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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mercredi 5 octobre 2005

5e séance de la session ordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ DOSIÈRE,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

nomination de deux députés
en mission temporaire

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant de sa décision de charger M. Alain Madelin, député d’Ille-et-Vilaine, d’une mission temporaire auprès de M. le ministre de l’économie des finances et de l’industrie et de lui-même, et M. Bernard Carayon, député du Tarn, d’une mission temporaire auprès de M. le ministre de l’économie des finances et de l’industrie.

Loi d’orientation agricole

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi d’orientation agricole (nos 2341, 2547).

Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. André Chassaigne, pour une durée qui ne pourra excéder une heure trente.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’agriculture et de la pêche, mes chers collègues, en ces temps de sécheresse, permettez-moi d’évoquer la vieille chanson populaire de Fabre d'Églantine, qui risque de se révéler aussi prémonitoire pour nos agriculteurs aujourd’hui qu'elle l'était sous l'Ancien Régime, à la veille de la Révolution : « Il pleut, il pleut, bergère, rentre tes blancs moutons ». Et il ajoutait : « Voici, voici venir l'orage ; voilà l'éclair qui luit ».

En effet, le ciel s'est encore terriblement assombri, ces derniers mois, sur notre agriculture. Nous avons eu tout d'abord confirmation de la forte diminution du revenu des exploitants agricoles en 2004. Depuis 2000, le revenu paysan a baissé en moyenne de 2,5 % par an : combien de professions accepteraient une ponction aussi forte et régulière de leur revenu ? Aujourd'hui 40 % des exploitants ont un revenu inférieur au SMIC. Le nombre d'exploitations a continué sa chute, que je n'ose croire inexorable. Il n'existe pourtant plus que 600 000 exploitations agricoles en France aujourd'hui, 370 000 si l'on ne dénombre que les exploitations professionnelles.

Autre coup de tonnerre, et non des moindres, la mise en œuvre progressive de la nouvelle politique agricole commune. Elle fut en outre accompagnée des leçons de politique agricole d’un anti-farmer, M. Blair, reprises en France par tout ce que le monde politico-médiatique compte de porte-voix de la mauvaise foi : je n'ai guère entendu, excepté dans L'Humanité, d'éditorialistes rappeler combien l'agriculture britannique, fière de ses crises de la vache folle ou de ses épizooties de fièvre aphteuse, manquait sérieusement d'arguments pour devenir le modèle à suivre.

L'été ne faisait pourtant que commencer ! Alors que les prix des fruits et légumes continuaient de baisser, sans d'ailleurs susciter de réaction du Gouvernement, les mêmes porte-voix de la mauvaise foi décidèrent de faire de la culture du maïs l’unique responsable de la sécheresse que nous avons subie cet été.

M. Dominique Bussereau, ministre de l’agriculture et de la pêche. Tout à fait !

M. André Chassaigne. Beaucoup d'agriculteurs se sont retrouvés sans voix face à la force des arguments de génie qui leur étaient opposés : ils croyaient naïvement que l'on arrosait les cultures lorsque l’on manquait d'eau... On révéla que l'eau manquait tout simplement parce que l'on arrosait les cultures.

Pourtant, beaucoup auraient voulu dénoncer la faiblesse des dispositifs de gestion quantitative de l'eau en France ou s'interroger sur les refus d'EDF d'effectuer des lâchers d'eau pour compenser l'assèchement des rivières. Certains cherchèrent même à rappeler que la France n'était pas autosuffisante en maïs. Mais les médias en décidèrent autrement : c'est bien le maïs qui gâcha nos vacances.

Après cet éprouvant été, les agriculteurs n'auront malheureusement guère d'occasion de souffler en cet automne : la baisse du prix du lait, imposée par les industriels laitiers, a battu tous les records, fragilisant des dizaines de milliers d'exploitations supplémentaires, au mépris d'un premier accord conclu en mai dernier.

Quant à notre ami – je n'ose dire camarade – Pascal Lamy, il compte bien franchir, ces prochains jours, à Hongkong, une nouvelle étape dans la libéralisation du commerce international agricole. S'il parvient à ses fins, les prix agricoles continueront à baisser, au profit des grands propriétaires fonciers des pays du nouveau monde et au détriment bien sûr des exploitants familiaux du monde entier.

Mais, disons-le tout net : tous ces orages ne sont rien devant l'ouragan que constitue ce projet de loi d'orientation agricole !

Le Conseil d'État, dans son immense sagesse, aurait estimé nécessaire, en mai dernier, de rebaptiser simplement ce projet « dispositions agricoles ». L'affront était réel, mais vraiment injustifié. Nos conseillers d'État ne sont pas de grands météorologues ! En effet, les premiers articles de ce projet de loi peuvent à eux seuls orienter notre agriculture dans une tempête éminemment dangereuse, celle de la soumission de l'ensemble de notre agriculture aux règles du capitalisme mondialisé. Et, contrairement à ce que j’ai pu dire à propos d’une autre loi, ce texte est loin d’être « un couteau sans lame auquel il manque le manche. »

Pourtant, face à cette épreuve difficile, je ne peux, monsieur le ministre, que saluer votre sens des responsabilités. L'ordre semble bien avoir été donné d'évacuer définitivement le Parlement du débat sur l'avenir de notre agriculture à en juger par le nombre d'habilitations à prendre des ordonnances que vous nous demandez de voter ! Même si vous avez, il est vrai, battu stratégiquement en retraite devant la perspective d'oukases vraiment trop arbitraires.

L'affaire est grave, en effet. Après votre intervention, vous sollicitez encore près de dix habilitations !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Non, quatre !

M. André Chassaigne. ! Décidément, la retraite est importante.

M. Christian Paul. C’est une reculade !

M. André Chassaigne. Ce sont autant d'occasions supplémentaires pour l'Assemblée nationale de se renier ! Le procédé est certes légal. Mais avouez quand même qu’il est bien cavalier, a fortiori pour une loi d'orientation ! Je ne pense pas trop m'avancer en déclarant que c'est bien la première fois qu'une loi d'orientation, c'est-à-dire une loi censée inspirer les politiques de l'État pour de nombreuses années, sera adoptée en grande partie par ordonnances !

À la lecture des articles concernés, je ne peux aussi que déplorer l'importance considérable des sujets visés – je pense notamment à la réforme par ordonnance du statut du fermage – mais aussi le flou et le caractère extrêmement général de ces demandes d'habilitation. Comme aux pires temps de la IIIe République, vous nous demandez les pleins pouvoirs en matière agricole ! Avec une différence de taille par rapport à vos aînés : vous disposez d'une très confortable majorité dans les deux chambres du Parlement.

Nous pourrions considérer cet autoritarisme comme une manifestation supplémentaire du mépris dans lequel le Parlement est malheureusement tenu dans notre pays. Je ne céderai pas à cette tentation, tant il est clair que vous cherchez d'abord, avant tout autre chose, à cacher aux paysans vos intentions et la nature réelle de votre projet pour l'agriculture française. Comme disait Marat, « pour enchaîner les peuples, on commence par les endormir ! ».

Sinon, comment expliquer que moins d'un mois avant l'ouverture de nos débats, le Premier ministre, lors de son intervention au SPACE, un des principaux salons de l'élevage de notre pays, a presque complètement éludé le contenu de ce projet de loi d'orientation ? M. de Villepin s'est en effet contenté d'une allusion à la création du fonds agricole. Mais il n'a, curieusement, jamais abordé les conséquences de la création de ce fonds : ni la remise en cause du statut du fermage, ni celle du contrôle des structures n'ont ainsi été évoquées ! Le Gouvernement aurait-il la loi d'orientation honteuse ?

Nous comprenons bien la faible publicité qui est faite autour de ce projet de loi. Rien d'étonnant à cela : vous le savez aussi bien que moi, vous ne disposez pas, pour cette loi d'orientation agricole, du soutien des agriculteurs. Les trois quarts des paysans ont désavoué ces orientations politiques, le 29 mai dernier ; trois syndicats agricoles sur quatre en dénoncent vigoureusement le contenu.

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Où avez-vous trouvé cela, monsieur Chassaigne ?

M. André Chassaigne. Une forte minorité du quatrième, le syndicat majoritaire, est sur la même longueur d'onde…

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Là, vous rêvez !

M. André Chassaigne. Les agriculteurs ne veulent pas d'un texte qui enterre le modèle d'agriculture familiale pour lui substituer un modèle d'agriculture sociétaire, basé sur la concentration des terres et le développement du salariat. Je rappellerai, monsieur le ministre, ce que tous mes prédécesseurs sur les bancs communistes ont inlassablement répété dans cet hémicycle depuis quatre-vingts ans : « la terre doit être à ceux qui la travaillent ».

Aussi, quel que soit le caractère révoltant de l'escamotage de ce débat, le problème se situe bien ailleurs : dans le contenu de votre projet pour l'agriculture.

Nous sommes conscients de la nécessité d'adopter une nouvelle loi d'orientation en matière agricole. La dernière est certes récente ; elle avait mêlé des dispositions réellement ambitieuses à d'autres fleurant bon la résignation. Je constate d'ailleurs que, dès votre retour au pouvoir, vous êtes revenus sur les premières. Vous vous êtes ensuite reposés sur les secondes pour légitimer la dernière réforme de la politique agricole commune.

Si la discussion d'une nouvelle loi d'orientation nous paraît nécessaire, c'est plutôt parce que l'environnement international de notre agriculture a bien changé depuis 1999 : les prix agricoles ont continué leur chute, entraînant la baisse du revenu des paysans ; le commerce international s'est encore développé. Et la dernière réforme de la PAC, acceptée à Luxembourg en juin 2003, va bouleverser l'organisation de notre agriculture.

La pression juridique et idéologique des chantres du commerce international, retranchés notamment dans l'Organisation mondiale du commerce, n'a jamais été aussi forte. Ces libéraux nous invitent à ne voir en l'agriculture qu'une activité commerciale ; dans ce cadre, les denrées agricoles sont des produits comme les autres. Les dimensions utilitariste et biologique de l'alimentation sont prédominantes : la nourriture ne sert qu'à acquérir l'énergie dont nous avons besoin pour travailler, et bien sûr alimenter les profits. Cette orientation exige logiquement que les denrées agricoles soient produites au plus bas prix, ce qui implique une recherche permanente de compétitivité. C'est bien pourquoi M. Lamy et ses amis cherchent à supprimer toutes les protections tarifaires existantes, qui sont autant de blocages à l'émergence complètement absurde de prix mondiaux uniques des denrées agricoles.

Ce discours hégémonique est malheureusement porté par tout ce que l'idéologie libérale compte aujourd'hui, comme disait Lénine, d'idiots utiles. Utiles à qui ? Combien de naïfs ou d'esprits sensibles sont aujourd'hui convaincus que la suppression de toutes ces entraves au commerce international favorisera le développement des pays du Sud ? Combien de personnes sont aujourd'hui persuadées que l'idée de préférence communautaire est responsable de la malnutrition dont souffrent tant d'Africains ? Beaucoup, malheureusement.

La réalité est évidemment bien plus complexe. Les voix qui, d'Amérique latine, s'élèvent pour la libéralisation du commerce international, sont avant tout celles de milliardaires, dirigeants de gigantesques latifundia, parfois coupables d'expulsions sauvages de dizaines de milliers de paysans de leurs terres. Ce n'est pas la voix du pauvre sud contre le riche nord, mais bien celle du capitalisme le plus débridé, sans frontières ni hémisphère. Les intérêts de ces grands propriétaires fonciers sont évidemment antagoniques de ceux de la petite paysannerie soumise, comme les petits paysans français, à d'insupportables pressions à la baisse des prix agricoles.

Je ne suis pas non plus convaincu que cette libéralisation favorisera le développement des pays africains. L'appauvrissement de ce continent, qui regroupe une grande partie des 800 millions d'êtres humains victimes de malnutrition, est moins la conséquence de la fermeture des marchés agricoles que de leur trop grande ouverture. En faisant reposer, sous la pression des organisations internationales, leur développement sur le commerce international, ces pays ont effectivement subi de plein fouet l'importation massive de denrées agricoles venant d'Europe : les prix excessivement bas de ces matières premières ont ruiné leur économie vivrière. Avec des conséquences terribles, ces choix ont imposé une spécialisation dans des productions commerciales : leur insertion dans le commerce international rime avec une dépendance accrue aux évolutions, souvent à la baisse, des cours mondiaux de ces denrées agricoles, conduisant à une dégradation permanente des termes de l'échange. L'origine de leur crise est là ; ce n'est pas en ajoutant au mal les ingrédients qui l'ont fait naître que nous parviendrons à régler ce délicat problème.

Les exploitants familiaux du monde entier ont donc toutes les raisons de craindre la prochaine conférence de l'OMC qui se tiendra à Hongkong. Les tenants d'une agriculture capitaliste, déconnectée des réalités humaines existantes dans les territoires, inconsciente de la forte dimension culturelle de l'alimentation, sont en effet prêts à avancer leurs pions. Les prix agricoles, qui ont déjà chuté de moitié ces dix dernières années, pourront continuer à baisser davantage encore.

Les conséquences incalculables de la réforme de la PAC de 2003 sur l'organisation de notre agriculture justifient aussi que l'on débatte à nouveau de l'orientation que l'on souhaite lui donner. Je rappelle que nous nous étions fermement opposés à cette réforme, uniquement destinée à soutenir la baisse des prix agricoles. Et si la situation nous contraint à adapter la ferme France à cette nouvelle PAC, je tiens à préciser qu'il me paraît prioritaire d’axer la renégociation des orientations de la PAC à Bruxelles autour de l'idée fondamentale de la défense de prix rémunérateurs du travail paysan.

C'est en effet toute l'organisation de cette nouvelle politique agricole commune qui est porteuse de difficultés nouvelles pour les paysans. Il en va ainsi du découplage. Il s'agit évidemment de l'aboutissement, aussi logique que regrettable, de la réforme de 1992. L'Europe abandonne toute politique de soutien des prix pour adopter une politique de soutien des revenus. Il s'agit bien sûr d'encourager ainsi la tendance à la baisse des prix agricoles mondiaux, afin de se soumettre progressivement aux conditions nouvelles du commerce international. Alors que les paysans ont toujours affirmé vouloir vivre de leur travail, alors qu'ils ont toujours revendiqué une juste rémunération de leurs efforts, l'Europe a préféré entrer dans une logique de subventionnement.

Cette évolution ne fut pas neutre. Les agriculteurs ont été privés des garanties de débouchés que leur offrait le soutien communautaire aux prix agricoles. Ils ont en conséquence dû organiser eux-mêmes leur accès aux marchés, s'enferrant de facto dans une logique libérale où priment la baisse des prix et les impératifs de compétitivité, se soumettant encore un peu plus aux exigences de l'industrie agroalimentaire ou de la grande distribution.

La soumission des paysans à ce capitalisme débridé fut brutale. Et maintenant que l'Europe s'apprête à remettre en cause la contrepartie de cette réforme – je parle évidemment de la garantie du revenu –, elle devient tout bonnement insupportable. Ce n'est pas que l'Europe serait subitement devenue schizophrène : c'est simplement le résultat d'une politique tout à fait consciente, et combien effrayante pour le devenir de notre agriculture.

Ainsi la modulation, décidée en 2003, est censée justifier une baisse des aides versées par Bruxelles aux paysans – celle-ci est fixée par exemple à 5 % pour 2007. Il s'agit, nous dit-on, de financer un volet consacré au « développement rural ». Si l'idée est intéressante, la réalité est tout autre : le contenu de cette politique de développement rural, notamment le financement de préretraites ou le développement du tourisme vert, ressemble à s'y méprendre à une politique d'accompagnement social de la disparition programmée de l'agriculture familiale en Europe.

Le budget agricole de l'Union est, quant à lui, promis à une forte baisse ces prochaines années : les perspectives financières pour 2007-2013 sont stables, alors que dix et bientôt douze pays, encore très agricoles, rejoignent l'Union. Mais le Parlement, comme de nombreux pays, veut encore obtenir une baisse drastique de ce budget, que ce soit par des négociations entre chefs d'État ou par l'adoption de la Constitution européenne. Je rappelle que ce projet de Constitution donne au Parlement les mêmes pouvoirs qu'aux chefs d'État et de gouvernement en matière de fixation du montant du budget agricole. Le rejet massif du texte constitutionnel par les paysans n'est pas la simple expression d’un mécontentement : loin de se tirer une balle dans le pied, ils ont aussi cherché par leur vote à conserver les dernières bribes d'une PAC très abîmée par les dernières évolutions.

Ainsi, cette nouvelle PAC encourage non seulement la baisse des prix agricoles, mais aussi la diminution du montant des aides compensatoires versées aux agriculteurs. Combien de paysans ne pourront pas supporter la chute de revenus qu’on leur prépare !

Ce découplage est d'autant plus révoltant, monsieur le ministre, que la France a décidé de l'appliquer de façon particulièrement discriminatoire. En effet la valeur des droits à paiement unique, les DPU, sera fonction du montant des aides versées pendant la période de référence 2000-2002. Le Gouvernement a ainsi octroyé une rente de situation absolument injustifiée…

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Vous expliquerez cela aux agriculteurs !

M. André Chassaigne. …aux 20 % de gros agriculteurs qui touchent 80 % des aides, ceux qui sont le moins menacés par les évolutions libérales du secteur agricole. C’est là un fait que personne ne peut nier !

Ce choix n'était pas inéluctable : l'Allemagne par exemple a choisi de faire dépendre à terme le montant des droits à paiement de la seule superficie des exploitations, fixant ainsi une valeur forfaitaire, par hectare, à chaque DPU. Certes cette décision est loin d’être parfaite et recèle aussi un certain nombre d'inconvénients. Du moins permet-elle d'accroître le montant des aides versées aux agriculteurs auparavant les moins dotés, qui sont parfois établis dans les zones les moins fertiles du pays.

L'écoconditionnalité est le second pan de cette réforme. Bien sûr, il s'agit avant tout d'un rideau de fumée destiné à vendre cette réforme aux opinions urbaines et bucoliques de l'Europe. Mais cela signifie aussi de nouvelles contraintes pour les agriculteurs. C'est enfin une immense supercherie : comment peut-on sérieusement imaginer renforcer la protection de l'environnement dans l’agriculture en aiguisant la concurrence dans ce secteur et en baissant les prix d'achat des denrées agricoles ? Ce sont là deux exigences contradictoires. Il est simplement impossible de conjuguer la baisse des coûts de production qu'impose celle des prix agricoles avec le relèvement des normes écologiques de production. C'est bien là toute l'hypocrisie de cette réforme de la PAC.

Évidemment ce nouvel environnement international nous interpelle, et nous comprenons parfaitement la nécessité de débattre d'une nouvelle loi d'orientation. La force de ce capitalisme triomphant est une menace terrible pour notre agriculture : son principal fondement, la petite exploitation familiale, est clairement ébranlé. Alors, que faire ?

En ce qui nous concerne, nous avons fait un choix : celui de chercher tous les moyens de protéger cette agriculture familiale et pourvoyeuse d'emplois. Ce modèle suppose une maîtrise collective de l'outil de travail que constitue la terre. Il suppose le développement de la coopération, vitale pour l’organisation des producteurs face à l'industrie agroalimentaire ou la grande distribution.

Il ne s’agit pas d’un modèle uniforme, à l’inverse de ce que vous affirmez, mais au contraire d’un modèle riche de diversité, d’une mosaïque d’exploitations assises sur une mosaïque de territoires, un foisonnement de personnalités, un patrimoine de fonds humains.

Vous avez, vous, monsieur le ministre, fait le choix inverse, celui de ne pas résister au modèle unique imposé par le nouvel ordre international, mais de l’accepter purement et simplement. Cela implique que l’on brise tout ce qui pourrait entraver l'épanouissement de ce capitalisme sauvage. Tel est bien le sinistre objet de votre projet de loi. Vous imaginez sans doute que c’est là faire preuve de courage : permettez-moi de vous rappeler le bel aphorisme de Jean Guitton : « être dans le vent, c’est l’ambition de la feuille morte. »

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. Belle référence !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. On arrive aussi plus tôt au port !

M. André Chassaigne. Vous prétendez dans l'exposé des motifs de votre projet « conforter nos exploitations agricoles », mais « en favorisant leur évolution vers une démarche d'entreprise ». Je conçois bien que ces mots de « démarche d'entreprise » constituent aux yeux de votre majorité une formule magique, qu'il suffit de prononcer avec une gourmandise dévote pour régler tous les problèmes auxquels nous pouvons être confrontés. Je crains cependant qu'une telle démarche soit difficilement compatible avec votre vœu de conforter les exploitations.

En effet, le fonds agricole que vous voulez créer est potentiellement explosif pour la petite exploitation familiale. À la différence des fonds de commerce et des fonds artisanaux, ce fonds agricole n’est pas défini. Vous vous contentez de dresser une liste des éléments susceptibles de faire l'objet d'un nantissement. En apparence, cette différence est de peu d’importance : il s'agirait simplement de comptabiliser tous les éléments d'une exploitation susceptibles d'avoir une quelconque valeur marchande. En soi, cela fait déjà problème : peut-on accepter de marchandiser tout ce qui fait la spécificité et le savoir-faire de chaque agriculteur ? Progressivement, cette comptabilisation des actifs de l'exploitation se retrouvera dans un bilan d'entreprise, de façon d'ailleurs parfaitement arbitraire : si nous savons tous, grâce aux techniques d'amortissement, attribuer une valeur précise à un tracteur ou à une ensileuse, quelle valeur attribuer à la confiance qui s'est construite entre un agriculteur et sa coopérative, et qui ne se réduit pas à la simple existence d'un contrat commercial ? Quelle valeur attribuer au savoir-faire spécifique d'un vigneron, ou à l'enseigne d'un éleveur renommé pour la qualité de ses bêtes ? Tout cela s'apprécie mais ne se quantifie pas.

Rapprocher ainsi le statut juridique des exploitations agricoles de celui des entreprises artisanales devrait vous poser question. Plus que toutes les autres, les exploitations agricoles sont soumises aux aléas, notamment naturels : le climat ne se maîtrise pas, pas plus que l'évolution des sols, La nature est imprévisible. Les habitudes alimentaires sont tout autant susceptibles de changements : on sait par exemple que la consommation de viande issue d'élevage allaitant subit des variations importantes. Comment bâtir un bilan d'entreprise stable sur des bases aussi précaires ? La valeur du fonds agricole d'une exploitation charentaise est-elle la même en 2004, où les conditions climatiques étaient normales, qu’en 2005, année de sécheresse ? Tous ces exemples montrent bien l'absurdité de cette idée de fonds agricole !

Et puis il y a l'inévitable question de l'intégration à ce fonds de tous les droits à prime ! À ce titre, la réforme de la PAC est parfaitement révélatrice d’une évolution particulièrement dangereuse pour notre agriculture. En effet, tous ces droits à paiement, qui n'ont pas de valeur en soi, seront pourtant intégrés dans ce fonds agricole. Ces droits n'ont de réelle valeur qu'en fonction de l'accès au marché et des possibilités de valorisation dont dispose l'exploitation. Ils sont aussi sensibles à l’évolution permanente de la réglementation : comment intégrer des droits à paiement dans un bilan si on connaît leur évolution prévisible à la baisse au cours des prochaines années ? Est-ce bien cela que vous appelez la pérennisation des exploitations ?

Au regard de ces considérations, l'idée même de ce fonds agricole est difficilement justifiable : une démarche d'entreprise reposant sur des bases aussi fragiles ne peut être porteuse d'avenir.

Tout cela prouve que vous ne cherchez pas à conforter nos exploitations agricoles. C’est après d'autres lièvres que vous courez ! La création de ce fonds agricole satisfait davantage votre volonté d'inscrire les structures de production agricoles dans une dynamique strictement capitaliste.

Permettez-moi d'illustrer mon propos en citant Jaurès. Ce grand homme déclarait, ici même, à cette tribune, il y a 108 ans : « entre la grande propriété et la petite propriété paysanne, il n'y a pas seulement une différence de degré mais en quelque sorte une différence de nature, l’une étant une forme de capital, l'autre une forme de travail. » (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Comme lui, nous en avions déduit qu'il fallait soutenir la paysannerie familiale. Ce fut d'ailleurs, de Tanguy Prigent à Waldeck Rochet, un constant point de convergence entre nos amis socialistes et nous-mêmes. À l’inverse, vous avez déduit du déclin de la grande propriété foncière, tant vous êtes attentif aux sirènes de la rue d'Athènes, qu'il fallait transformer la nature de l'exploitation familiale, c'est-à-dire en faire une forme du capital. Voilà quel est l'esprit profond de ce projet de loi. Il convient d'ailleurs de souligner la constance de cette attitude, jusque dans son caractère revanchard : déjà, en 1997, seule la dissolution de l'Assemblée nationale avait permis d'éviter la création de ce fonds agricole.

Ses conséquences concrètes ne tarderont pas à se faire sentir : cette valorisation capitaliste des exploitations aboutira à un fort renchérissement du prix des fermes, ou plutôt des « entreprises agricoles », comme vous dites. Leur cession à des candidats à l'installation sera évidemment proscrite, les jeunes ne disposant pas, à l’issue de leurs études, du capital nécessaire pour réaliser un tel investissement. À terme, aucun exploitant individuel ne pourra racheter de fonds agricole sans le soutien de capitaux étrangers à l'exploitation agricole. La concentration foncière et la généralisation de formes sociétaires seront les conséquences directes de ce nouvel esprit que vous souhaitez insuffler à notre agriculture.

Ce projet ne vient pas de nulle part : il est aujourd'hui porté par les think tanks – je préfère parler de « clubs de réflexion » – de la droite conservatrice, tel l'Institut Montaigne. Permettez-moi de vous lire un passage d’un rapport que cet institut a consacré à l’agriculture en juillet 2005 : « II faut simplement sortir du tabou relatif au maintien précaire d'exploitations sous-équipées, non compétitives, maintenues sous perfusion de subventions publiques sans perspective de rentabilité. La perspective d'aller vers un modèle agricole à 150 000 exploitations professionnelles axées exclusivement sur la production agricole ne doit pas être vécue comme un drame, dès lors que ces exploitations, tournées vers la satisfaction de larges marchés, sont réellement et durablement rentables et qu'elles sont accompagnées par des exploitations mixtes, associant productions issues de l'agriculture (transformation à la ferme) et prestations de service (agrotourisme). »

L’euthanasie des agriculteurs, voilà tout le programme de l’institut Montaigne. Voilà tout votre programme, monsieur le ministre.

M. François Sauvadet. Vous l’avez mal lu !

M. André Chassaigne. Ce discours n’est pas nouveau. Pour préparer mes interventions, je me suis penché sur un livre de Waldeck Rochet, député communiste et paysan, intitulé L’émancipation paysanne.

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Un visionnaire !

M. André Chassaigne. Déjà, dans les années cinquante, il soulignait que les économistes officiels expliquaient les difficultés des agriculteurs par leur manque de productivité, comme le fait aujourd’hui l’institut Montaigne. Et il montrait que, malgré les gigantesques efforts faits par les paysans pour accroître leur production, la pauvreté ne diminuait pas dans les campagnes. D’où sa conclusion, que je reprendrai ce soir car elle est toujours d’actualité :…

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Que disait Staline à la même époque ?

M. André Chassaigne. Mais pourquoi toute remise en cause du système capitaliste vous fait-elle sauter comme un cabri ? Vous n’avez que ce mot à la bouche : Staline. Essayez de trouver des arguments plus convaincants !

Je cite donc Waldeck Rochet : « On nous présente l’accroissement de la productivité comme la panacée universelle, le remède à tous les maux. À la vérité, on cherche ainsi à dissimuler les causes véritables du bas niveau de vie des travailleurs des villes et des champs et des difficultés particulières que rencontrent aujourd’hui les petits et moyens paysans. C’est qu’en régime capitaliste la part de revenus reçue par chaque classe ne dépend pas essentiellement de la masse de richesses produites, mais avant tout de la répartition de ces richesses entre les différentes classes sociales. » Voilà qui est d’actualité.

Les propos des amis de M. Bébéar sont, on le voit, aussi révoltants que stupides car, mesdames, messieurs de l’institut Montaigne, l’agriculture familiale n’est pas moins compétitive que le modèle agricole capitaliste que vous appelez de vos vœux.

J’en prendrai pour preuve la récente étude de Vincent Chattelier, ingénieur de l’INRA de Nantes, présentée il y a peu à Clermont-Ferrand. Je n’entrerai pas ici dans les détails, m’en tenant aux comparaisons qu’il établit entre l’efficacité économique du modèle familial en France et le modèle capitaliste en Angleterre et au Royaume-Uni.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Qui n’ont pas les 35 heures, eux !

M. André Chassaigne. Pourquoi êtes-vous gênés dès que je cite un économiste ?

Les résultats de cette étude sont pourtant éloquents : une exploitation laitière du Massif central produisant 170 000 litres génère autant de revenus qu’une exploitation hollandaise produisant 350 000 litres de lait. Il a aussi démontré que, pour générer 1 euro de revenu dans mon Livradois-Forez, il faut 3 euros de capital, contre 9 euros aux Pays-Bas. Cherchez bien quelles sont les exploitations les plus compétitives !

Faire reposer le développement de l’agriculture sur le capitalisme n’est pas une tentation nouvelle. Mais elle a pu être contrecarrée par deux garde-fous fondamentaux : le statut du fermage, grand acquis de la Libération, et bien évidemment le contrôle des structures.

Vous n’avez jamais officiellement remis en cause l’existence de ces digues, qui sont toujours parvenues à protéger les exploitants français de la pression excessive exercée par le capitalisme sauvage. Mais force est de constater que, subrepticement, ce projet de loi en brise les fondations principales, ouvrant la voie au déversement sans fin d’un libéralisme dont les paysans auront bien du mal à se remettre !

Après avoir lu l’exposé des motifs du projet de loi selon lequel le statut du fermage ne serait remis en cause que marginalement, par ordonnances, je m’inquiétais surtout du caractère large et flou de l’habilitation demandée au Gouvernement. Mais quelle ne fut pas ma consternation en découvrant le dispositif précis du nouveau bail cessible que vous créez, en lien avec le fonds agricole !

Vous annoncez, modestement, votre volonté de créer un bail cessible, afin de faciliter les transmissions d’exploitations. Fort bien. Mais vous créez en fait une véritable arme de guerre contre le statut du fermage. Je n’en suis malheureusement pas surpris tant votre gouvernement a montré d’obstination, depuis trois ans, à remettre en cause inlassablement, les uns après les autres, les acquis sociaux que notre peuple a arrachés à la Libération.

M. Yves Simon. C’est fabuleux !

M. André Chassaigne. Avec ce projet de loi, votre œuvre de destruction se poursuit donc, à l’encontre des agriculteurs cette fois.

Ainsi, avec l’introduction de ce bail cessible, vous légalisez la pratique illégale des pas-de-porte. Selon vous, il ne s’agirait que de reconnaître l’existant. Mais en reconnaissant juridiquement cette pratique condamnable, vous risquez de la généraliser : petit à petit, les cessions de fermes de gré à gré deviendront la règle et les instruments de gestion collective de l’agriculture, mis en place par la profession, perdront tout pouvoir. Cela aura pour conséquence évidente une hausse généralisée du prix de l’installation ou de la reprise de fermes, cauchemar des jeunes agriculteurs, rêve des plus gros exploitants !

Parallèlement, sans aucune justification d’ailleurs, vous fixez le prix de ce nouveau bail à 150 % du prix du bail rural de droit commun. C’est par cette disposition que vous comptez généraliser cette nouvelle forme de bail et donc le modèle agricole qu’elle sous-tend. En effet, progressivement, les bailleurs ne signeront plus de bail rural classique, les nouveaux leur offrant une rémunération bien supérieure ! Cette hausse des prix des loyers entraînera une sélection financière au niveau des preneurs et brisera le fragile équilibre établi en 1946 entre bailleurs et fermiers. Finalement, ces contreparties quant à la cessibilité du bail offrent à la propriété foncière une de ses plus belles revanches sociales.

La structure de la propriété foncière a pourtant considérablement changé depuis cette période. Certes, l’augmentation du prix du bail assure un revenu d’appoint important pour nombre d’agriculteurs en retraite. Mais n’aurait-il pas été préférable d’augmenter les retraites agricoles plutôt que de pénaliser les petits fermiers en activité ? Cette majoration de loyer fragilisera évidemment bon nombre d’exploitants. Étant donné les grandes difficultés financières dans lesquelles beaucoup de fermiers se trouvent, combien d’entre eux pourront supporter l’augmentation de loyer que vous envisagez avec ce projet de loi ? À terme, vous allez accélérer la disparition massive des plus petites exploitations françaises et donc l’agrandissement des rares exploitations restantes.

En outre, cet article remet en cause la sécurité de l’accès à la terre du fermier. Le droit à la prorogation illimitée du bail, enfin reconnu par le statut de 1946, est ébranlé par la possibilité offerte au bailleur de ne pas renouveler un bail pour des motifs autres que ceux déjà prévus par la loi, en contrepartie du versement d’une indemnité compensatrice. De la même façon que le contrat « nouvelle embauche » donne au patron la possibilité de licencier ses salariés sans raison légale, votre bail cessible donne l’occasion au bailleur d’expulser son fermier sans justification. Parallèlement, la durée de préavis pour le non-renouvellement de bail est réduite d’un tiers, la durée du bail d’un repreneur de bail cessible étant quant à elle réduite à cinq ans. Ne s’agit-il pas d’étendre la précarisation du travail salarié aux agriculteurs ?

Ce point n’est pas anodin. L’insécurité sociale est une composante structurelle de la France d’aujourd’hui. La prolifération des CDD et des contrats d’intérim, notamment à destination des plus jeunes, réduit à néant toute perspective d’avenir pour ces salariés. Vous connaissez bien l’ampleur de la désespérance sociale suscitée par cette précarité, aujourd’hui institutionnalisée dans l’industrie. Cette situation n’empêche pourtant pas les cercles les plus libéraux du pays de claironner que la précarité est une forme naturelle de la vie. Elle ne vous empêche pas de chercher à l’étendre à l’ensemble des travailleurs du pays : hier les salariés, aujourd’hui les travailleurs de la terre.

Le contrôle des structures est tout bonnement démantelé et les seuils de contrôle sont relevés. Les agrandissements de moins de trois hectares seront exonérés de contrôle, quelle que soit la taille de l’exploitation agrandie.

M. François Sauvadet. Trois hectares, c’est déjà bien !

M. André Chassaigne. Trois hectares : mais venez dans les Pyrénées dans la circonscription de Jean Lassalle ou dans la mienne en Livradois-Forez voir si trois hectares, ça ne compte pas pour un agriculteur qui s’installe et qui essaie de constituer une exploitation de taille suffisante. C’est du mépris de cracher sur trois hectares, alors que, dans ces régions, on se bat pour les obtenir !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Mais personne ne crache dessus !

M. François Sauvadet. Eh oui, vous vous méprenez !

M. le président. Poursuivez, monsieur Chassaigne.

M. André Chassaigne. L’avis des commissions départementales d’orientation pour l’agriculture ne sera plus demandé avant toute décision préfectorale. Et, comme si cet arsenal n’était pas suffisant, vous décidez de revenir au régime de déclaration pour les « biens familiaux ».

M. Yves Simon. Fabuleux !

M. André Chassaigne. Il s’agit d’exempter de contrôle des structures toutes les mutations concernant de prétendus biens de famille, la notion de famille étant comprise jusqu’au troisième degré inclus ! Si vous souhaitez relancer les recherches généalogiques en France, l’idée est bonne. Je crains cependant qu’elle soit inappropriée pour le développement de notre agriculture.

L’intensité comme l’étendue du contrôle des structures seront réduites à tel point qu’il n’en restera plus grand-chose : les mutations foncières ne se feront bientôt qu’exceptionnellement, sous le regard des structures collectives de gestion du foncier. Les CDOA n’auront plus qu’une compétence réduite à l’élaboration de plans départementaux pour l’agriculture. Bref, désormais, ces mutations foncières se feront essentiellement en fonction des seules règles du marché, une aberration fort justement soulignée par le Conseil économique et social.

Les articles, pris séparément, sont déjà profondément inacceptables, mais, regroupés dans un même projet de loi, ils menacent la reproduction du modèle économique et social de l’exploitation familiale. Je le répète car c’est suffisamment grave pour ne pas être tu : les prix de l’accès au fermage comme les prix d’achat d’une exploitation vont exploser. Le contrôle des structures ne s’opérera plus que de façon marginale, accentuant les effets pervers des mesures proposées dans le projet de loi. (« Tout à fait ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Ainsi, tout rachat d’exploitation, toute installation de jeune agriculteur deviendra progressivement impossible sans apport massif de capitaux externes.

M. Yves Simon. Mais les commissions sont consultatives et pas délibératives !

M. André Chassaigne. Mon cher collègue, j’espère que ces propos, vous les tiendrez dans les villages de votre circonscription de l’Allier. Ayez le courage d’aller dans ce département, qui a été à l’origine du statut du fermage, pour dire que vous voulez le supprimer ! Vos électeurs apprécieront !

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis. Mais il n’est pas question de supprimer le statut du fermage, c’est de la désinformation !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Oui, cessez ces faux procès et ces suspicions !

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis. Le droit commun reste le statut du fermage !

M. le président. M. Chassaigne a seul la parole.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Mais on ne peut pas laisser dire cela, monsieur le président.

M. André Chassaigne. Écoutez ma démonstration, je crois que vous aurez du mal à la démolir.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Halte aux interprétations, place à la vérité !

M. André Chassaigne. Article après article, on verra bien que ce que je dis est la stricte vérité ! C’est un texte fondateur d’une nouvelle agriculture, vous le savez.

M. le président. Nous n’en sommes pas à la discussion des amendements, monsieur Chassaigne.

M. André Chassaigne. Tout rachat d’exploitation, toute installation de jeune agriculteur deviendra progressivement impossible sans apport massif de capitaux externes, disais-je. Comme cet accès aux capitaux est par nature limité, seuls les agriculteurs disposant des ressources nécessaires auront effectivement accès au foncier.

La concentration foncière comme l’agrandissement des exploitations vont donc encore s’accélérer. Les autres ne pourront survivre qu’en sollicitant l’aide d’investisseurs, seuls en mesure d’injecter les capitaux nécessaires. Ils devront donc se soumettre aux règles de fonctionnement du capitalisme.

Quelles en seront les conséquences pour les agriculteurs ? Imaginons que vous ayez raison, monsieur le ministre, et que cette réforme soit effectivement nécessaire. Je me fais l’avocat du diable, quelques minutes seulement, je vous rassure.

Certes, dans un premier temps les agriculteurs disposeront de plus de capitaux pour adapter et moderniser leurs exploitations. Mais dans un second temps, du fait de la baisse des prix, le résultat d’exploitation restera toujours relativement faible. Aucune exploitation agricole n’aura jamais la rentabilité d’une industrie pharmaceutique ! Et comme vous aurez accru l’intensité capitalistique des exploitations agricoles, il faudra bien rétribuer ce capital, en remboursement d’emprunts et progressivement en versement de dividendes !

Et pourtant, nous savons que nombre de paysans ne parviennent plus aujourd’hui déjà à rembourser leurs emprunts au Crédit agricole. C’est là une des principales causes des nombreuses faillites que nous déplorons chaque jour. Car, bien que les exploitations agricoles soient faiblement capitalisées, les charges financières qu’ont à payer les paysans sont excessives, voire franchement insupportables. Que se passera-t-il quand augmentera l’intensité capitalistique des exploitations du fait de la création du fonds agricole, du bail cessible et de la libéralisation de l’accès au foncier ? Les charges financières exploseront et l’excédent d’exploitation des fermes concernées ne suffira jamais à acquitter ces charges nouvelles.

Ainsi, vous prétendez préparer la ferme France à affronter la concurrence internationale. Au final, vous la lestez de charges nouvelles, qui se révéleront extrêmement handicapantes dans la concurrence internationale. Quelle contradiction ! J’en conclurai que votre idéologie nous mène à l’incurie !

Ce projet de loi d’orientation, c’est pour vous celui de la fin d’un monde, du monde de la paysannerie familiale. D’ailleurs, vous l’avez dit. Mais croyez bien que nous ne cesserons de nous battre pour sauver ce modèle agricole et empêcher l’accouchement d’un modèle unique d’agriculture capitaliste, reposant sur d’immenses latifundia et l’exploitation de travailleurs salariés toujours plus nombreux.

Nous comprenons d’autant moins l’orientation de ce projet de loi qu’elle est en contradiction, par certains de ses aspects, avec les modalités d’application en France de la dernière réforme de la PAC. Ainsi, en 2003, votre prédécesseur déclarait vouloir prévenir toute spéculation sur les DPU en taxant tout transfert de DPU sans foncier à 50 %.

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. C’est fait !

M. André Chassaigne. Bien au contraire, votre loi encourage la spéculation sur les DPU, en les intégrant au fonds agricole, parfait objet de spéculation. Quelle incohérence, monsieur le ministre !

M. François Sauvadet. Ce n’est pas vrai !

M. André Chassaigne. De la même façon, la France avait annoncé soutenir l’installation des jeunes agriculteurs. Elle utilise donc tous les dispositifs mis en place par la nouvelle PAC pour financer au mieux la « réserve » instituée pour attribuer des DPU aux jeunes désirant s’installer. Ainsi, les jeunes pourront récupérer des DPU grâce à cette réserve convenablement abondée, mais ne pourront évidemment pas racheter un fonds agricole, dont le prix augmentera sensiblement. Nous nageons en pleine logique !

Oui, monsieur le ministre, à l’opposé de vos certitudes nous sommes quant à nous convaincus que le modèle d’agriculture familiale est le seul viable et que ses performances sont les plus à même de répondre aux défis de notre temps. Et nous ne sommes pas les seuls à le penser.

Permettez-moi à ce sujet de citer ce que déclarait au micro de Jacques Chancel, il y a bientôt trente ans, une personnalité paysanne de ma circonscription, bien connue et appréciée de beaucoup d’entre vous, Michel Debatisse : « Le grand apport du monde agricole, la fierté de notre syndicalisme, c’est d’avoir fait une agriculture efficace économiquement, et cela au travers d’une multitude de petites entreprises, ces cellules familiales d’hommes et de femmes responsables de leur travail dans leurs exploitations et pourtant travaillant avec les autres. Nous avons concilié la responsabilité personnelle et l’efficacité économique. Dans la société actuelle, n’est-il pas possible de concevoir une évolution comme celle par laquelle nous nous sommes battus et que nous avons fait aboutir ? Ne peut-on pas concevoir une forme de développement économique qui soit différent de celui que nous connaissons, avec les grandes concentrations urbaines, les grandes usines où se rassemblent des centaines de milliers d’hommes ? »

Je me répète, certes, mais l’enjeu est d’importance : vous faites le choix d’imposer un modèle d’entreprise à l’anglo-saxonne. Avec un tel projet, la terre n’appartiendra plus à ceux qui la travaillent mais à ceux qui vont se l’approprier.

Ceci vous oblige évidemment à anticiper l’augmentation prévisible du nombre de salariés agricoles au cours des prochaines années. Il faudra bien des bras pour travailler la terre !

Cette évolution nous interpelle d’autant plus que nous connaissons la dureté des conditions de travail des salariés agricoles en France. À moins de faire de nos territoires ruraux un enfer, mêlant faillites d’exploitants familiaux et précarisation des travailleurs de la terre, il est vital que l’augmentation du nombre de salariés s’accompagne de progrès sensibles des conditions de travail.

Face à cette exigence, vous avez fait un autre choix : réduire les droits des salariés. En effet, votre projet de loi prévoit la possibilité d’effectuer des heures supplémentaires au-delà du contingent d’heures supplémentaires légal ou conventionnel. J’imagine que vous justifierez cet article au nom de la prétendue liberté de travailler plus pour gagner plus.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Comment font les petits paysans ?

M. André Chassaigne. Comme si les salariés agricoles avaient le loisir de fixer eux-mêmes leur temps de travail !

Cet énorme mensonge est d’autant plus scandaleux qu’il fait reposer la remise en cause d’acquis sociaux sur l’instrumentalisation d’une juste revendication : la hausse des salaires, bloquée depuis des années par l’intransigeance patronale.

Je suis d’autant plus dubitatif quant aux conséquences de cette loi pour les salariés agricoles que vous venez de vous engager à y intégrer des propositions émises par notre collègue Le Guen, rapporteur d’une étude comparative sur l’emploi dans le secteur agricole. Nous reviendrons sur le contenu de ces amendements au cours des débats pour savoir quelle en est la substantifique moelle.

Monsieur le ministre, les autres articles de votre projet de loi n’ont heureusement pas la portée des premiers. Ils en constituent simplement la sage déclinaison, mêlant de petites touches de renoncement libéral et de rares avancées sociales, dressant un tableau où transparaît essentiellement, au final, le désengagement de l’État de ses missions de régulation du secteur agricole.

Ainsi, par exemple, dans la lignée de la loi pour le développement des territoires ruraux, le Gouvernement n’encourage l’agriculture sociétaire que sous sa forme libérale. Les GAEC n’ont pas votre faveur, ce dont nous ne sommes par surpris, cette forme de coopération agricole interdisant l’apport de capitaux externes sur l’exploitation. En revanche, vous semblez vouloir faire des EARL la forme sociétaire pivot de l’agriculture, en réduisant peu à peu toutes les règles juridiques qui pouvaient entraver leur développement comme leur agrandissement.

La poursuite de la réforme des dispositifs de protection des paysans contre les calamités agricoles s’inscrit dans la même orientation libérale. Le Fonds national de garantie contre les calamités agricoles, le FNGCA, offre certes des prestations insuffisantes aux agriculteurs, nous en sommes tous conscients. Est-ce pour autant une raison pour le vider de son contenu et privilégier des dispositifs d’assurance privée ?

Par-delà ses insuffisances, le FNGCA repose sur un certain nombre de principes, et notamment la mutualisation des risques entre tous les agriculteurs. Il ne sélectionne pas les agriculteurs en fonction du degré d’exposition aux risques de leur exploitation, comme le fera inévitablement un système assurantiel. Bref, il repose sur la solidarité de l’ensemble de la profession face aux calamités agricoles.

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis. Les éleveurs n’en bénéficient jamais ! N’idéalisez pas un système qui ne fonctionnait pas bien !

M. Jean Dionis du Séjour. Ça ne marche pas !

M. André Chassaigne. Ce choix idéologique est incompréhensible : l’assurance privée contre les risques climatiques coûte plus cher en frais de fonctionnement que le FNGCA. Sans compter les profits qu’exigeront les actionnaires tout à fait logiquement. Et le système ne peut pas fonctionner sans une aide financière conséquente de l’État. S’agirait-il encore de mutualiser les coûts tout en privatisant les gains ?

Dans les régions particulièrement soumises aux aléas climatiques, cela pourrait fragiliser dangereusement un certain nombre d’agriculteurs. Je pense à tous ceux qui ne seront pas en mesure de payer les primes d’assurance colossales qu’exigeront leurs assureurs privés.

Pour toutes ces raisons, nous militons pour un renforcement des compétences du FNGCA. Plutôt que de financer des assurances privées avec des fonds publics, comme vous le suggérez, pourquoi ne pas financer un fonds de garantie public avec des fonds privés ? Ce n’est bien évidemment qu’en accroissant les ressources du FNGCA que l’on pourra améliorer les prestations qu’il offre aux agriculteurs.

Toute la filière agroalimentaire profite du travail des agriculteurs, qui fournissent notamment toutes les matières premières dont ont besoin ces industries pour fonctionner. Comment alors accepter que seuls les paysans contribuent au FNGCA ? Toute la filière devrait être sollicitée pour protéger les agriculteurs contre les risques auxquels ces derniers sont exposés. D’où cette proposition de faire participer des fonds privés pour conforter les fonds publics.

M. Daniel Paul. Très bien !

M. André Chassaigne. C’est tout à fait légitime quand on étudie la filière de la production, de la transformation et de la commercialisation. On fait payer l’ensemble de la filière et on ne privatise pas cette protection. Au contraire, on maintient son aspect mutualisateur. Il n’y a aucune raison que cela ne marche pas. Encore faut-il avoir la volonté politique de maintenir ce type de fonctionnement. Mais, c’est vrai, il y a chez vous une forme de crispation mentale, une forme d’obsession qui vous fait penser uniquement au libéralisme, aux profits qui peuvent être dégagés. Essayez un peu de sortir de cet engrenage et de comprendre qu’on peut maintenir des systèmes qui ne vont pas servir à enrichir quelques-uns au détriment des autres.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Vous, vous n’êtes pas encore sorti du vôtre !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Il faut sortir de Waldeck Rochet !

M. André Chassaigne. Je constate un progrès : tout à l’heure, on accusait le stalinien ; maintenant c’est au tour de l’héritier de Waldeck Rochet. J’en suis très fier !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. À chacun ses héros !

M. André Chassaigne. Cette année, on célébrait le centième anniversaire de la naissance de Waldeck Rochet.

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Les Français l’ont oublié depuis longtemps !

M. André Chassaigne. Pas tous ! C’était un grand homme et je suis heureux de l’avoir cité à la tribune aujourd’hui !

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Chassaigne.

M. André Chassaigne. Je laissais au compte rendu le soin de noter tranquillement les réflexions particulièrement désobligeantes et très étroites que certains viennent de faire !

M. le président. Rassurez-vous : le compte rendu sait parfaitement faire son travail !

M. André Chassaigne. Vous pouvez continuer à insulter la mémoire de certains !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Nous avons un grand respect pour le cinéma muet !

M. André Chassaigne. La réorganisation des offices, associée aux dispositions concernant les interprofessions, est aussi lourde d’interrogations. Certes, dans leur conception mi-publique, mi-privée, ces offices ont participé du démembrement des missions centrales de l’État.

En effet, le statut particulier des personnels de ces offices, à l’exception de ceux de l’ONIC, montre bien qu’ils n’ont pas été conçus comme des instruments de la puissance publique.

Mais malgré ces limites, leur mission initiale de régulation des marchés agricoles était fondamentale. Ils avaient permis, notamment avant la réforme de la PAC de 1992, d’éviter de trop grandes fluctuations des cours des denrées agricoles.

La libéralisation forcée des marchés agricoles a logiquement réduit leurs attributions. Ces offices se contentent aujourd’hui de distribuer les aides communautaires et de débattre des orientations économiques des différentes filières agricoles.

En créant une agence de paiement unique, organisée à partir des personnels de l’ONIC et compétente pour le versement des aides communautaires, votre projet de loi vide un peu plus de leur substance les derniers offices existants. Quelle sera alors leur mission effective ? Dans quelle mesure pourront-ils intervenir sur les marchés ?

Nous ne sommes pas férocement attachés à la survie de ces offices mais nous sommes convaincus de la nécessité profonde pour l’État de se donner les capacités effectives de contrôler l’évolution des cours sur les marchés agricoles : la lourde chute des prix agricoles, ces dernières années, a eu des conséquences dramatiques pour les paysans les plus fragiles. Leur revenu est devenu de plus en plus dépendant du versement des aides communautaires. C’est pourquoi il est de la responsabilité des pouvoirs publics de chercher à soutenir ces prix agricoles pour garantir des prix rémunérant le travail paysan à sa juste valeur.

La question du revenu est la question centrale autour de laquelle aurait dû naturellement s’articuler une bonne loi d’orientation agricole. Malheureusement, vous faites peu de cas de cette revendication, comme l’atteste l’indigence de vos propositions relatives à l’organisation de la filière agricole face à l’agroalimentaire ou à la grande distribution.

Le Parlement avait déjà, en début d’année, adressé un signe en ce sens au Gouvernement. L’adoption, dans la loi de développement des territoires ruraux, d’un amendement de notre collègue sénateur Soulage, rétablissant un mécanisme de coefficient multiplicateur, avait été perçue comme un signal extrêmement positif dans le monde agricole.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est vrai !

M. André Chassaigne. D’ailleurs, plusieurs d’entre nous étaient intervenus à de nombreuses reprises...

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. J’en sais quelque chose !

M. André Chassaigne. ...pour demander le rétablissement du coefficient multiplicateur. Et sur tous les bancs !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Surtout celui-ci !

M. André Chassaigne. Il s’agissait, notamment pour les fruits et légumes, d’encadrer les marges exorbitantes de la grande distribution. L’absence de réaction des ministères concernés par la forte baisse des prix des fruit et légumes, au printemps comme cet été, a rappelé vos réticences à accepter un tel dispositif. Elle a surtout montré – bel exemple de démocratie ! – que le Gouvernement se permettait impunément de ne pas exécuter les mesures votées par le Parlement, pour ne pas porter atteinte, une fois de plus, à la grande distribution. Je pense que vous vous expliquerez là-dessus, monsieur le ministre.

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. On ne s’explique pas sur des mensonges, monsieur Chassaigne.

M. André Chassaigne. Il me paraît difficile de qualifier de mensonges de simples constatations.

Ainsi, le problème reste entier : quelles mesures êtes-vous prêt à prendre pour véritablement orienter les marchés agricoles et éviter la multiplication des crises de prix que subissent chaque année les paysans ?

La réponse formulée dans votre loi ne nous convient pas car l’élargissement des missions des interprofessions, notamment à la prévention des crises, n’est pas à la hauteur des enjeux. Elle révèle que, même en cas d’incapacité manifeste des marchés à s’autoréguler, vous vous obstinez à croire à des mécanismes de régulation privés.

Nous ne contestons pas l’utilité des interprofessions pour gérer de nombreux problèmes et accompagner le développement des différentes filières agricoles. Mais la fixation des prix est avant tout le résultat de rapports de force extrêmement violents, souvent en défaveur des plus petits. Dès lors, parce qu’elles regroupent autour d’une même table producteurs, transformateurs et distributeurs, les interprofessions privilégient souvent des compromis au détriment des seuls producteurs. L’absence de pluralisme syndical dans la représentation des producteurs accroît leur incapacité à assurer convenablement la défense des intérêts des plus petits exploitants : la nouvelle baisse, autoritaire, du prix du lait, décidée au début du mois de septembre par l’interprofession laitière, atteste bien leur inaptitude à garantir aux paysans une juste rémunération de leur travail. Les interprofessions recherchent prioritairement des équilibres de marché et se basent donc sur la seule valeur marchande des produits. Nous avons au contraire besoin d’une intervention publique qui prenne aussi en compte les coûts de revient et les valeurs d’usage des denrées agricoles.

Les mêmes critiques valent malheureusement pour vos propositions concernant les organisations de producteurs.

Je le répète, une loi d’orientation devrait avoir pour seul objectif de chercher à conforter le revenu paysan pour garantir l’avenir de la ferme France. Or vous envisagez de regrouper les organisations de producteurs en entités à forme commerciale et d’autoriser la création de fédérations d’organisations de producteurs. Il est évident que ces propositions ne sont pas à la hauteur des enjeux. Comment pourraient-elles être source de progrès ? Comment ces superstructures, éloignées des paysans, parviendraient-elles à inverser le rapport de force existant en faveur de la grande distribution ? Nous savons malheureusement, par expérience, que même les coopératives ou les organisations de producteurs les plus puissantes ont bien peu de poids, sinon aucun, dans les négociations tarifaires avec les industries ou la grande distribution. Le problème réside moins dans l’atomisation de l’offre de denrées agricoles que dans la situation de monopsone dans laquelle se trouve notamment la grande distribution, et contre laquelle aucun de nos chevaliers blancs de la concurrence, français ou européens, n’a jamais rien tenté. C’est pourtant sur ce point que nous attendions des avancées.

Mais nous avons bien vu lors des débats sur le projet de loi sur les PME que le Gouvernement n’était pas prêt à nous suivre dans cette voie. Nous avons bien compris que le pouvoir des monopoles privés vous dérangeait nettement moins que celui des services publics en situation de monopole.

C’est pourquoi nous craignons que vos propositions visant à mieux organiser l’offre n’apportent rien aux paysans : ce n’est pas ainsi que les prix rémunéreront leur travail ou que les marges de la distribution s’éroderont.

Nous sommes d’autant plus inquiets que votre projet de structuration des organisations de producteurs risque à terme de concurrencer les coopératives agricoles, les seules aujourd’hui à être propriétaires des produits de leurs adhérents. En donnant le même pouvoir aux organisations de producteurs, dont les règles de fonctionnement sont nettement moins démocratiques, nous risquons d’affaiblir considérablement les premières. Alors, les paysans n’y gagneraient pas en revenu et y perdraient en maîtrise de leurs productions.

Cette crainte est d’autant plus légitime que vous proposez de faire évoluer la coopération dans une direction que nous n’approuvons pas. D’abord, vous souhaitez rapprocher par voie d’ordonnance leur régime juridique de celui des sociétés de droit commun. La raison d’être d’une coopérative agricole est de donner aux paysans les armes pour maîtriser la transformation et la distribution de leurs produits. C’est une forme de démocratie économique remarquable. Il n’y a donc aucune raison de chercher à la transformer en société anonyme ! Les agriculteurs n’ont pas choisi par hasard d’adhérer au mouvement coopératif. C’était un choix politique, économique, et même humaniste. Pourquoi chercher alors à dénaturer un choix noble et fort en vidant les coopératives de leur contenu social et progressiste ?

De la même façon, nous ne partageons pas vos propositions visant à faciliter la filialisation du mouvement coopératif et surtout, ce qui est grave, à créer des distinctions entre les associés simples – souvent de petits paysans – et les associés désireux de s’investir dans le développement de ses filiales, souvent plus aisés. C’est une entorse vraiment condamnable au caractère démocratique de la coopération. Là encore, nous ne voyons pas en quoi de telles propositions pourront assurer une meilleure rémunération du travail paysan.

Cette non-réponse du Gouvernement sur cette question essentielle est encore plus insupportable lorsque, comme pour la question des carburants, aucun précepte libéral ne vous interdit de prendre en compte la détresse des agriculteurs. Vous savez combien l’explosion actuelle des prix des carburants est dramatique pour les exploitants. Cette année, elle amputera sérieusement leur pouvoir d’achat, déjà sensiblement affaibli. Je vous rappelle que, depuis 2000, le revenu a baissé en moyenne de 2,5 % par an.

M. Jean-Claude Lemoine. Sauf le vôtre !

M. André Chassaigne. C’est à vérifier.

Dans un tel contexte, nous attendons de véritables avancées sur ce point.

À la rigueur, votre refus de baisser sensiblement les taxes sur le carburant pourrait se comprendre si vous proposiez effectivement, rapidement, aux paysans d’utiliser un carburant de substitution nettement moins cher, comme les huiles végétales.

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. André Chassaigne. Or, sur ce point, malgré les déclarations fracassantes du Premier ministre, le projet de loi tel qu’il nous a été présenté n’apporte que des avancées extrêmement limitées. Ainsi, les huiles végétales ne pourront être utilisées qu’en autoconsommation, de façon expérimentale, et jusqu’en 2007 seulement ! Ce n’est pas sérieux.

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis. Nous allons progresser sur ce point !

M. André Chassaigne. Tant que l’amendement n’est pas adopté, je m’en tiens au projet de loi.

Comment voulez-vous véritablement promouvoir le développement de la filière sans lui donner un minimum de visibilité et de temps ? Comment voulez-vous réellement favoriser l’utilisation des huiles végétales sans donner aux rares paysans en mesure aujourd’hui de le faire la faculté d’en produire et d’en vendre à leurs collègues ? Monsieur le ministre, le bénéfice de Total est en hausse de 44 % sur le premier semestre de l’année et s’élève à plus de 6 milliards d’euros. Vous ne pousserez pas cette société à la faillite en permettant aux paysans de France d’utiliser pour leur tracteurs un carburant propre et peu coûteux ! J’espère que l’amendement présenté sur ce point par notre rapporteur, au nom de la commission, bénéficiera de votre soutien. Sachez qu’il a fait ce matin l’unanimité de la commission des affaires économiques présidée par M. Ollier.

Votre projet nous propose donc une reconfiguration générale de notre agriculture autour de grandes exploitations capitalistes en ne laissant qu’une place marginale à l’agriculture paysanne. La constitution de filières courtes de distribution et le développement de signes de qualité, parmi lesquels l’agriculture biologique, devraient cependant permettre une coexistence, que l’on espère pacifique, entre deux modèles agricoles. Aussi étions-nous en droit d’attendre de ce projet de loi qu’il donne des moyens véritables pour structurer et donc consolider ces filières. Là encore, notre déception fut grande.

Certes, en ce qui concerne l’agriculture biologique, on nous propose un crédit d’impôt pour les agriculteurs « bio ». J’ai l’impression que les cabinets ministériels utilisent de plus en plus les baisses d’impôts pour mieux dissimuler leur absence totale d’idées nouvelles et d’inspiration. À chaque problème son crédit d’impôt ! Mais le problème initial n’est jamais réglé.

Je ne conteste pas qu’il s’agira d’une réelle bouffée d’air pour de nombreux paysans « bio ». Mais il serait préférable de chercher à mieux structurer la filière, notamment en lui garantissant les débouchés nécessaires. Des propos allant dans ce sens ont d’ailleurs été tenus à la tribune par le porte-parole du Conseil économique et social. Voici quelques exemples : le conseil général du Puy-de-Dôme subventionne aujourd’hui l’achat de produits issus de l’agriculture biologique pour les cantines des collèges du département ;...

M. Christian Paul. Excellente initiative !

M. André Chassaigne. ...aux Pays-Bas, devenus une référence depuis le 1er juin dernier, le Parlement a voté une loi sur l’alimentation prévoyant de subventionner l’achat d’aliments de qualité par la restauration collective. L’objectif est bien sûr de relancer la demande de ces produits tout en augmentant le prix payé aux producteurs, sans pour autant pénaliser les familles les plus modestes. N’est-ce pas l’une des voies que nous pourrions suivre, plutôt que de nous enferrer dans des propositions sans avenir ?

La valorisation du travail paysan constitue aujourd’hui un moyen important pour garantir sa bonne rémunération, gage du maintien d’une agriculture vivante et forte dans nos campagnes.

Le problème n’est envisagé que sous l’angle de la réforme – prévue bien sûr pour l’essentiel par ordonnances – des signes d’identification des origines et de la qualité des produits. Encore avez-vous dit que nous pourrions en discuter. Vous cherchez donc à refondre les règles en matière de labellisation, d’appellation d’origine et autres.

Nous ne contestons pas la nécessité de simplifier un peu le dispositif. Mais nous nous interrogeons évidemment sur l’orientation que vous souhaitez donner à cette « réforme ». S’agit-il de s’aligner sur une réglementation européenne pour mieux normaliser les produits et faciliter leur insertion dans les circuits économiques internationaux, dont nous savons bien qu’elle ne profitera pas aux producteurs ? S’agit-il de développer des marques, donc d’ouvrir la voie à une uniformisation de nos produits aux goûts des consommateurs, préformatés par la culture dominante ?

Ainsi, pour résoudre la crise de la viticulture, il faudrait, à en croire les rapports qui se succèdent et qui sortent tous du même moule de la pensée unique, adapter le produit à la demande des consommateurs.

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Ce n’est pas idiot !

M. André Chassaigne. Les consommateurs, nous dit-on, voudraient moins de diversité et des vins mieux identifiables. Ils ne seraient pas capables de faire leur choix parmi plus de 400 AOC, 53 vins de pays et de très nombreux vins de table.

M. Jean-Louis Léonard. Surtout les Américains !

M. André Chassaigne. Je ne vous le fais pas dire. Aussi faudrait-il passer à une gestion « Coca-Cola » de la viticulture française et parvenir à une standardisation de notre production.

Sous l’impulsion de l’INAO, un plan de restructuration a été élaboré, avalisé en juillet 2004 par le Gouvernement mais pas par les viticulteurs. Dans le même temps, la Commission européenne cherche à réformer l’organisation commune du marché du vin.

Mes chers collègues des régions viticoles, d’un côté on autorise l’irrigation et l’utilisation de copeaux de bois ; de l’autre, on élabore un plan qui vise en fait à durcir les règles de production pour les AOC et à créer des vins de pays de grande région, créant une mixité entre ces appellations, avec affectation parcellaire des vignes destinées à l’AOC et de celles destinées aux vins de pays.

Si c’est là l’orientation que vous souhaitez généraliser, monsieur le ministre, nous ne pourrons que la rejeter vivement, en accord avec des milliers de viticulteurs de la plupart des régions de France.

Devant l’enjeu que constitue la valorisation du travail paysan, nous ne comprenons pas l’absence, dans le projet de loi, de toute référence à la multifonctionnalité. Nier de manière aussi dogmatique les apports de la loi d’orientation agricole de 1999 est totalement inconcevable !

Ne voyez-vous pas combien d’installations hors cadre ont permis de relancer, dans un grand nombre de villages, l’activité agricole ? Et combien la transformation de matières premières agricoles à la ferme et la vente directe permettent à de nombreux agriculteurs de vivre un peu moins mal ?

Si vous ouvriez les yeux, monsieur le ministre, mais sans doute suis-je trop long, vous constateriez l’existence d’un réel potentiel de développement dans nos campagnes. Encore faudrait-il l’encourager. Je me contenterai d’un exemple : les critères d’octroi de la DJA privilégient, vous le savez, une agriculture productrice de matières premières. Ils ne répondent pas suffisamment aux exigences et aux projets de nombreux agriculteurs en devenir. C’est pourquoi 40 % des installations se font aujourd’hui hors cadre. Ne faudrait-il pas repenser la politique d’installation pour qu’elle prenne également en compte la diversification de l’activité agricole dans sa totalité ?

Avec la question de la multifonctionnalité nous abordons également celle de la ruralité et de la vie sociale dans les campagnes. Vous avez déclaré en commission que l’agriculture française était en « super forme », et l’une des meilleures du monde. Le problème, c’est que, semble-t-il, la bonne santé de l’agriculture ne signifie pas nécessairement celle des agriculteurs : vous semblez plus attentif à notre balance commerciale agricole qu’au bien-être des paysans et au dynamisme de nos campagnes... C’est bien le problème de fond et c’est pourquoi le vote de cette question préalable s’impose. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Je terminerai cette courte intervention par une dernière citation.

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. De Marx !

M. André Chassaigne. Elle est d’Émile Guillaumin, syndicaliste paysan de l’Allier, dont les combats du début du XXe siècle pour les droits des fermiers et des métayers marquent encore la culture politique du Bourbonnais ; ce n’est pas mon ami Pierre Goldberg qui me contredira sur ce point.

M. Pierre Goldberg. Pas du tout !

M. André Chassaigne. Je cite – n’en prenez aucun ombrage, monsieur le ministre – : « Les discours officiels sont toujours assaisonnés de paroles mielleuses, de promesses fallacieuses, écœurantes. »

M. François Sauvadet. Ce n’est pas certain.

M. André Chassaigne. « Les ministres font état de la grandeur, de la gloire du paysan qui mérite la reconnaissance de tous. Aussi entendent-ils, par des projets mirobolants qui n’ont jamais de suite, instituer pour eux une manière de paradis terrestre. »

M. Christian Paul. Excellent !

M. André Chassaigne. « Des griffes puissantes apparaissent sous cette patte de velours : griffes de la grande presse qui réclame la vie à bon marché, griffes de la finance que les paysans n’intéressent pas. Des forces secrètes dictent au gouvernement, par-delà ses promesses, sa ligne de conduite définitive. Si bien que, publiant les louanges des campagnards, il prend des mesures à l’encontre de leurs intérêts. »

« Des mesures à l’encontre de leurs intérêts » : sans commentaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. François Brottes. Voilà des paroles bien senties !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Qui datent de 1905 !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la pêche.

M. Dominique Bussereau, ministre de l’agriculture et de la pêche. Je tiens tout d’abord à féliciter M. Chassaigne d’avoir disséqué très en détail le projet de loi mais il l’a fait, malheureusement, avec le regard d’Émile Guillaumin, c’est-à-dire dans la perspective de l’agriculture d’il y a un siècle, et avec des références à Waldeck Rochet et à ses pairs. C’est le langage, en effet, que le parti communiste tenait à la fin de la seconde guerre mondiale, lorsque le programme du Conseil national de la Résistance a été établi. C’était une autre époque, monsieur Chassaigne. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Telle est la raison pour laquelle vous êtes l’un des derniers députés communistes agricoles de France.

M. Richard Mallié. Il a un siècle de retard !

M. Jean-Charles Taugourdeau. C’est un rescapé ! Il faut le mettre sous cloche !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Cela ne m’interdit ni de vous respecter ni de respecter votre parti, mais je tiens d’autant plus vos critiques pour antédiluviennes (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) que votre lecture du projet de loi, faite dans le style de L’Humanité des années 50,…

M. Christian Paul. Oh !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. …vous a conduit à une analyse manifestement fausse et misérabiliste. Je me contenterai de quelques exemples afin de ne pas retenir trop longtemps l’attention de l’Assemblée.

Vous avez soutenu que le fonds agricole entraînerait un surcoût, alors que c’est tout le contraire. Il facilitera en effet la transmission de l’exploitation et en évitera l’éclatement à chaque génération : c’est ce qu’a toujours demandé le syndicalisme, y compris celui qui est proche de vous, monsieur Chassaigne – peut-être auriez-vous dû le consulter sur ce point. Le fonds doit permettre de réaliser les transmissions dans des conditions juridiques claires qui rendront possibles de meilleures conditions de financement. Il est donc bien dans l’intérêt des agriculteurs.

Quant à l’acquis que représente le statut du fermage, vous n’avez pas le droit de dire, monsieur Chassaigne, que nous le remettons en question.

Mme Marylise Lebranchu. Pourquoi ?

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Parce que le bail cessible est une option, et qu’en démocratie, madame Lebranchu, il doit être possible de concilier différentes options, même si, je le sais, ce n’est pas nécessairement votre conception des choses (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.).

M. Christian Paul. Vous êtes agressif, ce soir, monsieur le ministre !

M. Alain Néri. Il est dopé !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Une option suppose l’accord des parties. C’est pourquoi, madame Lebranchu, nous laissons aux agriculteurs le choix entre le fermage classique ou le bail cessible. Une société démocratique et républicaine, je le répète, autorise le choix !

Il en va de même de l’assurance, monsieur Chassaigne. Pourquoi croyez-vous que, depuis quelques mois, tant auprès d’un grand groupe d’assurance que d’un grand groupe bancaire issu de la profession agricole, quelque 60 000 contrats d’assurance agricole ont été souscrits par des exploitants de toutes tailles ? C’est qu’ils ont compris que le rôle du Fonds des calamités ne pouvait remplacer celui d’une assurance. Dans notre vie quotidienne, tous, nous avons recours à l’assurance : les agriculteurs, eux aussi, savent que l’assurance est aujourd'hui un moyen moderne de répondre à certaines de leurs préoccupations, quelles que soient la région d’installation ou, je le répète, la dimension de l’exploitation.

Enfin, en ce qui concerne les interprofessions, vous faites allusion à la nécessité d’une approche plus collective. Je rappellerai que les interprofessions permettent aux agriculteurs d’embrasser le processus d’amont en aval, de garder un œil sur les prix, de jouer sur la transformation des produits et de parler aux centrales de la grande distribution, que vous avez évoquées à juste titre. Fortifier, comme le fait le projet de loi, les interprofessions, c’est donc agir dans l’intérêt des agriculteurs et leur permettre d’améliorer leurs revenus.

Vous avez examiné ce texte avec un œil critique : c’est votre rôle de député de l’opposition. Mais laissez-moi vous dire en toute cordialité que, pour ce faire, vous avez mis des lunettes d’une autre époque…

M. Daniel Paul. L’argument est un peu court !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. …qui vous ont empêché de voir les progrès qu’il apporte. La discussion des articles permettra de les dégager. J’ai, ce soir, entendu beaucoup de critiques, mais aucune proposition : peut-être en sera-t-il différemment lorsque nous débattrons des amendements. Si vous en présentez alors qui vont dans l’intérêt du monde agricole, nul doute que la commission, le Gouvernement et l’Assemblée, majorité comprise, n’y soient favorables et ne les adoptent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Ollier, président de la commission. Tout à fait !

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Alain Marleix, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Alain Marleix. Notre collègue André Chassaigne, qui est un érudit et un admirateur de Vialatte, a fait de nombreuses citations et évoqué différents personnages historiques, plus ou moins exotiques.

M. Pierre Hellier. Et préhistoriques !

M. Alain Marleix. Il n’a cependant fait aucune allusion au camarade Fidel Castro. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Je tiens à vous faire plaisir, mes chers collègues !

M. Alain Néri. Fidel Castro n’est pas auvergnat !

M. Alain Marleix. Mais Fidel Castro, lui aussi, a l’habitude de prononcer des discours interminables.

Je citerai une anecdote tirée des mémoires de l’ancien président du Pérou, Alan Garcia, en visite à La Havane. Interrogeant le Lider Maximo sur la longueur de ses discours, il s’est vu répondre en substance : je fais de longs discours pour que le peuple ne se rende pas compte que je n’ai rien à lui dire. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

Mme Martine Lignières-Cassou et Mme Catherine Génisson. C’est complètement hors sujet !

M. Alain Marleix. Sans doute était-ce une boutade ! C’est néanmoins l’impression que je retire du discours de notre collègue. La question préalable tend à montrer qu’il n’y a pas lieu de délibérer sur un texte : dans le cas présent, nous assistons à un véritable détournement de procédure. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. Alain Néri. Rappelez-vous que c’est à la suite de certaines des interventions de vos amis politiques que nous avons été contraints de réformer, en la matière, le règlement de l’Assemblée nationale !

M. Michel Vergnier. Vous avez déjà la majorité ! Que voulez-vous de plus ?

M. Alain Marleix. Quatre raisons principales justifient l’examen, puis l’adoption de ce texte.

Premièrement, le projet de loi d’orientation est attendu par l’ensemble de la profession et il a été largement préparé par elle. Dès avril 2002, le Président de la République a souhaité, à Ussel, que nous ayons une véritable ambition pour le monde rural et pour l’agriculture et a appelé de ses vœux une agriculture « écologiquement responsable et économiquement forte » – la formule est de lui. Il l’a répété à Murat, en Auvergne, en 2004, dans un discours qui fait aujourd'hui référence.

M. Alain Néri. Ça prouve seulement qu’il n’a pas changé d’avis !

M. Alain Marleix. À la suite de ces discours, la préparation du projet de loi a donné lieu à une très large concertation : débat national organisé par une commission nationale d’orientation, débats publics dans toutes les régions de France à la fin de 2004, auxquels ont participé plusieurs milliers de personnes. Ce texte s’inscrit d’ailleurs dans la continuité de l’action gouvernementale en faveur du monde rural, après l’adoption de la loi sur les territoires ruraux, le 23 février 2005.

Deuxièmement, ne pas discuter du projet de loi d’orientation de l’agriculture, ce serait refuser de reconnaître la place de l’agriculture dans l’économie nationale. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Or, chacun le sait, l’agriculture demeure un secteur essentiel de l’économie française. Elle est performante et dynamique sur le plan international.

Mme Martine Lignières-Cassou et Mme Catherine Génisson. M. Chassaigne n’a jamais prétendu le contraire !

M. Alain Marleix. Elle est la première agriculture européenne. Nous sommes le deuxième pays exportateur de produits agroalimentaires au monde, derrière les États-Unis. Au plan national, l’agriculture, c’est 600 000 exploitations,…

M. Alain Néri. Pas pour longtemps !

M. Christian Paul. Elles ne seront plus que 50 000 dans dix ans !

M. Alain Marleix. …et 1,2 million de personnes travaillant à temps plein ou partiel. En aval, ce sont encore 650 000 personnes employées dans l’industrie agro-alimentaire.

M. Christian Paul. Pour combien de temps encore ?

M. Yves Simon. M. Lamy va nous aider !

M. Alain Marleix. L’agriculture et le secteur agroalimentaire représentent pour la balance commerciale de la France un apport de devises supérieur à celui de l’industrie automobile ou de l’industrie aéronautique ! Il faut le rappeler aux Français.

Ce débat sur l’agriculture française est aussi l’occasion…

M. Alain Néri. De penser à la retraite des agriculteurs !

M. Alain Marleix. …de rappeler que chaque Français est attaché à l’autosuffisance alimentaire, à la garantie de produits de qualité, à leur traçabilité et à la sécurité sanitaire.

Troisièmement, outre ces fonctions économiques, l’agriculture remplit une fonction essentielle en termes d’aménagement du territoire. Les députés élus dans des circonscriptions rurales le rappelleront tout au long du débat.

Enfin, quatrième et dernier point, une loi d’orientation est nécessaire en vue de développer une triple ambition pour l’agriculture.

Il convient tout d’abord d’accompagner les mutations à venir que nous impose l’évolution rapide du contexte international et communautaire : je pense notamment aux négociations de l’OMC et à la réforme de la PAC de juin 2003. Les répercussions sur notre agriculture nationale d’un contexte incertain et d’une situation en constante évolution nous imposent de trouver au plan interne les moyens de répondre à la diminution progressive des mécanismes traditionnels de soutien des marchés.

M. André Chassaigne. Ce n’est pas du Castro, c’est du catéchisme !

M. Alain Marleix. Il convient également de moderniser notre modèle agricole et de lui donner les moyens d’une compétitivité renforcée en dépassant l’approche purement patrimoniale de l’exploitation agricole pour la faire évoluer vers un modèle d’entreprise familiale agricole, qui valorise au mieux le travail de l’exploitant. Enfin, il convient de mieux prendre en compte les attentes de nos concitoyens à l’égard de l’agriculture en matière de sécurité sanitaire, de préservation de l’environnement ou de promotion des énergies vertes.

Mme Martine Lignières-Cassou. Il convient aussi d’assumer les conséquences de ses choix !

M. Alain Marleix. Il s’agit également de restaurer avec ce texte le pacte de confiance entre l’agriculture et la société.

M. Christian Paul. C’est mal parti !

M. Alain Marleix. Cette triple ambition pour l’agriculture apparaît au travers de mesures phares qui font de ce projet un texte essentiel. Celui-ci tire en effet les conséquences du fait que l’agriculture française est aujourd’hui à la croisée des chemins et qu’elle a besoin de nouveaux outils juridiques, économiques, fiscaux et sociaux pour répondre aux défis qui l’attendent. Il met en place ces leviers d’action que sont le fonds agricole et la cessibilité du bail, il améliore les conditions de vie et de travail des agriculteurs, il introduit des dispositions importantes en faveur de l’installation, avec le crédit transmission, ou encore en faveur des outils de consolidation du revenu avec l’assurance récoltes. Enfin, il ouvre des perspectives de nouveaux débouchés pour les biocarburants et la valorisation de la biomasse, et il allège les contraintes.

M. Alain Néri. Mais rien pour les retraites agricoles !

M. le président. Il est temps de conclure, monsieur Marleix.

M. André Chassaigne. Laissez-le parler, monsieur le président : ce qu’il dit est passionnant !

M. Alain Marleix. Je rappelle également que la suppression par étapes du foncier non bâti contribue à abaisser les charges d’environ 10 %.

M. Christian Paul. Et les retraites ?

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Je vous renvoie au PLFSS, monsieur Paul.

M. Alain Marleix. Nous avons donc à nous prononcer sur une loi qui permet aux agriculteurs de s’adapter dans un contexte difficile et incertain, une loi qui trace de vraies perspectives d’évolution pour les activités agricoles et pour les hommes et les femmes qui font l’agriculture française, une loi qui prend en compte toute la dimension économique de ce secteur, qui fixe enfin des repères pour les exploitants, notamment pour ceux qui s’installent. Aussi apportera-t-elle une espérance réelle à l’ensemble des agriculteurs et, au-delà, à l’ensemble du monde rural. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. André Chassaigne. Bel exemple de langue de bois !

M. le président. Mes chers collègues, la présidence n’a pas à se prononcer sur la qualité des interventions : elle doit simplement réguler le temps de parole, que je vous invite instamment à ne pas dépasser. Sinon, vu le nombre d’orateurs inscrits dans la discussion générale, nous n’en sortirons pas !

La parole est à M. Jean Lassalle, pour le groupe UDF.

M. Jean Lassalle. Si je dépasse les cinq minutes, monsieur le président, veuillez me stopper net !

Malgré le talent de « Dédé le Rouge », le groupe UDF ne votera pas la question préalable.

M. Alain Néri. Comme d’habitude, vous êtes contre le projet mais vous voterez pour !

M. Jean Lassalle. Comme nous tous ici, j’ai rencontré beaucoup d’acteurs du monde agricole au cours de ces dernières semaines, monsieur le ministre, et je n’ai trouvé personne qui soit opposé à ce projet de loi.

M. Christian Paul. Ni favorable, d’ailleurs !

M. Jean Lassalle. Cela m’a surpris. Sans doute un bon travail préalable a-t-il été effectué : en tout cas, il n’y a pas de tension autour de ce projet.

M. Alain Néri. C’est normal, il n’y a rien dedans !

M. Jean Lassalle. Je tiens également à dire au président Ollier qu’il a fait, comme à l’accoutumée, du bon travail – mais nous savons tous qu’il est bon (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) –, tout comme Antoine Herth, qui a consacré beaucoup de temps à ce projet.

Cela étant dit, puisque j’ai donné la position de mon groupe en une minute, il en reste quatre pour moi. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je suis en effet le seul des trois membres du groupe UDF présents ce soir qui ne s’exprimera pas dans la discussion générale.

Monsieur le président, quand donc avons-nous perdu le fil de cette formidable aventure qu’était la paysannerie de France ? Car nous l’avons bel et bien perdu ensemble à un moment donné, je ne sais trop comment : 3 millions de paysans en 1960, 700 000 aujourd’hui, 100 000 dans dix ou douze ans d’après les projections…

M. Christian Paul. 50 000 !

M. Jean Lassalle. Cela fera en moyenne 500 exploitants par département. Comment avons-nous pu en arriver là, nous, le pays le plus formidablement doté pour l’agriculture et le plus doué, celui qui avait le plus d’atouts naturels mais aussi d’intelligence et de savoir-faire ? Avec ces 500 agriculteurs par département, nous serons revenus, sans que la faute en incombe à personne, au temps des seigneurs.

En effet, comment vont-ils travailler, ces braves gens dont les exploitations seront à cheval sur plusieurs communes ?

M. Christian Paul. Écoutez bien, monsieur le ministre ! C’est un moment de vérité !

M. Jean Lassalle. Ils devront embaucher à la journée, comme on le faisait jadis, des personnes qui n’ont pas de travail.

Vraiment, je suis triste quand je vois des hommes qui, au soir de leur vie, constatent qu’il n’y a pas de reprise pour leur exploitation : les enfants sont partis à la ville…

M. Alain Néri. Si c’est ainsi, vous ne pouvez pas voter ce projet de loi, mon cher collègue !

M. Jean Lassalle. Je me suis déjà exprimé au nom de mon groupe : maintenant, c’est moi qui parle. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Convenez, mes chers collègues du groupe socialiste, que personne n’a été très brillant par le passé. Je vous rappelle les chiffres : 3 millions, 700 000, bientôt 50 000… Il y a quand même un problème !

Qu’attend donc ce brave homme qui pleure sur le pas de sa porte, au soir de sa vie, parce que ses enfants sont partis ? Aucune guerre, aucune révolution n’avait jamais provoqué cela : la continuité avait toujours été préservée malgré tout. Derrière lui, il laissera la jachère, ou bien des terrains qui seront vendus aux Anglais. C’est comme si je le voyais arriver, cet Anglais, ou ce Flamand, avec sa première ou sa deuxième femme (Rires.) Et ce qui n’est pas vendu aux Anglais va à Natura 2000 ! Là encore, ce qu’aucune guerre, aucune révolution n’avait entraîné, le tigre de papier européen a réussi à l’imposer en un minimum de temps. Je m’étonne que la profession agricole, pour qui j’ai le plus grand respect, ait accepté cela avec toutes les conditionnalités. C’est ainsi que ce que l’on déclare doit correspondre aux images recueillies par satellite SPOT. Il faudra bientôt être sorti de Polytechnique pour faire sa déclaration, mais qu’importe, nous dit-on, tout le monde va de l’avant !

Une autre chose, monsieur le président : où sont les ingénieurs que j’ai connus dans mon enfance, ces ingénieurs du génie rural qui venaient redonner le moral à tous, qui disaient : « Allez les enfants, il faut y aller ! » Ils ne sont plus là maintenant.

M. André Chassaigne. Ils ont été remplacés par les financiers !

M. Jean Lassalle. Ce sont de jeunes ingénieurs issus de très grandes écoles qui nous arrivent. Ils sont fous de joie à la vue d’une libellule. Ils s’extasient à l’idée d’aller compter le z’ours et le loup avec la DIREN-dondaine ! Mais dès qu’ils voient une souris, hop ! ils montent sur la chaise ! (Rires.) Où sont les ingénieurs d’antan ?

Il nous faut définir une priorité nationale. Si la France sait faire une chose, c’est bien de l’agriculture. La paysannerie savait en parler ! Il y a tant d’êtres qui meurent de faim sur notre planète… Vraiment, nous devons trouver ensemble le chemin pour notre pays, même si c’est difficile. Cela ne se fera peut-être pas avec les Anglais, qui ont abandonné leur agriculture depuis cent cinquante ans, ni forcément avec les Belges et les Allemands. Redevenons un peu nous-mêmes, apprenons à respirer, retrouvons un peu de fierté et de souffle…

M. le président. Merci, monsieur Lassalle.

M. Jean Lassalle. Ce que l’on fait actuellement en faveur de l’huile végétale ouvre une bonne perspective, et mon département y est sensible. Mais allons un peu plus loin.

Comprenez-moi, monsieur le président : en cinq minutes j’aurai fait tout ce j’ai pu. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert, pour le groupe socialiste.

M. Jean Gaubert. Je crains d’être moins rigolo…

M. François Sauvadet. Ce n’était pas rigolo, c’était très émouvant !

M. Jean Gaubert. J’en conviens, mon cher collègue : c’était émouvant tout en nous faisant sourire.

Je le dis à la suite d’André Chassaigne : nul ici ne conteste le besoin et l’intérêt d’une loi d’orientation agricole. La réforme de la politique agricole commune impliquait à l’évidence une adaptation. Mais c’est bien là le seul point sur lequel nous sommes d’accord !

M. Jean Dionis du Séjour. Ce n’est pas beaucoup !

M. Jean Gaubert. En effet. Nous pourrions même changer le titre !

M. Philippe Feneuil. Après la démonstration de Jean Lassalle, vous n’avez plus rien à dire !

M. Jean Gaubert. Au-delà de cet accord, donc, les choses se gâtent : sous couvert de modernisation, on nous conduit vers une agriculture fort différente de celle que nous connaissons. Jean Lassalle a bien fait de mentionner l’agriculture anglaise, car c’est dans cette direction que nous nous dirigeons, avec d’immenses exploitations qui couvriront tout ou partie du territoire d’une commune, quand ce ne sera pas de plusieurs. En effet, la politique des structures, que vous vous apprêtez à démanteler, est le seul moyen de permettre à des jeunes peu fortunés de s’installer et à des petits paysans d’agrandir leur exploitation en échappant à la spéculation foncière. Car bien que le revenu des agriculteurs ait diminué de plus de 20 % depuis 1995, le prix du foncier n’a cessé d’augmenter du fait de la spéculation. C’est cette logique qu’il aurait fallu casser. Au contraire, on va « assouplir », comme vous dites, la réglementation, si bien que tous les cousins à la mode de Bretagne – et il y en a beaucoup chez nous ! – éviteront le contrôle du foncier. Rien que dans ma commune, deux familles peuvent demain reprendre l’ensemble des terres sans que jamais la CDOA ne soit saisie.

Vous inventez le bail cessible. C’est une fausse bonne idée, car on oublie que la majorité des agriculteurs sont aujourd’hui fermiers de multiples propriétaires. Ils risquent donc de passer leur temps à négocier avec ceux-ci et d’être soumis à une surenchère permanente. Auront-ils même encore le temps de produire ? De plus, ceux qui auront accepté des loyers plus cher pendant un certain temps seront enclins à essayer de revendre plus cher le fonds ainsi créé.

Quant au fonds agricole, c’est encore une fausse bonne idée, car il ne s’agit là que de la régularisation de mauvaises pratiques de certains secteurs. Et le dispositif est difficilement palpable : j’aurai l’occasion d’y revenir demain.

Que deviendront les 40 % de smicards et de RMistes que l’on trouve aujourd’hui dans l’agriculture ? Ils resteront assurément smicards et RMistes, mais ils ne seront plus agriculteurs car ce texte nous prépare une agriculture qui ne comptera plus que des chefs d’entreprise.

Pour terminer, je souhaite dire à l’un de nos collègues qui, dans son intervention de cet après-midi, a tout mélangé, que ce n’est pas le vote du 29 mai qui a changé la donne.

M. François Sauvadet. Vous refusez d’assumer les conséquences du non ?

M. Jean Gaubert. C’est bel et bien l’application des accords de Berlin et de Luxembourg qui nous fait aboutir à ce projet de loi d’orientation.

M. Christian Paul. Bien sûr ! Il faut les assumer, ces accords !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Alors, assumez votre non, monsieur Paul !

M. Jean Gaubert. Quoi que nous fassions, les accords de Berlin, conclus par les Quinze, vont déterminer la politique agricole pour les Vingt-cinq, et ce avec le même argent. Il est temps de s’en rendre compte !

André Chassaigne, avec ses mots et ses arguments, a eu raison d’attirer notre attention sur les risques que comporte ce texte. Je vous invite donc à voter la motion préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Goldberg, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Pierre Goldberg. À l’humour finement cultivé dont André Chassaigne faisait preuve dans son explication de vote sur l’exception d’irrecevabilité, a succédé un terrible acte d’accusation, une argumentation implacable et difficilement contestable, comme l’a montré votre réponse, monsieur le ministre.

As-tu remarqué, André le Rouge – comme ce surnom m’a fait plaisir ! –, que ton intervention semblait inspirée par Romain Rolland, qui recommandait de « parler franc, droit, sans jamais se laisser retirer de la réalité quelle qu’elle soit » ? Ancien agriculteur moi-même, j’ai eu l’impression en t’écoutant de les entendre tous, les fermiers, les quelques métayers – mais peut-être ne sait-on plus, dans la majorité, ce que ce mot veut dire (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) – qui restent dans mon département, les petits céréaliers, les viticulteurs… Par ta voix, ils avaient tous ici la leur.

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Vous voulez parler des petits apparatchiks ?

M. Pierre Goldberg. Je veux dire qu’André Chassaigne, tout à l’heure, a labouré profond en démontant implacablement votre projet de loi. (« On se croirait dans les Mémoires d’outre-tombe ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Charles Taugourdeau. Il en a démonté la charrue !

M. Pierre Goldberg. Il a semé utilement pour l’avenir. Quoi qu’il arrive, demain viendra la récolte ! (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Vantardise de ma part ?

M. François Sauvadet. Non, lucidité !

M. Pierre Goldberg. François Sauvadet, vous auriez bien tort d’oublier le 29 mai. Votre seule argumentation, celle du ministre, celle d’un collègue de mon département, Yves Simon, a consisté à nous traiter de passéistes.

M. Yves Simon. Je le maintiens !

M. Pierre Goldberg. Évoquer les conquêtes de la Résistance, de la Libération, parmi lesquelles le fermage, ferait de nous des passéistes ?

Mais que faites-vous alors de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1789 ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Elle ne vaudrait rien ? Elle serait trop vieille ? À la vérité, sans jamais le dire, vous la démolissez ! Car vous cassez les services publics : le service de la santé, la sécurité sociale, l’Université, le logement social. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Vous voudriez faire croire que c’est nous, les passéistes ? Or vous êtes des passéistes, au sens vrai du terme, autrement dit des réactionnaires ! (Nouvelles protestations sur les mêmes bancs.)

Je conclurai sur ces deux mots maintes fois répétés par André Chassaigne, et qui ont beaucoup touché l’ancien paysan que je suis : la « ferme France ».

Un collègue agriculteur, M. Raison, a dit que nous avions une conception qui enfermait l’agriculture dans les barbelés. C’est parce que vous voulez faire une ferme capitaliste sans frontières. Si vous aviez le courage de soutenir une agriculture familiale à dimension humaine, vous voteriez la question préalable d’André Chassaigne. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n’est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. François Sauvadet.

M. François Sauvadet. Au moment où nous abordons l’examen de ce texte d’orientation agricole, nous ne pouvons que constater les difficultés que vivent bon nombre d’agriculteurs. Dans cette période de grande incertitude, ils ne se voient pas d’avenir.

Leurs difficultés sont pires que les difficultés économiques des temps de crise, puisqu’ils se demandent quotidiennement où ils vont et comment ils vont s’en sortir. Ils s’interrogent sur les pistes qui leur seront tracées, dans le cadre d’un débat qui s’est singulièrement compliqué.

Il faut avoir le courage d’assumer ses positions politiques, certes respectables. Monsieur Paul, vous avez engagé le pays à voter contre une Constitution européenne qui visait précisément à doter l’Europe d’un pouvoir politique.

M. Christian Paul. La crise n’a pas commencé il y a trois mois !

M. François Sauvadet. Et vous avez prétendu qu’il y aurait par la suite un plan B qui assurerait de nouvelles perspectives à la France et à l’agriculture française. Or nous voyons bien que l’Europe est incapable d’assumer aujourd’hui, dans les circonstances actuelles, un nouveau destin pour l’agriculture française et, plus généralement, un destin européen comme celui qui nous a rassemblés en bien des circonstances.

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. Antoine Herth, rapporteur. Merci de le rappeler !

M. François Sauvadet. Aujourd’hui, dans le contexte d’incertitude que traverse notre agriculture, s’ajoute une incertitude politique européenne, alors que nous abordons certaines négociations au sein de l’OMC. Vous avez d’ailleurs fait preuve, monsieur le ministre, de beaucoup de détermination et de volonté, en disant que nous serions courageux, que nous rappellerions le mandat confié aux commissaires européens dans le cadre de ces négociations.

Mais à la vacance du pouvoir politique en Allemagne s’ajoute la vacance politique européenne, qui aboutit à donner des marges de manœuvre aux commissaires européens, lesquels n’ont pas la même ambition que nous pour l’agriculture française et l’agriculture européenne dans le monde.

S’exonérer de cet environnement politique, de cet environnement mondial, de la place que l’on attend de l’Europe dans ces négociations, nous conduirait à faire, de la loi d’orientation agricole, diverses dispositions d’adaptation à une réalité. C’est précisément ce que nous ne voulons pas.

Nous nous interrogeons donc, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment d’examiner cette loi que nous avons voulu être une loi d’orientation, même si, à l’origine, elle nous a été présentée comme une loi d’adaptation.

Le président de la commission, notamment, a fait remarquer qu’il nous fallait dire ce que nous attendions de notre agriculture. La loi que nous allons examiner répond-elle vraiment à une nouvelle ambition, dans le contexte que nous traversons ?

Il y a incontestablement dans ce texte, monsieur le ministre, des aspects novateurs, mais pas de mesures fortes, d’ambitions affichées pour l’avenir de notre agriculture. Nous aurions souhaité, et je vous l’avais dit en commission, que ce texte soit précédé, comme ce fut le cas pour la loi sur l’énergie, d’un corpus législatif définissant les ambitions que nous assignons à notre agriculture et nous permettant de répondre clairement à des questions de fond afin de savoir quels outils mettre en place.

Les lois de 1960-1962 ont marqué leur temps, parce qu’elles s’inscrivaient dans une perspective : l’autosuffisance alimentaire avec, comme corollaires, la préférence communautaire et des outils de modernisation. François Guillaume et d’autres ont fait en sorte de réussir ce défi – au-delà même du résultat escompté, puisqu’il a fallu réguler la production, s’inscrire dans des perspectives de maîtrise budgétaire et de maîtrise des coûts.

Aujourd’hui, avant même d’aborder ce texte, nous devons nous demander quel rôle nous voulons assigner à notre agriculture.

Sur ce point nous avons des positions divergentes de celles du parti socialiste. J’étais là au moment de la loi d’orientation agricole, qui était une loi d’accompagnement et qui n’était pas destinée à engager l’agriculture à être présente sur les marchés internationaux. Or nous sommes la deuxième puissance agroalimentaire au monde et nous devons nous interroger sur le défi alimentaire évoqué avec opportunité par Jean Lassalle, sur le rôle que nous voulons jouer face à nos grands compétiteurs : les Etats-Unis tout d’abord, ainsi que d’autres pays satellitaires, que nous connaissez, monsieur le ministre, pour avoir participé à certaines discussions.

Regardez où nous en sommes après quinze années de réforme ! Le parti socialiste ne peut pas s’exonérer des responsabilités majeures qui ont été les siennes à certains moments décisifs de réforme de la politique agricole commune.

Mme Marylise Lebranchu. Il les assume !

M. François Sauvadet. Les accords de Blair House, l’abandon du plan protéines, qui devait nous permettre de faire face, avec notre production, aux nécessités, de l’élevage bovin notamment, ont bien été négociés sous d’autres cieux qu’aujourd’hui. Chacun doit assumer sa part de responsabilité.

Mais le résultat est là : sur le marché viticole – nous en parlions avec des responsables –, qui est toujours le fer de lance de notre industrie agroalimentaire et de nos exportations, nous avons reculé de plusieurs points.

Il en est de même pour la production ovine : l’Europe ne satisfait pas la moitié de ses besoins. La production bovine, pour la première fois, accuse un déficit de 300 000 tonnes. Selon les professionnels de la FNB, « la diminution des exportations tant sur les pays tiers que vers les autres États membres, conjuguée à une augmentation des importations en provenance des pays tiers et autres États membres ne peut avoir d’autre conséquence qu’un accroissement du déficit ». Voilà la réalité !

La question posée, face à cette incertitude et à une situation qui nous a conduits à un repli de nos productions, est la suivante : voulons-nous, monsieur le ministre, mes chers collègues, une agriculture exportatrice, présente sur les marchés mondiaux, pour répondre au défi mondial de l’alimentation qui est devant nous ?

Cette question n’est pas anecdotique. J’ai entendu dernièrement, à l’occasion d’une mission, des dirigeants chinois dire qu’ils ne pourraient pas, avec leur propre production, assurer l’alimentation de leurs ressortissants. Vous l’avez entendu comme moi, monsieur le ministre.

Voulons-nous, oui ou non, être présents sur ces marchés, au travers d’une agriculture de qualité et d’une agriculture de production ?

Autre défi qui est devant nous : face aux grands modèles d’uniformisation, voulons-nous préserver la diversité qui est notre grande chance et qui a fait notre réputation, avec notre qualité et notre sécurité alimentaires ?

Si nous le voulons, quels outils allons-nous mettre en place pour être présents sur les marchés ? Comment allons-nous faire face à la concurrence, à la compétition nouvelle qui s’ouvre avec les pays émergents et avec de grands pays producteurs qui se sont regroupés dans une sorte d’alliance stratégique, autour du Brésil notamment ?

Si nous voulons une politique de prix, si nous voulons sortir de cette spirale de baisse des prix qui va conduire à un affaiblissement parfaitement décrit par Jean Lassalle, il faut que nous mettions en place des outils modernes.

Est-ce que, sur les marchés compétiteurs, par rapport à certaines initiatives prises par les Etats-Unis, qui ont réussi la performance d’aider leur agriculture, bien davantage d’ailleurs que la PAC ne le fait, …

M. André Chassaigne. Ce n’est pas comparable ! Ce ne sont pas les mêmes territoires !

M. François Sauvadet. Monsieur Chassaigne, vous répondrez si vous le voulez à mes questions. Mais permettez-moi de les poser.

M. François Sauvadet. Je veux simplement dire que les outils de soutien à la production et aux prix qui ont été mis en place par les Etats-Unis méritent d’être examinés, d’autant que j’ai cru comprendre que ces soutiens échappaient aux règles qu’ils voudraient nous imposer à l’OMC.

Essayons, au travers d’une loi d’orientation agricole, d’étudier les techniques qu’ils ont mises en place pour soutenir les prix et les marchés, et qui ne relèvent pas, vous l’avez bien compris, d’une réalité des prix. Peut-être pourrions-nous transposer certains systèmes.

Certes, monsieur Chassaigne, les structures ne sont pas les mêmes. Mais interrogez-vous tout de même sur les capacités de production de nos grands partenaires qui nous disent dans quelle voie nous devrions aller, en contestant nos propres aides alors que, eux, aident davantage leur agriculture.

Une deuxième interrogation porte sur l’absence dans ce projet de loi de toute référence aux défis scientifiques et technologiques auxquels  nous sommes confrontés. Vous nous avez dit en commission que cela ferait l’objet d’un autre texte. J’en prends bonne note. Mais convenez-en, une loi d’orientation agricole devrait au moins comprendre un chapitre sur l’adaptation de notre système éducatif. L’enseignement agricole a beaucoup mieux réussi que l’éducation nationale.

M. Christian Paul. Ne tapez pas sur l’éducation nationale !

M. François Sauvadet. Je me livre simplement à une comparaison. Il n’est que de voir le taux d’employabilité des jeunes sortant des maisons familiales d’éducation rurale. Grâce à ce système particulier d’alternance et d’accueil des jeunes en difficulté, avec un accompagnement familial extrêmement marqué, ces jeunes ont trouvé une place que ne leur offrait pas l’éducation nationale.

M. Michel Piron. C’est vrai !

M. François Sauvadet. J’aimerais donc savoir comment vous allez aborder la question de l’enseignement agricole. Vous avez dit qu’elle avait été réglée par la loi Fillon. Or cette dernière ne prévoit rien de réellement significatif.

M. Christian Paul. C’est vrai !

M. François Sauvadet. S’il s’agit de transposer le système de l’éducation nationale à l’enseignement agricole, je vous le dis, je m’y opposerai. En revanche, l’introduction de filières nouvelles, pour rendre notre formation plus réactive et adaptée territorialement, me paraîtrait de bon aloi au moment où l’on parle de pôles de compétitivité et de pôles d’excellence ruraux. Au moins, monsieur le ministre, dites-nous quelles sont les orientations que vous envisagez en la matière. Ne vous enfermez pas dans une logique qui conditionnerait l’ouverture d’une formation nouvelle à la fermeture d’une ancienne, sans même se demander si elle était efficace.

Quant aux OGM, nous examinons une loi d’orientation agricole sans savoir dans quel sens vous souhaitez aller. Les parlementaires ont fait leur travail au sein d’une mission d’information qui a débouché sur des recommandations. Nous ne pourrons pas nous dispenser de prendre les précautions nécessaires. Pour autant, ne nous privons pas des voies que pourraient nous ouvrir les biotechnologies. Nous avons en la matière un vrai savoir-faire que je souhaiterais voir développer en une véritable veille scientifique et technologique.

M. Jean Lassalle. Oui !

M. François Sauvadet. Cette veille technologique, adossez-la à ce que vous voudrez, mais mettez-la en place avec des compétences affirmées.

M. André Chassaigne. Comme Natura 2000 !

M. Jean Lassalle. Ah non !

M. François Sauvadet. Sur le plan de la méthode, vous alléguez l’urgence alors que nous avons besoin d’un vrai débat, même s’il convenait d’envoyer des signes.

Nous aurons l’occasion de revenir au cours du débat sur quelques points que j’aborderai brièvement.

D’abord, il convient de trouver un équilibre nouveau entre la problématique de la propriété et la création du fonds agricole, qui est effectivement un élément de modernisation. Je vous engage, monsieur le ministre, à nous apporter, comme a commencé à le faire la commission des finances, des précisions sur le contour fiscal de ce fonds, qui ne manquera pas d’avoir des conséquences en matière d’imposition. Mais j’approuve le concept qui consiste à lier les droits à produire au contexte de l’exploitation plutôt que de les en séparer.

S’agissant du fermage, vous avez choisi de le traiter par voie d’ordonnance. Ce n’est pas la meilleure méthode.

M. le président. Monsieur Sauvadet, je vous invite à conclure.

M. François Sauvadet. Le sujet est important, monsieur le président, et je vous promets de réduire mon temps de parole dans le débat.

L’UDF est opposée à la voie des ordonnances car, en matière de lois d’orientation, un débat clair et transparent doit avoir lieu ici même. Vous avez pris acte, monsieur le ministre, de notre souhait et de celui du président Ollier, et je tiens à le saluer. Il reste que vous devrez apporter un éclairage sur les rapports nouveaux que vous souhaitez instaurer s’agissant du fermage. N’oublions pas que la finalité doit rester l’installation de nouveaux agriculteurs. Sans vous soupçonner de vouloir tuer le fermage, nous souhaitons que vous veilliez à préserver les intérêts des uns et des autres sans remettre en cause des équilibres que nous savons fragiles.

S’agissant des biocarburants, il faut que vous vous rapprochiez du ministre du budget, afin de vous donner les moyens d’atteindre l’objectif de 10 % à l’horizon 2010, ce qui suppose le triplement de notre capacité actuelle.

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Nous comptons la sextupler avec l’éthanol !

M. François Sauvadet. Le président de la fédération des oléo-protéagineux m’a parlé hier de triplement, sans l’éthanol.

Ne supprimez donc pas la TGAP. Sinon, quel moyen de pression nous restera-t-il sur les pétroliers qui, alors qu’ils ont des surplus d’essence, rechignent à introduire de l’éthanol ? À titre d’encouragement, consentez un avantage fiscal significatif sur les productions de diester et d’éthanol notamment. Quant aux huiles végétales, nous les évoquerons au cours du débat. Nous attendons vraiment des éclaircissements qui prouveront une réelle volonté du Gouvernement en la matière.

Quelques mots encore pour conclure.

M. le président. Concluez vite, monsieur Sauvadet.

M. François Sauvadet. Je suis convaincu que nous sommes capables d’ambition pour notre agriculture, capables de nous doter d’outils scientifiques et technologiques pour avoir de vrais pôles de compétence. Mais nous avons besoin de savoir comment vous affirmerez cette volonté dans de prochaines lois.

Il faudra également faire preuve de volontarisme pour établir des conditions plus équilibrées entre l’amont et l’aval. Nous avons proposé des outils, notamment pour les fruits et légumes, qui ne sont pas mis en place. Pourquoi ?

Volontarisme aussi pour favoriser la gestion des risques. Pouvez-vous préciser si nous nous dirigeons vers la couverture du risque concernant la production ou concernant le revenu ? Quels moyens l’État compte-t-il mettre en place ?

Volontarisme encore pour harmoniser les charges au plan européen et pour parvenir à une véritable simplification.

La France ne doit pas renoncer à une politique volontariste de production et de présence sur les marchés mondiaux. Je souhaite que nous donnions un signe fort à tous les producteurs, que nous leur procurions non seulement un avenir mais surtout un sentiment de fierté. En cette période d’incertitude, l’État doit être à leurs côtés pour que la France demeure demain une grande puissance agricole et agro-alimentaire. Le regard que nous portons sur les quinze dernières années doit éclairer les quinze prochaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Goldberg.

M. Pierre Goldberg. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, André Chassaigne a été traité, ici, de passéiste et de stalinien et s’est vu rappeler, là, Cuba et les barbelés. Je m’attends à un traitement pire encore, car je vais m’inspirer, dans mon intervention, de mon expérience et de ma vie personnelle.

Emile Guillaumin était un fermier d’Ygrande – que probablement M. Simon aurait traité de stalinien –,…

M. Yves Simon. Je ne suis pas comme ça !

M. Pierre Goldberg. …qui a passé sa vie à défendre la paysannerie familiale. Il a fait, au plan politique, des choix progressistes qui ont marqué toute son existence, avant de prendre la plume vers la cinquantaine. Mon propos empruntera beaucoup au titre magnifique de l’un de ses ouvrages : La vie d’un simple. De dix ans à quatorze ans, j’ai travaillé, pendant les vacances de Pâques et les grandes vacances, comme ouvrier agricole, puis je l’ai été pour de bon de quatorze ans jusqu’à mon départ pour la guerre d’Algérie. C’est sur cette période de ma vie que je fonderai mon intervention. J’ose espérer que vous retiendrez vos remarques et même – mais ne suis-je pas trop ambitieux ? – que vous m’écouterez.

M. Michel Piron. On ne fait que cela !

M. Pierre Goldberg. J’ai eu la chance, après ce début de vie, d’être l’élu de la circonscription rurale où j’ai été ouvrier agricole, parmi les miens. Connaissant, pour l'avoir pratiqué, le métier d'agriculteur – mais je ne suis pas le seul, j’en conviens –, j’ai étudié attentivement votre projet de loi. Pour m’aider dans cette tâche, j’ai réuni la section des métayers – il en reste – et des fermiers, ainsi que tous les syndicats agricoles de mon département de l’Allier. Je les ai entendus et je peux affirmer en mon âme et conscience que ce projet de loi d'orientation agricole n'est qu'une loi d'adaptation aux exigences de libéralisation du commerce international et en particulier de la réforme de la PAC 2003. Ce que l'on nous propose n'est ni plus ni moins que la transformation progressive – d’ailleurs, vous l’avez dit clairement – de l'exploitation agricole en entreprise.

Nous ne partageons pas l'avis du Conseil d'État sur la prétendue « indigence » de cette loi d'orientation, que nous jugeons au contraire lourde de conséquences. Si l'essentiel des dispositions de ce projet a peu d’intérêt à mes yeux, trois articles ont un contenu suffisamment explosif pour dynamiter le caractère encore familial et humain de notre modèle agricole et lui substituer une agriculture capitaliste, reposant sur de très grandes exploitations – parfois seulement deux par commune, comme l’a dit un de nos collègues – et sur le développement d'un salariat surexploité, pour le plus grand profit des intermédiaires et des grandes surfaces. Je le sais bien : ils s’en vantent dans mon département !

Les articles 1er, 2 et 3 introduisent une modification profonde de la structuration de type familial de l'exploitation agricole en France, en particulier du fermage. C'est une transformation de grande portée, qui sera lourde de conséquences pour l'ensemble de la ruralité de notre pays, André Chassaigne l’a dit.

Dans mon département de l'Allier, deux tiers des surfaces sont exploitées en fermage, et ce taux est en augmentation constante. L’agriculture y demeure fortement familiale et repose sur des structures moyennes qui entretiennent des liens forts avec la population locale et avec l'économie des communes rurales. Les trois articles en question s'attaquent au statut du fermage qui, certes loin d'être mirobolant, avait le mérite d'offrir aux paysans une certaine protection.

Acquis des luttes paysannes et démocratiques de la Résistance et de la Libération, le statut du fermage avait deux objectifs majeurs : la lutte contre les abus des propriétaires – qui existent, et vous le savez – ; la conquête de la sécurité et de l'autonomie pour les exploitants, qui se trouvaient auparavant, avec la fameuse loi des trois ans, un peu "comme l'oiseau sur la branche", c’est-à-dire soumis au bon vouloir des propriétaires.

Le statut du fermage permettait de prendre des initiatives dans la durée, ce qui est indispensable en agriculture. Il était facteur de développement de la production et de développement humain, tout en permettant le traitement collectif des règles et des barèmes qui, bien que difficiles à élaborer, avaient le mérite d’exister.

Voilà pourquoi ce texte ne vise pas qu'à « s'adapter au nouvel environnement réglementaire de la PAC » ; il tend à faire exploser un statut qui protégeait notre agriculture – c’était l'équivalent du code du travail pour les paysans – d'une dérive trop capitaliste.

Demain, comme il ressort très clairement du projet de loi d'orientation agricole, le statut du fermage pourra être revu par ordonnances, c'est-à-dire dans la plus totale discrétion, loin, très loin, du débat démocratique.

De même, le contrôle des structures permettant de prévenir la concentration des terres sera « aménagé ». C’est tout l'équilibre, souvent fragile, de l'agriculture française qui risque d'être déstabilisé par ce projet.

Si l'ensemble de ces dispositions sont entérinées, cela risque d'affecter lourdement l'organisation de l'agriculture, la production et, au-delà, l'aménagement rural.

L'article 1er fait voler en éclat des acquis adaptés à notre agriculture familiale. Le fonds agricole est destiné, dans l'esprit du Gouvernement, à accompagner le passage de notre agriculture dans l'âge de ce qu’il faut bien appeler – on le voit dans tant d’autres domaines – le libéralisme débridé. Identique aux fonds de commerce ou aux fonds artisanaux, il permettra la mise en place d’un cadre juridique tenant compte de l'ensemble des biens valorisables d'une exploitation : biens matériels – cheptel, outillage, biens immobiliers – mais aussi biens immatériels et virtuels – droits à produire, marques et brevets, contrats avec des distributeurs... En fait, le fonds agricole légalise la pratique des « pas de porte ». C'est bien un pas supplémentaire vers une agriculture d'entreprise.

Ses conséquences seront dommageables. D'abord, la valorisation des exploitations, qui vise à procurer un capital plus fourni aux agriculteurs partant à la retraite, excusera par là même l'absence de toute revalorisation des retraites agricoles.

Plus fondamentalement, ce sera un obstacle au renouvellement des générations : quel jeune agriculteur disposera de fonds suffisants pour racheter l'ensemble d'une exploitation constituée ou une exploitation survalorisée par l'intégration d'éléments immatériels dans son bilan ?

La réintroduction de la primauté du droit de propriété et de la rente sur les droits économiques des agriculteurs rompt ainsi un équilibre acquis par la lutte entre le droit de propriété et le droit d’usage.

La cessibilité du bail généralise les pratiques de « pas de porte » – qui existent déjà, malheureusement, dans certaines régions de notre pays – comme cession de gré à gré, au détriment des instruments de gestion collective du foncier, ce qui ne pourra qu'encourager la concentration foncière. Signe supplémentaire de la primauté donnée à la valorisation économique et spéculative des exploitations contre l'intérêt général de l'agriculture, le loyer des baux cessibles sera majoré de 50 % par rapport aux baux traditionnels. Les bailleurs auront vite fait leur choix ! Cette hausse des loyers entraînera une sélection financière implacable des preneurs. Elle ne pourra que fragiliser les plus petits fermiers, en les privant même de leur outil de travail, ainsi que les candidats à l'installation.

Nous assistons ainsi, de façon sournoise, à la mise en concurrence entre agriculteurs, à la sélection par l'argent, à la division du monde paysan, au renoncement à toute maîtrise de la production agricole par la qualité et à l'abandon de l'encadrement des marchés.

C'est une remise en cause d'un des plus grands acquis du statut du fermage : la sécurité du fermier, car ces dispositions ne pourront que précariser les plus petits d’entre eux et favoriser les plus riches.

Enfin, l'article 3 présente le risque majeur d’une simplification de toutes ces dispositions par ordonnances, renforçant encore la précarité du monde rural.

Au regard de ces éléments, vous comprendrez, monsieur le ministre, mes chers collègues, que nous votions contre ce projet de loi d'orientation agricole – un projet d'un autre âge, pour ne pas dire du Moyen Âge ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Raison.

M. Michel Raison. À l’heure où nous parlons, nous ne savons pas quel est le nombre exact d’agriculteurs en France. C’est une des faiblesses de ce secteur, pourtant bien organisé par ailleurs : il n’y a pas véritablement de fichiers et les statistiques portent soit sur le nombre d’exploitations agricoles soit sur le nombre d’agriculteurs. On estime ce dernier entre 800 000 et 875 000, alors qu’il était de plus de 2 millions en 1960. En dépit des lois d’orientation agricole successives, ce nombre n’a cessé de décroître. Ainsi, alors qu’un agriculteur, en 1960, nourrissait quinze personnes, il en nourrit aujourd’hui soixante, et le prix de l’alimentation a été divisé par deux.

Le projet de loi d’orientation répond à une nécessité dans un contexte marqué non seulement par la réforme de la politique agricole commune de juin 2003, qui a soulevé de multiples interrogations, mais aussi par les négociations mondiales et européennes. Nos collègues qui font de cette loi un décryptage apocalyptique semblent oublier que la survie des agriculteurs dépend de ces négociations. J’y reviendrai.

Je sais, monsieur le ministre, que, comme le Premier ministre et le Président de la République, vous faites le maximum pour que l’Union européenne fasse preuve de la plus grande détermination sur la scène internationale. Le soutien de notre agriculture passe aussi par là, et pas seulement par l’adoption de lois d’orientation, car le revenu des agriculteurs dépendra aussi de cette fermeté. L’Union européenne ne doit pas être la seule à désarmer son soutien à l’exportation.

Le contexte est aussi marqué par une érosion progressive du revenu des agriculteurs dans de nombreuses productions.

Ce projet de loi, destiné à orienter ou à réorienter l’agriculture française, est cohérent de son premier article jusqu’au dernier.

L’agriculture passionne les Français, et par conséquent les députés, même si on le voit un peu moins à cette heure-ci (Sourires), car elle englobe et production alimentaire, et entretien de nos paysages. Mais la perception de ce métier est aussi différente qu’il y a de sortes d’agriculteurs et d’agricultures. Elle varie en fonction de la région, du climat – en particulier de la pluviométrie – et du relief. De ce point de vue, les mesures de compensation du handicap naturel, que pour notre part nous encourageons, ont des effets très positifs sur l’occupation de l’espace dans notre pays.

Cette perception varie également en fonction de la production, du mode de commercialisation ainsi que de l’âge de l’agriculteur. Le raisonnement de l’agriculteur change au cours de sa progression de carrière : il n’est pas le même lors de son installation et lors de la cession de son exploitation.

C’est dans ce contexte de passion – très diversifiée – que les parlementaires ont à débattre de cette importante loi d’orientation.

La société, depuis des siècles, évolue. Il en est de même des métiers. L’agriculture n’échappe pas à la règle et c’est certainement le secteur économique qui s’est le plus modifié depuis l’après-guerre et qui a fait le plus gros effort en matière de productivité. Pourtant, beaucoup voudraient, pour différentes raisons, la voir figée comme une photo souvenir. Dans notre pays – je m’en amuse – chacun ou presque se sent agriculteur parce que ses ancêtres l’ont été ou parce qu’il l’a été lui-même quelques mois au début de sa vie professionnelle. Moi, je le suis, mais je ne prétends pas pour autant détenir la vérité, loin de là ! Tous ces gens-là, au contraire, se croient plus habilités que d’autres à parler d’agriculture, et on a le sentiment qu’ils cherchent à se rassurer en gardant les repères de leur enfance sinon ceux de leurs grands-parents. Le monde qui bouge fait peur ! Alors, on voudrait ne rien changer et, par nostalgie pour un passé idéalisé, on en gomme tous les aspects négatifs comme on retouche une photo numérique pour en effacer les défauts. On oublie qu’il n’y a pas si longtemps les êtres humains attrapaient la tuberculose des animaux, avaient le ténia et que l’insécurité sanitaire et alimentaire était permanente.

La France n’est pas devenue la première puissance alimentaire européenne par hasard, ni la première destination touristique mondiale. « Quel rapport y a-t-il entre les deux ? », me demanderez-vous. Tout simplement que le paysage a été façonné par l’agriculture. François Guillaume n’évoque-t-il pas, dans Le pain de la liberté, « le damier des champs et des prés » ?

Mme Brigitte Barèges, rapporteure pour avis. Belle référence !

M. Michel Raison. Pour rester les premiers, il ne suffit pas de proclamer des évidences et de regarder le passé, même proche, avec nostalgie, une nostalgie bien peu productive. Il faut permettre aux agriculteurs de passer de l’exploitation familiale à l’entreprise familiale. Et, comme je l’ai déjà indiqué, il faut que la loi leur donne cette possibilité ne signifie pas qu’elle annule toutes les autres.

Pourquoi, dans notre pays, regarde-t-on avec fierté l’artisan qui crée sa petite entreprise et recrute dix, quinze, parfois vingt salariés ; pourquoi dit-on de lui, avec admiration, qu’il est un créateur d’emplois ? Et pourquoi regarde-t-on de travers son voisin agriculteur qui décide d’embaucher un salarié ou deux ; pourquoi le qualifie-t-on de vilain, d’affreux, de « gros paysan » ? (Sourires.) Il faudra quand même parvenir, au XXIe siècle, à changer ce raisonnement.

D’ailleurs, qu’on parle de « gros paysans » m’amuse, car il y aura toujours, dans toutes les professions, des plus petits et des plus gros. Cela n’a rien d’extraordinaire. Cela vaut également pour les députés, suivant leur appétit. (Rires et applaudissements.)

Pour que des jeunes bien formés choisissent le beau métier d’agriculteur, je ne crois pas que la bonne méthode soit de poser des barbelés autour des exploitations existantes pour qu’elles ne s’agrandissent pas. Il faut un projet de carrière. Je n’ai d’ailleurs pas compris, lorsque j’ai opposé, tout à l’heure, la « méthode barbelés » et la « méthode oxygène », pourquoi les communistes se sont sentis visés par les barbelés ...

Actuellement, dans le secteur agricole, il n’existe aucun projet de carrière. Alors qu’un fonctionnaire peut continuer de passer des concours tout au long de son existence et progresser dans sa carrière, cette possibilité est refusée aux agriculteurs. La réforme du contrôle des structures permet de lever cette sorte d’interdiction. C’est pourquoi ces mesures d’aménagement et d’assouplissement satisfont pleinement notre groupe. Nous souhaitons même qu’elles ne soient pas amendées pour ne pas perturber l’équilibre du texte.

On a dit beaucoup de choses sur le fonds agricole. Qu’y a-t-il là d’extraordinaire ? Et certains n’auraient-ils pas des pertes de mémoire ? On dit que les droits à paiement unique sont catastrophiques et qu’ils feront augmenter le prix du foncier. Je rappellerai simplement que lorsque Michel Rocard a mis en place les quotas laitiers, le prix du foncier concerné a augmenté dès l’année suivante. On n’a rien inventé, il n’y a rien de nouveau sous le soleil ! Mais rien n’a été prévu pour y faire face. Lorsqu’une exploitation agricole est mise en vente et que le bâtiment ne vaut que 30 000 à 40 000 euros, s’il y a 272 000 litres de lait sur l’exploitation, le prix du bâtiment passe à 150 000 euros.

La création d’un fonds nous permettra, sur le plan juridique, de distinguer la valeur économique de l’exploitation de celle de l’ensemble, afin de ne pas devoir augmenter anormalement le prix des bâtiments, doubler l’argus du tracteur ou multiplier par deux le volume du tas de foin ! Ce n’est pas très sérieux !

Je note enfin, monsieur le ministre, qu’un certain nombre d’avancées, notamment sur le plan fiscal, complètent le projet de loi.

Vous proposez également quelques avancées en faveur de l’agriculture biologique. Notre groupe y est bien sûr favorable, mais nous vous mettons en garde : il ne faut pas laisser croire à la population que notre seule chance de survie serait la filière biologique, sinon nous risquerions de retrouver les famines du XIXsiècle ! Nous devons encourager fortement l’agriculture raisonnée. André Chassaigne me confiait ce matin en commission qu’il était souffrant. Eh bien, il s’est soigné à la cortisone et a pu ainsi défendre la question préalable durant une heure et demie ! Pourquoi n’aurions-nous pas le droit de traiter nos plantes normalement lorsqu’elles sont malades, mais de façon raisonnée ? (Sourires.)

Monsieur le ministre, nous voterons sans états d’âme ce projet de loi, non sans avoir au préalable défendu plusieurs amendements, sur l’article 14 par exemple, pour permettre une plus grande souplesse dans l’organisation des associations d’éleveurs, et d’autres encore, tout aussi nécessaires pour que ce texte puisse rendre le service que vous en attendez à la nation française. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous arrivons à un moment de la discussion où chacun des trente-neuf orateurs encore inscrits dispose de cinq minutes. Je sais que lorsque le temps de parole est aussi bref, on a tendance à le dépasser. Mais j’appelle votre attention sur les conséquences que cela peut entraîner pour la suite du débat. Je vous recommande donc, d’une part, de vous approcher au plus près de la tribune avant de prendre la parole – nous gagnerons ainsi quelques précieuses secondes – et, d’autre part, de surveiller attentivement le tableau lumineux situé devant vous. Plus vous verrez la lumière rouge avancer vers la droite, plus proche sera l’échéance. C’est un indicateur qui vous permettra de respecter le temps qui vous est imparti. (Sourires.)

La parole est à Mme Marylise Lebranchu.

Mme Marylise Lebranchu. Monsieur le ministre, puisque tout a été dit ou presque sur le contexte, je me contenterai de poser quelques questions sur certaines dispositions, en particulier celles relatives au statut du fermage. Vous le comprendrez aisément puisque j’ai le grand honneur d’être aujourd’hui la députée de la circonscription de Tanguy Prigent. Nous avons nos héritages et, contrairement à l’orateur précédent, j’y tiens.

Mes questions porteront aussi sur la création du fonds agricole. Je crois que la vitesse, la précipitation ne sont pas bonnes pour construire ce nouveau fonds. Si vous examinez les chiffres, vous constaterez avec nous que cette innovation va transformer la vie des agriculteurs et le visage des territoires. Dans mon département du Finistère, 95 % de la surface agricole utile des nouveaux installés est exploitée par bail rural, contre 64 % dans le reste de la France, selon les documents qui nous ont été remis. En outre, le nombre d’installations dans le cadre familial diminue chaque année, tandis que le nombre d’installations hors du cadre familial a augmenté de 25 %. Nous sommes vraiment au cœur du sujet. J’aimerais donc qu’on examine quelques instants ce problème.

Vous dites vouloir faciliter la transmission des exploitations. Beaucoup d’agriculteurs ajoutent avec nous qu’il faut éviter leur éclatement. C’est essentiel à l’heure où une nouvelle génération prend la relève, mais où les difficultés rencontrées par les candidats à l’installation sont nombreuses.

On parle peu du candidat à l’installation. Comment peut-on être sûr qu’il sera en mesure de négocier équitablement ? Votre texte ne répond pas à cette question. On fait comme si le prix avec quotas laitiers ou DPU allait être fixé par une autorité. Non ! La négociation passera aussi par la concurrence. Comment le bailleur trouve-t-il sa propre position de négociation ? Comment le fermier pourra-t-il obtenir un bail cessible lorsque – c’est le cas de la grande majorité des exploitations dans des régions comme la mienne – il se trouvera face à une dizaine de bailleurs ? On constate de plus en plus d’indivisions multiples. Qui pourra dire que le bail est cessible ? L’ensemble des bailleurs ? Leur majorité ? Comment cela va-t-il se passer ? Comment pourra-t-on faire appel à tous les indivisaires ? Vont-ils devoir donner leur avis ? C’est très difficile à gérer et je ne vois pas comment on s’en sortira.

L’indivision multiple n’est pas récente – Mme Ramonet a pu le lire comme moi dans l’excellent document de la FDSEA du Finistère. Comment résoudre ces questions dans des régions où les indivisions sont en majeure partie gardées parce que les soultes sont importantes et les traditions fortes ?

S’il y a désaccord entre les propriétaires, comment le négociateur pourra-t-il trouver une solution avec les uns ou les autres ? Je n’ai pas trouvé de réponse dans votre texte, non plus qu’en commission.

Comment va-t-on construire le fonds agricole ? Comment trouver une juste définition ? Sera-t-il enregistré ? Par qui le sera-il ? Où ? Pour les fonds de commerce, nous savons comment faire, nous disposons d’un registre du commerce et d’une définition du commerçant. Mais je n’ai pas trouvé de définition pour l’exploitant agricole et je ne sais pas où seront enregistrés les fonds.

Il va s’agir aussi d’un nouveau marché.  Comment sera-t-il géré ? Sous quelle autorité ? On imagine mal qu’une simple déclaration administrative suffise, qui d’ailleurs n’a jamais fait foi. Nous allons donc devoir – par ordonnance sans doute – construire ce qui va faire le marché des fonds agricoles.

M. Raison a évoqué les DPU, censés s’éteindre en 2013. Jusqu’à quand un droit à produire pourra-t-il être intégré dans la valorisation d’un fonds agricole ? Jusqu’en 2010 ? Avant ? Après ? Je ne comprends pas.

S’agissant du contrôle des structures, j’imagine mal, monsieur Raison – je ne suis pas dans les barbelés ou l’oxygène, mais en accord avec les déclarations de la fédération départementale : on trouve aussi ses origines politiques dans l’échange –, comment le préfet pourra déterminer seul que telle ou telle option d’attribution est la bonne sans avoir à consulter la CDOA ? C’est un point important à la veille de la réforme de la PAC et du découplage des aides.

Je terminerai par quelques interrogations fortes. Que feront les offices ? Pourquoi pas un organisme unique gérant les paiements ? Ce ne sera plus le CNASEA. Que deviendra-t-il ? C’est complexe !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Il gérera les aides du deuxième pilier !

Mme Marylise Lebranchu. Le deuxième pilier, je veux bien, mais il faudra répondre à l’inquiétude des personnels, ce que vous saurez sans doute faire.

Donc, que deviendront les offices ? Qui gérera les crises ? Comment tout cela sera-t-il porté ? Est-ce que vous le confiez à une interprofession, à des organisations professionnelles ? J’ai lu et relu le projet et, très honnêtement, je n’ai pas trouvé de réponse à toutes ces questions.

J’ai, par exemple, entendu parler d’un déficit en viande bovine. Or l’unité fourragère supplémentaire pour faire un kilo de viande dépend actuellement de l’importation des protéines végétales américaines. Vous vous interrogiez, monsieur Sauvadet, sur la façon de retrouver notre indépendance, mais nous nous situons là au-delà de vos questions. On pourrait peut-être en discuter dans les offices. Mais il faut d’abord savoir comment ils fonctionneront, de quels moyens et de quelles facilités de recherche ils disposeront.

Comment pouvons-nous redevenir propriétaires de nos semences en France et au niveau de l’Europe ? Je ne sais pas qui discutera de cela après ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le ministre, cette loi d’orientation agricole aurait pu s’appeler "Désirée". En effet, nos agriculteurs attendent de la nation une réponse claire à des questions qu’ils nous posent inlassablement sur le terrain : « Avez-vous encore besoin de nous ? Que voulez-vous faire de nous ? » À tous, nous répondions tout aussi inlassablement que le temps viendrait, qu’il serait celui de la loi d’orientation agricole.

Lorsque le projet de loi est paru, j’ai été voir les acteurs du monde agricole de mon département, comme beaucoup d’entre nous. Leur réaction est quasi unanime : « Ce texte n’est pas mal, mais il n’est pas à la hauteur des enjeux de notre agriculture. »

Qui aime bien châtie bien ! Commençons donc par les critiques.

Ayant participé activement à la loi d’orientation en matière d’énergie, je m’attendais à un article 1er qui aurait fixé fortement les objectifs de la nation en matière agricole. Cet article 1er n’existe pas.

À cette question des objectifs, que je vous posais en commission, vous avez répondu qu’ils étaient contenus dans l’exposé des motifs du projet de loi. J’ai donc relu l’exposé des motifs. Il contient des axes forts. Mais je n’ai rien trouvé sur la démographie agricole, qu’une loi d’orientation aurait pourtant dû évoquer, ni sur l’indépendance alimentaire pour la France ou pour l’Union Européenne, ni sur nos objectifs en matière de qualité gustative et sanitaire.

Bref, j’ai trouvé dommage que le Premier ministre s’adresse aux agriculteurs français en prononçant un discours fort, le 13 septembre, à Rennes, à l’occasion du salon des productions animales, et que le Gouvernement ne saisisse pas l’occasion de ce projet de loi pour présenter à la représentation nationale sa vision à terme de notre agriculture. Cette impression était encore renforcée par la part faite aux ordonnances dans le projet de loi initial. Je salue ici l’action vigoureuse du président de la commission des affaires économiques et de notre rapporteur, ainsi que votre esprit d’ouverture, monsieur le ministre, qui a permis de regagner un peu du terrain perdu par le Parlement sur des sujets qui lui appartiennent en vertu de notre Constitution.

Qu’il me soit permis de souligner à quel point, vu du département du Lot-et-Garonne, l’article 3 est maladroit. Il habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour réformer le statut du fermage. C’est, chez nous, agiter un chiffon rouge. Le statut du fermage – des orateurs d’une sensibilité politique qui n’est pas la mienne l’ont fort justement souligné – est tout sauf le fruit d’une génération spontanée. C’est le résultat d’une longue évolution, souvent conflictuelle, organisant les droits et les devoirs respectifs des propriétaires et de leurs fermiers.

De deux choses l’une. Ou bien, comme vous l’affirmez, il s’agit d’un simple toilettage, et j’ai envie de vous faire confiance. Mais, à ce moment-là rien ne presse, attendez prudemment d’avoir un vecteur législatif pour traiter avec le Parlement ce problème. Ou bien il s’agit d’ouvrir le dossier d’une véritable réforme du fermage et la légitimité en revient au Parlement et non pas au Gouvernement.

Qu’il me soit ensuite permis d’aborder le problème des biocarburants. Je tiens à saluer l’ambition nouvelle affichée en ce domaine par le Gouvernement. L’UDF défendra à ce sujet une série d’amendements.

L’un visera à garantir un avantage fiscal incitatif à la production de biocarburants et cela, comme l’affirmait M. de Villepin à Rennes le 13 septembre, afin de sécuriser cette filière et de pérenniser les contrats d’approvisionnement signés entre les agriculteurs et les usines.

Un deuxième amendement concernera les huiles végétales pures. Certes, l’article 12 les reconnaît enfin, au terme de trois ans de combat législatif, texte agricole après texte agricole, loi de finances après lois de finances. Mais, monsieur le ministre, vous les cantonnez dans le ghetto de l’autoconsommation agricole. C’est un combat d’arrière-garde ! Déjà la directive 2003/30 de l’Union Européenne, que la France devra bien un jour transposer, indique clairement à l’article 2 : « La liste des produits considérés comme biocarburants comprend au minimum les produits énumérés ci-après… » et au petit « j » sont citées les huiles végétales pures.

M. Jean Gaubert. Exact !

M. Jean Dionis du Séjour. L’article 12, tel qu’il a été adopté par la commission des affaires économiques, introduit une discrimination entre les biocarburants en cantonnant les huiles végétales pures à l’autoconsommation des agriculteurs. Ce sera une source permanente de contentieux devant les juridictions européennes et nationales, dont la France ne sortira qu’en s’alignant sur l’Europe et en considérant les huiles végétales pures comme un carburant à part entière.

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis de la commission des finances. Très bien !

M. Jean Dionis du Séjour. Je vous demande instamment, monsieur le ministre, d’accepter nos amendements et de ne pas engager notre pays dans une impasse juridique et un contresens écologique et économique. Ne ratez pas ce rendez-vous ! Ne mettez pas la France en retard dans ce domaine en cédant trop facilement à l’amicale pression du ministère des finances. Le vingt-heures de TF1, le vingt-heures de France 2, bientôt Envoyé spécial – à Agen – : les journalistes ne vous lâcheront pas, et ils auront raison. Vous avez une bonne image, je ne voudrais pas qu’elle en souffre. Je me permets donc de vous avertir amicalement car, d’un point de vue médiatique, l’affaire n’est pas bonne !

Je voudrais pour terminer saluer la direction suivie en matière d’organisation de l’offre à l’article 14 et dans la nouvelle version de l’article 15. Le seul avenir pour que nos agriculteurs aient un revenu décent, c’est de s’investir massivement dans la commercialisation et la transformation de leurs produits. La filière du pruneau d’Agen, bel exemple de réussite moderne, est là pour nous encourager et nous montrer la voie. Mais le secteur des fruits et légumes, avec 364 « offreurs » pour cinq centrales d’achat a été sacrifié.

Le projet de loi, dans ses articles 14 et 15, incite les producteurs à continuer à s’investir au sein de leurs organisations de production et de leurs comités économiques. Nous tous qui représentons les producteurs de fruits et légumes, nous vous soutenons pleinement à cet égard, et nous ne souhaitons pas qu’au cours du débat ces dispositions soient dénaturées et affaiblies pour prendre en compte la spécificité d’autres filières. Je m’adresse là à nos rapporteurs, et j’associe à ce vœu ma collègue Brigitte Barèges, élue comme moi d’un département arboricole.

Monsieur le ministre, les agriculteurs du Lot-et-Garonne n’appellent plus votre loi « Désirée ». Ils sont déçus par ce texte qu’ils estiment trop prudent. Il demeure que c’est un texte important et qui va, pour l’essentiel, dans la bonne direction. Si les débats parlementaires lui apportent une bonne dose d’audace – notamment, je vous en conjure, en faveur des biocarburants – il pourrait même devenir une bonne loi. C’est tout le mal que je lui souhaite. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. François Sauvadet. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, marqué par la réforme de la PAC de juin 2003, le débat sur l’agriculture française, sa place et ses perspectives – rouvert alors, mais a-t-il jamais été clos ? – revêt une dimension à la fois nationale et internationale dont les défis requièrent, notamment pour cette raison, des acteurs et des interlocuteurs différents. Comment pourrait-il en être autrement ?

Première productrice en Europe devant l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne – une géographie qui n’est pas neutre – l’agriculture de notre pays assure 20 % de la production de l’Union à vingt-cinq. Seconde exportatrice mondiale après les États-Unis, notre filière agroalimentaire, qui emploie 2,5 millions de personnes, ne peut qu’être interpellée par la formidable accélération des échanges mondiaux et les choix européens à l’OMC, d’ailleurs encadrés par un mandat que vous avez clairement réaffirmé, monsieur le ministre, et nous vous en remercions.

Désormais, entre un marché rarement national, souvent européen et plus souvent mondial, et les aides, le rôle de la préférence communautaire, hier déterminant à dix, exige, à vingt-cinq, au moins d’être complété par des adaptations, des différenciations qui prennent en compte l’inégalité des situations, des territoires et des systèmes. Voilà pourquoi la loi d’orientation que vous nous proposez, loin de cautionner une quelconque renationalisation des aides, vise plutôt à conforter notre agriculture et à la placer en position dynamique et concurrentielle, dans un contexte général profondément modifié.

Comme vous nous l’avez rappelé, monsieur le ministre, trois questions ordonnent cette loi. Comment permettre aux exploitations familiales d’évoluer ? Comment consolider le revenu des agriculteurs ? Comment répondre aux nouvelles attentes des consommateurs ?

En créant un fonds agricole et en permettant la cessibilité du bail, vous renouvelez le cadre juridique des exploitations. Avec l’article 6, vous facilitez leur trans-mission, qui demeure favorable à l’installation des jeunes, tout en reconnaissant une démarche d’entreprise dont rien évidemment n’interdit qu’elle soit familiale.

En incitant, à l’article 14, au regroupement de l’offre à travers les organisations de producteurs, vous contribuez au rééquilibrage des forces qui pèsent sur la formation des prix. C’est là, notons-le un sujet extrêmement difficile du point de vue intérieur, mais surtout extérieur, dépendant qu’il est d’une distinction entre accord interprofessionnel et entente, alors qu’on ne sait pas toujours où finit l’accord et où commence l’entente. Ce n’est pas le moindre mérite de ce gouvernement que de conforter les interprofessions et les outils de gestion des aléas économiques, climatiques ou sanitaires, tout en encourageant la recherche de nouveaux débouchés tournés notamment vers les énergies renouvelables.

En renforçant la sécurité sanitaire des produits, vous répondez enfin à une attente générale, certes, mais en soutenant en outre la reconnaissance de leurs différences avec l’article 23, vous valorisez la qualité de ces produits. Et cela, comme l’a excellemment souligné Marc Le Fur, sans alourdir les contraintes administratives qui constituent, vous le savez, l’un des motifs les plus sérieux de découragement chez nombre de professionnels.

La simplification des règles de fonctionnement des organismes et des procédures à laquelle vous avez déjà attaché vos pas et vos textes, monsieur le ministre, est en route. En témoigne la création d’une agence unique de paiement à l’article 29. Soyez-en, avec vos services, remercié. Ce travail exigera une vigilance constante, car il est difficile de réguler avec simplicité des activités et des échanges complexes par leur nature et par leur dimension.

Mais cette simplicité n’est-elle pas le prix à payer pour une politique équilibrée comme celle que vous nous proposez ? Équilibrée en ce qu’elle vise à améliorer les rapports des hommes à l’espace, certes, mais aussi, et peut-être surtout, le rapport des hommes entre eux. Car ce dont il s’agit pour nous aussi, parlant d’agriculture, c’est de rappeler qu’elle demeure un enjeu de société. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Germinal Peiro.

M. Germinal Peiro. Monsieur le ministre, le projet de loi d’orientation que vous présentez aujourd’hui devant la représentation nationale a pour le moins un mérite, celui de la clarté. Vous inscrivez ce texte dans le cadre de la mondialisation libérale et dans celui de la politique européenne que votre gouvernement a ratifiée en juin 2003 à Luxembourg, politique qui vise au démantèlement de tous les outils de régulation pour amener les produits agricoles européens aux cours mondiaux, en inventant au passage la prime de découplage qui, malheureusement, se révélera pour beaucoup d’agriculteurs une prime de licenciement. À aucun moment, le projet de loi d’orientation agricole ne remet en cause le dogme du libre-échange mondial et, à aucun moment, il ne prévoit d’en corriger les effets prévisibles qui seront dévastateurs pour l’agriculture française et l’équilibre de nos territoires. En matière agricole comme dans les autres domaines, ce gouvernement a fait le choix de l’ultra-libéralisme.

Nous ne vous reprochons pas de vouloir rendre les exploitations agricoles françaises plus compétitives afin qu’elles soient en mesure de faire face à la concurrence internationale car nous sommes conscients des réalités économiques. Nous vous faisons le reproche de laisser à l’abandon des centaines de milliers d’exploitations qui ne peuvent atteindre aujourd’hui ce niveau de compétitivité, mais qui doivent néanmoins être reconnues pour leur rôle dans l’aménagement du territoire national, dans le maintien des hommes et des emplois en milieu rural, et dans l’entretien de l’espace.

En abandonnant la politique contractuelle des contrats territoriaux d’exploitation qui prenait en compte la multifonctionnalité de l’agriculture, en cosignant la réforme de la PAC et en présentant cette loi d’orientation agricole, vous faites clairement le choix d’une agriculture productiviste et industrielle.

Il faut dire la vérité. En leur refusant les soutiens nécessaires, vous condamnez les petites et moyennes exploitations agricoles de notre pays. Et c’est bien à l’abandon de l’agriculture du Sud de la France et des zones difficiles que nous assistons.

Au moment où il faudrait une volonté politique forte pour lutter contre la désertification, pour maintenir des hommes sur l’ensemble du territoire, pour protéger les espaces et l’environnement, vous sonnez le glas du monde paysan.

Je souhaite aussi, monsieur le ministre, aborder le volet social pour regretter qu’aucune disposition ne vienne le renforcer, en particulier dans le domaine des retraites agricoles. Ce dossier concerne 2 millions de nos concitoyens, non salariés de l’agriculture. Depuis vingt ans, dans le cadre syndical, mais surtout dans le cadre de l’Association nationale des retraités agricoles de France, chère au regretté Maurice Bouyou et aujourd’hui présidée par Henri Drapeyroux, les vieux travailleurs de la terre se battent pour que leur soit accordé un droit à la retraite digne des efforts qu’ils ont accomplis pour notre pays. De 1997 à 2002, le gouvernement de Lionel Jospin a fait un effort considérable en consacrant 22 milliards de francs au relèvement des retraites les plus basses, ce qui a représenté sur les cinq années du plan quinquennal une augmentation des retraites de base de 29 % pour les chefs d’exploitation, 49 % pour les veuves et 79 % pour les conjoints et les aides familiaux.

Ce plan…

M. Daniel Garrigue. Non financé !

M. Germinal Peiro. …a été complété par la loi sur la retraite complémentaire obligatoire que j’ai eu l’honneur de rapporter, loi adoptée à l’unanimité tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.

M. Daniel Garrigue. Mais non financée !

M. François Brottes. Nous nous en occupions à l’époque !

M. Germinal Peiro. Si votre gouvernement, monsieur le ministre, a mis en place la retraite complémentaire obligatoire et la mensualisation, en faisant d’ailleurs un large appel aux finances de la Mutualité sociale agricole, le plan de revalorisation des retraites a été arrêté net. Les chiffres sont éloquents !

M. Michel Vergnier. Zéro !

M. Germinal Peiro. En matière de revalorisation, c’est 0 % en 2003, 0 % en 2004, 0 % en 2005, et à ce jour, à ma connaissance, 0 % en 2006. Face à l’augmentation du coût de la vie, les retraités agricoles comme tous les Français voient chaque jour leur pouvoir d’achat diminuer et beaucoup éprouvent de plus en plus de difficultés pour survivre. Ils attendent que la majorité qui gouverne le pays mette en place ce qu’elle réclamait quand elle était dans l’opposition.

M. Jean Gaubert. Oui !

M. Germinal Peiro. À savoir le relèvement de la retraite de base des conjoints au niveau de celle des chefs d’exploitation, l’extension de la retraite complémentaire obligatoire aux conjoints, essentiellement des femmes.

M. Daniel Garrigue. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?

M. Germinal Peiro. Quand vous en aurez fait autant que nous, monsieur Garrigue, vous pourrez nous donner des leçons !

M. Daniel Garrigue. C’est nous qui avons commencé en 1994, et de 1994 à 1997, nous avons fait beaucoup plus que vous !

M. Germinal Peiro. Monsieur le président, faites taire les trublions !

M. le président. Mais vous seul avez la parole, monsieur Peiro,… au demeurant pour conclure. (Sourires.)

M. Germinal Peiro. Les retraités agricoles attendent aussi l’amélioration de la situation des polypensionnés et l’abrogation des décrets Vasseur sur les minorations.

Monsieur le ministre, je conclurai par une question. On attendait un Monsieur retraites : on ne l’a jamais vu. On attendait un plan quinquennal : on ne l’a jamais vu, et il ne vous reste qu’un an et demi.

M. Michel Piron. Quel pessimisme ! (Sourires.)

M. Germinal Peiro. Ma question est simple : dans les quelques mois qu’il vous reste à gouverner ce pays, allez-vous reprendre le dossier de la revalorisation des retraites agricoles ? Allez-vous rendre justice aux vieux travailleurs de la terre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. François Guillaume.

M. François Guillaume. Monsieur le ministre, compte tenu du peu de temps dont je dispose, je limiterai mon propos aux prémisses de notre débat, à savoir les réelles attentes des agriculteurs. Quant à votre projet, j’en relèverai surtout les plus grosses lacunes, dans le ferme espoir que vous accepterez des amendements visant à les combler.

Vous en êtes conscient, plus que d’une loi supplémentaire, les paysans ont besoin de plus de certitude sur leur avenir. Aussi attendent-ils que vous répondiez clairement aux questions simples qu’ils se posent sur la réforme de la PAC, dont ils dénoncent la complexité d’application et les contrôles excessifs, assortis de la menace de 80 pénalités dont l’assouplissement de la mise en œuvre n’est que provisoire.

Dans le menu à la carte offert par le très contestable accord de Luxembourg de 2003, la France n’a pas fait le bon choix. Plutôt, en effet, que de combiner deux systèmes opposés – le couplage et le découplage des aides –, elle aurait dû s’en tenir au découplage total, à l’exception de la prime aux vaches allaitantes. Il lui fallait aussi maintenir le lien entre foncier et droit à produire, à l’exemple des quotas laitiers attachés au sol et non commercialisables.

M. André Chassaigne. Très bien !

M. François Guillaume. C’est si vrai que votre projet cherche à rapprocher ce que Bruxelles a dissocié – terre et primes –, par la création d’un fonds agricole et la cessibilité des baux, non sans graves inconvénients.

Peut-on revenir sur cette réforme de la PAC ? Certainement, et cela vous donnerait l’occasion de répondre à la critique de l’opinion sur le volume des aides compensatoires en les affectant d’une certaine dégressivité, jusqu’à les supprimer au-delà d’un plafond de chiffre d’affaires à définir. Ce serait une contribution libérale à la politique des structures.

Les négociations à l’OMC sont un autre sujet de préoccupation. Elles ont été précédées de la même erreur stratégique qu’en 1992 : celle du gage de bonne volonté offert à nos concurrents sous la forme d’un démantèlement supplémentaire de nos soutiens et de nos restitutions et d’une ouverture plus large de nos marchés, à l’inverse des pratiques américaines de relèvement des prix garantis et de distribution accrue de primes diverses. À l’approche du dernier round de négociations, des pressions s’exercent de l’extérieur pour nous obliger à baisser encore la garde, et de l’intérieur pour que l’Union échange des concessions agricoles contre une ouverture du marché international des services : un marché de dupes au regard des progrès technologiques fantastiques de l’Inde et de la Chine, d’une part, et, d’autre part, de l’explosion d’une production agricole à bon marché dans des pays émergents comme le Brésil.

Monsieur le ministre, si vous ne cassez pas ces deux scénarios de catastrophe qu’engendrent le cycle de Doha et la réforme de la PAC, il est inutile de nous proposer une loi que, vu son contenu, j’appellerais plus modestement « d’adaptation ». Cette loi manque en outre d’envergure, puisqu’elle fait notamment l’impasse sur deux sujets essentiels : le foncier et la coopération.

M. François Brottes. C’est vrai !

M. François Guillaume. Quelle est votre politique foncière ? Comment ne pas s’alarmer de la réduction inexorable de la SAU, au rythme de 100 000 hectares par an, et du mitage de l’espace agricole ? Sur les 6 millions d’hectares de terres agricoles à fort potentiel agronomique, 60 000 sont urbanisés chaque année. En dix ans, nous avons perdu le tiers des terres maraîchères françaises, car la terre agricole est hélas considérée comme une réserve en attente d’artificialisation – et, au passage, de spéculation.

Quel intérêt portez-vous aux SAFER, outil privilégié de défense des terres agricoles, dont votre prédécesseur a rogné les ailes en offrant aux collectivités territoriales un droit de préemption en concurrence avec le leur, sur des terres qu’elles auront elles-mêmes préalablement classées en zone sensible ? Vous avez tout à l’heure annoncé un projet consacré à la protection du foncier agricole. Je m’en réjouis et j’espère qu’il sera suffisamment audacieux.

S’il est un thème qui aurait dû constituer l’essentiel, voire l’unique objet de votre loi, c’est bien l’organisation économique, dont la pièce maîtresse reste la coopération. Et pourtant, en dépit d’un rapport parlementaire assez exhaustif sur la question, votre article 16 était d’une grande indigence avant que, sur l’insistance de quelques professionnels et élus, vous ne déposiez un amendement gouvernemental qui l’améliore.

La coopération agricole, monsieur le ministre, c’est 77 milliards de chiffre d’affaires, 3 500 coopératives et 150 000 salariés transformant 40 % de la production agricole nationale. Ce sont encore, pour ne citer que cela, des banques et des services techniques et commerciaux, soit tout un maillage au service des paysans et géré par des paysans qui ont compris qu’ils ne pourront désormais obtenir un revenu suffisant s’ils ne bénéficient pas de la valeur ajoutée de la transformation et de la commercialisation de leurs produits par les coopératives. Implantées en milieu rural, transmissibles d’une génération à l’autre sans mortalité, « inopéables », ces entreprises ont besoin d’un statut adapté à la nouvelle donne européenne et internationale, sauf à tolérer des dérapages contraires à l’esprit coopératif – je pense notamment à l’introduction en bourse du Crédit agricole – ou à les laisser désarmées face à la concurrence. Mes amendements sont d’ailleurs en concordance totale avec le statut de la société coopérative européenne, défini par un règlement communautaire.

D’où ma déception, et celle des professionnels, quand nous avons pris connaissance de votre texte initial. Est-il possible de l’enrichir au fond, de le dépouiller de ses évidences et de l’articuler en un ensemble plus cohérent de principes que viendraient préciser des décrets et vos ordonnances ? C’est à vous de répondre, monsieur le ministre, puisque vous savez que notre bonne volonté n’est pas en cause : elle n’a pas d’autres conditions que la considération qui nous est due. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. François Sauvadet. Bravo, monsieur Guillaume ! Vous posez de vraies questions.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Hugon.

M. Jean-Yves Hugon. Monsieur le président monsieur le ministre, mes chers collègues, au risque d’être en partie hors sujet, j’ai décidé de consacrer les cinq minutes de mon temps de parole à une question que n’aborde pas directement le texte de loi que nous examinons, mais dont l’importance suffit à légitimer la liberté que je prends : les retraites agricoles. Je le ferai sous un éclairage légèrement différent de celui de M. Peiro.

L’exposé des motifs du projet de loi d’orientation rappelle fort justement les mérites du monde agricole qui, au cours des cinquante dernières années, a dû et a su s’adapter à l’évolution de notre économie et qui a – est-il nécessaire de le rappeler ? – porté la modernisation réussie de notre agriculture, faisant de la France le premier pays exportateur de produits agricoles transformés et le deuxième exportateur de produits agricoles bruts dans le monde.

Je ne doute pas que les dispositions qui nous sont présentées permettront aux actifs de l’agriculture d’envisager leur avenir avec plus de sérénité dans la compétition nationale et internationale. Mais cela ne doit pas masquer un fait inacceptable pour des générations de retraités qui ont été les artisans de ce développement exceptionnel de notre agriculture. Ils formaient l’espoir que la loi d’orientation, dans le cadre d’un volet social, leur permettrait d’obtenir, en gage de la reconnaissance de la nation, des retraites comparables à celles des autres catégories sociales. Vous me permettrez, monsieur le ministre, de traduire ici leur déception.

Je rencontre régulièrement ces retraités et les organisations qui les représentent, et j’avoue avoir été choqué par le niveau des prestations vieillesse qui leur sont encore attribuées, bien souvent en dessous du minimum vieillesse, voire du seuil de pauvreté. Certains vont même, par fierté et par dignité, jusqu’à refuser de solliciter les prestations d’assistance, telle l’allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité. Un de mes interlocuteurs me confiait que, durant toute sa vie professionnelle, ses revenus étaient bien inférieurs au SMIC et que son véritable patron était sa banque.

Bien d’autres exemples permettraient d’illustrer la vie difficile de nos paysans, car nous savons que l’agriculture française n’est pas seulement constituée de grandes exploitations. Les agriculteurs sont, le plus souvent, des gens qui travaillent dur pour un résultat dérisoire et qui méritent notre considération et la reconnaissance de la nation.

Ils étaient plus de 3 000 agriculteurs retraités, le 20 mai dernier à Châteauroux, venus de toute la France pour manifester leur déception et, souvent, leur colère.

Et que dire des agricultrices qui, à durée de travail égale, touchent au titre de la retraite agricole six fois moins que durant les périodes où elles étaient salariées au SMIC ? Que dire de celles qui, avec des carrières complètes, ne touchent pas plus que des personnes qui n’ont ni cotisé, ni travaillé, soit environ 490 euros par mois ?

La revendication des retraités agricoles est à la fois modeste et juste.

Modeste, car ils demandent simplement que la société leur reconnaisse les mêmes droits et les mêmes avantages que ceux dont bénéficient les autres catégories socioprofessionnelles : mêmes montants, mêmes conditions d’attribution. Ils refusent tout privilège et ne veulent pas de prestations d’assistance.

Juste aussi, puisqu’il est admis que l’effort contributif des agriculteurs au financement de leur protection sociale est comparable à celui des salariés du régime général. N’oublions pas que dans le cadre de notre système par répartition, 15 % des retraités français, les anciennes agricultrices et les anciens agriculteurs, ne perçoivent que 5 % du montant total des retraites payées en France. La parité contributive étant reconnue, il semblerait juste et équitable d’appliquer la réciprocité sur les prestations, ne serait-ce que pour respecter le principe de répartition, fondement de notre protection sociale.

Les retraités de l’agriculture ne comprennent plus l’attitude du pouvoir politique qui, quel que soit le gouvernement en place, monsieur Peiro, repousse sans cesse la réparation de cette injustice.

M. Germinal Peiro. Ce n’était pas vrai avec Lionel Jospin !

M. Jean-Yves Hugon. Certes, depuis quelques années, des avancées ont été réalisées – dès 1994, monsieur Peiro, ne l’oubliez pas. Et nous devons au gouvernement de Jean-Pierre Raffarin d’avoir mis en place la mensualisation des pensions. Cependant, à l’examen des comptes du ministère de l’agriculture et de la caisse centrale de la MSA, il apparaît que les retraités agricoles sont encore loin d’atteindre le niveau de parité recherché.

À l’évidence, la question qui se pose est celle du financement. Du fait de la réduction continue du nombre des actifs agricoles et du départ des jeunes vers les autres secteurs d’activité économique, les ressources du régime agricole se réduisent. Le rattachement à un régime universel permettrait le financement par une compensation démographique interne.

M. Germinal Peiro. Ce n’est pas comparable !

M. François Brottes. Ça ne rapporte pas plus !

M. Jean-Yves Hugon. La justice sociale est notre souci et, je n’en doute pas, celui du Gouvernement. Elle est aussi de notre responsabilité : nous avons voté en 2003 une loi disposant que le minimum retraite ne pouvait être inférieur à 75 % du SMIC.

Monsieur le ministre, je sais que vous êtes à l’écoute du monde agricole, mais je sais aussi que ce problème ne pourra pas être réglé dans le cadre de la discussion de cette loi. Je vous demande donc solennellement de créer les conditions pour qu’il soit enfin mis un terme au scandale des retraites agricoles, en étudiant réellement la possibilité de les rattacher au régime général. Je vous demande tout simplement de mettre les agriculteurs retraités dans le droit commun.

Permettez-moi, en conclusion, de citer le Président de la République, Jacques Chirac, qui déclarait le 2 octobre 1998 à Aurillac : …

M. Germinal Peiro. Il y a combien d’années ?

M. Jean-Yves Hugon. …« Les agriculteurs aujourd’hui retraités, qui ont consacré tant d’effort et d’énergie au travail de la terre, ont droit à des pensions décentes de même niveau que celles des autres professions.»

Monsieur le ministre, les agriculteurs retraités ne demandent qu’une chose : être traités comme les autres, rien de plus. Dans cette perspective, les députés UMP sont à leur écoute et les soutiennent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Michel Vergnier.

M. Michel Vergnier. Monsieur le ministre, nous avons écouté avec beaucoup d’attention les explications que vous nous avez fournies, ainsi que celles de nos rapporteurs. Cependant, je m’interroge sur certaines des orientations que vous défendez et j’essaie d’en imaginer les conséquences pour les agriculteurs de notre pays, en particulier pour ceux du département dont je suis l’élu.

Il faut cependant beaucoup de bonne volonté et d’imagination pour décrypter ce texte, car les conditions dans lesquelles nous sont fournies les informations nécessaires sont souvent inacceptables. Les difficultés que nous rencontrons pour travailler, rappelées tout à l’heure par Jean Gaubert, ne sont pas à l’honneur de notre Parlement.

Votre texte, qui comporte trente-cinq articles, prévoyait douze ordonnances. Vous avez fait machine arrière, monsieur le ministre, et nous saluons cette bonne décision. Mais il reste encore quelques ordonnances, et peut-être allez-vous faire un effort supplémentaire pour que le Parlement puisse exercer tous ses droits.

Malgré ces conditions de travail, nous voulons tenter d’apporter notre pierre à l’édifice. Puissiez-vous dire vrai lorsque vous déclarez souhaiter une opposition constructive, car vous ne nous avez guère habitués, jusqu’à présent, à vous voir accepter beaucoup de nos amendements ! Mais sait-on jamais ? Peut-être cela va-t-il changer, même si nous avons peu d’illusions.

Oui, monsieur le ministre, il y a des différences entre nous. Mais l’important, au bout du compte, ce seront les résultats. J’assistais récemment au congrès départemental des jeunes agriculteurs, qui avaient pour slogan : « Plus de voisins, moins d’hectares. » C’est un bon slogan, mais le texte que vous nous proposez aura des effets exactement inverses : plus d’hectares et moins de voisins.

M. Antoine Herth, rapporteur. La citation n’est pas exacte ! Le slogan était : « Plus de voisins que d’hectares ».

M. Michel Vergnier. Non ! Il suffit de vérifier.

M. Antoine Herth, rapporteur. Vous pouvez vérifier ! Je suis sûr de mes sources.

M. Michel Vergnier. Je réitère donc une question que nous avons déjà souvent posée : combien d’agriculteurs dans cinq ans ? dans dix ans ? Selon nous, monsieur le ministre, votre logique conduit au dépeuplement des campagnes et ne résout en rien le problème de l’installation des jeunes. Cela aura, n’en doutons pas, de lourdes conséquences sur l’aménagement du territoire. Nous menons aujourd’hui une réflexion sur le maintien et le développement du service public en milieu rural. L’objectif que nous visons est bien le développement des territoires, afin de créer les conditions de l’augmentation de la population rurale. Cette loi n’y contribuera pas, surtout dans un département où l’agriculture représente 20 % de l’activité économique. Comment ne pas être inquiet en voyant diminuer le nombre d’actifs ? Comment espérer des installations hors cadre familial ?

Oui, vous l’avez dit, il faut donner du souffle. Mais il est aussi des équilibres à préserver. Le marché ne résoudra pas tout. Dans les coups de vent, certains résistent et d’autres disparaissent. La viabilité d’une entreprise ne se mesure pas seulement à sa taille.

Votre chemin n’est donc pas le nôtre. Vos équilibres ne sont pas les nôtres. Seuls les résultats compteront. Nous avons le droit d’avoir des craintes et des doutes. Tant mieux si vous n’avez que des certitudes !

Votre projet est politique : il s’adresse à une catégorie d’agriculteurs et en sacrifie une autre. En outre, son volet social est réduit à sa plus simple expression. Nous avions envie de sourire en écoutant certaines interventions consacrées aux retraites agricoles, car l’évolution de ces retraites est sacrifiée depuis trois ans. Certes, elle a démarré en 1994 et pendant cinq ans, de 1997 à 2002, le gouvernement de Lionel Jospin lui a donné un coup de fouet.

Mais, depuis 2002, il n’y a plus rien pour les retraités agricoles. À moins que vous ne pensiez que, pour les nouveaux retraités, le fonds – dont on parle tant – puisse constituer un substitut. C’était, autrefois, ce qui tenait lieu de retraite.

C’est donc un virage que vous faites prendre à l’agriculture. Demain, vous assumerez vos responsabilités, et là où nous serons, vous et moi – qui peut le savoir ? –, nous en mesurerons ensemble les résultats. Pour ma part, je prends le pari, mais avec beaucoup de regret, que vous aurez conforté les plus grosses exploitations et sacrifié les plus petites, celles qui contribuent aujourd’hui au maillage du territoire, au lien social, celles pour qui le mot « paysan » a encore un sens. Il y avait pourtant, je l’ai dit, des équilibres à préserver.

Néanmoins, je pense sincèrement que vous voulez défendre l’agriculture, monsieur le ministre. Nous allons ensemble regarder l’avenir, …

M. Philippe Martin. Il ne sera pas radieux !

M. Michel Vergnier. …et je vais vous faire un aveu : j’espère me tromper et que vous êtes dans le vrai. L’avenir nous départagera, mais je maintiens ce que j’ai dit : je pense que les jeunes agriculteurs avaient raison. « Plus de voisins, moins d’hectares », c’était vraiment un très beau slogan. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en amont de mon intervention, je souhaite rendre hommage à l’un de mes prédécesseurs, Maurice Cornette, qui fut l’un des artisans de la loi d’orientation agricole du 4 juillet 1980. Cette loi a permis de donner à l’agriculture les bases nécessaires à son développement pour faire face aux défis des dernières années.

L’agriculture française est aujourd’hui la première d’Europe et assure 20 % de la production de l’Union. Cependant, il faut lui redonner un souffle, à elle et au monde rural. II faut permettre aux agriculteurs de travailler et de continuer à exercer leur métier dans de meilleures conditions. Ils doivent quotidiennement respecter des normes communautaires ou nationales, engager leur responsabilité sur le respect de l’environnement et la sécurité sanitaire, faire face aux aléas climatiques. Aucune contrepartie n’a été suffisamment mise en oeuvre face à ces multiples contraintes. Au contraire, le revenu agricole moyen reste faible, des inégalités très fortes sont ressenties en termes de protection sociale par rapport au régime général et aux autres régimes spéciaux, notamment en matière de retraites. Enfin, les procédures administratives sont très lourdes et n’incitent pas les jeunes à s’installer.

Ce projet de loi d’orientation donnera une nouvelle impulsion en modernisant l’exploitation agricole. Avec la mise en place des nouveaux dispositifs que sont le fonds agricole et la cessibilité du bail, l’agriculture entrera dans une logique entreprenariale et s’assurera de son avenir. Améliorer la transmission de l’exploitation et rendre attractive l’installation des jeunes doivent être des enjeux primordiaux de cette politique.

Pour l’avenir de notre agriculture, certaines solutions concrètes s’offrent à nous. Elles doivent être encouragées.

Je pense, bien entendu, au développement de la filière des biocarburants. Certes, des efforts ont déjà été entrepris. Cependant, une fiscalité incitative, un plan d’aides et une information concrète du grand public doivent être proposés.

S’agissant du respect des normes environnementales et de la sécurité sanitaire, je souhaite que l’on soutienne le développement de l’agriculture raisonnée. Je proposerai un amendement visant à encourager toutes les initiatives industrielles, commerciales ou agricoles tendant à la réduction des risques pour l’environnement et pour la santé humaine et animale, telles la participation à un organisme interprofessionnel de collecte de déchets de produits phytopharmaceutiques, ou la formation à la bonne pratique des produits phytosanitaires et au déploiement de l’agriculture raisonnée.

Enfin, concernant les lourdes contraintes administratives – autre marasme procédurier pesant sur les agriculteurs –, j’estime que des mesures de simplification et de meilleure lisibilité doivent être prises. Certaines dispositions présentes dans le projet de loi vont dans ce sens. Une réflexion sur une réforme en profondeur des directions départementales de l’agriculture doit être menée pour en faire des services partenaires et non des services-sanctions. En outre, l’agriculteur doit pouvoir bénéficier de mesures de simplification dans ses démarches.

À cet égard, il faudrait faire des établissements agricoles les têtes de réseau d’un nouveau maillage. La France agricole est vaste et présente des facettes différentes. Il est nécessaire de prendre en compte les spécificités locales. Je pense, entre autres, aux alertes météo. Celles-ci pourraient être mises en place dans ces établissements, ce qui permettrait aux agriculteurs des petites régions de connaître les risques climatiques à venir. Les établissements agricoles peuvent être autant de laboratoires agricoles de proximité. Ces pistes de travail doivent être explorées et je suis prêt, monsieur le ministre, à vous accompagner dans cette réflexion.

Je vous remercie de l’attention que vous porterez à l’ensemble des interventions des parlementaires et à la discussion au sein de notre assemblée. Les députés, en raison de leur expérience et de leur connaissance du terrain, doivent avoir l’écoute du ministère ; il y va de l’avenir de notre agriculture. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Georges Colombier.

M. Georges Colombier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis les grandes lois fondatrices des années 60 sur l’agriculture, le monde agricole a su relever de nombreux défis : le défi de la modernisation des techniques, celui de l’ouverture des frontières, celui de la qualité des productions face aux exigences accrues des consommateurs. Les agriculteurs français ont fait, au fil des années, la preuve de leurs capacités d’adaptation dans un contexte de plus en plus difficile. À nous aujourd’hui de leur offrir le cadre approprié pour poursuivre l’effort d’adaptation et de modernisation afin de maintenir une agriculture et une industrie alimentaire efficaces et performantes répondant aux attentes de la société et contribuant également à la richesse de notre économie.

La France est un grand pays agricole, et cette loi d’orientation lui permettra de garder son rang et de donner des perspectives d’avenir à ses agriculteurs. À ce titre, je tiens à souligner trois avancées indéniables de ce texte.

Premièrement, ce projet de loi démontre notre volonté de pérenniser le métier d’agriculteur. La question de la transmission des fermes, et donc du renouvellement des générations, constitue un volet important du texte. Si les candidats à l’installation et à la reprise ne manquent pas, il nous revient de lever les nombreux obstacles qui subsistent afin de faciliter les installations et d’augmenter leur nombre. C’est pourquoi je me réjouis de l’instauration du crédit- transmission, qui favorisera la transmission progressive d’une exploitation. Cette mesure permet de lisser dans le temps les charges de l’installation, qui constituent aujourd’hui un réel frein.

Deuxièmement, nous savons tous que le métier d’agriculteur est certes passionnant mais qu’il est aussi particulièrement contraignant et exigeant, car il demande une présence quasi quotidienne dans les exploitations. Aussi, afin à la fois de favoriser les conditions de travail et d’encourager l’installation de nouveaux agriculteurs, je note avec satisfaction l’introduction d’un crédit d’impôt pour prendre en charge la moitié des coûts liés à l’emploi d’un salarié en cas de remplacement.

M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis de la commission des finances. Très bien !

M. Georges Colombier. Outre que ce dispositif offrira aux agriculteurs la possibilité de se reposer, il permettra également de pallier une absence suite à un accident ou à une maladie, ce qui est vital pour ne pas mettre en péril financier les exploitations et les familles d’agriculteurs. Cependant, je regrette que la commission n’ait pas adopté l’amendement visant à assurer l’application du crédit d’impôt quelle que soit la forme du remplacement, qu’il résulte de l’embauche ou de la facturation d’une prestation de service par un groupement d’employeurs ou un service de remplacement.

Troisièmement, je relève avec intérêt, d’une part, la limitation prochaine de la période du statut d’aide familial à cinq ans, ce qui mettra fin à des situations précaires, et, d’autre part, la possibilité d’accéder au statut de conjoint collaborateur pour les personnes vivant sous le régime du PACS ou du concubinage.

L’objectif de ce projet de loi est d’adapter l’agriculture aux évolutions de notre société et de préparer l’avenir. Préparer l’avenir, c’est à la fois promouvoir une agriculture respectueuse de l’environnement et offrir à celle-ci de nouvelles perspectives.

Il faut saluer les nombreux efforts des agriculteurs dans la prise en compte et le respect de l’environnement tant pour préserver ce qui constitue leur outil de travail et le patrimoine que nous léguerons à nos enfants que pour répondre à la recherche de qualité qu’exigent nos concitoyens. Le projet de loi que nous examinons répond en partie à ces attentes en encourageant le développement de l’agriculture biologique. Je me réjouis que le texte initial ait été enrichi par des amendements de nos collègues, Antoine Herth et Martial Saddier, visant à instituer un crédit d’impôt pour les agriculteurs biologiques bénéficiaires d’un contrat territorial d’exploitation ou d’un contrat d’agriculture durable lorsqu’au moins 50 % de la surface des exploitations concernées sont conduits en mode de production biologique et que ces 50 % ne font pas l’objet d’une aide à la conversion. Toutefois, il convient à mon sens d’aller plus loin en ouvrant le crédit d’impôt à l’ensemble des agriculteurs biologiques, qu’ils soient en conversion ou non.

Il en va de même pour l’encouragement des agriculteurs à s’orienter vers des filières et des productions porteuses d’avenir. Je mesure et je soutiens tous les efforts d’ores et déjà engagés par le Gouvernement pour favoriser le développement des biocarburants. L’agriculture, en tant que secteur générateur de matières premières renouvelables, a un rôle tout particulier à jouer dans la modernisation de notre approvisionnement en énergie et en matières premières. Ces matières premières renouvelables offrent des perspectives nouvelles de débouchés et de revenus, autrement que par la seule production de denrées alimentaires. Aujourd’hui, il convient d’examiner toutes les pistes possibles pour favoriser l’essor des biocarburants. L’Allemagne a détaxé et autorisé les huiles végétales pures carburant avec l’accord de la Commission européenne.

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. Georges Colombier. Ne conviendrait-il pas d’étudier rapidement les dispositifs fiscaux – notamment en ce qui concerne la TIPP – susceptibles d’adresser un signal fort aux agriculteurs et aux automobilistes ? Je vous remercie, monsieur le ministre, de me faire part de votre point de vue sur cette question qui me semble très importante.

M. Jean Dionis du Séjour. Elle l’est !

M. Georges Colombier. Dans une période de profonde incertitude, l’agriculture a besoin qu’on lui fixe un cap pour qu’être agriculteur au XXIe siècle ait un sens. Ce texte, enrichi par la qualité de nos débats, démontrera notre volonté de permettre aux agriculteurs d’exercer leur beau métier avec confiance et foi en l’avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Henri Nayrou.

M. Henri Nayrou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si l’agriculture française se portait bien, cela se saurait. Quel est le problème ? Il est à la fois simple et dramatique : les prix baissent, les charges augmentent, et le moral de nos agriculteurs est atteint.

Dans cette ambiance morose, acteurs et élus du monde agricole et rural étaient en droit d’espérer souffle et ambition de ce projet de loi, autrement dit des réponses claires à des questions simples pour apporter plus de lisibilité sur ce que sera l’agriculture de demain, des perspectives économiques durables pour les agriculteurs, des gages de confiance et de qualité aux consommateurs pour leur alimentation, une meilleure prise en compte de la diversité de nos territoires, de nos productions, de nos exploitations et aussi de l’éco-conditionnalité afin d’encourager les bonnes pratiques agricoles respectueuses de l’environnement, sans oublier la maîtrise des mutations selon le schéma de la nouvelle PAC. Bref, de manière concrète, il fallait redonner envie d’entreprendre aux agriculteurs, clés de voûte du développement, à défaut de l’idéal, qui eût été d’inventer un nouveau modèle agricole en phase avec les exigences du XXIe siècle.

Mais on en est loin, très loin. Vous avez dit « loi d’orientation » ? Orientée vers quoi ? Je vais vous le dire. Vers une vision libérale de l’agriculture et de l’économie dite « contractuelle », qui entérine la rupture avec l’ambition sociétale de l’agriculture développée avec force dans la loi d’orientation de 1999. Et vers des lendemains incertains, avec les trois réformes que sont le statut du fermage – zone dangereuse –, le fonds agricole, qui s’avérera pervers, et les défiscalisations temporaires. Prenez garde, on sait ce que l’on a, mais on ne sait jamais ce que l’on va trouver !

Ce texte est orienté également vers l’assimilation des exploitations agricoles à des entreprises comme les autres, comme s’il suffisait de changer de dénomination pour régler les problèmes. Chers collègues, vous irez dans vos circonscriptions dire que tout ira mieux à partir du moment où les petits agriculteurs deviendront des petits entrepreneurs sur leurs petites surfaces et où les éleveurs de montagne se transformeront, d’un coup de baguette magique, en managers sur les terrains en pente ; vous irez leur dire que l’entreprenarial est bien plus efficace que le patrimonial pour lutter contre les prix qui baissent et les charges qui montent… Vous allez voir comment vous allez leur donner du coeur à l’ouvrage !

M. Michel Piron. « Entreprenarial » n’est pas un gros mot, tout de même !

M. Henri Nayrou. Bref, vous vous contentez d’accompagner la crise qui couve dans nos campagnes et dans nos montagnes comme on poserait une compresse sur une jambe de bois, furtivement, presque accessoirement. Tant et si bien que, dans ces conditions, le terme de loi d’orientation est largement usurpé. « Loi d’accompagnement libéral » serait le bon label.

Si le temps qui m’est alloué n’était pas si limité, monsieur le président, j’aurais souhaité m’étendre sur trois points.

D’abord, j’aurais parlé longuement de la crise existentielle des agriculteurs qui souffrent, tels ceux de mon département ariégeois, qui gagnent un peu plus que le SMIC pour 70 heures de travail par semaine et voient leurs produits partir de leurs champs à des tarifs de misère pour être revendus avec des coefficients multiplicateurs effarants. Ce sont des agriculteurs carrément découragés.

On déplore par ailleurs, monsieur le ministre, l’absence de référence aux montagnes, en dépit du bon déroulement de l’audience que vous aviez accordée à l’Association nationale des élus de montagne, le 16 février dernier, et même si vous avez pris soin, dans votre intervention, de rassurer son président, François Brottes.

Enfin, les biocarburants, longtemps relégués au rang des utopies, arrivaient en haut de l’affiche à mesure que le cours du baril de pétrole grimpait sur les marchés mondiaux. Aujourd’hui, l’utopie est devenue enjeu prioritaire. Comme quoi il faut bien se garder, surtout dans notre hémicycle, de prononcer ces deux mots : toujours et jamais !

Les biocarburants représentent un enjeu pour l’environnement, car il faut limiter l’effet de serre, un enjeu économique, avec la création promise de 6 000 emplois par an, sur les bases du plan biocarburants du printemps dernier, un enjeu de diversification agricole par l’offre de nouveaux débouchés à une profession désorientée et, enfin, un enjeu géostratégique puisqu’il s’agit aussi de limiter la dépendance de la France à l’égard des pays producteurs de pétrole.

Jusqu’à présent, leur principal défaut était leur coût mais, au prix du baril de pétrole, celui d’aujourd’hui et surtout celui de demain, les biocarburants deviennent compétitifs. Il ne manque finalement que la volonté politique, avec un discours clair : il existe ; des objectifs ambitieux : on est loin du compte ; des mesures concrètes : on demande à voir !

Monsieur le ministre, vous avez manqué le rendez-vous qu’il ne fallait pas rater pour notre agriculture, comme votre prédécesseur avait manqué celui du développement des territoires ruraux. Cela fait beaucoup pour la ruralité à la française, cela fait trop, cela fait mal ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Feneuil.

M. Philippe Feneuil. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si nous sommes tous des députés de la nation, il n’en est pas moins vrai que nous venons d’horizons différents. Aussi, lorsque nous devons graver une loi dans le marbre, n’oublions pas de garder à l’esprit les réalités du terrain, tout en restant guidés par le réalisme économique.

Je tiens en préambule à souligner qu’aujourd’hui, sauf dans quelques régions ou filières encore épargnées, nos jeunes, les enfants de paysans, doivent vraiment avoir la foi pour embrasser la carrière d’exploitant agricole – pardonnez-moi, monsieur le ministre, je devrais dire de « chef d’entreprise agricole » ! (Sourires.)

Alors, veillons à ce que cette loi soit destinée en priorité à ceux qui arrivent – qui s’installent – plutôt qu’à ceux qui partent, notamment pour aller dans la fonction publique.

Eu égard au temps de parole qui m’est imparti, je me contenterai d’évoquer quelques points.

En premier lieu, s’agissant du fonds agricole créé par l’article 1er, j’étais de ceux qui éprouvaient quelques craintes. L’objectif poursuivi par le Gouvernement est sans aucun doute louable. D’abord parce qu’il tend à la fois à accorder une certaine reconnaissance à des agriculteurs qui se sentent un peu délaissés et à conférer le caractère d’entreprise à leurs exploitations. Ensuite, parce qu’il s’adresse tout particulièrement aux filières et aux régions en difficulté, pour lesquelles se pose ou se posera rapidement le problème de la transmission et de la reprise des exploitations.

Toutefois, le fonds agricole doit avoir, me semble-t-il, une amplitude à géométrie variable, particulièrement en matière de transmission des exploitations dans le cadre familial et, plus précisément, dans certaines filières ayant une activité commerciale.

Permettez-moi d’illustrer mon propos par un exemple champenois, en étant bien conscient que les agriculteurs champenois bénéficient d’une chance dans l’agriculture d’aujourd’hui – je tiens à éviter toute ambiguïté.

Une exploitation champenoise couvre en moyenne trois hectares, pour une famille de trois enfants. Jusqu’à présent, la méthode retenue pour la succession était donc simple : chaque enfant obtient un tiers de la surface, et l’un d’entre eux exploite l’ensemble des parcelles.

Demain, dans une filière comportant une partie commerciale, avec une marque, une clientèle, une part de hors-sol importante, la valeur du fonds d’exploitation risque d’être égale ou supérieure à la valeur du foncier, ce qui peut handicaper l’enfant qui reprend l’exploitation. S’il disposera d’un bel outil agricole, il n’en sera pas moins dans l’impossibilité de travailler, car obligé de donner en compensation la totalité du foncier aux deux autres. Que se passera-t-il si ceux-ci décident de vendre le foncier ?

Je comprends bien l’intérêt que représente le fonds agricole pour la majorité des entreprises agricoles françaises. Mais ne pourrait-on, dans le cadre de cette loi d’orientation, prévoir un caractère optionnel, facultatif, peut-être un processus d’entrée « en sifflet » dans le dispositif, qui, je n’en doute pas, fera ses preuves ? Je ne demande qu’à y croire. Ce qui a été fait pour la cession du bail peut l’être pour le fonds agricole.

En ce qui concerne l’article 14 et les interprofessions, si on ne peut que saluer la volonté d’encourager les organisations de producteurs, nous devons néanmoins être attentifs à l’équilibre de la représentation des diverses familles autour de la table des interprofessions. Reste qu’il me semble indispensable aujourd’hui d’étendre leur pouvoir. Comment, en effet, équilibrer production et marché si on n’a aucune connaissance à la fois de la potentialité de production en amont et de la réalité des marchés en aval ? L’extension des compétences interprofessionnelles doit aller vers un encouragement à s’orienter dans cette voie, et, j’irai même plus loin, vers l’obligation de déclarer les surfaces mises en telle ou telle culture et de contractualiser les marchés tant côté amont que côté aval. Cette méthode permettra de mieux connaître la vérité des marchés.

Je peux témoigner que ce système a fait ses preuves dans certaines régions. Même si ce n’est pas possible pour toutes, sans doute peut-il être adapté à certaines filières.

On parle beaucoup d’assouplissement du contrôle des structures. Certes, la réflexion doit se poursuivre, notamment pour tout ce qui concerne les transmissions dans le cadre familial. Mais, dans certaines filières où sévissent déjà de véritables « monstres », qui nous sont souvent bien utiles, il faut savoir rester raisonnable.

Je terminerai par le statut du fermage.

En viticulture, il existe encore de nombreux métayages, qui font la richesse de l’économie locale. Il serait malencontreux de revenir sur ce statut qui a fait ses preuves.

De même, en ce qui concerne le délai de congé bail, il doit être maintenu à dix-huit mois, notamment pour les cultures pérennes, qui nécessitent un temps d’adaptation. Quant au renouvellement, il doit continuer à se faire par tranches de neuf ans. Il faut laisser aux agriculteurs le temps d’amortir de très gros investissements. Il semble que, sur ce point, nous allions dans la bonne direction.

M. le président souhaite que je termine. Pour le paysan que je suis, cinq minutes, c’est cinq minutes ! De toute façon, même une demi-heure ne m’aurait pas suffi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Yves Censi.

M. Yves Censi. Monsieur le ministre, préparer l’avenir et accompagner les changements dans le monde agricole et rural, tels sont les enjeux fondamentaux du projet de loi d’orientation agricole.

Préparer l’avenir, donc ouvrir des perspectives aux hommes et aux femmes qui font aujourd’hui l’agriculture française, c’est bien entendu agir, comme vous vous y êtes attaché, dans le sens d’une mise en capacité des agriculteurs français à développer leurs performances économiques, à moderniser les structures, à rendre attractifs les investissements en capitaux. J’ai ainsi retenu que le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui visait à définir un nouveau modèle, celui de l’entreprise agricole, alors que les précédentes lois d’orientation agricole valorisaient plutôt le modèle de l’exploitation agricole familiale.

Cette évolution est essentielle mais elle ne peut être, vous en conviendrez, la seule réponse au développement du secteur agricole. En effet, j’ai la conviction, partagée d’ailleurs par vous-même, je le sais, comme par l’ensemble des acteurs du monde agricole et même rural, que ce développement doit reposer sur deux piliers, aussi solides l’un que l’autre, aussi essentiels l’un pour l’autre : un pilier économique et un pilier social.

Le contexte contemporain impose que la politique sociale agricole soit partie intégrante des orientations que nous déciderons pour l’agriculture dans les vingt années à venir. Nous sommes, en effet, dans un contexte de forte mutation sectorielle, que le projet de loi accompagne d’ailleurs fort heureusement, Et c’est justement parce que nous sommes dans un contexte de changement qu’une forte sécurisation de la protection sociale agricole, et donc du régime agricole, est plus que jamais nécessaire.

Cette protection doit être confortée, voire renforcée, pour accompagner les populations et leurs familles dans les changements en cours.

Le présent projet de loi est résolument tourné vers l’avenir et le Premier ministre, le 13 septembre dernier, au SPACE de Rennes, a rappelé avec force le devoir de solidarité nationale vis-à-vis des agriculteurs et des paysans, qui sont certainement la partie de la population qui a, au cours des dernières années, évolué le plus rapidement et avec le plus d’efficacité.

Vous le savez, c’est comme parlementaire que je siège au comité de surveillance du FFIPSA, et il me semble qu’il est de mon devoir d’évoquer devant le Parlement les finances sociales agricoles qui n’ont plus fait l’objet d’un examen approfondi devant la représentation nationale depuis la fin de l’année 2003.

Je parlais à l’instant des nécessaires perspectives qui doivent être ouvertes aux agriculteurs afin qu’ils puissent maîtriser leur destin le mieux possible. Ce destin, ils le maîtrisent aussi au travers du régime agricole parce qu’il repose sur la subsidiarité et sur la démocratie sociale. Et pour se concentrer sur les enjeux d’aujourd’hui et de demain, il doit être sécurisé sur le plan financier.

C’est pourquoi je crois important de réaffirmer ici les principes qui doivent présider au retour à l’équilibre financier du régime, permettant non seulement de blanchir les agriculteurs d’une suspicion scandaleuse face au régime général, mais aussi de s’assurer que tous les projets développés, fort bien d’ailleurs, par les MSA, pourront être assurés de la pérennité dont ils ont besoin.

Comment s’assurer que la politique sociale continuera de prendre en compte les particularités du monde agricole et rural, et accompagnera ses évolutions ?

Je tiens à rappeler que le FFIPSA, qui s’inscrit dans la continuité du BAPSA, a hérité d’une créance publique de 3,2 milliards d’euros. La responsabilité en incombe à l’État, comme l’a justement rappelé le premier Président de la Cour des comptes, puisque ce « déficit » résulte d’un désengagement de l’État pour équilibrer recettes et dépenses, et de l’affectation d’une part de la taxe tabac, au rendement incertain, en remplacement d’une part de TVA,

En 2005, première année de fonctionnement du FFIPSA, les ressources se sont révélées insuffisantes par rapport aux dépenses, et les prévisions 2006, en l’état actuel, ne semblent pas apporter de solution pour un financement pérenne du régime social des exploitants agricoles.

Le comité de surveillance a rappelé que le statu quo concernant le financement du régime agricole n’était pas acceptable. Je sais, monsieur le ministre, que vous l’approuvez. En effet, aujourd’hui, le régime agricole fonctionne sur la base d’une autorisation de découvert dont le coût en intérêts se chiffre à plus de 100 millions d’euros par an, et ce en pure perte, sans bénéfice ni pour les assurés agricoles en termes de prestations, ni pour les finances publiques qui voient ainsi se creuser le déficit.

Pour que ces 3,2 milliards d’euros cessent enfin de peser sur l’avenir du régime agricole, le comité de surveillance a proposé que le FFIPSA contracte un emprunt à hauteur de ce montant, l’État s’engageant à en assurer le remboursement sur dix ans par des annuités constantes comprenant une partie du capital et les intérêts de l’emprunt.

Il s’agit donc de tourner la page, de manière responsable, pour pouvoir regarder plus sereinement l’avenir. Et pour l’avenir, justement, 2006 doit voir très concrètement la diversification des ressources du FFIPSA. Des solutions existent pour que cette diversification se concrétise.

Le comité de surveillance a ainsi proposé de revoir les règles de compensation démographique en maladie et en vieillesse. La population avance en âge et les mutations de l’agriculture ont opéré un transfert des actifs du secteur agricole vers le secteur du commerce, de l’industrie et du tertiaire. Ces évolutions ont un impact sur la compensation démographique interrégimes et elles doivent être prises en compte au nom de l’équité et de la solidarité interprofessionnelle. Les règles de compensation ainsi réactualisées, une partie des taxes et contributions affectées exclusivement au budget de l’État ou au RSI pourraient revenir au financement du régime agricole : je pense à une part de TVA et de C3S.

Monsieur le ministre, il faut prendre le temps de la concertation et de la négociation avant qu’une telle réforme puisse aboutir. Il est donc nécessaire d’inscrire cette réflexion dans un calendrier.

Je tenais à profiter de la discussion générale pour appeler chacun au devoir de la protection sociale agricole. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Danielle Bousquet, qui sera le dernier orateur de cette séance. Elle n’est pas pour autant autorisée à dépasser les cinq minutes qui lui sont imparties. (Sourires.)

Mme Danielle Bousquet. Loi d’orientation agricole, sans doute, mais pour quel type d’agriculture ? L’agriculture familiale que nous revendiquons, celle qui innerve tout le tissu social rural et fait de chacun de nos territoires une spécificité agricole, ou l’agriculture industrielle, celle que, monsieur le ministre, vous semblez privilégier ?

Aujourd’hui, les agriculteurs vivent, dans la plus grande morosité, beaucoup d’incertitudes. Chacun le constate. Mais au-delà, comment ne pas entendre les véritables interrogations de cette profession qui, en moins de quarante ans, est passée du statut de paysan à celui d’agriculteur d’abord, et aujourd’hui à celui de chef d’entreprise ? Quels moyens mettez-vous véritablement en place pour accompagner ces mutations sociales et sociologiques ?

Si nous voulons préserver l’équilibre qu’incarnent les exploitations familiales, il faut s’interroger sur les moyens réels à mettre en œuvre et en particulier sur ce que signifie la reconnaissance du travail. Il y a de nombreux domaines de l’agriculture dans lesquels cette question se pose, et je voudrais en aborder deux.

Tout d’abord, parlons de la reconnaissance encore difficile du travail des conjointes, alors que c’est souvent par le travail des femmes et grâce à celui-ci que l’agriculture résiste, puisque ce sont elles qui sont le pilier des activités de toute nature en milieu rural.

Certes, depuis la modernisation de l’agriculture dans les années soixante, la place des femmes a eu tendance à régresser de façon importante puisque nombre d’entre elles ont cherché un emploi à l’extérieur. Mais aujourd’hui, un certain nombre de signaux montrent qu’elles peuvent prendre une nouvelle place en raison du caractère multifonctionnel de l’agriculture et de l’évolution de l’image du salariat agricole.

Malheureusement, votre projet de loi, monsieur le ministre, ne répond pas aux questions de fond qu’elles posent, qu’il s’agisse des conditions de travail, de l’accès aux formations, du niveau de responsabilité ou de l’engagement professionnel et des perspectives qui leur sont ouvertes.

Habitant sur leur lieu de travail et travaillant avec leur mari ou leur compagnon, elles peuvent libérer du temps pour leurs enfants ou d’autres activités, mais cette situation, très normative au plan des rôles sociaux, peut aussi avoir des conséquences négatives : travailler à temps partiel freine les évolutions de carrière et les droits à la retraite. Par ailleurs, les aléas d’une vie peuvent parfois conduire à un divorce, voire à un veuvage : quid de leurs droits propres dans ce cas ? Il est donc absolument nécessaire d’améliorer la protection sociale et les conditions de travail des agricultrices de manière à les rapprocher de celles des autres catégories professionnelles afin de rendre la profession attractive, puis de conforter le statut des conjoints.

On observe aussi qu’elles ont très souvent une activité professionnelle antérieure dans laquelle elles ont acquis des compétences qu’elles ne peuvent valoriser puisque les compétences techniques exigées dans l’agriculture ne relèvent pas de celles qu’elles ont acquises par ailleurs. Or le renouvellement des générations passera aussi par l’installation de femmes, éventuellement dans le cadre d’une reconversion professionnelle, mais cela exigera une politique de validation des acquis, dont votre projet ne dit mot.

Autre sujet d’importance, qui pose également la question de la reconnaissance du travail : celui des producteurs intégrés.

Dans le contexte de crise de certaines productions, comme la production avicole, les agriculteurs intégrés sont obligés, pour des raisons économiques, d’accepter des contrats que, pour ma part, je qualifierais de « léonins ».

Les éleveurs intégrés étant à l’heure actuelle, notamment dans le Grand Ouest, un des maillons essentiels de la filière avicole, leur fragilisation économique peut mettre l’ensemble de la filière en danger. C’est la raison pour laquelle, aujourd’hui, l’une des revendications fortes des syndicats agricoles est d’assurer une représentation collective des agriculteurs intégrés face aux intégrateurs et de faire en sorte que cela fonctionne vraiment comme une instance de concertation et de régulation, par exemple pour faire régulièrement le point sur l’application des contrats, dont chacun sait qu’ils sont appliqués de façon très particulière s’agissant des droits des intégrés.

Voilà, monsieur le ministre, quelques orientations que le monde agricole aurait aimé vous voir prendre. Or ces sujets ne sont même pas abordés dans votre texte.

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.

Ordre du jour des prochaines séances

M. le président. Demain, à neuf heures trente, première séance publique :

Discussion de la proposition de résolution, n° 2450, de M. Jean-Louis Debré tendant à modifier les dispositions du règlement de l’Assemblée nationale relatives à la discussion des lois de finances :

Rapport, n° 2545, de M. Philippe Houillon, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

À quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 2341, d’orientation agricole :

Rapport, n° 2547, de M. Antoine Herth, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire ;

Avis, n° 2544, de Mme Brigitte Barèges, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République ;

Avis, n° 2548, de M. Marc Le Fur, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le jeudi 6 octobre 2005, à une heure vingt.)