Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus intégraux (session ordinaire 2004-2005)

 

Deuxième séance du mardi 7 décembre 2004

91e séance de la session ordinaire 2004-2005



PRÉSIDENCE DE JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

    1

SOUHAITS DE BIENVENUE

M. le président. Je suis heureux de souhaiter la bienvenue à notre collègue Pierre Bédier, élu dimanche dernier, député de la huitième circonscription des Yvelines. (Mmes et MM. les députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire se lèvent et applaudissent.)

    2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe de l'Union pour la démocratie française.

RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE

M. le président. La parole est à M. François Sauvadet.

M. François Sauvadet. Monsieur le ministre de l'écologie et du développement durable, pour l'UDF, pour tous ceux qui siègent sur ces bancs, comme pour l'ensemble des Français, la question du réchauffement climatique est particulièrement préoccupante. On assiste à une accélération de ce phénomène et la vraie question qui se pose est de savoir quelle terre nous allons laisser à nos enfants. Citoyens, associations, hommes et femmes politiques, nous avons tous une responsabilité.

La dixième conférence de l'ONU sur les changements climatiques vient de s'ouvrir à Buenos Aires. On constate de fortes réticences de la part des pays en développement, qui aspirent à un niveau de vie et de développement comparable au nôtre et ont d'importants besoins en matière énergétique, tandis que les États-Unis, qui représentent à eux seuls le quart des émissions de gaz à effet de serre, refusent de s'engager dans ce combat, qui pourtant ne peut être que mondial.

Nous ne pouvons pas rester dans cette situation et une nouvelle fois il nous faut avoir, sur ces questions essentielles, une position européenne, pour peser face au modèle américain.

Monsieur le ministre, au-delà des déclarations d'intention, quelles initiatives concrètes entendez-vous prendre et jusqu'où êtes-vous prêt à aller pour faire avancer nos positions et convaincre tous les États réticents - les États-Unis bien sûr mais aussi, dans un autre registre, la Chine et l'Inde - de s'engager dans ce combat vital ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'écologie et du développement durable.

M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable. Monsieur le député, vous avez tout à fait raison de l'évoquer, le changement climatique est l'un des défis écologiques majeurs de ce début du XXIe siècle. Le protocole de Kyoto entrera en vigueur de 16 février prochain, grâce à la ratification de la Russie, à laquelle la France et de l'Europe ont grandement œuvré.

Dans ce cadre, nous mettons en place au 1er janvier 2005, le plan national d'allocation de quotas d'émissions qui limitera les émissions de gaz à effet de serre de 1 300 installations industrielles. Dans le cadre plus global du plan « climat », que j'ai annoncé en juillet dernier, nous économiserons 72 millions de tonnes de gaz carbonique, soit plus que ce que nous demande le protocole de Kyoto.

Lors de la conférence de Buenos Aires, à laquelle je participerai la semaine prochaine, j'adresserai trois messages à nos partenaires internationaux. D'abord, il faut trouver un système post-Kyoto, c'est-à-dire au-delà de 2012, puisque le véritable défi se situe à l'horizon 2050 et ceci avec les États-Unis et les pays en développement, en particulier les pays émergents.

Ensuite, j'appellerai l'ensemble des pays à travailler à l'adaptation au changement climatique. Le changement climatique est une réalité. Il faut prévoir des scénarios de crise, en particulier sur les littoraux. Nos régions d'outre-mer doivent collaborer avec les petits pays insulaires.

Enfin, je demanderai à nos partenaires que les émissions des transports aériens - je pense au kérosène - et maritimes soient incluses dans le processus de Kyoto parce qu'il y a là un enjeu considérable.

Ce n'est pas seulement en France qu'il faut agir : la pollution ne s'arrête pas aux frontières. Mais, pour convaincre tous nos partenaires, nous devons absolument être exemplaires. C'est l'ambition du Gouvernement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

PAUVRETÉ

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Frédéric Dutoit. Nous célébrons un bien triste anniversaire : les Restos du cœur ont vingt ans. Cette longévité est malheureusement due à une pauvreté existante avant-hier, persistante hier et grandissante aujourd'hui.

À Marseille, dans ma ville, près de la moitié des ménages ne sont plus imposables sur le revenu. Ce ne sont plus seulement les exclus, les titulaires des minima sociaux qui sont pauvres, ce sont maintenant les salariés, les foyers monoparentaux, les jeunes en particulier, qui sont touchés en nombre trop important. Cela montre la profondeur du mal. Ils sont les cibles de l'emploi précaire que vous généralisez, notamment avec le plan de cohésion sociale et le droit de licencier accordé au MEDEF.

M. Yves Fromion. N'importe quoi !

M. Frédéric Dutoit. Ils sont les victimes de la baisse du pouvoir d'achat, comme du gel des salaires que vous organisez avec le patronat.

Le pouvoir d'achat n'a augmenté que de 0,3 % en 2003, soit la plus faible hausse observée depuis 1996, selon l'INSEE. Ils sont victimes de vos choix budgétaires : vous rognez les droits sociaux et vous privez 200 000 familles de l'APL, sous prétexte que le versement de l'aide n'est pas rentable.

Bien sûr, la misère n'est pas arrivée avec votre gouvernement, mais elle s'est généralisée dans les couches populaires et frappe une population plus large qu'avant.

Le Gouvernement est confronté à une situation sociale grave, profonde. Il serait temps d'en prendre conscience et de détourner votre regard du seul patronat et des nantis...

M. Yves Fromion. Arrêtez !

M. Frédéric Dutoit. ...qui jouissent allégrement de cadeaux fiscaux dont le dernier est la défiscalisation des plus-values réalisées par les entreprises au titre de la cession de leur actif financier. Allez à la rencontre des bénévoles et des habitués des Restos du cœur et vous comprendrez vite que l'heure est à la justice sociale et non à la régression sociale.

M. Richard Mallié. Caricature !

M. Frédéric Dutoit. Comptez-vous poursuivre cette politique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion.

Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Monsieur le député, aucun d'entre nous ne peut rester insensible à la misère et à la pauvreté. La situation que vous venez de décrire ne date pas, hélas, d'aujourd'hui. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a mis en œuvre une véritable politique sociale en direction des plus démunis (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains)...

M. Gilbert Biessy. On ne l'a pas vu !

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. ...visant à apporter des solutions durables. Dois-je vous rappeler que l'année la plus noire pour le logement social a été 1999, à une époque où l'opposition actuelle était au gouvernement, avec 39 000 logements construits ?

Aujourd'hui, la volonté du Gouvernement est d'abord de soutenir les associations : 145 millions d'euros de crédits supplémentaires ont été inscrits en 2003 et 186 millions d'euros en 2004, sur un budget total de 1,2 milliard d'euros ; une dotation supplémentaire de 10 millions d'euros a été prévue pour les associations d'aide alimentaire ; le taux de la réduction d'impôt a été augmenté pour toutes les associations ; des solutions pour l'hébergement et les premiers pas vers l'emploi ont été prévues - création de 100 000 places complémentaires d'ici à 2007 - ainsi qu'un soutien aux associations d'insertion par l'activité économique - 66 millions d'euros supplémentaires en 2005. Des solutions durables ont été mises en œuvre pour loger les personnes qui sont accueillies dans des structures provisoires par manque de logements sociaux, avec un plan ambitieux, dont le Gouvernement s'est donné les moyens, de 500 000 logements. Les contrats d'avenir arriveront à 1 million en 2007.

J'ajoute, mesdames, messieurs les députés de l'opposition, que c'est le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin qui a augmenté de manière substantielle le SMIC, ce que vous n'aviez pas fait ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) C'est le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin qui a mis en place le tarif social d'électricité, ce que vous n'aviez pas fait ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Contrairement au précédent qui se contentait de promesses, ce gouvernement travaille et se donne les moyens de tenir ses engagements. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

    3

SOUHAITS DE BIENVENUE A DES DÉLÉGATIONS PARLEMENTAIRES

M. le président. Je suis heureux de saluer en votre nom les présidents des assemblées parlementaires des pays de la Méditerranée occidentale, membres du « dialogue 5 + 5 ».

Je salue les délégations d'Algérie, d'Espagne, d'Italie, de Libye, de Malte, du Maroc, de la Mauritanie, du Portugal et de Tunisie. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent longuement.)

Bienvenue à l'Assemblée nationale. C'est une grande joie pour nous de vous accueillir.

    4

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT (suite)

M. le président. Nous reprenons le cours des questions au Gouvernement.

ÉVALUATION DU SYSTÈME SCOLAIRE

M. le président. La parole est à M. Bernard Perrut, pour le groupe UMP.

M. Bernard Perrut. Monsieur le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur le cahier d'école des élèves de France, nous pourrions aujourd'hui inscrire cette appréciation : « honorable, mais peut mieux faire » !

Dix-septième pour la lecture, seizième pour les mathématiques, treizième pour les sciences, tels sont les résultats obtenus par la France lors de l'enquête réalisée par l'OCDE dans quarante pays et qui mesure la capacité des jeunes à utiliser leurs connaissances.

Si nos enfants n'excellent pas dans la maîtrise de la langue française, la culture mathématique nous place au-dessus de la moyenne des pays. Et c'est en algèbre, en lecture de tableaux et graphiques, devant la géométrie, que nous obtenons les meilleurs scores.

Le rapport souligne aussi les progrès en sciences et la bonne intelligence logique des jeunes Français en dehors des exercices purement scolaires. Mais nos enfants, par manque de confiance en eux, et souvent par peur d'un système de notation-sanction, demeurent les Européens les plus angoissés, comme d'ailleurs leurs parents, c'est-à-dire nous-mêmes, qui revivons notre propre histoire, craignant que l'échec à l'école soit l'échec de toute une vie.

Monsieur le ministre, face à ce constat, quelles sont vos priorités pour garantir à tous les élèves l'acquisition d'un socle de connaissances, la maîtrise des savoirs indispensables à leur insertion sociale et professionnelle ? Quelles mesures allez-vous prendre pour élever le niveau général et donner à tous une qualification ? J'aimerais également savoir, comme mes collègues du groupe UMP, comment votre réforme, élaborée dans la concertation, va se poursuivre afin que le contrat de réussite que vous nous proposez permette à nos élèves d'obtenir les meilleures notes et à la France de figurer désormais au tableau d'honneur ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, depuis une dizaine d'années, toutes les études internationales convergent : la France se situe dans la moyenne. Cela ne peut pas nous satisfaire, car un pays comme le nôtre ne peut viser que les premières places. Par ailleurs, notre système s'érode lentement, mais sûrement.

Ces études révèlent aussi que les efforts financiers très importants que nous avons consentis ces dernières années n'ont pas eu d'effet sur la qualité et l'efficacité de notre système : si, en effet, nous sommes au premier rang des pays de l'OCDE et des pays européens en termes de dépenses d'éducation, nous restons dans la moyenne en termes d'efficacité.

Pourquoi en sommes-nous là ? D'abord, nous n'avons pas suffisamment ciblé nos priorités. C'est pourquoi le projet de loi d'orientation sur l'école que je vous proposerai prochainement prévoit l'acquisition par tous les élèves, au cours de la scolarité obligatoire, d'un socle de connaissances et de compétences fondamentales.

En deuxième lieu, l'évaluation n'est pas assez affirmée. Je vous proposerai donc également de fixer trois grands rendez-vous à cet égard : une évaluation nationale en français et en mathématiques en CE2, en sixième et dans le cadre d'un nouveau brevet rénové.

Enfin, nos dispositifs de soutien, pourtant nombreux, ne sont pas assez réactifs, ni assez personnalisés. Je vous proposerai donc, dans la loi d'orientation, un contrat individuel de réussite éducative, qui pourra être conclu à tout moment de la scolarité et se traduira notamment par la mise en place de trois heures hebdomadaires de soutien.

Monsieur le député, nous devons répondre aux questions que nous posent ces évaluations internationales. C'est ce que je vous proposerai de faire dès la fin du mois de janvier avec l'examen du projet de loi d'orientation sur l'école. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

DETTE DE L'IRAK

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Bacquet, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Paul Bacquet. Monsieur le ministre des affaires étrangères, l'avenir de l'Irak a fait l'objet, au cours des dernières semaines, de deux réunions internationales majeures.

À Berlin, tout d'abord, les dix-neuf membres du Club de Paris sont parvenus à un accord sur l'annulation de 80 % de la dette de l'Irak - soit 33 milliards de dollars. On ne peut que se réjouir de cette décision, car il n'était pas acceptable de laisser au peuple irakien la charge d'un endettement accumulé par Saddam Hussein pour financer une économie de guerre dirigée tant contre les pays voisins que contre son propre peuple.

On ne peut, en revanche, que regretter que la France n'ait pas été à l'initiative de cette annulation massive, en ne préconisant qu'un allègement de 50 %, pour s'aligner finalement sur la position des États-Unis. Le problème de l'Irak pose, d'ailleurs, celui de la moralisation du remboursement des dettes des pays en difficulté et de l'utilisation des crédits du développement pour ces remboursements.

M. Michel Delebarre. Très bien !

M. Jean-Paul Bacquet. La conférence internationale de Charm el-Cheikh s'est soldée, quant à elle, par un texte a minima, qui ne fait que reprendre les principales dispositions de la résolution 1546 du Conseil de sécurité, sans remettre en cause la présence militaire américaine.

Je tiens à rappeler que la France était opposée à l'intervention en Irak parce que nous savions que la situation s'enliserait, et que nous sommes opposés au maintien des troupes américaines en Irak. Alors que de nombreux pays ont manifesté leurs réserves devant le caractère irréaliste du maintien au 30 janvier des élections irakiennes dans une situation chaotique, les États-Unis ont maintenu leur position.

Berlin, Charm el-Cheikh : à deux reprises, les États-Unis ont imposé leurs souhaits.

Monsieur le ministre, quelles mesures envisagez-vous pour que la France prenne une initiative forte pour soutenir le processus de reconstruction politique en Irak et ne laisse pas le peuple irakien seul face à la volonté hégémonique des États-Unis ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie.

M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. Monsieur le député Bacquet, je vous prie tout d'abord d'excuser Michel Barnier, retenu à Saragosse par le sommet franco-espagnol.

La première des deux questions que vous posez porte sur la décision prise par le Club de Paris quant à l'allègement de la dette de l'Irak. On ne peut pas dire que la France se soit alignée sur la position des États-Unis, qui voulaient une annulation unilatérale de dettes à hauteur de 95 %, alors que le Club de Paris a adopté une position beaucoup plus prudente en considérant que, bien que l'Irak soit pratiquement le pays le plus endetté du monde - à hauteur de près de six fois sa richesse nationale -, une certaine progressivité s'imposait. La dette de l'Irak est en partie liée, vous le savez, à des retards de paiement causés par l'embargo, l'Irak ayant fait l'objet, pendant quatorze ans, de sanctions de la part des Nations Unies.

En conséquence, il a été décidé de procéder en trois étapes : interviendra d'abord une première annulation des dettes, à hauteur de 30 %, correspondant approximativement à la période des sanctions ; la deuxième phase d'annulation court sur toute l'année 2005 ; enfin, entre 2005 et 2008, lorsque le FMI sera entré à son tour dans une logique d'aide à l'Irak, une dernière phase permettra d'atteindre un total de 80 % d'annulation.

Pour ce qui est de la conférence de Charm el-Cheikh, on ne peut pas dire non plus que les États-Unis aient imposé leur point de vue, puisque nous avons rappelé la nécessité que les élections se tiennent avant le 31 janvier et la vigilance qui s'impose durant cette période. Nous avons également rappelé que toutes les troupes étrangères - et donc aussi les troupes américaines - devaient avoir quitté le sol de l'Irak au 31 décembre prochain.

Par ailleurs, monsieur le député, contrairement à ce que vous dites, la France, ne s'est aucunement désengagée puisqu'elle engage au contraire 3,5 milliards d'euros pour la reconstruction de ce pays.

M. Michel Sainte-Marie. N'importe quoi !

M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. Non, ce n'est pas n'importe quoi : c'est une décision prise pour la reconstruction de l'Irak !

Ni dans un cas, ni dans l'autre on ne peut donc parler d'alignement sur les États-Unis : il s'agit, au contraire, d'une volonté du gouvernement français d'avoir une action originale à l'égard de l'Irak, avec une ferme détermination de servir le peuple irakien sans s'aligner strictement sur la position des États-Unis. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

LOI DE COHÉSION SOCIALE

M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet, pour le groupe UMP.

M. Alain Joyandet. Monsieur le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, nous allons voter tout à l'heure votre loi de cohésion sociale (« Pas nous ! » sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.), souhaitée par le Président de la République et que je n'hésite pas à la qualifier d'« historique » (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste) : jamais il n'a été fait autant pour ceux que la vie a pénalisés.

Votre plan global sur cinq ans est cohérent et bien doté. Jamais l'État n'aura donné autant de moyens humains et financiers...

M. Albert Facon. À Valenciennes !

M. Alain Joyandet. ...aux villes pour améliorer la vie dans les cités où l'on souffre : 600 millions d'euros de plus en cinq ans pour la dotation de solidarité urbaine ! Ne serait-ce que pour cette victoire attendue depuis des années, la gauche devrait voter ce texte avec nous ! (Rires et exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Jamais les collectivités locales n'auront autant de moyens pour offrir un emploi à ceux qui vivent ou survivent du RMI et des minima sociaux. Les contrats d'avenir, qui peuvent couvrir jusqu'à cinq ans pour les personnes âgées de plus de cinquante ans, sont une véritable lueur d'espoir.

Jamais il n'aura été fait autant pour l'insertion des jeunes, notamment dans la vie professionnelle par le biais de l'apprentissage. Jamais l'État ne s'est donné les moyens de construire autant de logements sociaux : 500 000 en cinq ans, alors que le rythme actuel est de 35 000 logements par an.

Monsieur le ministre, autant de moyens publics impliquent que nous constations ensemble des résultats concrets. Qu'allez-vous faire, après le vote de cette loi,...

Plusieurs députés du groupe socialiste. Rien !

M. Alain Joyandet. ...pour mobiliser les partenaires de l'État, les services déconcentrés, les collectivités, les bailleurs, les entreprises et les associations, pour en faire des partenaires actifs et leur donner confiance ?

Enfin, monsieur le ministre, qu'allez-vous faire aussi pour que la représentation nationale et nos concitoyens puissent voir ces résultats concrets, quantifiés dans la transparence ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - « Allô ! » et exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Monsieur le député Joyandet, vous qui étiez rapporteur du projet de loi au nom de la commission des finances, vous estimez sans doute comme moi que le plan de cohésion sociale est, après le plan de rénovation urbaine, une véritable révolution pour le logement, pour les jeunes et pour les maisons de l'emploi.

Vous avez raison de rappeler que la bataille se gagne sur le terrain. Je soulignerai trois points. D'abord, les services de l'État, dans les départements et les régions, sont déjà mobilisés autour des préfets. Nous avons réuni, voici un mois et demi, les préfets, les DDASS, les DRASS, les DDE et les inspecteurs, qui attendent tous le texte de loi. Quant aux cinq ministres du pôle social, ils se rendent sur le terrain deux fois par semaine pour veiller à la mise en place des mesures. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Bataille. Où sont les crédits ?

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Surtout, car seule la vérité compte, un indicateur trimestriel sera publié, qui portera sur dix critères relatifs notamment au logement social, aux contrats d'avenir, au taux de RMIstes en France ou à l'emploi des jeunes.

M. Albert Facon. Ou aux fermetures d'entreprises !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Par ailleurs, un comité de vigilance républicaine (Exclamations sur quelques bancs du groupe socialiste) sera mis en place, comme c'est déjà le cas dans le cadre de la rénovation urbaine, pour diffuser trimestriellement des commentaires sur les indicateurs nécessaires dans la grande bataille que nous livrons.

Enfin, le Président de la République ayant demandé que deux rapports soient présentés chaque année en conseil des ministres sur l'évolution de ces divers indicateurs, je me propose de faire de même devant la représentation nationale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. -Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean Glavany. Des rapports et des comités !

INFECTIONS NOSOCOMIALES

M. le président. La parole est à M. Alfred Trassy-Paillogues, pour le groupe UMP.

M. Alfred Trassy-Paillogues. Monsieur le ministre des solidarités, de la santé et de la famille, depuis plusieurs années, les maladies nosocomiales sont au cœur des préoccupations tant des patients et de leurs familles que des personnels des établissements hospitaliers. Les pouvoirs publics tentent de résoudre le problème en amont et, à la moindre alerte, les services de santé et le comité de lutte contre les infections nosocomiales installent une cellule de veille chargée de déterminer les origines de chaque contamination.

Malgré toutes ces précautions, ces bactéries contractées à l'hôpital par des malades fragilisés se multiplient dans notre pays, comme c'était récemment le cas, par exemple, dans ma circonscription à Saint-Valéry-en-Caux.

L'une des dernières études réalisées par votre ministère fait état de 800 000 personnes contaminées chaque année, soit entre 6 % et 10 % des patients hospitalisés, dont la moitié est âgée de plus de 65 ans, et le chiffre alarmant de 4 000 victimes par an est communément avancé.

Ces infections sont un problème majeur de santé publique. Si, en effet, certaines sont bénignes, d'autres tuent ou laissent des séquelles importantes. Plusieurs infirmières de ma région ont contracté le staphylocoque doré, avec les conséquences définitives que l'on sait. Sur fond de mises en examen et de dysfonctionnements réels et largement médiatisés, les hôpitaux ne peuvent plus faire l'économie d'une démarche de qualité, tant pour la sécurité des patients que pour la tranquillité des médecins.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, informer la représentation nationale de votre action pour lutter contre ce fléau ? En particulier, serait-il envisageable que soient publiées des statistiques annuelles par établissement et par service, qui permettraient de suivre l'évolution de la situation et, surtout, l'efficacité comparative des mesures prises ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député, comme vous le savez, 7 % des personnes hospitalisées sont aujourd'hui touchées par des infections nosocomiales.

Le chiffre de 4 000 décès est inadmissible, et cela d'autant plus que, selon une étude récente, 30 % d'entre eux pourraient être évités. C'est la raison pour laquelle nous avons présenté, avec Xavier Bertrand, un plan fondé sur trois constats.

Le premier est celui d'un manque de transparence : les Français ne savent pas quels établissements sont bons ou mauvais en matière d'infections nosocomiales. Nous allons mettre en place des indicateurs qui nous permettront de comparer les établissements, en particulier pour ce qui concerne les infections postopératoires.

Deuxièmement, la résistance aux antibiotiques favorise la multiplication des infections nosocomiales. Ces infections résistent au traitement antibiotique du fait de la surconsommation d'antibiotiques en France, en particulier dans les hôpitaux. C'est la raison pour laquelle nous allons diffuser dans les hôpitaux des guides de bon usage des antibiotiques.

Troisièmement, et c'est une évidence, une certaine proportion d'infections nosocomiales est attribuable à une hygiène des mains défectueuse et peut donc être réduite par une meilleure formation des personnels. L'indicateur en ce domaine, vous l'avez rappelé, est le taux de staphylocoques dorés résistant à la méticilline, qui apparaissent en cas de défaut d'hygiène des mains. Nous comptons afficher en toute transparence cet indicateur, afin que les Françaises et les Français sachent ce qui se passe dans les hôpitaux. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés du groupe socialiste. Le ministre s'en lave les mains !

ADOPTION INTERNATIONALE

M. le président. La parole est à M. Serge Blisko, pour le groupe socialiste.

M. Serge Blisko. Monsieur le ministre des solidarités, de la santé et de la famille, je voudrais d'abord présenter toutes nos félicitations à un couple qui, il y a quelque temps, est rentré en France avec une petite fille venue du bout du monde. Toutefois, comme tout le monde n'a pas la chance de bénéficier du soutien actif de l'épouse du Président de la République (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)...

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Et alors ?

M. Albert Facon. Il a raison !

M. Serge Blisko. ...je voudrais vous interroger au nom des 25 000 couples de Français ordinaires qui doivent affronter le véritable parcours du combattant qu'est devenue l'adoption.

Concernant d'abord la procédure d'agrément, dévolue aux conseils généraux, des inégalités persistent entre départements ; certains y ajoutent même leurs propres critères, allant jusqu'à exclure les célibataires ou les couples ayant déjà des enfants, au mépris des lois de 1966 et de 1976.

M. Jean-Marie Le Guen. Eh oui !

M. Serge Blisko. Sur les 5 000 familles françaises qui adoptent chaque année, 4 000 se rendent à l'étranger pour une adoption dite « internationale ». Les deux tiers d'entre elles devront se débrouiller seules, sans aucun soutien et sans aucune information sur le fonctionnement des pays d'origine, ce qui a pour résultat de transformer l'adoption en parcours désespéré, quand il n'est pas parsemé de risques.

La semaine dernière, M. le Premier ministre nous annonçait une issue heureuse pour douze enfants bloqués au Cambodge. Mais combien d'autres drames subsistent, de couples retenus des semaines, voire des mois, dans un pays dont ils ne maîtrisent pas les codes, confrontés de surcroît à des exigences financières qui induisent fatalement des inégalités choquantes et un climat psychologique particulièrement pénible. Monsieur le ministre, il faut apurer la situation, redonner confiance et espoir aux candidats à l'adoption internationale en édictant des règles claires.

Quelles mesures indispensables comptez-vous mettre en œuvre pour empêcher que l'adoption ne ressemble de plus en plus à une loterie, où la notoriété et la fortune deviennent les critères fondamentaux ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie.

M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. Monsieur le député, vous posez une question grave. Je veux d'abord rappeler les chiffres : chaque année il y a en France 1 000 enfants français adoptables et 23 000 demandes d'adoption - on voit que l'écart est considérable. J'ajoute que 8 000 agréments sont délivrés chaque année par les conseils généraux. En conséquence de quoi 80 % des adoptions concernent aujourd'hui des enfants venus de pays étrangers.

C'est pourquoi tous les gouvernements qui se sont succédé depuis plusieurs années se sont efforcés d'étendre le nombre de pays susceptibles d'être concernés. En 1980 on comptait 1 000 adoptions, qui concernaient une dizaine de pays ; en 2003 on en comptait 4 000 qui concernaient soixante-dix pays. Il faut saluer à cet égard l'action de la mission pour l'adoption internationale, même si certains l'ont critiquée

Vous avez, monsieur le député, rappelé le cas du Cambodge, qui présente, il est vrai, une difficulté particulière. Je dois me rendre la semaine prochaine dans ce pays, en compagnie de Michèle Tabarot, présidente du groupe d'étude sur l'adoption de l'Assemblée nationale, et Yves Nicolin, président du Conseil supérieur de l'adoption, afin de vérifier sur place l'état de la situation.

Je rappelle qu'il a été décidé, en juillet 2003, de suspendre les adoptions d'enfants cambodgiens parce que des manquements avaient été constatés au regard de la convention de La Haye et des droits des enfants tout simplement. Cependant le Premier ministre a souhaité que les dossiers en cours d'instruction fassent l'objet d'un examen au cas par cas. Cet examen doit aboutir au règlement d'une douzaine de cas, une fois que seront résolus les problèmes de procédure.

Trois mesures ont été décidées par le Premier ministre. Premièrement, tous les dossiers en suspens depuis l'interruption de juillet 2003 seront examinés un par un, et notre ambassade à Phnom Penh y travaille. Deuxièmement, une mission réunissant des représentants des ministères des affaires étrangères, de la justice et des affaires sociales doit se rendre à Phnom Penh pour renégocier avec les autorités cambodgiennes un accord qui soit conforme à la législation, aux règlements administratifs et surtout à la convention de La Haye.

Troisièmement, le Premier ministre a décidé la création d'une agence française de l'adoption, qui pourra régler tous ces problèmes et remédier aux difficultés que vous avez légitimement évoquées. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

EADS

M. le président. La parole est à M. Jérôme Rivière, pour le groupe UMP.

M. Jérôme Rivière. Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, la presse se fait l'écho cette semaine encore de dissensions graves qui opposeraient le gouvernement allemand au gouvernement français au sujet de la gouvernance de l'une de nos plus importantes entreprises aéronautiques et de défense, je veux parler de la société EADS.

Cette entreprise franco-allemande, qui réussit formidablement, aussi bien dans le civil, avec Airbus, que dans le militaire, avec ses filiales, MBDA ou Eurocopter, ses programmes de drones ou d'avions ravitailleurs, semble se trouver au centre de conflits de personnes, auxquels, dit-on en Allemagne, le gouvernement français aurait pris part.

Le fait que l'État soit co-actionnaire, avec un groupe privé, de la part française d'EADS justifie bien sûr qu'il s'intéresse à sa gestion. Mais celle-ci est-elle à ce point sujette à problème qu'il faille envisager d'en modifier de toute urgence l'organisation ? Si tel était le cas, il serait utile que le Gouvernement informe la représentation nationale de ses raisons et de ses intentions.

Au moment même où des défis de fond se posent à Airbus, tels que la finalisation technologique et financière de l'A380, la décision de lancement de l'A350, le problème des avances remboursables, et enfin la contestation américaine de notre politique aéronautique civile devant les autorités de Bruxelles, quel crédit donner à une dépêche AFP de vendredi dernier, indiquant que la présidence d'Airbus aurait été proposée à la partie allemande ?

Dans cette ambiance apparemment tendue, où les problèmes de fond apparaissent considérablement plus importants que les problèmes d'hommes - vous l'avez vous-même souligné hier lors de votre intervention télévisée - le Gouvernement ne juge-t-il pas indispensable de remettre de l'ordre dans les priorités de l'heure, et de privilégier d'abord la bonne gestion industrielle de la société Airbus en en confirmant la direction actuelle, puis l'apaisement de nos relations politico-industrielles avec les Allemands, et enfin la définition des objectifs stratégiques de l'ensemble de notre politique aéronautique et spatiale, notamment dans le domaine de la défense ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Hervé Gaymard, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous avez raison, monsieur le député : EADS est un superbe champion européen, un leader mondial, avec un chiffre d'affaires de plus de trente milliards d'euros, dont les trois quarts sont dus à Airbus, le quart restant étant attribuable, vous l'avez dit, à ses industries de défense, marché sur lequel le groupe est présent.

La propriété de ce groupe est détenue, dans le cadre d'un pacte d'actionnaires, par l'allemand Daimler-Chrysler, à hauteur de 30 %, et du côté français par le groupe Lagardère et par l'État, chacun à hauteur de 15 % ; le reste est réparti entre un certain nombre d'actionnaires, dont l'État espagnol, qui détient 5 % de son capital, mais qui ne fait pas partie du pacte d'actionnaires. On voit combien l'État français, avec 15 % du capital, même s'il est loin d'être le seul, est intéressé à l'avenir et au développement de ce groupe.

Il est vrai, comme vous l'avez rappelé, monsieur le député, que ce groupe connaît des problèmes de personnes, mais ce n'est pas nouveau. Par ailleurs, le mandat des administrateurs et du management se termine le 30 juin 2005. Cela explique qu'il y ait un peu de nervosité et beaucoup de déclarations. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai rencontré, jeudi dernier, mon homologue allemand, Wolfgang Clement, à Berlin, dans le souci que les décisions de gouvernance se prennent dans le cadre d'une bonne entente franco-allemande, comme cela a toujours été le cas. Je souhaite donc réintroduire de la sérénité dans ce dossier, et je suis sûr que nous en avons la capacité, compte tenu de l'excellence de cette entreprise.

Vous avez souligné par ailleurs, monsieur le député, l'importance de nos industries de défense, de nos industries spatiales et aéronautiques, civiles ou militaires. Sachez qu'avec Michèle Alliot-Marie et Gilles de Robien, nous veillerons à fixer à l'ensemble de ces entreprises des stratégies industrielles et à leur donner les moyens de leur développement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

DÉVELOPPEMENT DURABLE

M. le président. La parole est à M. Pierre Amouroux, pour le groupe UMP.

M. Pierre Amouroux. Monsieur le ministre de l'écologie et du développement durable,...

M. Albert Facon. Il n'y en a pas !

M. Pierre Amouroux.... vous avez présenté récemment en conseil des ministres une communication relative à la stratégie nationale de développement durable.

M. Jean-Claude Lefort. Il n'y en a pas ! No future !

M. Pierre Amouroux. Cette stratégie, voulue par le Président de la République, constitue la feuille de route du gouvernement auquel vous appartenez.

Le développement durable est incontestablement un sujet de préoccupation pour nous tous, par lequel un nombre croissant de nos concitoyens se sentent concernés. On observe en effet que de multiples initiatives se font jour dans ce domaine. Je pense notamment à l'une des mesures les plus concrètes prévues dans le cadre de votre stratégie nationale, à savoir l'équipement en filtres à particules des bus en circulation sur notre territoire. Alors que le protocole de Kyoto sur les émissions de gaz à effet de serre va entrer en vigueur dès janvier prochain, cette mesure est à saluer, tant elle démontre le souci du Gouvernement de préserver la qualité de l'air, à laquelle tous nos concitoyens sont très sensibles, et sa volonté de s'attaquer aux pollutions qui la mettent en péril.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous en dire plus sur cette mesure...

Plusieurs députés du groupe socialiste. Il peut le faire !

M. Pierre Amouroux. ...et sur votre politique pour améliorer la qualité de l'air ? Plus généralement, pouvez-vous nous dire où en est, après dix-huit mois de mise en œuvre, cette politique de développement durable, qui associe l'ensemble des acteurs, État et collectivités locales ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'écologie et du développement durable.

M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable. Comme vous le savez, monsieur le député, conformément à l'engagement pris par le Président de la République à Johannesburg, le Gouvernement a adopté une stratégie nationale de développement durable. Je voudrais rappeler ce qu'est le développement durable, concept qui n'est pas toujours compris par nos concitoyens. (Murmures.)

Le développement durable, c'est le progrès économique pour le progrès social dans la durée, c'est-à-dire un progrès économique et un progrès social qui préservent l'environnement, et permettent le renouvellement des ressources énergétiques et naturelles.

M. Jean-Pierre Brard. Quel pédagogue !

M. le ministre de l'écologie et du développement durable. Depuis juin 2003, dix plans d'action ont été adoptés,...

M. Albert Facon. Nous sommes sauvés !

M. le ministre de l'écologie et du développement durable. ...comprenant 488 mesures.

M. Michel Bouvard. Bonjour la simplification !

M. le ministre de l'écologie et du développement durable. Vous me demandez un bilan de ces dix-huit mois. Un cinquième des mesures sont totalement adoptés, et plus de 50 % d'entre elles sont déjà engagées. Vous voyez que nous sommes mobilisés et que l'État agit.

Je voudrais vous indiquer quelques exemples concrets, monsieur le député. Vous avez parlé des filtres à particules : je rappelle que chaque année 6 500 à 9 000 décès sont provoqués par l'émission de particules fines. C'est pourquoi neuf millions d'euros ont été ajoutés au budget de mon ministère, pour accélérer l'équipement de tous les autobus de France en filtres à particules. Il est primordial pour la santé de nos concitoyens qu'il n'y ait plus aucun bus dans notre pays qui provoque ce type de pollution. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Gilbert Biessy. Alors il faut permettre aux communes de s'équiper en tramways, par un soutien de l'État.

M. le ministre de l'écologie et du développement durable. Au titre des mesures concrètes sont prévues de fortes incitations fiscales : au 1er janvier 2005, l'achat d'équipements utilisant les énergies renouvelables ouvrira droit à un crédit d'impôt de 40 %. Cela permettra de réduire sa facture d'énergie tout en préservant l'environnement.

En ce qui concerne la recherche, 40 millions supplémentaires seront consacrés à la recherche-développement sur le véhicule propre.

Vous voyez, monsieur le député, que le Gouvernement agit avec détermination et de manière concrète en faveur du développement durable. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)


POLITIQUE DE SANTÉ

M. le président. La parole est à M. Gérard Bapt, pour le groupe socialiste.

M. Gérard Bapt. Ma question s'adresse à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille.

Monsieur le ministre, vous présentez votre réforme de l'assurance maladie comme un grand succès. Elle bute néanmoins sur une réalité, notamment sur deux écueils, que nous avions été quelques-uns, d'ailleurs, à dénoncer cet été, ici même.

Le premier écueil, c'est l'insuffisance de la loi en ce qui concerne la réforme de l'offre de soins,...

M. François Grosdidier. Qu'aviez-vous fait ?

M. Gérard Bapt. ...qui engendre une grande inquiétude dans le monde hospitalier et qui a entretenu un flou volontaire sur la médecine de ville. La conséquence, aujourd'hui, c'est le désordre qui s'installe dans le monde médical français, avec le malaise grandissant des praticiens hospitaliers, la série de menaces d'exil volontaire de telle ou telle catégorie de praticiens libéraux et, surtout, l'absence persistante de tout dispositif conventionnel, à trois semaines de l'entrée en vigueur de la loi. Cela majore les risques d'une généralisation d'une médecine à deux vitesses, distinguant les patients selon leur niveau de revenu. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. François Grosdidier. Toujours les mêmes fantasmes !

M. Gérard Bapt. Ce ne sont pas des fantasmes, ce sont des réalités, mon cher collègue.

Le second écueil de la réforme réside dans son volet financier. Nous en avions dénoncé à la fois l'injustice, puisqu'il est supporté avant tout par les patients, et l'insuffisance, parce qu'il repose sur des économies totalement aléatoires, qui ne tiennent pas compte des différents plans d'action que, semaine après semaine, vous nous avez annoncés à grand fracas médiatique, mais sans explication sur leur financement.

Aussi ma question est-elle double : face au désordre qui s'installe dans le monde de la santé, quelle réponse comptez-vous apporter pour préserver l'accès de l'égalité aux soins pour tous ? Face aux engagements de dépenses non financées que vous avez pris ou que vous allez prendre (Exclamations sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), vous préparez-vous à autoriser par décret l'UNCAM à moduler largement les taux de remboursement, c'est-à-dire à procéder à des déremboursements massifs, au détriment des usagers et des patients ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Monsieur Bapt, vous parlez sans doute de l'arrêté qui a été pris le 1er avril 2000 par Mme Aubry ! (Exclamations et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Le Conseil d'État avait d'ailleurs estimé anormal que Mme Aubry ait déremboursé des génériques, mais pas les princeps.

Ensuite, je vous rappelle que les syndicats de médecins sont en train de discuter avec l'assurance maladie. Il se trouve que les coordinations auxquelles vous faites allusion ne sont pas actuellement à la table des négociations.

Monsieur Bapt, ce n'est pas parce que vous n'avez rien proposé pendant cinq ans alors que nous, nous avons fait une réforme de l'assurance maladie, que vous êtes bien placé pour en parler ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

RÉFORME DE L'ASSURANCE MALADIE

M. le président. La parole est à Mme Cécile Gallez, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

Mme Cécile Gallez. Ma question s'adresse à monsieur le secrétaire d'État à l'assurance maladie.

Monsieur le secrétaire d'État, la France peut se féliciter d'avoir un des meilleurs systèmes de santé au monde, en dépit des difficultés financières récurrentes qui risquaient de nous conduire dans l'impasse. À juste titre, les Français sont attachés à leur système de protection sociale, et ils le savaient menacé. Le 30 juillet dernier, la représentation nationale a adopté le plan de réforme de l'assurance maladie ; réforme difficile, mais accomplie grâce à des principes qui nous réunissent tous : garantir l'accès aux soins pour chacun, responsabiliser et mobiliser les Français sur le coût des dépenses.

Pour cela, nous avons voté la franchise d'un euro sur chaque consultation médicale, ce qui est à la fois modique, adapté et symbolique. Modique, car cette franchise a vocation à s'appliquer d'une manière souple ; adaptée, dans la mesure où certaines catégories de patients en seront exonérées ; symbolique, car elle témoigne de la participation de chacun à la solidarité nationale et au financement de la sécurité sociale.

Monsieur le secrétaire d'État, alors que la réforme de l'assurance maladie entrera en vigueur au 1er janvier 2005, soit six mois après son vote, pouvez-vous nous préciser les modalités techniques et le calendrier de sa mise en œuvre ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie.

M. Xavier Bertrand, secrétaire d'État à l'assurance maladie. Madame Cécile Gallez, à question concrète, réponse précise. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Tout d'abord, la franchise d'un euro s'appliquera au 1er janvier, comme cela était prévu. Avec Philippe Douste-Blazy, quand nous avons présenté ce texte devant le Parlement, nous avions indiqué que 80 % des décrets seraient publiés pour le début de l'année. En définitive, 95 % le seront (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), suite à une vraie concertation, en y associant les rapporteurs du texte, et dans l'esprit précis dans lequel, mesdames, messieurs les députés, vous avez voté la loi.

Il faut savoir également qu'il a été décidé de plafonner cette franchise d'un euro à deux niveaux. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Il y aura un plafonnement maximum de 50 euros par an, de façon à ce que les Français les plus malades n'aient pas à leur charge une somme supérieure. Philippe Douste-Blazy et moi-même avons également souhaité que la franchise soit plafonnée à 1 euro par jour.

M. Bernard Roman. Ça fait 365 euros par an !

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. Cela veut dire que si un patient va voir un laboratoire d'analyses médicales, et que celui-ci lui fait, dans la même journée, plusieurs analyses, il n'y aura qu'un seul euro qui ne lui sera pas remboursé.

M. Alain Madelin. Très bien !

M. le secrétaire d'État à l'assurance maladie. Mais si, dans la même journée, un patient décidait d'aller voir quatre médecins différents, ce serait 4 euros qui seraient retenus sur son remboursement. Parce que le « un euro » dont seront exonérés les femmes enceintes, les personnes de moins de dix-huit ans et les titulaires de la CMU, a avant tout une vocation de sensibilisation. Notre santé n'a pas de prix, mais elle a un coût ! Et il est évident, mesdames, messieurs les députés, que si vous avez souhaité que cette mesure s'applique, c'est avant tout pour qu'elle permette cette prise de conscience indispensable. Je précise que cet euro ne sera pas versé chez le médecin, mais retenu sur les remboursements effectués par l'assurance maladie.

Nous avons souhaité, madame Gallez, l'évolution des comportements. Pour cela, il faut la responsabilisation. Et celle-ci passe par la sensibilisation. C'est l'objectif de cette franchise d'un euro. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

MÉDECINS SPÉCIALISTES LIBÉRAUX

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Mignon, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Claude Mignon. Ma question s'adresse à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille.

Monsieur le ministre, cette semaine, la Conférence nationale des associations de médecins libéraux a lancé un mot d'ordre de fermeture des cabinets médicaux spécialisés et des cliniques. L'exercice de la médecine spécialisée libérale est rendu de plus en plus difficile, compte tenu de l'absence de revalorisation des actes et des honoraires médicaux, alors même que le coût des investissements en matériel ne cesse d'augmenter et que les charges, liées notamment aux assurances professionnelles, sont de plus en plus lourdes à supporter.

Ces professionnels s'inquiètent, par ailleurs, des conséquences du passage de la nomenclature générale des actes professionnels à la classification commune des actes médicaux qui doit intervenir prochainement et qui, selon eux, entraînera une dévaluation d'un grand nombre de leurs actes.

Enfin, ils vivent de plus en plus mal le renforcement des sanctions infligées par les caisses d'assurance maladie, alors qu'ils réclament un partenariat basé sur l'équité et le dialogue.

Monsieur le ministre, quelles dispositions envisagez-vous de prendre afin de maintenir dans notre pays une médecine libérale de qualité ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Monsieur le député, comme vous venez de le dire, il y a aujourd'hui des négociations entre, d'un côté, les partenaires conventionnels et, de l'autre, l'Union nationale des caisses d'assurance maladie. Ces négociations portent sur deux sujets. Le premier, c'est la convention médicale, qui permettra une maîtrise médicalisée, et non pas comptable, des dépenses d'assurance maladie. Le second, c'est la classification commune des actes médicaux. Je tiens à vous dire qu'au moment où nous parlons, les négociations continuent. Elles se font dans un esprit commun, dans la volonté partagée de parvenir à une économie de un milliard d'euros sur l'ensemble des dépenses de médecine libérale et de mettre en place, à partir du 1er janvier, un parcours personnalisé de soins. Je rends hommage à l'esprit de responsabilité des syndicats médicaux - je ne parle pas de la coordination - et de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie. Car, grâce à eux, on va sauver le système d'assurance maladie et améliorer la qualité des soins et, surtout, on va préserver la médecine à la française qui, outre l'hôpital public, comporte une médecine libérale de grande qualité qu'il faut sauvegarder. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.


Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Jean Le Garrec.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC,

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

    5

COHÉSION SOCIALE

Explications de vote et vote, par scrutin public, sur un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur l'ensemble du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, de programmation pour la cohésion sociale (nos 1911, 1930).

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que le vote aurait lieu par scrutin public, en application de l'article 65-1 du règlement.

La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur le président, monsieur le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, madame la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion, mes chers collègues, né d'une déroute électorale de l'UMP au printemps dernier,...

M. Denis Jacquat. Ça commence mal !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. ...le projet de loi de cohésion sociale se soldera, dans les prochains mois, par une défaite bien plus grave encore : la perte de confiance dans l'action publique. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Soucieux de masquer les dommages causés par la politique libérale du gouvernement Raffarin II, le gouvernement Raffarin III a cru habile de créer un nouveau ministère dit de « cohésion sociale » et d'annoncer un projet de loi du même nom. Appuyé sur une bruyante campagne médiatique, ce projet devait convaincre nos concitoyens que le message des urnes avait été entendu.

Au cours de nos débats, mes chers collègues, nous avons voulu faire le partage entre la réalité et l'illusion, entre l'action publique et l'opération de communication, entre l'espoir et l'esbroufe. Aujourd'hui, force est de constater que le « plan de cohésion sociale » est bel et bien, avant tout, un « plan médias ».

M. Denis Jacquat. Mais non !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Le volet emploi de ce texte en fournit une première et éclatante illustration. Sur les 12 milliards d'euros censés financer en cinq ans la relance de l'emploi, un seul milliard est prévu pour l'année 2005, le reste étant reporté aux années 2007, 2008, 2009... ou aux calendes ! Pis, sur ce milliard, seuls 120 millions sont des crédits nouveaux. Le reste est constitué par des redéploiements de crédits et des allégements de cotisations.

Sans crédits, votre plan pour l'emploi est également sans boussole. Votre seul credo, monsieur le ministre, ce sont les vieilles antiennes éculées du libéralisme : réduire le coût du travail et assouplir les règles du licenciement.

Au nom de la cohésion sociale, vous allez réduire les salaires dans le cadre du nouveau contrat de professionnalisation ; vous allez également désorganiser le service public de l'emploi en mettant l'ANPE en concurrence avec des organismes privés dont vous ne contrôlerez pas les compétences ; vous allez, surtout, légaliser les chantages à la baisse des salaires et à l'augmentation du temps de travail en élargissant les modalités du licenciement économique. Vous prétendez construire la cohésion sociale alors que vous attaquez le code du travail au marteau-piqueur !

Comment croire, dans ces conditions, que votre projet puisse profiter aux salariés les plus modestes et aux chômeurs, ceux que le nouveau président de l'UMP dit vivre « couchés dans l'assistance » ?

En matière d'emploi, la seule certitude est donc bien votre accablant bilan : depuis deux ans, le nombre de chômeurs a augmenté de 200 000 et celui des RMIstes de 250 000. Voilà des chiffres, monsieur le ministre, qui n'ont rien à voir avec vos conjectures fumeuses pour 2009, des chiffres durs comme la pierre ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Le volet « logement » fait également rimer cohésion et illusion.

M. Denis Jacquat. C'est faux !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Certes, il est urgent de relancer massivement la construction locative car plus de trois millions de nos concitoyens souffrent du « mal-logement », et beaucoup d'autres de la hausse vertigineuse des prix de l'immobilier ! Mais les moyens n'y sont pas. Vous prétendez que votre projet de loi « sanctuarisera », durant cinq ans, les crédits nécessaires à la réalisation de 500 000 logements sociaux. Or, depuis deux ans, tous les choix budgétaires de votre gouvernement ont montré que, si le logement est bien une priorité dans les communiqués de presse, il ne l'est plus dans les lettres de cadrage budgétaire. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Après avoir baissé de 8 % dans la loi de finances initiale pour 2004, les crédits logement ont été amputés au cours de cette année, à deux reprises, pour un montant total de 235 millions d'euros ! Comment croire que votre gouvernement respectera des engagements qu'il n'a jamais tenus ?

La fragilité de ces financements n'est pas notre seule source d'inquiétude. En refusant de mettre en œuvre des dispositifs coercitifs, vous avez vous-même condamné votre projet à l'échec. Pour surmonter l'inertie et l'égoïsme de certains élus locaux peu soucieux de construire des logements sociaux, il aurait fallu renforcer les pénalités liées à l'article 55 de la loi SRU...

M. Michel Delebarre. Très bien !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. ...et inscrire, à l'horizon des cinq prochaines années, l'opposabilité du droit au logement. C'est seulement de la sorte que vous auriez réussi à mobiliser effectivement l'ensemble des ressources et des acteurs. Vous nous l'avez refusé.

De même, vos reculs sur la réglementation de la vente à la découpe pour protéger les locataires ou sur les critères du logement décent montrent les limites réelles de votre détermination.

Enfin, comment ne pas s'étonner que votre projet ne prévoie aucune mesure en faveur des aides à la personne alors que celles-ci représentent 80 % des engagements financiers consacrés par l'État au logement ? La revalorisation des aides à la personne constitue pourtant, tout le monde l'affirme, le meilleur instrument de lutte contre les expulsions.

En réalité, si vous me permettez cette métaphore marine, pour rallier votre cap, vous avez sorti les rames et oublié de hisser la grand-voile ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mes chers collègues, décidément, les promesses du projet de loi de cohésion sociale rappellent fâcheusement celles d'un candidat à la présidentielle de 1995 sur la fracture sociale. Chacun sait, aujourd'hui, que les promesses de ce candidat n'engageaient que ceux qui voulaient bien les croire. Désormais, la corde est trop usée et l'espoir cède à l'impatience.

C'est notre conception même de l'action politique, une conception qui nous fait refuser d'assimiler la parole publique aux discours publicitaires, qui nous conduit à voter contre ce projet de loi.

La cohésion sociale est un grand défi. Ce défi est à l'origine de l'engagement politique de la gauche (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) et de chacune de ses conquêtes sociales. N'en doutons pas, c'est bien à la gauche qu'il reviendra, à l'avenir comme par le passé, de faire progresser la cohésion sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Francis Vercamer. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe UDF avait abordé le débat sur le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, avec un sentiment de satisfaction mêlé de perplexité.

Nous sommes satisfaits, nous l'avions dit d'ailleurs, devant le pragmatisme des grandes mesures que contient ce texte, qui s'inspire de ce qui fonctionne chez nos voisins européens, ou de ce qui a déjà donné des résultats dans le passé ou dans le cadre d'expérimentations locales.

Mais nous sommes aussi perplexes parce que ce texte contre les exclusions ne répond pas entièrement à la question majeure, celle des moyens de relancer l'emploi en France. Ce sont 10 % de la population qui sont concernés, tous âges, toutes origines, tous secteurs confondus. La tâche est difficile, les solutions ne sont pas aisées et nous les cherchons tous, de quelque bord que nous soyons. Ne laissons pas croire cependant qu'elles passent uniquement par la reprise de la croissance. Des pistes existent, ayons le courage d'expérimenter, par exemple, les clusters de Christian Blanc, en sortant des clichés intellectuels.

L'absence de toute mesure concrète de lutte contre les discriminations à l'embauche nous laisse perplexes, de même que l'ajout précipité d'un volet « licenciements » qui laisse insatisfaits les partenaires sociaux, après dix-huit mois de vaines négociations. De fait, nous avions subordonné notre vote sur le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, au sort qui serait réservé aux amendements que nous proposions pour améliorer le texte.

Nos discussions ne nous ont pas permis d'aboutir sur un certain nombre d'aspects, à propos desquels nos divergences d'analyse demeurent.

Ainsi nos interrogations sur les financements ne sont pas dissipées. Vous n'apportez pas de réponse claire sur la compensation des exonérations de charges sociales prévues dans le cadre du contrat d'avenir, ce qui ne manque pas d'inquiéter les partenaires sociaux et les organismes gestionnaires de la sécurité sociale. Peut-on accepter de creuser un peu plus encore le déficit de l'assurance maladie ?

Nos amendements sur la revalorisation du travail des seniors et sur le tutorat ont été rejetés. Le texte reste donc silencieux sur cette question, qui est pourtant essentielle si l'on veut que les personnes en fin de carrière ne soient pas exclues et que les jeunes puissent bénéficier de toutes les chances de s'insérer parfaitement dans la vie professionnelle, grâce à l'expérience et au savoir-faire de leurs aînés.

Nous déplorons que plusieurs de nos amendements qui visaient à renforcer la solidarité face à la crise du logement, notamment en encourageant la mobilisation des propriétaires privés, n'aient pas été retenus. Nous regrettons également le flou qui subsiste sur les moyens financiers consacrés à la mise en œuvre du contrat d'intégration.

Cependant, le Gouvernement a reconnu l'intérêt d'un certain nombre de nos propositions et réflexions. C'est notamment le cas de l'augmentation de la DGF au profit des communes qui contribueront à la construction de logements sociaux ; elle leur permettra d'accueillir dans les meilleures conditions les populations concernées.

Quant à la lutte contre les discriminations à l'embauche, avec notre proposition d'un CV anonyme, elle fera l'objet d'un travail approfondi de Roger Fauroux et d'une commission technique, dont nous examinerons avec attention les travaux et les conclusions,

La sécurisation du parcours professionnel, avec le contrat intermédiaire, fait écho à notre proposition d'un statut du salarié.

Sur tous ces points, l'UDF prend date : le Gouvernement a pris des engagements ; nous veillerons à ce qu'ils soient respectés.

Attachés à l'évaluation des nouveaux dispositifs, nous veillerons aussi à ce que soit réalisée une évaluation semestrielle, comme le Gouvernement s'y est engagé.

Enfin, nous avons eu la satisfaction de voir adoptés plusieurs amendements, qui améliorent le texte qui nous était proposé. Il en est ainsi de la création du dossier unique du demandeur d'emploi, de la majoration du crédit d'impôt dont bénéficieront les entreprises qui emploieront un apprenti ayant la qualité de travailleur handicapé, de la réaffirmation de la place essentielle que doit prendre la lutte contre l'illettrisme, à la fois dans l'accompagnement personnalisé des demandeurs d'emploi et dans les plans de formation au sein de l'entreprise.

Aussi, à l'heure où nous allons nous prononcer sur votre texte, je tiens à souligner l'esprit constructif de dialogue et d'écoute qui a le plus souvent présidé à nos travaux.

Parce que vous avez reconnu que l'UDF pouvait apporter, dans ce débat contre les exclusions, des idées originales, faire des propositions innovantes et attirer l'attention sur des enjeux de société qui n'auraient peut-être pas été abordés sans elle, nous voterons ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Avant de donner la parole aux deux derniers orateurs inscrits dans les explications de vote, je vais d'ores et déjà faire annoncer le scrutin de manière à permettre à nos collègues de regagner l'hémicycle.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à Mme Muguette Jacquaint, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

Mme Muguette Jacquaint. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le ministre, avant son examen par notre assemblée, M. le Premier ministre avait déclaré que le projet de loi de cohésion sociale adopté par le Sénat ne serait que peu modifié. Il avait raison, car ce texte n'a pas été modifié dans le sens du progrès social. En définitive, il mêle illusion et régression.

Illusion d'abord, car ce n'est pas en supprimant le service public de l'emploi et en généralisant les contrats aidés qu'on règle les problèmes de l'insertion et du chômage. Ce n'est pas en livrant à la concurrence le secteur de la recherche d'emploi et en renforçant le contrôle et les sanctions à l'encontre de chômeurs sommés d'accepter n'importe quelle offre qu'on résoudra le problème des 7 millions de personnes privées d'emploi ou précarisées par un statut de travailleur pauvre.

M. Jean Auclair. C'est vous qui avez créé la précarité !

Mme Muguette Jacquaint. Vous allez davantage installer la précarité que faciliter le retour à un emploi stable et durable, comme le prouve votre obstination à rejeter tous nos amendements qui visaient à créer des passerelles entre les contrats aidés et l'emploi stable, correctement rémunéré.

Vous avez refusé de mettre des barrières au recours trop facile et sans contraintes aux contrats aidés, offrant par là même une main-d'œuvre à bon marché. C'est une véritable aubaine pour certains employeurs.

Vous enfermez ainsi durablement ces personnes dans la précarité, voire l'exclusion.

Par ailleurs, ce texte, lorsqu'il ne sème pas l'illusion, engage une véritable régression sociale. À commencer, bien sûr, par l'introduction à la hussarde des dispositions relatives aux licenciements économiques.

Vous les avez « enrichies » de plusieurs amendements significatifs de l'équilibre que vous recherchez, qui viennent tout droit, pour certains, des bureaux du MEDEF. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ils étaient déjà rédigés par l'organisation patronale à l'intention des sénateurs. Le Gouvernement, avec un cynisme tranquille, les a repris pour les faire adopter.

Toujours au mépris des partenaires sociaux, à l'exception du MEDEF qui tient les rênes et de l'équilibre recherché, vous avez remis en cause l'arrêt Samaritaine qui garantissait le droit à réintégration des salariés en cas de licenciement économique abusif.

D'autres dispositions choquantes, sans rapport avec le texte et constituant un véritable « défouloir » pour votre majorité, ont été adoptées. Je pense en particulier à la remise en cause de la notion de temps de travail effectif et de travail de nuit dans certaines professions, remise en cause dénoncée aujourd'hui par toutes les organisations syndicales.

C'est inacceptable : la partie « emploi » de votre texte évoque davantage l'atomisation sociale que la cohésion sociale !

Ce projet de loi avait aussi pour objectif de redynamiser l'apprentissage. Si nous saluons les mesures visant à améliorer le statut de l'apprenti et l'accueil des apprentis handicapés, nous considérons que la création de contrats inférieurs à un an et l'instauration d'un crédit d'impôt pour les entreprises ne permettront pas d'atteindre l'objectif affiché. Nous ferons preuve de vigilance lors de l'examen du projet de loi d'orientation sur l'école et combattrons les amendements les plus rétrogrades.

Avec le volet « logement », malgré des déclarations bien intentionnées, ce texte entérine le désengagement de l'État, déjà amorcé par la décentralisation, d'une mission fondamentale : assurer un toit à chacun.

M. Lucien Degauchy. On a déjà entendu tout cela !

Mme Muguette Jacquaint. Cette décentralisation est synonyme de baisse de l'investissement public et d'abandon des critères assurant l'égalité d'accès et la solidarité nationale entre les territoires.

Il faut donc donner une impulsion nouvelle à la construction sociale. Cela suppose une véritable volonté politique pour agir sur les déséquilibres, combattre les égoïsmes et promouvoir un logement moderne accessible à tous.

M. Lucien Degauchy. C'est un discours d'apparatchik !

Mme Muguette Jacquaint. Il nous faut un véritable service public du logement pour cimenter la cohésion sociale. Or tel n'est pas le sens de votre politique et votre projet ne fait que le confirmer.

J'en veux pour preuve votre refus de verser l'APL à 200 000 familles dont l'allocation est inférieure à 24 euros. Elles en seront privées en raison du prétendu coût administratif de gestion. En réalité, il s'agit de faire une économie de 170 millions, alors que nous proposions un dispositif simple de règlement annuel.

Enfin, nous regrettons vivement le rejet de nos amendements visant à interdire les coupures d'électricité, notamment celui qui, à l'instar de l'interdiction des expulsions locatives, proposait d'interdire toute coupure de novembre à mars. Nous prenons acte, madame la ministre, de l'engagement clair du Gouvernement devant la représentation nationale, de veiller à ce qu'aucune coupure n'intervienne dans les quatre mois qui viennent et nous serons très vigilants.

En conclusion, le projet de loi de programmation de cohésion sociale « coince » dans le virage social. Malgré son intitulé engageant, ce texte risque davantage d'aggraver les inégalités qui minent notre société que de les résorber. Pour toutes ces raisons, nous voterons contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Denis Jacquat, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Denis Jacquat. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, les deux semaines de débat qui s'achèvent cet après-midi nous ont permis de mesurer l'ampleur des défis auxquels notre pays est confronté pour réduire les fractures sociales qui fragilisent de façon inquiétante notre cohésion nationale.

En la matière, les chiffres sont implacables. Ils nous invitent, mes chers collègues de l'opposition, à une certaine modestie quant à la part de responsabilité des uns ou des autres dans cette situation. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Car c'est finalement l'efficacité de la politique de protection sociale menée depuis trente ans qui est en cause. Alors que nous y consacrons près de 30 % de notre richesse nationale, ce qui nous place en deuxième position derrière la Suède, nous cumulons les handicaps et cultivons le paradoxe.

Les handicaps, avec, par exemple, un taux d'emploi des jeunes de seulement 26 %, contre une moyenne de 55 % chez nos voisins européens, qui pèse sur notre capacité d'innovation.

Le paradoxe, avec 4 millions de personnes éloignées de l'emploi, alors que certains secteurs connaissent de fortes pénuries de main-d'œuvre, notamment les services à la personne.

Nous ne pouvons rester immobiles face à cette situation, dont les effets en terme d'insécurité et de remise en cause du lien national, se font chaque jour ressentir.

Depuis deux ans et demi, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, soutenu par la majorité parlementaire, mène une politique ambitieuse visant à accroître le pouvoir d'achat des salariés aux revenus modestes, avec une hausse très importante du SMIC, à instaurer un droit individuel à la formation pour l'ensemble des salariés et à favoriser l'accès des jeunes à l'emploi.

Le projet de loi de cohésion sociale que nous allons voter s'inscrit dans cette démarche, dont il amplifie à la fois les moyens - avec plus de 15 milliards d'euros sur cinq ans - et l'ambition.

Pour la première fois, un texte s'attaque à l'ensemble des enjeux de la cohésion sociale : le chômage persistant de longue durée, l'augmentation du nombre des exclus, la crise du logement, les impasses du système éducatif dans certaines zones...

Global dans son approche, le projet de loi est également marqué par une double dynamique qui en fait toute la spécificité et sur laquelle je voudrais insister : le pragmatisme d'une part, l'ambition d'autre part.

Le pragmatisme, car ce projet s'appuie sur les acteurs de terrain et fait confiance à leur sens de la responsabilité.

C'est vrai notamment dans le domaine de l'emploi, avec le pilotage local des nouveaux contrats aidés, grâce à la mobilisation des maisons locales, des PAIO et de l'ensemble des acteurs du service public de l'emploi, rassemblés au sein des nouvelles maisons de l'emploi.

C'est vrai aussi dans le domaine de l'égalité des chances entre les enfants, avec la création d'équipes de réussite éducative.

Le ministre Jean-Louis Borloo a parfaitement compris la nécessité absolue de mobiliser sans attendre l'ensemble des acteurs sur le terrain. Nous lui faisons confiance, ainsi qu'à son équipe du pôle de la cohésion sociale, pour insuffler le dynamisme indispensable à la réussite de ce projet, dont le vote, cet après-midi, n'est qu'une première étape, nous en sommes tous conscients.

Au pragmatisme de la méthode, répond l'ambition des objectifs et des moyens mis en œuvre. Je n'en n'évoquerai que quelques-uns.

Avec la création d'un million de contrats d'avenir d'ici à 2009, nous proposons à tous les titulaires de minima sociaux, actuellement enfermés dans l'impasse d'un revenu d'assistance, un contrat de travail et une formation obligatoire offrant de réelles perspectives de réinsertion durable.

Un effort sans précédent est accompli en direction des jeunes sans qualification : 800 000 jeunes disposeront d'un accompagnement personnalisé vers l'emploi, mobilisant tous les outils existants : contrats aidés, contrats en alternance, apprentissage. À l'inverse des emplois-jeunes, qui ont bénéficié aux jeunes les mieux formés et n'ont pas débouché sur des emplois pérennes, ces dispositifs seront orientés spécifiquement vers les jeunes qui en ont le plus besoin et sur des emplois correspondant prioritairement aux métiers et aux entreprises qui recrutent. N'oublions pas en effet que 500 000 offres d'emploi restent non pourvues en France.

Quant aux salariés touchés par les restructurations d'entreprise, et qui, trop souvent, sont laissés au bord du chemin, ils bénéficieront de possibilités élargies de reclassement et de formation, afin de pouvoir retrouver un emploi le plus rapidement possible.

L'effort considérable entrepris en faveur du logement nous permettra de rattraper le retard pris sous le gouvernement Jospin : 500 000 logements sociaux vont être construits en cinq ans et 100 000 logements privés seront remis sur le marché. Autant de moyens pour répondre aux besoins de nos compatriotes.

Quant aux communes en difficulté, qui cumulent de lourdes charges et un faible potentiel fiscal, elles bénéficieront d'un effort financier considérable de 600 millions d'euros sur cinq ans.

Les débats auxquels nous avons assisté pendant deux semaines ont été de qualité, et je tiens à saluer, au nom de l'ensemble des députés du groupe UMP, la remarquable disponibilité et l'ouverture des ministres du pôle de la cohésion sociale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je n'oublie pas l'excellente contribution de nos rapporteurs, Mme de Panafieu, MM. Dord, Joyandet et Mothron, ni celle des présidents des commissions concernées. (Mêmes mouvements.)

M. Albert Facon. Assez de cirage !

M. le président. Monsieur Jacquat, veuillez conclure.

M. Denis Jacquat. Je conclus, monsieur le président.

Des amendements importants ont été adoptés. Étant personnellement très impliqué dans le monde du handicap, je me félicite de l'attention particulière qui est portée à la formation par l'apprentissage des jeunes handicapés. C'est essentiel, compte tenu des difficultés auxquelles sont confrontées les personnes handicapées en matière d'accès à l'emploi. Autre avancée positive, la prise en compte des difficultés des salariés de plus de cinquante ans à retrouver un emploi. La durée du contrat d'avenir pourra être prolongée pour ces derniers.

Mes chers collègues de l'opposition, permettez-moi de regretter que sur un texte qui aurait dû, je pense, nous rassembler, vous ayez trop souvent fait preuve de frilosité. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. François Grosdidier. Lamentable !

M. Denis Jacquat. Vous n'avez malheureusement pas osé secouer votre carcan politique pour nous rejoindre sur la voie du progrès social. C'est dommage. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Monsieur Jacquat...

M. Denis Jacquat. Pour conclure (Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), je dirais que remettre sur le chemin de l'emploi ceux qui en sont éloignés, redonner confiance aux jeunes en difficulté, offrir un logement décent à ceux qui en sont privés, c'est préparer l'avenir. Mais c'est aussi se donner les moyens de bâtir une société plus juste et plus solidaire.

Mme Martine David. Abrégez votre baratin !

M. Denis Jacquat. Madame et monsieur les ministres, vous pouvez bien évidemment compter sur le soutien plein et entier du groupe UMP. Nous voterons ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

Le scrutin est ouvert.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

                    Nombre de votants 545

                    Nombre de suffrages exprimés 545

                    Majorité absolue 273

        Pour l'adoption 373

        Contre 172

L'Assemblée nationale a adopté.

La parole est à M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Mesdames et messieurs les députés, je serai bref. Je remercie l'ensemble des parlementaires qui ont consacré de longues nuits, parfois jusqu'à deux ou trois heures du matin, à un débat d'une grande clarté. Je les remercie également pour leurs propositions constructives et pour les précisions qu'ils ont apportées au texte. Je remercie les rapporteurs, et particulièrement Mme de Panafieu, qui a chapeauté le travail commun, et notamment les auditions. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Enfin, je remercie le personnel de l'Assemblée nationale, qui a été largement mis à contribution.

Je me trompe peut-être, mais je pense que, quelle que soit l'appartenance politique, nous allons tous nous efforcer d'appliquer sur le terrain les huit ou dix programmes de soutien local les plus importants proposés par cette loi. Nous n'avons en effet pas le choix. Ensemble, d'ici à 2007, nous allons changer la donne, réparer les blessures sociales et préparer l'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

    6

HAUTE AUTORITÉ DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

Discussion, en deuxième lecture,
d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (nos 1952, 1965).

La parole est à M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois mesdames, messieurs les députés, c'est un heureux concours de circonstances qui m'amène à défendre le même jour dans cette enceinte, d'une part le plan de cohésion sociale, qui vient d'être adopté et, d'autre part ce projet portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. Il semble que cette situation ne se soit pas produite depuis longtemps.

M. le président. Assurément !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Ce projet de loi est examiné en deuxième lecture par votre assemblée. Nelly Olin et Catherine Vautrin, en son temps, en ont excellemment présenté les différents éléments. Je ne les développerai donc pas.

Nous avions trop tardé à nous doter de cet outil de lutte contre les discriminations. Votre assemblée, le Sénat, et particulièrement la commission des lois, ont enrichi le texte. La désignation des membres du collège vise désormais à une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes et au respect du pluralisme. À côté du collège, est créé un comité consultatif permettant d'associer aux travaux de la Haute autorité des personnalités qualifiées, notamment associatives. Des règles de déport sont fixées dans un article 2 bis nouveau. Les victimes de discrimination peuvent également saisir la Haute autorité par l'intermédiaire d'un parlementaire ou d'une association. La règle du contradictoire est plus solidement établie. La Haute autorité contribue, au plan international, à la définition de la position française dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Cela étant, le projet, amélioré, correspond toujours au schéma établi par le rapport présenté par Bernard Stasi sur la création d'une Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. Il prévoit trois pôles : un premier à dominante juridique pour instruire et traiter les réclamations, répondre et orienter les personnes ; un deuxième préparant les études, avis et recommandations et le rapport annuel et un troisième destiné à la promotion de l'égalité.

Par ailleurs, je sais l'attention que vous portez aux moyens dont disposera la Haute autorité. Son budget a été examiné au Sénat hier. Je rappelle que le budget prévisionnel de la Haute autorité est de l'ordre de 10,7 millions d'euros. Il est, pour une grande part, destiné à l'installation et au fonctionnement du siège central de cet organisme et pour une faible part - 900 000 euros - à ceux des premières délégations territoriales.

Dans son rapport de 2001 sur les autorités administratives indépendantes, le Conseil d'État soulignait que, pour exister, elles devaient pouvoir compter sur les moyens, notamment humains, dont elles ont besoin. Telle est bien l'intention du Gouvernement à l'égard de la Haute autorité, compte tenu des progrès que doivent connaître, dans notre pays, l'assistance apportée aux victimes de discriminations et la mise en œuvre effective du principe d'égalité de traitement.

S'agissant des amendements du Gouvernement réprimant le sexisme et l'homophobie, mon collègue, Dominique Perben, a tenu compte des différents avis et observations qui ont été formulés sur le projet de loi initial. Ces observations et remarques provenaient tant d'associations, de la CNDH - Commission nationale consultative des droits de l'homme - que de parlementaires qui se sont inquiétés des menaces qui auraient pu peser sur la liberté d'expression dans un pays latin culturellement habitué à une certaine verdeur des propos.

Sur le fond, il est toutefois absolument nécessaire que nous comblions notre lacune en ce qui concerne les provocations à la discrimination, les diffamations et injures fondées sur le sexe et l'orientation sexuelle des personnes visées. Pour que ces agissements soient désormais réprimés en tant que tels, le Gouvernement a donc souhaité modifier la loi du 29 juillet 1881 sur la presse et rend passible d'une peine d'emprisonnement d'un an et d'une amende de 45 000 euros les injures et les diffamations sexistes ou homophobes.

Ce texte ménage néanmoins la liberté d'expression et l'espace nécessaire au déploiement de tous les débats qui animent légitimement une société. Il prend en compte les avis du Conseil d'État et de la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Les provocations à la discrimination sont précisément encadrées : elles sont définies par référence aux dispositions sur les actes homophobes et sexistes du code pénal, ce qui garantit leur interprétation stricte. Elles ne concernent ainsi que les domaines de la vie quotidienne - refus de fournir un bien ou un service, entrave à l'exercice d'une activité économique, refus d'embaucher - et non des sujets de société comme le mariage, fût-il homosexuel, ou l'adoption par des couples homosexuels.

Ce texte n'interdit donc pas le débat, la manifestation d'opinion. Tout sera affaire d'application. De manière classique, les juges devront mettre en balance des principes concurrents : liberté d'opinion, égalité entre les personnes, respect de leur dignité.

Par ailleurs, le Gouvernement a finalement choisi de ne pas porter à un an la prescription des nouveaux délits qu'il crée. La prescription sera de trois mois, soit le droit commun pour les autres délits prévus par la loi sur la liberté de la presse, le délai d'un an étant limité aux délits de racisme.

Enfin, il me semble qu'il faut se garder des fausses polémiques. C'est un mal bien français que de se donner des frayeurs en agitant des mots tels que communautarisme.

Mme Christine Boutin. On verra ça !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Le Gouvernement entend, dans cette affaire, avoir une attitude raisonnable, responsable et pragmatique.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Il s'agit d'un sujet où l'émotion est, en effet, légitimement partout. Ces dispositions se logent finalement dans un texte qui installe la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité des chances, lui-même enfant d'un texte fondateur de la cohésion sociale.

Pour vous montrer l'utilité de ce que nous vous proposons, je veux vous faire part d'un incident à connotation familiale, qui s'est déroulé à l'aéroport de Nice voici quelques semaines. Un individu a bousculé une personne en tenant des propos que je préfère ne pas répéter ici. J'ai découvert à cette occasion qu'il n'existait pas dans ce domaine de sanctions réellement efficaces, ce qui, je peux vous le dire, m'a profondément navré. L'impunité de tels faits qui commencent par des mots, mais peuvent se terminer autrement, ne doit pas perdurer. Tout en n'ignorant pas l'émotion des uns et des autres, j'ai le sentiment qu'avec l'amendement gouvernemental, nous faisons œuvre modeste mais utile pour le respect et la dignité de chacun.

En conclusion, je souhaite associer à mes remerciements la commission, M. le rapporteur, Mmes Ameline, Olin et Vautrin. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur. Monsieur le président, madame la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, madame la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés à examiner en deuxième lecture le projet portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité.

Le projet du Gouvernement a été très sensiblement enrichi au cours de la première lecture à l'Assemblée et au Sénat. Les pouvoirs d'investigation de la nouvelle instance ont été précisés et assortis de garanties de procédure. Le champ de la transposition des règles communautaires relatives aux discriminations a été élargi. En outre, le Gouvernement a complété le projet par un volet pénal renforçant la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe.

La création de la Haute autorité vise à doter la France de l'instrument de promotion de l'égalité et de l'aide aux victimes qui nous fait aujourd'hui défaut, afin notamment de répondre à une obligation communautaire et aux vœux du Président de la République.

Le Sénat a apporté plusieurs modifications au texte de l'Assemblée.

Il a, tout d'abord, modifié l'exigence de parité que nous avions prévue pour la composition de la Haute autorité. À l'initiative du groupe socialiste, nous avons en effet adopté, madame la ministre de la parité, un amendement obligeant les pouvoirs publics à désigner chacun un homme et une femme. Le Sénat a remplacé cette disposition par une simple obligation de respecter une représentation équilibrée entre les hommes et les femmes, ce qui répond parfaitement au risque d'inconstitutionnalité que j'avais soulevé en séance publique. L'obligation de parité ne joue en effet de manière stricte qu'en matière électorale. Dans les autres matières, le Conseil constitutionnel veille à ce que, dans les nominations, les considérations relatives au genre ne l'emportent pas sur celles relatives aux compétences.

Le Sénat a également prévu l'obligation pour les pouvoirs publics chargés de nommer les membres de la Haute autorité de respecter le pluralisme. Cette disposition vise à assurer l'expression de sensibilités différentes, notamment dans l'hypothèse où des parlementaires seraient désignés.

Sur ce point, j'ai moi-même évolué. Spontanément, j'ai trouvé l'idée bonne mais, à la réflexion, je me suis demandé comment l'on pourrait exiger de connaître les idées politiques des impétrants. Cela me paraît aussi choquant qu'impossible en pratique, et M. Piron, qui a déposé un amendement, considère que cela pourrait même être de nature à discriminer tel ou tel, à moins de ne réserver l'application de cette disposition qu'aux seuls parlementaires.

Par ailleurs, les fonctions de membre de la Haute autorité ne pourraient être exercées qu'à certaines conditions. Le Sénat a en effet prévu un régime de déport des membres de la Haute autorité, qui ne pourront prendre part aux délibérations et aux investigations concernant un organisme avec lequel ils sont ou ont été liés par un intérêt, un mandat ou une fonction.

Les sénateurs ont également modifié les conditions de saisine de la nouvelle instance : les victimes pourront la saisir par l'intermédiaire d'un député, d'un sénateur ou d'un représentant français au Parlement européen, et les associations pourront participer à la saisine conjointement avec la victime, et seulement conjointement.

Ils ont introduit des garanties de procédure pour les personnes entendues par la Haute autorité : ces personnes pourront se faire assister du conseil de leur choix, et un procès-verbal contradictoire de leur audition leur sera remis. En outre, les avocats seront exclus du champ d'application de la levée des sanctions pénales liées à la révélation du secret professionnel. Ai-je besoin de rappeler que le secret professionnel des avocats est l'un des éléments d'une société démocratique ?

Les pouvoirs de la Haute autorité ont également été modifiés : lorsque ses recommandations ne seront pas suivies d'effet, elle pourra le faire savoir par la publication au Journal officiel d'un rapport spécial ; en outre, lorsqu'il lui sera refusé de procéder à des vérifications sur place, son président pourra saisir le juge des référés.

Sur ce dernier point, le texte du Sénat donne à la Haute autorité des moyens d'investigation qui s'assimilent pratiquement à des pouvoirs de police judiciaire. La Haute autorité pourrait procéder à des vérifications sur place sans l'accord des personnes intéressées, alors même qu'aucune garantie de procédure ne vient encadrer ces vérifications. Il me semble donc préférable d'en rester à la rédaction adoptée par l'Assemblée en première lecture, et de conditionner les vérifications sur place à l'accord des personnes concernées.

Le Sénat a également renforcé le rôle consultatif de la Haute autorité : le Gouvernement sera obligé de soumettre à son avis tout projet de loi relatif à la lutte contre les discriminations et à la promotion de l'égalité. En outre, le Premier ministre pourra lui demander de contribuer à la préparation et à la définition de la position française dans les négociations internationales portant sur la lutte contre les discriminations. Tout cela paraît bien naturel.

Par ailleurs, en dotant la Haute autorité de délégués territoriaux, les sénateurs ont fait figurer dans le projet de loi l'organisation territoriale que le Gouvernement prévoyait d'instituer par décret. Ces dispositions relèvent manifestement du règlement, et je vous propose donc de les supprimer.

Enfin, la gratuité du service d'accueil téléphonique des victimes a été supprimée, afin d'éviter que la nouvelle autorité ne soit assaillie d'appels fantaisistes.

En première lecture, nous avions transposé la directive du 29 juin 2000 en prévoyant un droit à égalité de traitement sans distinction de race ou d'origine ethnique, et en instituant à cet effet un aménagement de la charge de la preuve.

Le Sénat est allé au-delà, en étendant ce dispositif à toutes les discriminations. Sont notamment visées les discriminations en raison des opinions politiques, des mœurs, de l'orientation sexuelle, de l'apparence physique, de l'état de santé ou du handicap.

Je suis très réservé sur cet élargissement. Le Sénat a en effet repris la liste des critères de discrimination qui figure, depuis la loi du 16 novembre 2001, dans le code du travail. Or le texte que nous examinons aujourd'hui dépasse très largement le seul droit du travail : il vise l'accès à l'éducation, à la protection sociale, à la santé, aux biens et services.

Il me semble difficile de transposer dans un champ aussi large une liste de critères prévus pour s'appliquer aux seules discriminations sur le lieu de travail. Il faudrait au moins prévoir des réserves. Je ne prendrai qu'un seul exemple : le texte du Sénat a pour effet d'introduire un droit à égalité de traitement dans l'accès à l'éducation quelles que soient les convictions religieuses. Il n'est pas sûr qu'une telle disposition soit compatible avec la loi sur le port des signes religieux à l'école.

Il n'est pas de bonne technique législative de généraliser, par un seul alinéa, le droit à égalité de traitement et l'aménagement de la charge de la preuve, qui est en plus une révolution juridique. La loi du 16 novembre 2001 comprenait une dizaine d'articles et a pris la peine de prévoir des cas où des différences de traitement sont possibles, en considération de l'âge ou de la santé notamment.

Pour toutes ces raisons, je vous propose de rétablir la rédaction de l'Assemblée, afin d'en rester à la stricte transposition de la directive du 29 juin 2000, qui ne vise que les discriminations raciales ou ethniques.

À l'initiative du Gouvernement, le Sénat a introduit dans le projet de loi un titre II bis tendant à renforcer la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe. Ce nouveau titre reprend, tout en tenant compte de certaines critiques, les principales dispositions du projet de loi relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe, déposé à l'Assemblée nationale le 23 juin 2004.

En effet, si notre droit pénal comprend désormais de nombreuses dispositions sanctionnant les actes perpétrés à l'encontre des personnes ou de leurs biens en raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle, en revanche les propos appelant à la haine ou à la violence contre ces mêmes personnes et pour ces mêmes raisons ne sont pas spécifiquement sanctionnés. Or nul ne saurait contester le lien existant entre les propos appelant à la discrimination, à la violence ou à la haine à l'encontre d'une catégorie de personnes et les actes qui sont effectivement commis contre elles et dont l'actualité nous donne chaque jour malheureusement l'exemple.

Le ministre a fait allusion à une expérience personnelle. De mon côté, le jour même où nous examinions ce projet en commission, on me déposait sur mon bureau une dépêche de l'AFP rapportant qu'un habitant du village dont j'ai été le maire pendant vingt-quatre ans venait de prendre six mois de prison ferme pour avoir cassé la figure à un homosexuel du village. C'est dire à quel point le respect de l'autre n'est pas une donnée culturelle que l'on intègre spontanément. Dans un autre domaine, celui du respect des limitations de vitesse, deux thèses s'opposent, celle de la pédagogie, selon laquelle les gens comprennent, et celle du bâton, selon laquelle les gens finissent par comprendre. J'ai découvert que j'appartenais à la seconde catégorie. Il a fallu la sanction forte pour me faire changer de comportement.

M. Michel Piron. Oh, monsieur le président !

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Je le confesse à la tribune.

Croire que seule l'éducation serait de nature à faire évoluer l'opinion est un leurre. Il faut aller au-delà, et sanctionner sera sans doute le seul moyen pédagogique pour transformer un état d'esprit qui est trop souvent celui des Français.

Mme Christine Boutin. Sanctionner, sanctionner, toujours sanctionner !

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Quelquefois, c'est obligatoire.

L'objectif du Gouvernement est d'abord pédagogique. C'est pourquoi, sans revenir sur la philosophie de son texte, il a accepté certaines modifications afin de répondre aux craintes que son premier projet avait pu susciter en ce qui concerne la liberté d'expression.

Les dispositions qui vous sont proposées répondent donc à la nécessité de concilier la lutte contre les propos discriminatoires et le respect de la liberté d'expression. Le champ d'application du texte a été précisé, l'application renvoyée à deux articles du code pénal. Que ceux qui craignaient que les débats de société et de conviction ne puissent plus avoir lieu soient donc rassurés. Le dispositif ne concerne que le logement, les services et l'emploi. La liberté d'organiser des débats de société, sur l'homoparentalité par exemple, est indispensable dans une société qui veut préserver la liberté d'expression.

L'article 17 bis permettra tout d'abord, ce qui n'est pas possible dans l'état actuel de la législation, de réprimer d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ceux qui auront publiquement provoqué à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes en raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle ou qui auront provoqué, à l'égard de ces mêmes personnes, aux discriminations illicites et réprimées par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal. Cette dernière précision n'existe pas dans le cas de l'incitation à la discrimination à caractère racial, religieux ou ethnique, et n'était pas prévue dans le projet de loi présenté en juin dernier. Elle a été insérée à la suite notamment des critiques émises par la commission des lois et par la Commission nationale consultative des droits de l'homme, afin que la nouvelle incrimination ne permette pas de poursuivre des propos qui relèvent du débat public, comme les prises de position contre le mariage entre personnes de même sexe.

Il a semblé à la commission que, ainsi rédigé, cet article ne remettait nullement en cause la liberté d'expression.

En outre, l'article 17 ter entraînera l'aggravation des peines encourues par les auteurs d'une diffamation ou d'une injure publique envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle. Il faut en effet rappeler que notre droit pénal punit déjà l'injure et la diffamation sous toutes leurs formes, y compris, donc, lorsqu'elles sont inspirées par des motifs sexistes ou homophobes. Il est vrai cependant que le projet de loi innove en permettant de poursuivre les injures ou la diffamation à l'encontre de groupes de personnes, et en prévoyant que la peine encourue pourra aller jusqu'à l'emprisonnement, comme c'est déjà le cas pour les diffamations ou injures publiques à caractère racial, religieux ou ethnique. Il s'agit là d'un symbole fort qui solennise le rejet par la société de tels comportements.

Le texte qui nous est proposé concerne à la fois l'injure et la diffamation sexistes et homophobes, alors que le projet de loi présenté en juillet ne visait que l'injure ou la diffamation fondées sur l'orientation sexuelle. Cette inégalité de traitement avait été fortement critiquée, à juste raison, par vous-même, madame la ministre, et par les associations féministes.

Enfin, pour ce qui est de la procédure, il est prévu d'aligner les règles de mise en mouvement de l'action publique pour les délits de presse de nature sexiste ou homophobe sur celles qui existent en matière de racisme ou d'antisémitisme. En conséquence, le ministère public pourra déclencher d'office une poursuite dans le cas d'une diffamation ou d'une injure sexiste ou homophobe : je vous proposerai néanmoins sur ce point un amendement visant à s'assurer que la victime accepte le déclenchement des poursuites.

L'article 17 quater prévoit que les associations de lutte contre les discriminations pourront se constituer partie civile pour l'ensemble des nouvelles infractions de sexisme ou d'homophobie. À l'initiative de notre collègue Jean-Paul Garraud qui craignait un trop grand nombre de contentieux, la commission a adopté, contre l'avis de son rapporteur, un amendement limitant cette possibilité aux seules associations reconnues d'utilité publique.

Enfin, contrairement à la solution initialement retenue, il n'est plus prévu de faire passer le délai de prescription de trois mois à un an pour les propos sexistes ou homophobes. En effet, la brièveté du délai de prescription pour les délits de presse est considérée comme une garantie de la liberté d'expression.

Le texte qui nous est soumis aujourd'hui crée l'instrument de promotion de l'égalité qui nous fait défaut et complète utilement notre arsenal juridique. C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à l'adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Monsieur le président, mesdames et monsieur les ministres, mes chers collègues, le projet de loi créant la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, qui revient en deuxième lecture devant notre assemblée, a été complété par trois amendements majeurs que le Gouvernement a présentés au Sénat. C'est donc d'un texte très différent que nous débattons aujourd'hui. Il nous offre l'occasion de franchir une nouvelle étape sur le long chemin de l'égalité des droits.

Le groupe socialiste tient cependant à exprimer un double regret. Il déplore tout d'abord qu'ait été abandonné un projet de loi qui, bien qu'imparfait − nous l'aurions amendé −, affirmait une volonté politique que le Gouvernement ne souhaite visiblement plus assumer, ou qu'il assume de la manière la plus discrète qui soit, malgré les engagements répétés du Président de la République − dès la campagne présidentielle de 2002 −, du Premier ministre et de plusieurs membres du Gouvernement.

Notre second regret, encore plus vif, concerne le temps perdu pour inscrire enfin dans la loi la sanction des propos discriminatoires en raison du sexe et de l'orientation sexuelle, alors que le drame vécu par Sébastien Nouchet au début de cette année nous a dramatiquement rappelé qu'il était urgent de combler le vide juridique que les associations de lutte contre les discriminations sexistes et homophobes n'ont eu de cesse de dénoncer. À cet égard, comment ne pas regretter une nouvelle fois le rejet funeste par la majorité de notre assemblée de la proposition de loi que le groupe socialiste avait déposée et que j'ai rapportée dans cet hémicycle le 27 novembre 2003, il y a déjà plus d'un an ?

Avant d'aborder les trois amendements qui agitent tant nos collègues de l'UMP, je dirai un mot sur l'objet initial de ce projet de loi, la création d'une Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. Notre groupe éprouve, en seconde lecture, la même insatisfaction vis-à-vis d'un projet de loi qui reste bien en deçà des objectifs qu'affichait le rapport remis par Bernard Stasi au Premier ministre en février dernier et très en deçà des attentes des acteurs de la lutte contre les discriminations. Il est d'ailleurs symptomatique que les associations ou les syndicats restent les grands oubliés de la composition de la Haute autorité qui aura un caractère exagérément institutionnel, à moins, bien sûr, que notre assemblée n'adopte l'amendement que nous défendrons de nouveau. Le fait que le Sénat ait souhaité permettre aux associations concernées de saisir la Haute autorité conjointement avec toute personne qui s'estime victime de discrimination est, à vrai dire, un maigre lot de consolation.

Au travers des missions que ce projet de loi lui fixe de manière bien insuffisante, la Haute autorité ne sera qu'un observatoire des discriminations apportant ponctuellement son expertise pour favoriser la médiation ou informer la justice. Est-ce à la hauteur des attentes suscitées par le discours que le Président de la République a prononcé à Troyes, le 14 octobre 2002 ? Nous continuons d'en douter.

Aurai-je la cruauté de rappeler qu'il s'en est fallu de peu que, grâce à la diligence coupable de nos collègues de l'UMP, la Haute autorité ne voie son premier budget amputé − excusez du peu − de 1,7 million d'euros ? C'est là un vrai gage de confiance dans ce qu'on crée à grand renfort de publicité !

Le titre II bis du projet de loi vise à renforcer la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe − pourquoi « renforcer » d'ailleurs, puisqu'il s'agit d'abord de combler un vide juridique ?

Les trois nouveaux articles introduits au Sénat ont pour objet de réprimer les propos d'exclusion en harmonisant et en complétant notre législation sur les discriminations. En effet, si les différentes formes de discriminations sont sanctionnées dans le code pénal et dans le code du travail, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse sanctionne les seuls propos discriminatoires à caractère raciste, antisémite ou xénophobe. Elle laisse de ce fait subsister une discrimination là où l'on voudrait la combattre. Il importe enfin de combler ce vide juridique en pénalisant l'ensemble des propos et écrits à caractère discriminatoire, sans volonté de hiérarchisation entre les discriminations − j'insiste sur ce point −, sans non plus aggraver les peines encourues et déjà inscrites dans la loi : un an d'emprisonnement et/ou 45 000 euros d'amende.

Il n'est sans doute pas inutile de préciser, à la suite de l'examen de ce texte par la commission des lois de notre assemblée, qu'il ne s'agit pas d'imposer ainsi une sorte de « politiquement correct » ou, pire, un « ordre moral à l'envers ». Nul esprit de censure, nulle restriction de la libre critique dans la démarche qui nous est proposée. La promotion de l'égalité ne saurait se faire au détriment de la liberté.

Mme Danielle Bousquet. Très bien !

M. Patrick Bloche. À cet égard, seules sont visées l'injure, la diffamation, la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes. C'est la force de notre démocratie de refuser la logique non restrictive du premier amendement de la Constitution américaine. Notre référence est plus que jamais la loi de 1881 sur la liberté de la presse, cette grande loi de la République qui assure l'équilibre entre la protection de la liberté d'expression et la sanction des abus qu'elle peut générer. Il ne s'agit pas, en effet, de réprimer toute opinion ou expression, aussi discutable soit-elle, mais de sanctionner les débordements expressément prévus par la loi.

Il reste que le groupe socialiste souhaite compléter le dispositif qui est soumis à notre discussion pour tendre à une plus grande égalité des droits.

Nous proposerons ainsi, dans la discussion des articles, d'intégrer l'identité de genre comme motif supplémentaire de discrimination, sur le fondement de l'article 225-1 du code pénal qu'il s'agit donc de compléter, afin de prendre également en compte les personnes transsexuelles et transgenres.

Nous estimons par ailleurs que les propos discriminatoires en raison d'un handicap ou de l'état de santé requièrent la même vigilance que les propos sexistes ou homophobes. Ils participent de cette intolérance que la République se doit de combattre. Plusieurs amendements viseront, en conséquence, à élargir aux personnes handicapées et malades les dispositions protectrices de la loi de 1881.

Par un autre amendement, le groupe socialiste souhaite rétablir le délit de provocation à la discrimination, à la haine, à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes, tel qu'il existait dans le projet de loi initial, et supprimer ainsi la limitation apportée par le nouvel article 17 bis aux seules discriminations liées à l'exercice d'une activité économique, notamment à l'emploi, au logement et aux services.

Je tiens à attirer tout particulièrement l'attention de notre assemblée sur cette restriction qui peut limiter singulièrement la portée du texte que nous voterons.

Il reste que ces trois articles perdront la plus grande part de leur utilité et de leur efficacité si l'amendement de Jean-Paul Garraud, malheureusement adopté en commission des lois, est voté par l'Assemblée. Il vise en effet à limiter la possibilité d'agir en justice pour les associations de lutte contre l'homophobie et le sexisme à celles qui sont déclarées d'utilité publique. C'est une manière particulièrement insidieuse de rendre le projet de loi inapplicable une fois voté, sans s'y opposer frontalement. Les associations combattant depuis au moins cinq ans les violences et les discriminations en raison du sexe et de l'orientation sexuelle ont ressenti cette initiative comme une provocation. C'en est une d'ailleurs !

M. Frédéric Dutoit. Tout à fait !

M. Patrick Bloche. Est-il nécessaire de rappeler que, pour bénéficier de la reconnaissance institutionnelle de l'utilité publique, il faut notamment qu'une association dispose d'un budget de plus de 45 000 euros ?

Il va de soi que le groupe socialiste conditionnera son vote final au rejet de cet amendement mesquin.

Mme Danielle Bousquet et M. Frédéric Dutoit. Très bien !

M. Patrick Bloche. À nos collègues de l'UMP, donc, de se ressaisir, au Gouvernement de montrer son autorité. En effet, parce que nous sommes tous des républicains, nous avons un commun attachement au principe constitutionnel d'égalité, proclamé dès l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Or ce principe fondateur, qui est l'une des bases du pacte républicain, est régulièrement malmené par des pratiques discriminatoires. Stigmatiser les personnes pour ce qu'elles sont constitue une atteinte intolérable à leur dignité et une amputation de leur citoyenneté. Le risque évident pour notre « vivre ensemble » dans un environnement mondialisé est que des individus ou des groupes sociaux victimes de discriminations persistantes aient un réflexe de repli sur soi ou, pire, s'inscrivent dans une démarche communautariste. Mes chers collègues, ne pas voter ce projet de loi, c'est favoriser le communautarisme.

À cet égard, la lutte contre les discriminations participe de notre mobilisation collective pour la laïcité, qui a retrouvé toute son actualité, et par là même renforce la cohésion nationale à laquelle nous sommes tous attachés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Comparini.

Mme Anne-Marie Comparini. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, lors de la première lecture, j'avais tenu à rendre hommage à l'Europe qui, du traité de Rome à la charte des droits fondamentaux, nous a montré la voie à suivre pour lutter contre toutes les discriminations. Je ne reviendrai pas en détail sur les raisons qui nous ont alors conduits à soutenir le texte gouvernemental. Je résumerai simplement par quatre mots notre espoir de voir la haute autorité réussir : d'abord, disponibilité et aptitude des membres qui la composeront à traiter de questions aussi douloureuses que celles des discriminations ; ensuite, proximité et accessibilité concernant son fonctionnement. Un outil lointain dont l'accessibilité se révélerait complexe n'aurait en effet aucune utilité.

C'est pourquoi le groupe UDF avait déposé un amendement qui conservait la plateforme d'accueil téléphonique du 114. Ce souhait, unanimement partagé, avait été entendu par le Gouvernement. Or j'ai constaté que le Sénat - M. Clément vient de le rappeler - a supprimé la gratuité de l'appel, considérant, avec raison, que 98 % d'appels fantaisistes nuisent à son bon fonctionnement. Nous nous rangeons donc à son point de vue, dans le souci de permettre à la haute autorité d'être la plus utile possible.

Je souligne également l'adoption d'un amendement sénatorial visant à établir des délégués de la haute autorité sur tout le territoire. Cette disposition correspond tout à fait à l'esprit de cette instance tel que nous le concevons : une cohérence d'action entre toutes les structures avec des relais locaux. Plus nos concitoyens, dans des situations bien souvent de détresse, trouveront un accueil et une écoute proches de chez eux, plus le lien de confiance entre eux et la haute autorité sera renforcé.

Concernant la lutte contre le sexisme et l'homophobie, le texte propose des modifications majeures introduites par le Sénat à l'initiative du Gouvernement.

Disons le clairement : les discriminations, qui existent bel et bien dans notre pays, viennent contredire des décennies de construction patiente du principe d'égalité, valeur fondatrice de la République. La loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure de 2002 avait amorcé le processus de lutte contre les discriminations en aggravant les peines pour les cas d'atteintes physiques commis en raison de l'orientation sexuelle de la victime. Cette première reconnaissance devait être suivie d'une condamnation des propos diffamatoires envers la communauté homosexuelle et liés au sexe.

Après la discussion du projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, la première caractéristique du texte que vous nous présentez en deuxième lecture, mesdames les ministres, répond à notre volonté d'assurer un égal respect à tous les êtres humains, quelles que soient leur origine et leur vie. Je note, à cet égard, que la sagesse a prévalu en alignant les dispositifs concernant le sexisme sur ceux relatifs à l'homophobie. Ainsi notre ordre juridique sera-t-il plus homogène en donnant à tous et à toutes les mêmes garanties.

La deuxième caractéristique de ce texte est de pallier des carences évidentes puisque, jusqu'à présent, les propos incitatifs à la discrimination, à la haine et à la violence en raison de l'orientation sexuelle ou du sexe sont impunis. L'objectif n'est pas mince : la haine contre les homosexuels n'a malheureusement pas disparu et la lutte contre le sexisme - Mme Ameline le sait bien - est loin d'être achevée.

Je sais que l'alignement de la répression des délits de diffamation et d'injure envers des personnes en raison de leur sexe ou de l'orientation sexuelle sur celle prévue en matière de racisme et d'antisémitisme suscite un désaccord chez certains de nos collègues. Je sais également que des amendements « limitateurs » de l'action ont été déposés. Mais pourquoi donc établir une hiérarchie entre les discriminations ? Elles revêtent toutes le même caractère injurieux et blessant ! Cessons donc d'opposer des communautés entre elles et concentrons-nous sur l'essentiel, c'est-à-dire sur cet antagonisme qui gangrène la société française. Si l'on veut lutter contre toutes les discriminations, il ne faut pas céder à l'entropie généralisée.

Avec cette deuxième caractéristique, c'est tout un arsenal conséquent qui est mis en place et qui permettra d'en finir - je l'espère en tout cas - avec des violences verbales ou écrites trop souvent lues, entendues ou vécues.

Le texte procède enfin à une clarification. Avec cette troisième caractéristique, il lève les interrogations qu'une jurisprudence trop ample risquait de faire courir à la liberté d'expression des organes de presse et de toutes personnes participant à un débat légitime sur ces sujets. Il est sage - M. Clément l'a souligné également - de revenir à des domaines déjà prévus au code pénal, notamment aux articles 225-2 et 432-7, tels que les discriminations au logement et à l'emploi ou le refus de fournir un bien ou service.

Le groupe UDF ne peut qu'être favorable à ce projet de loi, tant il est attaché aux libertés fondamentales qui impliquent la reconnaissance de la dignité et du respect dus à chaque personne. Cependant, nous avons encore du chemin à parcourir pour développer une culture de la tolérance qui accepte la différence.

La loi sera essentielle mais elle ne suffira pas à convaincre que la diversité enrichit alors que la discrimination appauvrit. C'est par l'éducation, par l'information et par le débat que l'on combattra efficacement l'intolérance. C'est pourquoi une mobilisation générale contre toutes les formes de discrimination est nécessaire. J'espère que nos travaux contribueront, même modestement, à cette prise de conscience dans un domaine aussi délicat et pourtant si important pour l'humanité de notre société. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit.

M. Frédéric Dutoit. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, ce texte peut surprendre dans la patrie qui prétend être celle des droits de l'homme. Il témoigne en fait du fossé qui ne cesse de se creuser entre les discours proclamant l'égalité sacrée et les textes de loi.

Dans la France du XXIsiècle, nombre de citoyens vivent une réalité oppressante, celle d'une vie quotidienne où la loi de la jungle règne sans partage, frappe les plus faibles, vise les hommes ou les femmes en raison de leur couleur, de leur origine sociale, de leur sexe, de leur orientation sexuelle. Pourtant, l'arsenal juridique national, européen et international existe déjà et devrait permettre de lutter contre les discriminations qui gangrènent notre société et menacent la paix sociale.

L'idéal universel des droits de l'homme, censé fonder notre cohésion nationale, est contredit tous les jours par les pratiques des uns et par les expériences des autres. La discrimination touche encore trop de nos concitoyens. Avec ses multiples visages, elle peut en effet frapper à tout moment de la vie, pour l'accès à l'école, à l'emploi, au logement, à la formation, à la santé, etc.

La lutte contre toutes les discriminations est un devoir civique auquel nul ne doit se soustraire. Si nous voulons apprendre à nos enfants le respect de l'autre, qu'il n'y a pas de races mais des êtres humains, qu'une femme est l'égale de l'homme, que nos différences nous rassemblent, nous devons tous montrer l'exemple.

Nous-même devons, en tant que députés de la nation, assumer nos responsabilités. Nous ne pouvons nous contenter de parler de lutte contre les discriminations et de promotion de l'égalité une seule fois par an, au moment où la haute autorité remettra son rapport au Parlement. Nous élaborons des lois. À nous de nous assurer de leur respect.

Nous ne pouvons nous défausser de notre responsabilité et faire reposer la lutte contre les discriminations sur les seules associations agissant en la matière ou, après l'adoption de ce projet de loi, sur la seule haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. C'est pourquoi je ne m'opposerai pas à ce texte car j'en partage les objectifs.

Toutefois, j'attends de la haute autorité des résultats concrets car il s'agit de rétablir l'universalité du principe d'égalité entre tous les citoyens. Or, de ce point de vue, le texte reste bien en deçà des attentes suscitées. Si son équilibre initial n'est pas fondamentalement bouleversé en deuxième lecture, les quelques éléments révisés ou ajoutés par le Sénat et le Gouvernement en modifient la teneur.

L'une des principales nouveautés réside dans l'insertion de dispositions spécifiques relatives à l'homophobie et au sexisme. Les homosexuels sont exposés, du fait de leur orientation sexuelle, à des discriminations, à des violences ou à des discours de haine. C'est inacceptable. Il est indispensable d'agir afin que l'homophobie soit enfin considérée comme contraire à l'ordre public et aux principes d'égalité et de liberté.

Or le texte sur la pénalisation des propos homophobes et sexistes a été abandonné par le Gouvernement. Il est certes inclus dans ce projet de loi mais sous couvert d'amendements présentés à la dernière minute. Prenons donc garde de ne pas limiter toute l'efficacité au volet répressif contre l'homophobie.

Il ne faudrait pas non plus vider de son sens les dispositifs pénalisant les propos homophobes et sexistes.

J'ai la conviction que c'est l'être humain en tant que tel qui doit être respecté et protégé. Les droits de l'homme sont indivisibles et universels. Nous devons prendre garde de n'enfermer aucun individu dans une communauté qui ne soit celle de l'humanité tout entière.

Légiférer afin de protéger une catégorie de personnes ne doit pas se faire au détriment des autres. L'égalité des droits est de portée universelle. Les pratiques discriminatoires sont l'expression moderne et silencieuse du rejet de l'autre, la manifestation sourde de préjugés tenaces.

Mme Christine Boutin. Absolument !

M. Frédéric Dutoit. Sur ce point, nous ne pouvons que rappeler les conséquences dramatiques de la politique menée par le Gouvernement en matière sociale, de droit d'asile ou d'accès aux services publics. Nous ne pouvons nous accommoder de ces pratiques discriminatoires. Laisser faire, c'est laisser se développer les dérives sexistes, xénophobes ou homophobes.

Or, avec le texte qui nous est présenté aujourd'hui, nous sommes bien loin des ambitions initialement affichées. C'est peu dire que la nouvelle institution sera verrouillée politiquement et que son action sera difficilement indépendante du pouvoir en place. Nous regrettons que le monde associatif et syndical ait été exclu de cette instance. Le fait qu'il y soit associé par le biais des organes consultatifs ne corrige que partiellement cet aspect, et l'amendement soutenu par une grande partie de la majorité, tendant à réserver la possibilité de se constituer partie civile dans les procès pour sexisme ou homophobie aux seules associations reconnues d'utilité publique, nous semble pour le moins injustifié. Faut-il rappeler que, il y a encore quelques années, les associations homosexuelles étaient interdites, et que, aujourd'hui, elles n'ont pas les moyens financiers ou la reconnaissance suffisante pour être reconnues d'utilité publique ?

Votre projet de loi risque de créer une discrimination entre les associations, puisque certaines d'entre elles, alors même qu'elles sont en première ligne dans la lutte contre l'homophobie et le sexisme, ne pourront pas contraindre le ministère public à entamer une procédure judiciaire.

Malgré l'évolution du texte en la matière, il serait plus sûr de prévoir explicitement la participation des membres d'associations représentatives de chaque critère de discrimination, des représentants d'organisations non gouvernementales, de syndicats, d'élus ou encore d'experts. L'expérience, la diversité, les compétences de ces personnes seraient un gage d'indépendance et, surtout, d'efficacité.

Autre interrogation : le Gouvernement propose de recourir à une structure unique. Nous partageons cette volonté de créer une seule instance de référence en la matière, mais il faut aller plus loin ; à nos yeux, une autorité de lutte contre les discriminations doit être une instance généraliste et pluridisciplinaire.

Pour l'année 2005, la haute autorité devrait disposer d'un budget de 11 millions d'euros. Cela est notoirement insuffisant au regard des ambitions affichées. Le dispositif doit offrir une protection juridique complète et permettre à cet organisme de bien fonctionner en lui procurant des moyens humains et financiers à la hauteur des enjeux auxquels elle sera confrontée.

Par-delà l'aspect financier, les capacités d'action de la haute autorité se révèlent malheureusement limitées. Disposer de moyens humains et matériels adaptés est à l'évidence fondamental. À cet égard, nous regrettons qu'il ne soit pas prévu qu'elle dispose de pouvoirs d'investigation et d'injonction aussi importants que le préconisait la commission conduite par M. Stasi par exemple.

Par ailleurs, il est essentiel que la haute autorité puisse demander des explications à toute personne physique ou morale, publique ou privée, et pas seulement «à toute personne privée », et exiger des réponses à ses interpellations, faute de quoi elle perdrait une bonne part de sa légitimité et de son efficacité.

Par souci d'efficacité et par nécessité d'être au plus près des problèmes, il conviendrait également que l'autorité administrative dispose de correspondants locaux, à l'instar de ce qui existe pour le médiateur de la République. Parce qu'il s'agit de créer non pas une autorité centralisée mais une autorité capable de répondre au plus près des préoccupations de nos concitoyens, cette haute autorité doit disposer de relais au niveau local. Nous pourrions imaginer la mise en place de délégués locaux ou départementaux, selon les besoins, pour lutter concrètement contre les discriminations. Ce n'est pas la voie que vous avez choisie.

Ce texte n'est pas à la hauteur de ce formidable enjeu de société qu'est la lutte contre toutes les discriminations et pour l'égalité.

Cette instance ne doit pas se substituer à l'action des pouvoirs publics dont le rôle essentiel est de promouvoir et de mettre en œuvre le principe d'égalité et de lutter contre les discriminations. Les politiques, et singulièrement les parlementaires, ne doivent pas se sentir dédouanés de leurs responsabilités en la matière du fait de l'existence de cette instance. Il est important de réaffirmer que la lutte contre les discriminations doit s'inscrire dans un dispositif global, dans le cadre de l'action publique comme de l'action civile, dans une convergence des efforts du législateur, du Gouvernement et des acteurs locaux.

La haute autorité, telle qu'elle est conçue dans ce texte, ne répond en fait que partiellement aux défis posés à notre société. Le projet reste bien en deçà des ambitions affichées. Il est, de ce point de vue, décevant.

Si vos intentions sont louables, mesdames les ministres, il n'en reste pas moins que le dispositif retenu nous semble largement insuffisant, tant l'enjeu mérite une mobilisation générale exceptionnelle, et non un simple dispositif axé sur la création d'une autorité administrative indépendante qui sera chargée de coordonner les actions contre les discriminations. La lutte contre les discriminations passe certes par la loi, mais surtout par une politique nationale et globale intégrant l'ensemble des pouvoirs publics et visant à faire évoluer les comportements individuels et collectifs.

Pour ce qui nous concerne, nous n'abandonnerons pas notre idéal, celui de l'universalité des droits de l'homme, qui transcende, sans les nier, les différences entre les êtres humains. D'ailleurs, en ce début de xxie siècle, l'enjeu réside moins dans une énième déclaration de notre attachement aux droits de l'homme que dans leur garantie effective et leur respect réel. Jamais notre combat pour la liberté, l'égalité et la fraternité ne trouvera de répit tant qu'un seul être humain, quels que soient sa couleur de peau, son origine ethnique, son sexe, sa position sociale ou son orientation sexuelle, fera l'objet d'une discrimination.

Notre engagement contre toutes les formes d'injustice fonde notre action pour une société humaine enfin débarrassée des ornières de l'obscurantisme, du rejet de l'autre, de la xénophobie, du racisme et de l'intolérance.

En ce sens la lutte contre les discriminations est une voie principale pour aboutir à l'égalité des droits et des chances à laquelle nous aspirons. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, le texte qui nous revient du Sénat mérite incontestablement une réflexion sérieuse, un engagement, un grand sens des responsabilités, mais aussi, comme l'a souligné le président de la commission, un gros effort de pédagogie.

Sans doute avez-vous été frappés, comme moi, de la manière dont certains, parfois même parmi nous, parlent de ce texte, notamment de son intitulé. « Qu'allez-vous faire de cette loi contre l'homophobie ? » me demande-t-on souvent ? Pourtant, si la lutte contre l'homophobie est bien prise en compte dans la version qui nous revient du Sénat, devons-nous résumer l'ensemble du texte à cet intitulé ? À l'évidence, non. Il faut donc que, tous ensemble, nous fassions l'effort de considérer ce texte tel qu'il est, de ses origines jusqu'à aujourd'hui, et penser à ce qu'il sera à l'issue des travaux parlementaires.

M. Christophe Caresche. C'est laborieux !

M. Guy Geoffroy. L'origine - je tiens à le rappeler parce que certains ne s'en souviennent pas ou feignent de l'avoir oublié - se trouve dans le discours du Président de la République, le 14 octobre 2002.

M. Patrick Bloche. Non, il faut remonter à mars 2002 !

M. Christophe Caresche. Pendant la campagne électorale !

M. Guy Geoffroy. Ce discours invitait à la création d'une autorité indépendante pour, je reprends les termes du Président de la République, « lutter contre toutes les formes de discriminations, qu'elles proviennent du racisme, de l'intolérance religieuse, du sexisme ou de l'homophobie ».

Ces propos du Président de la République exprimaient clairement la volonté de mieux armer notre pays, et chacun d'entre nous, pour combattre et vaincre tous ces fléaux qui se sont installés dans notre pays.

Certes, à l'origine, deux textes devaient nous être proposés : un premier pour créer la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, un second, adopté par le conseil des ministres il y a quelques mois, pour lutter contre l'homophobie. Cependant certains de nos collègues, notamment à gauche de cet hémicycle, ont reproché, lors de son examen en première lecture, au texte créant la haute autorité l'absence d'éléments permettant de renforcer la lutte des pouvoirs publics contre les discriminations liées au sexe ou à l'orientation sexuelle.

M. Patrick Bloche. En effet.

M. Guy Geoffroy. Nous devons être reconnaissants au Gouvernement, en particulier à vous, monsieur le garde des sceaux, d'avoir écouté et poursuivi sa réflexion pour parvenir à un nouvel ensemble beaucoup plus cohérent dans ce projet tel qu'il nous est proposé en deuxième lecture.

Dans la mesure où ils ont fait l'objet d'un vote conforme par l'Assemblée et par le Sénat, certains éléments importants du texte ne font plus l'objet de discussion. Je crois cependant nécessaire de les rappeler.

La haute autorité sera indépendante, composée de membres nommés par les plus hautes autorités de la République dont personne ne pourra contester, a priori, la valeur de l'engagement sur tous ces domaines. Elle disposera de moyens financiers, matériels, humains, juridiques et pratiques qui lui permettront de mener des enquêtes et d'assumer toutes ses responsabilités.

Elle aura le devoir de signaler au procureur tout fait lui semblant constitutif d'une infraction pénale, le procureur devant, en retour, informer la haute autorité des suites qu'il aura données à ce signalement. Elle sera chargée d'accompagner la victime pour l'aider à aller devant la justice.

Elle aura également mission de préparer les évolutions législatives ou réglementaires qui s'avéreraient nécessaires au fur et à mesure de son travail et de l'examen des plaintes et éléments d'informations qui seront portés à sa connaissance.

Enfin, le président Clément l'a rappelé, elle aura vocation à promouvoir l'égalité, et Dieu sait si, dans ce domaine où les mots sont souvent galvaudés, le combat ne fait que commencer.

Dans la seconde partie du texte, le Gouvernement, en particulier grâce à vous, mesdames les ministres, apporte une contribution nouvelle sur un sujet sensible, délicat, souvent douloureux, propice à la passion, dans un sens ou dans l'autre, qui exige, si l'on veut être efficace et parvenir à trouver le juste équilibre, que l'on garde le sens de la mesure.

Certes, il faut le rappeler, les discriminations sexistes ou liées à l'orientation sexuelle font déjà l'objet d'incriminations pénales. Toutefois le texte donnera à ces incriminations pénales, c'est important, une valeur supérieure, identique à celle qui est donnée aux incriminations pour discrimination raciste ou antisémite, conformément au discours du Président de la République du 14 octobre 2002.

Que les nouveaux articles 17 bis et 17 ter suscitent des réactions, je le comprends, et je suis de ceux qui respectent totalement les propos, les interrogations, les inquiétudes, les oppositions qui sont formulées par certains d'entre nous à leur propos, mais reconnaissons que l'encadrement proposé dans l'article 17 bis garantit la liberté d'expression, cet autre bien absolu de notre démocratie. Quant à l'article 17 ter, il ne faut pas craindre que l'incrimination accrue qu'il propose en matière pénale menace la liberté d'expression, notamment dans les débats sur les questions relatives au sexe ou à l'orientation sexuelle. Les tribunaux ne pourront pas l'utiliser pour mettre en danger la liberté d'expression, notamment la liberté de la presse.

Ce texte - et ne voyez dans mon propos ni un essai de récupération ni la recherche d'un alibi - vise également à faire mieux respecter les femmes. Depuis dix ans, je suis vice-président d'une association qui gère un centre d'hébergement et de réinsertion sociale et assure, autant qu'elle le peut, la promotion de toutes les actions visant à lutter contre les violences faites aux femmes, sous toutes leurs formes.

Les discriminations, les violences qui les suivent, partent toujours de propos que l'on croit naturels, de jugements que l'on estime « intéressants ». Cet engrenage conduit à ce que, dans notre pays, développé, moderne, une femme sur dix soit victime de violences conjugales. Il ne faut pas l'oublier.

En donnant un outil de plus à nos pouvoirs publics, aux victimes pour lutter contre toutes les discriminations, ce texte équilibré est de nature à rassembler notre société, même s'il présente des difficultés. En créant une haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, en mettant à niveau les incriminations en ce qui concerne les discriminations sexistes ou relatives à l'orientation sexuelle, il opère une avancée prudente, mais déterminée.

Je conçois que d'autres puissent penser différemment, mais je suis convaincu que nous n'avancerons que pas à pas en faisant face à nos responsabilités. C'est pourquoi je vous propose sans hésitation, mes chers collègues, avec fermeté, de saluer le bon travail du Gouvernement et de voter le texte qui nous est proposé. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Christiane Taubira.

Mme Christiane Taubira. Une partie tonitruante de la majorité nous donne l'impression de vouloir légiférer à reculons.

La semaine dernière, dans une discussion hallucinante de méfiance et de sentiments sirupeux, après une controverse mondaine d'apothicaires, le budget de la haute autorité a été diminué de moitié avant même sa création, puis aligné sur celui de l'autorité belge, avant d'être réévalué d'un petit million dans une espèce de soubresaut charitable, ce qui l'a tout de même réduit de 17 %. Il s'est même trouvé un député pour suggérer que, puisque la création de cette haute autorité n'est ni plus ni moins que la transposition d'une directive européenne, la France serait bien inspirée de solliciter le fonds social européen pour contribuer à son budget !

Pour certains, l'Europe n'est donc pas cette ambition moderne, généreuse, efficace, à la mesure d'un monde désorienté où prospèrent les inégalités et les violences ; elle n'est pas ce défi qu'il faut relever, cette œuvre politique encore inachevée, cette sentinelle qu'il faut fortifier ; elle n'est pas cet espoir cardinal dans un monde menacé de se défaire à force de violer ses propres règles et conventions. Non, pour certains l'Europe c'est, au mieux, une vache à lait, au pire, un épouvantail. Elle peut bien être comptable des pratiques discriminatoires en France !

Légiférer à reculons, c'est l'exercice auquel s'est livré M. Garraud avec son amendement de triage. En fait, ce n'est même pas un recul ; c'est carrément une expulsion judiciaire. Certes, il est important de veiller à la préservation de la liberté d'expression, et les tumultes du monde nous rappellent le lourd tribut que les journalistes et reporters paient aux guerres et aux intolérances. Il est délicat de trouver l'équilibre entre l'impérieuse nécessité de préserver cette liberté d'expression et d'opinion et les limites à poser à la liberté de nuire à autrui, cet autrui plus faible. Le devoir de l'État est d'assurer l'égalité de traitement de tous les citoyens prétendument égaux devant la loi.

Avons-nous si peu confiance dans le discernement des juges ? Il ne s'agit pas d'arbitrer entre des droits comparables ou même entre des forces équivalentes, car les capacités d'influence sont différentes, les formes d'organisation, les modalités d'action sont disparates. La discrimination n'est pas un combat de coqs ; c'est un conflit disproportionné : une personne vulnérable parce qu'elle n'est pas dans la norme, parce qu'elle n'est pas standard, se trouve en butte, pour ce qu'elle est, sans qu'elle n'ait rien fait, à une personne plus forte, plus offensive et, plus souvent, à un groupe de personnes, parce que les lâches et les méchants préfèrent chasser en meute, comme les imbéciles. Et, situation plus difficile quoique moins dangereuse, cette personne peut se trouver confrontée à une personne morale puissante ayant autorité et, surtout, pouvoir de représailles. C'est de cela qu'il s'agit.

Un mot sur les discriminations sexistes : tant que nous refuserons de comprendre que les femmes sont non pas une catégorie, mais la moitié du ciel, que l'égalité entre les hommes et les femmes est une exigence démocratique qui doit se traduire par des actes en matière d'égalité des salaires, de lutte contre la pauvreté et la précarité, par des réformes dans l'éducation, nous continuerons à préparer une société bancale dans laquelle des femmes courent un risque de mort jusque dans leur domicile conjugal. Nos larmes de crocodile une fois pas an, au mois de novembre, ne suffiront ni à les ressusciter ni à les protéger.

Nous prétendons lutter contre toutes les discriminations et nous confions à la haute autorité la plus grande part de cette mission. Nous devons lui en fournir les moyens et ce n'est pas avec des airs de vierge effarouchée ou des bougonnements d'Harpagon que nous réussirons à faire reculer les discriminations, à défaut de les éradiquer.

J'ai connu personnellement la brûlure du racisme et de la discrimination. Je sais l'ardeur de son feu d'injustice, le gâchis de talents et l'appauvrissement collectif. Pourtant, je n'éprouve nulle amertume. Je suis même plutôt remplie d'espoir. Simplement, je voudrais vivre dans une société où tous ceux qui sont différents puissent vous dire sereinement, comme moi, avec les mots d'Audre Lorde : « Je suis noir parce que je viens des profondeurs de la terre. Maintenant, recevez ma parole comme un bijou dans la lumière offerte ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des député-e-s communistes et républicains, du groupe Union pour la démocratie française et sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Boutin.

Mme Christine Boutin. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous voilà, une fois de plus, appelés à légiférer sur un texte fondamental. Sans en rappeler l'historique, je me bornerai à évoquer son titre II bis relatif à la lutte contre l'homophobie et le sexisme, intention louable à première vue, même si j'ai le sentiment que les femmes servent une fois de plus d'alibi à l'ensemble du texte.

Qui pourrait être favorable à une quelconque ségrégation ? Qui pourrait être favorable à une discrimination injuste ? Personne ici, tant ce serait contraire à l'histoire de la France et aux principes républicains. Que des personnes soient encore victimes d'agissements inacceptables en raison de leur orientation sexuelle doit être sanctionné, mais notre arsenal juridique actuel le permet déjà, comme l'a montré l'exemple donné par M. le président de la commission.

La nouveauté de ce projet de loi est d'étendre ces sanctions en raison du sexe ou de l'orientation sexuelle d'une personne ou d'un groupe de personnes, en prévoyant que les associations qui combattent ces discriminations pourront se constituer partie civile. On peut se poser la question de savoir pourquoi notre environnement social, politique et philosophique nous conduit à accepter ce fondement sur des critères sexuels - j'y reviendrai - mais j'affirme d'ores et déjà que, si ce texte était adopté en l'état, cela remettrait en cause l'égalité de tous les citoyens devant la loi et menacerait la liberté d'expression.

M. Christophe Caresche. C'est faux !

Mme Christine Boutin. Ce texte instaure un véritable régime communautariste en France,...

M. Patrick Bloche. C'est faux ! Il l'empêche !

Mme Christine Boutin. ...niant l'égalité de tous devant la loi, au mépris de notre principe constitutionnel. Pourquoi privilégier certains groupes de personnes en prenant le risque d'en oublier certains autres ? Comment expliquer à nos concitoyens handicapés que les propos parfois inadmissibles dont ils sont la cible ne relèvent pas de ce projet de loi ?

M. Patrick Bloche. Adoptez notre amendement !

M. le président. Monsieur Bloche !

Mme Christine Boutin. Je n'ai pas besoin de vous, j'en ai déposé moi-même !

Comment leur expliquer que les associations de défense des droits des homosexuels pourront poursuivre tous propos diffamatoires alors que les associations de personnes handicapées ne pourront jamais se constituer partie civile ?

M. Patrick Bloche. Adressez-vous au Gouvernement !

Mme Christine Boutin. Pour poursuivre sur ce thème, faudrait-il ignorer que, dans les cours de récréation, les quolibets homophobes voisinent avec ceux qui visent les enfants trisomiques ?

M. Pierre-Louis Fagniez. Tout à fait !

Mme Christine Boutin. Au nom de quelle égalité traiterait-on différemment homophobie et handiphobie ?

Bien d'autres groupes de personnes pourraient revendiquer des droits spécifiques. Comment pouvons-nous être à l'origine d'une telle rupture d'égalité ? A trop vouloir saucissonner la discrimination en fonction de revendications communautaristes, on finit par créer des formes de discriminations inédites. L'égalité républicaine devant la loi serait entamée par la création de ce genre de privilège. La limitation de la possibilité de se constituer partie civile aux associations reconnues d'utilité publique n'apportera rien à toutes ces personnes qui estiment avoir des droits à défendre et elle ne garantira que provisoirement la réduction des poursuites, car les associations réclameront toutes d'être reconnues d'utilité publique.

Aujourd'hui, deux solutions s'offrent à nous : soit nous renonçons aux articles 17 bis et 17 quater, soit nous étendons l'incitation à la discrimination, à la violence et à la haine et les cas d'aggravation de peines pour diffamation et injure à de nombreuses autres catégories ou communautés et offrons les mêmes droits à toutes les associations qui défendent des intérêts communautaires.

Outre la dérive procédurale dans laquelle cela conduira notre justice et l'instrumentalisation judiciaire que cela engendrera, il convient de se demander si nous sommes prêts à entraîner notre société dans la logique du communautarisme et de la discrimination positive. Cette discrimination positive qui incite à fixer des quotas d'accès ou de présence, à accorder des droits spécifiques à telle ou telle communauté ou groupe de personnes, fait ressortir les différences d'origine, de sexe, de religion ou d'appartenance sociale.

M. Patrick Bloche. Hors sujet !

Mme Christine Boutin. Elle n'est pas dans la tradition française. Elle risque de conduire à la division sociale et de nous entraîner dans la surenchère de revendications de nouveaux droits au motif qu'ils seraient accordés à telle ou telle autre catégorie.

M. Jean-Paul Garraud. Très bien !

Mme Christine Boutin. Ce n'est ni ma conception de la France ni la tradition républicaine.

M. Patrick Bloche. Caricature !

Mme Christine Boutin. Oh, c'est facile !

M. Patrick Bloche. Vous dites des choses fausses !

M. le président. Monsieur Bloche !

Mme Christine Boutin. La France, elle, porte des valeurs universelles qui assurent son unité. C'est à ce prix que la paix sociale est garantie.

S'agissant de la liberté d'expression, il est prévu de sanctionner la provocation à la haine, à la violence et aux discriminations - articles 225-2 et 432-7 du code pénal - et non les conséquences de la provocation. L'article 24 de la loi de 1881 prévoit des sanctions spécifiques pour la provocation non suivie d'effet. Alors, que va-t-on considérer comme de la provocation ? Faudra-t-il que les propos aient un lien très explicite avec les cas de discriminations prévus ?

M. Patrick Bloche. Oui !

Mme Christine Boutin. Remettre en cause l'homosexualité comme modèle de sexualité, refuser le mariage homosexuel ou l'adoption d'enfant pourront-ils être considérés comme une provocation ? Vous nous avez dit que non, mais je n'en suis pas si certaine.

M. Christophe Caresche. Mais si !

Mme Christine Boutin. Tout cela est important, mais, mes chers collègues, les enjeux de ce texte sont ailleurs. N'êtes-vous pas étonnés de constater que la France glisse peu à peu sur des chemins qui renient les principes qui en ont fait la grandeur ? En réalité, ces petits pas successifs ne sont que la traduction insidieuse de l'idéologie du gender.

Qu'est ce courant de pensée ?

Depuis les années cinquante, cette idéologie influente à l'ONU et au Parlement européen remet en question la différence sexuelle comme fait objectif et universel sur lequel repose l'organisation sociale. Elle revendique une organisation fondée sur les tendances sexuelles avec un droit de chacun à déterminer et à construire sa propre sexualité. Elle dénonce à ce titre les normes « hétérosexistes » de la société pour reconnaître toutes les autres formes de couple et de parenté.

M. Patrick Bloche. Hors sujet !

Mme Christine Boutin. L'idéologie du gender affirme également qu'il y a différentes sexualités égales les unes aux autres et que la différence sexuelle homme-femme doit être remplacée par la différence des sexualités. Dans cette perspective, le couple et la famille pourront prendre diverses configurations autres que celles fondées sur la relation entre un homme et une femme. Le gender légitime aussi bien le couple hétérosexuel, homosexuel ou transsexuel que toutes les unions qui se constitueraient à partir des autres tendances sexuelles. C'est du reste votre position, monsieur Bloche. Le terme même d'orientation sexuelle est issu du vocabulaire de ce courant de pensée.

M. Patrick Bloche. En l'occurrence, il vient surtout des directives européennes !

Mme Christine Boutin. Toute la construction de notre droit, qui s'est élaboré au fil du temps selon des principes objectifs et universels, risque ainsi de basculer progressivement du côté de la subjectivité et des désirs individuels. Déjà, on peut observer que certaines associations sont invitées dans nos écoles pour y enseigner cette philosophie.

Ce n'est pas un hasard ni même l'effet de lobbies divers.

M. Christophe Caresche. Ah ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Christine Boutin. Certains groupes homosexuels croient être en train de gagner. En réalité, ils seront vite dépassés par le mouvement de la société qu'ils tendent eux-mêmes à initier. C'est pour cela que j'insiste : nous sommes au début de la mise en place concrète de cette idéologie.

La question qui se pose aujourd'hui est de savoir si nous voulons fonder l'organisation sociale des générations futures sur les principes défendus par l'idéologie du gender.

M. Christophe Caresche. L'organisation de la société n'est pas en cause !

Mme Christine Boutin. Le titre II bis du projet de loi voudrait nous préparer à accepter des fondements différents de ceux qui ont construit notre société. Est-ce vraiment le choix que vous voulez faire, mes chers collègues ? J'ai peine à le croire.

Par ailleurs, en considérant la personne à travers le seul prisme de son orientation sexuelle, ne risque-t-on pas d'exacerber l'homophobie...

M. Christophe Caresche. Vous teniez le même discours au moment de l'adoption du PACS !

Mme Christine Boutin. ...et de faire émerger un réel sentiment d'exaspération à l'encontre de la minorité homosexuelle ? Cette loi serait alors contre-productive.

Pour ma part, je ne suis pas partisane d'un surcroît d'État policier ni de l'avènement d'une nouvelle police des mœurs chargée de réprimer la parole et - pourquoi pas ? - la conscience. Or, derrière ce débat, c'est bien cette question qui nous est posée. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Bloche. Tout cela est complètement faux !

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Monsieur le président, j'ai le sentiment que cet épisode parlementaire pourrait s'intituler « Les conservateurs font de la résistance » (Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), tant le Gouvernement, mesdames les ministres, monsieur le garde des sceaux, nous présente ce projet de loi à marche forcée.

Nous nous souvenons des déclarations du Premier ministre au lendemain de notre initiative de Bègles en faveur de l'égalité des droits et contre la discrimination liée à l'orientation sexuelle. Il avait alors lâché la promesse d'un projet de loi tendant à réprimer spécifiquement les propos homophobes et l'incitation à la haine homophobe, comme il existe, à juste titre, une loi condamnant l'incitation à la haine raciste et antisémite.

Les vacances sont passées, les promesses ont été oubliées et le Gouvernement a décidé de remettre à plus tard ce projet de loi réclamé depuis longtemps par les associations. Non, madame Boutin, celles-ci ne sont pas des communautés. Elles sont seulement composées d'hommes et de femmes réclamant le respect au sein d'une société qui doit défendre les valeurs universelles et considérant qu'il ne peut pas y avoir de hiérarchie dans les discriminations. En effet, il n'y a pas, dans une démocratie, de grandes et de petites discriminations. Toutes, quelles qu'elles soient, doivent être combattues avec la même détermination.

Mme Christine Boutin. Tout à fait !

M. Noël Mamère. S'il est vrai que, depuis peu, les associations qui défendent les homosexuels et les transsexuels ont le pouvoir d'ester en justice,...

Mme Christine Boutin. Mais pas les associations de défense des handicapés !

M. Noël Mamère. ...il a fallu des années avant que l'on accepte l'idée que les homosexuels et les transsexuels pouvaient être défendus.

Aujourd'hui, en créant une haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, nous ne faisons rien d'autre que d'appliquer a minima une directive européenne vieille de quatre ans, tandis que les engagements pris à Troyes par le Président de la République remontent à la campagne électorale de 2002.

Au nom du Gouvernement, M. le garde des sceaux éprouve le besoin de présenter quelques amendements aux sénateurs pour faire bonne figure et se donner en quelque sorte bonne conscience. Le Gouvernement va se servir de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité comme d'une vitrine. Il dira au bon peuple : « Voyez, nous luttons contre les discriminations et pour l'égalité des droits ! »

En fait, nous savons déjà ce qu'il manque à ce texte. Celui-ci n'aborde ni les questions de genre - je pense en particulier au problème des transsexuels qui sont les plus discriminés parmi les discriminés - ni la situation des malades ou des personnes handicapées.

Je suis consterné - je le dis avec force devant son président - que la commission des lois de l'Assemblée nationale ait accepté l'amendement de notre collègue M. Garraud, qui vise purement et simplement à rendre ce projet de loi inapplicable. Votre majorité elle-même ne peut pas accepter, monsieur le président de la commission des lois, que l'Assemblée vote un amendement allant à l'inverse de l'intention qui a présidé à la mise en œuvre de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité.

C'est honorer la République que de le repousser, car, tous autant que nous sommes, quelles que soient les différences entre la droite et la gauche, nous sommes attachés au respect des valeurs universelles. Notre pays prétend exporter les valeurs de la démocratie et de la tolérance. 

M. Jean-Paul Garraud. Commencez par respecter ses lois !

Mme Christine Boutin. Très juste !

M. Noël Mamère. Nous ne pouvons pas accepter que certains d'entre nous profitent aujourd'hui d'arguments juridiques et prétendument techniques pour brider les associations en ne leur permettant d'ester en justice que si elles sont reconnues d'utilité publique.

À l'occasion d'un autre projet de loi, nous avons déjà vu le Gouvernement, avec la complicité du président de la commission des lois et du garde des sceaux, tenter d'empêcher les citoyens de se porter partie civile. Ce faisant, il ne luttait pas simplement contre la liberté d'expression ; il reniait aussi nos droits démocratiques.

Il est indéniable que le Gouvernement procède à un effet d'appel, à un effet vitrine, en créant cette autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. Sur les bancs de la gauche, nous avons dû lutter - malheureusement, pas tous avec la même détermination - contre le projet de loi de M. Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, qui inventait de nouvelles discriminations, et contre ce que nous avons appelé la loi Perben II, qui, en faisant reculer les droits de la défense, introduisait de nouvelles discriminations dans notre pays qui n'en avait nullement besoin.

Mme Christine Boutin. Hors sujet !

M. Jacques-Alain Bénisti. Il ne faut pas tout mélanger.

M. Noël Mamère. Non, madame Boutin, lorsque, à la tribune de l'Assemblée nationale, nous affirmons que nous voulons défendre les valeurs universelles, nous ne défendons pas un communautarisme qui rongerait notre pays, ni je ne sais quelle ethnicisation qui serait le poison de notre société.

Mme Christine Boutin. La démonstration se fait d'elle-même !

M. Noël Mamère. Nous disons seulement que chacun doit être à sa place dans la société et qu'il doit être respecté pour ce qu'il est, non pour ce qu'il représente.

Mme Christine Boutin. Absolument ! Sur ce point, nous sommes d'accord.

M. Noël Mamère. C'est la raison pour laquelle les députés verts s'abstiendront dans le vote sur ce projet. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Barèges.

Mme Brigitte Barèges. La lutte contre les discriminations est un enjeu aussi vieux que le monde, puisque la nature, par essence, est source d'inégalités et de discriminations. Quant à l'égalité, c'est le fondement même de la trilogie de notre République, mais force est de constater qu'elle est loin d'être une réalité concrète, notamment pour les femmes.

Si nous légiférons aujourd'hui, c'est précisément parce que le principe de liberté et d'égalité de droit ne s'impose pas encore à tous sur notre territoire. C'est la raison pour laquelle j'avais accepté d'être rapporteure du volet du texte initial relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe, parce qu'il s'agissait de défendre et de protéger la dignité de la personne, et d'œuvrer pour un monde plus juste et plus solidaire.

Lors des auditions, j'ai pu mesurer tout l'enjeu de ce texte et la forte attente de celles et de ceux qui subissent les discriminations et les violences verbales ou physiques dans l'indifférence, le mépris goguenard ou, pire, dans une attitude de franche hostilité. Ce texte était donc juste et attendu, mais il est vrai qu'il méritait d'être amendé.

L'une des premières modifications que j'avais proposées à la suite des auditions, était d'aligner le dispositif concernant le sexisme sur celui relatif à l'homophobie. Comment pouvait-on en effet accepter que le sexisme soit relégué au rang d'incidente de l'homophobie ? Je suis heureuse que le Gouvernement ait entendu cette supplique des femmes qui, cela a été rappelé, représentent tout de même plus de la moitié de la population.

À ce sujet, je veux solennellement rappeler que ce texte qui n'a été médiatisé qu'au travers de la lutte contre l'homophobie répond aussi à une attente forte des associations féministes.

M. Christophe Caresche. Très juste !

Mme Brigitte Barèges. Prétendre que l'arsenal législatif actuel suffit pour punir les vrais délits revient à occulter ce point fondamental qu'est l'éradication de la cause des délits et le fait que le passage à l'acte violent s'enracine déjà dans des propos ou des images dégradants, banalisés et, par là même, légitimés par notre culture et par notre société.

Si l'on ne rappelle pas de manière forte la notion morale et juridique d'interdit et le nécessaire respect que les médias doivent à la personne, notamment à la femme, il ne faut pas s'étonner de voir se développer des viols en réunion ou des drames comme ceux qu'ont subis Sohane ou Sébastien Nouchet.

Parce que les violences faites aux femmes ou aux homosexuels se manifestent à des degrés divers dans les mots, les têtes et les corps, il faut rappeler avec force que notre République n'acceptera plus la négation de l'autre fondée sur le genre ou sur l'identité sexuelle.

Le texte initial, dont j'étais rapporteure, avait suscité de nombreuses critiques. Certains craignaient qu'il ne limite la liberté d'expression ou le débat d'opinion, notamment au sein des églises, ou qu'il n'apporte une différence de traitement entre les femmes et les homosexuels. Aujourd'hui, je pense sincèrement que le texte remanié constitue une avancée sociale majeure et équilibrée.

M. Christophe Caresche. Très bien !

Mme Brigitte Barèges. La fusion des deux textes, je ne la subis pas. Elle me paraît au contraire opportune en termes de calendrier, puisqu'elle nous permet de voter avant la fin de l'année, comme le Gouvernement s'y était engagé, deux textes consacrés, l'un à la création de la haute autorité, l'autre à la discrimination.

En outre, elle m'apparaît comme parfaitement cohérente. En effet, nous parachevons le dispositif qui vise à lutter contre toutes les formes de discrimination.

M. Claude Goasguen. Pas du tout !

Mme Brigitte Barèges. En créant la haute autorité, nous alignons sur la législation relative au racisme et à l'antisémitisme les dispositions concernant les propos diffamatoires en matière sexiste et homophobe.

M. Claude Goasguen. Et les autres ?

Mme Christine Boutin. Et les propos relatifs aux handicapés ?

Mme Brigitte Barèges. Cela institue un juste équilibre entre les principes constitutionnels et l'égalité des droits. Ce nécessaire équilibre, Victor Hugo l'appelait déjà de ses vœux en écrivant : « Le législateur, en élaborant la loi, ne doit jamais perdre de vue l'abus qu'on peut en faire. »

C'est ce juste équilibre entre la liberté d'expression et la protection de la personne que la loi plus que séculaire du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse avait su édifier, avec l'apport de la jurisprudence. Parce que la liberté d'expression n'emporte pas le droit de tout dire, ce texte sanctionne en même temps les abus commis dans l'exercice de la liberté d'expression, c'est-à-dire les délits de diffamation et d'injure.

A cet égard je m'adresse à ceux qui prétendent aujourd'hui que la liberté est en danger. De quelle liberté parlent-ils ? Notre devoir n'est-il pas plutôt de protéger la partie de la population qui est la plus opprimée et la plus faible ?

Enfin, à ceux qui prétendent qu'ils ne voient pas l'opportunité d'aggraver les sanctions pénales relatives à la diffamation et à l'injure dès lors qu'elles revêtent un caractère sexiste ou homophobe, je tiens à rappeler qu'ils ont déjà voté, l'année dernière, voire cette année, des textes créant précisément une circonstance aggravante de cette nature. Ce sont, on l'a rappelé, la loi sur la sécurité intérieure et la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

M. Claude Goasguen. C'est suffisant. Évitons d'empiler les textes !

Mme Brigitte Barèges. Pourquoi ce qui était vrai hier ne le serait-il plus aujourd'hui ? De quelle vérité veulent-ils parler ? Au contraire, pour les mêmes motifs qu'en 2003 et en 2004, nous devons voter les adaptations nécessaires.

M. Claude Goasguen. En l'occurrence, il ne s'agit pas de simples adaptations, mais de qualifications nouvelles !

Mme Brigitte Barèges. Une loi ne peut pas faire évoluer les structures mentales du jour au lendemain, mais elle peut contribuer, dans un contexte d'évolution comme le nôtre, à les modifier.

J'en veux pour preuve la politique volontariste que nous avons su mener contre la consommation tabagique ou pour faire respecter le principe de places de stationnement réservées aux handicapées.

Mes chers collègues, nous ne pouvons pas rester sourds aux sollicitations et aux attentes fortes des femmes et des homosexuels. Aux plus sceptiques d'entre nous, je veux rappeler la phrase d'Albert Memmi - « La tolérance est un exercice et une conquête sur soi » - et, surtout, celle de Kofi Annan : « La tolérance est une vertu qui rend la paix possible. » Ne ratez pas ce rendez-vous qui nous est offert d'être des acteurs de cette paix sociale tant attendue. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Garraud.

M. Jean-Paul Garraud. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mesdames les ministres, dans le temps très bref qui m'est imparti, je ne traiterai que des articles qui ont été ajoutés au projet initial de création de la haute autorité de lutte contre les discriminations, projet initial que j'avais voté sans hésitation, car je suis opposé à toute forme de discrimination.

Je ne reviendrai pas sur la méthode qui a consisté à retirer le projet de loi relatif à la lutte contre les propos sexistes de l'ordre du jour de l'Assemblée nationale pour, aussitôt, déposer des amendements en reprenant les dispositions essentielles dans le texte qui nous est soumis et qui a été examiné et voté rapidement par le Sénat. Néanmoins, je rappellerai pour mémoire que le projet de loi a été retiré à la suite de l'avis donné par la commission nationale consultative des droits de l'homme, qui a confirmé mon analyse de l'inutilité du texte et de sa dangerosité pour la liberté d'expression et la liberté de la presse. Présenter les articles 17 bis, 17 ter et 17 quater nouveaux comme ayant réglé toutes les difficultés soulevées par la commission nationale n'est qu'en partie exact.

Si je partage votre avis, monsieur le garde des sceaux, au sujet de l'article 17 bis, qui pénalise les provocations à la haine et à la violence génératrices de discriminations au sens des articles 225-2 et 432-7 du code pénal, je considère toujours que les articles 17 ter et 17 quater sont inutiles et dangereux.

Ils sont d'abord inutiles car notre majorité et notre gouvernement ont déjà agi efficacement pour combattre ces discriminations inadmissibles. En effet, la loi Sarkozy du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure et la loi Perben II du 9 mars 2004 sur la grande criminalité ont déjà prévu toute une série de circonstances aggravantes en cas de propos homophobes ou sexistes accompagnant une infraction. Je pense, par exemple, à l'article 132-77 du code pénal, qui est actuellement en vigueur.

La possibilité de répression existe donc déjà. La preuve : aucune décision de jurisprudence, qu'elle émane d'un tribunal de grande instance, d'une cour d'appel ou de la Cour de cassation, ne fait état d'un vide juridique en la matière.

M. Patrick Bloche. Si, la Cour de cassation, en 2001 !

M. Jean-Paul Garraud. Mes critiques portent sur les articles 17 ter et quater nouveaux, qui visent les diffamations et injures commises envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle, ainsi que les droits reconnus à des associations de se constituer partie civile.

Le droit pénal doit être très précis dans ses incriminations, surtout quand il prévoit des peines privatives de liberté. L'imprécision n'est ni tolérable ni légale.

Il convient tout d'abord de rappeler que la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence - qu'un grand nombre d'entre vous a votée - a supprimé les peines d'emprisonnement pour les délits de diffamation et d'injure. Cette suppression a été dictée par l'incompatibilité existant, au regard de nos engagements européens, entre une telle peine et le droit pénal de la presse. Or les articles proposés renouent avec les peines d'emprisonnement, ce qui est manifestement disproportionné en matière de droit pénal de la presse.

M. Patrick Bloche. Elles existent dans la loi de 1881 !

M. Jean-Paul Garraud. Le principe de proportionnalité entre les sanctions et leurs répercussions sur la liberté de la presse est essentiel.

En outre, ces nouveaux délits paraissent inutiles, car le délit général de l'article 29 de la loi de 1881 vise déjà « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne ». Or ce texte s'entend très largement, de sorte qu'il peut parfaitement inclure l'imputation d'un fait concernant l'orientation sexuelle.

M. Patrick Bloche. C'est faux !

M. Jean-Paul Garraud. Selon la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 7 novembre 1989, « les lois qui punissent la diffamation protègent tous les individus sans prévoir aucun cas d'exclusion fondé sur des éléments comme les conceptions personnelles et subjectives ou l'opinion ». Nous disposons donc de tout l'arsenal juridique.

M. Claude Goasguen et M. Marc Le Fur. Très bien !

M. Jean-Paul Garraud. L'incrimination des propos diffamatoires à raison du sexe ou de l'orientation sexuelle est particulièrement inquiétante. Il convient en effet de rappeler qu'en droit pénal, il faut alléguer des faits précis commis à l'encontre d'une personne ou d'un groupe de personnes. Tout dépendra de ce que la jurisprudence voudra bien mettre dans cette définition s'agissant de la protection des femmes et des homosexuels.

M. Patrick Bloche. Quel mépris !

M. Jean-Paul Garraud. On peut donc s'attendre à de nombreux procès, car il faudra bien que la jurisprudence s'établisse, surtout s'il est permis à de simples associations de se constituer parties civiles, c'est-à-dire de mettre en mouvement l'action publique, de lancer les poursuites. Quelles seront alors les limites acceptables à la protection de l'honneur et de la considération pour garantir la liberté d'expression ? Comment réagiront les éditeurs et, plus généralement, les médias et les journalistes à propos des opinions qui seront émises sur l'homosexualité ou le féminisme ?

Ces nouveaux délits risquent d'autant plus d'entrer en conflit avec la liberté de la presse que, selon la Cour européenne des droits de l'homme, « la liberté journalistique comprend le recours possible à une certaine dose d'exagération, voire de provocation » et que « la liberté d'expression vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inopportunes ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent ».

Les associations revendiquant des droits pour la défense des communautés homosexuelles, transsexuelles et autres feront-elles vraiment la différence entre les propos qui peuvent choquer sans être injurieux et les propos diffamatoires ? Rien n'est moins sûr, puisqu'elles pourront lancer l'action publique. Et même si le processus judiciaire s'achève par un non-lieu ou une relaxe, la liberté d'expression aura été sérieusement malmenée.

Les directeurs de publication, les journalistes prendront-ils le risque de se retrouver mis en examen lorsqu'ils auront déplu en relatant des opinions tranchées - au sens de la Cour européenne des droits de l'homme -, mais pas forcément diffamatoires ? Le risque important de poursuite ne fera-t-il pas naître de nouvelles formes de censure et d'autocensure ?

L'analogie faite avec les propos racistes renvoie à une catégorie qui a un support constitutionnel - le Préambule de la Constitution de 1946 -, ce qui n'est aucunement le cas de l'homophobie.

Par ailleurs, permettre à de simples associations d'engager l'action publique est particulièrement dangereux, d'abord parce que certaines d'entre elles sont très procédurières, ensuite parce que donner des droits à un groupe est radicalement contraire à l'universalité des droits de l'homme. Nos droits ne sont pas définis par notre appartenance à telle ou telle communauté, mais simplement par notre qualité d'être humain, quelles que soient nos croyances, nos opinions, notre culture, notre langue, nos origines.

Ce texte pose donc un véritable problème de constitutionnalité.

M. Marc Le Fur. Très juste !

M. Jean-Paul Garraud. À cet égard, le Conseil constitutionnel a rendu une décision essentielle le 19 novembre dernier, alors qu'il avait été saisi par le Président de la République en application de l'article 54 de la Constitution, à propos de la procédure de ratification du traité établissant une constitution pour l'Europe. Dans cette décision, le Conseil précise, au point n° 16, « que sont dès lors respectés les articles 1er à 3 de la Constitution qui s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance ».

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Il ne s'agit pas de cela !

M. Patrick Bloche. Vous mélangez tout !

M. Jean-Paul Garraud. Ce considérant marque la volonté du Conseil de donner la primauté à l'individu et non au groupe, afin d'éviter le communautarisme qui est radicalement contraire à l'unité de la nation et à l'ordre public. La République ne doit pas devenir une mosaïque de communautés aux intérêts catégoriels antagonistes.

Tel est, ainsi résumé, le sens de ma démarche, dont la seule et unique motivation repose sur ma conviction qu'il faut défendre les libertés fondamentales. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion.

Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, comme nous le constatons à l'occasion de cette seconde lecture devant votre assemblée, le projet de loi portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité paraît désormais équilibré, ainsi que l'a rappelé le président de votre commission des lois, M. Pascal Clément.

Je remercie Mme Barèges et M. Geoffroy d'avoir souligné que la haute autorité jouera un rôle essentiel au côté des associations qui œuvrent en matière de prévention et qu'elle bénéficiera de véritables moyens d'investigation, sans pour autant empiéter sur les prérogatives de la justice.

Chacun le sait, la question des discriminations est avant tout un problème de preuve et, le plus souvent - vous avez raison, madame Taubira -, un combat inégal entre le discriminé et le discriminant, le premier étant souvent dépourvu de moyens financiers et juridiques. Il fallait donc rétablir une égalité. Je partage votre sentiment, madame Comparini : notre texte est un texte d'espoir et non une vitrine.

Les dispositions relatives à la lutte contre les propos sexistes et homophobes s'intègrent utilement dans un texte visant à améliorer la lutte contre toutes les discriminations. Je limiterai cependant mon propos au sujet qui me concerne très directement, c'est-à-dire la haute autorité. Dominique Perben et Nicole Ameline vous répondront sur les titres II et II bis lors de l'examen des amendements.

Sur le principe de la haute autorité, il est parfaitement inexact, monsieur Bloche, de dire que ce texte n'est pas fidèle aux propositions du rapport Stasi. Il en est au contraire l'exacte traduction législative. Ensuite, c'est faire une lecture caricaturale de ce rapport et du projet de loi que de qualifier la haute autorité de simple observatoire des discriminations. Si le Parlement est saisi de ce texte, c'est bien parce qu'il dote la nouvelle institution de véritables pouvoirs, la discussion des articles ne manquera pas de le faire apparaître une nouvelle fois.

Enfin, je comprends que vous regrettiez de n'avoir pas vous-mêmes conçu et mis en place cette nouvelle autorité indépendante après qu'une proposition argumentée vous en a été faite dans un rapport commandé en son temps à M. Belorgey par Mme Aubry. Ce rapport n'avait eu aucune suite, et c'est dommage. Nous avons perdu du temps et il nous faut aujourd'hui le rattraper.

Deux points précis ont été soulevés par plusieurs orateurs et j'espère que mes réponses rassureront, au moins en partie, M. Dutoit.

Il est vrai que la lutte contre les discriminations est avant tout une question d'efficacité. C'est pourquoi, comme l'a indiqué Jean-Louis Borloo en ouvrant la discussion générale, la haute autorité disposera d'un budget de 10,7 millions d'euros. Celui-ci est important, alors que tout est à créer, et il est à la hauteur des enjeux pour notre cohésion sociale.

Quant aux délégués territoriaux, madame Comparini, qu'ils soient prévus par la loi ou par le décret, ils existeront bien, car ils sont indispensables à la proximité et à l'accessibilité de la haute autorité.

Le projet de loi portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité marque la volonté du Gouvernement de faire tomber les barrières et les préjugés qui persistent dans notre pays et qui affaiblissent l'idéal républicain d'égalité.

Mme Christine Boutin. Non !

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Conformément aux engagements pris par le Président de la République devant les Français en octobre 2002 et par le Premier ministre en avril 2003 et avec, je l'espère, un consensus de la représentation nationale, la haute autorité pourra être mise en place au début de l'année prochaine et se mettre au travail sans délai. C'est ainsi, mesdames, messieurs les députés, que sera rehaussé le principe d'égalité qui nous est collectivement cher. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Je me contenterai de répondre sur certains sujets abordés dans la discussion générale puisque j'aurai l'occasion de présenter la position du Gouvernement de façon plus détaillée lorsque nous examinerons les amendements.

La raison d'être des articles relatifs à la lutte contre l'homophobie et le sexisme, mesdames et messieurs les députés, c'est la violence constatée dans la société française d'aujourd'hui. Si cette violence n'existait pas, ces articles ne se justifieraient pas.

La seconde réalité contre laquelle nous avons voulu lutter est l'inégalité. A cet égard j'ai été très surpris par les propos selon lesquels le texte proposé par le Gouvernement pourrait aboutir à une rupture de l'égalité des droits, alors qu'il s'agit, au contraire, de construire une véritable égalité des droits, dans le respect de la dignité et de la spécificité de chaque être humain.

Lorsque le Parlement introduit dans la loi des droits nouveaux, il a toujours à concilier des impératifs en apparence contradictoires. Il s'agit aujourd'hui de deux libertés de nature différente : la liberté de choix des personnes et la liberté d'expression. À nous de rendre conciliables ces deux libertés fondamentales, ce qui n'est jamais facile, sinon il n'y aurait pas lieu de débattre.

Mon propos, ce soir, est de vous convaincre, après avoir beaucoup réfléchi et consulté les responsables d'organisations philosophiques et religieuses, la commission nationale consultative des droits de l'homme, ainsi qu'un grand nombre de parlementaires, car le débat est ouvert depuis plusieurs mois. Ne m'adressez en effet pas le reproche, monsieur Garraud, d'avoir apporté une réponse trop rapide, sans que le débat ait été ouvert. Cela fait des mois que l'on discute de cette question, y compris au sein de l'UMP. Le Gouvernement a ensuite choisi de partir, non pas du texte qui avait été approuvé en conseil des ministres au mois de juin, mais d'amendements au texte sur la haute autorité contre les discriminations, en tenant compte des observations formulées par les uns et les autres.

Je veux souligner que ce projet respecte deux principes qui me paraissent fondamentaux.

Le premier est le droit des associations à exprimer des points de vue et à défendre des positions. Comment prétendre que l'action des associations serait l'expression d'un communautarisme ?

M. Jacques Myard. Bien sûr que si !

M. le garde des sceaux. Je ne peux adhérer à cette position (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Anne-Marie Comparini. Absolument !

M. le garde des sceaux. Enfin, j'ai veillé à ce que les amendements que je propose au nom du Gouvernement respectent le droit d'expression, le droit au débat, la défense des points de vue de chacun relatifs aux modes de vie. C'est ce qui me permet de dire que ce texte est équilibré, et c'est la raison pour laquelle je le défends avec conviction (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle.

Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nos droits se construisent chaque jour. Nous devons mener une lutte constante contre les violences sous toutes leurs formes, dont les discriminations - quelles qu'en soient la forme, l'origine, l'expression, la nature - ne sont pas des violences atténuées. Ces violences doivent être combattues car elles sont aujourd'hui encore trop fréquentes, y compris dans les sociétés modernes.

C'est dire l'importance des amendements qui réaffirment avec la force du droit les valeurs fondamentales auxquelles nous croyons, celles du respect et de la dignité de la personne. « Le droit d'avoir des droits », pour reprendre la célèbre formule d'Hannah Arendt, commence par le droit de pouvoir répondre à la violence, ce qui relève, me semble-t-il, de notre responsabilité collective. Dès lors, il fallait réussir ce que beaucoup de gouvernements avaient tenté sans succès et que, s'agissant du sexisme, les femmes attendent depuis vingt ans. Ce magnifique projet de la création d'une haute autorité de lutte contre les discriminations constitue une étape décisive dans la lutte contre ces violences que sont les discriminations.

Après avoir été enrichi et amélioré par de multiples remarques et observations, ce texte nous paraît équilibré, surtout à l'issue de la semaine consacrée aux violences dont les femmes sont victimes. Il concilie la liberté d'expression et la reconnaissance de chaque individu comme sujet de droit. C'est une évolution législative qui répond à la demande légitime non seulement de nombre d'associations, mais aussi d'une très grande majorité de femmes. Ce texte participe d'une volonté affirmée d'aller dans le sens de plus de liberté, de responsabilité et, sans aucun doute, du droit au respect et à l'affirmation de soi.

Les interventions relatives à l'alignement des peines en matière de sexisme, notamment celles de Mme Comparini et de Mme Barèges, m'ont confortée dans l'idée qu'il est nécessaire de faire progresser l'égalité. De la même façon, la restriction du champ de la discrimination permet de préserver la liberté de presse et d'opinion, à laquelle nous sommes fondamentalement attachés.

Ce texte place la France en avant-garde européenne, et je tiens à dire à Mme Boutin que la notion de genre ne conduit nullement à une quelconque inégalité, bien au contraire, puisqu'il s'agit de mettre en œuvre l'égalité entre les hommes et les femmes, dont nous savons tous qu'elle a encore beaucoup de progrès à faire. Cette position d'avant-garde, comme l'a souligné Mme Barèges, place la France en résonance avec les valeurs qu'elle porte dans le reste du monde.

Enfin, le projet de loi offre aux associations un droit élargi d'ester en justice dans une matière où elles interviennent déjà, mais de manière restrictive. Il paraît légitime de leur ouvrir un nouveau champ d'action et de responsabilité.

Ce texte nous permet d'entrer résolument dans une société plus juste, plus moderne, plus humaine, ce dont nous devons être fiers. Il est plus que jamais essentiel de considérer la différence comme un facteur d'enrichissement, et non plus d'exclusion (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Discussion des articles

M. le président. J'appelle maintenant, dans le texte du Sénat, les articles du projet de loi sur lesquels les deux assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte identique.

Avant l'article 1er

M. le président. Nous commençons par l'amendement n° 54, qui tend à insérer un article additionnel avant l'article 1er.

La parole est à M. Patrick Bloche, pour le soutenir.

M. Patrick Bloche. Nous présentons à nouveau cet amendement que nous avions déjà défendu en première lecture, en espérant qu'il recevra un accueil plus favorable d'autant que, dans sa forme actuelle, le projet de loi justifie encore davantage l'adoption de cet amendement.

En effet, dans la mesure où nous sommes partis de la création d'une haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité pour y intégrer la transposition d'une directive européenne - imparfaitement d'ailleurs, car le Sénat, sur l'aménagement de la charge de la preuve, a accompli un meilleur travail que nous - relative aux propos discriminatoires à caractère sexiste et homophobe, il est nécessaire de donner de la cohérence au texte obtenu. Pour cela, nous proposons de rappeler que la politique publique de lutte contre les discriminations et pour l'égalité concerne la répression et la sanction des discriminations et des atteintes à l'égalité, mais aussi l'éducation, la prévention et la médiation.

Cet amendement marque l'affirmation d'une volonté politique de lutter contre les discriminations à laquelle la représentation nationale pourrait souscrire, notamment en fixant des rendez-vous réguliers - par exemple tous les cinq ans, comme nous le proposons - lors desquels la loi redéfinirait les orientations de cette politique publique, sur la base de rapports remis par le Gouvernement. Cela impliquerait la mobilisation de moyens, mais il en résulterait une plus grande visibilité en ce domaine.

Tel est l'objet de notre amendement : donner de la cohérence et de la force à la politique publique de lutte contre les discriminations.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Cet amendement est tout à fait conforme à l'esprit du projet, monsieur Bloche, mais il me paraît tomber sous la critique du vice-président du Conseil d'État qui observe que la loi devient bavarde. Tout ce que vous proposez, ce sera à la haute autorité d'y donner suite, en particulier dans le domaine de la médiation qui sera au cœur de ses compétences. Je suis tout à fait d'accord avec les principes que vous énoncez, mais vous ne faites qu'enfoncer des portes ouvertes. C'est pourquoi la commission a repoussé cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. L'avis du Gouvernement est défavorable, pour les mêmes raisons.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 54.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Après l'article 1er

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 42, tendant à insérer un article additionnel après l'article 1er.

La parole est à M. Noël Mamère, pour le défendre.

M. Noël Mamère. Le texte limite les compétences de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, en reprenant une liste de discriminations déjà inventoriées. C'est pourquoi nous proposons que la haute autorité soit compétente pour tout type de discriminations, y compris celles qui sont le fruit manifeste d'une inégalité de droit.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Peut-être vais-je l'apprendre à M. Mamère : la discrimination au sens où nous l'entendons est précisément définie par l'article 225-1 du code civil. On ne peut sortir de cette définition, ce qui signifie que les seules discriminations juridiquement reconnues sont celles définies par le code civil.

Cela étant, nous comprenons bien le sens de votre proposition et je ne vois pas ce qui empêcherait la haute autorité de se saisir de ce qui lui paraîtrait constituer une discrimination. Je donnerai tout à l'heure lecture de l'article 225-1, qui fournit la définition exacte de la discrimination.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

J'ajoute qu'il n'est pas possible de donner compétence à la haute autorité sur les discriminations qui ne sont pas prohibées par la loi. En revanche, il lui sera possible de présenter au Gouvernement toute proposition tendant à modifier ou à compléter la loi si nécessaire.

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Je souhaite appeler l'attention de M. le président de la commission des lois sur un point de droit : la convention européenne des droits de l'homme prescrit bien que les textes fondamentaux doivent être interprétés à la lueur de l'évolution de la société. Telle est d'ailleurs la pratique suivie par nos magistrats depuis deux siècles. Or, depuis la rédaction du code civil, la société a évolué, et la haute autorité de lutte contre les discriminations devrait pouvoir se saisir de ces formes d'inégalité de droits qui ne sont pas répertoriées par le code civil. Il faut lui en donner les moyens.

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. En fait, c'est à l'article 225-1 du code pénal que je me référais !

M. Noël Mamère. Le code pénal est, comme le code civil, l'œuvre du législateur, et l'interprétation de ces textes fondamentaux est nécessaire à toute innovation en matière d'égalité des droits.

S'agissant du code civil, je vous rappelle que l'article 144 relatif au mariage date de 1804. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. C'est la loi !

M. Noël Mamère. On devrait aujourd'hui pouvoir l'interpréter au regard du préambule de la Constitution de 1958 et de la convention européenne des droits de l'homme sans pour autant être suspendu de ses fonctions de maire pendant un mois par le ministre de l'intérieur. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Nadine Morano. C'est la loi !

M. le président. Ce n'est pas le sujet de ce débat !

Je mets aux voix l'amendement n° 42.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 2

M. le président. Sur l'article 2, je suis d'abord saisi de l'amendement n° 44.

La parole est à M. Patrick Bloche, pour le présenter.

M. Patrick Bloche. La composition du collège de la haute autorité nous laisse toujours aussi insatisfaits. Comme je l'ai indiqué dans la discussion générale, nous jugeons, en effet, cette instance excessivement institutionnelle. En l'occurrence, le Sénat a malheureusement suivi la majorité de notre assemblée.

Qui désigne les onze membres du collège ? Le Président de la République, le président du Sénat, le président de l'Assemblée nationale, le Premier ministre, le vice-président du Conseil d'État, le Premier président de la Cour de cassation et le Président du Conseil économique et social. Or la lutte contre les discriminations et pour l'égalité est un domaine dans lequel les associations jouent, depuis des années pour certaines, un rôle majeur. Celui-ci a d'ailleurs été reconnu il y a quelques instants par M. le garde des sceaux qui a fort justement souligné que prendre la défense de victimes de discriminations relevait non pas du communautariste mais de la défense des droits de l'homme, et je l'en remercie.

Nous souhaiterions donc que les associations et les syndicats soient également représentés au sein de la haute autorité car les discriminations que nous visons s'exercent - ô combien souvent !- dans l'entreprise et dans des conditions extrêmement pénibles pour les salariés.

C'est la raison pour laquelle, nous proposons de porter le collège de la haute autorité de onze à dix-neuf membres en ajoutant à la composition actuellement envisagée quatre membres désignés par la haute autorité et choisis parmi les organisations syndicales représentatives, et quatre membres toujours désignés par la haute autorité et choisis parmi les associations dont l'objet est la lutte contre les discriminations et pour l'égalité. Nous proposons donc un rééquilibrage. Nous avons en effet tous intérêt à « embarquer », si j'ose dire, les associations et les syndicats. Cela renforcera la légitimité de la haute autorité.

Certes, je sais qu'on va me répondre qu'à l'article 3, le Sénat a fait en sorte que les associations soient davantage associées aux actions et aux missions de la haute autorité. Je pense toutefois que cela est insuffisant. Avec notre amendement, c'est le cœur du dispositif qui est visé.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Le débat en commission a été long sur ce point et il appartiendra à l'Assemblée de trancher.

Vous venez de donner la liste, monsieur Bloche, des autorités qui, traditionnellement, nomment les membres de ce type de haute autorité indépendante. C'est du reste un système très français, j'allais dire déposé, qui répond à ce souci de pluralisme que, les uns et les autres, nous souhaitons voir intégré dans les nominations. En effet, et même s'il y a des époques plus ou moins heureuses, je vous l'accorde, toutes les autorités ne sont généralement pas de la même famille d'esprit.

Vous souhaitez ajouter les associations à la liste figurant déjà dans le projet. Il est clair que cette haute autorité aura pour finalité d'aider toutes les victimes de discriminations dans leur légitime besoin de se faire reconnaître des droits ou de recouvrer leur honneur ou leur dignité, si ceux-ci venaient à être menacés. Néanmoins il ne s'agira en aucun cas de se comporter en militants, c'est-à-dire d'aller chercher la victime et d'en faire une sorte d'exemple, ce qui pourrait tenter une association.

Nous n'en avons pas moins besoin des associations. Comment, dès lors, les associer au travail de la haute autorité ?

En première lecture, l'Assemblée avait précisément adopté un amendement tendant à prévoir que la haute autorité « devait » - et non plus  « pouvait »  - décider la création auprès d'elle de tout organisme consultatif permettant d'associer à ses travaux des personnalités qualifiées choisies parmi les représentants des associations et des syndicats. C'est donc le comité consultatif qui apportera son expérience, sa connaissance de tous les problèmes dont devra se saisir la haute autorité.

Il importe de veiller à ce que les associations, même par leur présence, ne compromettent pas la neutralité de la haute autorité et ne portent pas atteinte à la sérénité de son jugement. Il s'agit d'un problème de fond. N'oubliez pas que, plus loin dans le texte, il est fait allusion, s'agissant des personnalités nommées, aux fonctions antérieures qu'elles ont pu avoir. Or cela vise typiquement les responsables d'association. Je ne doute pas, en effet, que les autorités chargées de procéder aux désignations finiront pas nommer tel ou tel responsable d'association. Dans ce cas, la personne concernée sera obligée de se déporter.

Le projet de loi prévoit bel et bien qu'il doit exister une relative distance par rapport aux problèmes qui pourront être traités. Les associations ont donc toute leur place au sein du comité consultatif mais sans doute peu ou pas au niveau de la haute autorité. C'est la raison pour laquelle j'émets un avis défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Avis défavorable pour les mêmes raisons que la commission.

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Monsieur le président de la commission, vous avez repris les arguments que vous aviez développés en première lecture, mais nous ne sommes toujours pas convaincus. Certes, vous avez souligné le risque d'une haute autorité militante. J'avais moi-même pointé celui d'une instance trop politique et sans doute partisane. « Procès d'intention », m'aviez-vous répondu. « Supposition », avais-je précisé, souhaitant prendre quelques garanties dans cet hémicycle.

Il reste que, aujourd'hui, nous sommes toujours insatisfaits, considérant qu'il y a, incontestablement, un défaut de pluralisme. Il eût été facile, pourtant, d'apporter une correction en la matière, s'agissant d'une haute autorité sans pouvoir de régulation ou de sanction et dont l'action vise simplement à poursuivre des missions d'intérêt général que nous précisons d'ailleurs dans ce texte.

Quand on regarde aujourd'hui la composition de certaines hautes autorités - je pense ainsi à ce que sera bientôt celle du conseil supérieur de l'audiovisuel - et sans que le pluralisme signifie automatiquement pluralisme politique, il me semble clair que, avec le vote de cet amendement, nous y aurions gagné en diversité et en démocratie. Je ne peux donc qu'émettre un regret devant l'avis négatif de la commission et du Gouvernement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 44.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l'amendement n° 28.

M. Patrick Bloche. Nous reprenons, là encore, un débat que nous avons eu en première lecture. Le Sénat est également intervenu sur ce point - le président de la commission y a fait allusion dans son intervention liminaire - en modifiant le texte voté par notre assemblée. Il a adopté la formulation suivante : « Les désignations du Président de la République, du président du Sénat, du président de l'Assemblée nationale et du Premier ministre concourent à une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes et au respect du pluralisme. »

Certes, cette rédaction est intéressante. Elle traduit, en effet, le souci d'éviter que la haute autorité soit composée de onze hommes, ce qui serait paradoxal pour une instance chargée de lutter contre les discriminations sexistes. Il n'en demeure pas moins que nous voulons avoir des garanties supplémentaires, d'où cet amendement que nous devons à notre collègue Philippe Vuilque et qui vise à insérer l'alinéa suivant après le huitième alinéa de l'article 2 : « Le Président de la République, le président du Sénat, le président de l'Assemblée nationale et le Premier ministre désignent des membres de sexes différents. » Nous serions ainsi assurés qu'il y aurait bien quatre femmes sur les onze membres à défaut d'en avoir cinq, voire six.

Le président de la commission des lois va sans doute nous répondre que la parité dans la Constitution ne vise que les mandats électoraux. Certes, et avec cet amendement nous ne cherchons d'ailleurs nullement à traduire une obligation constitutionnelle. Nous voulons simplement affirmer notre volonté de faire respecter la parité et introduire dans le texte une garantie supplémentaire.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Je ne peux pas dire que nous étions opposés à cet amendement puisque nous l'avions accepté en première lecture. Il n'y a donc pas entre nous de désaccord sur le fond.

M. Patrick Bloche. Il y a eu un échange assez long !

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Je vous avais fait observer, au cours de cet échange, que je craignais un risque d'inconstitutionnalité. Compte tenu de mon amour immodéré pour la Haute assemblée, je n'ai pas craint de donner un peu de travail aux sénateurs. Cela n'a pas manqué : ils nous ont renvoyé le texte modifié, tout fiers de nous donner un petit cours, que j'accepte bien volontiers. Mais nous savions, bien sûr, que seuls les mandats électifs doivent respecter la parité.

Cela étant, la formule du Sénat est assez élégante. Les termes « représentation équilibrée entre les femmes et les hommes » répondent à la volonté jurisprudentielle du Conseil constitutionnel et privilégient la compétence plutôt que le sexe, même s'il n'y a pas de lien entre les deux ; je le précise sachant que cela fera plaisir à certains. Cette formulation, certes a minima, est donc conforme à notre droit.

En revanche, j'ai changé d'avis sur l'obligation de garantir le pluralisme et je m'en expliquerai à l'occasion de l'examen de l'amendement suivant.

Pour l'heure, et compte tenu des explications que je viens de donner, je suis défavorable à l'amendement n° 28.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. La rédaction adoptée par le Sénat en première lecture satisfait le Gouvernement, qui émet donc un avis défavorable à l'amendement n° 28.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 28.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 56 et 67, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Michel Piron, pour soutenir l'amendement n° 56.

M. Michel Piron. L'ajout sénatorial sur le respect du pluralisme m'a plongé dans une grande perplexité. Dans l'absolu, je suis, bien entendu, favorable au respect du pluralisme mais, en l'occurrence, cet ajout risque d'aboutir à un paradoxe, voire à une contradiction.

Si le choix des membres de la haute autorité devait se faire demain sur un critère de pluralisme, de quelle pluralité s'agirait-t-il ? Faudra-t-il demander aux personnes concernées leurs options politiques, leurs opinions dans d'autres domaines ? En tout état de cause, chacun devra être porteur d'un certain nombre de convictions ou d'opinons, implicites ou explicites, et plutôt explicites en la circonstance, pour pouvoir être retenu.

Quel paradoxe si, pour choisir les membres de la haute autorité, il fallait faire preuve de discrimination ! Il serait pour le moins étrange de commencer par des discriminations la désignation des personnes composant la haute autorité, que tout ce texte érige en parangons de l'anti-discrimination ! (Sourires.)

Mme Christine Boutin. Absolument ! Très bien, monsieur Piron !

M. Michel Piron. Sauf à vouloir créer une nouvelle catégorie, celle des « discriminés non discriminants » (Rires), je crains que nous ne nous trouvions, encore une fois, devant le proverbe selon lequel l'enfer est pavé de bonnes intentions.

Mme Christine Boutin. Belle démonstration !

M. Michel Piron. C'est pourquoi, après avoir essayé de récuser l'ajout sénatorial, je vous propose de le refuser et de supprimer les mots : « et au respect du pluralisme ». (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Christine Boutin. Très bien ! CQFD !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur et président de la commission pour présenter l'amendement n° 67 et donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 56.

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Mon amendement est une réponse à M. Piron, auquel je dois d'ailleurs d'avoir évolué sur cette question. M. Piron m'a en effet plongé, à mon tour, dans un abîme de perplexité...

M. Michel Piron. Nous aimons beaucoup cela !

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. ...et j'ai intuitivement senti qu'il devait avoir raison. Je me suis ainsi interrogé sur l'aspect pratique du texte présenté par nos collègues sénateurs, pour lesquels les autorités de nomination devaient concourir au respect du pluralisme.

J'ai donc imaginé un cas simple : le vice-président du Conseil d'État faisant partie des autorités de nomination, il pourrait demander à l'un de ses magistrats d'être membre de la haute autorité. Je l'imagine alors convoquant son collègue, magistrat de la République, pour lui demander s'il est de gauche ou de droite ! (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christophe Caresche. Mais non !

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Mais si, il y sera obligé ! (Approbations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Le pluralisme touche forcément la sensibilité politique.

Vous me direz que le vice-président peut se contenter de sa connaissance des hommes. Néanmoins je trouve malsain qu'un magistrat puisse être nommé membre de la haute autorité parce que quelqu'un suppose qu'il est d'un bord plutôt que de l'autre. Je trouve cela profondément inacceptable.

M. Christophe Caresche. Ce n'est pas ce qui est visé par le Sénat !

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Si le pluralisme ne concerne pas les idées politiques, dites-moi ce qu'il vise ! Le pluralisme porte fatalement sur les idées politiques, ou alors je n'ai pas compris l'amendement du Sénat.

M. Ghislain Bray. Le pluralisme passe bien par là !

Mme Christine Boutin. Le pluralisme vise aussi les idées philosophiques et religieuses !

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. En revanche, reprenant à mon compte l'idée du Sénat, je vous propose un amendement qui pourrait peut-être satisfaire M. Piron puisqu'il se limite aux parlementaires pour lesquels le pluralisme s'applique forcément. Ainsi, le président de l'Assemblée, qui est l'une des autorités compétentes, nommera deux membres de la haute autorité, les choisissant d'un bord et de l'autre, et cela ne gênera personne.

Je ne suis pas contre l'intuition du Sénat, qui d'ailleurs a commencé par me plaire, mais, en pratique - j'en ai pris conscience grâce à M. Piron - nous serions très mal à l'aise à vouloir distinguer la sensibilité politique de personnalités qui ne sont pas des parlementaires.

M. Pierre-Louis Fagniez. Merci, Monsieur Piron !

M. le président. Monsieur le président de la commission, puisque vous avez déposé un autre amendement, je suppose que vous êtes défavorable à celui de M. Piron.

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Tout à fait !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur ces amendements ?

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Concernant l'amendement de M. Piron, le Gouvernement s'en remet à la sagesse de l'Assemblée, mais il donne un avis favorable à l'amendement du président de la commission.

M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. L'argumentation de M. Clément ne tient pas. En effet, dans le texte du Sénat, le respect du pluralisme vise expressément et explicitement les désignations du Président de la République, du président du Sénat, du président de l'Assemblée nationale et du Premier ministre. Il ne vise en aucun cas ni le vice-président du Conseil d'État, ni le premier président de la Cour de cassation, ni le président du Conseil économique et social, et pour une raison assez simple : ils ne nomment qu'un représentant chacun.

En revanche, le Président de la République, le président du Sénat, le président de l'Assemblée nationale et le Premier ministre nomment chacun deux représentants. Honnêtement, on peut comprendre que le Sénat souhaite, pour la haute autorité de lutte contre les discriminations, une représentation équilibrée et politiquement pluraliste. Votre argumentation, monsieur Clément, ne correspond absolument pas au texte proposé par le Sénat.

M. le président. La parole est à Mme Christine Boutin, qui va nous éclairer.

Mme Christine Boutin. Non, monsieur le président, je ne vous éclairerai pas ! Comme je l'ai indiqué dans mon intervention générale, tout cela est très compliqué. Nous avons tous les mêmes objectifs, mais nous arrivons à des conclusions totalement différentes. Je remercie M. Piron d'avoir posé le problème, qui me plonge, moi aussi, dans une profonde perplexité. Cet amendement est à l'image de ce texte, qui me semble totalement abscons.

M. le président. Que faites-vous, monsieur Piron ?

M. Michel Piron. Monsieur le président, permettez-moi tout d'abord de me réjouir, car l'Assemblée accepte enfin « l'admirable complexité » ! (Sourires.) Nous y sommes !

M. Christophe Caresche. Cela n'a rien de complexe !

M. Michel Piron. Je suis sensible au fait que le président de la commission nous propose une autre voie, qui pourrait être celle d'un compromis, mais j'avoue que, après avoir entendu les arguments des uns et des autres, je conserve mes interrogations. Je répète en effet que je comprends mal ce que vise le pluralisme ; cela ne me paraît pas aller de soi. C'est pourquoi je préfère maintenir mon amendement.

M. Christophe Caresche. À droite, le pluralisme ne va pas de soi !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Je reconnais, chers collègues du groupe socialiste que mon exemple du vice-président du Conseil d'État n'était pas bien choisi, (Approbations ur les bancs du groupe socialiste)

Mme Anne-Marie Comparini. Eh non !

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. En effet l'amendement du Sénat vise les seules autorités politiques.

Néanmoins si mon exemple n'est pas bon, mon raisonnement, lui, est parfait ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Mais si, et je vais vous dire pourquoi.

Lorsque le président de l'Assemblée nationale nomme deux députés, il est obligé d'alterner : un de gauche et un de droite. En revanche s'il veut choisir, par exemple, un magistrat de la Cour des comptes ou du Conseil d'État, je souhaite vivement qu'il ne le nomme pas en fonction de ses idées politiques !

M. François Loncle. Ce n'est pas l'esprit du projet de loi !

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Pour un cas comme celui-là, j'ai raison, et l'amendement qui tend à limiter l'obligation de pluralisme aux seuls parlementaires est bon, car, en l'occurrence, la politique peut naturellement guider le choix de l'autorité de nomination.

Je souhaite donc que nous repoussions l'amendement de M. Piron, qui est trop mécanique et trop radical, pour accepter mon amendement inspiré par M. Piron - auquel d'ailleurs je le dédie - qui repose sur le fait que seuls les parlementaires ont des opinions politiques connues.

M. le président. La parole et à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Je veux apporter une précision.

Si j'ai bien compris, monsieur le président de la commission, vous considérez, que l'obligation de pluralisme doit être spécifiée s'il s'agit de parlementaires. Mais qu'en est-il d'une nomination par le président de l'Assemblée nationale de deux personnalités qui ne sont pas parlementaires ?

M. Guy Geoffroy. On vient d'en parler !

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Dans ce cas-là, on ne peut imposer le pluralisme.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président de la commission des lois, rappelez-vous que le président Debré, dans sa sagesse...

M. Claude Goasguen. Sa grande sagesse !

M. Jean-Marc Ayrault. Écoutez-moi, mes chers collègues, parce que le débat est sérieux et la question très concrète.

Monsieur Clément, vous qui participez comme moi à la conférence des présidents, vous êtes parfaitement informé de l'initiative prise par le président Debré après la création de la haute autorité de santé au sein de laquelle le Président de la République, le président du Sénat et le président de l'Assemblée nationale nomment chacun deux personnalités, qui ne sont pas des parlementaires.

Dans un souci de pluralisme, le président Debré a en effet décidé de s'adresser à la majorité et à l'opposition pour que chacune lui propose une personnalité, étant entendu que cette personnalité serait indépendante et que son étiquette politique ne serait pas divulguée, même après sa nomination. Dans un tel cas, les personnalités proposées par le président du groupe UMP ou par le président du groupe socialiste ne sont pas forcément engagées politiquement. On comprend que c'est le respect du pluralisme qui a animé le président Debré lorsqu'il a pris cette initiative.

Je ne dis pas que le président du Sénat ou le Président de la République agiraient de même en l'occurrence mais, quoi qu'il en soit, le président de l'Assemblée a amorcé une nouvelle pratique, instauré une nouvelle jurisprudence en quelque sorte. Je trouve cette démarche extrêmement positive et tout à fait représentative de l'idée que nous nous faisons du pluralisme.

Retirer le mot « pluralisme », comme le suggère l'amendement de M. Piron, serait un retour en arrière par rapport à cette initiative concrète du président de l'Assemblée nationale.

Je souhaite que l'on n'oublie pas l'esprit du texte proposé par le Sénat. Je le dis franchement, mon cher collègue : vous faites le procès d'une vision équilibrée du fonctionnement de nos institutions républicaines ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Michel Piron. C'est caricatural !

M. Jean-Marc Ayrault. Je dis cela dans l'intérêt de la démocratie. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Claude Goasguen. Les socialistes ne manquent pas d'air !

M. Jean-Marc Ayrault. Quand une haute autorité est soupçonnée d'être monocolore, dans ses inspirations ou dans son processus de nomination, elle perd son autorité et sa crédibilité.

M. Michel Piron. C'est vous qui émettez des soupçons, pas moi !

M. Jean-Marc Ayrault. Si vous voulez vraiment mettre en place une haute autorité pour lutter contre les discriminations, s'il vous plaît, donnez l'exemple du pluralisme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Christiane Taubira. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. J'avoue ma surprise en entendant une telle argumentation. S'il y a un soupçon, il n'est pas chez nous ! D'ailleurs, c'est vous qui avez prononcé ce mot-là. Pour nous, le pluralisme est présupposé. Il n'a pas besoin, ici, d'être imposé ; il va de soi. Alors s'il vous plaît, pas de procès d'intention !

M. Pierre-Louis Fagniez. Tout à fait !

M. Michel Piron. Revenons au fond du débat : de quelle pluralité s'agit-il ?

Vous admettrez très volontiers qu'il ne suffit pas d'appartenir à tel ou tel groupe pour représenter forcément le point de vue de la totalité du groupe ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Christine Boutin. C'est vrai !

M. Patrick Bloche. Surtout à l'UMP !

M. Claude Goasguen. Les socialistes le savent bien, depuis le débat sur l'Europe !

M. Michel Piron. Au fond, je trouve qu'il est assez étonnant d'exiger des critères, qui pourraient être interprétés ailleurs comme étant discriminants, pour désigner des personnes qui seront, je le répète, chargées de garantir la non-discrimination. Permettez-moi de vous le répéter : mon raisonnement ne repose sur aucun soupçon et il présuppose l'ouverture d'esprit et la sagesse qui sont nécessaires sur un tel sujet.

M. Jean-Marc Ayrault. Ne faut-il pas créer plusieurs postes au sein de cette haute autorité, prétendument indépendante, pour que l'UMP y assure son propre pluralisme ? (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre-Louis Fagniez. C'est mauvais, vous nous décevez beaucoup !

M. le président. S'il vous plaît !

La parole est à M. le président de la commission.

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Ce mot d'esprit inutile a un peu gâté l'excellente intervention précédente du président Ayrault. Je le regrette. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre-Christophe Baguet. On dérape !

M. Pierre-Louis Fagniez. Il est fatigué !

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Le président Ayrault a fait état, au travers d'un exemple particulièrement bien choisi, d'une pratique que j'estime exemplaire. Mais en faire une vérité juridique est strictement impossible, sauf à dire que le Président de la République pourrait proposer au Conseil économique et social de désigner un membre de la section des syndicats, de la section des entrepreneurs ou de la section des personnalités qualifiées. C'est un tout autre débat !

En fait il s'agit d'un faux problème car il ne me paraît guère possible de ne pas nommer des personnalités ayant l'habitude de travailler sur les questions relatives aux discriminations et à l'égalité. Je vous rassure : dans ce domaine, vous n'y perdrez pas ! Il faudra consentir un effort de pluralisme, qui sera peut-être difficile à réaliser ensuite dans l'autre sens.

M. Claude Goasguen. Surtout pour les socialistes !

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. J'affirme que, s'agissant de la haute autorité, il y aura évidemment pluralisme. L'attitude exemplaire du président Debré s'agissant de la haute autorité de la santé devrait faire école ; mais qu'on ne nous demande pas de l'inscrire dans le texte.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 56.

L'amendement est adopté. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

En conséquence, l'amendement n° 67 tombe.

M. Christophe Caresche. C'est bien parti !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène des Esgaulx, pour défendre l'amendement n° 4.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Cet amendement prévoit qu'un directeur général sera nommé par décret sur proposition du président.

Les services de la haute autorité auront pour mission de préparer et de mettre en œuvre les délibérations du collège. Ces services étant placés sous l'autorité du président, il importe de conférer à celui-ci un rôle essentiel dans le processus de nomination.

Par ailleurs, eu égard à l'importance de cette mission, il faudra nommer dans les fonctions de direction générale des services un responsable qui présentera toutes les garanties nécessaires d'expérience et de qualification.

C'est la poursuite de ce double objectif qui inspire cette disposition, dont on trouve un précédent dans le texte relatif au conseil supérieur de l'audiovisuel : on avait en effet créé un directeur général nommé par décret.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. La commission ne s'est pas prononcée sur le fond de l'amendement présenté par Mme des Esgaulx. Qu'il faille un excellent directeur général pour la haute autorité, nous en sommes totalement d'accord. Néanmoins, nous considérons que ce n'est pas à la loi de le prévoir, mais aux décrets d'application.

Avis personnel défavorable, non sur le fond, mais sur la forme.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Sagesse.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène des Esgaulx.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Je me permets d'insister parce que la différence entre le M. le président de la commission et moi, c'est que je ne veux pas laisser au seul président de la haute autorité le choix de cette désignation. Le recours au décret donne une garantie que l'on a toujours recherchée pour les grandes institutions de ce type.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche, pour présenter l'amendement n° 27.

M. Patrick Bloche. Nous avons parlé de pluralisme, mais il nous faut aussi parler de démocratie, de débats et de transparence.

La haute autorité n'ayant aucun pouvoir de régulation ni de sanction, il nous paraît important que les échanges, les débats qui ont lieu au sein du collège de la haute autorité fassent l'objet de la transparence la plus totale et soient donc connus. Pour ce faire, nous demandons que le collège « statue publiquement ».

Si cet amendement était adopté, il aurait valeur de symbole et pourrait sans doute, si nous réformions le fonctionnement de telle ou telle autorité, apporter plus de transparence. En effet, sur bien des sujets, nous aimerions parfois savoir pourquoi telle ou telle décision a été prise : je pense en particulier aux hautes autorités auxquelles la représentation nationale a confié des missions de régulation.

Cet amendement répond donc à un souci de transparence et de démocratie.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. S'il est des cas où je suis assez d'accord avec M. Bloche, je suis, pour cet amendement, radicalement en désaccord avec lui, et je vais lui expliquer pourquoi.

M. René Dosière. Radicalement ?

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Oui, radicalement, parce que c'est tout l'esprit de la haute autorité qui serait changé avec cet amendement.

Les personnes que va entendre la haute autorité seront, par définition, en situation de faiblesse et n'auront aucune envie de voir leur vie privée étalée sur la place publique. Si c'est le prix à payer pour être défendues, elles s'abstiendront  et vos grandes phrases sur la transparence et la démocratie auront abouti au contraire de ce que vous recherchez.

Mettez-vous à la place d'une personne qui est gravement discriminée dans sa vie privée et qui veut être défendue : vous vous apercevrez qu'elle n'a aucune envie du débat public !

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Tout à fait !

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Radicalement contre : je le répète à l'intention de M. Dosière.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Je suis surprise de cet amendement, qui porte atteinte aux droits des victimes.

M. Claude Goasguen. Évidemment !

Mme la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. L'anonymat s'impose.

Avis défavorable, donc car je vois mal les victimes vouloir afficher leur différend devant tout le monde !

M. Claude Goasguen. Bien sûr !

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Madame la ministre, je ne vous comprends pas du tout. Ne peut-on attendre de ceux qui veulent vivre leur différence, sans pour autant être discriminés, qu'ils l'affirment ?

Si une personne discriminée saisit la haute autorité, c'est bien parce qu'elle veut rendre publique la discrimination dont elle est l'objet.

M. Claude Goasguen. Mais non !

M. Guy Geoffroy. Il n'a rien compris !

M. Noël Mamère. Vous avez déjà voté un amendement qui nuira à la qualité de cette haute autorité en refusant le pluralisme de sa composition. Je rappelle que nous parlons d'une haute autorité. D'ailleurs Mme des Esgaulx a établi la comparaison avec le conseil supérieur de l'audiovisuel.

Certains organes sont des lieux de médiation et d'arbitrage, qui doivent pouvoir se réunir de manière collégiale et transparente. En conséquence il faudrait que leurs décisions soient motivées devant le public.

Il n'y a donc aucune raison de refuser cet amendement, quitte à introduire un sous-amendement pour préciser que la règle est que le collège de la haute autorité se réunit de manière publique mais que quelques exceptions sont possibles lorsque cela est nécessaire. Néanmoins le principe du débat de la collégialité devant le public doit être affirmé. C'est une garantie de transparence et de ce que l'on doit aux victimes et à ceux qui les représentent.

M. Claude Goasguen. Absurde !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 27.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 2, modifié par l'amendement n° 56.

(L'article 2, ainsi modifié, est adopté.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    7

COHÉSION SOCIALE

Communication relative à la désignation d'une commission mixe paritaire

M. le président. M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

        « Paris, le 7 décembre 2004

        Monsieur le président,

        Conformément à l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, j'ai l'honneur de vous faire connaître que j'ai décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale.

        Je vous serais obligé de bien vouloir, en conséquence, inviter l'Assemblée nationale à désigner ses représentants à cette commission.

        J'adresse ce jour à M. le président du Sénat une demande tendant aux mêmes fins.

        Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération. »

Cette communication a été notifiée à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

    8

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, n° 1952, portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité :

Rapport, n° 1965, de M. Pascal Clément, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot