pour financer leurs investissements - en un mot, se mesurer à la concurrence européenne, conquérir de nouvelles parts de marché et viser le titre de championnes d'Europe. Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre d'État, je ne peux que m'insurger contre les demandes de retrait de votre texte.

L'opposition affirme que le maintien du caractère public à 100 % des deux entreprises n'est pas négociable. Mais ce qui n'est pas négociable, c'est précisément le service public, certes défini par les principes d'égalité et de continuité, mais également régi en droit par les principes de mutabilité et d'adaptabilité !

M. le président. Cher collègue, veuillez conclure.

M. Christian Estrosi. L'adaptabilité consiste à accepter d'adhérer à la vision profondément moderne de ce projet de loi...

M. Pierre Forgues. La vision libérale !

M. Christian Estrosi. ...et reconnaître qu'il offre à EDF et à GDF la possibilité de se bâtir un avenir radieux. Monsieur le ministre d'État, vous pouvez compter sur les députés de la majorité pour le soutenir.

M. François Brottes. C'est le loup dans la bergerie !

M. Christian Estrosi. Sachez que ce ne sont pas les vociférations et les actes irresponsables de quelques-uns, et l'hypocrisie de l'opposition sur ce sujet qui entraveront notre volonté de réforme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Lionnel Luca.

M. Lionnel Luca. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est les 15 et 16 mars 2002, lors du Conseil européen de Barcelone, qu'a été prise la décision d'ouvrir à la concurrence, le 1er juillet 2004, l'intégralité du marché professionnel - soit quelque 70 % du marché de l'électricité et du gaz.

M. François Brottes. Vous enfoncez une porte déjà ouverte !

M. Lionnel Luca. Vous aimez les courants d'air : ça vous empêche de vous souvenir !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Il ne faut pas oublier !

M. Lionnel Luca. Lionel Jospin, qui était encore Premier ministre, et pensait surtout - cela ne vous aura pas échappé ! - devenir Président de la République, a accepté ce que son parti refuse aujourd'hui.

M. François Brottes. Pas du tout ! C'est de la confusion mentale !

M. Lionnel Luca. C'est aussi le 10 février 2000, alors que Lionel Jospin était également Premier ministre, que fut votée la loi de modernisation de l'électricité, qui avait pour objet de transposer la première directive européenne sur ce sujet. Franck Borotra, ministre de l'industrie du gouvernement d'Alain Juppé, a été le seul ministre qui ait défendu l'exception française en matière d'énergie.

Avec un statut d'établissement public à caractère industriel et commercial, EDF est soumise au principe de spécialité, c'est-à-dire qu'elle ne peut vendre que de l'électricité. Cette situation apparemment favorable lui interdit, en fait, l'accès à d'autres marchés sous prétexte de concurrence déloyale, et la pénalise.

Le Gouvernement n'a donc d'autres choix que de faire évoluer la structure juridique d'EDF.

C'est dire si l'attitude de la gauche, sur ce sujet comme sur d'autres, est désolante et démagogique.

M. Pierre Cohen. Mais non !

M. Lionnel Luca. « EDF devra évoluer pour conserver son remarquable dynamisme » affirmait Laurent Fabius en 2002. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) « La part résiduelle de l'État dans EDF devra être suffisante pour assurer un ancrage incontestable, sans pour autant graver dans le marbre le seuil des 50 % » écrivait, toujours en 2002, Dominique Strauss-Kahn. (Mêmes mouvements.)

M. François-Michel Gonnot. Eh oui !

M. Lionnel Luca. Alors, votre silence complice quand vous êtes au pouvoir, puis vos cris d'orfraie quand vous êtes dans l'opposition, méritent que l'on vous décerne un « Tartuffe d'or » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Excellent !

M. Lionnel Luca. Nous sommes nombreux à rester attachés à l'entreprise EDF parce que c'est nous, les gaullistes, même si nous n'étions pas les seuls, qui l'avons voulue.

M. Pierre Cohen. Il n'y a plus aucun gaulliste, ça n'existe plus !

M. Lionnel Luca. EDF a été voulue par le général de Gaulle, en 1945 - là aussi vous avez besoin de fortifiant pour la mémoire ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous avons toujours considéré que la France doit contrôler et maîtriser sa production et sa vente d'énergie, pour des raisons évidentes d'indépendance nationale.

Nous sommes également attachés au progrès social qu'incarne EDF. Nous souhaitons tous que soient préservés et améliorés, d'une part, la qualité du service public réel, afin que tous les Français continuent de bénéficier d'une qualité d'accès et d'un prix identique d'électricité sur tout le territoire, et, d'autre part, le dynamisme industriel qui a permis à cette entreprise de devenir le leader mondial de la production électrique d'origine nucléaire. Là encore, c'est un gouvernement gaulliste,...

M. Pierre Forgues. Il n'y en a plus !

M. Lionnel Luca. ...celui de Pierre Messmer, qui a décidé du plan électro-nucléaire, que vous combattiez d'ailleurs à l'époque. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) L'ouverture à la concurrence doit être l'occasion d'un nouvel élan sur les marchés mondiaux.

C'est dire, monsieur le ministre, si nous apprécions votre volontarisme politique, bien dans la tradition gaulliste, qui consiste, pour l'État, à maîtriser la ressource énergétique tout en l'adaptant à l'évolution du monde d'aujourd'hui.

Car le monde a changé, n'en déplaise à la gauche, qui, dès qu'elle est dans l'opposition, retrouve ses vieux réflexes préhistoriques, dignes d'une idéologie fossile,...

M. François Brottes. C'est lourd !

M. Richard Cazenave. Non, monsieur Brottes, c'est excellent !

M. Lionnel Luca. ...laquelle n'est, en fait, que l'alibi d'une démagogie corporatiste et politicienne. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François Brottes. Voilà des propos assez nuancés !

M. Lionnel Luca. Ils sont à la mesure des vôtres.

L'entreprise et ses agents ont tout à gagner du texte que vous nous proposez, monsieur le ministre.

Il permet à EDF de disputer la compétition internationale pour conquérir de nouveaux marchés aujourd'hui difficiles d'accès et qui lui permettront, demain, de se développer pour faire davantage encore profiter ses agents de ce dynamisme nouveau.

Par la garantie du maintien de l'État à un haut niveau de participation dans le capital, vous préservez l'exception française, qui refuse de traiter l'énergie comme une simple marchandise. C'est l'assurance de la continuité, dans ce qu'elle a de meilleur pour le personnel, mais aussi pour tous les Français.

Vous allez ouvrir des perspectives nouvelles de progrès social en offrant aux agents d'être actionnaires d'une entreprise performante, ce qui améliorera significativement leur revenu personnel, à l'exemple de Renault, où, l'État devenu minoritaire - grâce à vous messieurs les socialistes -,...

M. François Brottes. Ce n'était pas un service public !

M. Lionnel Luca. ...chacun des salariés a bénéficié d'un gain équivalant à plus d'un mois de salaire.

M. Jean-Louis Dumont. Ce sont les salariés qui créent la performance !

M. Lionnel Luca. Votre action, monsieur le ministre, favorise le progrès et le dialogue social, leur donne un nouvel élan avec une hausse des salaires, qui s'ajoute au GVT, et des recrutements qui s'avéreront utiles à la qualité du service public.

Si nous comprenons et si nous partageons le souhait légitime des agents pour le maintien de la grande entreprise publique qu'est EDF, nous comprenons mal, après les engagements que vous avez pris devant la représentation nationale, la persistance d'une agitation qui va jusqu'à prendre en otages des citoyens ou des élus du peuple dans leur vie personnelle. À moins que ceux qui en sont les instigateurs ne craignent d'avoir à faire preuve de davantage de transparence dans la gestion de leurs propres responsabilités au sein de l'entreprise.

M. François Brottes. C'est une menace ?

M. Lionnel Luca. L'assurance du maintien du statut et des retraites, avec des avantages qui peuvent apparaître comme des privilèges pour les Français qui en sont exclus, devrait inciter certains à plus de modération.

M. François Brottes. Une autre menace !

M. Lionnel Luca. Monsieur le ministre, avec votre texte et vos engagements, nous avons l'assurance qu'Électricité de France restera Électricité de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Dumont.

M. Jean-Louis Dumont. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mesdames, messieurs, le réseau de transport de l'électricité constitue l'épine dorsale du système électrique en général, et une réussite particulière pour notre pays.

En vertu de la loi de 2000, il convenait d'organiser la gestion du réseau de façon à garantir le fonctionnement optimal du marché de l'électricité, dans un contexte européen marqué par l'ouverture du marché de l'énergie à la concurrence et par l'arrivée, entre autres, de clients éligibles. Les conditions à remplir, au regard des acteurs de la production et de la vente, étaient un accès au réseau qui soit identique pour tous, des équipements adaptés aux besoins, tant des producteurs publics ou privés que des consommateurs, fussent-ils industriels, éligibles ou non. Il était prévu que, pour parvenir à l'éligibilité totale, des étapes seraient franchies, et nous sommes aujourd'hui à un nouveau rendez-vous.

En conséquence de la première directive, il fallait réussir l'ouverture du marché en consacrant l'accessibilité aux consommateurs, sans discrimination de quelque nature que ce soit, et assurer notamment le passage des charges électriques sur notre réseau très haute tension.

La loi du 10 février 2000, en créant le RTE, le réseau de transport électrique, entité indépendante bien qu'intégrée au groupe EDF, donnait des garanties réelles. Les missions confiées à RTE, dans un cadre juridique, technique et financier défini par la loi, avaient à l'époque laissé nos partenaires européens pour le moins dubitatifs. Ils considéraient que la France ne voulait pas ou ne pouvait pas mettre en œuvre l'ouverture du marché et qu'elle n'avait pas la capacité de s'adapter aux nouvelles règles européennes.

A ce jour, au terme de quatre années de fonctionnement, RTE, avec une remarquable efficacité, une grande sûreté du service et une particulière réactivité face aux aléas qui mettent en péril les équilibres du réseau, donne toujours pleine satisfaction aux usagers, qu'ils soient domestiques ou industriels.

M. François Brottes. C'est très vrai !

M. Jean-Louis Dumont. Ainsi, n'en déplaise à certains orateurs qui découvrent aujourd'hui la question, la concurrence existe déjà depuis quelques années. L'entreprise publique EDF a su y faire face. Cette évolution a souvent permis aux grandes entreprises de la placer en situation de concurrence, et à EDF d'être toujours non seulement présente, mais, en plus, de développer son activité. Cette ouverture va connaître, du fait de la directive de 2003, une nouvelle étape en 2004 et atteindra un niveau général en 2007.

Pourtant, EDF est toujours un établissement public, son statut n'a pas changé. Cette réussite, tant en France qu'à l'international, démontre, s'il en était besoin, que le statut n'est pas un handicap.

M. Pierre Forgues. Très bien ! Voilà la vérité !

M. Richard Cazenave. Non, nous ne sommes pas d'accord là-dessus !

M. François Brottes. Vous niez les évidences, monsieur Cazenave !

M. Jean-Louis Dumont. L'Union européenne ne demande pas, et donc n'impose pas, le changement de statut.

De surcroît, monsieur le ministre d'État, l'article 4 de votre projet de loi s'inscrit en contradiction complète avec l'esprit et la lettre des directives de l'Union européenne.

M. François Brottes. Très juste !

M. Jean-Louis Dumont. Il va faire de RTE le talon d'Achille de notre organisation électrique et tout particulièrement du groupe intégré EDF. Du fait de l'article 4, cette loi sera attaquée par les gardiens des règles communautaires et par les acteurs du marché de l'électricité, qu'ils soient français ou européens. Pour contrebalancer ces attaques, vous ne manquerez certainement pas, au cours des mois qui viennent, d'ouvrir toujours plus le capital du groupe, jusqu'à sa privatisation. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Vous avez d'ailleurs choisi le statut de SA pour rendre cette entreprise opéable.

M. Richard Cazenave. Monsieur Dumont, vous devriez être scénariste !

M. Jean-Louis Dumont. Monsieur le ministre d'État, faire évoluer les conditions de gestion de l'entreprise publique relève de votre responsabilité politique puisque vous avez aujourd'hui la majorité, mais vous pouviez décider de conserver son statut pour ne pas la fragiliser. J'assume ce que j'avais écrit en 1998, dans un rapport remis au Premier ministre de l'époque : une partie des salariés de cette entreprise publique souhaitent participer au capital, même s'ils ne constituent peut-être pas la majorité, et, de plus, la loi de 1946 prévoyait initialement une participation des collectivités locales. Compte tenu de votre volonté, certes critiquable et confuse, de décentraliser de nouvelles compétences pour les collectivités locales, n'était-ce pas le moment, aujourd'hui ou jamais, d'élargir la capacité de gestion d'EDF en faisant participer au capital les salariés et les collectivités locales ? Pourquoi pas dans le cadre d'une société mixte nationale, donc non opéable ? Si vous vouliez aller plus loin, pourquoi ne pas opter pour le statut coopératif européen ou, mieux encore, la société coopérative d'intérêt collectif ?

M. Yves Cochet. Très bien !

M. Jean-Louis Dumont. Celle-ci peut délimiter des compétences et, grâce à la différenciation des collèges, faire participer des acteurs différents. De plus, aucun de ces statuts n'aurait permis d'OPA.

M. le président. Monsieur Dumont, il faut conclure.

M. Pierre Forgues. Mais c'est intéressant !

M. Jean-Louis Dumont. Permettez-moi tout de même de conclure par deux observations, monsieur le président.

N'oubliez pas, monsieur le ministre, le rapport étroit entre le RTE et l'interconnexion sur l'ensemble du continent, ni les conditions dans lesquelles la charge est transportée sur les autoroutes électriques dans les pays où le marché de l'électricité est complètement ouvert. N'oubliez pas non plus que, selon les normes européennes, le réseau de transport doit rester sous l'autorité de l'État. Il en va de la sûreté, et de notre sécurité.

Réussir la future organisation électrique française, tel était le défi lancé à un gouvernement que vous critiquez. Quatre années après, nous constatons que la directive a été intégrée dans le droit français avec des résultats remarquables. Certains des membres de votre majorité vous ont d'ailleurs interpellé sur le RTE. Ne disposant que de cinq minutes,...

M. le président. Monsieur Dumont, le respect du temps de parole est valable pour tout le monde !

M. Jean-Louis Dumont. ...j'appelle simplement votre attention, monsieur le ministre, sur le fait que vous pourriez mettre en danger la filiale mise en place. Ce serait dommage non seulement pour l'entreprise, mais aussi pour notre pays. Avec ce projet de loi, c'est notre crédibilité qui est en jeu ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pierre Cohen. Ce projet de loi est même une faute politique !

M. le président. Je rappelle à l'ensemble de nos collègues que les temps de parole sont de cinq minutes par orateur. Respectez-les, car il y a beaucoup d'orateurs inscrits. Si chacun d'entre eux dépasse de deux ou trois minutes, cela aboutira à plus d'une heure supplémentaire de discussion générale, ce qui n'est pas admissible. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François Brottes. Mais c'est un grand débat !

M. le président. Vous connaissez tous le règlement. Les groupes ont fixé en conférence des présidents la répartition du temps de parole. Je vous demande de la respecter.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Respectez le règlement, monsieur Brottes !

M. le président. On peut en dire en cinq minutes autant qu'en sept !

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ça, c'est vrai !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Nicolas.

M. Jean-Pierre Nicolas. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, chers collègues, rares ont été, dans l'histoire industrielle de notre pays, des succès aussi éclatants que ceux d'Électricité de France et de Gaz de France. Alors, en vertu du principe sportif consistant à ne pas changer une équipe qui gagne, on est en droit de se demander s'il faut changer leur statut.

La réponse à cette interrogation est, à l'évidence, positive et elle découle largement de faits non imputables au gouvernement actuel mais qu'il doit prendre en compte.

Pour mémoire, je rappelle la décision du gouvernement Jospin de mars 2002. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Ah, c'est dur !

M. Jean-Pierre Nicolas. Elle a ouvert à la concurrence l'intégralité du marché des professionnels : entreprises, artisans, commerçants et professions libérales, soit environ 70 % du marché total.

En changeant ainsi d'échelle pour concerner désormais des dizaines de millions de clients, l'ouverture à la concurrence a véritablement créé un nouvel environnement, auquel l'organisation de notre secteur électrique et gazier, qui datait de 1946, n'est plus adaptée.

Cette ouverture à la concurrence s'accompagnera inéluctablement de pertes de parts de marché sur le territoire national. L'ouverture du marché déjà réalisée pour les clients industriels a démontré ce phénomène. Ainsi, il est indispensable que nos champions nationaux, EDF et GDF, deviennent des champions européens. Il s'agit donc pour le Gouvernement de doter nos deux entreprises nationales des moyens qui leur permettront de se développer avec les mêmes atouts que leurs concurrents en Europe tout en assurant le service public auquel nous sommes tous très attachés, et en abrogeant notamment le principe de spécialité afin de permettre à EDF et à GDF de proposer comme leurs concurrents des offres multiénergies.

Face à cette concurrence plus vive, la Commission européenne veille à ce que tous les opérateurs soient placés dans des conditions équivalentes sur le marché de l'électricité et du gaz. C'est pourquoi elle a demandé que la France supprime « la garantie illimitée » dont bénéficie EDF sur tous ses engagements en vertu de son statut d'EPIC. C'est même le point 82 de la lettre du 16 octobre 2002 de M. Mario Monti. Dès lors, il convenait à l'évidence de faire l'inventaire de notre arsenal juridique et administratif pour faire évoluer le statut de nos deux entreprises nationales, et c'est tout naturellement que le choix s'est porté sur le statut de société anonyme.

Ainsi, ce projet de loi ne préfigure pas une loi de rupture mais une loi d'obligation, générant une loi d'adaptation.

M. Pierre Forgues. Mais non !

M. Jean-Pierre Nicolas. Dès lors que l'obligation de changement de statut était patente, encore fallait-il éviter les nombreux écueils pour présenter un texte garantissant au pays un service public de l'électricité et du gaz participant au développement économique, à la cohésion sociale et à la protection de l'environnement.

Le texte que vous nous proposez, monsieur le ministre d'État, remplit ce triple objectif puisqu'il a été élaboré dans la concertation, avec pragmatisme et réalisme, en tenant compte de certaines réactions, voire en les anticipant.

Les missions de service public d'EDF et de GDF sont réaffirmées, quantitativement et qualitativement, ainsi que la péréquation tarifaire pour l'électricité.

Le caractère intégré des deux entreprises est maintenu. C'est un acquis de 1946 auquel le personnel est légitimement attaché, et dont de nombreux exemples malheureux à l'étranger ont démontré la pertinence. Certes, il pourrait être tentant de disserter sur l'opportunité de créer un ou deux GRD, mais là n'est pas l'essentiel. EDF ne sera pas privatisé, vous l'avez clairement dit, monsieur le ministre d'État.

M. Jean-Louis Dumont. Ça, c'est un discours d'incantation !

M. Jean-Pierre Nicolas. Il n'y a pas de décision idéologique dans ce texte. Ce projet de loi est clair à ce sujet, et la création d'une commission évaluant le besoin de financement des deux entreprises permettra d'avoir une vision éclairée de leur situation financière, sur laquelle, pour EDF notamment, la commission d'enquête sur les entreprises publiques avait émis de sérieuses réserves. J'ai d'ailleurs noté que ces inquiétudes ont été exprimées à leur tour par plusieurs orateurs depuis le début de nos débats. Il ne faudrait pas en effet que la société anonyme soit aux prises avec des difficultés financières sérieuses dès sa création.

Le statut des personnels est inchangé. C'est fondamental. Il sera même conforté, puisqu'au lieu d'être employés par des entreprises vouées au déclin pour cause d'immobilisme, ils travailleront dans des groupes nécessairement conquérants. En outre, dans l'éventualité d'une augmentation du capital, ils pourront devenir actionnaires de l'entreprise, à laquelle ils sont très attachés.

Le système de retraite du personnel des industries électriques et gazières est préservé, avec, d'une part, la création d'une caisse nationale des IEG, et d'autre part, la garantie de l'État pour les droits validés au 31 décembre 2004. Le projet règle, en outre, un important problème d'ordre comptable lié à une norme communautaire qui impose aux entreprises de provisionner dans leurs comptes l'intégralité de leurs engagements de retraites, c'est-à-dire quelque 70 milliards d'euros pour EDF et GDF. L'application de cette règle mettrait mécaniquement nos deux entreprises en situation de faillite comptable.

M. le président. Monsieur Nicolas,...

M. Jean-Pierre Nicolas. Je conclus, monsieur le président,...

M. le président. Merci.

M. Jean-Pierre Nicolas. ...en disant à mes collègues de l'opposition que je leur ferai grâce des déclarations de Mme Nicole Bricq, de MM. Fabius, Strauss-Kahn et Jospin, qui montrent qu'ils étaient tous très attachés à une ouverture du capital.

M. le président. Abrégez, monsieur Nicolas.

M. Jean-Pierre Nicolas. Mais comment être pour l'Europe, approuver le sommet de Barcelone, être favorable aux investissements d'EDF en Argentine, au Brésil, en Italie et en Chine,...

M. Alain Gest. Eh oui !

M. Jean-Louis Dumont. Ces investissements seront payants dans l'avenir !

M. Jean-Pierre Nicolas. ...et refuser, de façon idéologique, l'évolution d'un statut bâti sans l'Europe, et d'après les besoins hexagonaux de 1946 ?

Monsieur le ministre d'État, avec la loi d'orientation énergétique et ce projet de loi sur l'évolution du changement de statut d'EDF et de GDF, vous aurez doté notre pays d'outils indispensables à notre développement économique, à notre cohésion sociale et à la protection de notre environnement.

Nous avons conscience des difficultés que vous avez su surmonter.

M. le président. Monsieur Nicolas !

M. Jean-Pierre Nicolas. Nous vous en félicitons. Vous avez tenu compte...

M. le président. Non, monsieur Nicolas, vous ne pouvez pas continuer !

M. Jean-Pierre Nicolas. ...de l'histoire des entreprises et de leurs acquis sociaux. La concrétisation de ce projet est indispensable. Avec vous, monsieur le ministre d'État, et avec les agents d'EDF et GDF responsables, nous le ferons pour la France et les Français.

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle la règle du jeu : cinq minutes par orateur. Nous avons deux heures de débat. Une motion de renvoi en commission devra être défendue avant la levée de la présente séance. Dans la séance suivante, l'Assemblée devra examiner le texte d'une commission mixte paritaire sur un autre projet de loi. L'ordre du jour est très chargé. Je vous demande donc de respecter votre temps de parole, faute de quoi je serai obligé de vous interrompre avant la fin de votre intervention.

M. Jean-Louis Dumont. Vous êtes dur avec les représentants du peuple, monsieur le président !

M. le président. Oui, je suis dur.

La parole est à M. Alain Gest.

M. Alain Gest. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, à ce stade de notre discussion générale, beaucoup de choses ont été dites quant à la nécessité et à la pertinence de ce texte.

M. Jean-Louis Dumont. Tout a été dit ! Tout le mal qu'il faut penser de ce texte a été dit !

M. Alain Gest. Comme l'a rappelé notre excellent rapporteur, ce texte était obligatoire, pour des raisons juridiques et économiques, dans le cadre de l'ouverture à la concurrence. Comme vous, monsieur le ministre d'État, nous croyons à l'avenir d'EDF et de GDF. Notre seule ambition est donc de leur donner les moyens de tirer parti de l'ouverture du marché européen. Transformer les EPIC en SA, pérenniser le financement des retraites, garantir le service public à travers des contrats liant les entreprises à l'État, faire en sorte que celui-ci garde le contrôle des secteurs stratégiques : je souscris pleinement, comme mes collègues de l'UMP, à toutes les modalités qui concourent à atteindre ces objectifs. Je n'y reviendrai donc pas.

Ce qui a sans doute été moins évoqué, sauf peut-être par notre collègue Lionnel Luca il y a quelques instants, c'est le climat dans lequel se déroulent nos débats. Je fais allusion ici aux pressions inacceptables exercées sur certains parlementaires par une minorité d'agents électriciens et gaziers.

M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Très juste !

M. Jean-Louis Dumont. C'est le droit syndical !

M. Alain Gest. Les perturbations sauvages, aveugles et inadmissibles dont ont souffert nos compatriotes se sont parfois apparentées à une prise d'otages comme l'a dit Lionnel Luca, et comme j'ai pu moi-même le constater hier soir, tout à fait par hasard, dans la région lilloise.

M. Jean-Louis Dumont. Il y en d'autres qui ont mené des actions du même type, qu'il s'agisse des agriculteurs ou des sidérurgistes !

M. François Brottes. Vous faites de la provocation, monsieur Gest !

M. Alain Gest. L'utilisation, comme hier dans Paris, de véhicules de service dans des manifestations, afin de bloquer la circulation, la tentative de manipulation des salariés d'EDF, GDF et RTE quant à une prétendue privatisation, tout ceci (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...

M. le président. Chers collègues, arrêtez de vociférer, enfin ! Chacun a le droit de s'exprimer ! Poursuivez, monsieur Gest.

M. François Brottes. Il n'apporte pas d'arguments, il provoque !

M. Pascal Terrasse. Il veut supprimer les syndicats : c'est scandaleux !

M. Alain Gest. Je sais que mes collègues seraient assez tentés de couper le micro. Ce sont un peu les méthodes qui sont utilisées à l'extérieur de cet hémicycle.

M. Jean-Louis Dumont. Non ! Nous sommes des démocrates !

M. Pierre Cohen. Il n'y a pas de fachos de ce côté-ci de l'hémicycle !

M. Alain Gest. Tout ceci, disais-je, relève de méthodes incompatibles avec le discours des manifestants sur la nécessité de sauvegarder la qualité d'un grand service public.

S'agissant du texte que vous nous soumettez, monsieur le ministre d'État, je me permettrai néanmoins d'attirer votre attention sur deux points qui me donnent à réfléchir.

Le premier a trait aux dispositions de la directive de 2003 concernant le gestionnaire du réseau de transport et à leur traduction dans ce texte. Nous approuvons votre choix de préserver le caractère intégré des entreprises. Cela dit, pour que l'esprit et la lettre de la directive soient respectés, il convient que le gestionnaire du réseau de transport soit « indépendant sur le plan de la forme juridique, de l'organisation et de la prise de décision, des autres activités non liées au transport ». Or, dans sa version initiale, le texte prévoit, d'une part, que le budget, la politique de financement, la création de sociétés ne peuvent être adoptés sans le vote favorable de la majorité des membres élus par les actionnaires, et, d'autre part, que le gestionnaire du réseau de transport est désigné par le président de l'entreprise de production. Certes, un amendement présenté par Patrick Ollier et Jean-Claude Lenoir a confié la nomination du gestionnaire au ministre, ce qui concerne, je pense, le président de la filiale. Mais qu'en est-il du futur directeur général ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Il est également concerné.

M. Alain Gest. Par ailleurs, ne croyez-vous pas que l'indépendance totale de cette nouvelle filiale serait mieux garantie si le budget annuel n'était pas soumis à l'exigence d'un vote favorable par au moins la moitié des représentants des actionnaires ? J'ai une petite expérience de ce qui se passe dans un tout autre domaine, celui du haut débit, et j'avoue que j'ai du mal à croire qu'une entreprise puisse avoir spontanément la volonté de laisser une totale indépendance à une filiale et de ne pas perturber ainsi le jeu de la concurrence.

En ce qui concerne les retraites des agents, nous avons bien noté, monsieur le ministre d'État, votre volonté de prendre en compte l'histoire syndicale et les acquis sociaux des entreprises EDF et GDF. Cela se traduit par le maintien du régime spécial par répartition, et donc, entre autres choses, de la durée de cotisation. Si l'on comprend bien cette mesure, ce respect de l'accord passé pour les agents présents, on peut s'interroger sur ce qu'il en sera pour les futurs embauchés. En termes d'équité à l'égard de nos concitoyens dont le régime de retraite a été uniformisé l'an passé, ce choix peut apparaître contestable,...

M. François Brottes. Déjà la fin du statut !

M. Alain Gest. ...même si, comme vous l'avez précisé, des négociations ultérieures, relevant de l'entreprise, peuvent être envisagées.

M. François Brottes. Le statut est menacé !

M. Alain Gest. Sur ces deux points,...

M. le président. Monsieur Gest,...

M. Alain Gest. Je conclus, monsieur le président.

Sur ces deux points, je ne doute pas, monsieur le ministre d'État, que vous saurez nous donner des éléments complémentaires d'appréciation.

Pour le reste, les membres du groupe UMP sont, comme vous, persuadés que l'histoire jugera.

M. François Brottes. Et dans pas longtemps, d'ailleurs !

M. Alain Gest. Nous préférons résolument nous situer du côté du mouvement, de l'adaptation, de la modernisation...

M. Jean-Louis Dumont. La modernisation, c'est nous qui l'avons lancée ! Avec vous, c'est la régression !

M. Alain Gest.... et de la confiance dans ces grandes entreprises que sont EDF et GDF. Ce projet de loi répond pleinement à ces exigences. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Cohen.

M. Pierre Cohen. Monsieur le ministre délégué à l'industrie, je regrette que M. Sarkozy nous ait quittés, car les mots que je vais prononcer s'adressaient à lui.

Depuis que vous êtes en charge de ce dossier, allais-je lui dire, votre mode d'exercice est édifiant. Vous vous voulez pédagogique, vous êtes démagogique. Vous vous voulez rassurant, vous êtes inquiétant. Vous vous voulez « service public », vous êtes libéral. Vous vous voulez efficace, vous êtes dangereux.

Essayons de comprendre les réelles motivations qui ont présidé à ce projet de loi. Elles doivent peser de tout leur poids, car vous nous avez amenés à voter au préalable la loi d'orientation sur l'énergie avec un mépris sans précédent pour notre assemblée, compte tenu de l'urgence et de l'impréparation du texte.

Vous êtes démagogique, même si votre démonstration se veut en apparence rigoureuse. Selon vous - on n'a entendu que cela aujourd'hui -, vous seriez obligés de changer le statut d'EDF et GDF à cause de Lionel Jospin et du traité de Barcelone qui a entériné le principe de la concurrence pour les entreprises, à hauteur de 70 % du marché national.

M. Claude Gatignol. C'est tout à fait exact !

M. Pierre Cohen. C'est faux, puisque votre ami le commissaire libéral, M. Monti, a confirmé qu'il n'était pas nécessaire de changer de statut, et encore moins de privatiser.

Vous affirmez que le statut du personnel ne changera pas et vous vous portez garant de la pérennité des avantages sociaux. Vous allez jusqu'à augmenter les salaires de 2,5 % en plus du GVT alors que les autres ne sont même pas alignés sur le coût de la vie.

Vous assurez maintenir les retraites à cinquante-cinq ans, avec les arguments inverses de ceux que vous avez utilisés pour remettre en cause les retraites par répartition pour tous les autres.

Non, les personnels ne sont pas dupes. Malgré l'appel des sirènes, ils ont dit non à la démagogie. Je les en félicite.

Vous êtes inquiétant : vous vous targuez de travailler avec sérieux et responsabilité alors que ce projet de loi évolue au gré de vos reculades et de vos concessions. Car, il faut le savoir, ce texte n'est qu'une privatisation pure et simple, avec 50 % de capital public. Il est vrai que, entre-temps, suite à une rencontre avec quelques membres du personnel, M. Sarkozy...

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Il y avait 1 500 personnes devant lui !

M. Pierre Cohen. ...a changé d'avis : le capital public est passé à 70 %. Nous avons eu l'occasion d'en discuter en examinant un amendement en commission. Mais voilà que, depuis samedi, il a pris conscience qu'il lui serait difficile de répondre à certains arguments. En particulier, comment faire croire que le capital d'EDF Transport resterait public à 100 % alors que sa maison mère ne serait détenue par l'État qu'à hauteur de 70 % ? Alors, comme par hasard, on invente une commission chargée d'y réfléchir, mais pas dans le cadre de la discussion de ce projet, ce qui permet d'afficher dans le texte un chiffre de 100 % de manière incantatoire.

M. François Brottes. Et de dessaisir le Parlement !

M. Pierre Cohen. Ce n'est absolument pas sérieux. En fait, vous livrez EDF à la logique du marché.

Vous êtes aussi un libéral.

M. Pascal Terrasse. Non ! Un ultralibéral !

M. le président. Monsieur Terrasse !

M. Pierre Cohen. Voilà le vrai fondement de ce projet de loi ! Seule votre ambition idéologique et son affichage politique auprès des vôtres - ils s'en réjouissent d'ailleurs - a prévalu. Si vous étiez aussi attaché au service public que vous l'affirmez, monsieur le ministre, vous ne transformeriez pas un EPIC en société anonyme. Avez-vous oublié l'exemple de Vilvorde,...

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Soyez discret pour ce qui concerne Vilvorde !

M. Pierre Cohen. ...où il a été décidé de fermer Renault parce que les fonds de pension américains actionnaires considéraient que cette entreprise ne rapportait pas suffisamment ? Vous livrez de la même manière EDF et GDF à la logique du marché. C'est à ce niveau que se situe le vrai débat. C'est bien parce que nous attachons autant d'importance à la mutation juridique d'EDF en société anonyme qu'à l'ouverture du marché que nous nous opposons à ce texte, malgré vos reculades d'aujourd'hui. Aussi, je vous demande de réfléchir en toute honnêteté aux conséquences de votre décision de transformer un EPIC en société anonyme cotée en bourse. Quel sera le sera le pilotage d'une telle entreprise ? Ce statut d'établissement public à caractère industriel et commercial a garanti jusqu'à maintenant - tout le monde trouvait cela extraordinaire - la péréquation tarifaire...

M. Jean-Louis Dumont. C'est indispensable !

M. Pierre Cohen. ...l'accès de tous les usagers, même les plus défavorisés, sur l'ensemble du territoire national au réseau, la sécurité, le financement de la recherche. La culture d'entreprise a suscité la confiance des Français. EDF-GDF bénéficie d'un capital de confiance unique. Il n'est qu'à se référer aux nombreux témoignages des Français lors de la mobilisation des agents EDF pendant les grosses tempêtes.

Qu'en sera-t-il à l'avenir lorsqu'elle sera devenue une société anonyme ? Nous le savons très bien, le thermomètre du pilotage est basé avant tout sur la cotation en bourse et les 15 % de salariés actionnaires ne représenteront pas une garantie. Nous avons des amis qui sont devenus actionnaires de France Télécom. Quelles que soient leurs opinions, ils ont fini par se comporter en simples actionnaires, ne s'intéressant qu'à leur portefeuille. Cela nous conduira tout simplement à la situation que connaissent les États-Unis et l'Angleterre.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Pierre Cohen. Vos revirements successifs le montrent, vous comprenez que vous êtes en train de commettre une grave faute pour notre pays. Les salariés ne partagent pas votre choix, malgré les promesses qui leur sont faites, et les Français ne demandent pas de changer ce qui marche. Nous vous le demandons, monsieur le ministre : retirez ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Dumont. Quelle force ! Quelle conviction !

M. le président. La parole est à M. Claude Gatignol.

M. Claude Gatignol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir voté les orientations de politique énergétique, voici quelques jours, notre assemblée débat d'un texte apportant aux opérateurs un cadre d'activité clair, conforme aux directives européennes, instituant l'ouverture du marché et la concurrence dans la distribution aux clients. Une évidence s'impose à nous : les deux entreprises nationalisées ont perdu leur monopole et sont fragilisées dans leur développement national et international. L'espace ouvert est l'Europe, mais chaque pays évalue à sa façon la pratique concurrentielle : EDF l'a appris à ses dépens en Italie ou en Allemagne, et GDF est en situation de blocage sur de nombreux partenariats.

Appréciant ces entreprises, je crois absolument nécessaire et urgent de leur donner les moyens de « courir en tête » et d'ôter ce qui est devenu, depuis quelques années, une lourde semelle de plomb : le statut d'EPIC, qui, limitant l'ambition de l'entreprise, est inadapté aux pratiques commerciales actuelles. Je reprends les propos de M. Philippe Herzog, alors député européen. Nous n'avons pas le choix si nous voulons la réussite d'EDF et de GDF ! Telle est la volonté du groupe UMP.

EDF doit faire face à plusieurs défis - demande croissante, gros investissements, augmentation des coûts, retraites - et sera concernée pour 70 % de sa clientèle potentielle au 1er juillet prochain, 100 % dans trois ans.

L'obligation d'améliorer, d'agrandir le parc nucléaire et les productions de pointe exige des moyens financiers que l'État, en déficit, ne peut apporter. La nouvelle EDF SA, maintenue sous l'autorité de l'État, aura pour objectif d'y pourvoir, grâce à ses compétences et à son expérience, reconnues au sein de l'E7, qui regroupe les plus grands électriciens mondiaux. Je l'ai constaté personnellement.

S'il est un domaine où la gestion doit être sans défaut, c'est celui du transport, élément essentiel entre le producteur et le consommateur. L'État doit veiller particulièrement à l'autonomie de l'entreprise, créée par la loi de 2000, chargée des infrastructures. Bernard Carayon, rapporteur pour avis de la commission des finances, l'a souligné, comme Mme de Palacio au nom de la Commission européenne. Les grandes pannes électriques survenues en 2003 aux USA, en Italie et en Scandinavie sont des signaux d'alerte imputables à des réseaux mal entretenus, qui n'ont rien à voir avec l'ouverture du marché. La bonne qualité, la capacité, le maillage d'un réseau sont nécessaires pour une gestion efficace des flux et la satisfaction de la demande à l'instant T, car l'électricité ne se stocke pas, c'est un exemple parfait de flux tendu. RTE-France est une référence en la matière et la valeur de son ingénierie est reconnue internationalement des États-Unis à la Chine. De plus, son implication dans la co-installation des fibres optiques est bonne pour les technologies de l'information et de la communication ; le département de la Manche a été le premier concerné par ce partenariat.

Nos entreprises gazières ont su s'adapter aux contraintes géopolitiques d'approvisionnement, mais Gaz de France et Total doivent maintenant assurer la liberté d'accès aux réseaux et aux stockages tout en maintenant leurs parts de marché. La gestion du gaz est totalement différente de celle de l'électricité. Il faut en tenir compte par des mesures spécifiques. L'offre de service des 170 opérateurs en énergie présents en France doit répondre à une demande diversifiée de la clientèle. C'est tout l'enjeu du marché, le principe de spécialité ne le permettant pas à ce jour. Mais, s'il y a nécessité absolue d'adaptation juridique à la situation économique, nous avons aussi le souci de respecter le pacte social conclu avec les salariés, comme en témoignent les nombreuses concertations. Concernant les retraites, les dispositions prévues apportent une garantie qui n'existait pas ou qui n'existait plus. Je veux souligner ce point très positif que l'importance du titre IV du projet de loi démontre.

C'est donc un paysage énergétique nouveau, modernisé, dynamisé que propose ce texte, alliant l'historique du service public français à la nécessaire réactivité des entreprises. Rien ne serait pire que l'immobilisme. Pour le personnel, associé à cette ambition par l'actionnariat populaire, c'est un beau challenge que faire gagner son entreprise à l'échelle internationale.

Oui, ce texte pragmatique, issu d'une obligation économique et d'une situation nouvelle en Europe, permet de définir une véritable stratégie à long terme. Amélioré par nos amendements, il permettra l'application d'une politique énergétique volontariste, ambitieuse, favorable à l'avenir de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Remiller.

M. Jacques Remiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d'abord, si vous le permettez, à saluer le travail accompli par EDF, cette entreprise compétente qui, depuis soixante ans, contribue à l'amélioration de la vie des Français.

M. François Brottes. Il ne faut pas changer !

M. Jacques Remiller. Nous en discuterons devant les électeurs du département de l'Isère !

M. François Brottes. C'est déjà commencé !

M. Jacques Remiller. Disponibilité du courant sur tout le territoire vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec très peu de coupures involontaires, tension fournie aux abonnés bien respectée, capacité de production et de transport correctement dimensionnée, rétablissement rapide du courant après les tempêtes ou inondations par des agents dévoués au service public, toutes ces raisons expliquent la bonne image que les Français ont d'EDF.

Compte tenu de l'histoire particulière de cette entreprise, fondée par le général Charles de Gaulle en 1946, je me réjouis, monsieur le ministre, de votre volonté de maintenir le statut du personnel d'EDF et de GDF. L'ouverture de 30 % du capital ne change rien au fond. L'État pourra continuer à fixer les prix d'EDF, à apporter de l'argent à l'entreprise - en augmentation de capital, en compte d'actionnaire, en prêt ou caution de prêt - et à maintenir le statut du personnel, de même que celui des retraites. Le succès de l'ouverture de capital et la santé à long terme d'EDF dépendront de la qualité du cahier des charges du service public qui lui sera imposé. Il importe d'investir en anticipant les besoins, de garantir la sécurité des centrales et du réseau, et la fourniture du courant sur tout le territoire vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous saurez nous apporter des garanties à cet égard.

Enfin, décidée au sommet de Barcelone, cette ouverture à la concurrence va nécessairement faire perdre des parts de marché à EDF, qui doit donc se développer. Pour cela, elle a besoin d'argent. L'ouverture du capital lui permettra d'accéder au marché mondial dans les mêmes conditions que ses concurrents. C'est pourquoi cette réforme est indispensable. Grâce à l'ouverture de son capital à 30 %, EDF continuera de bénéficier d'emprunts à des conditions avantageuses parce que son actionnaire majoritaire reste l'État français, qui est solide et réputé bon payeur. Nous sommes tous, ici, très attachés à la défense du service public. Je souhaite, monsieur le ministre, que votre projet ambitieux pour cette magnifique entreprise lui permette de faire un bond important. Ses agents, en accédant au capital de l'entreprise, pourront voir leurs revenus augmenter significativement. C'est ce qui nous engage à soutenir fermement votre projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole à M. Pascal Terrasse.

M. Pascal Terrasse. Monsieur le ministre, la libéralisation n'a pas entraîné, vous le savez, les baisses de prix escomptées. Au contraire, les grands consommateurs industriels ont enregistré une hausse sensible du prix de leur électricité, qui se révèle très variable. La libéralisation est donc bel et bien, aujourd'hui, synonyme de rupture d'approvisionnement. Est-il besoin de faire référence à ce qui s'est passé en Italie, en Espagne, en Scandinavie ou encore en Grande-Bretagne, et qui se déroulera vraisemblablement demain en France ? Cet été, EDF a rencontré de grosses difficultés d'approvisionnement sur le marché du « Powernext ». Il serait bon de réfléchir, au plan européen, à la création d'une autorité de régulation en la matière.

Nos concitoyens attendent que EDF s'organise autour de trois fonctions de base. Il convient, c'est essentiel, d'assurer la continuité et la sécurisation de la fourniture ; de maintenir un prix bas et une prévisibilité de l'approvisionnement ; et de garantir la santé et la sécurité de l'entreprise. Aujourd'hui, vous devez avouer devant la représentation nationale que l'ouverture du capital de cette société ne se justifie dans aucune des trois fonctions majeures que je viens d'énumérer. M. le ministre d'État, qui a dû s'absenter, a loué, voici quelques jours, la politique économique du gouvernement américain. Je ferai, à ce titre, référence à ce qui s'est passé en Californie. En septembre 1996, l'Assemblée de l'État de Californie a adopté, à une majorité très confortable, la loi de libéralisation du secteur électrique. Durant l'été 2000, les prix s'envolent à la Bourse de l'électricité créée par cette loi et, dans les quinze premiers jours de juin, l'État de Californie doit dépenser près de 2,5 milliards de dollars pour faire face à la crise. En janvier 2001, cette pénurie, devenue quasi constante, oblige les différents opérateurs à pratiquer des coupures tournantes. En mars 2002, devant le Conseil supérieur consultatif d'EDF-GDF, qui organisait un forum sur la thématique, ô combien d'actualité, « L'électricité est-elle réductible à une marchandise ? », M. Carl Wood, membre de la Commission de régulation de l'électricité californienne, tient les propos très intéressants suivants : « Les actionnaires des sociétés de distribution ont subi une baisse de 50 % des cours, les consommateurs une hausse de 40 % des prix, les salariés de l'industrie électrique une réduction de 35 % de leurs effectifs et le gouvernement californien un endettement de 9 milliards de dollars pour se substituer aux opérateurs afin de fournir de l'électricité pendant les quatre mois les plus durs de la crise... » Ce bilan se passe de commentaires et nous oblige, tous autant que nous sommes, à la réflexion.

Pour conclure, monsieur le ministre, permettez moi de me poser quelques questions teintées d'inquiétudes concernant, au regard de votre projet, le devenir du parc nucléaire de la France et celui, à plus ou moins long terme, des entreprises EDF et GDF. Quelle société privée, dont le but lucratif est gravé dans le marbre, s'imposera des investissements gigantesques, tant en matière de constructions de nouvelles unités de productions, telles que l'EPR, que d'élimination de stocks de déchets nucléaires ou encore de démantèlement des centrales devenues obsolètes et donc dangereuses pour l'ensemble de nos concitoyens ? Même si EDF continue d'assurer les missions fondamentales que je viens d'énumérer, de tels coûts auront un véritable impact sur sa valeur dans le cadre de l'ouverture de son capital. En effet, tout ce qui devra être remboursé à plus ou moins long terme par EDF viendra en diminution de ce qu'un actionnaire privé sera prêt à mettre pour entrer dans le capital de cette grande entreprise.

On mesure là les limites de votre action gouvernementale et les imperfections majeures d'un texte qui remet gravement en cause le droit, pour chacun de nos concitoyens, d'obtenir un approvisionnement électrique de qualité, répondant à des critères de justice sociale.

Monsieur le ministre, les erreurs peuvent être comprises et leur réparation admise par nos concitoyens, mais, lorsqu'elles se transforment en fautes, elles restent gravées dans le marbre de la mémoire collective. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après le débat sur la politique énergétique et la loi d'orientation sur l'énergie, le projet de loi qui nous est présenté tire les conséquences de l'évolution de la législation communautaire en matière de production et de distribution de l'électricité et du gaz.

La première directive européenne relative à l'ouverture du marché de l'électricité, je le rappelle, remonte au 19 décembre 1996 : dès cette date, il a été prévu que l'ouverture serait effective avant 1999 pour les clients consommant plus de 40 gigawattheures, entre 2000 et 2002 pour les clients consommant plus de 20 gigawattheures et, enfin, entre 2003 et 2005 pour les clients consommant plus de 9 gigawattheures. Cette directive a été transposée le 10 février 2000, mes chers collègues, dans le cadre de la loi relative à l'organisation et au développement du service public de l'électricité.

En même temps qu'il parlait du développement du service public de l'électricité, le gouvernement de l'époque organisait la privatisation de la Compagnie nationale du Rhône, propriété de la nation, qui était le deuxième producteur public d'électricité.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Eh oui !

M. Michel Bouvard. De nombreuses collectivités territoriales, parmi lesquelles celles dont j'ai l'honneur d'être membre, en étaient d'ailleurs actionnaires - et, pour notre part, nous le sommes restés.

M. Pascal Terrasse. Tractebel a racheté la CNR il y a un an !

M. le président. Monsieur Terrasse !

M. Pascal Terrasse. Je ne fais que rétablir la vérité !

M. le président. Laissez parler M. Bouvard !

M. Michel Bouvard. Même la ville de Paris, sous M. Delanoë, a vendu ses titres de la CNR, après qu'un pacte d'actionnaires eut été refusé !

M. Jacques Myard. Boursicoteurs ! (Sourires.)

M. Pascal Terrasse. Le conseil général du Rhône a vendu ses actions !

M. le ministre délégué à l'industrie. Tout comme M. Delanoë !

M. Michel Bouvard. Cette directive a enclenché une mécanique qui tend à acter la coexistence entre des activités demeurant monopolistiques, le transport et la distribution, et d'autres ouvertes à la concurrence, la production, l'exportation et l'importation d'électricité. C'est la loi de 2000, rappelons-le, qui a organisé l'accès des tiers au réseau et a créé RTE. C'est la loi de 2000 qui a institué la compensation des charges du service public de l'électricité, identifiées dans la tarification. C'est la loi de 2000 qui a créé la CRE. C'est encore la loi de 2000 qui a distingué les consommateurs éligibles, lesquels représentent aujourd'hui 34,5 % de la consommation nationale.

La seconde directive du Parlement européen et du Conseil, celle du 26 juin 2003, qui concerne les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, va élargir l'ouverture à la concurrence en portant le nombre de clients éligibles de 3 000 à 3,5 millions.

La mécanique qui s'impose aujourd'hui à nous a donc bien été enclenchée par des décisions antérieures, approuvées par le gouvernement de l'époque.

Lors des deux débats précédents, monsieur le ministre, j'ai eu l'occasion de dire ma conviction, largement partagée dans cette enceinte, que l'électricité n'était pas un bien comme les autres, parce qu'il concerne tous nos concitoyens dans leur vie quotidienne mais aussi parce qu'il conditionne, au travers de la politique tarifaire, le maintien de nos capacités industrielles. C'est pourquoi j'ai affirmé mon attachement à ce que l'État garde la maîtrise d'EDF,...

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Michel Bouvard. ...dont les orientations en matière de politique d'investissement, notamment, doivent privilégier le long terme et satisfaire à la gestion des situations spécifiques comme celles des sites isolés, ainsi qu'à la sécurité de l'approvisionnement.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Michel Bouvard. Nous avons bien compris que la position du commissaire Monti à propos de la garantie de l'État sur les emprunts était incompatible avec le statut d'établissement public - il existe d'ailleurs une jurisprudence à ce sujet - et qu'une évolution s'imposait par conséquent à nous. C'est d'abord pour cette raison, monsieur le ministre, que je souscris au changement de statut.

Toutefois, soucieux que les logiques industrielles et les logiques de pilotage public de l'entreprise perdurent, j'ai voté l'amendement de la commission des finances prévoyant que l'État conserve au moins 70 % du capital d'EDF, pour éviter la constitution d'une minorité de blocage.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C'est un amendement de la commission des affaires économiques !

M. Michel Bouvard. La commission des finances l'a aussi adopté, monsieur le président de la commission des affaires économiques.

M. Pascal Terrasse. Et c'est surtout elle qui l'a porté !

M. Michel Bouvard. L'autre motif pour lequel je souscris au changement de statut est la nécessité de donner à EDF les moyens d'investir suffisamment pour assurer le renouvellement du parc électronucléaire. C'est en effet ce renouvellement qui conditionne l'évolution des prix. La hausse des prix actuelle est imputable au déficit de production d'énergie électrique chez nos voisins, mais, si nous n'avons pas les moyens de renouveler le parc électronucléaire, demain, elle pourra également provenir de cette insuffisance d'investissements.

Permettez-moi de dire que la manière dont l'État actionnaire s'est comporté vis-à-vis des entreprises publiques n'a pas toujours été une référence, beaucoup d'entre nous en ont fait l'expérience. En l'occurrence, sans évolution d'EDF et sans ouverture limitée du capital, compte tenu de la situation budgétaire actuelle,...

M. Pascal Terrasse. Situation catastrophique !

M. Michel Bouvard. ...décrite dans un rapport récent de la Cour des comptes, je vois mal comment nous pourrions trouver, dans les finances publiques, les ressources nécessaires pour assurer à EDF des capacités d'investissement à long terme...

M. Yves Cochet. Faux !

M. Michel Bouvard. ...en vue de renouveler le parc électronucléaire et de maintenir des prix raisonnables, ce qui conditionne le rendement de nos industries.

M. François Vannson. Tout à fait !

M. Michel Bouvard. Je voudrais, pour terminer, monsieur le président, profiter de la présence de M. le ministre délégué à l'industrie pour lui dire combien je me réjouis qu'une mission de l'Inspection générale des finances et du Conseil général des mines ait été diligentée au sujet de la hausse des tarifs, car, pour les industriels, sur le marché de gros, celle-ci atteint déjà 30 %. Dans quel délai est-il prévu que cette mission rende son rapport ? Le Parlement sera-t-il informé des décisions qui s'ensuivront pour éviter les mouvements spéculatifs qui affectent ce marché et menacent des pans entiers de notre industrie nationale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Je dois vous avouer, monsieur le ministre, que ce n'est pas sans interrogations que j'ai ouvert ce dossier et commencé l'étude de votre projet de loi, tant les choses ne sont pas si simples. Plusieurs intégrismes s'affrontent, chacun, reconnaissons-le, avançant des arguments logiques qui comportent tous une part de vérité.

Premier intégrisme : l'étatisme syndicaliste. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Yves Cochet. Il existe aussi un certain intégrisme du langage !

M. Jacques Myard. Certains se reconnaissent immédiatement, c'est bizarre !

Quoique je sois évidemment convaincu, comme eux, de la noblesse des objectifs du service public - égalité et neutralité -, je n'oublie pas les principes de continuité et d'adaptabilité. Il convient aussi de rappeler que les premiers adversaires du service public, de nos jours, sont ceux qui veulent se l'approprier à des fins « syndicalo-corporatistes ». C'est une constante humaine : la logique du pire se retourne toujours contre ses adeptes. EDF appartient certes à la nation, dont l'État est la structure juridique, mais gardons bien à l'esprit qu'aucun groupe, fût-il syndicaliste, ne peut se l'approprier ou lui imposer sa politique.

Deuxième intégrisme : la privatisation à tout crin. En réaction à l'étatisme syndicaliste, s'est effectivement développée l'idéologie du tout-privatisation.

M. Yves Cochet. Personne ne veut acheter EDF !

M. Jacques Myard. Je dis bien « en réaction », car les excès ont provoqué d'autres excès ; les grèves et autres opérations intempestives des uns ont suscité chez les autres la volonté de tout privatiser.

Le marché ou l'économie de marché constitue, on le sait, un formidable moteur de création de richesses, mais il n'obéit qu'à une seule logique : celle du profit, nécessaire pour faire fructifier le capital. Je rappelle au passage que le plus grand apologiste du capital fut Karl Marx, qui savait parfaitement comment cela fonctionne. (Sourires.)

M. Yves Cochet. Quelle dialectique !

M. Jacques Myard. Cependant, le marché a un grand tort : pardonnez-moi, monsieur le ministre, mais il n'est pas très intelligent ; il est même bête et erratique, passant de l'enthousiasme à la déprime, donnant une vérité à midi et une autre à chaque heure qui suit. Non seulement la politique de la France ne se fait pas « à la corbeille », en fonction d'intérêts privés, mais l'intérêt national commande, en matière d'énergie, l'élaboration d'une politique stratégique à long terme, fondée sur notre conception du vouloir vivre ensemble. Ce n'est pas une critique, c'est un constat : on ne peut faire confiance au marché. La privatisation de la production d'électricité n'est donc pas la réponse.

M. Michel Bouvard et M. Nicolas Dupont-Aignan. Très bien !

M. Jacques Myard. Le troisième intégrisme, par les temps qui courent, est celui que je préfère, monsieur le ministre : c'est celui de l'Europe et de sa Commission.

La politique de la concurrence constitue l'un des axes fondateurs du Marché commun, devenu Marché unique. Personne ne peut réellement en contester le bien-fondé car tout marché a besoin de règles et d'un organe régulateur. Toutefois, force est de constater que la Commission, dotée de pouvoirs propres, sans contrôle du Conseil, monsieur le ministre, a développé une vision de la concurrence toute théorique qui ne prend pas suffisamment en compte les réalités nationales et surtout la nécessité de mener une politique industrielle, tout aussi indispensable pour assurer et maîtriser l'avenir de nos sociétés.

Vous me rétorquerez que les textes adoptés à Barcelone l'ont été par les politiques, certains ayant depuis lors oublié qu'ils y étaient, vous l'avez rappelé à juste titre. C'est vrai, mais gardons à l'esprit que ces textes ont une connotation idéologique non négligeable : ils sont fondés sur une sorte de credo, « la concurrence pour la concurrence », qui a encore tendance à occulter tous les autres impératifs, même si cela commence à changer, y compris à la Commission.

J'ajoute que celle-ci, laissée à elle-même, y trouve une sorte d'auto-justification du pouvoir, qu'elle utilise naturellement, entraînée par son prurit technocratique à vouloir tout gérer, tout contrôler. De surcroît, elle sait habilement manœuvrer face aux États, coalition perpétuellement remaniée - à quinze ou à vingt-cinq, il y a toujours un ministre qui change - et qui, par faiblesse ou nécessité d'engranger un gain immédiat, accepte des textes dont elle n'a pas toujours saisi les conséquences pour l'avenir.

Barcelone relève de ce genre d'approche, et ce n'est pas parce qu'une idée figure en conclusion du sommet européen et d'une directive qu'elle a valeur d'évangile, monsieur le ministre. Vous sembliez dire que la messe était dite et qu'il fallait tirer le vin, mais l'histoire nous apprend que la messe se dit tous les jours - c'est un mécréant qui vous le fait remarquer au passage. (Sourires.)

L'approche de la Commission sur l'électricité est d'autant plus décalée qu'il n'existe pas de marché de l'électricité, cela a été souligné, celle-ci ne se transportant que difficilement et étant de nature fugace. Les règles de la concurrence ne peuvent donc être appliquées à ce secteur sans adaptation.

Cela étant dit, quel jugement porter sur votre texte ?

Vous modifiez le statut juridique d'EDF en la transformant d'EPIC en SA, mais il faut savoir que ce n'était pas vraiment obligatoire, monsieur le ministre.

M. François Dosé. Absolument !

M. Jacques Myard. Il suffisait, pour répondre aux remarques de la Commission, de supprimer la garantie de l'État, et c'était parfaitement possible.

M. le ministre délégué à l'industrie et M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Ce n'aurait plus été un EPIC !

M. Jacques Myard. Quelle importance ? Ce n'est pas un argument juridique car on aurait pu créer un EPIC sui generis.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. La garantie de l'État est consubstantielle aux EPIC !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. C'est évident !

M. Jacques Myard. Non, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission ; la loi aurait fort bien pu créer un EPIC sui generis.

M. le ministre délégué à l'industrie. Un EPIC sans garantie de l'État, cela s'appelle une SA !

M. Jacques Myard. J'y viens. Vous adoptez la solution de la SA. Pourquoi pas ? C'est un statut plus souple, je vous l'accorde, et il permet des alliances. Mais d'autres montages étaient possibles ; d'ailleurs, certains juristes ont encore publié récemment à ce propos.

EDF et GDF deviennent donc des sociétés anonymes propriétés de l'État, monsieur le ministre, et elles doivent absolument le rester, car ce secteur n'est pas un secteur marchand ordinaire.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Très bien !

M. Jacques Myard. L'énergie, c'est bien davantage qu'un bien ; c'est une sorte d'infrastructure au service des secteurs marchands et des ménages. J'ai d'ailleurs été très étonné de la réaction du MEDEF, qui s'est déclaré indifférent à la forme juridique d'EDF et de GDF, pourvu que l'électricité soit bon marché. Or c'est bien ce que réussit EDF-GDF aujourd'hui, ne l'oublions pas.

À ce titre, je relève avec satisfaction les corrections que vous avez apportées à votre projet initial. L'énergie et la sécurité de son approvisionnement doivent rester dans la sphère régalienne, sans aucune discussion possible.

EDF et GDF - j'en termine, monsieur le président - sont des entreprises intégrées, voilà leur force. Elles doivent le demeurer, directement ou indirectement,...

M. Nicolas Dupont-Aignan. C'est mal parti...

M. Jacques Myard. ...et c'est bien en cela que le montage de la Commission, qui sépare les réseaux de transport et de distribution de la production, me paraît un peu artificiel ; je ne suis pas sûr qu'il résiste au temps et perdure, même au niveau européen.

J'ajoute que séparer GDF d'EDF serait une faute, car cette société s'avérerait rapidement trop petite par rapport au marché et deviendrait une sorte de compagnie de courtage « opéable » ; ce ne serait pas acceptable.

Franchement, votre projet ne mérite ni l'indignité dont certains veulent le couvrir ni un excès d'honneur. À mes yeux, il a un grand mérite : il montre les limites des visions à la fois simplistes et systématiques de la notion de concurrence telle qu'elle est développée par la Commission de Bruxelles. Je prends le pari que nous y reviendrons dans quelques années, lorsque la raison l'aura emporté sur les utopies ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Geneviève Perrin-Gaillard.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard. Monsieur le ministre, mes collègues de l'opposition ont déjà évoqué tour à tour les nombreux arguments qui nous conduisent à nous opposer très fermement au projet de loi que vous nous soumettez.

Comme à votre habitude, vous vous obstinez, en dépit des réactions fortes qui s'expriment dans notre pays contre les objectifs de vos réformes et vos méthodes, à vouloir passer en force et à imposer aux Français votre vision de leur avenir, votre vision de la société : une vision frappée du sceau d'un libéralisme dont on sait qu'il provoque petit à petit la destruction de notre organisation sociale et la disparition des valeurs solidaires que nous avons pourtant mis tant d'années à construire.

Chez nous, la production, le transport et la distribution d'électricité sont confiés à une entreprise nationale, un EPIC qui a des obligations de service public et qui, jusqu'à présent, a bien rempli sa mission. Vos arguments en faveur du changement de statut vont exactement à l'encontre du maintien d'un tel service public. Vous nous assurez pourtant que rien ne changera, que la privatisation que nous redoutons n'est qu'une pure vue de l'esprit. Votre discours est bien rodé, mais nous ne sommes pas dupes et nous veillerons à ce que l'opinion ne soit pas davantage abusée

Pourquoi persévérez-vous ? D'abord, parce que le gouvernement auquel vous appartenez fait une confiance aveugle au marché, sans se préoccuper des conséquences à long terme de cette ligne directrice, aussi bien pour les usagers que pour les salariés.

M. Michel Bouvard. C'est vous les créateurs du marché privé de l'électricité !

Mme Geneviève Perrin-Gaillard. Pas du tout ! On vous a expliqué pourquoi tout à l'heure !

Ensuite, vous poursuivez dans la voie que vous avez choisie parce que vous savez que la culture de l'actionnariat, du gain de l'argent par l'argent s'infiltre peu à peu dans une grande partie de la société, se présentant comme la seule solution à toutes les faiblesses qui affectent un système fondé sur la solidarité ou le travail.

Pour atteindre vos objectifs, pour parvenir à votre idéal politique, pour satisfaire à ce que notre collègue M. Myard appelle votre intégrisme, vous avez bien sûr intérêt à gagner tous les Français à votre cause. Vous tentez ainsi de rassurer afin d'obtenir l'adhésion populaire, tout en sachant que le schéma proposé conduira inévitablement à la construction libérale du marché européen de l'électricité.

Les activités non concurrentielles rassemblées dans des filiales détenues prétendument à 100 % par des capitaux publics ? Vous vous moquez de nous ! C'est impossible ! Les activités concurrentielles une fois organisées dans le cadre d'une société anonyme détenue en majorité par des participations publiques, il ne faudra plus qu'un petit décret pour introduire encore plus de capitaux privés et pour augmenter ensuite leur part progressivement. Le tour sera alors joué : l'entreprise deviendra ipso facto opéable.

Enfin, si vous vous obstinez c'est parce que, voilà deux semaines, le Gouvernement a choisi de s'engager dans la construction de l'EPR, choix que vous tentez, soit dit en passant, d'auréoler après coup de la vertu du débat public pour cause de saisine de la Commission nationale du débat public. Ce choix facilitera en effet la privatisation d'EDF dans la mesure où il démontre que l'État est prêt à faire ce qu'il faut pour rendre l'entreprise plus présentable aux yeux des marchés financiers, alors que la réalisation de cet équipement est loin de constituer une urgence...

M. Michel Bouvard. Que nous resterait-il alors comme industrie ? Demandez donc à Anne Lauvergeon ce qu'elle en pense ! Elle, au moins, elle réfléchit !

Mme Geneviève Perrin-Gaillard. ...et va au rebours des objectifs de service public, lequel comporte la notion de service rendu et donc de haute qualité sanitaire et environnementale. Dans ce droit fil, l'EPR se fera sur la base de normes de sécurité environnementale datant de 1992 et il aura entre autres vocations de produire pour l'exportation, ce qui n'est pas, vous en conviendrez, un objectif phare du service public !

Vous pouvez bien tenter, monsieur le ministre, d'anesthésier mais le réveil sera difficile dans un monde où la production d'électricité aura été profondément remaniée aux frais des usagers - pardon, des clients ! -, victimes d'augmentations de prix, de l'insécurité des approvisionnements, d'une braderie du patrimoine collectif au profit d'actionnaires avides de gains.

M. Michel Bouvard. Comme la vente à Suez d'Electrabel !

Mme Geneviève Perrin-Gaillard. Tel est le sombre destin que vous préparez sciemment pour la société française de demain avec ce projet que nous ne pouvons que condamner ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Alfred Trassy-Paillogues.

M. Alfred Trassy-Paillogues. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez au député de Seine-Maritime que je suis - département dédié s'il en est à l'énergie et au nucléaire avec les deux centrales de Penly et Paluel, la dernière étant située dans ma circonscription - de s'exprimer sur le changement de statut d'Electricité de France et de Gaz de France, en donnant à ce débat un éclairage aussi peu dogmatique que possible, mais plutôt pratique.

Les deux centrales de Penly et Paluel ont beaucoup apporté au département pendant leur construction puis au cours de leur exploitation à la fois en termes d'activité et d'emplois dans de nombreux secteurs professionnels, et cela particulièrement dans un bassin de vie aussi touché par le chômage que celui de Dieppe.

Le choix du réacteur à eau pressurisée, l'EPR, que nous espérons voir implanté à Penly où les terrassements sont déjà réalisés et où les infrastructures de transport sont déjà opérationnelles, est celui du bon sens : outre que ce réacteur prépare le renouvellement de notre parc nucléaire, en attendant la quatrième génération de réacteurs, il est sûr et il est propre, il produit une énergie moins coûteuse et, surtout, il préserve notre indépendance énergétique.

M. Yves Cochet. Mais non ! Tout cela est faux !

M. Alfred Trassy-Paillogues. Cependant, ce choix judicieux du nucléaire haut de gamme a besoin d'être porté par une entreprise forte. C'est le cas d'EDF, qui est à la fois performante, grâce au savoir-faire de ses agents, capable d'assumer de lourds investissements et apte à élargir ses parts de marché à partir du 1er juillet prochain.

La possibilité d'ouvrir le capital à celles et à ceux, agents actifs comme retraités, qui ont fait le succès de cette entreprise depuis 1946, puis aux Françaises et aux Français, nous ramène à un capitalisme populaire auquel je suis très attaché et qui garantit de manière quasi automatique une haute qualité de service, transparente, non discriminatoire et de proximité... bref, un véritable service au public.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. Alfred Trassy-Paillogues. Quoi qu'on dise, le statut des salariés sera maintenu, de même que le régime des retraites, et le projet du Gouvernement n'est pas de privatiser. Les acteurs et partenaires de cette grande entreprise qu'est EDF pourront donc jouer tous leurs atouts face à une concurrence internationale toujours plus âpre et vous ne pouviez, monsieur le ministre, en transposant les directives européennes, leur donner meilleure arme que celle-ci dans ce combat européen de l'énergie, de l'indépendance énergétique et du service public réunis !

Je tiens en terminant à dire au président Ollier, au rapporteur Jean-Claude Lenoir, et à vous-même, monsieur le ministre, combien j'ai apprécié le débat parlementaire depuis la présentation du projet en commission jusqu'à sa discussion dans cet hémicycle : la réflexion n'a cessé de progresser et les argumentations ont été toujours plus affinées. Surtout, le problème aura été bien posé.

Monsieur le ministre, confronté quelquefois à des postures relevant plus de la désinformation que de la volonté de préparer l'avenir, vous aurez su dire simplement des choses simples :...

M. le ministre délégué à l'industrie. Merci !

M. Alfred Trassy-Paillogues. ...peut-être est-ce cela qu'on appelle la pédagogie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Serge Poignant.

M. Serge Poignant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, rapporteur du projet de loi d'orientation sur l'énergie que nous venons d'adopter il y a quelques jours (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), je souhaite apporter mon soutien à ce projet relatif au statut d'EDF et de GDF.

En premier lieu, comme l'a rappelé M. le ministre d'État ainsi que nombre de nos collègues, il satisfait à la demande de la Commission européenne : la suppression de la garantie de l'État impliquait en effet la remise en cause du statut d'EPIC,...

M. Yves Cochet. Non ! Myard avait raison !

M. Serge Poignant. ...quoi qu'en disent Jacques Myard et nos collègues de gauche.

En deuxième lieu, dans un marché unique européen d'ouverture à la concurrence, ce texte donne à EDF et à GDF les moyens de leur développement futur.

Enfin, il est le complément logique de celui relatif à la politique énergétique de la France, que nous avons adopté le 1er juin : tant le projet de loi d'orientation sur l'énergie que celui-ci garantissent le respect des valeurs, parfaitement identifiées, de service public.

Pour le démontrer, il suffit de se reporter à l'article 1er du projet que nous examinons, que je rappellerai pour nos collègues de gauche qui me donnent l'impression de l'avoir mal lu.

M. Jean-Louis Dumont. Dites tout de suite qu'on ne sait pas lire !

M. François Brottes. Vous nous faites un procès d'intention !

M. Serge Poignant. « Les objectifs et les modalités de mise en œuvre des missions de service public qui sont assignées à Electricité de France, à Gaz de France et à leurs filiales gérant un réseau de transport d'électricité ou de gaz, ...font l'objet de contrats conclus entre l'État et chacune de ces entreprises.

« Ces contrats se substituent à l'ensemble des contrats mentionnés à l'article 140 de la loi du 15 mars 2001 relative aux nouvelles régulations économiques.

« Ils portent notamment sur :

« - les exigences de service public en matière de sécurité d'approvisionnement et de qualité du service rendu aux consommateurs ;

« - les moyens permettant d'assurer l'accès au service public ;

« - les modalités d'évaluation des coûts entraînés par la mise en œuvre du contrat et de compensation des charges correspondantes ;

« - l'évolution pluriannuelle des tarifs de vente de l'électricité et du gaz ;

« - la politique de recherche et développement des entreprises.

« Dans le cadre de leurs activités, en particulier de gestionnaires de réseaux, Electricité de France et Gaz de France contribuent à la cohésion sociale, notamment au travers de la péréquation nationale des tarifs de vente de l'électricité aux consommateurs domestiques, de l'harmonisation de ces tarifs en gaz et de la péréquation des tarifs d'utilisation des réseaux publics de distribution. »

Le présent projet de loi prend par ailleurs en compte les objectifs inscrits clairement dans la loi d'orientation, qu'il s'agisse de la construction immédiate de l'EPR, de l'option nucléaire ouverte à l'horizon 2020, du développement des énergies renouvelables pour renforcer la lutte contre l'effet de serre ou encore de l'obligation des opérateurs à proposer des économies d'énergie.

M. François Brottes. Cette loi n'est pas votée ! Elle est en cours de navette !

M. Serge Poignant. Nous l'avons en tout cas votée en première lecture, mon cher collègue.

Je me félicite donc, monsieur le ministre, que le projet que vous nous soumettez non seulement satisfasse à la directive européenne mais permette à la fois de prévoir l'adaptation d'EDF et de GDF à l'ouverture à la concurrence et aux marchés mondiaux et de prendre en compte les objectifs nationaux de la loi d'orientation que je viens de citer ainsi que l'histoire et les acquis de ces grandes entreprises.

L'amendement déposé par nos collègues Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, et Jean-Claude Lenoir, rapporteur, portant à 70 % la part de l'État dans le capital des deux sociétés anonymes concilie possible ouverture du capital et nécessaire maîtrise de l'État dans un domaine stratégique comme le nucléaire.

Faut-il par ailleurs rappeler que le non-changement de statut des salariés est une demande totalement prise en compte par le Gouvernement ? On nous parle d'expériences malheureuses au Royaume-Uni, en Italie, aux États-Unis, ou encore de privatisation, à l'exemple de France Télécom. Comme le souligne excellemment Jean-Claude Lenoir dans son rapport, outre que l'électricité est « un bien vital non comparable aux autres », les dernières directives de juin 2003 montrent bien que la Commission européenne, tirant les leçons de certains échecs, « s'inspire des valeurs du service public à la française pour fixer les règles d'organisation du marché européen de l'énergie. »

Non, il ne s'agit ici, comme tentait de le faire croire notre collègue M. Gerin cet après-midi, ni de « rupture historique », ni d'entreprise de démantèlement du service public, ni de « poker menteur ». Il n'est au contraire question que de donner à nos grandes entreprises que sont EDF et GDF des statuts adaptés à l'ouverture des marchés tout en fixant des règles précises en matière de régulation, d'obligations de service public, de protection des consommateurs, de sécurité d'approvisionnement et de sûreté du système électrique.

Dans ce cadre, permettez-moi, monsieur le ministre, de vous demander de veiller à deux points auxquels je suis particulièrement attaché : la péréquation tarifaire et la recherche.

Dans mon rapport sur le projet de loi d'orientation de la politique énergétique, j'avais notamment mis l'accent sur la nécessité d'augmenter substantiellement les moyens consacrés à la recherche pour notre futur, moyens tant publics que privés.

En conclusion, monsieur le ministre, avec ce projet de loi, auquel je souscris, et après l'adoption du projet de loi d'orientation sur l'énergie, notre pays sera en mesure, comme il a su le faire au xxe siècle, de relever les défis du xxie siècle en matière d'énergie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, beaucoup de choses ont été dites par mes collègues de l'opposition sur l'ouverture du capital d'EDF qui est proposée par le Gouvernement et, globalement, je rejoins leurs observations. Nous refusons cette « privatisation » rampante qui ne dit pas son nom.

Quelles sont nos propositions ?

Nous sommes favorables à un EPIC EDF, peut-être sui generis comme dirait M. Myard, qui serait chargé de la production, de la fourniture et du négoce de l'électricité et d'autres formes d'énergie. Nous pouvons en effet abandonner le principe de spécialité. Toutefois, à la différence peut-être de quelques-uns de mes collègues, je pense qu'une autre structure, un autre EPIC, pourrait être créée concernant RTE, le réseau de transport de l'électricité. Ce ne serait ni un service comme celui qui existe actuellement ni une filiale. Cet EPIC, encore plus que le premier dont je viens de parler, devrait rester 100 % public, à l'image de ce qui a été fait avec la SNCF : c'est un EPIC séparé, RFF, qui gère et vend du passage sur les rails. Cet EPIC RTE pourrait, dans un environnement de concurrence européenne, transporter non seulement le courant produit par EDF, mais également celui fourni par d'autres producteurs, notamment d'électricité d'origine renouvelable, qui existent déjà en France.

Pour la distribution, d'autres EPIC pourraient être mis en place, conformément à la loi du 8 avril 1946, qui n'a jamais été mise en œuvre. Nous proposerons des amendements dans ce sens. Ces établissements publics industriels et commerciaux pourraient prendre le nom de « Réseau de distribution d'électricité », suivi du nom de la zone géographique concernée.

Un schéma identique pourrait être envisagé pour Gaz de France, dont je ne souhaite pas la fusion avec EDF.

N'ayant pas beaucoup de temps, je voudrais insister sur un point qui n'a pas encore été évoqué et qui me semble particulièrement important, celui des fonds de démantèlement et des fonds de gestion des déchets d'EDF.

M. François Dosé. Il faut les affecter.

M. Yves Cochet. Les cinquante-huit réacteurs nucléaires d'EDF commencent à vieillir - comme nous tous hélas ! Un jour ou l'autre, il faudra les démanteler.

Cette opération représente un véritable défi technologique et surtout financier. Or la plus grande incertitude règne pour ce qui est des coûts.

Les instances officielles françaises évaluent - mais c'est davantage un fantasme de Bercy qu'une estimation scientifique - le coût d'un démantèlement à 15 % du montant initial de l'investissement. Ce chiffre est en fait totalement arbitraire, il ne correspond pas par exemple au coût des opérations de démantèlement en cours du réacteur nucléaire de Chooz. Les États-Unis eux-mêmes prévoient un coût pratiquement double. En réalité, l'incertitude est grande, et le coût pourrait être trois à quatre fois supérieur. Dès lors, ce n'est pas de 15 milliards d'euros qu'il faudrait provisionner le fonds de démantèlement, comme Bercy le propose à EDF, mais de 50 milliards d'euros, voire 60 milliards !

Ce sont des choses très sérieuses. Qui est propriétaire, qui est gestionnaire de ces fonds de démantèlement ?

Dans la plupart des pays européens, ce n'est évidemment pas le producteur, l'exploitant, qui est gestionnaire du fonds de démantèlement, mais un organisme totalement extérieur.

M. François Dosé. Absolument !

M. Yves Cochet. C'est ce dispositif que nous allons proposer par voie d'amendement. J'espère que M. le rapporteur lui réservera un bon accueil. Il faut garantir une gestion parfaitement transparente et saine des fonds de démantèlement, tout comme des fonds de gestion des déchets.

Actuellement, EDF est propriétaire et gestionnaire. À ce titre, elle a un accès direct à ces fonds de démantèlement. Or, même si c'est une entreprise publique, ce que je souhaite qu'elle reste, EDF se conduit, en termes de politique de management, comme une société transnationale. EDF, c'est le monopole à l'intérieur, le Monopoly à l'extérieur. (Sourires.) Nous connaissons les aventures qu'EDF a menées à l'étranger - M. Myard en a cité quelques-unes, j'évoquerai celles du Brésil et d'Argentine - avec les fonds de démantèlement. Autrement dit, EDF a utilisé des milliards qui étaient très précisément...

M. le ministre délégué à l'industrie. Affectés !

M. Yves Cochet. ...« fléchés » à d'autres fins que celles pour lesquels ils étaient destinés. Bref, EDF a piqué dans sa propre caisse. C'est très inquiétant pour ces fonds.

La gestion des fonds doit prendre en compte l'intérêt public, et non pas être menée sur la base d'intérêts privés ou de spéculations internationales. Ne pas assurer la disponibilité de ces fonds, dont, je le répète, je ne connais pas exactement le montant, c'est transférer sur les consommateurs et les contribuables de demain le paiement de charges de démantèlement pourtant déjà incluses dans les tarifs actuels.

Monsieur le ministre, j'ai deux questions à vous poser.

Quelle est votre estimation, la plus sincère qui soit, du montant du fonds-séquestre qu'il serait nécessaire de constituer ? La prévision d'EDF n'est pas sincère, je ne suis pas le seul à le dire. Votre ami sénateur, M. Arthuis, s'est déclaré effrayé par les comptes d'EDF. Car il n'y a pas que l'estimation des fonds de démantèlement qui pose problème, il y a également celle des provisions pour les retraites, monsieur Lenoir, sans parler du niveau de l'endettement. À combien s'élève-t-il ? 45 milliards ? 50 milliards ? On peut d'ailleurs se demander, du coup, si EDF était privatisable, qui voudrait acheter une entreprise aussi mal gérée.

M. le ministre délégué à l'industrie. Donc, vous êtes tranquille ! (Sourires.)

M. Yves Cochet. Non, parce qu'il ne nous est pas proposé de vendre des actions actuelles, mais bien de créer des actions nouvelles, pour disposer d'encore plus d'argent, alors que non seulement l'endettement est considérable mais que les frais d'exploitation ont augmenté de 20 % peut-être en cinq ans.

Dernière question, monsieur le ministre...

M. le président. Monsieur Cochet, il faudrait conclure.

M. Yves Cochet. Je termine, monsieur le président.

Êtes-vous favorable à la mise en place d'un fonds-séquestre indépendant ?

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. C'est dommage que ce talent soit mis au service d'une mauvaise cause !

M. Yves Cochet. Ma cause est bonne, c'est la vôtre qui est mauvaise !

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur. Je maintiens ce que je dis !

M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert.

M. Jean Gaubert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous vivons un débat assez singulier, un débat qui se déroule en mouvement, avec des objectifs qui changent de jour en jour. Je l'ai déjà relevé hier soir lors de mon explication de vote sur l'exception d'irrecevabilité défendue par Christian Bataille, mais je voudrais y revenir quelques instants.

D'abord, on a commencé par nous dire que le changement de statut de l'entreprise conduirait à une baisse des prix. Chacun sait bien que la concurrence permet de réaliser des économies d'échelles, d'être plus dynamique. Ainsi, l'entreprise apporterait davantage à l'économie nationale. Manque de chance, on constate depuis un certain nombre d'années que partout où l'on a privatisé, ouvert le marché, les prix ont monté. Cet argument s'est effondré.

Ensuite, on a prétendu que c'était Bruxelles qui exigeait cette ouverture du capital. Je ne m'attarderai pas longuement sur ce point, évoqué à plusieurs reprises à cette tribune. Chacun a bien voulu reconnaître que la demande de Bruxelles n'était pas celle-là et que sa seule exigence concernait la non-garantie illimitée - et notre collègue Myard a bien expliqué quelles étaient les autres possibilités. Tout actionnaire a le devoir de garantir certaines actions, certains engagements de l'entreprise dont il a la responsabilité. On l'a encore vu au printemps dernier avec l'opération Sanofi-Synthélabo : les garanties ont été annoncées dans la presse.

On a affirmé alors qu'il fallait affranchir EDF du principe de spécialité. Mais il n'est pas nécessaire, pour cela, de changer de statut.

M. Yves Cochet. Très bien !

M. Jean Gaubert. M. Myard l'a dit tout à l'heure, on pouvait tout à fait aménager le statut d'EDF-GDF. Il suffisait de poursuivre dans la voie ouverte par la loi de février 2000 pour le secteur dit éligible. Nul besoin de bouleverser l'économie générale de ces entreprises.

Puis, on nous a expliqué qu'EDF manquait de fonds propres. Mais à quel résultat va-t-on aboutir ? D'un côté, l'appel à l'actionnariat privé aura peut-être permis de lever une dizaine de milliards, mais, de l'autre côté, EDF devra verser à l'État une soulte de 10 milliards. Au total, l'opération risque d'être neutre pour EDF.

Certes, M. Sarkozy annonce qu'il va doter EDF de 500 millions d'euros. Nous l'en remercions mais nous n'oublions qu'il y a quelques mois, grâce à la diligence de Bercy et aux informations données à la Commission européenne, EDF a dû reverser 1,4 milliard au titre d'un recalcul de provisions et autres joyeusetés de ce genre. Finalement, ne s'agit-il pas tout simplement du retour d'une somme qu'on n'aurait peut-être pas dû donner ?

On nous dit enfin que le statut actuel d'EDF-GDF est mal perçu à l'étranger, notamment en Italie. Je veux bien. Mais est-on sûr que le nouveau statut sera vraiment mieux vu ? Lorsque, il y a quelques semaines, l'entreprise privée suisse Novartis a déclaré s'intéresser à l'entreprise Aventis, le gouvernement français, sans doute à juste titre, n'a-t-il pas tout fait pour essayer d'empêcher son arrivée ?

M. François Brottes. C'est vrai.

M. Jean Gaubert. Quel que soit le statut, privé ou public, le « nationalisme », sur lequel je ne porte pas ici de jugement, joue et continuera de jouer.

En fait, les arguments se dégonflent, les uns après les autres. La vérité, c'est que l'idéologie libérale conduit certains à considérer qu'une telle réforme est dans l'air du temps et qu'il faut la faire.

Hélas ! cette idée s'accommode bien mal, cela a déjà été dit ici à de nombreuses reprises, des nécessités particulières qui pèsent sur les entreprises chargées d'assurer l'avenir énergétique de notre pays. La moindre entrée d'un actionnariat privé dans le capital de ces entreprises changera leur management. Pour certains, c'est une bonne chose. En tout état de cause, la ligne d'horizon ne sera plus la même. Alors qu'une entreprise publique peut réfléchir à quinze, vingt, trente, trente-cinq ans - c'est ce qu'EDF a fait, même si certains considèrent que ce n'était pas la bonne solution, avec le programme électronucléaire -, cela serait impossible le jour où une partie du capital, même en faible proportion, aurait été introduite en Bourse.

M. Sarkozy a, à plusieurs reprises, modifié la présentation de ce projet de loi. Mais, sur le fond, je ne suis pas sûr qu'il ait apporté beaucoup de changements. Il me fait penser au médecin qui dirait à son patient : « Écoutez, ce n'est pas grave, puisque le suppositoire vous semble un peu trop gros, on va l'allonger un peu ».

M. François-Michel Gonnot. Quelle image !

M. Jean Gaubert. C'est ainsi que je perçois la façon dont on nous propose cette réforme depuis plusieurs semaines. J'aimerais qu'on réfléchisse plus sérieusement à l'avenir d'EDF-GDF.

M. Yves Cochet. Très bien !

M. François-Michel Gonnot. Ce n'est pas brillant !

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dupont-Aignan.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat d'aujourd'hui n'est pas anodin puisqu'il concerne l'avenir d'un des secteurs stratégiques les plus importants du pays. Nous n'avons pas tant d'atouts industriels en France pour nous désintéresser de l'entreprise publique EDF qui, malgré ses imperfections, que nous connaissons, et les dérives récentes notamment s'agissant d'investissements hasardeux en Amérique latine, constitue un point fort pour la France et demeure l'un des éléments clés du pacte social et national scellé à la Libération.

Monsieur le ministre, vous avez toujours été suffisamment libre dans vos convictions et vos propos pour comprendre que je le sois aussi dans les miens. Oui, vous le savez peut-être, j'étais sceptique, pour ne pas dire hostile, au projet initial du Gouvernement, non pour des raisons politiciennes, comme le parti socialiste, mais parce que je ne crois pas un instant à la pertinence économique de la libéralisation du marché de l'électricité imposée à marche forcée par la Commission de Bruxelles, et dont le principe d'ailleurs a été approuvé par le précédent gouvernement socialiste.

Car, soyons francs, la transformation du statut qui nous occupe aujourd'hui est la conséquence de cette libéralisation. Le vrai débat aurait dû avoir lieu à cette époque et je reste convaincu qu'au-delà des caricatures, de droite comme de gauche, dans quelques années on se demandera pourquoi, au niveau européen, on a défait ce qui fonctionnait pour plaquer sur un bien qui n'est pas comme les autres, qui n'est pas stockable, une organisation de marché inadaptée. D'ailleurs, les gros industriels l'ont déjà reconnu.

Le danger est double, en effet. Le premier danger est d'affaiblir l'indépendance énergétique, pas seulement de la France mais du continent, parce que pour qu'un marché fonctionne il faut bien une incitation à produire et pas simplement à consommer. La prime risque d'aller aux entreprises qui produisent du courant moins cher à partir de ressources plus rapidement épuisables, au détriment de celles qui investissent pour l'avenir et se protègent ainsi des cycles du marché.

Le récent et intéressant débat national sur l'énergie a clairement rappelé les enjeux stratégiques français : la demande légitime et croissante de nos concitoyens d'une électricité à un coût qui ne soit pas trop élevé, l'impératif environnemental d'une réduction des gaz à effet de serre, la diversification de notre production énergétique qui passe par le développement des énergies renouvelables, la maîtrise des consommations et la rénovation du pôle nucléaire.

Imaginons un seul instant que ces choix soient laissés à la libre appréciation de la sphère privée, mue simplement par le souci de la satisfaction immédiate des actionnaires et des plus gros clients.

M. François Brottes. Excellent !

M. Nicolas Dupont-Aignan. Cette entreprise développera la production de l'énergie fossile aujourd'hui la moins coûteuse, au détriment de notre balance commerciale, de notre indépendance énergétique et de notre qualité environnementale. Les exemples anglo-saxons ont, par ailleurs, prouvé l'incapacité de la sphère privée à assumer les investissements dans les outils de production et de transport de l'électricité, car les délais d'amortissement extrêmement longs sont incompatibles avec la logique des actionnaires.

Le second danger est d'affaiblir la qualité du service public de l'énergie aujourd'hui exceptionnelle en France, a fortiori dans un pays aussi vaste que le nôtre.

Enfin de compte, il est paradoxal de mettre sur pied un système d'économie mixte qui n'a jamais fait ses preuves. Autant je suis favorable à la privatisation totale de certaines entreprises dont l'État n'a pas assuré la bonne gestion et qui ne relèvent pas de sa responsabilité, autant il est dangereux d'ouvrir le capital d'une entreprise publique qui a un rôle essentiel dans l'avenir de notre énergie et donc dans la compétition industrielle de notre pays. C'est pourquoi, sur un dossier aussi capital, je le dis très sincèrement, je ne crois pas un instant que l'idéologie bruxelloise du libre-échange et de la concurrence soit adaptée à ce marché.

L'enjeu est donc aujourd'hui d'éviter ces deux dangers sur l'indépendance énergétique et sur la qualité du service public. À cet égard, monsieur le ministre, je vous sais gré d'avoir abordé, avec le Gouvernement, ce dossier avec beaucoup de pragmatisme. Autant le dire franchement, même si je ne suis pas d'accord sur l'orientation générale, je pense que le projet initial de votre prédécesseur, qui était totalement inacceptable, a été notablement transformé grâce au travail de dialogue entre le ministre, les agents d'EDF, EDF, les parlementaires et notamment la commission des affaires économiques.

Nous avons en effet évité le pire et réalisé de sérieux progrès dans quatre domaines. Tout d'abord, en fixant un seuil de participation publique de 70 %, vous empêchez les éventuels actionnaires minoritaires de mettre en péril les orientations publiques garantes de l'indépendance nationale. Ensuite, en insistant sur les orientations de service public, vous rappelez que le service de l'électricité doit être égal sur les territoires français. En préservant le statut des personnels, vous pérennisez le lien entre les Français et les agents qui ont montré leur sens de l'intérêt général lors de la grande tempête de 1999. Enfin, en lançant l'EPR, vous assurez l'avenir de la filière électronucléaire française, seule garante de l'indépendance énergétique du pays.

Avec ces quatre infléchissements sérieux, vous avez le mérite de revenir à un projet plus modéré qui ne condamne pas l'avenir. J'espère simplement que le bon sens dont vous faites preuve ici s'imposera dans les orientations stratégiques futures d'EDF, comme de l'État. Dans mon esprit, cela implique trois conditions.

Premièrement, le changement de statut ne doit pas vouloir dire à tout prix, et dans la précipitation, ouverture du capital. L'année de délai annoncée par le ministre d'État doit permettre d'y voir clair dans les comptes d'EDF et conduire l'entreprise à bâtir un vrai projet industriel dont l'une des priorités devra être de maintenir des tarifs corrects pour les usagers clients de notre pays, tout en prévoyant le renouvellement progressif du parc nucléaire. Je ne suis pas sûr que sa situation financière permettra à EDF d'ouvrir largement son capital et de trouver des actionnaires.

Deuxièmement, il me semble indispensable de travailler à la constitution d'un pôle unifié EDF-GDF, car il serait complètement absurde que ces deux entreprises aillent chercher à l'étranger le partenaire qu'elles ont à domicile et avec lequel elles ont l'habitude de travailler. Pourrons-nous par avance empêcher la culpabilisation vis-à-vis des autorités de Bruxelles et éviter de faire entrer un gazier ou un électricien étranger sur le marché national pour s'associer avec l'une ou l'autre des sociétés ?

Enfin, je souhaite que les obligations de service public soient rigoureusement précisées et établies pour que tout opérateur en France soit à la hauteur de la mission d'intérêt général à laquelle il participe, que les Français ne soient pas perdus dans le maquis des abonnements, dans la complexité des sociétés, pour découvrir finalement que ce changement de statut était un jeu de dupes.

En définitive, monsieur le ministre, cette loi, par ses effets et ses prolongements sous-jacents, peut être la meilleure comme la pire. Je vous remercie d'avoir fait pencher la balance du bon côté, mais je crains que d'autres que vous, dans un moment de faiblesse, soient, tôt ou tard, tentés de cultiver à nouveau le court terme et la complaisance vis-à-vis d'une certaine idéologie.

Pour toutes ces raisons, et après, je le dis franchement, avoir songé à voter contre ce projet, par solidarité je m'abstiendrai.

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est convenable !

M. François Brottes. C'est un avertissement !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour avoir rencontré, dans ma circonscription, les organisations syndicales d'EDF-GDF, pour avoir beaucoup échangé avec la population, j'ai ressenti un profond sentiment d'incompréhension devant le projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz.

La privatisation d'EDF et de GDF est une préoccupation récurrente. Je sais, je l'ai déjà dit et répété, que l'ouverture du capital et le changement de statut n'entraîneront pas de privatisation. Je souhaite toutefois profiter de mon intervention pour le rappeler, afin que vous puissiez apporter des réponses claires et précises.

S'agissant, d'une part, des engagements de la France par rapport aux directives européennes et aux positions de la Commission européenne, divers points imposent des éléments de réponse transparents.

Lors du Conseil européen de Barcelone, en mars 2002, la France s'est engagée à ouvrir à la concurrence, au 1er juillet 2004, l'intégralité du marché professionnel, soit 70 % du marché de l'électricité et du gaz. Cet engagement implique la transposition des directives européennes du 26 juin 2003 et donc des aménagements quant à la forme juridique des entreprises publiques. Je vous demande, monsieur le ministre, de m'assurer que cette ouverture à la concurrence conduira bien à faire de ces entreprises des structures dynamiques et efficaces répondant à des missions de service public.

D'autre part, il faut encore et encore répéter que les salariés des entreprises d'électricité et de gaz conserveront leur statut. J'adhère pleinement aux propos tenus hier soir par mon collègue Michel Roumegoux qui souhaite que tous les salariés de notre pays accèdent un jour aux avantages économiques et sociaux dont bénéficient aujourd'hui les électriciens et les gaziers.

En tant qu'entreprises publiques, EDF et GDF ont des missions de service public à remplir dans le respect de l'intérêt général. Une modification du statut juridique des entreprises, malgré le maintien de l'État dans leur capital, conduit les usagers à se poser de nombreuses questions.

La première question, souvent évoquée par les différents consommateurs, concerne la tarification. Le maintien de l'État dans l'entreprise doit préserver l'égalité des tarifs entre tous les utilisateurs du service public de l'électricité et du gaz, professionnels comme particuliers, industriels comme entrepreneurs de PME. Ainsi, il ne faut en aucun cas que des disparités se créent du fait de l'éloignement de la source de production énergétique. Toutefois, monsieur le ministre, la solidarité oblige à réserver un traitement différencié aux ménages les plus fragilisés. C'est dans cet esprit que vous avez déjà pris des dispositions pour assurer une tarification spéciale, réduisant ainsi de 30 à 50 % la facture d'électricité des foyers les plus modestes. Qu'en sera-t-il des tarifs après cette réforme ?

Autre question importante : le service public de l'électricité et du gaz continuera-t-il à être géré dans l'intérêt général et dans le souci du respect de la proximité et de la qualité ? Très attaché à la vitalité de l'échelon communal, je me bats depuis de nombreuses années pour le maintien du service public en milieu rural. Dans certaines situations, en particulier lorsque les conditions climatiques empêchent toute liaison, l'électricité constitue un élément de survie indispensable pour les communes et habitations isolées. Je pense tout particulièrement à la tempête de 1999 et à l'efficacité des personnels d'EDF pour rétablir l'électricité dans les meilleurs délais. Il m'a d'ailleurs été permis d'initier pour la Flandre un dispositif de ligne téléphonique directe entre les maires et les services d'EDF afin d'assurer un service optimal en cas d'urgence et d'intempéries provoquant des dysfonctionnements.

Tels sont les éléments que je souhaitais vous soumettre, monsieur le ministre. Vous avez déjà donné hier des réponses, mais il convient de les répéter. Car la pédagogie n'est-elle pas l'art de la répétition ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. François Brottes. On perçoit l'inquiétude !

M. le président. La parole est à M. François Dosé.

M. François Dosé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, hier, dans son intervention introductive, M. le ministre d'État a cité, à plusieurs reprises, le général de Gaulle, suggérant même in fine une possible identification entre lui et... lui.

M. Daniel Paul. Oh !

M. François Dosé. Comme je ne renie point mes sympathies d'hier, en un temps où j'étais encore jeune, permettez-moi de le citer à mon tour : « Il ne faut jamais privilégier ni un groupe sur la nation, ni l'avenir pour supprimer un embarras du présent. »

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Hors sujet !

M. le ministre délégué à l'industrie. Ça ne l'est jamais quand il s'agit du général de Gaulle !

M. François Dosé. J'ai choisi cette citation, car c'est bien de cela que nous parlons et que je résumerai en trois questions.

Premièrement, oui ou non les exigences des défis internationaux, notamment la nouvelle donne européenne et le passif de l'entreprise EDF, nécessitent-elles aujourd'hui une autre forme juridique, un autre périmètre financier ?

Deuxièmement, oui ou non une autre forme juridique et des moyens financiers supplémentaires sauvegarderont-ils les particularismes d'EDF, conjuguant performance économique d'une part, solidarité sociale et territoriale d'autre part ?

Troisièmement, oui ou non sommes-nous dans le juste temps ? Les uns dénoncent les retards tandis que les autres fustigent la précipitation.

Sur toutes ces questions, ministres, rapporteurs et collègues, toutes tendances confondues, ont largement exprimé leur point de vue dans cet hémicycle, voire relayé, avec une générosité parfois surprenante, les appréciations de trois anciens Premiers ministres, de deux présidentiables, d'un ancien directeur d'EDF ou encore de responsables européens éminents. Et j'en oublie probablement !

Désireux d'éviter les redondances, je ne les répéterai pas, mais j'insisterai, monsieur le ministre, sur trois points.

Première remarque : pour répondre aux contraintes, tantôt réelles, tantôt supposées, vous offrez à EDF des instruments juridiques et financiers que vous maîtrisez aujourd'hui mais qui sont en soi des instruments à la disposition d'autres pratiques, car en d'autres temps d'autres mœurs.

Vous confiez à EDF des instruments juridiques et financiers que vous bridez aujourd'hui, chacun l'a constaté ces trois dernières semaines, non seulement comme gage de vos convictions mais aussi et surtout par opportunité politique, ce que je ne blâme pas, au regard de la pression sociale exercée par les salariés et des incompréhensions de l'opinion publique.

En réalité, c'est donc le rapport de force qui a ralenti et recadré votre initiative. Or demain sera un autre jour pour vous et pour les autres. Vous ne pouvez donc pas reprocher cette anticipation vigilante.

Deuxième remarque : pour justifier vos choix, vous invoquez le principe de réalité. À l'exception de quelques collègues de l'UDF ou de l'UMP, la majorité parlementaire esquive le fondement idéologique du projet étudié. J'en prends acte, mais je vous demande alors d'adopter la même attitude lorsque vous examinerez nos contre-propositions inspirées non par une idéologie sectaire ou un quelconque souci de vous nuire, mais par deux convictions simples.

La première est que, comme l'eau, l'électricité, qui rythme le quotidien des entreprises, des collectivités, des transports, des habitations n'est pas seulement un ensemble d'électrons à marchander aux clients et aux usagers, mais prioritairement un service rendu à la communauté nationale, dans la diversité de ses composantes. Or les nouvelles dispositions proposées ouvrent la perspective d'une marchandisation banalisée.

Notre seconde conviction est qu'une entreprise intégrée dans le domaine énergétique est une bonne solution. Mais, dans l'hypothèse où une autorisation législative envisage l'apport de capitaux privés à EDF, demain ou après-demain, nous devons préserver - certains ont dit « sanctuariser » - le réseau de transport dont la maintenance, les investissements et la gestion ne sauraient être soumis à l'appréciation d'un rendement financier de court ou moyen terme.

Ma troisième remarque est en forme de question : sommes-nous confrontés, oui ou non, à la « tyrannie du calendrier » dont parlait un collègue ? Qui croire ? Ceux qui prétendent qu'EDF attend fébrilement cette contribution comme un instrument de développement et de survie ? Ceux qui proposaient avant-hier un partenariat inéluctable à 49 % ? Ceux qui validaient hier un partenariat indispensable à 30 % ? Ou encore ceux qui suggèrent aujourd'hui un partenariat souhaitable mais virtuel pendant quelques mois ?

En réalité, confronté à la commande programmée de l'EPR et au nécessaire provisionnement de fonds enfin dédiés au démantèlement de nos premières centrales nucléaires, EDF saisira rapidement les dispositions juridiques et financières prévues dans le projet de loi - non du fait de dispositions idéologiques, mais par obligation financière.

Mes chers collègues, monsieur le ministre, le projet de loi ne mérite certes pas l'opprobre de l'immédiateté. Mais il constitue une véritable matrice législative invitant pour demain à des pratiques éloignées, trop éloignées des nécessités de l'intérêt public et du bien commun pour que nous l'approuvions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je rebondis volontiers sur les propos qui viennent d'être tenus. Au fond, quand bien même la modification de statut qui nous est proposée répondrait à une stricte nécessité, répondre à une nécessité n'a rien de répréhensible et il n'est pas interdit non plus de faire de nécessité vertu.

Pour EDF plus encore pour GDF, et plus largement pour le service public de l'électricité, il s'agit de conserver ce qui, dans ce qui a pu constituer pendant de nombreuses années une exception française, nous permettra de rester en tête de la course, sans nous laisser contraindre par les obstacles ou les handicaps.

Oui, le système énergétique français, les entreprises, en particulier les entreprises publiques, ont besoin de moyens financiers que l'État n'est pas aujourd'hui capable de leur apporter.

M. Jean-Louis Dumont. Ou qu'il ne veut pas leur apporter !

M. Hervé Mariton. Non ! Ce n'est pas que l'État ne veuille pas leur apporter de fonds. Quand bien même il le voudrait, il ne le pourrait pas. D'ailleurs, je ne crois pas qu'on puisse reprocher à nos collègues socialistes de ne pas l'avoir voulu - encore que... - car, quand bien même ils l'auraient voulu, pour leur accorder cette circonstance atténuante, ils ne l'auraient évidemment pas pu, puisqu'ils n'ont pas aidé ces entreprises. Ou alors, faut-il croire que, non seulement ils n'ont pas pu le faire, mais qu'ils ne l'ont pas voulu ?

M. Gérard Léonard. Excellente analyse !

M. François Brottes. L'intégration des réseaux dans l'actif représente tout de même un milliard ! Renseignez-vous, monsieur Mariton !

M. Hervé Mariton. Il apparaît clairement que des moyens supplémentaires sont nécessaires pour continuer d'être en tête dans la course. La position de la France, qui n'est pas bonne dans certains champs de la compétition économique, l'est tout de même dans d'autres. Et nous renoncerions, en matière d'énergie, aux atouts compétitifs dont nous disposons aujourd'hui ? C'est une piste que l'opposition peut proposer, en plaidant pour une solution de conservation, de rétraction et de déclin. Telle n'est pas notre ambition pour l'industrie de l'énergie ni pour l'économie de notre pays.

On peut toujours combiner ce que chaque solution offre de pire et ouvrir un domaine à la concurrence tout en ficelant les pieds et les mains de ceux qui vont devoir participer à la compétition. Voilà, pour l'avenir, la vision que nos collègues de l'opposition ont des entreprises de service public du gaz et de l'électricité. Tout en les soumettant à la concurrence, conformément aux décisions auxquelles ils ont participé, il y a quelques années, ils veulent les empêcher de mobiliser non seulement les moyens financiers, mais même les outils de concurrence leur permettant de garder et d'améliorer leur position.

C'est probablement, à brève échéance, une bonne opération politicienne. Elle satisfait en effet les analyses à courte vue. Mais, en réalité, elle mènerait rapidement à l'effondrement de nos entreprises.

Je ne citerai qu'un point qui alimente aujourd'hui le débat, voire la polémique : l'évolution du prix de l'électricité. Il est clair que, sans la respiration prévue par le texte, l'entrée dans un système de concurrence reviendrait à bloquer l'accroissement indispensable de la capacité de production ou de transport.

M. Henri Nayrou. Pas du tout !

M. François Brottes. En vertu de quel raisonnement ?

M. Hervé Mariton. Nous constaterions alors une augmentation du prix de l'électricité.

Un des éléments - sans doute un des seuls - qui pourrait justifier une crainte à court terme est la contrainte de production et de transport. Or le projet de loi propose d'alléger les contraintes et d'apporter demain de meilleures conditions de prix aux clients des services publics de l'électricité et du gaz.

Nous ne sommes pas des bigots de la concurrence, si elle doit aboutir à la détérioration du service ou s'exercer au détriment du client.

M. Daniel Paul. C'est pourtant bien ce qui va arriver !

M. Hervé Mariton. Mais, vous, chers collègues de l'opposition, c'est exactement ce que vous voudriez. C'est vous qui, il y a quelques années, avez décidé la concurrence. Dont acte. Nous aurions sans doute fait le même choix que vous. Seulement, quitte à instaurer la concurrence, autant le faire dans des conditions qui nous permettent de gagner. Pour cela, la transformation du statut d'EDF et de GDF est indispensable.

M. François Brottes. C'est l'inverse !

M. Hervé Mariton. Cela me paraît simple. Telles sont les raisons pour lesquelles je considère que le projet de loi est utile et qu'il faut soutenir le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Martin-Lalande.

M. Patrice Martin-Lalande. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai la chance d'avoir, dans ma circonscription du Loir-et-Cher, deux installations importantes d'EDF-GDF, la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux et l'unité de stockage souterrain de gaz naturel de Chémery.

J'ai pu par conséquent mener une concertation locale sur le projet de loi.

Il en ressort que le problème des retraites est une préoccupation majeure pour les personnes concernées. Sur ce point, le texte que nous propose le Gouvernement assure une solution durable et solide.

Une autre préoccupation majeure concerne le maintien du service public. Sur ce plan, le texte n'apporte pas de rupture, puisqu'il ne remet pas en cause les valeurs fondatrices de notre système énergétique. C'est simplement une loi d'adaptation au marché européen, destinée à permettre à nos entreprises d'en tirer pleinement profit. Il serait en effet curieux que l'on puisse venir nous concurrencer sur notre sol sans que nos entreprises aient la possibilité de devenir, en exportant leurs talents vers d'autres horizons ou en conquérant des parts de marchés, des championnes européennes.

M. Serge Poignant. Tout à fait !

M. Patrice Martin-Lalande. Le service public n'est pas remis en cause, mais, au contraire, conforté notamment par les contrats, les obligations de service public qui vont être imposées et la péréquation tarifaire. EDF et GDF conservent même deux caractéristiques importantes : elles restent des entreprises publiques et intégrées.

Une autre interrogation ressort de la concertation que j'ai menée au niveau local : les communes auront-elles la possibilité ou l'obligation de faire appel à la concurrence pour leur consommation de gaz ou d'électricité ? Le risque existe en effet de voir 36 000 communes lancer le même appel d'offres, le 1er juillet, dans le cas où les dispositions légèrement contradictoires qui figurent dans le projet de loi seraient maintenues. Pour résoudre le problème, j'ai déposé, avec d'autres députés, un amendement visant à laisser aux communes la possibilité de lancer un appel d'offres, sans leur en faire obligation, dans l'état du calendrier.

Ceux que j'ai pu consulter s'interrogent aussi sur le capital d'EDF et de GDF. À juste titre, le Gouvernement assure qu'il ne songe pas à la privatisation, puisqu'on ne saurait privatiser le nucléaire. Sa logique est bonne. Il faut définir le projet industriel avant de prévoir le financement nécessaire. Et, si l'augmentation du capital est la meilleure solution, elle doit avoir lieu dans le respect des procédures nécessaires, parmi lesquelles figure l'autorisation parlementaire. Comme beaucoup d'autres députés présents, je souhaite que l'État reste fortement détenteur du capital d'EDF et de GDF. J'ai d'ailleurs cosigné un amendement visant à maintenir sa participation à hauteur de 70 %.

La concertation que j'ai menée fait enfin apparaître que, pour GDF, le problème se pose différemment que pour EDF. Puisqu'il s'agit d'une entreprise plus petite, le fait que la participation de l'État dans le capital reste à un niveau élevé risque de constituer un handicap dans les échanges internationaux.

Le projet de loi donne à nos entreprises les armes dont disposent leurs concurrentes, tout en leur conservant les valeurs propres aux entreprises publiques et au service public à la française. Il est indispensable, si l'on veut permettre à nos champions français de devenir des champions européens, avec toutes les retombées positives que cela comporte et dont le personnel, les clients et notre pays tout entier ne manqueront pas de bénéficier.

Je me réjouis d'une percée législative aussi nécessaire, qui aurait d'ailleurs dû être menée par des responsables antérieurs. Mais les gouvernements de l'époque n'ont pas beaucoup agi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Le prêche de notre collègue Martin-Lalande avait tout d'une extrême-onction pateline !

M. le président. La parole est à M. Éric Besson.

M. Éric Besson. Monsieur le ministre, vous ne serez pas surpris que je centre cette intervention, qui sera la dernière, sur l'article 22 - désormais fameux - de votre projet de loi, par lequel vous prétendez modifier le statut d'EDF, établissement public industriel et commercial, pour en faire une société anonyme.

Le groupe socialiste y est, vous le savez, opposé et rien dans ce que vous avez dit hier n'est de nature à nous faire faire changer d'avis.

Vous avez été obligé de reconnaître que rien, ni dans les traités, ni dans les directives, ni même dans les recommandations de la Commission, ne vous obligeait à modifier le statut d'EDF.

Quelles raisons pourriez-vous invoquer en effet ?

L'ouverture des marchés à la concurrence ? La Commission est explicite : elle n'interdit en rien le maintien du statut public d'EDF.

La nécessité pour EDF d'élargir son offre de services ? Le maintien du statut public d'EDF ne vous empêche pas de lui en donner les moyens en élargissant ce qu'on appelle le principe de spécialité.

Le développement d'EDF à l'étranger ? Contrairement à ce qui a été dit, il n'a été freiné en rien par le statut public qui n'a été considéré comme un réel obstacle que par un seul gouvernement, celui de M. Berlusconi, pour des raisons de politique intérieure très éloignées des logiques industrielles.

Pourquoi donc, monsieur le ministre, vous êtes-vous montré prêt, notamment durant ces derniers jours, voire ces dernières heures, à tant de concessions pour obtenir la transformation d'EDF en société anonyme ?

Vous invoquez une noble raison : la nécessité, pour EDF, de renforcer ses fonds propres. C'est une préoccupation légitime, mais distincte du changement de statut.

Votre gouvernement a dit vouloir engager une vague de privatisations sans qu'on en connaisse d'ailleurs à ce jour ni les objectifs, ni la liste,ni les conséquences industrielles.

M. Jean-Pierre Brard. Les objectifs, nous les devinons !

M. Éric Besson. Si vous voulez doter EDF en fonds propres, il vous suffit de dire ici que, sans rien changer à son statut, une partie du produit des privatisations que vous annoncez lui sera affectée.

Nous avons bien compris, monsieur le ministre, que les vraies raisons de votre entêtement sont différentes et qu'elles sont d'abord financières. En effet, les dérapages de votre gestion budgétaire vous conduisent à tout attendre de la soulte que verserait EDF, pour espérer limiter artificiellement le chiffre du déficit des finances publiques. Quoi que vous en disiez, une fois qu'aura sauté le verrou du statut public, il vous sera facile, à l'avenir, de réduire la participation de l'État.

Je vous ai écouté répondre, hier, à Christian Bataille. L'essentiel de votre argumentaire consistait à renvoyer les socialistes aux déclarations de deux de nos anciens - et excellents - ministres de l'économie, Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius. Vous usez et abusez de ces citations - vous avez même inventé un jeu dont vous paraissiez très fier : le « Qui a dit ? » -,...

M. François-Michel Gonnot. Il y en a tellement !

M. Éric Besson. ...comme de la référence à la participation de Lionel Jospin au sommet de Barcelone, en feignant de croire que le Premier ministre de cohabitation qu'il était à l'époque avait les mains totalement libres. Je ne dis pas que sa responsabilité n'était pas engagée, mais vous qui pourriez connaître aujourd'hui une autre forme de cohabitation, plus subtile, vous devriez comprendre combien les choses sont parfois compliquées en de telles circonstances.

Pour autant, n'éludons pas le débat. Oui, certains responsables socialistes ont pu imaginer, à une époque, que le capital d'EDF puisse être ouvert.

M. François-Michel Gonnot. Les grands responsables socialistes !

M. Éric Besson. Oui, les socialistes ont contribué, par leur vote, à la transcription en droit français des directives européennes sur l'ouverture aux professionnels du marché de l'électricité. Oui, sans doute aurions-nous dû lutter davantage encore contre la vague libérale des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix et la vision d'horizons radieux qu'elle décrivait. Mais ne faites pas semblant d'ignorer, monsieur le ministre, que les socialistes ont adopté une position extrêmement claire.

M. François Brottes. Absolument !

M. Éric Besson. Les leçons que nous avons tirées du 21 avril 2002 - après tout, tirer les leçons des défaites électorales est autorisé -...

M. le ministre délégué à l'industrie. Absolument !

M. François Brottes. C'est rare, aujourd'hui !

M. Éric Besson. ...nous ont notamment conduits à réaffirmer le rôle central des services publics, notamment celui de l'électricité. Ainsi, à Dijon, lors d'un congrès démocratique, les socialistes ont décidé à l'unanimité de maintenir le statut public d'EDF, et cet engagement nous lie tous.

Je sais, monsieur le ministre, qu'une telle position vous paraît archaïque. Vous devriez pourtant vous intéresser davantage aux travaux des économistes, y compris libéraux, qui sont beaucoup plus prudents et plus circonspects que vous. Eux ne nient pas l'échec d'une décennie de dérégulation dans le secteur de l'énergie. Eux s'inquiètent des conditions de production et de distribution de l'électricité dans nos économies occidentales. Eux constatent que la privatisation s'est trop souvent traduite par des ruptures d'approvisionnement, des investissements insuffisants et des hausses des prix. Eux se demandent aujourd'hui si, finalement, le secteur public n'est pas l'acteur le plus performant dans un secteur aussi essentiel, vital même, que celui de l'électricité, surtout lorsqu'il dépend des investissements de long terme et de la sécurité absolue que requiert le nucléaire.

Vous qui ne cessez de dire que votre projet de loi n'est pas dogmatique, qu'il n'est même pas fondé sur l'idéologie libérale à laquelle vous croyez, pourquoi donc mettez-vous le doigt dans un engrenage dangereux pour notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre délégué à l'industrie.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, au terme de cette discussion générale très riche, je tiens à saluer le président de la commission des affaires économiques, M. Patrick Ollier,...

M. Jean-Pierre Brard. À l'avant-veille d'un grand jour pour lui !

M. le ministre délégué à l'industrie. Mais nous aurons plusieurs fois l'occasion de le féliciter.

M. Jean-Pierre Brard. Je tenais à être le premier ! (Sourires.)

M. le ministre délégué à l'industrie. Je tiens également à féliciter son rapporteur, M. Jean-Claude Lenoir, qui nous a livré une excellente analyse,...

M. François Brottes. Très partiale !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...et le rapporteur pour avis de la commission des finances, M. Bernard Carayon, qui nous a apporté ses lumières.

Je vous remercie, monsieur Lenoir, pour votre rappel poétique de l'histoire de l'électricité, qui a eu pour mérite de replacer la réforme dans son cadre historique, et pour votre exposé très clair sur la situation très fragile du régime des retraites et sur les conséquences de l'ouverture du marché à la concurrence. Je vous sais gré de soutenir le projet du Gouvernement et d'avoir souligné que celui-ci reste fidèle aux valeurs du secteur énergétique. EDF et GDF resteront des entreprises publiques intégrées et maintiendront un opérateur commun. Le service public sera donc conforté.

M. Jean-Pierre Brard. Vous nous aviez dit la même chose pour Renault !

M. le ministre délégué à l'industrie. Je vous remercie enfin, monsieur le rapporteur, ainsi que M. le président de la commission, pour le travail important qui a été accompli et pour les très nombreux amendements de la commission que le Gouvernement étudiera avec beaucoup d'intérêt.

M. Jean-Louis Dumont. Pour mieux les enterrer !

M. le ministre délégué à l'industrie. M. Carayon a eu raison d'insister sur la nécessité d'abroger le principe de spécialité pour permettre à EDF et GDF de présenter des offres duales, de se conformer au droit européen en supprimant la garantie illimitée dont bénéficie EDF et de disposer, en particulier pour cette dernière, des moyens financiers nécessaires à son développement. Tel est bien l'objectif de notre projet et de la transformation de ces entreprises en sociétés anonymes.

M. Carayon a bien voulu, par ailleurs, souligné la nécessité de réformer le régime de retraite des électriciens et des gaziers, compte tenu de l'obligation d'appliquer la réforme comptable internationale avant 2007. Je rappelle, à cet égard, monsieur Besson, que si nous n'adossions pas ce régime de retraite au régime général, il faudrait provisionner des sommes astronomiques, qui sont hors de portée d'EDF, quel que soit son statut. Ce n'est donc pas la perspective de mettre la main sur un magot qui guide l'action du Gouvernement, mais la recherche de la neutralité pour le consommateur, le contribuable et l'agent d'EDF et de GDF.

Monsieur le président Ollier, le projet du Gouvernement est bien, comme vous l'avez rappelé, d'assurer le succès d'EDF et de GDF, dans l'intérêt des entreprises mais aussi de leurs agents, donc de la communauté nationale. Il n'est pas de meilleur résumé de notre projet que celui que vous avez fait.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Merci, monsieur le ministre.

M. le ministre délégué à l'industrie. Le Gouvernement accueillera évidemment très favorablement deux amendements très importants dont vous êtes signataire et qui visent à porter, pour le premier, de 50 à 70 % le seuil de détention minimum par l'État du capital d'EDF,...

M. François Brottes. Ce n'est donc pas 100 % ?

M. le ministre délégué à l'industrie. ...et pour le second, de 10 à 15 % la participation des salariés à une éventuelle augmentation du capital.

Avant de répondre à chaque orateur, je veux aborder deux sujets qui ont été évoqués de façon récurrente par les uns et les autres et qui méritent quelques explications.

S'agissant, tout d'abord, des prix et des tarifs, l'opposition a dressé un tableau alarmiste de la situation, estimant que l'ouverture à la concurrence aurait entraîné des augmentations importantes.

M. Daniel Paul. C'est la logique qui se met en place !

M. le ministre délégué à l'industrie. J'observe que ce n'est pas le changement de statut qui a provoqué ces changements,...

M. François Brottes. Si, par anticipation !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...puisqu'il n'a pas encore été adopté, mais bien l'ouverture à la concurrence, mise en place par la loi du 10 février 2000 que vous avez votée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Convenez avec moi qu'il y a une grande part de fantasmagorie dans ces allégations, puisque, en France, les prix sont parmi les plus bas d'Europe, sinon les plus bas, pour les industriels et les ménages.

M. Pierre Ducout. Ce n'est pas ce que disent les industriels !

M. Jean-Pierre Brard. Et vous voulez changer cela ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Monsieur Brard, vous qui vous voulez le grand défenseur de la classe ouvrière,...

M. Jean-Pierre Brard. Il n'y a pas grand risque que l'on vous accuse d'un tel forfait ! (Sourires.)

M. le ministre délégué à l'industrie. Non, mais l'on peut vous accuser, vous, de l'abandonner, la classe ouvrière ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Pierre Brard. Vous, vous la crucifiez !

M. le ministre délégué à l'industrie. En effet, durant des dizaines d'années, les tarifs d'EDF ont été plus élevés pour les ménages que pour les industriels. Autrement dit, le capitalisme français a été privilégié au détriment, en particulier, des ouvriers, qui, eux, payaient plein pot ! (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Pompidou n'était pas communiste, que je sache !

M. le ministre délégué à l'industrie. Cela a continué après 1981. Les prix payés par les industriels ont été maintenus artificiellement bas grâce au tarif anormalement élevé qui était appliqué aux ménages. Au moins la concurrence honnie présente-t-elle l'avantage d'obliger EDF à rééquilibrer les choses au bénéfice des ménages...

M. Jean-Pierre Brard. Et à réduire les investissements !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...sous peine de devoir affronter une concurrence dévastatrice. Vous le constatez, monsieur Brard, la concurrence, c'est souvent l'égalité !

M. Jean-Pierre Brard. Allez donc voir ce qu'il en est en Californie !

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est un autre débat, monsieur Brard. Toujours est-il que - et vous ne l'avez jamais dénoncé - le monopole a nui aux ménages en général, à la classe ouvrière en particulier, et profité au capitalisme français ! (« C'est faux ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Grâce à la concurrence, l'équilibre sera rétabli.

M. Jean-Pierre Brard. C'est comme le socialisme réel : il n'y aura plus d'électricité !

M. le ministre délégué à l'industrie. Vous pouvez vociférer, monsieur Brard, mais ce sont des faits, auxquels vous devriez opposer des arguments plutôt que des invectives. J'ajoute que la différence atteignait jusqu'à 20 %.

M. Éric Raoult. Il n'aime pas la vérité !

M. Richard Cazenave. Si vous continuez comme cela, monsieur Brard, nous ne vous laisserons pas vous exprimer tout à l'heure !

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est son tempérament qui le pousse à intervenir de la sorte, mais qu'il ne s'étonne pas qu'on lui réplique.

M. Jean-Pierre Brard. Pour l'instant, vos répliques ne sont guère convaincantes !

M. le ministre délégué à l'industrie. Je cite des chiffres. Évidemment, ils dérangent, car il vous serait difficile d'expliquer aux habitants de Montreuil que, durant des dizaines d'années, ils ont payé l'électricité plus cher que les entreprises implantées à côté de chez eux.

M. Jean-Pierre Brard. Je suis prêt à organiser un débat contradictoire à Montreuil quand vous le souhaitez !

M. le ministre délégué à l'industrie. Où vous voulez, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Très bien ! Nos propos figureront au Journal officiel !

M. le ministre délégué à l'industrie. Nous parlerons du prix de l'électricité, que vous avez cautionné, ainsi que la CGT, qui a son siège dans votre ville, sans rien dire à vos malheureux concitoyens !

M. Jean-Pierre Brard. Vous viendrez vous en expliquer !

M. le ministre délégué à l'industrie. Quoi qu'il en soit, après le changement de statut, le ministre continuera évidemment à fixer, au moins jusqu'en 2007, les tarifs de l'électricité pour les ménages. Il n'y a donc pas de raison pour que ces tarifs ne demeurent pas les plus bas d'Europe ou qu'ils évoluent plus vite que l'inflation. Cela vaut également pour les professionnels et les PME-PMI, qui auront la possibilité de déclarer leur éligibilité ou de continuer à bénéficier du tarif d'EDF s'ils le souhaitent. Du reste, cette dernière a d'ores et déjà indiqué qu'elle maintiendrait ses offres commerciales à un niveau identique et certains de ses concurrents annoncent déjà des baisses de 5 à 10 %. Nous sommes donc bien loin des hausses de 20 % qui avaient été annoncées.

Je fais d'ailleurs observer loyalement à l'opposition que la première ouverture à la concurrence a conduit environ 25 % des clients d'EDF à changer de fournisseur (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...

M. Jean-Louis Dumont. Il s'agit de 25 % des clients éligibles, c'est-à-dire 25 % de 30 % !

M. le ministre délégué à l'industrie. Il s'agit évidemment de la part ouverte à la concurrence. En tout cas, la concurrence a permis à ceux-là de bénéficier de prix moins élevés.

Il est vrai - et je le dis à l'attention de M. Bouvard, qui est absent - qu'une dizaine, voire une vingtaine d'entreprises très spécifiques, qui bénéficiaient, en 2000, d'un tarif très favorable - j'ai indiqué pourquoi - voient aujourd'hui leurs tarifs augmenter fortement.

À ce sujet, j'ai commandité une mission de l'inspection générale des finances et du conseil général des mines pour la mi-juillet, afin de comprendre ces problèmes spécifiques et d'y trouver des solutions. Il convient de souligner que, s'il s'agit de moins de 2 % de la consommation électrique totale des Français, cela a une grande importance en termes d'emploi et peut avoir des répercussions sur l'existence même des quelques entreprises positionnées sur un segment difficile. Pour répondre à la question de M. Bouvard, ce rapport sera rendu vers le 15 juillet, et naturellement publié.

Deuxièmement, je voudrais aborder la question, soulevée à plusieurs reprises, de l'indépendance de gestion d'EDF-Transport, et à cet égard, j'aimerais rassurer cette assemblée.

M. Jean-Louis Dumont. Cela ne va pas être facile !

M. le ministre délégué à l'industrie. Comme l'a dit Nicolas Sarkozy, nous croyons aux vertus de la concurrence, et pour que celle-ci puisse s'exercer, il faut garantir un accès - transparent et non discriminatoire - des tiers au réseau. M. Cochet a souligné que cela impliquait une indépendance totale dans la gestion quotidienne du réseau de transport.

M. Jean-Louis Dumont. Une indépendance y compris managériale !

M. le ministre délégué à l'industrie. Des amendements ont été présentés dans ce sens, que nous examinerons avec beaucoup d'intérêt et de bienveillance.

M. Jean-Louis Dumont. Très bien !

M. le ministre délégué à l'industrie. En revanche, je répète que le Gouvernement est également attaché au maintien du caractère intégré d'EDF, qui constitue la meilleure garantie possible de notre sécurité d'approvisionnement.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien !

M. Richard Cazenave. C'est indispensable si l'on veut éviter ce qu'a connu la Californie !

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est l'objet essentiel des compléments qu'apporte cette loi par rapport aux lois de 2000 et de 2003 : permettre à EDF de contrôler sa filiale sur le plan stratégique et financier.

J'en viens maintenant aux questions spécifiques de chacun des orateurs. Je voudrais, puisque c'est lui qui a ouvert le feu - un feu d'artifice (Sourires) - remercier d'abord M. Dionis du Séjour, ainsi que M. de Courson, d'avoir souligné la qualité du dialogue social qui a eu lieu...

M. François Brottes. Ce sont des spécialistes de la question ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. De leur part, ce n'est pas très crédible !

M. le ministre délégué à l'industrie. Je voudrais moi-même remercier les organisations syndicales qui ont toutes donné le meilleur d'elles-mêmes dans la poursuite du dialogue social. Certes, quelques incidents ont défrayé la chronique...

M. Jean-Pierre Brard. Et ce n'est pas fini !

M. le ministre délégué à l'industrie. Les organisations syndicales ont, quoi qu'il en soit, fait montre d'un grand sens des responsabilités et du dialogue en poursuivant la discussion, ce dont je les remercie sincèrement.

M. Jean-Louis Dumont. Il faudra l'expliquer à certains membres de votre majorité !

M. le ministre délégué à l'industrie. Je suis heureux de la poursuite du dialogue social, monsieur Dumont, et c'est bien volontiers que j'en donne acte aux organisations syndicales.

M. Jean-Pierre Brard. Revenons-en à M. de Courson ! (Sourires.)

M. le ministre délégué à l'industrie. Je veux aussi remercier M. Dionis du Séjour de son soutien sans faille au projet du Gouvernement, et de sa clairvoyance quant à la situation d'EDF, notamment sur le plan financier.

M. Jean-Pierre Brard. N'en jetez plus !

M. le ministre délégué à l'industrie. M. de Courson a été, avec l'esprit « Cour des comptes » que nous lui connaissons, particulièrement décapant sur ce point, et les chiffres qu'il a donnés sont éloquents.

M. Jean-Pierre Brard. C'est un feu d'artifice avec des pétards mouillés !

M. le ministre délégué à l'industrie. J'ai bien noté que beaucoup d'entre vous étaient attachés à la notion d'indépendance de gestion au quotidien d'EDF-Transport et, comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est avec beaucoup d'attention que nous examinerons les amendements qui s'y rapportent.

Sur les retraites, je remercie M. de Courson et M. Gest d'avoir démontré avec brio la nécessité d'une réforme du système de financement du régime de retraite, et d'avoir reconnu les mérites du projet du Gouvernement, notamment celui de clarifier une situation qui en a bien besoin.

En revanche, je ne partage pas l'analyse qui a été faite concernant la nécessité de mettre en extinction le statut des IEG, les industries électriques et gazières, à l'instar de ce qui a été fait pour France Télécom, où les agents étaient fonctionnaires. En effet, la situation est très différente. L'objectif du Gouvernement est de faire converger le régime des IEG vers un régime proche de ce qui se pratique dans le privé, avec une partie relevant de la solidarité nationale, la CNAV, l'AGIRC et l'ARRCO, et une partie relevant de l'entreprise. Dans toute entreprise de grande importance, on trouve ce que l'on appelle un « surchapeau », qui s'applique à tous les salariés.

Il est donc logique de vouloir conserver un seul statut des IEG pour les retraités, pour ceux présents dans l'entreprise comme pour les futurs embauchés. Est-ce à dire pour autant que les droits ne seront pas amenés à évoluer un jour ? Personne ne peut le dire. En tout état de cause, cette évolution devra se faire dans le cadre du dialogue et de la négociation sociale, au sein de l'entreprise, et en prenant en compte l'ensemble des éléments de la rémunération des agents des IEG. Il s'agit donc d'un sujet concernant spécifiquement l'entreprise, et qui doit être résolu à ce niveau.

M. Daniel Paul. Exactement !

M. le ministre délégué à l'industrie. Comme l'a rappelé Nicolas Sarkozy, EDF a connu une histoire sociale qui a fait d'elle ce qu'elle est, et que l'on ne peut rayer d'un trait de plume.

MM. Paul, Desallangre, Asensi, et Gerin ne seront pas étonnés d'apprendre que je ne partage pas leur opinion...

M. Daniel Paul et M. Jean-Pierre Brard. C'est plutôt rassurant !

M. le ministre délégué à l'industrie. Ce qui est rassurant, c'est de ne plus procéder à l'étatisation d'une économie, comme vous le voudriez. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Daniel Paul. Ce n'est que votre fantasme !

M. le ministre délégué à l'industrie. En effet, toute tentative d'étatisation n'a jamais abouti qu'à un échec absolu. Je voudrais quand même répondre à quelques points spécifiques concernant ces interventions.

Il est vrai que le financement du développement du nucléaire s'est fait grâce à l'aide de l'État. Faut-il en conclure qu'il n'y a pas d'autre solution ? Comment penser que nous pourrons consentir le même effort que celui pratiqué dans les années soixante-dix et antérieurement, avec une dette qui atteint aujourd'hui 60 % du PIB ?

M. Jean-Louis Dumont. Cela n'a rien à voir !

M. le ministre délégué à l'industrie. Mais si, bien au contraire.

M. Pierre Ducout. C'est de l'aide de l'État que vous parlez !

M. le ministre délégué à l'industrie. Le montant des soultes à payer pour s'adosser au régime de droit commun dépendra des modalités d'adossement, qui devront être déterminées par un dialogue entre les partenaires sociaux, dialogue auquel nous appelons.

M. Daniel Paul. Alors, quel sera ce montant ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Ces modalités peuvent conduire à payer une soulte limitée pour ne percevoir qu'une partie des prestations de retraite du régime de droit commun, ou à faire l'inverse.

M. Daniel Paul. Ah !

M. le ministre délégué à l'industrie. C'est la raison pour laquelle les chiffres varient entre quelques milliards et un peu plus de dix milliards d'euros. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. Ce n'est pas sérieux !

M. le ministre délégué à l'industrie. Il n'y a rien d'étonnant à cela. Je le répète, c'est le dialogue social qui va permettre de trouver un équilibre. Quant à la valeur d'EDF, elle est sans doute comprise entre 30 et 50 milliards d'euros, compte tenu de l'effet des retraites et des provisions constituées pour le nucléaire. Mais ceci devra être étudié par la commission annoncée par Nicolas Sarkozy, qui fera le point sur les besoins de financement. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. François Brottes. C'est le brouillard complet !

M. Jean-Louis Dumont. Le minimum, c'est la transparence financière !

M. le ministre délégué à l'industrie. Voudriez-vous me dicter mon propos ?

M. le président. Allons, mes chers collègues ! Le débat n'est pas terminé !

M. Pierre Ducout. On se moque de l'Assemblée nationale !

M. le président. Monsieur Ducout, vous allez vous exprimer tout à l'heure pendant une heure, alors laissez parler M. le ministre !

M. le ministre délégué à l'industrie. Ai-je le droit de dire autre chose que ce que vous attendez ? Acceptez donc la contradiction ! Se livrer à cet exercice d'humilité est peut-être difficile, mais toujours stimulant sur le plan intellectuel. Pour ma part, je vous écoute avec attention, monsieur Brottes, et ceci nourrit ma réflexion, m'amène à réfléchir sur ce que vous dites, et m'incite à rechercher sans cesse de nouveaux arguments pour vous convaincre. Je vous invite à en faire de même (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Je remercie M. Gonnot d'avoir salué, avec une grande force de conviction, les efforts considérables produits depuis deux mois par le Gouvernement pour expliquer sa réforme. Vous avez eu raison, monsieur Gonnot, de rappeler que cette loi n'était qu'une étape, et qu'il restait encore beaucoup de travail, notamment pour préciser les besoins en fonds propres, ainsi que la possible coopération entre EDF et GDF. Comme je l'ai dit, le Parlement sera étroitement associé à ces travaux. Je ne peux que partager votre avis sur l'importance du service public, et sur la nécessité de maintenir le caractère intégré d'EDF et de GDF.

Je vous confirme, enfin, qu'il faudra effectivement réaliser en France et en Europe un bilan de l'ouverture du marché à 70 %, sans tabous et en toute transparence, avant de passer à l'ouverture à 100 % en 2007.

M. Jean-Louis Dumont. Et que deviennent les amendements de M. Gonnot ?

M. le ministre délégué à l'industrie. À M. Brottes, je veux dire qu'il a eu beaucoup de talent.

M. François Brottes. Merci !

M. le ministre délégué à l'industrie. Oui, vous avez eu beaucoup de talent. Vos propos ne manquaient pas d'humour, et vous nous avez fait rire.

M. François Brottes. Tout n'était pas drôle dans ce que j'ai dit !

M. le ministre délégué à l'industrie. Tout n'était pas drôle, mais vous nous avez quand même fait rire.

M. Jean-Pierre Brard. Vous n'avez malheureusement pas le même talent, dans ce registre !

M. le ministre délégué à l'industrie. Toutefois, vous n'avez pas réussi à nous faire oublier Barcelone. L'ouverture du marché a été décidée lors de ce sommet par les deux têtes de l'exécutif français de l'époque, le président Chirac et le Premier ministre Lionel Jospin (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Richard Cazenave. C'est quand même Jospin qui gouvernait !

M. le ministre délégué à l'industrie. La décision a été prise conjointement, mais vous ne semblez pas vouloir l'admettre, monsieur Brottes.

M. François Brottes. Vous ne parlez pas de Mme Fontaine ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Quoi que vous en disiez, l'ouverture à la concurrence a été décidée à Barcelone.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Pas pour les ménages !

M. le ministre délégué à l'industrie. Pour les ménages, ce n'est pas encore fait. Et je viens de vous dire que nous étions tout à fait disposés à faire préalablement dresser un bilan.

M. Novelli et M. Masdeu-Arus ont fait une démonstration saisissante des conséquences de l'immobilisme.

M. Birraux a rappelé, avec son à-propos coutumier, qu'EDF a été obligée de biaiser pour s'affranchir des contraintes inhérentes à son statut - par exemple pour faire du training. Ce faisant, elle a commis un certain nombre d'infractions à la réglementation européenne, et a d'ailleurs été condamnée à de très lourdes amendes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pierre Ducout. Cela n'a rien à voir !

M. le ministre délégué à l'industrie. Le changement de statut est donc nécessaire pour qu'EDF ne soit plus exposée à ce genre de situations.

M. Martin-Lalande a souligné que le projet de loi avait le souci du service public ; ce qu'il a dit sur ce point à la lumière de son expérience locale était tout à fait éloquent.

Mme Gautier a eu raison de rappeler que l'EPIC d'EDF avait supprimé 8 000 emplois depuis deux ans. Le changement de statut ne crée donc pas de menace sur l'emploi, puisque l'EPIC ne protège de rien.

M. François Brottes. C'était de l'anticipation !

M. le ministre délégué à l'industrie. Pour compléter ce que j'ai dit sur l'indépendance du réseau de transport, et pour répondre à une légitime inquiétude exprimée par Jean-Jacques Guillet sur le financement du réseau de transport et de distribution, je voudrais souligner que le Gouvernement est attentif aux investissements. C'est pourquoi il a été prévu dans la loi d'orientation sur les énergies d'encadrer la qualité du courant.

M. Jean-Louis Dumont. C'est essentiel !

M. le ministre délégué à l'industrie. D'autre part, le Gouvernement s'est engagé à apporter 500 millions d'euros au développement d'EDF, ce qui n'avait pas été fait depuis plus de vingt ans. La commission de régulation de l'électricité a approuvé le programme d'investissement de RTE, ainsi que le prévoit la loi de 2000. Ainsi, quand bien même EDF souhaiterait rogner sur le budget d'investissement de RTE, ce qui n'est pas son intérêt, elle en serait juridiquement empêchée.

Je veux dire à M. Habib, qui a cité l'exemple d'Elf, que c'est la fusion avec Total qui a fait de cette entreprise un champion mondial. Nous ne souhaitons pas autre chose pour EDF.

M. Jean-Pierre Brard. On a vu comme le prix de l'essence a baissé !

M. le ministre délégué à l'industrie. Sa référence était donc tout à fait bienvenue, même s'il ne s'attendait pas à ce que celle-ci vienne contredire la démonstration qu'il entendait effectuer. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Je veux également m'associer aux remerciements qu'a adressés Christian Estrosi aux électriciens et aux gaziers,...

M. Jean-Pierre Brard. M. Estrosi ne veut pas de coupure chez lui !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...dont la presque totalité est restée fidèle à son poste et à son outil de travail.

Monsieur Dumont, s'agissant de vos différentes solutions juridiques pour EDF, ma réponse sera très claire : non, une société publique, fût-elle anonyme, n'est pas opéable tout simplement parce que l'État aura conservé la majorité du capital.

M. Jean-Louis Dumont. Pendant combien de temps, monsieur le ministre ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Cet argument a déjà été utilisé trente-six fois !

M. Jean-Louis Dumont. Et alors ?

M. le ministre délégué à l'industrie. Bien entendu, le Parlement et le peuple français sont souverains. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. François Brottes. Parlez-nous donc de France Télécom !

M. le ministre délégué à l'industrie. La situation est la même pour les EPIC.

M. Jean-Pierre Brard. Vous avouez donc !

M. le ministre délégué à l'industrie. Une autre majorité pourra changer la loi, fort heureusement !

M. Pierre Ducout. Laquelle ?

M. le ministre délégué à l'industrie. La vôtre, peut-être. Nous avons pris, quant à nous, un engagement pour cette législature. Il ne vaut que pour notre majorité. Le peuple français demeure souverain. Le Parlement exprime cette souveraineté et, bien entendu, la loi peut changer. La belle affaire ! Vous prétendez aujourd'hui que ce texte ouvre la voie à une privatisation rampante parce qu'une autre loi pourra venir le modifier...

M. Jacques Myard. Peut-être la vôtre, chers collègues de l'opposition !

M. le ministre délégué à l'industrie. Mais c'est toujours vrai : il en va ainsi de toutes les lois.

J'ai répondu à M. Michel Bouvard que nous allions examiner le cas des entreprises de Savoie.

Je tiens à rappeler à M. Myard et à M. Dupont-Aignan, qui ont stigmatisé la Commission européenne, ...

M. Jacques Myard. Oui !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...que, dans ce domaine, s'agissant notamment de directives, les décisions sont prises par le Conseil des chefs d'État et de gouvernement.

M. Jacques Myard. Ils ont été manipulés !

M. le ministre délégué à l'industrie. Disant cela, vous ne faites pas beaucoup d'honneur à nos propres dirigeants politiques. Les décisions ont été prises à Barcelone par les chefs d'État et de gouvernement et pas par la Commission.

M. Jean-Pierre Brard. Il fallait le dire !

M. le ministre délégué à l'industrie. Je remercie M. Trassy-Paillogues et M. Gatignol de leur soutien. J'ai bien noté les candidatures de Penly et de Flamanville, messieurs, ainsi que celle de Rhône-Alpes. Les décisions seront prises au mois de juillet. Chaque site a ses avantages et ses inconvénients. Le débat va s'ouvrir.

À Serge Poignant, qui nous a interrogés sur la politique de recherche d'EDF et de Gaz de France en sa qualité de rapporteur de la loi d'orientation sur l'énergie, je précise, et cela devrait le rassurer, que le contrat de service public qui sera signé entre EDF et l'État comportera des engagements chiffrés.

Je ferai observer à M. Cochet qu'il existe une différence radicale entre démanteler une centrale spécifique et en démanteler cinquante-huit. Les conditions d'organisation et de financement n'ont évidemment rien à voir. Il se contredit d'ailleurs en prévoyant un démantèlement pour 2020 tout en affirmant qu'on peut attendre la quatrième génération, c'est-à-dire 2045.

Enfin, je remercie M. Decool de son intervention et je lui confirme que le tarif social récemment mis en place par le Gouvernement permettra une baisse de tarifs de 30 à 50 % et que les factures ne seront pas modifiées par la réforme. Rappelons-le, cela concerne un million de personnes.

J'en ai terminé, monsieur le président, mesdames, messieurs. J'ai conscience d'avoir sans doute oublié quelques interventions. Toutes, en tout cas, étaient riches et stimulantes pour le débat. Je remercie donc l'Assemblée nationale pour son intérêt scrupuleux, détaillé, approfondi et parfois humoristique pour ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Je demande la parole pour un rappel au règlement car j'ai été mis en cause par le ministre tout à l'heure. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Dans ce cas-là, c'est en fin de séance qu'il faut intervenir, monsieur Brard !

M. le président. Monsieur Brard, il s'agit d'un fait personnel et non pas d'un rappel au règlement. Vous aurez donc la parole à ce titre, mais en fin de séance.

M. Daniel Paul. Dans ces conditions, monsieur le président, nous demandons une suspension de séance.

M. le président. Monsieur Paul, je ne peux vous l'accorder car vous n'avez pas de délégation de votre président de groupe.

Motion de renvoi en commission

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du règlement.

La parole est à M. Pierre Ducout.

M. Pierre Ducout. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à l'industrie, monsieur le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire, mes chers collègues, alors que j'interviens pour défendre cette motion de renvoi en commission du texte en discussion, intitulé en couverture du document législatif « Electricité de France et Gaz de France » mais qui apparaît, à la première page, comme un projet « relatif au service public de l'électricité et du gaz », trois points me paraissent clairs pour l'ensemble des Français.

Premièrement, l'électricité est un besoin vital pour tous.

M. Édouard Landrain. Très juste !

M. Richard Cazenave. Cela me rappelle la mère Denis ! (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. La mère Denis n'avait pas besoin d'électricité car elle n'avait pas de machine à laver !

M. Pierre Ducout. Depuis leur création, en 1946, EDF et GDF, qui sont issues du programme du Conseil national de la Résistance, ont remarquablement rempli leur mission de service public et d'aménagement du territoire. Leur efficacité et leur constante adaptation ont apporté le meilleur service à tous. Ce sont des modèles pour l'Europe. En outre, le dévouement et l'engagement des personnels sont particulièrement remarquables.

Deuxièmement, le seul objectif politique clair du ministre d'État est de montrer qu'il obtiendra le changement de statut d'EDF et de GDF, prétendument pour sauver les deux entreprises publiques, à l'instar des résultats qu'il a obtenus dans la lutte contre la délinquance - du moins dans la présentation médiatique.

M. Richard Cazenave. Quelle mauvaise foi ! En matière de lutte contre la délinquance, les résultats sont là !

M. Pierre Ducout. Cela ne trompe pas nos concitoyens sur la relativité de ce que l'on fait dire aux statistiques.

Un grand quotidien du matin de ce jour...

M. Édouard Landrain. Lequel ?

M. Pierre Ducout. Regardez de votre côté ! Ce journal fait dire à un proche du dossier : « La seule ambition de Nicolas Sarkozy sur le moment consiste à obtenir la transformation d'EDF sans trop de casse. Il veut apparaître comme le ministre qui a réussi à changer le statut d'EDF. Après, il sera toujours temps d'entrer dans les détails. »

Or, chacun le sait, le diable se cache dans les détails. Il ne faudrait pas que l'avenir le fasse sortir. M. le ministre délégué vient précisément de nous dire que les droits des personnels pourraient être revus plus tard car on ne pouvait pas tirer un trait sur ces droits acquis d'un seul coup.

Troisièmement, ces changements de statut, quels que soient les engagements de façade, ont pour seul but, après les résultats déplorables de la politique économique et sociale du Gouvernement, de faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'État. C'est du moins ce que dit un élu important de l'UMP - mais il y a sans doute des courants à l'UMP -...

M. Édouard Landrain. Comme au parti socialiste !

M. Pierre Ducout. ...dans les colonnes d'un grand journal du matin daté du 20 mai 2004.

Il est évident que le changement de statut et l'ouverture du capital constituent la première vanne ouverte, enclenchant automatiquement un effet de cascade, pouvant déboucher sur la privatisation totale des entreprises,...

M. Richard Cazenave. C'est n'importe quoi !

M. Pierre Ducout. ...sans évoquer ici le bradage de la CNR - la Compagnie nationale du Rhône - à SUEZ.

Cette ouverture du capital change la culture d'entreprise pour donner priorité au résultat à court terme et au cours de l'action plus qu'à la qualité et à la continuité du service public.

Comme on l'a vu pour France Télécom, elle est susceptible d'enclencher fatalement la privatisation à terme de ces entreprises, quel que soit l'affichage que vous faites en garantissant 70 % de capital public aujourd'hui, contre 51 %, hier, dans le projet de loi. Et que comprendre des annonces du ministre d'État qui parle à nouveau de 100 % ?

L'électricité et le gaz ne sont pas des marchandises comme les autres. Ils sont vitaux et indispensables tant pour chaque Français que pour l'activité économique, comme l'ont montré les images du black-out de New York en août dernier ou en Italie.

L'intervention des personnels d'EDF, après les tempêtes de 1999, a mis en évidence leurs remarquables qualités, leur professionnalisme et leur engagement.

Dans ma circonscription qui couvre le vignoble Pessac-Léognan mais aussi une partie de la forêt des Landes, nous avons été exceptionnellement sinistrés. Beaucoup d'arbres sont tombés sur des dizaines de kilomètres de lignes. L'électricité a été coupée pendant plus d'une semaine, voire quinze jours, dans de très nombreux secteurs. Or, en ces circonstances, le personnel d'EDF a montré toute son efficacité, des retraités ayant même donné un coup de main pour l'occasion. EDF a également aidé le Médoc sinistré en sauvant les régies d'électricité de la Gironde qui ne pouvaient faire face à la reconstruction des lignes.

On voit ce que représente ce besoin vital quand on n'a plus de lumière, de chauffage ou d'eau en plein hiver. Tout dépend aujourd'hui, dans notre monde, de l'électricité, de l'informatique et des nouvelles technologies de la communication.

Dans le cadre des récentes élections au Parlement européen, Alain Juppé, président de l'UMP a déclaré : « L'UMP ne se reconnaît pas dans l'intégrisme du tout libéral, du tout monétaire, ou de la concurrence pure et parfaite. »

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C'est vrai !

M. Pierre Ducout. En cohérence avec cette affirmation, vous auriez donc dû exiger un état des lieux que vous nous auriez présenté avant de privatiser EDF et GDF.

Alain Juppé nous a présenté les États-Unis comme un modèle de libéralisme. Pourtant ils interviennent à leur profit pour fausser la concurrence internationale, parfois contre l'Europe. Nous avons dû nous battre, au sein de l'Organisation mondiale du commerce, contre leur interventionnisme, pour protéger l'acier ou l'agriculture. Mais ils sont incapables - peut-être est-ce dû au pouvoir de leurs États - d'organiser un marché de l'énergie qui fonctionne bien.

Notre rapporteur Jean-Claude Lenoir, qui s'est absenté quelques instants...

M. Jean-Luc Warsmann. Mais le président de la commission est présent !

M. Pierre Ducout. Certes, et c'est un excellent président, même s'il ne nous laisse pas toujours nous exprimer !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C'est que nous avons beaucoup à faire en peu de temps !

M. Pierre Ducout. Notre rapporteur, disais-je, comme hier le ministre d'État, a accusé la gauche d'immobilisme étatique. Cet immobilisme supposé des gouvernements de gauche, au contraire, traduit leur volonté de sauvegarder au mieux les intérêts de la France et ceux de nos entreprises publiques.

Je vous rappelle, mes chers collègues, que l'ouverture des marchés de l'électricité et du gaz a été effectuée en France aux dates prévues, contrairement à ce qui s'est passé dans d'autres pays européens qui affichent une ouverture à 100 % de leur marché mais ne l'ouvrent en réalité que très peu. Je pense à l'Allemagne, où le poids des Länder entraîne de nombreux blocages.

La transposition de la directive électricité dans la loi de février 2000 avait fait l'objet en commission d'un travail remarquable et approfondi, notre rapporteur Christian Bataille nous apportant des réponses argumentées et non dilatoires sur chaque point, dans le respect de toutes les sensibilités.

Cette transposition a minima de la directive européenne 96/92/CE a démontré toutes ses qualités en valorisant la régulation des marchés et en garantissant la place de l'État et des collectivités locales. D'ailleurs, son intérêt a été depuis reconnu par tous.

La discussion en commission du projet de loi de privatisation à terme d'EDF et de GDF a duré moins de deux heures, ce qui n'est pas comparable au travail effectué par la précédente majorité.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Le travail en commission a duré huit heures !

M. Pierre Ducout. Non, monsieur le président, la discussion a duré deux heures ! Au dire du rapporteur, ce sont les gouvernements socialistes qui ont accepté la libéralisation des marchés du gaz et de l'électricité.

M. Édouard Landrain. C'est juste !

M. Pierre Ducout. Rappelons-nous que la directive 96/92/CE d'ouverture du marché de l'électricité a été adoptée par le Conseil de l'Union européenne sous un gouvernement de droite, celui de M. Juppé, M. Borotra étant ministre de l'industrie, avant la dissolution de M. Chirac, en 1997, qui amena une majorité de gauche à l'Assemblée nationale.

M. François Brottes. Très bonne initiative !

M. Pierre Ducout. Rappelons-nous également que la directive a été appliquée par la France et transposée a minima par la gauche à travers la loi du 10 février 2000. Qu'en matière d'accès au réseau de transport d'électricité, nous disposons avec RTE du système le plus efficace et le plus neutre pour tous les producteurs. Rappelons-nous enfin qu'au sommet de Barcelone de mars 2002 Lionel Jospin avait refusé la libéralisation pour les ménages.

Après avoir entendu M. Devedjian répondre à l'exception d'irrecevabilité présentée par notre collègue Christian Bataille, je voudrais redire ici que nous n'avons pas honte de ce qu'avait négocié le Premier ministre Lionel Jospin à Barcelone.

Lionel Jospin avait obtenu comme préalable la prise en compte des services publics au niveau européen, sujet sur lequel la gauche se bat depuis plusieurs décennies, et refusé l'ouverture des marchés aux ménages. Certes, il avait accepté l'ouverture à 60 % ou 70 % au 1er juillet 2004. Mais les résultats déplorables de 1'ouverture des marchés en Europe comme aux États-Unis et l'augmentation des prix qui en découle justifient que nous demandions aujourd'hui un moratoire, en faveur notamment des petits artisans et des collectivités. Mais cela ne nécessite nullement un changement de statut d'EDF et de GDF.

Le 25 novembre 2002, au Conseil des ministres de l'énergie à Bruxelles, Mme Nicole Fontaine acceptait cette libéralisation intégrale pour les ménages dès le 1er juillet 2007 ! Quant à Mme Loyola de Palacio, elle prétend que la libéralisation aurait pour effet de baisser les prix. On sait aujourd'hui que c'est faux.

Je voudrais revenir sur un certain nombre de problèmes soulevés par votre projet de loi et qui, n'ayant pas reçu de réponse, justifient un renvoi en commission : les missions d'EDF, la réalité des exigences européennes, l'effet baisse des prix de l'ouverture du marché de l'énergie, la question de la fusion EDF-GDF, la valeur d'EDF, le principe de spécialité, le régime des retraites, les normes comptables et le service d'intérêt général européen pour l'énergie.

Premier point : les missions d'EDF. La loi de février 2000 en fait des missions de service public au sens large. La première d'entre elles est de garantir l'approvisionnement de l'électricité sur l'ensemble du territoire national, dans le respect de l'intérêt général, l'indépendance et la sécurité d'approvisionnement, le respect de la qualité de l'air et la lutte contre l'effet de serre. C'est un sujet majeur pour l'avenir de notre planète, le changement de climat étant une certitude pour tous les scientifiques.

Autres missions d'EDF : la gestion optimale et le développement des ressources nationales, des énergies renouvelables en particulier, la maîtrise de la demande d'énergie et l'utilisation rationnelle de l'énergie, qui intéresse aujourd'hui certains États américains. La Californie, par exemple, avec son gouverneur M. Schwarzenegger, s'est engagée à baisser de 30 % la consommation de carburants, même si, d'après certains commentateurs, Georges Bush ne saurait pas ce qu'est l'effet de serre...

M. Claude Gatignol. On peut leur vendre des Peugeot !

M. Pierre Ducout. Ce serait effectivement une bonne solution !

Autres missions dévolues à EDF : la compétitivité économique, la maîtrise des choix technologiques de l'avenir, et enfin la cohésion sociale à travers le droit à l'énergie dans les meilleures conditions de sécurité, de qualité et de coût, de prix et d'efficacité économique, d'efficacité sociale et énergétique. Ces missions doivent s'accompagner de la continuité des services et d'une réelle péréquation tarifaire sur l'ensemble de notre territoire national.

J'en viens au deuxième point : la réalité des exigences européennes. Un certain nombre d'éléments nous autorisent aujourd'hui à demander un moratoire : outre les résultats des élections européennes, en particulier en France, ce sont l'exigence d'une Europe sociale et l'évolution de la notion de service d'intérêt général, ces deux points étant soutenus par des gouvernements de gauche, bien que la droite se réclame toujours du gaullisme, n'est-ce pas, monsieur le président de la commission ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. En ce qui me concerne, c'est toujours vrai, et je ne suis pas le seul !

M. Pierre Ducout. Si la France faisait jouer son droit d'exception sur l'évolution de la libéralisation des marchés de l'énergie en Europe, nous y gagnerions la possibilité de prendre en compte la situation réelle dans les différents pays de l'Union, peut-être de sanctionner les pays qui ne préparent pas l'équilibre entre capacité de production et consommation, ce qui est extrêmement important, et de préserver les pays qui ont des entreprises publiques performantes, comme la France.

Je vous rappelle que la première directive électricité a été négociée par le gouvernement Juppé. Le ministre de l'industrie de l'époque, Franck Borotra, disait devant notre assemblée qu'EDF devait rester une entreprise publique à 100 %. Vous pouvez vous reporter, mes chers collègues, au compte rendu, paru au Journal officiel, de la séance du 21 janvier 1999, consacrée à la politique énergétique et présidée par Patrick Ollier, aujourd'hui président de notre commission des affaires économiques.

Voici ce que disait Franck Borotra : « Il faut, par ailleurs, accélérer l'évolution des entreprises publiques d'énergie. Elles doivent devenir des entreprises à part entière, des entreprises comme les autres. Il faut leur donner les moyens de faire face à la concurrence, de nouer des partenariats industriels, de se développer au plan international en élargissant leur offre au multiénergie et au multiservice. EDF doit rester une entreprise publique détenue à 100 % par l'État. »

M. François Dosé. M. Borotra, lui, était un vrai gaulliste !

M. Pierre Ducout. Le gouvernement de Lionel Jospin et notre assemblée ont transposé cette directive dans la très bonne loi de février 2000, qui rappelle l'ensemble des objectifs du service public, en particulier la péréquation et la fourniture aux plus démunis. Et c'est toujours Lionel Jospin qui, en mars 2002, à Barcelone, a obtenu comme préalable une directive cadre sur les services d'intérêt général.

C'est le premier gouvernement Raffarin qui a opté pour une transposition libérale de la directive gaz et Nicole Fontaine qui a accepté l'ouverture totale pour les ménages en juillet 2007.

Compte tenu de ces éléments nouveaux, il apparaît possible de demander un moratoire, ainsi qu'une exception à l'obligation de séparation juridique du réseau public de transport d'électricité, car cette séparation pose problème. André Merlin, directeur de RTE, a ainsi déclaré dans un célèbre journal du matin : « La séparation juridique n'est pas la vertu cardinale du fonctionnement des gestionnaires des réseaux de transport. »...

M. Jean-Louis Dumont. Tout à fait !

M. Pierre Ducout. ...« Leur indépendance managériale et une régulation efficace doivent encore mieux garantir un accès non discriminatoire au réseau de transport de chaque pays. » C'est ce que rappelait notre collègue Dumont.

Le rapporteur nous a indiqué à plusieurs reprises que le GRT, devenu RTE, resterait public à 100 % ! Naturellement, à partir du moment où le capital d'EDF est ouvert, même à 30 %, cela n'est plus vrai...

M. François Brottes. Bien sûr !

M. Pierre Ducout. ...et cela inquiète même les concurrents d'EDF, à juste titre !

M. Jean-Louis Dumont. Eh oui, c'est dangereux !

M. Pierre Ducout. Ceux-ci reconnaissent que RTE gère le réseau en toute neutralité et sans discrimination.

M. Jean-Louis Dumont. Tout le monde le reconnaît, même nos adversaires !

M. Pierre Ducout. Absolument ! Ils ont peur que cela change si EDF ouvre son capital à des intérêts privés.

Cette crainte est partagée par quelques députés du groupe UMP, qui ont présenté à la commission un certain nombre d'amendements visant à assurer l'indépendance totale du RTE, quitte à démanteler EDF. Pourtant, nous le savons tous, une entreprise intégrée est un facteur particulièrement important d'efficacité.

Le président de la commission de régulation de l'énergie, Jean Syrota, note que les effets de l'ouverture du marché du gaz seront, dans la pratique, limités au nord de notre pays, pour des raisons de proximité. Il rappelle que les marchés de l'électricité sont encore nationaux et que la création d'un régulateur européen, que nous souhaitons, sera nécessaire à terme mais ne pourrait aujourd'hui, je le cite « ne s'occuper que des problèmes pour lesquels d'autres organismes sont plus compétents ». Et il ajoute : « On n'aurait donc finalement instauré qu'une bureaucratie supplémentaire. »

La mise en place d'un régulateur en Allemagne permettrait une coordination européenne souple. La France devrait jouer un rôle moteur dans ce domaine, comme c'est déjà le cas dans le cadre de l'Association européenne des gestionnaires de réseaux de transport, excellemment présidée par André Merlin, directeur de RTE. L'analyse précise des éléments qui permettraient à la représentation nationale d'apprécier en toute connaissance de cause les conséquences de la transposition de la directive européenne nécessiterait un renvoi en commission.

On ignore trop souvent qu'aux États-Unis, les capacités d'interconnexion entre États sont moindres qu'en Europe.

M. Jean-Louis Dumont. Eh oui !

M. Pierre Ducout. Depuis les crises de production qu'ils ont connues et la chute d'Enron, des États comme la Californie ont fait marche arrière en matière de libéralisation des marchés de l'électricité. En outre, les signes envoyés par le marché n'ont pas provoqué les investissements nécessaires à l'amélioration de réseaux de transports particulièrement vétustes. On ignore également que la plupart des États où le prix de l'électricité était inférieur au prix moyen pratiqué dans l'ensemble des États-Unis n'ont pas ouvert leur marché.

Parlons maintenant de l'Espagne, qui a prétendument totalement ouvert un marché dominé cependant par deux groupes, Endesa et Iberdrola : pour les petits consommateurs, le bilan est globalement négatif. Si les projets de fusion entre le premier électricien, Endesa, Gas Natural et le groupe Aguas de Barcelone étaient menés à bien, ils aboutiraient à la constitution d'un « champion énergétique », qui pourrait être considéré comme coupable d'abus de position dominante sur le marché espagnol - il serait également présent en France, puisque Endesa est entré dans le capital de la SNET. Il est à remarquer d'ailleurs que dans ce pays seuls 5 % des clients éligibles ont choisi un opérateur étranger.

En Angleterre, après une phase de dérégulation et de privatisations sauvages, on assiste à une phase de consolidation sans qu'aucun signal du marché ne permette d'investir dans de nouveaux moyens de production, alors que les réseaux de transport et de distribution sont mal entretenus et doivent être rénovés.

Ajoutons que la question du respect du protocole de Kyoto et celle de la place du nucléaire ne sont pas réglées.

En ce qui concerne le fonctionnement du marché ouvert, la création de Powernext, bourse de l'électricité, et d'un marché d'ajustement au niveau européen, poussera automatiquement les prix à la hausse, dans la mesure où la demande augmente plus que la production ; les prix moyens européens sont plus élevés que ceux de la production française ; enfin, la consommation de pétrole augmente avec 1'instabilité du Moyen-Orient. Le prix du pétrole, comme celui du gaz, se maintiendra à des niveaux élevés dans les années et les décennies qui viennent.

La très bonne analyse de l'Union française de l'électricité, qui vient d'être rendue publique par la voix de son président, sur l'impact et les effets réels de la libéralisation du marché européen de l'électricité, recoupe certains éléments que je viens de développer. L'augmentation du prix de l'énergie, qui est dès aujourd'hui une réalité pour les industriels, et qui s'aggravera demain, selon les prévisions, pourrait les inciter à délocaliser.

M. Augustin Bonrepaux. C'est un industriel qui le dit !

M. Pierre Ducout. Absolument, monsieur Bonrepaux, et vous avez raison de le souligner.

M. Jean-Louis Dumont. M. Bonrepaux a toujours raison !

M. Pierre Ducout. Examinons maintenant ce qu'il en est de la baisse des prix qui serait prétendument l'effet de l'ouverture des marchés.

Dans l'ultralibéralisme ambiant des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, marquées par les politiques de Mme Thatcher et de Ronald Reagan, le Conseil des ministres européens et la Commission européenne avaient justifié l'ouverture du marché par la baisse du prix de l'énergie, qui devait en être la conséquence. Ils n'avaient pas pris garde alors au fait que les marchés pouvaient envoyer des signaux néfastes ou pouvaient être manipulés.

Claude Gatignol, notre excellent président du groupe d'études sur les énergies,...

M. Michel Piron. Quel hommage !

M. Pierre Ducout. ...s'était, à ce titre, légitimement ému, lors du vote de la loi de transposition de février 2000, de la possibilité que l'ouverture du marché pour les gros consommateurs ait sur les prix un impact pénalisant pour les petites et moyennes entreprises et les usagers domestiques. La question se pose bien aujourd'hui du devenir de ces petits consommateurs éligibles, vers lesquels les concurrents d'EDF ne vont pas se précipiter. L'exemple récent de Suez nous l'a démontré : dans un système régi par la loi de l'offre et de la demande, l'augmentation de leur facture risque de dépasser de beaucoup l'augmentation moyenne des prix prévue d'ici à 2007 : une note interne d'EDF parle d'environ 15 %.

M. Claude Gatignol. Ça n'a rien à voir !

M. Pierre Ducout. Le problème est le même pour les petites collectivités locales. M. le rapporteur s'est efforcé de résoudre la question, mais son amendement n° 12 rectifié, examiné très rapidement par la commission, dans le cadre de l'article 88 du règlement, n'a pas pris la mesure du problème. Aucune garantie n'est donnée quant à sa constitutionnalité, s'agissant de supprimer l'obligation pour les collectivités locales de choisir leur fournisseur d'énergie dans le cadre d'un appel d'offres. Aucune garantie n'est donnée non plus quant au maintien et au niveau de tarifs régulés ou quant à l'évolution des anciens tarifs. L'exposé sommaire de cet amendement précise seulement que « l'éligibilité est un droit pour les clients concernés leur permettant de faire appel au fournisseur d'énergie de leur choix. L'interprétation de dispositions relatives à la mise en concurrence des marchés publics peut conduire à imposer à l'État, à ses établissements publics administratifs, aux collectivités territoriales et à leurs groupements d'exercer ce droit. Il convient donc de disposer explicitement que l'éligibilité n'ouvre qu'une faculté et ne constitue en aucun cas une obligation. » Nous examinerons plus tard cette proposition.

Nous aurions voulu que soit maintenu le principe d'un traitement égalitaire pour toutes les collectivités locales, en ce qui concerne la satisfaction de leurs besoins en matière d'éclairage public par exemple. La péréquation tarifaire devrait continuer de s'appliquer aux clients que sont les 36 000 communes de France, surtout dans une période où l'on dit vouloir assurer une meilleure péréquation des ressources - je pense notamment aux discours que nous avons entendus au Comité des finances locales.

M. François-Michel Gonnot. C'est toujours bon à prendre !

M. Pierre Ducout. M. Franck Borotra rappelait, lors de la même discussion, le poids de la facture énergétique pour certaines industries : « La libéralisation du marché industriel, disait-il, est une garantie de la baisse des prix. Elle est nécessaire à la compétitivité des entreprises, car l'électricité est un élément important, parfois même décisif, des prix de revient, dont elle représente jusqu'à 25 % dans des secteurs industriels essentiels comme la chimie, la sidérurgie ou la papeterie. La baisse des prix est favorisée par la concurrence, qui oblige à la transparence des tarifs, et par l'émergence des marchés. »

Que dit-il aujourd'hui à ces entreprises soumises à la loi du marché, aux prix allemands, qui menacent de se délocaliser si l'État n'intervient pas pour qu'on revienne pratiquement à un prix régulé ?

J'en viens à la fusion d'EDF et de GDF. La question se pose naturellement, dans la mesure où les présidents d'EDF et de GDF annoncent tous les deux qu'ils feront, après la seconde ouverture du marché au 1er juillet 2004, des offres à la fois en gaz et en électricité aux clients éligibles en France. Il n'est pas évident qu'il soit de l'intérêt de la France de compter deux champions nationaux qui se font concurrence, tout en gardant un service commun responsable de la distribution jusqu'aux compteurs - il s'agit actuellement d'« EDF-GDF Services » qui rassemble efficacement 65 000 agents de proximité - et ceci dans le cadre de la disparition du principe de spécialité.

M. le ministre d'État a annoncé qu'une étude dressant le bilan de cette fusion lui sera remise en septembre. Quelques brouillons doivent déjà circuler, et notre commission devrait pouvoir examiner le problème à l'aide d'une information suffisante, avant de voter un texte qui permet la privatisation d'EDF et de GDF.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Ce n'est pas une loi de privatisation !

M. Pierre Ducout. Je dis simplement qu'elle la permettra.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Il faudra une nouvelle loi pour privatiser !

M. Pierre Ducout. Monsieur le président, je veux bien vous faire confiance, mais que décidera la majorité dans l'avenir ? (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Car si vous êtes gaulliste, je ne suis pas sûr qu'il y ait une majorité de gaullistes !

Il semble que cette fusion entraînerait la création d'un mastodonte, qui encourra l'accusation d'abus de position dominante et devra passer sous les fourches caudines de Bruxelles.

M. François-Michel Gonnot. C'est le parti communiste qui demande la fusion !

M. Jean-Pierre Brard. Allons ! Ne tirez pas sur l'ambulance !

M. François-Michel Gonnot. C'est vrai, c'est la CGT, excusez-moi !

M. Pierre Ducout. Il serait alors obligé de se séparer à vil prix de nombreux actifs, que la concurrence s'empresserait alors de racheter.

M. le Ministre d'État a semblé vouloir éviter qu'Alstom soit contraint à ce genre de bradage par ses liens avec le géant Allemand Siemens, puisqu'il a affirmé refuser « un rachat à la casse ». C'est là une bonne intention, et nous suivrons avec attention ce dossier pour voir si elle sera suivie d'effet.

Mais l'abus de position dominante doit-il s'évaluer au niveau national ? Il n'existe pas aujourd'hui un véritable marché européen de l'énergie, étant donné la faiblesse des interconnexions entre pays européens. Notre pays n'autorisera pas forcément la construction de centrales à cycle combiné gaz en nombre important, d'autant qu'il doit tenir compte des engagements qu'il a souscrits en matière de limitation des gaz à effet de serre dans le cadre du protocole de Kyoto. Leur rentabilité serait d'ailleurs problématique par rapport à la filière nucléaire, étant donné le prix actuel du gaz naturel. EDF restera donc pendant longtemps en position très largement dominante sur le marché français, comme Tractebel l'est sur le marché belge.

Du point de vue de la Commission européenne, la fusion entre Eon et Ruhrgaz en Allemagne pourrait être comparée à l'ensemble EDF-GDF, ou plutôt à « Électricité et Gaz de France », comme certains proposent d'appeler l'entreprise unique qui résulterait de la fusion, nom qui serait préféré à « Énergie de France » ; ou même au groupe SUEZ, avec une consolidation de ses activités au niveau international ou dans l'ensemble de ses métiers, les utilities - je ne veux pas sous-entendre par là qu'EDF-GDF doive s'engager dans le marché de l'eau et de l'assainissement. Mais tout cela n'est que spéculation, et les rebondissements du dossier Alstom, avec l'évolution de la position de Siemens et les réactions actuelles de nos amis Allemands, ne permettent pas de prévoir le résultat de négociations avec Bruxelles. Notre commission devrait au moins disposer des éléments qui lui permettraient d'être éclairée et d'en juger avant le vote de la loi.

Il existe des études sur les contreparties éventuelles d'un rapprochement entre EDF et GDF. On sait que les contreparties demandées lors de la fusion entre Eon et Rhurgaz ont été en réalité relativement limitées. Certains évoquent la possibilité d'un gas release que pourrait exiger la Commission à hauteur de 10 à 15 % de l'importation de gaz.

Cela correspond à la mise aux enchères de 6 000 mégawatts nucléaires demandée à EDF - Virtual Power Plant - par Bruxelles dans le cadre de la prise de participation dans l'entreprise allemande EnBw en Allemagne. Les discussions avec ENEL en Italie vont peut-être dans le même sens, mais sur ce point les gouvernements et les ministres en savent probablement plus que moi. Notre commission devrait être pleinement informée sur ces différents points avant l'examen de la loi.

Dans tous les cas, ces éléments, de même que les résultats positifs attendus de pratiquement toutes les participations d'EDF en Europe en 2005, si l'on en croit du moins les prévisions de sa direction, semblent confirmer que l'ouverture du capital EDF et de GDF ne vient satisfaire aucun besoin réel.

J'en arrive à la question de la valeur d'EDF.

Plusieurs éléments pourraient justifier auprès de l'Europe qu'EDF reste une entreprise à 100 % publique :

Le niveau de ses besoins de financement par rapport à ses missions ;

Son niveau d'activité par rapport aux besoins de service public en France ;

Sa présence équilibrée en Europe compte tenu de l'ouverture du marché à 30 % aujourd'hui, à 70 % demain et à 100 % en 2007.

On peut insister aussi sur son rôle de leader en matière nucléaire pour assurer l'indépendance énergétique de la France et un peu de l'Europe. D'ailleurs, comme vous le savez, le niveau d'indépendance énergétique de l'Europe va fortement diminuer dans les décennies, voire les années à venir.

On peut mentionner, enfin, la lutte contre l'effet de serre.

Ajoutons qu'EDF est le champion industriel mondial, aux côtés d'AREVA, pour la filière nucléaire française, voire européenne, point sur lequel nous nous retrouvons, je pense.

La garantie des emprunts d'EDF devrait être non pas illimitée, mais évaluée en fonction des situations et des objectifs poursuivis sur le marché français et sur le marché européen. Il n'y a aucune raison qu'EDF ait comme objectif d'aller plus loin que ses positions actuelles.

Les garanties d'emprunt peuvent être différentes pour financer l'EPR, pour lequel l'État français, voire l'Europe peuvent avoir vocation à intervenir, comme le font les États-Unis pour la recherche ou la préparation des futurs réacteurs nucléaires, à côté d'acteurs privés, qu'ils soient consommateurs ou opérateurs d'énergie.

L'État devrait également prendre en compte les risques nucléaires au-delà d'un certain niveau, comme le font les États-Unis. Ce point devrait également être précisé.

M. Michel Piron. L'exemple américain est souvent cité !

M. Pierre Ducout. Vous avez raison de le souligner, cher collègue : c'est tout à fait intéressant dans le cadre de la concurrence internationale et de l'Organisation mondiale du commerce.

M. Jean-Pierre Brard. Voilà un collègue de droite qui écoute ce que dit l'orateur et qui participe au débat !

M. Michel Piron. Merci ! Voilà qui est intéressant !

M. Pierre Ducout. Absolument. C'est peut-être, monsieur Brard, un gaulliste !

M. Jean-Pierre Brard. Peut-être un des seuls. Et il est un fin lettré, ce qui n'est pas si fréquent ! (Sourires.)

M. Pierre Ducout. Monsieur Brard, vous allez peut-être un peu loin !

S'agissant du traitement des déchets radioactifs, la plupart des acteurs, comme un certain nombre d'organismes de contrôle, considèrent que cette question est aujourd'hui résolue, en particulier par le retour sur expérience d'un certain nombre de sites de stockage en couches profondes, aux États-Unis et en Finlande notamment.

On peut donc évaluer de façon raisonnable le coût de traitement final des déchets, qui ne devrait pas pénaliser anormalement les comptes d'EDF.

On commence aussi à avoir une approche correcte des coûts de démantèlement des centrales nucléaires. Je pense, entre autres, au démantèlement de Brennelis dans les monts d'Arrée, en Bretagne. J'ai d'ailleurs eu l'occasion d'y travailler il y a quelques décennies...

M. Jean-Pierre Brard. Très belle région !

M. Pierre Ducout. Tout à fait, cher collègue ! Les monts d'Arrée, les abers, c'est remarquable !

Un mot sur la gestion de l'engagement italien.

On connaît la situation particulière de l'Italie, qui ne produit que 80 % de sa consommation,...

M. Jean-Pierre Brard. Et qui, hélas ! pour elle, a Berlusconi en prime !

M. Pierre Ducout. Absolument !

...et les orientations des différentes directives européennes invitant chaque État à disposer de moyens de production suffisants. Cela a conduit le gouvernement français et le gouvernement italien, en liaison avec la Commission européenne, à traiter le problème des relations d'EDF avec l'Italie en tant que producteur depuis la France pour compléter les besoins italiens, ou en tant qu'intervenant direct sur ce marché avec la finalisation des négociations engagées avec ENEL en particulier.

Le poids des engagements hors bilan d'EDF ne doit pas être considéré comme un boulet, EDF n'ayant pas forcément vocation, à moyen terme, à être seul actionnaire d'Edison. De même, avant l'ouverture du capital d'EDF - hypothèse que nous refusons -, l'État devrait avoir réglé ce problème, sauf à brader, pour des raisons d'affichage, un fleuron de l'industrie française, porté par la France et les Français depuis la Libération.

Nous nous souvenons comment le gouvernement Juppé avait choisi, en 1996, de brader l'entreprise Thomson Multimédia pour le « franc symbolique » au coréen Daewoo, après l'avoir recapitalisée de 11 milliards de francs - d'ailleurs sans remarque de l'Europe. Nos réactions particulièrement fortes dans cet hémicycle pour s'y opposer avaient contribué à le faire reculer, même si nous étions très minoritaires à l'époque.

M. Jean-Pierre Brard. Mais convaincus !

M. Pierre Ducout. C'est vrai !

J'avais d'ailleurs posé une question au Gouvernement à ce sujet.

Quelles que soient les variations de conjoncture, la suite nous a donné amplement raison : les conditions de cession de la CNR à Suez-Tractebel ne sont pas non plus une référence.

Comme je l'ai dit devant la commission d'enquête sur la gestion des entreprises publiques, le jugement sur la politique d'acquisitions d'EDF ne doit pas être établi avec une vision instantanée ni rendu sous la pression de la Bourse, mais il doit être fondé sur une évaluation sérieuse de l'évolution des marchés de l'énergie à moyen terme et en tenant compte des mesures de redressements crédibles des différentes filiales ainsi que de leurs résultats escomptés à trois ou cinq ans.

Cela vaut, par exemple, pour EnBw en Allemagne et pour l'Argentine, la situation du Brésil étant, elle, plus délicate.

Le chiffre de 30 à 50 milliards d'euros pour EDF avancé par M. le ministre d'État devrait être sérieusement détaillé en commission. L'annonce d'un délai d'un an pour l'ouverture du capital n'est pas un scoop. Personne ne pouvait sérieusement imaginer que la somme des incertitudes actuelles aurait permis d'ouvrir le capital sans brader le patrimoine de la nation.

M. Daniel Paul. Ils sont prêts à tout !

M. Pierre Ducout. J'espère que non, mais on peut le craindre !

M. Jean-Pierre Brard. Eh oui !

M. Pierre Ducout. J'en viens au principe de spécialité.

L'argument de la suppression du « principe de spécialité » avancé par le président de l'UDF, pardon d'EDF... (Rires.)

Hélas ! On peut penser qu'il y a aujourd'hui une proximité entre le président d'EDF et l'UDF !

M. Jean-Pierre Brard. Eh oui !

M. Pierre Ducout. L'argument avancé par le président d'EDF, dans sa campagne de publicité dans les grands médias nationaux, de la suppression du « principe de spécialité » pour lutter à armes égales avec ses concurrents n'est pas convaincant.

Ce principe de spécialité - déjà considérablement élargi par la loi que nous avons votée le 10 février 2000, notamment par son article 44 - n'a aucune de raison de ne pas s'appliquer aux nouveaux clients éligibles français à partir de juillet 2004, de la même manière que cet élargissement s'appliquait aux anciens clients éligibles.

Ce principe ne s'appliquant pas hors de France, la capacité d'EDF à faire des offres conjointes d'électricité et de gaz à l'étranger est similaire à ce que pourraient proposer conjointement EDF et GDF en France. Sachant qu'EDF consomme, à l'international, autant de gaz qu'en commercialise GDF en France.

Enfin, le président Roussely a bien dit qu'EDF n'entrerait pas en concurrence avec les PME qui sont ses partenaires pour l'entretien et avec lesquelles il travaille en parfaite harmonie.

Rappelons d'ailleurs le rôle d'EDF à l'international pour parrainer l'entrée et l'implantation de ces entreprises sous-traitantes, en particulier sur le marché chinois.

S'agissant du régime des retraites des personnels d'EDF-GDF, les éléments actuels de la soulte qui devrait être versée par ces entreprises - comme les conditions de versement, variant en présentation de 0 à 13 milliards d'euros, selon les analyses - ainsi que l'impact sur la situation financière de nos entreprises ne peuvent être laissés dans le flou.

Notre collègue Charles de Courson, dont chacun a pu apprécier si ce n'est la pertinence des positions, du moins la précision des analyses financières, rappelait hier que nul n'a pu nous dire le montant exact de cette soulte. La représentation nationale aurait pourtant dû être éclairée en commission avant l'examen du projet de loi en séance publique.

Il est normal qu'une taxe sur le transport de l'électricité serve à prendre en charge en partie les retraites du personnel d'EDF, dans la mesure où c'est la qualité et l'engagement de ce personnel qui a permis de construire, depuis 1946, le fleuron industriel performant qu'est EDF.

Concernant les normes comptables, un élément n'a pas été suffisamment présenté ni à la commission des finances ni à celle des affaires économiques. Il s'agit de l'impact, sur la présentation du bilan, du changement des normes comptables internationales IAS 19, et donc de l'accompagnement bancaire de GDF et surtout d'EDF.

Parlons maintenant du service d'intérêt général européen.

En Europe comme aux États-Unis, en dehors de positions dogmatiques ultralibérales, tous les intervenants bien informés - ainsi que l'avait rappelé le président d'EDF lors de son audition devant notre commission des affaires économiques le 25 novembre 2003 - reconnaissent que la problématique de l'Union européenne pour l'avenir est plus d'assurer la continuité du service que de faire respecter la concurrence ou que les questions de prix.

La Commission européenne semble s'intéresser à la sécurité d'approvisionnement en énergie. Il convient de rappeler qu'il n'y a pas de réelle politique énergétique européenne, en dehors des directives ultralibérales.

Il n'y a pas de programmation européenne pluriannuelle des équipements de production électrique.

Si elle était réellement appliquée, la directive sur les grandes installations de combustion conduirait, entre 2005 et 2015, à la disparition d'une grande partie du parc thermique européen utilisé en pointe et ne répondant plus aux normes environnementales.

II faut souligner par ailleurs les positions de blocage, apparentes ou effectives, par rapport au nucléaire dans de nombreux pays européens, dangereuses pour l'avenir, même si certains semblent évoluer.

Dans tous les cas, nous nous orientons, au moins pour les dix à quinze ans qui viennent, vers un déficit de production au niveau européen.

On peut rêver d'une loi d'orientation européenne sur l'énergie, préalable à l'application des directives. On s'apercevrait alors qu'une entreprise à 100 % publique, intègre et vertueuse, comme EDF, est en réalité un atout pour l'ensemble de l'Europe. Il suffit de rappeler le bon fonctionnement du RTE pour s'en convaincre.

Dans cette Europe de l'énergie, il ne me paraît pas encore envisageable d'appliquer un principe d'utilité publique européen, qui a été suggéré, pour réaliser les investissements nécessaires, moyens de production comme lignes de transport d'interconnexion. C'est un point très important.

Par contre, et tous les opérateurs le savent, pour réaliser ces grands projets, l'accord des populations est indispensable. C'est vrai en France, comme en Europe, aux États-Unis, mais aussi en Chine - même si c'est un peu différent avec les dazibaos.

C'est le principe − ou le syndrome − du NIMBY − « not in my backyard »,...

M. François-Michel Gonnot. En français !

M. Pierre Ducout. ...« pas dans mon jardin » −, qu'ont évoqué tous les intervenants américains.

Il faut rappeler ici combien il est difficile de réaliser une nouvelle interconnexion de transport d'électricité entre la France et l'Espagne. En 1996, après des discussions et négociations entre EDF et les collectivités locales et territoriales du Val Louron, tous les obstacles paraissaient levés. Mais, pour des raisons politiciennes, le Premier ministre de l'époque, Alain Juppé, et la ministre de l'environnement, Corinne Lepage, avaient bloqué le dossier. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) On nous le redit assez souvent dans les cercles bien informés.

M. François-Michel Gonnot. Et qu'a fait Jospin, en cinq ans ? Rien !

M. Pierre Ducout. Dès lors que vous aviez tout bloqué, je reconnais qu'il était difficile au gouvernement de Lionel Jospin de débloquer la situation.

M. Patrice Martin-Lalande. Jospin n'a pas assez débloqué !

M. Pierre Ducout. Cette situation fut très préjudiciable, aussi bien, d'un point de vue financier, à EDF, qui laissa dans l'affaire plusieurs milliards de francs, qu'aux relations entre la France et l'Espagne dans le domaine de l'énergie. Cela nous priva en tout cas d'un partenaire potentiel dans les discussions et négociations européennes sur l'énergie et le service public, notamment celui de l'électricité.

Je souhaite m'attarder un peu sur la question capitale de l'acceptabilité des grands projets. Pour que nos concitoyens acceptent une grande infrastructure, il faut que ses promoteurs aient pris en compte les risques potentiels et les nuisances qu'elle entraînerait : bruit, pollution, impact sur l'environnement et sur le paysage. En matière de risques, une réelle transparence s'impose, et il convient d'autre part d'indemniser correctement tous les riverains dont le patrimoine subit une dépréciation. Cela pourrait concerner, par exemple, ceux dont la propriété est comprise dans une bande de 500 mètres de part et d'autre d'une autoroute. Il s'agit d'adopter ici la démarche qui prévaut pour l'indemnisation des nuisances aéroportuaires, depuis la loi sur le bruit que nous avons votée − vous le savez, monsieur le secrétaire d'État, en tant qu'ancien responsable des transports.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Ancien responsable !

M. Pierre Ducout. Je suis convaincu que vous n'avez pas cessé de vous intéresser à ces questions.

M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Certes !

M. Pierre Ducout. J'ai eu l'occasion de m'en entretenir avec M. Mansillon, président de la commission nationale du débat public. Il faudrait y réfléchir, monsieur le secrétaire d'État, car, si j'ai bien compris, le Gouvernement doit prochainement saisir cette commission à propos du projet EPR.

Il faut également apporter des compensations aux collectivités locales concernées. Cela se fait pour les grandes implantations. Nos collègues de la Manche − M. Gatignol, notamment − en savent quelque chose, avec l'implantation éventuelle d'un EPR, dont M. le ministre d'État a parlé tout à l'heure. Peut-on, pour cela, ne compter que sur la taxe sur les pylônes électriques à très haute tension ?

À ce sujet, je suis fier d'avoir présidé la réunion de la commission qui a déclaré d'utilité publique l'aménagement du tracé de l'A380 entre Langon et Toulouse, nécessaire à la consolidation de la politique industrielle européenne en matière aéronautique.

M. François-Michel Gonnot. C'est hors sujet !

M. Jean-Pierre Brard. Non !

M. Pierre Ducout. Au contraire, et vous allez le voir ! Je suis, de même, fier que le gouvernement Jospin ait créé EADS. Si vous voulez privatiser, prenez exemple sur la gauche, qui a créé un champion européen autour d'un projet industriel, dans un cadre stratégique d'« Europe-puissance », concurrente des États-Unis.

M. François-Michel Gonnot. Vous pouvez parler des catastrophes, aussi !

M. Pierre Ducout. Aujourd'hui, il n'existe pas de marché européen de l'électricité, pas plus qu'il n'y a de marché mondial de l'électricité. Il existe un marché mondial du pétrole et du gaz, et, sur ce point, nous nous accordons − c'est d'ailleurs un peu pour cela que nous n'avons pas suivi les États-Unis dans leur intervention en Irak.

Dans le même ordre d'idées, nous avons pu créer une conférence interparlementaire européenne sur l'espace et contribuer aux avancées de l'Europe spatiale. En cela, la France promeut des politiques volontaristes, aussi bien dans le domaine de l'espace que dans le secteur de l'énergie. Et chacun, aujourd'hui, suit avec intérêt les progrès du projet Galileo, si important pour l'Europe.

Mais l'Europe de l'énergie n'existe pas et l'on ne peut parler d'une « politique européenne de l'énergie ». Aussi la France et ceux, nombreux parmi nous, qui se reconnaissent dans les valeurs du programme du Conseil national de la Résistance, doivent-ils être moteurs de la construction de cette Europe de l'énergie.

J'en arrive à une première conclusion.

M. François-Michel Gonnot. Une « première »?

M. Pierre Ducout. Cher collègue, vous qui, à une certaine époque, avez présidé la commission de la production et des échanges, vous n'ignorez pas que, si l'on pouvait autrefois, comme le fit un jour notre excellent rapporteur, soutenir une motion pendant cinq heures d'affilée, nous n'avons plus droit aujourd'hui qu'à une heure et demie.

M. Jean-Pierre Brard. C'est bien peu !

M. Pierre Ducout. Chacun reconnaîtra que je n'abuse jamais de mon temps de parole, pas plus dans l'hémicycle qu'en commission. Aussi, permettez-moi de terminer, car j'espère bien vous convaincre tous.

M. François-Michel Gonnot. Alors, soyez bref !

M. Pierre Ducout. Vous pourrez ainsi dîner à l'heure espagnole. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Les raisons qui ont été invoquées pour justifier qu'on délibère dans l'urgence sur le changement de statut et sur l'ouverture du capital d'EDF et de GDF ne résistent pas à l'analyse, que ce soit la suppression du principe de spécialité, les problèmes financiers ou même la place de RTE, qui a fait la preuve de sa performance et de sa neutralité. Le commissaire européen Mario Monti a lui-même rappelé que le changement de statut n'était pas une exigence européenne, mais un choix du gouvernement français.

M. Jean-Pierre Brard. C'est vrai !

M. Pierre Ducout. En revanche, les raisons de ne pas modifier le statut et de garder nos entreprises à 100 % publiques sont parfaitement claires : c'est, d'une part, le maintien d'un service public de qualité, et, d'autre part, le maintien et l'acceptabilité d'une filière nucléaire, sûre et efficace, atout primordial de la France pour son indépendance énergétique et le respect du protocole de Kyoto sur l'effet de serre.

M. Michel Piron. On ne s'en lasse pas !

M. Pierre Ducout. Il faut dire aux Français que votre projet risque de détruire deux fleurons économiques de la France, les plus marquants du service public, des piliers de notre République. À terme, nos concitoyens verront le prix de l'énergie augmenter sans qu'ils aient aucune garantie sur la continuité du service.

Je veux citer, une fois encore, Franck Borotra...

M. Michel Piron. C'est saint Thomas d'Aquin !

M. Pierre Ducout. ...qui, le 19 février 1999, lors du débat sur la transposition de la directive « Électricité », déclarait ici même : « Il fallait au contraire libérer EDF, lui permettre de se transformer en une véritable entreprise détenue à 100 % par l'État. Votre projet a pour objectif de lui conserver la première place sur un marché protégé. Je préférerais qu'EDF soit la première sur un marché européen concurrentiel. » Sans doute songeait-il à la spécificité d'EDF, à la fois leader international dans le domaine du nucléaire et acteur efficace du service public de l'électricité. La suite − les quatre ans d'application de la directive − lui a donné tort : EDF a su trouver sa place.

Mais il faut reconnaître que Frank Borotra disait aussi que « GDF doit devenir une société anonyme majoritairement détenue par l'État et ouvrir son capital aux producteurs et industriels ». De fait, certains responsables socialistes avaient alors envisagé cette éventualité.

M. Jean Dionis du Séjour. Ah !

M. Pierre Ducout. Ce n'était pas ma position. Aujourd'hui, il est clair que les liens entre EDF et GDF, le fait qu'ils aient du personnel en commun, leur mission de service public, interdisent de dissocier le statut d'EDF de celui de GDF. Tous les socialistes veulent donc que les deux entreprises restent à 100 % publiques.

M. Jean Dionis du Séjour. C'est nouveau !

M. Richard Cazenave. Sauf Jospin, Strauss-Kahn et Fabius !

M. Jean-Pierre Brard. Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis !

M. Pierre Ducout. J'ai dit : « aujourd'hui ». C'est assez clair. Vous n'avez peut-être pas prêté attention à ce qu'ont dit nos concitoyens à l'occasion des élections régionales et cantonales de mars et des récentes élections européennes.

M. Richard Cazenave. Parce que vous savez ce qu'ils ont dit, vous ? Vous êtes très fort !

M. Pierre Ducout. Je suis élu depuis assez longtemps pour penser, comme vous peut-être, cher collègue, qu'il faut écouter ce que nous disent nos concitoyens.

M. Jean-Pierre Brard. En tout cas, nous avons entendu ce qu'ils avaient dit en 2002 !

M. Pierre Ducout. Nombre des points que j'ai évoqués nécessitent que l'on étale tout le dossier sur la table, que l'on communique à notre commission et à la représentation nationale tous les éléments de réflexion, sans manœuvres politiques, stratégiques ou tactiques.

Je souhaite enfin relever certaines interventions récentes du Gouvernement, du ministre d'État et du rapporteur.

Hier, pour tenter de faire croire que sa position n'est pas uniquement idéologique, le ministre d'État a annoncé la constitution d'une commission constituée de personnalités qualifiées, d'élus, d'usagers, de salariés d'EDF, et qui serait chargée de débattre de l'opportunité, du calendrier et des modalités d'une éventuelle ouverture du capital, laquelle ne serait décidée qu'après une analyse financière dans l'entreprise, et après qu'auraient été estimés sa valeur et ses besoins financiers réels. Pour nous, ces éléments sont un préalable et auraient dû être examinés en commission avant la présentation du projet de loi. En aucune manière la déclaration d'urgence ne se justifiait dans ces conditions.

Vous prétendez ne pas vouloir dissocier l'ouverture du capital pour EDF et pour GDF. Mais, dans la pratique, n'allez-vous pas attendre les conclusions de la commission pour traiter les deux entreprises en parallèle ? Cela aussi, pour une réelle transparence, justifierait le retrait du projet de loi, ou, a minima, son renvoi en commission.

M. Jean Le Garrec. Très bien !

M. Pierre Ducout. Un grand journal du soir indique aujourd'hui que certains députés de la majorité émettent des réserves sur l'ouverture du capital d'entreprises qu'ils jugent « stratégiques ».

M. François Brottes. Lenoir en est un bon exemple !

M. Pierre Ducout. Nous en connaissons plusieurs, monsieur le secrétaire d'État, qui ont adopté la position qui fut celle de Franck Borotra : ce sont de vrais gaullistes, soucieux de la fiabilité de la filière nucléaire et de son acceptation par nos concitoyens, mais également de la pérennité du service public.

M. Jean Dionis du Séjour. Je ne vois pas de qui vous parlez !

M. Pierre Ducout. Ce même journal annonce un deuxième amendement du rapporteur ou du ministre, précisant le rôle stratégique d'EDF pour l'indépendance énergétique de la France et rappelant ses activités touchant à la sécurité. Voilà de belles intentions ! Qu'en sera-t-il si l'on ouvre le capital ? Il suffira d'un faible pourcentage pour que l'entreprise soit soumise à la tyrannie des marchés, à leur besoin de rentabilité à court terme. Cet amendement aurait dû, pour le moins, être développé sérieusement en commission.

D'autre part, lorsque le ministre d'État indique que, dans le délai d'un an, il examinera sans exclusive les alternatives à l'appel des capitaux privés, c'est dans son esprit seul que ces alternatives peuvent exister. À moins que l'on ne se moque du rôle du Parlement, l'examen de ces alternatives devrait précéder la présentation du projet de loi à l'Assemblée nationale.

Quand le ministre d'État veut − c'est du moins ce qu'affirmait hier un grand quotidien du matin − « faire passer son projet à tout prix avant la fin juillet », on ne voudrait pas que cela signifie qu'il souhaite privatiser pour des motifs dogmatiques, quitte à brader aussi le patrimoine national que représentent EDF et GDF.

Les 500 millions d'euros de recapitalisation qu'on annonce paraissent dérisoires si l'on songe au comportement quasi prédateur que tous les gouvernements ont adopté. Alors que l'État était propriétaire de ces deux entreprises, il ne leur a pas versé un centime en vingt-deux ans et a unilatéralement bloqué les prix. Et, après qu'il a récupéré 1,2 milliard d'euros par un redressement fiscal, pour une période ancienne, décidé par l'Europe − qui suivait en cela un rapport du Trésor français, car elle n'aurait pas trouvé cela toute seule −, vous proposez aujourd'hui d'en reverser généreusement 40 % à EDF pour une augmentation de capital. On peut trouver le procédé un peu léger.

L'agence de cotation S and P accorderait toujours une très bonne cote à EDF : AA moins, hors garantie d'État. C'est un élément à prendre en compte également.

Enfin, la question de suspendre la loi EDF a été posée au rapporteur par certains quotidiens. Pour nous, ce n'est pas une question politicienne, comme pour la droite.

Quand le rapporteur, Jean-Claude Lenoir,...

Plusieurs députés socialistes. À propos, où est-il ?

M. Pierre Ducout. ...dit dans un quotidien : « suspendre la loi EDF serait un signe de faiblesse à quelques semaines du difficile débat sur la sécurité sociale », cela signifie que ce n'est pas l'intérêt du service public qui anime la droite aujourd'hui, ni l'intérêt et l'avenir de la France et des Français en matière d'indépendance énergétique, de traitement égal de tous nos concitoyens sur l'ensemble de notre territoire et du droit à l'énergie pour tous, et pour les plus démunis en particulier, mais l'intérêt politicien de l'UMP, certes en position difficile aujourd'hui, dans un esprit idéologique et dogmatique.

M. Richard Cazenave. Quelle diarrhée verbale !

M. Pierre Ducout. Dernier point : vous savez, monsieur le ministre, qu'aujourd'hui, en France, il faut, avant tout projet, toute réalisation, une étude d'impact fouillée, détaillée et argumentée. Nous en sommes tous conscients dans nos circonscriptions.

Cette étude sur les impacts en termes économiques, sociaux, de maintien d'égalité et donc de cohésion de notre pays est cruellement absente de votre projet. Tous ces rapports et ces études devraient être partie intégrante du rapport de M. Lenoir.

M. Richard Cazenave. Blablabla !

M. Pierre Ducout. Le règlement de l'Assemblée nationale, dans son article 86, précise bien le rôle des commissions. Aujourd'hui, notre commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, qui porte bien son nom, doit pouvoir, comme la commission des finances d'ailleurs, pour étudier l'impact d'un projet d'ouverture du capital pouvant déboucher sur une privatisation à terme d'EDF et de GDF, accomplir véritablement son travail.

L'article 91, alinéa 7, du règlement indique que l'effet du vote d'une motion de renvoi en commission est de suspendre le débat jusqu'à présentation par la commission d'un nouveau rapport. Ce nouveau rapport est nécessaire et les annonces successives de M. Sarkozy le rendent encore plus indispensable.

Il faut éclairer les marges et les intérêts de notre pays et de nos entreprises publiques. Il faut rendre son véritable rôle à notre Assemblée nationale et à ses commissions. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Il faut éclairer - le mot convient parfaitement en l'occurrence ! - nos concitoyens sur les enjeux et les vrais risques du projet de loi que vous présentez.

Tout ceci démontre qu'il faut aujourd'hui renvoyer votre texte en commission.

M. Jean-Pierre Brard. Absolument !

M. Pierre Ducout. C'est pourquoi, chers collègues, je vous appelle tous à voter la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Sur le vote de la motion de renvoi en commission, je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Monsieur Ducout, je vous ai écouté avec attention pendant une heure vingt, car vous avez dit des choses extrêmement intéressantes.

D'abord, vous avez rappelé la qualité des agents de l'EDF, mais qui, sur les bancs de la majorité, en doute ?

Vous avez repris l'historique de l'ouverture du marché à la concurrence. Vous nous avez fait voyager : nous sommes allés en Italie, au Brésil, en passant par la Chine.

Un député du groupe socialiste. Et tout cela, gratuitement !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Vous nous avez entretenus de M. Alain Juppé et de la société Thomson et vous avez même parlé du Conseil national de la Résistance !

M. Jean-Pierre Brard. Cela devrait vous émouvoir !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Tout cela était fort intéressant mais j'ai tout de même eu l'impression que vous avez voulu gagner du temps ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Mais je ne veux pas le croire car je vous connais et je sais que vous avez à cœur de défendre des arguments pertinents.

Néanmoins, je ne vous ai pas retrouvé : aucun des arguments que vous avez présentés ne justifie le renvoi en commission.

M. Jean-Pierre Brard. Il faut donc qu'il recommence sa démonstration !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je vous rappelle que la commission s'est réunie à quatre reprises, que nous avons passé sept heures à étudier ce texte, que nous avons reçu mille quatre cents amendements. Et comme nos collègues communistes en ont déposé cinq cents cet après-midi, nous aurons l'occasion de nous réunir une cinquième fois, demain, pour examiner l'ensemble.

M. Bernard Accoyer. Très bien !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. La commission a donc accompli un travail considérable et je remercie la majorité qui a été présente à toutes ses réunions.

Par conséquent, je ne vois aucune raison de voter ce renvoi en commission, et je demande à la majorité de le rejeter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin...

M. Daniel Paul. Je demande la parole pour une explication de vote, monsieur le président. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Mes chers collègues, vous connaissez aussi bien que moi la procédure : si vous ne faites pas parvenir votre demande d'explication de vote au président, il ne peut la deviner !

La parole est à M. Daniel Paul.

M. Daniel Paul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois n'est pas coutume, je citerai quelqu'un qui ne peut être suspecté de « bolchevisme attardé » !

M. Jean-Pierre Brard. Ou réchauffé !

M. Daniel Paul. Je citerai Jean Peyrelevade, qui n'a jamais été à ma connaissance - je me suis renseigné ! - membre du parti communiste. Je ne pense pas non plus qu'il ait fait partie de groupuscules gauchistes.

Or voici ce qu'il écrit dans L'Express du 14 juin : « L'idéologie ne remplace pas la réflexion. » Pas plus que le dogmatisme libéral ne doit faire perdre la capacité de réflexion !

Jean Peyrelevade poursuit : « L'électricité n'est pas stockable. La capacité installée doit donc être à tout moment supérieure à la demande. Or la production électrique est une industrie très capitalistique, où les investissements sont à la fois lourds et à longs délais de réalisation : une dizaine d'années pour une centrale nucléaire. La question de la sécurité d'approvisionnement future est donc cruciale. Le prix payé par le consommateur aujourd'hui, seule variable qui semble intéresser les adeptes de la libéralisation, est-il compatible avec le niveau d'investissements nécessaire ? »

M. Yves Bur. On sait tout ça !

M. Daniel Paul. À la question des conséquences sur les prix de la décision que vous vous apprêtez à prendre, Jean Peyrelevade répond que l'augmentation est inéluctable.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Rien à voir avec le projet de loi !

M. Daniel Paul. Venant d'une personnalité qui ne peut, je le répète, être suspectée d'une approche gauchiste, communiste, ni même socialiste de la question, je pense que cet avis est à prendre en grande considération.

M. Richard Cazenave. Il ne savait pas encore ce que nous allions faire !

M. Daniel Paul. Tout confirme que votre texte n'est pas prêt, que vous lancez EDF et GDF dans des eaux dangereusement inconnues par pur dogmatisme libéral.

Lors de mon intervention dans la discussion générale, j'avais posé trois questions.

La première portait sur la valeur d'EDF. M. le ministre m'a répondu ce soir qu'elle pouvait être évaluée dans une fourchette comprise entre 30 et 50 milliards d'euros. Excusez du peu ! Un écart de vingt milliards, ce n'est pas une bagatelle !

J'avais évoqué également la fameuse soulte. Le ministre a répondu : « Cela dépend, elle sera négociée avec les partenaires. » Mais il s'agit d'une soulte destinée à garantir les retraites ! Ainsi donc, les promesses qui sont faites sur la garantie du montant des retraites seraient sujettes à caution !

M. Yves Bur. Combien de temps les agents cotisent-ils ?

M. Daniel Paul. J'avais aussi interrogé le ministre sur les fonds propres : à combien se monteraient-ils et à quoi serviraient-ils ? À poursuivre des aventures en Amérique latine, en Afrique, en Asie,...

M. Richard Cazenave. Ça, c'était de votre temps !

M. Daniel Paul. ...ou à protéger, conserver et améliorer l'outil de production en France ?

Autant de questions auxquelles je n'ai pas obtenu de réponse. Pourtant, elles sont cruciales.

Dans le même temps, on nous annonce que des commissions, qui ont été mises en place, pourraient rendre leur verdict, ou en tout cas proposer des réponses à un certain nombre de ces questions. Mais ces réponses ne viendront qu'après le vote de la loi !

Ce n'est pas sérieux ! On ne peut pas nous demander de voter une loi comme celle-là sans avoir les réponses précises à nos questions ! Nos collègues socialistes, dans leur motion de renvoi, en ont énuméré beaucoup, eux aussi.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que le sujet qui nous réunit ce soir mérite, étant donné son importance, beaucoup mieux.

M. le président. Votre temps de parole est écoulé, monsieur Paul !

M. Daniel Paul. Sur cette loi, vous le savez, nous demandons un moratoire, tout simplement pour discuter plus au fond. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Brottes.

M. François Brottes. Nous avons besoin de retourner en commission !

Parfois on utilise la motion de renvoi comme subterfuge pour prolonger les débats (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), mais ce n'est pas le cas en l'occurrence : en tout état de cause, le renvoi en commission est une nécessité absolue !

Chacun a remarqué que, depuis que le débat a commencé, y compris en commission, le Gouvernement « flotte ». Le ministre a changé de point de vue plusieurs fois. Il a parfaitement le droit d'évoluer et nous souhaitons même qu'il le fasse encore jusqu'au point de rompre avec l'idée de changement de statut. Il aura le temps de réfléchir puisque nous proposons de le lui donner !

La deuxième raison - très sérieuse - est que la commission n'a pas encore examiné tous les amendements : il en reste six cents. Il faut donc poursuivre le travail en commission pour débattre vraiment au fond.

M. Yves Bur. Ce sont des arguments éculés !

M. François Brottes. Je note au passage, sans faire de procès d'intention, chers collègues de la majorité, quelque chose qui se produit rarement ici : sur les deux rapporteurs de la commission des finances et de la commission des affaires économiques, aucun n'était présent (Mme des Esgault proteste) alors même que nous défendions une motion de renvoi et exposions donc les raisons pour lesquelles, selon nous, il faut continuer le travail en commission ! Je tenais à le signaler parce que c'est dommage pour la suite de nos débats. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mes collègues et moi avons noté aussi - et c'est peut-être ce qui explique l'absence des rapporteurs : ils cherchent un point d'accord ! - qu'ils n'ont pas le même avis sur certains aspects fondamentaux de ce dossier, par exemple sur le statut du gestionnaire des réseaux de transport.

Je ne fais pas de procès d'intention et la preuve en est que, cet après-midi - le président Ollier peut en témoigner -, nous avons dû examiner quelques amendements, notamment du rapporteur de la commission des finances, dont le rapporteur de la commission des affaires économiques a dit qu'il ne voulait pas entendre parler et qu'il les rejetait.

Voilà qui montre bien qu'il y a un vrai problème, que le travail a été mal fait en amont et que ce projet est improvisé. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Il convient donc d'y réfléchir à nouveau.

Mon collègue communiste l'a rappelé, nous avons posé des questions, sur la valeur de la soulte, par exemple. Le ministre nous a indiqué une fourchette très large. C'est une réponse inacceptable ! Sur la valeur d'EDF et de GDF, on est incapable de nous répondre. Pas de réponse non plus sur le montant de la taxe qui sera prélevée sur le transport de l'électricité !

Autant de questions qui ne peuvent rester sans réponse, car nous devons être suffisamment éclairés pour examiner des amendements qui auront un impact considérable au plan national. En effet, le réseau de transport de l'électricité va être privatisé et sa distribution ne permettra plus à nos concitoyens de bénéficier du tarif unique de l'électricité, puisqu'il n'y aura plus de péréquation.

Ce texte constitue un enjeu national. C'est une page qui se tourne, car il remet en cause ce qui faisait l'objet d'un consensus au sein de la République. On a cité le général de Gaulle, on a cité le Conseil national de la Résistance.

Mais aujourd'hui, on est en train de démanteler ce qui faisait l'unité du pays et c'est inacceptable. Nous ne pouvons pas, sans être suffisamment éclairés, continuer à débattre.

C'est la raison pour laquelle nous devons unanimement...

M. François-Michel Gonnot. Non !

M. François Brottes. ...voter le renvoi en commission.

D'ailleurs, M. Ollier nous a indiqué que la commission se réunirait demain à quatorze heures. Comment continuer à débattre ce soir, alors que la totalité des amendements n'a pas été examinée ?

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Arrêtez-le !

M. François Brottes. Comment discuter sur les articles alors que l'ensemble des amendements n'ont pas été traités en commission ? Cela ne s'est jamais produit dans cette assemblée, monsieur le président. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Nous sommes face à une situation parfaitement inacceptable et intolérable.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Il s'énerve ! Arrêtez-le !

M. François Brottes. J'en appelle solennellement au bon sens. Nous devons débattre sereinement d'un problème grave avec les moyens dont doit être doté le Parlement, c'est-à-dire après un travail abouti en commission.

C'est la raison pour laquelle je souhaite que le groupe socialiste, ainsi que le groupe communiste, qui m'a assuré de son soutien, votent le renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Mes chers collègues, je vais mettre aux voix la motion de renvoi en commission de M. Ayrault.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est ouvert.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin sur la motion de renvoi en commission :

              Nombre de votants 153

              Nombre de suffrages exprimés 153

              Majorité absolue 77

        Pour l'adoption 71

        Contre 82

La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.

La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.

    6

FAIT PERSONNEL

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un fait personnel.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, j'ai été mis en cause à plusieurs reprises, lors de son intervention à la tribune, par M. Devedjian qui représente le Gouvernement et qui s'est autoproclamé le héraut de la classe ouvrière, vocation nouvelle qui prépare certainement sa reconversion.

Il est vrai qu'il est plus facile de faire ici des effets de manche à l'abri d'une majorité de plus de trois cents députés dont on sait depuis dimanche dernier qu'elle représente 7 % des électeurs inscrits plutôt que d'aller débattre avec nos compatriotes.

Mais il n'est pas acceptable d'affabuler à la tribune de l'Assemblée. D'ailleurs, affabulation n'a jamais valu argumentation.

M. Devedjian nous a accusés d'être responsables du prix de l'électricité et d'avoir favorisé les grands industriels en leur vendant l'électricité à vil prix au détriment des ménages. Mais enfin, depuis 1947, ce sont bien Félix Gaillard, Antoine Pinay et, ensuite, Georges Pompidou, Michel Debré et Valéry Giscard d'Estaing qui ont siégé sur ces bancs et qui ont imposé des politiques favorisant les grands groupes industriels en faisant payer par les ménages la facture électrique des grands industriels. Et M. Devedjian est particulièrement mal placé pour formuler des critiques aussi mal fondées alors qu'il appartient à un gouvernement qui réduit l'impôt des plus riches et taxe les plus modestes.

M. Devedjian ferait mieux de parler de ce qu'il connaît. Pour lui, la classe ouvrière est certainement un sujet d'étude exotique. Pour moi, il en va différemment, puisque cela fut mon cadre familial, celui dans lequel j'ai grandi. Et puisque M. Devedjian veut débattre, je lui ai proposé tout à l'heure de venir débattre à Montreuil avec la France d'en bas. Car ici, il est à l'abri, sous la protection des députés de la majorité qui me font penser aux porteurs de lances dans Aïda de Verdi : ils vont dans un sens, puis dans un autre, selon la direction où on leur dit d'aller, sans savoir pourquoi.

M. Éric Raoult. Il y a aussi des cosaques !

M. Jean-Pierre Brard. Je demande à M. Devedjian, qui est certainement parti réfléchir, ou peut-être assister à une garden party...

M. le président. Il est peut-être déjà à Montreuil ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. Je serais déjà prévenu, monsieur le président !

Je propose, disais-je, à M. Devedjian de venir débattre à Montreuil avec la France d'en bas, celle qui souffre, celle qui crée les richesses. Je lui propose de venir y défendre la politique de ceux qui profitent des richesses crées par les autres, la politique dont il est le fondé de pouvoir et dont l'inspirateur est M. Seillière.

    7

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt-deux heures quinze, deuxième séance publique :

Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées :

Rapport, n° 1665, de M. Denis Jacquat ;

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 1613, relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières :

Rapport, n° 1659, de M. Jean-Claude Lenoir, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire ;

Avis, n° 1668, de M. Bernard Carayon, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinquante.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot